La lettre juridique n°593 du 4 décembre 2014

La lettre juridique - Édition n°593

Éditorial

Le jour où "Lexbase" est devenu un nom commun

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N4891BUP

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 04 Décembre 2014


Dans un arrêt du 21 octobre 2024, la cour d'appel de Paris retient qu'une société éditrice d'un hebdomadaire engage sa responsabilité à l'égard du titulaire d'une marque en utilisant la marque déposée pour constituer un mot composé dans un titre, ou tel un nom du langage courant dans le texte de divers articles (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 21 octobre 2024, n° 23/08736 N° Lexbase : A1183HMY). La cour juge en effet :

"Considérant que le principe de liberté de la presse ne saurait exonérer la société LE POINT DU JOUR, qui en sa qualité de professionnelle ne peut ignorer l'importance économique d'une marque fut-elle notoire pour une société commerciale telle que la société LEXBASE, de son obligation de prudence pour éviter qu'un signe soit perçu par de nombreux lecteurs (d'autant plus nombreux que les articles papier ont été mis en ligne), non comme une marque déposée, mais comme une métaphore ou un terme évocateur usuel, synonyme de noms communs du langage courant ; qu'au surplus la société LE POINT DU JOUR, quoique clairement alertée à plusieurs reprises par le titulaire de la marque de la nécessité de défendre son droit de propriété intellectuelle, a poursuivi l'utilisation détournée, conférant au signe protégé de la société LEXBASE une apparence d'emploi commun de nature à générer un processus de vulgarisation contre lequel le titulaire est légitime à réagir ;

Considérant, en définitive, qu'un tel usage, qui diffuse de manière réitérée, dans le contexte d'articles certes ponctuels mais très divers, dans des tournures de style, le terme 'lexbase' ou plus généralement 'Lexbase' sans veiller à ce qu'indication soit faite qu'il s'agit d'une marque déposée, au détriment des droits de propriété intellectuelle de la société LEXBASE, ne répond à aucun but légitime, ni besoin nécessaire d'expression en matière de presse ; qu'il renvoie, au contraire, fautivement à l'idée d'un signe conceptualisant tout type de produits d'un même genre, ce qui est par nature préjudiciable au titulaire de la marque, le caractère distinctif de cette dernière résultant de la perception qu'en a le public ;

Qu'il en résulte que la responsabilité de la société LE POINT DU JOUR à l'égard de la société LEXBASE est engagée, et que la décision entreprise ne peut qu'être infirmée en ce qu'elle a estimé que les conditions de l'article 1382 du Code civil n'étaient pas réunies ;

Considérant que le comportement de la société LE POINT DU JOUR a imposé à la société LEXBASE l'engagement de frais pour préserver ses droits, qui seront pris en compte dans l'appréciation de l'article 700 du Code de procédure civile, mais également causé, par l'utilisation indue de la marque dans les 12 articles mis en ligne, un préjudice moral qui ne peut qu'être aggravé par le fait que le terme 'Lexbase' y est souvent employé pour suggérer une documentation juridique pléthorique, précise et complexe, ce qui ne correspond pas nécessairement au fort pouvoir attractif de la marque (couvrant de l'information juridique réactive, pratique et intelligible) que la société LEXBASE entend préserver ; que le préjudice ainsi subi sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 30 000 euros, la présente condamnation emportant intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt".

J'ai fait un rêve... Celui dans lequel les éditions juridiques Lexbase suivent la trajectoire populaire de la société Meccano, fondée en 1913, après avoir breveté son système de jeu en 1901 et déposé la marque mondialement connue en 1907 ; celui dans lequel, malgré les épreuves (deux Guerres mondiales, l'effort de guerre des usines britanniques, les scissions, fusions, acquisitions, la contrefaçon... pour la société Meccano / l'éclatement de la bulle internet, la frilosité sur le "tout numérique" juridique, l'agressivité d'une concurrence copiante mais toujours arrogante), la popularité de LEXBASE et son utilisation quotidienne, comme le "frigidaire", marque déposée en 1918, deviennent un nom commun pour signifier ce qu'il y a de plus innovant, réactif, pratique et actualisé en matière d'information et documentation juridiques ; celui dans lequel 'Lexbase' évoque le "Journal officiel" de la jurisprudence française et, pourquoi pas, francophone et continentale.

Aujourd'hui, ce nom commun est déjà l'apanage d'une marque séculaire dont les codes rouges raisonnent dans l'inconscient collectif comme le summum de l'excellence légistique ; souvent copié, jamais égalé, même à l'heure d'internet et du livre numérique. Mais, "un exemple n'est pas forcément un exemple à suivre", prévient Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Il faut savoir se servir de sa nostalgie, pour penser l'avenir et inventer la modernité documentaire, pour paraphraser librement l'auteur.

A l'inverse de Paul Valéry, je fais le rêve que, lorsque le mythe "Lexbase" sera toute chose qui est inséparable du langage, il lui emprunte toutes ses vertus avec une contrepartie ; l'obligation d'écouter ses lecteurs et néanmoins utilisateurs, dans leurs attentes, leurs besoins, leurs contraintes et de leur ouvrir de nouvelles perspectives pour exercer leur profession en concurrence, mais à armes égales, parce que l'accès au droit commence déjà par l'accès aux sources du droit.

"En vérité, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout" nous encourage encore Camus. Comme Sisyphe, nous remonterons le rocher en haut de la montagne au sein du Tartare pour être vu et connu de tous, mais le rocher redescendra inexorablement pour être lu et su par le plus grand nombre.

newsid:444891

Aide juridictionnelle

[Brèves] La procédure d'admission à l'aide juridictionnelle n'est pas une instance en cours à l'occasion de laquelle une question prioritaire de constitutionnalité peut être posée

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-440 QPC du 21 novembre 2014 (N° Lexbase : A8375M3L)

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N4742BU8

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Le 04 Décembre 2014

Aux termes d'une décision rendue le 21 novembre 2014, le Conseil constitutionnel retient que la procédure d'admission à l'aide juridictionnelle n'est pas, en tout état de cause, au sens de l'article 61-1 de la Constitution, une instance en cours à l'occasion de laquelle une question prioritaire de constitutionnalité peut être posée (Cons. const., décision n° 2014-440 QPC du 21 novembre 2014 N° Lexbase : A8375M3L). En l'espèce, le Conseil constitutionnel a été saisi par M. M. d'une demande tendant à ce que le Conseil constitutionnel se prononce, en application de la dernière phrase du premier alinéa de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), sur des questions prioritaires de constitutionnalité posée par lui devant le Premier président de la Cour de cassation à l'occasion de recours contre des décisions rendues en matière d'aide juridictionnelle. Pour rejeter la demande, le Conseil rappelle dans un premier temps les termes de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) "Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé". Dans un second temps il énonce que, selon l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE), "les décisions du bureau d'aide juridictionnelle, de la section du bureau ou de leur premier président peuvent être déférées, selon le cas, au président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation, au président de la cour administrative d'appel, au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, au vice-président du Tribunal des conflits, au président de la Cour nationale du droit d'asile ou au membre de la juridiction qu'ils ont délégué. Ces autorités statuent sans recours". Partant il s'ensuit qu'une QPC ne peut être posée lors de l'examen d'une demande d'admission à l'aide juridictionnelle.

newsid:444742

Affaires

[Brèves] Modalités de réalisation de l'audit énergétique imposé aux grandes entreprises

Réf. : Décret n° 2014-1393 du 24 novembre 2014 (N° Lexbase : L9104I4X) et arrêté du 24 novembre 2014 (N° Lexbase : L9351I44), relatifs aux modalités d'application de l'audit énergétique prévu par le chapitre III du titre III du livre II du Code de l'énergie

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N4860BUK

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Le 04 Décembre 2014

La Directive 2012/27/UE du 25 octobre 2012, relative à l'efficacité énergétique (N° Lexbase : L5486IUQ), transposée en France par une loi du 16 juillet 2013 (loi n° 2013-619, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable N° Lexbase : L3830IX7) oblige les grandes entreprises à réaliser, tous les quatre ans, un audit énergétique satisfaisant à des critères définis par voie réglementaire, établi de manière indépendante par des auditeurs reconnus compétents, des activités exercées par elles en France (C. énergie, art. L. 233-1 N° Lexbase : L3999IXE) Il est prévu que les premiers audits doivent intervenir avant le 5 décembre 2015. Le décret n° 2013-1121 du 4 décembre 2013 (N° Lexbase : L6141IY4) a précisé qu'une entreprise réalise l'audit énergétique si pour les deux exercices comptables consécutifs précédant la date d'obligation d'audit : soit son effectif excède 250 personnes ; soit son chiffre d'affaires annuel excède 50 millions d'euros ou son total de bilan excède 43 millions d'euros. Un décret, publié au Journal officiel du 26 novembre 2014 (décret n° 2014-1393 du 24 novembre 2014, relatif aux modalités d'application de l'audit énergétique prévu par le chapitre III du titre III du livre II du Code de l'énergie N° Lexbase : L9104I4X), définit les conditions et modalités de réalisation de cet audit et son périmètre. Il précise, également, les conditions de reconnaissance de l'indépendance et de la compétence des auditeurs. Enfin, il définit les hypothèses d'exemption de l'obligation, lorsque l'entreprise bénéficie d'un système de management de l'énergie. En outre, un arrêté, également publié au Journal officiel du 26 novembre (arrêté du 24 novembre 2014, relatif aux modalités d'application de l'audit énergétique prévu par le chapitre III du titre III du livre II du Code de l'énergie N° Lexbase : L9351I44), précise les modalités d'application de l'obligation concernant notamment la méthodologie de l'audit et la reconnaissance de la compétence des auditeurs.

newsid:444860

Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Partage d'honoraires sur le fondement de l'enrichissement sans cause : imbroglio juridique en perspective

Réf. : Cass. civ. 2, 20 novembre 2014, n° 13-26.530, F-D (N° Lexbase : A9196M3Y)

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N4890BUN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 04 Décembre 2014

Les règles relatives au partage d'honoraires entre les avocats n'avaient pas prévu ce cas de figure bien singulier : celui de l'honoraire complémentaire de résultat au regard des prestations intellectuelles fournies au service du résultat judiciaire dont a bénéficié le client, après avoir dessaisi un premier avocat et mandaté un second. Ce faisant, il incombait donc à la jurisprudence de régler ce différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel : chose faite dans un arrêt de la cour d'appel de Paris, rendu le 2 octobre 2013 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 2 octobre 2013, n° 12/10204 N° Lexbase : A1162KMY), confirmé par la deuxième chambre de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 20 novembre 2014. La Haute juridiction, à la suite des juges parisiens, se place dès lors sur le terrain de l'enrichissement sans cause pour consentir à un partage de l'honoraire de résultat, malgré la caducité de la première convention d'honoraires, et justement parce que cette caducité, pas plus que la convention elle-même, ne sont opposables dans le cadre d'un litige qui n'intéresse pas, au final, le client signataire. Ces décisions, parfaitement originales à notre connaissance, même si elles paraissent justes au regard de l'équité, n'en sont pas moins assises sur un fondement glissant, dont l'application dans le cadre des dispositions relatives à la profession d'avocat relève de l'imbroglio. D'abord, on rappellera sommairement que l'article 11.5 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) précise uniquement les règles applicables en matière de partage d'honoraires entre les avocats correspondants. Ainsi, l'avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours, à l'exclusion des émoluments, dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci. Les avocats concernés peuvent néanmoins, dès l'origine et par écrit, convenir du contraire. Et, en matière de rédaction d'actes et lorsqu'un acte est établi conjointement par plusieurs avocats, la prestation de conseil et d'assistance de chaque intervenant ne peut être rétribuée que par le client ou par un tiers agissant d'ordre ou pour le compte de celui-ci. Encore, dans le cas où il est d'usage que les honoraires de rédaction soient à la charge exclusive de l'une des parties et à la condition que l'acte le stipule expressément, les honoraires doivent être, à défaut de convention contraire, partagés par parts égales entre les avocats ayant participé conjointement à la rédaction. Finalement, l'article 11.5 du RIN édicte surtout une interdiction du partage des honoraires des personnes physiques ou morales non avocates ; principe repris au Code de déontologie des avocats de l'Union européenne (art. 21.3.6.1).

Force est de constater que la réglementation n'est ici pas idoine ; elle ne régit en rien le cas bien particulier de notre espèce. Dans l'affaire en cause, un avocat avait été chargé par son client de le défendre dans une instance prud'homale contre son employeur. L'avocat et le client avaient conclu une convention d'honoraires prévoyant notamment un honoraire complémentaire de résultat de 10 % "du montant des sommes dont le client obtiendrait le règlement". Par un jugement rendu en 2001 par un conseil de prud'hommes, l'avocat a obtenu la condamnation de l'employeur à régler à son client une certaine somme, dont une partie assortie de l'exécution provisoire. Le client avait payé sur cette partie l'honoraire de résultat. Mais, à la suite de l'appel formé par l'employeur contre ce jugement, il avait dessaisi l'avocat et avait confié la défense de ses intérêts à une autre avocate. Cette dernière et le client avaient conclu en 2003 une convention d'honoraires prévoyant notamment un honoraire complémentaire de résultat de 10 % "sur les sommes qui seront allouées au client y compris celles déjà versées par exécution provisoire" et stipulant que l'avocate ferait "son affaire personnelle de la répartition des honoraires de résultat dus" au premier avocat. Sur renvoi après cassation de l'arrêt frappé d'appel, l'employeur avait été condamné de façon irrévocable à régler au client par un arrêt rendu en 2007 par une cour d'appel une somme supérieure à celle accordée par le jugement rendu en 2001. Le premier avocat, estimant que le résultat final avait été atteint grâce à son travail initial, avait revendiqué auprès de l'avocate le partage de l'honoraire de résultat calculé à partir de la somme allouée par l'arrêt rendu en 2007 et avait saisi le Bâtonnier d'une demande d'arbitrage.

Première remarque, et non des moindres : il s'agit là d'une demande d'un avocat tendant à obtenir la condamnation d'un autre avocat à un partage des honoraires versés par un client auquel les deux cabinets ont successivement fourni des prestations. Un tel litige relève de la compétence du Bâtonnier en application de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), selon lequel tout litige entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier. C'est pourquoi, l'arbitre avait rappelé, à bon droit, qu'il ne s'agissait pas d'un litige d'honoraires relevant des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 (N° Lexbase : L8168AID), ayant pour objet de fixer le montant des honoraires dus par un client à son avocat.

Deuxième remarque : est inopposable la convention d'honoraires conclue avec le client, qui n'a qu'un effet relatif à l'égard de ceux qui n'y sont pas parties, lorsque le litige ne concerne pas, justement, la fixation des honoraires dus par le client, mais n'a trait qu'à un partage d'honoraires entre confrères se réglant sur la base de la nature des prestations intellectuelles fournies. L'action intenté par l'avocat est donc une action de in rem verso, pour laquelle l'arbitre, et sur appel la cour, devront déterminer le montant de l'indemnité due à la suite, selon la définition d'usage, de l'enrichissement du second avocat, consécutif à l'appauvrissement du premier dessaisi. Voilà pour la portée de l'arrêt rendu par la Haute juridiction.

Seulement voilà, il faut reconnaître que cette décision à de quoi interroger.

D'abord, les conventions d'honoraires sont écartées, déclarées inopposables dans le cadre du litige en question... pour mieux servir de base finalement à l'action en partage d'honoraires de résultat. On sait que le dessaisissement de l'avocat avant la fin du litige rend inapplicable la convention d'honoraires initialement conclue (Cass. civ. 2, 16 juin 2011, n° 10-20.551, F-D N° Lexbase : A7494HTQ ; Cass. civ. 2, 25 février 2010, n° 09-13.191, F-D N° Lexbase : A4508ESR ; et Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 06-16.683, F-D N° Lexbase : A1489EPT). Et, si un accord a été conclu entre un avocat et son client sur l'honoraire de résultat, entendu comme l'honoraire "après résultat définitif", et que, le client ayant fait appel de la décision rendue en première instance, l'avocat se dessaisit volontairement du dossier avant la fin de la procédure, l'accord devient caduque (Cass. civ. 2, 5 février 2004, n° 01-15.609, FS-P+B N° Lexbase : A2289DBE ; Cass. civ. 2, 3 avril 2008, n° 07-13.142, FS-P+B N° Lexbase : A7724D79 ; et Cass. civ. 2, 7 juillet 2011, n° 09-15.403, F-D N° Lexbase : A9742HUD). Tel était le cas dans notre affaire. En conséquence chaque convention d'honoraires est inopposable à l'avocat non signataire, par l'effet relatif des contrats, mais au surplus la première convention est caduc. Pourtant, on admettra que c'est bien parce que, par deux fois, le client a signé une convention d'honoraires prévoyant un honoraire de résultat à hauteur de 10 % des sommes judiciairement et définitivement allouées que le contentieux s'est noué et que, dans la seconde convention, l'avocat prévoyait même de faire son affaire d'un éventuel partage d'honoraires avec le premier avocat auquel il avait succédé (sic), que le premier avocat mandaté demande le partage de l'honoraire de résultat, s'estimant lésé.

Il est de jurisprudence constante, depuis 1892, que l'action de in rem verso, dérivant du principe d'équité qui défend de s'enrichir au détriment d'autrui, et n'ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n'est pas soumis à aucune condition déterminée. Il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d'établir l'existence d'un avantage qu'il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit.

Le juge fait, ici, une application stricte de l'effet relatif des contrats pour estimer que l'enrichissement du second avocat n'est pas causé par la convention d'honoraires ainsi régulièrement signée avec son client. La cour, puis les juges suprêmes, reconnaissent dès lors l'existence d'un avantage que le premier avocat aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit. En l'occurrence, la cause première de l'avantage concédé n'est pas le dessaisissement du premier avocat, dessaisissement bien involontaire de sa part, mais il serait le fruit de "prestations intellectuelles fournies" ; prestations ayant procuré un avantage donc trop important au second avocat -on imagine les recherches et les conclusions déposées en première instance-.

La cour d'appel, puis la Cour de cassation, s'en remette donc à l'arbitre, le Bâtonnier donc, pour... évaluer le montant de l'enrichissement, sur la base de l'honoraire de résultat perçu in fine par le second avocat, mais au regard des prestations intellectuelles fournies par le premier. Cela a, dès lors, la couleur d'une taxation d'honoraire, le goût d'une évaluation arbitrale du montant des honoraires dû à l'avocat -certes non directement par le client mais l'on sait bien que le juge taxateur n'est pas juge du débiteur de l'honoraire (Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-17.493, F-P+B N° Lexbase : A2712KB3) !- ; mais c'est hors champ des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 ! Et, c'est sans doute pour éviter de recourir à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, ce qui aurait été inapproprié, que la cour d'appel de Paris conclut que le calcul de l'honoraire de résultat qui doit être partagé entre les deux avocats, le second avocat en devant la moitié à son confrère, doit s'opérer à partir de la somme totale des honoraires encaissés respectivement par chacun des avocats -peut-on faire plus alambiqué !-. On comprend alors que chacun des avocats percevra la moitié de l'honoraire de résultat. On notera qu'en l'espèce le premier avocat avait été en charge de la défense du client lors de la première instance, mais que le second avocat avait conseillé le client en appel, devant la Cour de cassation et devant la cour de renvoi pour obtenir plus du double de l'indemnité initialement accordée...

Nous somme donc en présence d'une procédure de règlement des conflits entre avocat visant à un partage d'honoraires, pour lequel les conventions entre chaque avocat et le client sont inopposables à l'autre avocat, mais servent tout de même de preuve d'une volonté claire et établie d'octroyer une honoraire complémentaire de résultat à chacun des avocats ayant concouru au résultat judiciaire ; des conventions d'autant plus sans effet qu'elles sont caducs du fait du dessaisissement du premier avocat. Au final, le Bâtonnier évaluera la nature des diligences, autre dénomination des "prestations intellectuelles fournies" évoquées par les deux arrêts, pour déterminer l'étendue de l'enrichissement du second avocat au détriment d'un premier congédié sans égard ou presque. La procédure ne relève pas du contentieux de l'honoraire, mais en a de sérieux atours ; d'autant que l'unique raison pour laquelle la procédure spéciale des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 ne s'applique pas, c'est que le client n'est pas ici le débiteur de l'honoraire à partager ; alors justement que ni le Bâtonnier, ni le premier président ne sont compétents pour déterminer... qui est le débiteur de l'honoraire. On avouera tout de même que le raisonnement, si dans le cadre du régime des quasi-contrats a de quoi séduire et est imparable, appliqué au régime de la profession d'avocat, il est assez déroutant.

"Dans la société bourgeoise, le travail vivant n'est qu'un moyen d'accroître le travail accumulé. Dans la société communiste, le travail accumulé n'est qu'un moyen d'élargir, d'enrichir et d'embellir l'existence des travailleurs" ; telle est la sentence délivrée par Marx et Engels, dans le Manifeste du parti communiste en 1885... L'équité commandait sans doute cette construction prétorienne pour que chaque avocat perçoive la juste rémunération de son travail au service du client, même lorsque ce dernier rompt le mandat, ayant le plus souvent perdu confiance dans sa relation avec son défenseur.

Pour parer l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause et éviter un partage arbitral d'honoraires, il est alors conseillé d'inscrire dans les conventions d'honoraires une clause de changement d'avocat ; clause qui ne sera pas abusive, selon la jurisprudence (CA Grenoble, 4 avril 2012, n° 12/00215 N° Lexbase : A5877IH7). Cette clause permettra justement au premier avocat d'être réglé de ses honoraires de résultat, lorsque la procédure a été gagnée par le successeur sur la base des premières conclusions établies par le premier avocat, alors que celle-ci ne serait pas opposable dans le cadre d'un litige entre avocats. Une convention d'honoraires peut anticiper un éventuel changement d'avocat en prévoyant qu'en semblable hypothèse, l'honoraire de résultat serait partagé prorata temporis (Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.633, FS-P+B N° Lexbase : A0828DXX). Ainsi, le champ arbitral sera reporté sur le contentieux de l'honoraire, champ dont l'avocat a plus aisément la maîtrise, en cas de défaillance du client, véritable bénéficiaire des "prestations intellectuelles fournies".

newsid:444890

Avocats/Procédure

[Brèves] Constitutionnalité des dispositions relatives au report de l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue en matière de délinquance ou de criminalité organisées

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014 (N° Lexbase : A8372M3H)

Lecture: 2 min

N4743BU9

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Le 04 Décembre 2014

Aux termes d'une décision rendue le 21 novembre 2014, le Conseil constitutionnel a estimé conformes à la Constitution les dispositions des 6ème et 8ème alinéas de l'article 706-88 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7809I3M) relatives au report de l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue en matière de délinquance ou de criminalité organisées (Cons. const., décision n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014 N° Lexbase : A8372M3H). Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 9 septembre 2014 par la Cour de cassation de cette question (Cass. crim., 3 septembre 2014, n° 14-82.019, F-D N° Lexbase : A4284MWL). Pour mémoire, l'article 706-88 fixe des règles particulières applicables à la garde à vue d'une personne suspectée d'avoir commis une des infractions relevant de la délinquance ou la criminalité organisée dont la liste est fixée par l'article 706-73 (N° Lexbase : L7808I3L) du même code. Ses sixième à huitième alinéas prévoient que l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue peut être différée pendant une durée maximale de quarante-huit heures ou, dans certains cas, de soixante-douze heures. Le Conseil constitutionnel a relevé que ce report de l'intervention de l'avocat ne peut être décidé qu'en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction, soit pour permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes. La décision initiale de reporter cette intervention appartient au magistrat chargé de la direction de l'enquête ou de l'instruction. Au-delà de vingt-quatre heures, ce report ne peut être décidé que par un magistrat du siège. Le report ne peut en tout état de cause excéder une durée de quarante-huit heures ou, en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants, de soixante-douze heures. La décision du magistrat doit être écrite et motivée. Par ailleurs, la personne placée en garde à vue est notamment informée, dès le début de la garde à vue, de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise, du droit de consulter les documents mentionnés afférents ainsi que du droit "de se taire". Au regard de l'ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de la défense et sont conformes à la Constitution (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4377EUN).

newsid:444743

Construction

[Brèves] VEFA : responsabilité de la banque ayant refusé de mettre en oeuvre la garantie financière d'achèvement tant qu'il était encore temps

Réf. : Cass. civ. 3, 26 novembre 2014, n° 13-25.534, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1516M4W)

Lecture: 2 min

N4855BUD

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Le 04 Décembre 2014

Par un arrêt rendu le 26 novembre 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation retient la responsabilité de la banque ayant consenti la garantie d'achèvement, celle-ci ayant commis une faute en refusant de mettre en oeuvre la garantie d'achèvement quand elle pouvait et devait le faire, et causé ainsi aux acquéreurs un préjudice moral et matériel en ne leur permettant pas de rentrer en possession du bien (Cass. civ. 3, 26 novembre 2014, n° 13-25.534, FS-P+B+I N° Lexbase : A1516M4W). En l'espèce, une SCI avait vendu en l'état futur d'achèvement un appartement à M. et Mme X, les locaux devant être livrés au plus tard au quatrième trimestre 2008 ; lors de la signature de l'acte, M. et Mme X avaient versé une somme correspondant à 30 % du montant du prix. La garantie d'achèvement avait été consentie par une banque P.. Après la mise en liquidation judiciaire de la SCI, la banque avait informé M. et Mme X de l'impossibilité de poursuivre l'achèvement des travaux dans le cadre de sa garantie d'achèvement, la SCI n'ayant plus d'activité et le permis de construire étant périmé. M. et Mme X avaient assigné la banque en paiement de dommages-intérêts. Cette dernière faisait grief à l'arrêt de la condamner à verser aux acquéreurs des sommes en réparation de leurs préjudices matériel et moral. Elle n'obtiendra pas gain de cause. La Cour suprême approuve la cour d'appel qui, ayant relevé que la banque aurait dû mettre en oeuvre la garantie d'achèvement dès qu'elle avait connaissance de la défaillance de la SCI, au plus tard le 8 août 2008, qu'elle n'avait répondu à aucun des courriers adressés postérieurement par le notaire, n'avait entrepris aucune démarche pour tenter de mettre en oeuvre la garantie d'achèvement et avait ainsi délibérément laisser périmer le permis de construire, avait pu retenir que la banque avait commis une faute en refusant de mettre en oeuvre la garantie d'achèvement quand elle pouvait et devait le faire et causé aux acquéreurs un préjudice en ne leur permettant pas de rentrer en possession du bien ; à noter que ces constatation rendent inopérant l'argument tiré de l'absence de mise en demeure de la banque d'honorer son engagement, par les acquéreurs, au motif qu'il leur appartiendrait de solliciter la mise en oeuvre de la garantie extrinsèque d'achèvement (pour un autre arrêt rendu le même jour, ayant écarté la responsabilité du garant d'achèvement qui avait pris toutes les mesures de suivi utiles, cf. Cass. civ. 3, 26 novembre 2014, n° 13-22.863, FS-P+B (N° Lexbase : A5287M4L, lire N° Lexbase : N4911BUG).

newsid:444855

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Le régime des sociétés mères non applicable aux participations détenues indirectement par des sociétés de personnes

Réf. : CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 24 novembre 2014, n° 363556, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5450M4M)

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N4876BU7

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Le 05 Décembre 2014

Le régime fiscal des sociétés mères n'est applicable qu'aux participations qu'une société détient directement dans une autre société soumise à l'IS. Ce régime n'est cependant pas applicable aux participations détenues indirectement par des sociétés de personnes. Telle est la portée de la décision rendue par le Conseil d'Etat le 24 novembre 2014 (CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 24 novembre 2014, n° 363556, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5450M4M). Au cas présent, une société française détient 98,82 % des parts d'un "general partnership (GP)" (l'équivalent d'une SNC), enregistré dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis d'Amérique), qui détient lui-même plus de 10 % du capital d'une société de capitaux de droit américain. Se prévalant du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 (N° Lexbase : L9522ITT) et 216 (N° Lexbase : L0666IPD) du CGI, la société française a déduit de son résultat fiscal, au titre de l'exercice 2002, la quote-part des dividendes distribués par la société de droit américain au "GP". Néanmoins, l'administration a réintégré le montant déduit dans le résultat fiscal de la société française à l'issue d'une vérification de comptabilité. Le Conseil d'Etat a validé cette position par un raisonnement en plusieurs étapes. Tout d'abord, il a relevé qu'aux termes des articles L. 233-2 (N° Lexbase : L6305AID) et L. 233-4 (N° Lexbase : L6307AIG) du Code de commerce, une participation dans une société consiste en la détention directe d'une fraction de son capital. Par ailleurs, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Ainsi, le "GP" devait être assimilé à une société de personnes régie par l'article 8 du CGI (N° Lexbase : L2685HNR), dont les associés sont personnellement imposés pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. Le Conseil indique alors qu'en raison de l'interposition du "GP", la société française ne pouvait pas faire application du régime fiscal des sociétés mères à la quote-part de ses bénéfices correspondant aux dividendes distribués par la société de droit américain au "GP". Le Haut conseil appuie son argumentaire en précisant que les dispositions de l'article 238 bis K du CGI (N° Lexbase : L4886HLK) constituent, pour une société assujettie à l'impôt sur les sociétés détenant des droits dans une société de personnes régie par l'article 8 du CGI, une règle de détermination du bénéfice imposable correspondant à ses droits dans cette société de personnes et non une règle de détermination du régime d'imposition de cette dernière .

newsid:444876

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Opposition, à l'égard d'un associé soumis à l'IR, d'une décision de gestion prise dans le cadre de la détermination des BIC d'un autre associé d'une SCI - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2014, n° 365719, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9461M3S)

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N4885BUH

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par Benoît Bohnert, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 8ème sous-section

Le 04 Décembre 2014

Un contribuable imposable à raison de sa part dans les bénéfices sociaux d'une SCI, dans la catégorie des revenus fonciers, peut se voir opposer une décision de gestion prise dans le cadre de la détermination des bénéfices industriels et commerciaux d'un autre associé. Telle est la portée d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 19 novembre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2014, n° 365719, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9461M3S). Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Benoît Bohnert, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat. Une SCI, qui détient un immeuble situé au Pré-Saint-Gervais (93), donné en location à plusieurs sociétés commerciales, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2003. A l'issue de ce contrôle , l'administration fiscale a rectifié à la hausse le bénéfice imposable de la SCI et notifié au requérant, détenteur de 50 % du capital de celle-ci, les conséquences financières des rehaussements opérés pour ses bases d'imposition à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus fonciers, pour les années 2001 et 2002. Les rappels d'impôts et de contributions sociales ont été mis en recouvrement le 31 décembre 2006 pour un montant total de 195 846 euros, incluant les droits et les pénalités .

Après avoir vainement contesté ces redressements, le requérant a porté le litige l'opposant à l'administration fiscale devant le TA de Paris qui, par jugement du 7 juin 2011 (TA Paris, 7 juin 2011, n° 0919530), a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires qui lui ont été réclamées. Saisie d'appel de cette affaire par le contribuable, la cour administrative d'appel de Paris a partiellement réformé ce jugement par un arrêt du 9 novembre 2012 (CAA Paris, 9 novembre 2012, n ° 11PA03651 N° Lexbase : A3796M4D). Ainsi, la base imposable assignée à l'appelant a été réduite d'une somme de 70 568 euros au titre de l'année 2002, et la cour a prononcé la décharge des impositions supplémentaires correspondantes, rejetant par ailleurs le surplus des conclusions de la requête.Le requérant se pourvoit régulièrement en cassation devant le Conseil d'Etat contre l'article 5 de cet arrêt rejetant le surplus de ses conclusions. Il articule successivement trois moyens.

Le requérant soutient, en premier lieu, que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit en jugeant que l'administration, en visant les articles 8 bis (N° Lexbase : L1038HLZ) et 1655 ter (N° Lexbase : L1910HMP) du CGI dans les propositions de rectification des 23 décembre 2004 et 29 avril 2005, n'avait pas méconnu l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L0638IH4) alors que la mention de ces articles, applicables aux seules sociétés de copropriété immobilière, dont la SCI ne fait pas partie, l'a induit en erreur et ne lui a pas permis de présenter utilement ses observations.

La SCI, dont le requérant était associé, est une société civile de gestion d'immeubles, qui ne relève pas du régime de transparence fiscale prévu par l'article 1655 ter du CGI. Or, les propositions de rectification notifiées au requérant se fondaient sur les dispositions combinées des articles 8 bis et 1655 ter du CGI, dont il résulte que les sociétés immobilières de copropriété sont réputées ne pas avoir de personnalité distincte de celle de leurs membres, de sorte que leurs associés sont personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part des revenus sociaux correspondant à leurs droits dans la société s'il s'agit de personnes physiques.

Devant la cour, le requérant a fait valoir que ces mentions erronées relatives au régime (en l'espèce, non applicable à la SCI) des sociétés immobilières transparentes, l'ont privé de la possibilité de présenter en toute connaissance de cause ses observations sur le redressement envisagé, en violation des dispositions de l'article L.57 du LPF.

Ce texte fait obligation à l'administration d'indiquer de façon claire, dans les notifications de redressements, les motifs de droit ou de fait des rectifications, de telle sorte que le contribuable puisse prendre position en toute connaissance de cause. Mais le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 8 avril 1998, n'exigeait l'indication, dans la notification de redressement, des textes dont il est fait application, que lorsque cette indication est nécessaire à la compréhension, par le contribuable, du rehaussement (CE, 8 avril 1998, n° 157508, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7166AS9 : RJF, 6/98, n° 696), et ce point est laissé à l'appréciation souveraine des juges du fond. C'est pourquoi une notification de redressement ne peut être regardée comme insuffisamment motivée du seul fait qu'elle ne mentionne pas certains des articles du CGI dont le vérificateur fait application (CE 3° et 8° s-s-r., 10 août 2005, n° 271843, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3820DKP : RJF, 12/05, n° 1446 ; CE 9° et 10° s-s-r., 27 mars 2009, n° 294968, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1806EEM : RJF, 06/09, n° 548).

Les conseillers d'Etat ont déduit de cette jurisprudence souple que dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, une proposition de rectification comporte une erreur dans la mention du texte servant de fondement au redressement envisagé, les droits de la défense ne sont pas compromis de ce seul fait. Il a été en effet jugé par une décision en date du 16 mai 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 16 mai 2008, n° 284657, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6485D8P : RJF, 8-9/08, n° 998) que la circonstance qu'une notification de redressements vise le deuxième alinéa de l'article 39, 1° (déduction des rémunérations) du CGI (N° Lexbase : L3894IAH) au lieu du premier alinéa (déduction des frais généraux) demeure sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition dès lors que la notification indiquait sans ambiguïté les motifs des redressements, permettant ainsi au contribuable qui n'a pas été induit en erreur sur le fondement de ces derniers, de présenter utilement ses observations (cf. dans le même sens, CE 9° et 10° s-s-r., 2 juin 2010, n° 322663, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2054EYQ : RJF, 8-9/10, n° 775, concl. C. Legras, BDCF, 8-9/10, n° 85).

En l'espèce, la cour a écarté le moyen d'irrégularité de la procédure d'imposition invoqué devant elle en relevant qu'il résultait de l'examen des propositions de rectification adressées les 23 décembre 2004 et 29 avril 2005 au requérant, qu'elles mentionnaient la nature et le montant des redressements envisagés dans la catégorie des revenus fonciers à la suite du redressement des résultats de la SCI. Les juges du fond en ont déduit que le visa, certes erroné des articles 8 bis et 1655 ter du CGI, n'a pas été de nature à induire en erreur le contribuable sur le fondement des redressements, dès lors que les explications figurant dans ces documents précisaient sans ambiguïté les raisons pour lesquelles le contribuable a été regardé comme personnellement imposable à raison des résultats de la société civile et que ces explications lui ont permis de présenter utilement ses observations. L'arrêt est parfaitement motivé et exempt de l'erreur de droit alléguée, ce qui vous conduira à écarter ce moyen.

Le requérant soutient, en deuxième lieu, que la cour aurait commis une erreur de droit dans l'application des dispositions combinées des articles L. 169 (N° Lexbase : L5755IRL), L. 189 (N° Lexbase : L8757G8T), et L. 53 (N° Lexbase : L6795HWL) du LPF en jugeant que la prescription du droit de reprise de l'administration relatif aux revenus fonciers de l'année 2001 avait été interrompue par la proposition de rectification qui lui avait été adressée le 23 décembre 2004, alors que celle-ci n'a pu avoir pour effet d'interrompre la prescription à son égard en l'absence de notification préalable des redressements envisagés à la SCI dont les résultats rectifiés déterminent les bases d'imposition de ses associés.

L'article L. 53 du LPF prévoit qu'"En ce qui concerne les sociétés dont les associés sont personnellement soumis à l'impôt pour la part des bénéfices correspondant à leurs droits dans la société, la procédure de vérification des déclarations déposées par la société est suivie entre l'administration des impôts et la société elle-même".

Sur le fondement de ces dispositions, qui ne concernent que la seule procédure de vérification, vous avez admis que l'administration puisse également conduire la procédure de redressement avec la société de personnes, et qu'elle puisse ainsi se dispenser de la conduire avec chacun des associés de cette dernière. Par une décision du 8 avril 1994 (CE, 8 avril 1994, n° 60405 et n° 65876, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5515AYW : RJF, 1994, n° 579, concl. F. Loloum, RJF, 1994, p. 299), le Haut conseil est allé au bout de cette logique, en jugeant, d'une part, que lorsque l'administration a adressé à la société de personnes la notification portant redressement de son bénéfice imposable, elle peut se contenter d'adresser à chacun des associés une notification succinctement motivée, en renvoyant à celle adressée à la société, et d'autre part, que la notification faite à l'égard de la société interrompt la prescription à l'égard des associés.

Qu'en est-il toutefois, lorsque, comme en l'espèce, la notification a été adressée à l'associé pour la part des redressements le concernant, mais non à la société ?

La jurisprudence tire, dans cette hypothèse symétrique, toutes les conséquences de la rédaction de l'article L. 53 du LPF, qui ne contraint l'administration qu'en ce qui concerne la procédure de vérification : il a ainsi été jugé dans une décision du 3 décembre 1986 (CE 7° et 9° s-s-r., 3 décembre 1986, n° 37449, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3954AME : RJF, 1987, n° 161 ; concl. P.-F. Racine, DF, 1987, n° 14, p. 449 ; comm. 719) que la notification de redressements adressée au seul associé d'une société civile immobilière interrompt la prescription à son égard, quant bien même la société n'a pas été elle-même destinataire d'une telle notification. Cette ligne prétorienne a été confirmée sur le terrain de la régularité de la procédure par une décision du 18 novembre 1991 (CE 7° et 9° s-s-r., 18 novembre 1991, n° 92600 et 92712, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9145AQR, RJF, 1992, n° 9, concl. O. Fouquet, RJF, 1992, p. 8), puis dans une affaire jugée le 14 février 2001 dans laquelle il a été admis que l'administration adresse directement à un associé une proposition de rectification correspondant à sa quote-part des bénéfices sociaux rehaussés, sans notification préalable à la société (CE, 9° et 10° s-s-r., 14 février 2001, n° 194083, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8862AQB : RJF, 5/01, n° 623).

A l'instar d'E. Cortot-Boucher dans ses conclusions à propos d'une décision du 20 juin 2012 (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 341362, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5165IPY : RJF, 10/12, n° 920), il n'existe guère de raisons de remettre en cause cette règle, et ce, même si certains commentateurs autorisés ont qualifié la jurisprudence du 18 novembre 1991 de "périmée" (1). Dès lors que l'associé d'une société de personnes demeure in fine l'unique redevable de l'impôt, il ne semble pas opportun d'interdire à l'administration de conduire directement avec ce dernier la procédure de redressement. La cour n'a donc pas commis d'erreur de droit en statuant comme elle l'a fait.

Le dernier moyen du pourvoi paraît, en revanche, susceptible de prospérer. Il est reproché à la cour d'avoir insuffisamment motivé son arrêt et méconnu les dispositions combinées des articles 8 (N° Lexbase : L2685HNR) et 238 bis K (N° Lexbase : L4886HLK) du CGI, en jugeant que la décision de gestion prise par la SCI de comptabiliser des dépenses d'agencement et d'aménagement en immobilisations corporelles était opposable tant à elle qu'à ses associés, alors que la quote-part des résultats de la SCI revenant au requérant relevait des règles applicables aux revenus fonciers, et que celles-ci excluent le recours à la notion de décision de gestion opposable.

En application des dispositions de l'article 238 bis K du CGI, lorsqu'une société de personnes comprend à la fois des associés personnes physiques imposables au titre des revenus fonciers, et des associés dont la quote-part de résultats doit être déterminée selon les règles applicables en matière de BIC ou d'IS, elle doit procéder à une double détermination de son résultat. Tel est notamment le cas lorsque la société est une société civile de location d'immeubles dont l'activité relève des revenus fonciers, mais qu'elle comprend parmi ses membres des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés.

Au cas d'espèce, il n'est pas contesté que la SCI a satisfait à ces obligations en tenant les deux comptabilités requises : elle a ainsi inscrit en compte d'immobilisations, dans le cadre de la comptabilité commerciale, le coût des travaux d'agencement et d'aménagement réalisés en 2002, devant faire l'objet d'amortissements déductibles chez l'associée soumise à l'IS. Dans un premier temps, l'administration a estimé que les sommes concernées ne correspondaient pas à des travaux de réparation ou d'entretien déductibles du résultat imposable de la SCI. Dans un second temps, elle s'est fondée sur la circonstance que la SCI a comptabilisé au titre de l'exercice 2002, ces travaux en immobilisations corporelles. L'administration fiscale a considéré qu'il s'agissait d'une décision de gestion opposable au requérant, de sorte qu'il n'était pas en droit de déduire de ses revenus fonciers une quote-part de ces dépenses.

Le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel, ont repris à leur compte ce raisonnement et jugé que la SCI avait ainsi pris une décision de gestion opposable à l'ensemble de ses associés, quelque soit leur catégorie d'imposition. Mais outre le fait que la décision d'inscrire des dépenses en charges ou en immobilisation est en principe régie par le droit comptable et n'est, sauf exceptions très rares, pas susceptible de faire l'objet d'une décision de gestion de la part du contribuable, la seule référence à l'écriture ainsi portée dans la comptabilité commerciale de la SCI ne pouvait emporter d'effet sur le caractère déductible ou non, au sens de l'article 31 du CGI (N° Lexbase : L3907IAX), des travaux en cause dans le cadre de la détermination des revenus fonciers de l'associé personne physique. En se fondant sur les règles applicables à un autre associé relevant d'un régime fiscal différent, la cour a méconnu la portée des dispositions de l'article 238 bis K du CGI. Le requérant est donc fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les charges déductibles des revenus fonciers de l'année 2002.


(1) V. Daumas, Obligations de notification de l'administration en cas de rehaussement des résultats d'une société de personnes : certitudes et interrogations, DF, 2001, p. 123).

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Fonction publique

[Chronique] Chronique de droit de la fonction publique - Décembre 2014

Lecture: 13 min

N4853BUB

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et Avocat à la cour

Le 04 Décembre 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de la fonction publique de Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et Avocat à la cour. Cette chronique se penchera, tout d'abord, sur un arrêt du 10 octobre 2014 par lequel le Conseil d'Etat s'est prononcé sur les conditions de transfert d'un agent en congé de maladie dans les services d'un EPCI reprenant une compétence communale (CE 2° et 7° s-s-r., 10 octobre 2014, n° 369533, mentionné aux tables du recueil Lebon). Sera ensuite étudiée une décision du Conseil d'Etat du 1er octobre 2014, laquelle apporte d'utiles précisions sur la mise en oeuvre du droit des agents à bénéficier de la protection fonctionnelle lorsqu'ils sont victimes de harcèlement moral (CE 2° et 7° s-s-r., 10 octobre 2014, n° 365052, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, du point de vue de la protection administrative contentieuse, un arrêt du Conseil d'Etat du 10 octobre 2014 revient sur la notion de litige se rattachant à la sortie du service des personnels contractuels (CE 4° et 5° s-s-r., 1er octobre 2014, n° 366002, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Le transfert d'un fonctionnaire territorial en congé de maladie vers un EPCI (CE 2° et 7° s-s-r., 10 octobre 2014, n° 369533, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2266MYL)

Dans son arrêt n° 369533 du 10 octobre 2014, le Conseil d'Etat a tranché la question de savoir si un agent en congé de maladie doit bénéficier du dispositif issu de l'article L. 5211-4-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3264IZW).

Créé par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité (art. 46) (N° Lexbase : L0641A37), l'article L. 5211-4-1 fixe le cadre juridique de la mutualisation (ascendante ou descendante) des services, entre les communes et leurs établissements publics de coopération. Selon le I de ce texte, qui concerne la mutualisation dite "ascendante" (de la commune vers l'EPCI), le transfert de compétences d'une commune à un EPCI entraîne le transfert du service, ou de la partie de service, chargé(e) de sa mise en oeuvre. Il est toutefois possible à une commune, dans le cadre d'une bonne organisation des services, de conserver tout ou partie du service concerné par le transfert de compétences, à raison du caractère partiel de ce dernier.

Lorsque le service en question relève exclusivement de l'EPCI, le transfert constitue donc une obligation (1). Au plan du personnel, le même texte prévoit que "les fonctionnaires territoriaux et agents territoriaux non titulaires qui remplissent en totalité leurs fonctions dans un service ou une partie de service transféré en application de l'alinéa précédent sont transférés dans l'établissement public de coopération intercommunale. Ils relèvent de cet établissement dans les conditions de statut et d'emploi qui sont les leurs". Ce transfert de personnel intervient dans des conditions qui doivent recueillir l'avis du comité technique de la commune, ainsi que celui de l'EPCI, s'il existe.

Le caractère automatique du transfert ne va pas poser de difficulté à l'égard des fonctionnaires qui se trouvent en position normale d'activité. Puisque ces derniers occupent l'emploi sur lequel ils étaient affectés au sein du service communal, le transfert de ce service implique, de manière quasi "naturelle", leur passage dans la structure intercommunale. Le Conseil d'Etat a jugé que l'inverse n'est pas vrai, lorsqu'une commune quitte un EPCI et qu'elle reprend pour son compte la gestion d'un équipement antérieurement mis à la disposition de l'établissement. Dans cette hypothèse, le personnel n'a pas vocation à revenir automatiquement dans le giron communal (2).

Lorsqu'un fonctionnaire territorial se trouve dans une situation atypique, la question de l'automaticité du transfert vers l'EPCI va se poser, dans des termes différents selon la situation considérée. En présence d'un agent placé en disponibilité à la date du transfert du service, la cour administrative d'appel de Marseille a jugé que la commune ne commet aucune faute de nature à engager sa responsabilité en s'abstenant de procéder au transfert à la communauté de communes de M. X, placé en disponibilité au moment du transfert du service (3). Cette solution est conforme à la nature même de la disponibilité. En effet, dans cette position, le fonctionnaire se trouve "placé hors de son administration ou service d'origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l'avancement et à la retraite" (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, art. 72 N° Lexbase : L7448AGX). Bien qu'il dispose d'un droit à réintégrer un emploi de son grade au terme de la disponibilité, la carrière de l'agent se trouve, durant cette période, comme entre parenthèse (4). Par suite, on peut admettre qu'il ne soit pas concerné par les conditions imposées aux agents en fonction à l'occasion du transfert de son service. Cela implique qu'à défaut de poste vacant dans la commune à la suite du transfert du service, l'agent sera maintenu en surnombre durant un an puis, le cas échéant, pris en charge par le centre de gestion ou le Centre national de la fonction publique territoriale (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 97).

S'agissant d'un agent en congé de maladie, l'arrêt commenté indique que celui-ci doit être regardé, pour l'application des dispositions de l'article L. 5211-4-1 du Code général des collectivités territoriales, comme remplissant en totalité ses fonctions dans le service, ou la partie de service, concerné(e) par le transfert de compétences, nonobstant l'interruption d'activité qui résulte de son congé légal. En l'espèce, un éboueur affecté au service de collecte des ordures ménagères a été placé en congé de maladie pour accident de service du 8 juin 2010 au 30 janvier 2011. Durant cette période, la commune a transféré à la communauté d'agglomération le personnel affecté audit service, y compris cet agent. Ce dernier a été radié des cadres à compter du 1er janvier 2011, ce qu'il contestait.

Le Conseil d'Etat annule le jugement de première instance, qui avait considéré qu'un fonctionnaire d'une collectivité territoriale en congé de maladie pour accident de service ne pouvait faire l'objet d'un transfert au sein d'un établissement public de coopération intercommunale et devait être conservé dans les effectifs de cette collectivité jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service.

La Haute juridiction administrative fait une application classique du principe, rappelé à l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, et suivant lequel les congés de maladie ne constituent qu'une variation de la position d'activité. Partant, l'agent placé en arrêt pour maladie ne peut être traité différemment de celui qui occupe effectivement son emploi (sauf, naturellement, pour l'application des règles statutaires qui supposent une présence effective dans le service, telles que l'évaluation professionnelle). Il doit donc en aller ainsi pour le transfert du personnel affecté à un service mutualisé. L'éloignement du service ne justifie pas qu'un agent échappe au dispositif mis en place par l'article L. 5211-4-1 dès lors que, juridiquement, il demeure en position d'activité. On doit donc estimer que les agents suspendus de leurs fonctions à titre conservatoire (5), ou bien encore ceux qui bénéficient d'une décharge de service pour motif syndical (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, art. 56) sont, eux aussi, en position d'activité.

  • Le licenciement d'un fonctionnaire en disponibilité occupant un emploi d'agent non-titulaire bénéficie du double degré de juridiction (CE 2° et 7° s-s-r., 10 octobre 2014, n° 365052, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2256MY9)

Entre le 1er septembre 2003 et le 1er janvier 2014, le contentieux de la fonction publique s'est vu appliquer (à l'instar d'autres domaines) une exception au double degré de juridiction. Dans la rédaction issue du décret n° 2003-543 du 24 juin 2003, relatif aux cours administratives d'appel et modifiant la partie Réglementaire du code de justice administrative (N° Lexbase : L6539BHN), l'article R. 811-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0865IYP) prévoyait que, dans certains litiges soumis au juge unique, en application de l'article R. 222-13 du même code (N° Lexbase : L0863IYM), les tribunaux administratifs statuaient en premier et dernier ressort. Il en allait ainsi, en droit de la fonction publique, pour demandes relatives "à la situation individuelle des fonctionnaires ou agents de l'Etat et des autres personnes ou collectivités publiques, ainsi que des agents ou employés de la Banque de France, à l'exception de ceux concernant l'entrée au service, la discipline et la sortie du service". L'entrée en vigueur, le 1er janvier 2014 (6), du décret n° 2013-730 du 13 août 2013, portant modification du Code de justice administrative (partie réglementaire) (N° Lexbase : L7180IX9), a sensiblement modifié le régime contentieux applicable aux agents publics puisque, désormais, leurs recours en excès de pouvoir sont susceptibles d'appel (7).

L'arrêt n° 365052 du 10 octobre 2014 concerne des faits qui sont antérieurs à la réforme intervenue en 2013. La solution qu'il retient apparaît cependant utile pour l'ensemble des affaires encore pendantes devant les juridictions administratives. Dans cette affaire, une collectivité territoriale a formé un pourvoi à l'encontre d'un arrêt d'une cour administrative d'appel, rendu en 2012. Les faits étaient les suivants : un fonctionnaire d'Etat placé en disponibilité pour convenances personnelles, puis recruté par un conseil général en contrat à durée indéterminée, sur un emploi d'agent contractuel, avait fait l'objet, en 2009, d'un licenciement pour suppression d'emploi. L'agent a sollicité l'annulation de la décision l'évinçant du service. Sa requête a été rejetée en première instance et accueillie par la cour administrative d'appel, qu'il avait saisie d'une requête en appel. L'administration estimait, dans son pourvoi, que la cour administrative d'appel n'était pas compétente pour trancher le litige, le jugement ayant été rendu en premier et dernier ressort.

Le Conseil d'Etat suit l'argumentation de la collectivité territoriale et annule l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel. La décision commentée rappelle d'abord les dispositions du Code de justice administrative qui limitent la compétence du tribunal administratif en premier et dernier ressort à l'examen des litiges relatifs à la situation individuelle des agents publics, à l'exception de ceux concernant l'entrée au service, la discipline ou la sortie du service et sauf pour les recours comportant des conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d'un montant supérieur à 10 000 euros. Classiquement, les mesures qui induisent le départ de l'agent du service se rapportent à une "sortie du service". Ce sera le cas lorsque le litige est consécutif au licenciement d'un agent public (8), y compris s'il porte sur les conséquences financières de la mesure licenciement (9). Il en va de même de l'action relative au refus du versement de l'allocation d'assurance-chômage ou de son interruption (10).

Nonobstant le fait que le requérant a bien été licencié de l'emploi qu'il occupait au sein de la collectivité territoriale, le Conseil d'Etat refuse de soumettre le litige au double degré de juridiction. Il considère, en effet, que le procès est en rapport avec le déroulement de la carrière de l'agent et ne concerne pas directement une sortie du service. Pour ce faire, l'arrêt prend soin de noter que l'agent a conservé la qualité de fonctionnaire titulaire de l'Etat. Cette solution n'est pas illogique. Il est vrai qu'au terme de sa disponibilité pour convenances personnelles, il bénéficie d'un droit à la réintégration dans son administration d'origine. Le maintien d'un lien avec le service public place l'agent dans une situation différente de celui qui se trouve totalement et définitivement exclu des cadres (11).

Le fait que l'agent ait également présenté un recours à l'encontre de l'acte réglementaire ayant prononcé la suppression de son emploi ne suffit pas à remettre en cause l'application de l'article R. 811-1 du Code de justice administrative. Alors même que le tribunal administratif avait statué sur les deux demandes par un même jugement, celles-ci ne sauraient être considérées comme connexes, dès lors qu'elles sont soumises à des voies de recours distinctes (12).

Les juges d'appel n'étant pas compétents, les conclusions présentées par l'agent devant la cour administrative d'appel sont considérées comme présentées à l'appui d'un pourvoi en cassation et sont soumises à l'obligation de constituer un avocat aux Conseils.

  • Protection fonctionnelle et harcèlement moral : charge de la preuve et contrôle de la qualification juridique des faits (CE 4° et 5° s-s-r., 1er octobre 2014, n° 366002, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7784MXL)

Depuis une dizaine d'années, le statut général des fonctionnaires et la jurisprudence administrative édifient l'arsenal juridique de la lutte contre les troubles psychosociaux dans la fonction publique et, plus spécialement, les outils visant à empêcher les situations de harcèlement moral au travail.

Issu de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9), l'article 6 quinquies du titre I du statut général dispose, dans sa version en vigueur, "qu'aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus" (13).

L'administration a donc l'obligation de faire cesser les agissements constitutifs de harcèlement moral et sont susceptibles d'engager leur responsabilité si elles laissent de telles situations se développer (14). Dans le cadre d'une telle action indemnitaire, le Conseil d'Etat a jugé que la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Ainsi, le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé (15).

Depuis un arrêt du 12 mars 2010 (16), le Conseil d'Etat juge que l'agent qui s'estime victime de harcèlement moral est fondé à solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle. Cette garantie, offerte par l'article 11 du titre I du statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3), permettra à l'agent d'obtenir de son administration qu'elle mette toute mesure nécessaire en oeuvre pour faire cesser les faits, mais qu'elle l'indemnise directement du préjudice subi ou prenne en charge ses frais de défense. Ces modalités sont rappelées au considérant n° 4 de l'arrêt rapporté.

Un agent employé par un établissement public de santé mentale a, sur ce fondement, demandé à l'administration de lui accorder la protection fonctionnelle. Cette demande ayant été rejetée, l'agent a saisi le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel (17), qui ont tous deux rejeté la requête.

Sur pourvoi, le Conseil d'Etat va, tout d'abord, annuler l'arrêt d'appel dans la mesure où le litige se rapporte au déroulement de la carrière d'un agent et, partant, ne bénéficiait pas, jusqu'au 1er janvier 2014, du double degré de juridiction (18). S'agissant du jugement de première instance, dont le Conseil d'Etat se trouvait donc saisi, l'arrêt indique les modalités suivant lesquelles la preuve même du harcèlement moral doit être rapportée et le contrôle du juge de cassation sur la qualification juridique retenue par les juridictions du fond.

La preuve de l'existence d'une situation de harcèlement moral constitue un point essentiel dans ce type de dossiers. En effet, la protection fonctionnelle constitue pour les agents publics une véritable garantie statutaire -et donc un véritable droit- lorsque les conditions légales sont réunies. C'est ainsi que l'article 11, alinéa 3, du titre I du statut général indique que "la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté". Lorsque l'agent s'estime victime de tels actes, seul un motif d'intérêt général peut justifier un refus de l'administration (19).

L'arrêt rapporté applique à la demande de protection fonctionnelle le régime de preuve mis en oeuvre pour les actions dont l'objet principal est de faire reconnaître l'existence d'une situation de harcèlement moral. En effet, depuis sa décision du 11 juillet 2011 (20), le Conseil d'Etat estime qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. En défense, il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

Ainsi, la présomption de harcèlement prévaut également lorsque l'agent souhaite obtenir la protection fonctionnelle. L'arrêt rapporté vient préciser, pour la première fois à notre connaissance, que pour bénéficier de cette présomption l'agent doit justifier d'un "faisceau d'indices suffisamment probants pour permettre de regarder comme au moins plausible le harcèlement moral dont il se disait victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques et de ses collègues" (considérant n° 6).

Au plan contentieux, l'arrêt rapporté précise également que les juges du fond portent une appréciation souveraine sur le point de savoir si les indices rapportés par l'agent sont suffisants pour faire naître la présomption de harcèlement moral. Cet aspect n'est pas neutre, car il y a là une différence avec le contentieux du harcèlement moral proprement dit. En effet, le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à faire cesser une situation de harcèlement moral, ou bien à en obtenir réparation (21). Le fait qu'une demande de protection fonctionnelle repose sur une situation de harcèlement moral n'a pas conduit le Conseil d'Etat à modifier sa jurisprudence ; le contrôle se limitera à la dénaturation des pièces du dossier par le juge du fond (22).


(1) CAA Nantes, 4ème ch., 5 février 2010, n° 09NT02087 ([LXB=09NT02087]).
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 5 juillet 2013, n° 366552, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4606KIG).
(3) CAA Marseille, 8ème ch., 11 octobre 2011, n° 09MA02601 (N° Lexbase : A9815HZK).
(4) CE 3° et 5° s-s-r., 18 novembre 1991, n° 90444, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0098AR3).
(5) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 30 (N° Lexbase : L6938AG3) ; v. CE 3° et 8° s-s-r., 22 février 2006, n° 279756, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2002DNH).
(6) CE 7° s-s., 20 octobre 2014, n° 373883 (N° Lexbase : A0679MZ8) ; CE 2° et 7° s-s-r., 6 novembre 2013, n° 364654, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0954KPZ).
(7) Les demandes indemnitaires inférieures à 10 000 euros ne peuvent faire l'objet que d'un pourvoi, à moins d'avoir un lien de connexité avec un litige relevant des cours administratives d'appel.
(8) CE 8° s-s., 20 décembre 2011, n° 343370, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8216H8S).
(9) CE 5° s-s., 30 avril 2014, n° 370719, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7138MKL) ; CE 4° et 5° s-s-r., 23 mars 2011, n° 328993, mentionné aux tables du Lebon (N° Lexbase : A5734HI9).
(10) CE 7° s-s., 20 octobre 2014, n° 373883, préc..
(11) Compar. avec CE 2° et 7° s-s-r., 20 février 2013, n° 359489, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2757I8M) (notion de litige relatif à l'entrée du service d'un militaire intégré dans la fonction publique civile).
(12) CE 1° et 6° s-s-r., 16 juin 2004, n° 265915, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7683DCK), AJDA, 2004, p. 1768, note J.-P. Markus ; CE 4° et 5° s-s-r., 9 juin 2010, n° 313322, mentionné aux tables du Lebon (N° Lexbase : A9207EYN).
(13) L'article 222-33-2 du Code pénal (N° Lexbase : L9324I3Q) réprime "le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".
(14) CE 2° et 7° s-s-r., 22 février 2012, n° 343410, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3407IDK) ; CE, 24 novembre 2006, n° 256313, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3407IDK).
(15) CE, Sect., 11 juillet 2011, n° 321225, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0246HWZ).
(16) CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 308974, mentionné aux tables du Lebon (N° Lexbase : A1604ETL).
(17) CAA Nancy, 3ème ch., 20 septembre 2012, n° 12NC00191 (N° Lexbase : A0643IX4).
(18) Voir infra.
(19) CE 4° et 5° s-s-r., 26 juillet 2011, n° 336114, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8344HWX) ; CE 4° et 5° s-s-r., 20 avril 2011, n° 332255, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1029HPS).
(20) CE, Sect., 11 juillet 2011, n° 321225, publié au recueil Lebon, préc..
(21) CE 2° et 7° s-s-r., 30 décembre 2011, n° 332366, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6830IBL).
(22) CE 2° et 7° s-s-r., 16 décembre 2013, n° 367007, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7981KSE) ; CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 308974, mentionné aux tables du Lebon, préc..

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[Brèves] QPC : Irrecevabilité de la question relative à l'inconstitutionnalité des dispositions prohibant le recours de la caution solidaire contre la décision condamnant le débiteur principal au paiement de la dette garantie

Réf. : Cass. QPC, 27 novembre 2014, 27 novembre 2014, n° 14-16.644, F-D (N° Lexbase : A5357M48)

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N4866BUR

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Le 20 Décembre 2014

En l'absence d'interprétation jurisprudentielle constante sur les dispositions de l'article 1208 du Code civil (N° Lexbase : L1310AB7) interdisant toute voie de recours d'une caution solidaire à l'encontre d'une sentence arbitrale condamnant le débiteur principal à payer la dette garantie, la question prioritaire de constitutionnalité doit être rejetée. Tel est l'apport de l'arrêt rendu par la Chambre commercial le 27 novembre 2014 (Cass. QPC, 27 novembre 2014, n° 14-16.644 N° Lexbase : A5357M48). A l'occasion d'un pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 février 2014 (CA Paris, 5, 9, 20 février 2014, n° 10/25264 N° Lexbase : A5770MEG), l'irrecevabilité de la tierce opposition formée par la société P., prise en sa qualité de caution solidaire de la société S., contre une sentence arbitrale ayant condamné celle-ci, a été prononcée. C'est dans ce contexte, que deux questions prioritaires de constitutionnalité ont été posées. La première consistait dans le point de savoir si les dispositions de l'article 1208 du Code civil, empêchant les coobligés de contester l'instance opposant le débiteur principal et le créancier concernant l'établissement de la créance et l'obligation de payer du débiteur principal, n'étaient pas contraires au droit à un recours juridictionnel effectif, aux droits de la défense, au droit à une procédure juste et équitable garantissant l'égalité des droits des parties et au principe d'égalité devant la justice garantis par les articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. En l'absence d'instance judiciaire entre le créancier et le débiteur principal, la première question est écartée. S'agissant de la seconde question relative à l'inconstitutionnalité de l'article 1208 du Code civil interdisant à la caution solidaire de critiquer la sentence arbitrale condamnant le débiteur principal à payer la dette garantie, la Haute juridiction déclare la question irrecevable. Conséquemment, relevant qu'il n'existe aucune interprétation jurisprudentielle constante sur la question, la question prioritaire de constitutionnalité n'est pas renvoyée .

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Habitat-Logement

[Brèves] Communes faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de carence au regard de leurs objectifs de réalisation de logements sociaux : conditions de transfert au représentant de l'Etat de l'exercice du droit de préemption

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 28 novembre 2014, n° 362910, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5447M4I)

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N4920BUR

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Le 05 Décembre 2014

Dans un arrêt rendu le 28 novembre 2014, le Conseil d'Etat précise les conditions de transfert au représentant de l'Etat de l'exercice du droit de préemption concernant les communes faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de carence au regard de leurs objectifs de réalisation de logements sociaux (CE 1° et 6° s-s-r., 28 novembre 2014, n° 362910, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5447M4I). Les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9371IZ4), dans leur rédaction issue de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (N° Lexbase : L0743IDU) prévoient, lorsqu'une commune a fait l'objet d'un arrêté de carence au regard de ses objectifs en matière de réalisation de logements sociaux, l'exercice, par le représentant de l'Etat dans le département, du droit de préemption des terrains affectés au logement ou destinés à être affectés à une opération de construction ou d'acquisition de logements sociaux. Ce transfert de l'exercice du droit de préemption, qui constitue l'un des effets d'un arrêté de carence, ne présente pas le caractère d'une sanction. Par suite, la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 ne présente pas le caractère d'une loi répressive plus sévère insusceptible, en vertu du principe de nécessité des peines, de s'appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur. Il résulte des dispositions des articles 1er (N° Lexbase : L3088DYZ) et 2 (N° Lexbase : L2227AB4) du Code civil que, si elle n'en dispose pas autrement, la loi nouvelle entre en vigueur le lendemain de sa publication, sous réserve de celles de ses dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application, et n'a pas d'effet rétroactif. Elle s'applique, ainsi, immédiatement aux situations en cours, sous réserve des situations juridiquement constituées à la date de son entrée en vigueur. Les communes qui faisaient déjà l'objet d'un arrêté de carence à la date de publication de la loi du 25 mars 2009 ne pouvant être regardées comme placées, de ce fait, dans une situation juridiquement constituée, la circonstance que cet arrêté est intervenu antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi ne fait pas obstacle, pour le reste de sa durée d'application, au transfert de l'exercice du droit de préemption.

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Impôts locaux

[Brèves] Exonération de la taxe d'habitation : le droit interne supplanté par l'interprétation d'une convention fiscale bilatérale

Réf. : CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 24 novembre 2014, n° 368935, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5473M4H)

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N4880BUB

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Le 20 Décembre 2014

Une société étrangère exonérée de la taxe professionnelle, puis de la CFE, en vertu d'une convention fiscale bilatérale, peut être également exonérée de la taxe d'habitation en France selon une interprétation de la convention à la lumière de son objet et de son but, donc de la nature des impôts en cause. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 24 novembre 2014 (CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 24 novembre 2014, n° 368935, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5473M4H). En l'espèce, une compagnie aérienne allemande, qui a son siège de direction en Allemagne, a été assujettie à la taxe d'habitation à raison de locaux à usage de bureaux situés à Boulogne-Billancourt au titre des années 2007 à 2010. Pour le Conseil d'Etat, il résulte des dispositions de l'article 1407 du CGI (N° Lexbase : L2753HWU) et des stipulations des articles 1er et 6 de la Convention fiscale entre la République française et la République fédérale d'Allemagne, signée le 21 juillet 1959 (N° Lexbase : L6660BH7), que, lorsque le siège de direction d'une société de transport aérien exploitant des lignes internationales se trouve en Allemagne, ses locaux situés en France ne peuvent être regardés comme ayant été retenus pour l'établissement de la taxe professionnelle puis, à compter du 1er janvier 2010, de la CFE, au sens de l'article 1407 du CGI. Par conséquent, ces locaux sont, en principe, imposables à la taxe d'habitation en application de cet article, alors même que l'exemption de taxe professionnelle ou de contribution foncière des entreprises dont ils bénéficient n'est pas prévue par le droit interne mais par une convention fiscale bilatérale. Toutefois, si les stipulations de la Convention fiscale franco-allemande ne prévoient pas expressément d'exonération de la taxe d'habitation en cas d'exemption de la patente en France, et si son article 6 se borne, dans ses paragraphes 1 et 4, à prévoir pour les sociétés de transport aérien international une exemption des impôts directs sur les bénéfices et, par analogie, de la patente, ces stipulations doivent être interprétées à la lumière de leur objet et de leur but. Ainsi, la portée de l'article 6 ne peut être appréciée indépendamment de la nature des impôts en cause. Dès lors qu'en vertu du I de l'article 1407 du CGI, la taxe d'habitation est due, à raison des immeubles qu'elle occupe pour l'exercice de son activité économique, par une entreprise exonérée de taxe professionnelle puis de contribution foncière des entreprises et s'analyse, dans un tel cas, comme un impôt se substituant à ces impositions, l'article 6 doit être interprété comme ayant pour objet et pour effet de faire obstacle à l'imposition à la taxe d'habitation des sociétés exemptées en France, en vertu de ses stipulations, de patente et des impôts qui lui ont succédé .

newsid:444880

Pénal

[Brèves] Publication d'un décret relatif au casier judiciaire national automatisé et aux échanges d'informations entre Etats membres de l'Union européenne

Réf. : Décret n° 2014-1422 du 28 novembre 2014, relatif au casier judiciaire national automatisé et aux échanges d'informations entre Etats membres de l'Union européenne (N° Lexbase : L9417I4K)

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N4916BUM

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Le 04 Décembre 2014

Pris pour l'application de l'article 14 de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012, de programmation relative à l'exécution des peines (N° Lexbase : L6318ISS), le décret n° 2014-1422 du 28 novembre 2014, relatif au casier judiciaire national automatisé et aux échanges d'informations entre Etats membres de l'Union européenne (N° Lexbase : L9417I4K), publié au Journal officiel du 30 novembre 2014, modifie le Code de procédure pénale afin de préciser le contenu d'une fiche pénale adressée au casier judiciaire national en incluant l'ensemble des éléments obligatoires prévus par la décision-cadre 2009/315/JAI du 26 février 2009, concernant l'organisation et le contenu des échanges d'informations extraites du casier judiciaire entre les Etats membres. Ledit décret dispose que le casier judiciaire national est l'autorité à laquelle doivent être adressées les condamnations concernant des ressortissants européens, prononcées par des juridictions ultramarines ayant un casier judiciaire autonome (Nouméa, Polynésie française et Wallis-et-Futuna), aux fins de transmission aux Etats membres de nationalité compétents. Il porte à cent vingt ans la présomption de décès fixant la date limite de conservation des données et ajoute une possibilité d'effacement sur demande de l'Etat membre de condamnation ou en raison d'un relèvement prononcé par une juridiction française. Aussi, fixe-t-il les délais de transmission des avis de condamnations, de mise à jour et de réponse aux demandes d'information des autres Etats membres. Enfin, il précise les modalités de demandes de bulletins nos 2 et 3 dans le cadre des échanges européens. Le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication. Toutefois, le report à cent vingt ans de l'âge de présomption de décès, entraînant l'effacement des données, ne s'applique qu'aux condamnations postérieures à l'entrée en vigueur du décret .

newsid:444916

Procédure administrative

[Brèves] Renvoi à une juridiction, par le Conseil d'Etat, d'une requête présentée à tort devant lui : absence d'obligation pour la juridiction à qui l'affaire est renvoyée de les viser et analyser

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 26 novembre 2014, n° 359594, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5439M49)

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N4921BUS

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Le 06 Décembre 2014

S'il résulte des dispositions de l'article R. 741-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4866IRN), que, lorsque le Conseil d'Etat attribue à une autre juridiction administrative le jugement d'une requête présentée à tort devant lui, celle-ci a l'obligation de viser et d'analyser les mémoires produits devant la Haute juridiction, cette juridiction n'entache pas son arrêt d'irrégularité en omettant de viser des mémoires produits devant le Conseil d'Etat, s'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que ces écritures n'apportaient aucun élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu dans les motifs de sa décision. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 26 novembre 2014 (CE 9° et 10° s-s-r., 26 novembre 2014, n° 359594, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5439M49). La cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 4ème ch., 20 mars 2012, n° 10PA02617 N° Lexbase : A6643IIU) n'a donc pas, en l'espèce, entaché son arrêt d'irrégularité en omettant de viser deux mémoires, en défense et en réplique, produits devant le Conseil d'Etat, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que ces écritures n'apportaient aucun élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu dans les motifs de son arrêt (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E4582EXY).

newsid:444921

Procédure civile

[Textes] Les incidences du décret sur la procédure de cassation

Réf. : Décret n° 2014-1388 du 6 novembre 2014, relatif à la procédure civile applicable devant la Cour de cassation (N° Lexbase : L7585I4P)

Lecture: 8 min

N4931BU8

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par Guillaume Lécuyer, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, docteur en droit et Alice Meier-Bourdeau, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, docteur en droit

Le 04 Décembre 2014

Le décret n° 2014-1388 du 6 novembre 2014, relatif à la procédure civile applicable devant la Cour de cassation (N° Lexbase : L7585I4P), modifie sur un certain nombre de points la procédure devant la Cour de cassation. Il fait suite aux propositions d'un groupe de travail mis en place le 31 octobre 2012 par le premier président de la Cour de cassation, portant sur la réforme de la procédure civile applicable devant la Cour de cassation, qui fut présidé par le Président Dominique Loriferne. Le décret, publié au Journal officiel du 8 novembre 2014, est entré en vigueur le 9 novembre suivant, les nouvelles règles étant donc applicables aux pourvois formés à partir de cette date. Voici de façon analytique les points saillants de cette réforme. I - Recevabilité du pourvoi
  • Pourvoi contre les décisions statuant sur la compétence

Toutes les décisions statuant sur la compétence peuvent désormais faire l'objet d'un pourvoi immédiat (C. pr. civ., art. 607-1 N° Lexbase : L7729I4Z), sans qu'il soit nécessaire qu'elles aient ou non également statué sur le fond du litige. Cette règle constitue une simplification salutaire, puisqu'auparavant, la recevabilité immédiate dépendait du point de savoir si la décision statuait sur contredit (pourvoi en principe recevable, v. par ex. Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-17.349 F-D N° Lexbase : A2588G9Q) ou sur appel (pourvoi immédiat en principe irrecevable, sauf en matière de compétence, internationale, arbitrale ou des juridictions administratives, v. not. Cass. civ.1, 7 mai 2010, trois arrêts, n ° 09-11.177 N° Lexbase : A1258EXU, n° 09-14.324 N° Lexbase : A1260EXX, FP-P+B+R+I, n° 09-11.178, FP-D N° Lexbase : A1259EXW et Cass. soc., 4 février 2014, n° 12-27.113, FS-P+B N° Lexbase : A9087MDW).

  • Pourvoi contre les décisions avant-dire droit

Les décisions avant-dire droit qui ne peuvent faire l'objet d'un pourvoi immédiat peuvent être attaquées dans le délai de production du mémoire ampliatif soutenant le pourvoi dirigé contre la décision sur le fond (C. pr. civ., art. 608 N° Lexbase : L7850I4I). Cette nouvelle règle doit être approuvée : auparavant, lorsque l'on voulait critiquer les motifs d'un arrêt avant-dire droit, il était nécessaire que le pourvoi soit formé à la fois à l'encontre de cet arrêt et à l'encontre de l'arrêt statuant au fond. Ceci n'allait pas sans poser de difficultés pratiques dans les hypothèses où l'existence d'un tel arrêt avant-dire droit était seulement révélée lors de l'instruction du mémoire ampliatif et qui n'était pas apparente à la lecture de la décision sur le fond, donc à un moment où le délai de pourvoi était expiré.

Désormais, l'arrêt pourra être critiqué, dans le délai de production du mémoire ampliatif soutenant le pourvoi dirigé contre la décision sur le fond prévu par l'article 978 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7856I4Q). Ce pourvoi additionnel doit répondre à certaines conditions de forme à peine d'irrecevabilité : il faut impérativement indiquer "pourvoi additionnel" sur le mémoire ampliatif ou déposer un mémoire distinct mentionnant "pourvoi additionnel" notifié comme le mémoire ampliatif.

  • Pourvoi contre les décisions rendues par défaut

Une autre simplification bienvenue a été posée en matière de décisions rendues par défaut.

Auparavant, et en application de l'article 613 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6771H7W), le délai de pourvoi ne courait, à l'égard des décisions par défaut et même pour les parties qui ont comparu, qu'à compter du jour où l'opposition n'était plus recevable. Aussi, le pourvoi formé par une partie comparante en appel était irrecevable dès lors qu'il avait été formé à une date à laquelle la partie défaillante était encore en droit de former opposition (v. par ex. Cass. civ. 3, 23 novembre 2011, n° 10-10.788, FS-P+B N° Lexbase : A0078H3B).

Cela impliquait, lorsqu'un pourvoi devait être formé contre un arrêt rendu par défaut à l'égard d'au moins un défendeur, de faire signifier dans un premier temps l'arrêt au(x) défaillant(s) pour faire courir le délai d'opposition à leur égard et de former dans un second temps un pourvoi une fois ce délai expiré. Et si l'arrêt avait déjà été signifié à une partie comparante, il convenait par prudence de former un pourvoi dans le délai ouvert par cette signification contre toutes les parties. Concrètement donc, deux pourvois étaient formés contre le même arrêt.

Désormais, il n'est plus nécessaire de faire courir le délai d'opposition, quelle que soit la partie qui forme le pourvoi : seule la partie défaillante doit être forclose à faire opposition pour pouvoir former un pourvoi recevable (C. pr. civ., nouvel art. 613 N° Lexbase : L7851I4K).

  • Pourvoi contre les décisions statuant ultra petita

Désormais, il est clairement prévu que l'ultra petita est justiciable d'un pourvoi en cassation. La règle d'irrecevabilité reste en revanche valable pour l'infra petita. Le nouvel article 616 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7852I4L) prévoit ainsi expressément que l'omission de statuer doit faire l'objet d'une requête en complément prévue par l'article 463 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6574H7M), le pourvoi pouvant seulement être formé à l'encontre de la décision ayant statué sur une telle requête.

  • Pourvoi contre les décisions du premier président de la cour d'appel

Certaines décisions du premier président de la cour d'appel, susceptibles d'un pourvoi en cassation auparavant, ne peuvent désormais plus faire l'objet d'un tel pourvoi. Il s'agit principalement des décisions rendues en matière d'exécution provisoire (C. pr. civ., nouvel art. 525-2 N° Lexbase : L7721I4Q) ou qui autorisent l'appel en matière de sursis à statuer (C. pr. civ., art. 380, al. 3 N° Lexbase : L7845I4C). En revanche, le pourvoi demeure possible contre les décisions du premier président qui refusent d'autoriser l'appel en matière de sursis à statuer.

II - Procédure devant la Cour de cassation

  • Disparition de la nécessité de production de la signification à partie

L'article 611-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5873IAR), qui exigeait, à peine d'irrecevabilité du pourvoi, la production d'une signification à partie au plus tard dans le délai de production du mémoire ampliatif prévu par l'article 978 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7856I4Q), hors les cas où la notification de la décision susceptible de pourvoi incombe au greffe de la juridiction qui l'a rendue, est abrogé.

Il n'est donc plus nécessaire de produire une telle signification, pour les pourvois formés à compter du 9 novembre 2014. Pour les pourvois formés avant cette date, il paraît souhaitable, par prudence, de produire une telle signification.

Par ailleurs, le délai pour former un pourvoi en cassation, qui est de deux mois (C. pr. civ., art. 612 N° Lexbase : L6770H7U), court toujours à compter de la signification à partie : il demeure donc essentiel de signaler ou surveiller l'existence d'une telle signification à partie et de la produire, éventuellement, si une discussion sur la recevabilité du pourvoi est instaurée.

  • Productions obligatoires

Ainsi qu'évoquée, la production d'une signification à partie pour les pourvois formés à compter du 10 novembre 2014 n'est plus obligatoire.

Les seules productions qui demeurent obligatoires et qui doivent être remises dans le délai du dépôt du mémoire ampliatif, sont la décision attaquée et la décision confirmée ou infirmée par la décision attaquée (C. pr. civ., nouvel art. 979 N° Lexbase : L7857I4R).

En cas de transmission incomplète ou entachée d'erreur matérielle de l'un de ces documents, le conseiller rapporteur met en demeure l'avocat du demandeur de régulariser cette situation, dans les conditions prévues à l'article 981 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5879IAY) (C. pr. civ., nouvel art. 979).

  • Notification du mémoire ampliatif dans le délai de 4 mois

L'article 978 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7856I4Q) prévoit expressément qu'il faut notifier dans le délai de 4 mois à compter du pourvoi, le mémoire ampliatif aux avocats des autres parties et à la partie défenderesse qui n'est pas tenue de constituer un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation : le demandeur ne bénéficie donc pas du mois supplémentaire prévu par l'article 978 du Code de procédure civile pour notifier aux défendeurs qui n'ont pas constitué avocat, lorsque le défendeur est une partie dispensée du ministère obligatoire d'avocat (en particulier, le ministère public et les ministres de la Sécurité sociale et de l'Agriculture en matière de Sécurité sociale).

  • Avis à parties

Autre nouveauté introduite par le décret, l'extension de l'obligation d'informer les parties lorsque la Cour de cassation envisage de prononcer une cassation sans renvoi : désormais, en application de l'article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7861I4W), le président de la formation ou le conseiller rapporteur doit aviser les parties lorsqu'il envisage de prononcer d'office une cassation sans renvoi. Cette information permettra aux parties d'examiner les difficultés qu'une cassation sans renvoi peut poser et de les faire connaître à la Cour de cassation.

  • Incidents d'instance

Le décret consacre la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur deux points.

En premier lieu, il est précisé expressément que le dépôt d'une requête tendant à la radiation du rôle pour défaut d'exécution par le demandeur de la décision attaquée interrompt les délais de production du mémoire en défense ou des pourvois incidents ou provoqués (C. pr. civ., art. 1009-1 N° Lexbase : L7859I4T).

Si la radiation est prononcée, elle rend impossible l'examen non seulement des pourvois principaux, mais encore des pourvois incidents. Avant de déposer une requête tendant à la radiation du pourvoi, il convient donc de s'interroger sur l'intérêt d'un éventuel pourvoi incident et de son examen rapide.

  • Non-admission

Le critère de la non-admission, c'est-à-dire la possibilité pour la formation restreinte de la Cour de cassation de déclarer non admis des pourvois, évolue. Cette non-admission ne dépend plus de la caractérisation d'un moyen non sérieux de cassation ou manifestement irrecevable mais d'un moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation (C. pr. civ., art. 1014 N° Lexbase : L7860I4U). Et l'appellation de "non-admission" est remplacée par décision de rejet non spécialement motivée. Enfin, l'article 1014 du Code de procédure civile prévoit que la Cour de cassation peut se dispenser de répondre à un moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, tout en répondant expressément aux autres critiques articulées (ce qu'elle faisait déjà en pratique).

  • Portée des arrêts de cassation

Désormais, il est expressément prévu que la portée de la cassation est précisée par le chef de dispositif de l'arrêt de cassation (et non plus par la portée du moyen qui constitue la base de la cassation) et s'étend (toujours) aux chefs qui sont indivisibles ou en lien de dépendance nécessaire (C. pr. civ., art. 625 N° Lexbase : L7854I4N).

De plus, la Cour de cassation peut, si cela lui est demandé, mettre une partie expressément hors de cause (C. pr. civ., art. 626 N° Lexbase : L8429IRM).

La nouvelle rédaction des articles 625 et 626 formalise en réalité la pratique de la Cour de cassation.

III - Pourvois du procureur général

Les pourvois formés par le procureur général près la Cour de cassation sont désormais régis par les articles 639-1 (N° Lexbase : L7722I4R) à 639-4 du Code de procédure civile.

En premier lieu, concernant le pourvoi dans l'intérêt de la loi, il est désormais prévu qu'il ne peut être formé que contre une décision ayant acquis force de chose jugée et irrévocable, c'est-à-dire contre une décision qui n'est plus susceptible d'aucun recours par les parties ou qui a été acceptée ou exécutée par les parties. Le délai ne peut dépasser cinq ans à compter du prononcé de la décision.

En deuxième lieu, concernant la forme d'un tel pourvoi, il est fait par requête motivée, déposée au greffe de la Cour de cassation, contrairement au droit commun où le pourvoi est formé par simple déclaration. Et il peut être dirigé contre les seuls motifs de la décision.

En troisième lieu, la procédure devient contradictoire : les parties sont donc avisées de l'existence d'un tel pourvoi et elles peuvent présenter des observations éventuelles dans un délai de deux mois à compter de cet avis, sans avoir besoin de constituer un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Si une annulation est prononcée, la décision attaquée conserve néanmoins tous ses effets entre les parties.

A l'inverse, lorsque le pourvoi est formé pour excès de pouvoir, également par requête motivée, l'annulation de la décision attaquée pour excès de pouvoir vaut à l'égard de tous (C. pr. civ., art. 639-3 N° Lexbase : L7724I4T).

newsid:444931

Sécurité sociale

[Jurisprudence] Nullité du licenciement du salarié protégé : les allocations chômage, indues, peuvent être répétées

Réf. : Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-23.643, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9412M3Y)

Lecture: 12 min

N4914BUK

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

Le 04 Décembre 2014

Le non-respect par l'employeur des règles fondamentales du statut protecteur d'un représentant du personnel l'expose, en cas de licenciement, à de lourdes sanctions.
- Dans le cadre d'un PSE : le salarié licencié à la fois sans autorisation administrative, alors que celle-ci était nécessaire, et en méconnaissance des règles applicables au PSE, a vocation à obtenir, d'une part, une somme correspondant aux salaires qu'il aurait perçus pendant la période comprise entre son éviction et l'expiration de sa période de protection et, d'autre part, soit l'indemnité réparant le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement, au moins égale en toute hypothèse à l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1342H9L), soit l'indemnité due au titre de l'absence ou de l'insuffisance du PSE (C. trav., art. L. 1235-11 N° Lexbase : L0725IX7), seule la plus élevée de ces indemnités pouvant être obtenue, le salarié ne pouvant prétendre deux fois à la réparation d'un même préjudice (Cass. soc., 15 octobre 2013, n° 12-21.746, FS-P+B N° Lexbase : A1053KNC).
- Hors PSE : lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un mandat (C. trav., L. 2422-1 N° Lexbase : L9775IAB) a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration (C. trav., art. L. 2422-4 N° Lexbase : L0228H9C). En outre, le licenciement d'un salarié protégé, prononcé en violation du statut protecteur, ouvre droit non seulement à la réintégration demandée par le salarié mais également au versement d'une indemnité compensatrice de la perte de ses salaires entre son licenciement et sa réintégration, ainsi qu'à l'indemnisation de tous autres chefs de préjudice (1). Le versement de ces différentes indemnités (et autres salaires), couvrant le période comprise entre la nullité du licenciement et la condamnation de l'employeur, peut poser des difficultés si le salarié licencié a, de son côté, perçu des allocations chômage. Le principe de non-cumul rend, rétroactivement, sans cause ces allocations chômage ; le chômeur doit alors rembourser ces allocations à Pôle emploi. Le chômeur peut-il, pour autant, demander à Pôle emploi le remboursement de ces sommes, dès lors qu'il estime avoir lui-même remboursé à tort à Pôle emploi, les allocations versées pendant cette période ? La Cour de cassation (arret rapporté) (2) a refusé ce droit au chômeur, au nom du principe du non cumul.
Résumé

Dans ses rapports avec l'organisme d'assurance chômage, le salarié dont le licenciement est nul pour avoir été prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation, n'est pas fondé à cumuler les allocations de chômage avec ses rémunérations ou une indemnité équivalente à celles-ci.

Dans le mesure où un salarié a obtenu la condamnation de son employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de salaire pour la période comprise entre son licenciement nul et sa réintégration, il s'en déduit que le paiement des allocations de chômage versées par l'organisme d'assurance au titre de cette période s'est révélé indu.

En l'espèce, la cour d'appel de Paris avait jugé nul le licenciement de M. X prononcé en violation du statut protecteur (C. trav., art. L. 2411-3 N° Lexbase : L0148H9D, s'agissant du délégué syndical) et avait ordonné la réintégration du salarié dans l'entreprise. Le salarié avait fait une demande en répétition de l'indu relative aux allocations chômage qu'il avait perçues à la suite de son licenciement et qu'il avait dû reverser à Pôle emploi. La cour d'appel d'Amiens (CA Amiens, 25 juin 2013, n° 12/01800 N° Lexbase : A7551KH7) avait débouté le salarié de sa demande. Le salarié s'est pourvu en cassation, là encore sans succès. En effet, dans ses rapports avec Pôle emploi, le salarié dont le licenciement est nul pour avoir été prononcé sans autorisation administrative (ou malgré un refus d'autorisation), n'est pas fondé à cumuler les allocations de chômage avec ses rémunérations ou une indemnité équivalente à celles-ci. Or, le salarié avait obtenu la condamnation de son employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de salaire pour la période comprise entre son licenciement nul et sa réintégration ; aussi, le paiement des allocations de chômage versées par l'organisme d'assurance au titre de cette période s'est révélé indu. La question de l'indu revêt une dimension aussi bien théorique (l'indu, l'erreur dans le versement des prestations sociale...) qu'opérationnelle (gestion de l'indu par les organismes de protection sociale, erreur et lutte contre la fraude sociale...) (3), de premier plan. Le contentieux qui s'est développé sur cette même question du cumul d'allocations chômage avec le versement de salaires/indemnités par l'employeur pour violation des règles du droit du licenciement, sur le fondement de la nullité, invite à distinguer deux hypothèses, selon que le salarié ait été membre des institutions représentatives du personnel ("salarié protégé") ou pas.

I - Nullité du licenciement du salarié ordinaire

La nullité du licenciement est prévue dans certaines hypothèses très précises : discrimination (C. trav., art. L. 1131-1 et suivants N° Lexbase : L0672H9R) ; égalité homme-femme (C. trav., art. L. 1235-4 N° Lexbase : L1345H9P) ; périodes de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail (C. trav., art. L. 1226-13 N° Lexbase : L1031H93) ; salarié ayant conclu un contrat de travail à durée déterminée (C. trav., art. L. 1226-18 N° Lexbase : L1040H9E et régime de la sanction visé à l'article L. 1226-13 N° Lexbase : L1031H93) ; protection de la femme enceinte, etc...

A - Effets de la nullité du contrat de travail, au regard du régime d'assurance chômage

1 - Droit de répéter

Lorsque la répétition d'un paiement ultérieurement indu porte sur une allocation chômage, la chambre sociale de la Cour de cassation applique purement et simplement le droit commun (Cass. soc., 16 mai 2000, n° 98-12.571 N° Lexbase : A9305ATS) (4). La doctrine et la jurisprudence admettent la répétition de l'indu, même lorsque le paiement se trouve être ultérieurement indu. En effet, le paiement se trouve dès lors sans cause, et le solvens doit alors pouvoir se voir reconnaître le droit à répétition, quand bien même l'indu serait rétroactif.

Le fondement de ce droit à répétition ne tient pas au comportement de l'accipiens (absence de fraude ou de fausse déclaration), mais au paiement du revenu de remplacement, qui se trouve rétroactivement privé de cause, c'est-à-dire en dehors des cas prévus par le régime d'assurance chômage, soumettant le bénéfice des allocations à un certain nombre de conditions (Cass. soc., 22 février 2005, n° 03-11.467, FS-P+B N° Lexbase : A8649DGG) (5). Si le chômeur cesse de remplir ces conditions, il est alors normal que l'Assedic/Pôle emploi cesse de lui verser des allocations et que le chômeur rembourse ces sommes.

2 - Répétition fondée sur la nullité du licenciement

Si la Cour de cassation admet le principe de la répétition, parce que le paiement de l'allocation chômage serait, rétroactivement, indu, du fait de la réparation accordée par le juge au titre de la nullité du licenciement, la solution a provoqué un certain nombre de difficultés.

- Premièrement, calcul de la réparation du préjudice causé par la nullité

En 2008, la Cour de cassation avait décidé que, dans l'hypothèse où un salarié dont le licenciement est nul et qu'il demande sa réintégration, a droit au paiement d'une somme en réparation du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, il convient de déduire de la réparation du préjudice subi le revenu de remplacement qui lui a été servi pendant cette période (Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, F-P+B N° Lexbase : A9335D4I) (6). Cette solution implique l'absence de répétition d'indu, car le chômeur n'aurait plus à rembourser à Pôle emploi l'allocation chômage, dont le montant serait déjà compris dans le calcul de l'indemnité (a contrario, si l'allocation chômage n'était pas déduite du calcul de l'indemnité, cela signifiait que le chômeur aurait perçu deux indemnisations, une première, fixée par le juge au titre de la nullité du licenciement et une second, versée par Pôle emploi, au titre de l'assurance chômage).

- Deuxièmement, calcul de l'affiliation en vue d'une nouvelle ouverture de droits

Quelle est la nature de la somme versée, en réparation du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration ? Pour Pôle emploi, les sommes allouées au titre de cette réparation n'ont pas la nature d'un salaire. Pôle emploi en tire la conséquence (Instr. Pôle emploi n° 2012-144, 10 octobre 2012 [LXB=L9632I4]) (7) que cette indemnisation, n'ayant pas la nature d'un salaire, n'est donc pas soumise au paiement des cotisations sociales et notamment des contributions d'assurance chômage. Elle ne saurait par conséquent être prise en compte dans le calcul de l'affiliation en vue d'une nouvelle ouverture de droits.

- Troisièmement, répétition de l'indu et règles de prescription

La question de la prescription est une vraie difficulté, sachant que par hypothèse, le licenciement d'un salarié ayant perçu pendant une certaine période des allocations chômage sera annulé par le juge, quelques années plus tard. La question est relative aux délais de prescription en matière d'indu consécutif à l'annulation d'un licenciement, et non l'action en répétition de l'allocation chômage indûment versée en cas de fraude ou de fausse déclaration (laquelle se prescrit par dix ans à compter du jour du versement des sommes indues : CA Toulouse, 3 avril 2013, n° 11/03395 N° Lexbase : A4499KBA) (8).

En 2005, le régime de ce type d'action a été précisé par la Cour de cassation (Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-45.024, F-P+B N° Lexbase : A5083DKH) (9). Le délai de la prescription ne court pas à compter du jour du versement des allocations de chômage (comme l'indique l'article L 5422-5 N° Lexbase : L2747H9M), mais à compter de celui où le licenciement est annulé ou plus précisément, le jour où le juge prononce la nullité (C. civ., art. 2251 N° Lexbase : L7171IAT et 2257 N° Lexbase : L7199IAU). Dès lors qu'un salarié, licencié, admis au régime d'assurance chômage, voit quelques années plus tard son licenciement annulé par les juges (l'annulation prenant effet à titre rétroactif), se pose alors la question du sort des allocations chômage, qui devraient en quelque sorte être aussi annulées, dès lors que le licenciement l'a été.

B - Effets à l'égard du chômeur

- Prise en compte pour déterminer l'affiliation

La période comprise entre le licenciement du salarié et sa réintégration, en cas d'annulation du licenciement (ou celle postérieure à une fin de contrat de travail à durée déterminée en cas de requalification ultérieure de celui-ci en contrat à durée indéterminée) peut être prise en compte pour déterminer l'affiliation en vue d'une nouvelle ouverture de droits (Instr. Pôle emploi n° 2012-144 du 10 octobre 2012, préc.) (10).

- Droit aux allocations chômage

Quels sont les effets de la nullité du licenciement à l'égard du salarié licencié pris en charge par Pôle emploi ? A première lecture, la Cour de cassation a déjà donné une réponse à cette question : la répétition de l'indu est ouverte au bénéfice de Pôle emploi, dans la mesure où le paiement des allocations chômage se trouve (rétroactivement) sans cause : le solvens doit alors pouvoir se voir reconnaître le droit à répétition, quand bien même l'indu serait rétroactif (Cass. soc. 12 février 2008, n° 07-40.413, préc.).

Mais l'année suivante, en 2009, la Cour de cassation a pris une décision allant dans le sens contraire : l'action en répétition ne doit pas avoir pour effet de priver rétroactivement un travailleur du droit à l'allocation d'assurance que l'Assedic lui a servie pendant la période comprise entre son licenciement et sa réintégration où il était involontairement privé d'emploi, apte au travail et à la recherche d'un emploi (Cass. soc. 21 septembre 2005, n° 03-45.025, supra) (11). Dès lors, doit être annulé, l'arrêt rendu par la cour d'appel qui, pour faire droit à la tierce opposition d'une Assedic (devenue Pôle emploi) et condamnant un salarié dont le licenciement avait été jugé nul à lui rembourser le montant de l'allocation d'assurance perçue entre son éviction et sa réintégration, retient que l'intéressé ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l'allocation d'assurance pendant cette période.

Donc, pour la Cour de cassation, dans la mesure où les sommes allouées au titre de cette réparation n'ont pas la nature d'un salaire, cette indemnisation est compatible avec le bénéfice du revenu de remplacement.

II - Nullité du licenciement du salarié protégé

La nullité a été retenue par le législateur, comme la sanction la plus efficace contre l'atteinte au statut protecteur du salarié protégé, qu'il s'agisse du délégué syndical (C. trav., art. L. 2411-3), du salarié mandaté (C. trav., art. L. 2411-4), du délégué du personnel (C. trav., art. L. 2411-5 N° Lexbase : L0150H9G), du salarié ayant demandé l'organisation d'élections (C. trav., art. L. 2411-6 N° Lexbase : L0151H9H), du candidat à une fonction de délégué du personnel (C. trav., art. L. 2411-7 N° Lexbase : L0152H9I), du membre du comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2411-8 N° Lexbase : L0153H9K), ou enfin du candidat aux élections du comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2411-10 N° Lexbase : L0155H9M).

A - Effets à l'égard de Pôle emploi

- Cotisations

Dans certains cas d'annulation du licenciement, l'employeur est condamné à verser à son ancien salarié l'intégralité des salaires (par exemple, l'annulation du licenciement d'un salarié protégé). Dès lors que les juges condamnent l'employeur à verser au salarié des sommes qualifiées de salaire, les sommes sont, en raison de cette qualification, soumises au paiement des cotisations sociales (dont les contributions d'assurance chômage). Pôle emploi suggère alors de prendre en compte la période afférente au versement de ces sommes dans le calcul de l'affiliation (Instr. Pôle emploi, n° 2012-144, 10 octobre 2012, préc.).

- Nature de l'indemnité versée au salarié dont le licenciement est nul

Il a été jugé par la Cour de cassation le 10 octobre 2006 (Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-47.623 N° Lexbase : A7719DRC) (12) que le licenciement d'un salarié protégé (en l'espèce, un candidat aux élections de délégués du personnel), prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation administrative, est nul et ouvre droit, pour le salarié qui demande sa réintégration pendant la période de protection, au versement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration. Il n'y a pas lieu de déduire de cette indemnité les revenus qu'il a pu percevoir de tiers au cours de cette période.

- Nature salariale de l'indemnité et répétition

Dans la mesure où l'employeur peut être condamné à verser au salarié des sommes qualifiées de salaire, sans pouvoir déduire le revenu de remplacement perçu par celui-ci, ce revenu de remplacement est constitutif d'un indu. La solution avait, en 2010, été préconisée par la doctrine administrative (Instr. Pôle emploi n° 2012-144 du 10 octobre 2012, préc.). La Cour de cassation s'y rallie (arrêt rapporté). Pôle emploi peut demander le remboursement des allocations versées au chômeur, couvrant la période de son licenciement, jusqu'au jour du versement d'une indemnité, fixée par le juge. En effet, dans ses rapports avec l'organisme d'assurance chômage, le salarié dont le licenciement est nul pour avoir été prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation, n'est pas fondé à cumuler les allocations de chômage avec ses rémunérations ou une indemnité équivalente à celles-ci. Dans la mesure où le salarié a obtenu la condamnation de son employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de salaire pour la période comprise entre son licenciement nul et sa réintégration, il s'ensuit que le paiement des allocations de chômage versées par Pôle emploi au titre de cette période s'est révélé indu (arrêt rapporté).

- Répétition de l'indu et règles de prescription

La question de la prescription est une vraie difficulté, aussi bien pour les salariés ordinaires (supra) que les salariés protégés. En 2003, la Cour de cassation (Cass. soc., 28 octobre 2003, n° 01-40.762, infra) a relevé qu'en application de l'article 45 § 2 du règlement annexé à la convention du 1er janvier 1990 et de l'article 80 § 3 du règlement annexé à la convention du 1er janvier 1997, l'action en répétition des sommes indûment versées par l'Assedic se prescrit, sauf cas de fraude ou de fausse déclaration, par cinq ans à compter du jour du versement de ces sommes. A tort, les juges du fond avaient retenu que l'action en répétition des sommes indûment versées par l'Assedic se prescrit par trente ans.

B - Effets à l'égard du chômeur

Le délégué du personnel peut prétendre à une réparation due lorsque l'annulation de la décision d'autorisation de son licenciement est devenue définitive (C. trav., art. L. 2422-1 N° Lexbase : L9775IAB). Cette indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration. La Cour de cassation écarte la possibilité, pour le salarié licencié au chômage, de cumuler l'indemnité pour nullité du licenciement avec le bénéfice des allocations chômage. En effet, le préjudice doit totalement être réparé, pour autant qu'il soit réellement subi : il doit être apprécié compte tenu des sommes éventuellement perçues pendant la période litigieuse au titre d'une activité professionnelle (Cass. soc., 2 mai 2001 N° Lexbase : A6427C8K) (13), ou au titre d'allocations chômage. La solution a été affirmée à deux reprises :

- en 2003 (Cass. soc., 28 octobre 2003, n° 01-40.762, préc.) (14). Le salarié protégé qui, lorsque l'annulation de la décision administrative de licenciement est devenue définitive, a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, n'est pas fondé à cumuler cette indemnité compensatrice avec les allocations de chômage servies par l'Assedic :

- en 2005 (Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 02-46.173, FS-P N° Lexbase : A0187DLI) (15). Le salarié protégé qui, lorsque l'annulation de la décision administrative de licenciement est devenue définitive, a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration (s'il la demande) ou l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision qui emporte droit à réintégration, n'est pas fondé à cumuler cette indemnité compensatrice avec les allocations de chômage servies par l'Assedic.

Il est à noter que la solution préconisée par la Cour de cassation, s'agissant des salariés ordinaires (l'action en répétition ne doit pas avoir pour effet de priver rétroactivement un travailleur du droit à l'allocation d'assurance que l'Assedic lui a servie pendant la période comprise entre son licenciement et sa réintégration où il était involontairement privé d'emploi, apte au travail et à la recherche d'un emploi : (Cass. soc., 11 mars 2009, n° 07-43.336 N° Lexbase : A6647M4X), n'a pas été étendue aux salariés protégés (pas de jurisprudence connue ou diffusée).


(1) Cass. soc., 17 octobre 1989, n° 86-43.272 (N° Lexbase : A1790AGE), Bull. civ. V, n° 596 ; RJS 12/1989, n° 947 ; Cass. soc., 12 février 1991, n° 86-45.459 (N° Lexbase : A8122CRA), Bull. civ. V, n° 64 ; RJS 3/1991, n° 352 ; Cass. soc., 17 mars 1993, n° 90-41.456 (N° Lexbase : A1752AA7).
(2) Cass. soc. 19 novembre 2014, n° 13-23.643, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9412M3Y).
(3) J.-L. Walter, Médiateur national, Pôle emploi, rapport spécifique, Les indus, juillet 2013, point 3-1-3, p. 31.
(4) Cass. soc., 16 mai 2000, n° 98-12.571 (N° Lexbase : A9305ATS) Bull. civ., V, n° 185, RJS 2000, n° 847 ; RD sanit. soc. 2000, p. 858, nos obs. ; Dr. soc., 2000, p. 812, obs. Ch. Radé.
(5) Cass. soc., 22 février 2005, n° 03-11.467, FS-P+B (N° Lexbase : A8649DGG), Bull. civ. V, n° 61 ; D., 2006, pan. p. 2502, nos obs..
(6) Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413 (N° Lexbase : A9335D4I). Le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé. Doivent être déduits de la réparation du préjudice subi les revenus qu'il a tirés d'une autre activité et le revenu de remplacement qui lui a été servi pendant cette période. Le préjudice subi par la salariée doit être évalué en tenant compte des revenus qu'elle avait pu percevoir pendant cette période ; ce qui a été versé au-delà de ce préjudice ouvre droit à répétition.
(7) Instr. Pôle emploi n° 2012-144 du 10 octobre 2012 (N° Lexbase : L9632I4I), Bull. off. Pôle Emploi n° 2012-109, 29 octobre 2012.
(8) Nos obs., Rappel sur la prescription décennale de l'action en répétition de l'allocation chômage indûment versée ; CA Toulouse, 3 avril 2013, n° 11/03395 (N° Lexbase : A4499KBA), Lexbase Hebdo n° 525 du 25 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6829BT4).
(9) Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-45.024, F-P+B (N° Lexbase : A5083DKH), Bull. civ. V, n° 266 ; D., 2006, pan. p. 2500-2502. Pour déclarer prescrite la demande de l'Assedic la cour d'appel énonce que cette dernière n'a engagé aucune action en justice avant le 25 avril 2002, date du dépôt de la tierce opposition, et n'établit pas l'existence d'une interruption de la courte prescription de l'ancien article L. 351-6-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6089H9E). Or, l'Assedic de Lorraine était dans l'impossibilité d'agir en restitution des allocations de chômage en raison de la nullité du licenciement, tant que cette nullité n'avait pas été prononcée.
(10) Instr. Pôle emploi n° 2012-144 du 10 octobre 2012, Bull. off. Pôle Emploi n° 2012-109, 29 octobre 2012, préc..
(11) Cass. soc.,11 mars 2009, n° 07-43.336 (N° Lexbase : A6647M4X): Ch. Willmann, L'indemnisation chômage à l'épreuve des nullités du licenciement : complexité des textes, clarification judiciaire, Note sous Cass. soc., 11 mars 2009, n° 07-43.336 (préc.), RDSS, 2009 p. 731 ; Ch. Willmann, L'erreur dans le versement des prestations sociales, in J. Foyer, F. Terré et C. Puigelier (Dir.), L'erreur, Cahiers des sciences morales et politiques, 2007, p. 159, PUF.
(12) Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-47.623 (N° Lexbase : A7719DRC), Bull. civ. V n° 297 p. 284. Le licenciement d'un salarié protégé, prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation administrative est nul et ouvre droit pour le salarié qui demande sa réintégration pendant la période de protection au versement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration. Il n'y a pas lieu de déduire de cette indemnité les revenus qu'il a pu percevoir de tiers au cours de cette période.
(13) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-46.342 (N° Lexbase : A6427C8K), Bull. civ. V, n° 148.
(14) Cass. soc., 28 octobre 2003, n° 01-40.762 (N° Lexbase : A9963C9U), Bull. civ. V n° 263, p. 268 ; RJS, 2004, n° 91.
(15) Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 02-46.173 (N° Lexbase : A0187DLI).

Décision

Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-23.643, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9412M3Y)

Rejet de CA Amiens, 25 juin 2013, n° 12/01800 (N° Lexbase : A7551KH7)

Textes concernés : C. trav., art. L. 2411-3 (N° Lexbase : L0148H9D) et art. L. 5422-1 (N° Lexbase : L8004IAP)

Mots-clés : salarié protégé ; licenciement nul ; cumul avec des allocations de chômage (non) ; droit répétition (oui).

Liens base : (N° Lexbase : E9212ESY)

newsid:444914

Sécurité sociale

[Brèves] Calcul des prestations en espèce de l'assurance maladie sur la base des salaires versés antérieurement à l'interruption de travail du salarié

Réf. : Cass. civ. 2, 27 novembre 2014, n° 13-25.313, F-P+B (N° Lexbase : A5370M4N)

Lecture: 2 min

N4940BUI

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Le 06 Décembre 2014

Les prestations en espèce de l'assurance maladie sont calculées sur la base des salaires effectivement versés durant la période précédant l'interruption de travail. Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 27 novembre 2014 (Cass. civ. 2, 27 novembre 2014, n° 13-25.313, F-P+B N° Lexbase : A5370M4N). En l'espèce, M. M., salarié de la société P., a perçu des indemnités journalières consécutivement à un arrêt de travail à compter du 22 septembre 2008. Contestant la base de calcul retenue par la caisse primaire d'assurance maladie, M. M. a saisi d'un recours une juridiction de Sécurité sociale. La cour d'appel (CA Poitiers, 4 septembre 2013, n° 12/04308 N° Lexbase : A4043KKX) retient que l'indemnité journalière est égale à une fraction du gain journalier de base déterminé d'après la ou les dernières payes à la date de l'interruption du travail. Ce calcul s'entend des salaires échus, sauf à pénaliser le salarié en cas de retard de paiement par l'employeur et alors que les salaires versés avec retard n'en sont pas moins soumis à cotisations. M. M. a été engagé par la société, qui fabrique et commercialise des feux d'artifice, par contrat de travail à durée déterminée du 5 juin 2007 en qualité de magasinier en pyrotechnie puis par contrat de travail à durée indéterminée du 12 octobre 2007 avec deux fonctions distinctes, l'une de responsable de qualité environnement avec une rémunération mensuelle fixe et l'autre de technico-commercial chargé de la vente de feux d'artifices, rémunéré à ce titre par un commissionnement sur les feux vendus sans prestation. Il était prévu par le contrat de travail un état trimestriel des factures encaissées donnant lieu, à l'issue, au règlement de la commission correspondante. Consécutivement à son arrêt de travail, M. M. a bénéficié d'indemnités journalières calculées sur la base de son salaire fixe mensuel des trois derniers mois. La caisse a refusé de prendre la somme versée en septembre 2008 par son employeur, au titre de commissionnements sur les ventes de feux d'artifice. L'activité de la société étant saisonnière, rien ne fait obstacle à ce que les indemnités journalières soient calculées de façon cumulative pour partie sur un fixe mensuel et pour le surplus sur un salaire variable dont le montant et les composantes sont connus a posteriori mais afférent aux trois mois précédent l'arrêt de travail. La Haute juridiction casse l'arrêt aux visas des articles L. 323-4 (N° Lexbase : L9573HEB) et R. 323-4 (N° Lexbase : L6797AD4) du Code de la Sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction antérieure au décret n° 2010-1305 du 29 octobre 2010 (N° Lexbase : L2736INN) au motif que la somme litigeuse n'avait été versée que postérieurement à l'interruption de travail (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E9960ABI).

newsid:444940

Sécurité sociale

[Brèves] Validité d'une délégation de compétence d'une URSSAF à une autre union via une convention de réciprocité spécifique

Réf. : Cass. civ. 2, 27 novembre 2014, n° 13-26.244, F-P+B (N° Lexbase : A5309M4E)

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N4928BU3

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Le 20 Décembre 2014

Le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (l'ACOSS) peut demander dans le cadre d'une action concertée de contrôle et de recouvrement à une union de recouvrement de déléguer ses compétences en matière de contrôle à une autre union, cette délégation prenant la forme d'une convention de réciprocité spécifique établie par ce directeur chargé de recevoir l'accord des unions concernées. Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 27 novembre 2014 (Cass. civ. 2, 27 novembre 2014, n° 13-26.244, F-P+B N° Lexbase : A5309M4E). En l'espèce, le cadre d'un contrôle concerté des clubs de football de la Ligue 1, la société F. a fait l'objet en juin 2010 d'un contrôle par l'URSSAF portant sur les années 2007 à 2009. A la suite de ce contrôle, l'URSSAF a notifié à la société une mise en demeure le 10 novembre 2010 de payer un certain montant de cotisations. La société a saisi d'un recours une juridiction de Sécurité sociale. La cour d'appel (CA Besançon, 30 août 2013, n° 12/01334 N° Lexbase : A6818MDU), pour annuler la procédure de contrôle et le redressement subséquent, retient que l'URSSAF ne justifie pas par la convention du 14 janvier 2010 signée par son directeur et par la convention du 19 janvier 2010 signée par le directeur de l'URSSAF d'un accord exprès entre ces deux unions, sur la délégation par la première à la seconde de ses compétences en vue d'effectuer le contrôle de la société cotisante, chaque convention s'analysant comme une délégation unilatérale par l'union signataire de ses compétences à plusieurs autres unions et non pas à l'une d'entre elles désignée en vue d'une opération de contrôle spécifique. L'URSSAF s'était pourvue en cassation. La Haute juridiction casse l'arrêt au visa des articles L. 225-1-1, 3° quinquies (N° Lexbase : L7038IU9) et D. 213-1-2 (N° Lexbase : L2937AWP) du Code de la Sécurité sociale estimant que la signature des conventions litigieuses par le directeur de chacune des URSSAF dans le cadre d'une action concertée de contrôle à l'initiative de l'ACOSS, emporte par elle-même délégation de compétences réciproque au sens des textes susvisés (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E9438BXT).

newsid:444928

Sociétés

[Jurisprudence] Le régime juridique de la rémunération du président de société par action simplifiée

Réf. : Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-24.889, F-P+B (N° Lexbase : A9090MZP)

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N4865BUQ

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 04 Décembre 2014

Appliquée au dirigeant d'une société, la notion de rémunération vise celle versée en contrepartie de l'accomplissement de ses attributions directoriales. Elle peut concerner également les sommes versées en plus de celle allouée en qualité de dirigeant, celle octroyée à titre exceptionnel ou des avantages en nature, le tout constituant des rémunérations immédiates. Ce concept englobe en outre les rémunérations différées telles que l'octroi d'une pension de retraite.
A propos des dirigeants d'une SAS, il convient préalablement de rappeler que les associés disposent d'une entière liberté pour déterminer dans les statuts la composition de l'organe de gestion, la loi n'imposant que la présence d'un président pour représenter la société à l'égard des tiers (1). S'agissant de la rémunération attribuée au président d'une SAS, objet de l'arrêt rapporté du 4 novembre 2014 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et plus précisément des conditions de la fixation de la rémunération ou de la gratuité du mandat, soit du seul président, soit du président et des autres dirigeants, les statuts peuvent librement fixer la rémunération, établir un mode de calcul ou indiquer qu'un organe social déterminera le montant de cette rémunération. Rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia du 24 juillet 2013 (2), la Cour de cassation considère que le minoritaire, auteur du recours, n'est pas fondé à se prévaloir de l'inobservation des dispositions de l'article L. 227-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2556IBB) relatives aux conventions réglementées (I). En outre, elle estime, à l'instar de la juridiction de seconde instance, que la rémunération des fonctions exercées par le président de la société ne saurait être considérée comme excessive et contraire à l'intérêt social, de sorte que la décision l'attribuant ne pourrait constituer un abus de majorité (II).

I - L'inapplication des dispositions relatives aux conventions réglementées

A - Les données du litige

Le conflit a pris naissance au cours d'une assemblée du 29 juin 2009 par laquelle les associés d'une société par actions simplifiée ont décidé à la majorité simple d'attribuer une rémunération au président de cette dernière à dater du 1er janvier 2009. Par la suite, au motif que l'attribution d'une rémunération au président constitue une convention réglementée obéissant à la procédure de contrôle de l'article L. 227-10 du Code de commerce, une société associée a assigné à titre principal la SAS et son président, également dirigeant et associé majoritaire, en remboursement du montant de la rémunération.

Déboutée en première (3) et seconde instances, la société demanderesse forme un pourvoi en cassation qui fait grief à la cour d'appel de Bastia d'avoir statué de la sorte. Elle prétend que toute convention relative à la rémunération du président d'une SAS doit satisfaire à la procédure de contrôle des conventions réglementées. Dès lors que les statuts prévoyaient que les modalités d'une éventuelle rémunération étaient déterminées dans la décision de nomination, la désignation du président en fonction n'avait envisagé aucune rémunération, si bien que la décision de le rémunérer devait faire l'objet d'une convention réglementée.

Selon la demanderesse au pourvoi, la cour d'appel a privé sa décision d'une base légale au regard de l'article L. 227-10 du Code de commerce, en ne recherchant pas comme elle y était conviée, si le fait que la décision de nomination du président ne prévoyant aucune rémunération ne devait pas conduire à respecter la procédure relative aux conventions réglementées.

Cette argumentation, initialement rejetée par les juges du fond, l'est également par le juge du droit. A l'appui du dispositif, ce dernier invoque le motif selon lequel il résultait des statuts de la SAS que la rémunération de son président devait être fixée par une décision collective des associés prise à la majorité simple (4). La cour d'appel de Bastia en avait donc déduit, sans avoir à effectuer d'autre recherche, que la SAS ne pouvait valablement se prévaloir des dispositions de l'article L. 227-10 précité, ce qui rendait infondé son moyen.

B - La résolution du litige

A l'instar des autres sociétés, le droit applicable à la SAS signale l'existence de trois types de conventions : les conventions interdites (5) frappées d'une nullité d'ordre public et absolue (6), les conventions libres portant sur des "opérations courantes et conclues à des conditions normales" (7) et les conventions réglementées conclues directement ou indirectement entre la société et le président ou les autres dirigeants, ainsi que les associés disposant de plus de 10 % des droits de vote ou, s'il s'agit d'une société associée, de la société la contrôlant.

Ces dernières sont qualifiées de réglementées parce ce qu'elles supportent le contrôle des associés de la SAS (8). Cette procédure vise à s'assurer que la convention ne fasse pas prévaloir l'intérêt des dirigeants sur l'intérêt social. Elle est inspirée de celle applicable à la SA, mais contrairement à celle-ci, il n'existe pas dans la SAS d'autorisation préalable analogue à celle conférée par le conseil d'administration. Pour autant, le refus d'approbation par les associés est sans conséquence pour la convention qui produit ses effets, quitte pour le dirigeant intéressé et les autres dirigeants d'en assumer les conséquences dommageables pour la société (9).

La problématique du présent litige porte sur la qualification juridique de l'attribution d'une rémunération au président de la SAS. Si assurément, elle ne constitue pas une convention interdite dont la liste est strictement énoncée par le texte applicable, relève-t-elle d'une convention réglementée comme l'affirme la société demanderesse en appel, puis au pourvoi ?

La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d'appel de Bastia, répond négativement à cette interrogation. Pour statuer ainsi, elle tire argument du fait qu'en vertu des statuts la rémunération du président doit être fixée par une décision de l'assemblée des associés prise à la majorité simple. C'est dire que l'intéressé, s'il est associé, ce qui est le cas ici, peut s'il le désire prendre part au vote. Il en va différemment pour le vote relatif à une convention réglementée auquel ne participe pas la personne concernée.

Pour autant, sans remettre en cause le sens de la décision, l'argumentation paraît discutable (10). En effet, la Cour de cassation consacre la motivation de la juridiction d'appel bastiaise selon laquelle, d'une part, "l'attribution d'une rémunération aux dirigeants de SAS est de nature purement contractuelle et il convient dès lors de s'en rapporter aux statuts de la société" ; d'autre part, la procédure de l'article L. 227-10 a "vocation à s'appliquer en l'absence de dispositions relatives à cette question dans les statuts de la société". Autrement dit, l'application ou non de la procédure d'approbation des conventions réglementées tient à la prévision ou non dans les statuts du mode de détermination de la rémunération, peu importe le mode de fixation utilisé. En réalité, ce n'est pas parce que les statuts contiennent une clause ayant trait à cette question que la procédure des conventions réglementées doit être évincée. Il convient surtout de rechercher si la fixation de la rémunération procède d'un contrat ou si elle constitue un acte unilatéral (11), plutôt que de se demander si le mode de détermination de celle-ci figure ou non dans les statuts.

Au-delà de l'explication donnée par la Cour régulatrice à l'appui de sa décision, plusieurs arguments justifient l'inapplication de la procédure de contrôle des conventions réglementées.

Tout d'abord, la procédure de contrôle de ces conventions ne concerne que celles passées entre la société et le président, l'un des dirigeants ou l'un des actionnaires de la SAS disposant d'une fraction de droit de vote supérieure à 10 % ou, s'agissant d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3 (N° Lexbase : L4050HBM), ce qui exclut donc la fixation de la rémunération du président.

Ensuite, il est contradictoire de soumettre la détermination de cette rémunération aux dispositions des articles L. 227-10 (N° Lexbase : L2556IBB) et L. 227-12 (N° Lexbase : L6167AIA) du Code de commerce. En effet, l'article L. 227-10, alinéa 1er, édicte simplement que le commissaire aux comptes ou, à défaut le président de la société, présente à l'assemblée des associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et les personnes concernées ci-dessus énoncées. Ladite assemblée se prononce sur ce rapport sans que l'intéressé participe au vote. Si la rémunération du président se conçoit comme une convention réglementée, cela implique de l'autoriser à fixer sa rémunération avec obligation d'informer l'assemblée générale des associés seulement habilitée à n'exercer qu'un contrôle a posteriori.

A ce sujet, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes a retenu une solution tout à fait pertinente. Dans l'hypothèse où les statuts d'une SAS avaient stipulé que le président fixait lui-même sa rémunération qui était ensuite communiquée aux associés lors de l'approbation des comptes annuels, celle-ci emportant "ratification" de la rémunération, elle a considéré qu'une pareille ratification ne permettait pas de considérer que la rémunération était effectivement fixée par les associés, pas plus que de leur garantir en dépit du rapport du président, qu'ils disposaient d'informations suffisantes pour approuver la dite rémunération en pleine connaissance de cause. La Compagnie en a déduit qu'en la circonstance, la rémunération du président devait répondre à la procédure d'approbation édictée par l'article L. 227-10 du Code de commerce (12).

Bien que le président ne prenne pas part au scrutin, il résulte de l'article L. 227-10, alinéa 3, que les conventions non approuvées mais appliquées produisent effet, quitte pour la personne intéressée et, le cas échéant, pour le président et les autres dirigeants, d'en assumer les conséquences préjudiciables à la société. Aussi, s'avère-t-il préférable de s'en tenir au principe selon lequel la rémunération de ce dirigeant émane d'une décision préalable de l'assemblée des associés. De plus, la solution est en parfaite adéquation avec le régime de destitution du mandat social, si les statuts ont prévu une révocation contrôlée du président, c'est-à-dire pour juste motif, et non une révocation discrétionnaire, à savoir ad nutum : à l'instar de sa propre destitution, l'intéressé va pouvoir participer au vote relatif à la fixation de sa rémunération qui est une décision bien moins grave à adopter.

Enfin, la jurisprudence révèle qu'en vertu de l'article 1844, alinéa 1er du Code civil (N° Lexbase : L2020ABG), seule une disposition légale expresse peut priver un associé de son droit de vote (13). Dès lors, méconnaît le caractère fondamental du droit de vote de l'associé, la clause qui prévoit l'exclusion à l'unanimité des associés non concernés. Elle est nulle et rend nulles les délibérations prises en exécution d'elle (14).

En revanche, la rémunération du président ou d'un dirigeant de SAS revêt incontestablement un caractère conventionnel, d'une part, lorsque l'intéressé est un tiers, par conséquent non associé, sauf si la décision d'allocation d'une rémunération se conçoit comme une convention courante, ce qui paraît critiquable ; d'autre part, quand sa rémunération est rattachée à un contrat de travail conclu avec sa société, sans que sa participation irrégulière à l'assemblée des associés rende nulle la délibération collective, mais met à sa charge les conséquences dommageables pour la société.

A la lumière de l'argumentation qui vient d'être développée et de l'actuelle décision de la Cour de cassation, la fixation de la rémunération du président ou d'un dirigeant de SAS ne procède d'aucune quelconque convention, qu'elle soit libre (15) ou réglementée, et encore moins interdite. En définitive, pareille rémunération relève de la compétence exclusive de l'assemblée des associés ou des actionnaires. Sa détermination résulte d'un acte unilatéral de la société pris en assemblée au cours de laquelle le dirigeant, en l'occurrence le président de SAS, peut exercer son droit fondamental de voter, aucune disposition légale ne l'en empêchant expressément.

L'actuelle position du juge du droit ne surprend pas ; elle connaît un précédent à propos de la rémunération d'un gérant de SARL qui, bien qu'étant majoritaire, participe au vote relatif à la fixation de celle-ci (16).

II - Le défaut d'établissement de l'abus de majorité

A - Les données du litige

La société associée minoritaire, demanderesse au pourvoi, reproche à l'arrêt d'appel d'avoir rejeté sa demande formulée à titre subsidiaire tendant à l'annulation pour abus de droit, plus précisément de l'abus de majorité, de la décision des associés du 29 juin 2009 d'octroyer une rémunération au président à compter du 1er janvier 2009. Là encore, la Cour de cassation, approuvant la juridiction de seconde instance, rejette le recours formé contre la décision rendue par cette dernière. Elle consacre l'argumentation de la décision d'appel selon laquelle la rémunération des fonctions exercées par le président de la société ne saurait être excessive et contraire à l'intérêt social.

En effet, ce dirigeant assumait la responsabilité à la fois civile et pénale inhérente à ses fonctions sociales. En outre, celle-ci dont le montant s'élevait à la somme annuelle brute de 55 000 euros, alors que la société avait réalisé en 2008, dernier exercice dont les chiffres étaient connus à la date de l'assemblée litigieuse, un résultat net de 410 000 euros. Par conséquent, elle a pu décider à juste titre que l'abus de majorité invoqué par la société demanderesse n'était pas établi.

B - La résolution du litige

A l'instar de la notion d'abus de droit, celle d'abus de majorité est d'origine prétorienne. Elle a été dégagée pour la première fois par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 avril 1961 selon lequel est abusive la décision impliquant une rupture de l'égalité entre les actionnaires, dès lors qu'elle a été adoptée "contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité" (17), sans que nécessairement il y ait intention de nuire (18), bien que celle-ci soit souvent relevée comme un élément constitutif de l'abus de majorité (19). En effet, il a été jugé que l'abus de majorité est constitué du seul fait de l'intention de nuire aux minoritaires de la décision litigieuse (20).

Au regard de cette définition, l'abus de majorité comporte deux éléments : d'une part, une atteinte à l'intérêt général ; d'autre part, la volonté de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité (21). C'est d'ailleurs la définition sur laquelle se fonde la société demanderesse au pourvoi pour tenter d'obtenir gain de cause auprès de la chambre commerciale.

Dans la présente affaire, la société demanderesse pensait et espérait pouvoir caractériser l'abus de majorité en arguant de la position d'associé majoritaire du président. Certes, l'attribution d'une rémunération à un dirigeant appauvrit la société dans la mesure où un mandat social peut être exercé gracieusement, et que la situation favorable liée à la détention de la majorité du capital social par ce dernier tend à emporter la décision d'octroi de cette rémunération. En l'espèce, le président avait refusé d'exercer bénévolement son mandat social.

Pour autant, cela ne suffit pas à mettre en exergue l'abus de droit, plus précisément l'abus de majorité. En effet, la rupture d'égalité est insuffisante car elle peut servir l'intérêt de la société. La seule violation de l'intérêt social ne permet pas non plus de remettre en cause l'opération critiquée, car il n'appartient pas aux tribunaux d'apprécier l'opportunité des orientations stratégiques et économiques des sociétés. Les deux critères évoqués sont cumulatifs (22).

En effet, il appartient au demandeur, en l'occurrence la société associée minoritaire, de mettre en évidence les critères de l'abus de droit dont la caractérisation relève de l'appréciation souveraine des juges du fond qui ne peuvent s'affranchir des éléments matériels et des conditions de qualification. Bien évidemment, comme en l'espèce, la Cour de cassation se réserve légitimement la possibilité d'en contrôler l'existence, pour en définitive l'admettre ou la rejeter.

Par ailleurs, on ne saurait véritablement parler d'appauvrissement que s'il nuit à l'intérêt social, c'est-à-dire si la société en pâtit, notamment à cause du caractère excessif de la rémunération allouée au dirigeant. Or, toute société a intérêt à récompenser la compétence de ce dernier en lui attribuant une rémunération suffisante afin de le conserver à son service.

Bien qu'une société soit gérée par un dirigeant associé majoritaire, ce qui est ici le cas du président de la SAS, et que la détermination de la rémunération de ce dernier ne fasse pas l'objet d'un contrôle, faute de constituer une convention réglementée, cette situation ne suffit pas à constituer un abus de droit, notamment du fait qu'elle résulte essentiellement de la volonté de l'intéressé qui ne pourrait être écarté du scrutin. Il est vrai que pareille décision constitue une auto-rémunération.

Dès lors, l'idée d'un contrôle fondé sur l'abus n'est pas exclue : l'abus de biens sociaux lié à l'attribution de rémunérations excessives ou sans contrepartie (23) sur le terrain pénal, et l'abus de majorité sur le plan civil. Cette dernière voie empruntée par la société demanderesse n'a pas abouti, faute pour elle d'en avoir apporté la preuve qui lui incombe, notamment le caractère excessif et contraire à l'intérêt social de la rémunération allouée au président de la SAS.

Ce caractère excessif aurait pu être particulièrement apprécié au regard de la compétence du président dans la conduite des affaires sociales, ou des capacités financières de la société à en supporter la charge et au regard du préjudice qu'elle aurait subi, susceptible de compromettre son maintien. En revanche, il n'est point question comme le prétend la société plaignante, de démontrer que ce dirigeant a profité de sa situation de prééminence pour faire adopter la décision par l'assemblée générale des associés, quoique sa position de majoritaire l'ait tout naturellement incité à voter dans le sens qui lui est favorable.


(1) C. com., art. L. 227-6, al. 1er (N° Lexbase : L6161AIZ).
(2) CA Bastia, n° 11/00755, BRDA, 19/2013, n° 1 ; Dr. sociétés, janvier 2014, n° 10, obs. M. Roussille ; Rev. sociétés 2014, p. 47, note M. Caffin-Moi.
(3) Selon le texte de l'arrêt de la cour d'appel de Bastia du 24 juillet 2013 : "[...]confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions [...]".
(4) M. Germain et V. Magnier, Traité de droit des affaires, t. 2, Les sociétés commerciales, LGDJ, 21ème éd., 2014, n° 2610.
(5) C. com., art. L. 227-12 (N° Lexbase : L6167AIA), sur renvoi à l'article L. 225-43, al. 1er (N° Lexbase : L9086IDU).
(6) Cass. mixte, 10 juillet 1981, n° 77-10.794 (N° Lexbase : A7289AG3), D., 1981, p. 637 ; Cass. com., 25 avril 2006, n° 05-12.734, F-D (N° Lexbase : A2152DPE) RJDA 8-9/2007, n° 858.
(7) C. com., art. L. 227-11 (N° Lexbase : L3097IQR).
(8) C. com., art. L. 227-10, al. 1er (N° Lexbase : L2556IBB).
(9) C. com., art. L. 227-10, al. 3.
(10) En ce sens, M. Caffin-Moi, note sous CA Bastia, 24 juillet 2013, préc., note 2.
(11) En ce sens, M. Germain et P.-L. Périn, J.-Cl. Sociétés, SAS - organisation des pouvoirs - fonctionnement, 2009, n° 59.
(12) Bull. CNCC décembre 2006, p. 712 ; BRDA, 19/2013, n° 1.
(13) Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-16.537, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8236DYP), Bull. civ. IV, n° 225 ; J.-B. Lenhof, Difficultés d'application de la jurisprudence "Château d'Yquem" à une SAS ou, comment certains arrêts mériteraient de vieillir aussi bien que le Sauternes, Lexbase Hebdo n° 285 du - édition privée (N° Lexbase : N4074BDA) ; D., 2007, p. 2726, obs. A. Lienhard ; D., 2008, p. 47, note Y. Paclot ; JCP éd. G 2007, II, 10197, note D. Bureau ; Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 101, note D Schmidt ; LPA, 22 janvier 2008, n° 16, p. 13, note A. Albortchire ; Defrénois, 2008, p. 674 nos obs. et p. 1481, obs. B. Thullier, sur l'impossibilité, par application de l'article L. 227-16 du Code de commerce, de priver l'associé d'une SAS dont l'exclusion est proposée de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition
(14) CA Colmar, 18 janvier 2011, n° 09/03518 (N° Lexbase : A8938GST), Dr. sociétés, 2011, n° 110, obs. M. Roussille.
(15) Contra, CA Paris, 3ème ch., sect. B, 25 janvier 2007, n° 05/24853 (N° Lexbase : A5347DUL), BRDA, 2007, n° 3 ; RJDA, 2007, n° 629 ; D., 2008, pan., p. 386, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles, considérant qu'il s'agit d'une convention courante pour admettre la participation du gérant à la délibération relative à la fixation de sa rémunération. Le pourvoi contre cet arrêt a été cependant rejeté par Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-13.205, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0021EX3), Bull. civ. IV, n° 84 ; BRDA, 9/2010, n° 2 ; RJDA 8-9/2010, n° 859 et p. 7686, chronique de M. Pietton ; nos obs., La participation du gérant de SARL à la décision fixant sa rémunération, Lexbase Hebdo n° 399 du 17 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4160BPR) ; D., 2010, p. 1206, obs. A. Lienhard, et Pan. 2804, obs. E. Lamazerolles ; Rev. Sociétés, 2010, p. 222, note A. Couret ; RTDCom., 2010, p. 563, obs. C. Champaud et D. Danet ; JCP éd. G, 2010, n° 26, 729, note D. Gallois-Cochet ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 647, note B. Dondero, statuant par substitution de motif. Sur cet arrêt, Ch. Lebel, La détermination de la rémunération du gérant de SARL ne procède pas d'une convention, RLDA, juillet-août, 2010, n° 2931.
(16) Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-23.398, F-P+B (N° Lexbase : A5962HYH), Bull. civ. IV, n° 150 ; BRDA, 20/2011, n° 1 ; J.-B. Lenhof, Fixation de la rémunération du gérant de SARL et abus de majorité : la Cour de cassation confirme sa jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 271 du 3 novembre 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N8493BSD) ; Dr. sociétés, décembre 2011, n° 216, obs. M. Roussille ; Bull. Joly Sociétés, 2011, p. 968, note B. Dondero et 2012, p. 25, note E. Mouial-Bassilana. Sur cet arrêt, nos obs., La participation du gérant majoritaire d'une SARL au vote de la décision fixant sa rémunération, RLDA, décembre 2011, n° 3740. V. aussi, Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-13.205, préc., note 15.
(17) "Arrêt Schuman Picard" : Cass. com., 18 avril 1961, n° 59-11.394 (N° Lexbase : A2561AUE), Bull. civ. III, n° 175 ; D., 1961, p. 661 ; S., 1961, 1, p. 257, note A. Dalsace ; JCP éd .G, 1961, II, 12164, note D. B. ; RTDCcom., 1961, p. 634, n° 8, obs. R. Houin, cassant au visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), CA Paris, 28 février 1959, D., 1959, p.353, note E.-N. Martine ; JCP éd. G 1959, II, 11175 ; S., 1959, 2, p.134, note A. Dalsace, Rev. Sociétés, 1959, p. 146, note A. Dalsace ; N. Lesourd, 'annulation pour abus de droit des délibérations de l'assemblée générale, RTDCom. 1962, p. 1.En ce sens, également, cf. Cass. com., 30 mai 1980, n° 78-13.836 (N° Lexbase : A3403AG7), Bull. civ. IV, n° 223 ; Cass. com., 24 janvier 1995, n° 93-13.273 (N° Lexbase : A8240ABS), RJDA, 4/1995, n° 439 et, dans la même affaire, Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-16.581, F-D (N° Lexbase : A3406DEU), RJDA, 3/2005, n° 263.
(18) CA Grenoble, 6 mai 1964, Gaz. Pal., 1964, II, jurispr. p. 208 ; D., 1964, p. 783, note A. Dalsace, à propos d'une SA.
(19) Cass. civ. 1, 13 avril 1983, n° 82-11.026 (N° Lexbase : A7050A4U), Bull. Joly Sociétés, 1983, p. 512 ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 15 octobre 1986, n° M.14424, D., 1987, p. 136, note J. Honorat.
(20) Cass. com., 11 octobre 1967, n° 65-13.852, publié (N° Lexbase : A1629ATI).
(21) Pour une étude d'ensemble, Th. Favario, L'abus de majorité, Journ. Sociétés, avril 2011, p. 23, pour qui l'abus de majorité est un acte déloyal du fait que les associés majoritaires qui en sont les auteurs manquent au devoir de loyauté qu'ils doivent assumer à l'égard des minoritaires. Ce devoir repose à la fois sur l'affectio societatis et sur l'intérêt commun des associés qu'évoquent respectivement les articles 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ) et 1833 (N° Lexbase : L2004ABT) du Code civil.
(22) Cass. civ. 3, 18 juin 1997, n° 95-17.122 (N° Lexbase : A0590ACT), RJDA, 11/1997, n° 1360, à propos d'une SCI, mais transposable aux sociétés commerciales.
(23) F. Garron, La rémunération excessive des dirigeants des sociétés commerciales, Rev. Sociétés, 2004, p. 795. Cf. dernièrement à propos d'un président de SA, CA Versailles, 19 mai 2011, n° 10/01523 (N° Lexbase : A3802HTY), Quand l'abus de pouvoirs commis par un dirigeant ressort de l'octroi d'une rémunération excessive, Lexbase Hebdo n° 255 du 16 juin 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N5655BSA).

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