La lettre juridique n°563 du 20 mars 2014

La lettre juridique - Édition n°563

Éditorial

Voyage au bout de "l'Absurdie"

Lecture: 4 min

N1381BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441381
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Lundi. Le tribunal de grande instance de Paris condamnait un magazine à verser 100 000 (cent mille) euros de dommages et intérêts aux ayants droit d'Aristide Maillol, pour avoir osé publier une série de photographies, plutôt vertueuses au regard de "l'oeuvre" générale du photographe Terry Richardson, représentant le mannequin Laetitia Casta, vêtue mais dans des poses jugées suggestives sur La Montagne, Trois Nymphes, La Jeune Fille allongée et La Rivière et Flore, quatre des bronzes installés dans le jardin des Tuileries depuis 1964. Ces sculptures "représentent des femmes nues et donc sont empreintes d'une certaine sensualité", mais elles "ne présentent pas de caractère explicitement érotique ou sexuel, la position et l'expression des femmes sculptées étant empreintes de classicisme", livre le jugement. Et, les magistrats parisiens de se muer, quelque peu, en critiques d'art en distinguant sensualité et érotisme ! Où le nu devient sensuel et une position lascive jugée, elle, érotique. Cette condamnation, pour atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l'artiste décédé en 1944, n'a rien de bien originale, si ce n'est peut-être son montant au regard de la confidentialité du tirage et de la publication.

Pareille aventure judiciaire était arrivée, en 1990, à la Géode de la Cité des sciences et de l'industrie, oeuvre d'Adrien Fainsilber et à la Grande Arche de la Défense, oeuvre de Johann Otto von Spreckelsen. Une jurisprudence qui fait oeuvre du rigorisme et qui dénie toute "liberté de panorama" ou panoramafreiheit, exception germanique au droit d'auteur reconnu aux architectes et sculpteurs sur leurs oeuvres lorsqu'elles sont situées dans l'espace public. En Allemagne, donc, on autorise la "reproduction par la peinture, le dessin, la photographie ou le cinéma d'oeuvres situées de manière permanente dans l'espace public, la distribution et la communication publique de telles copies" ; exit tout droit patrimonial en cas de reproduction. En revanche, le droit moral ou droit de suite de l'oeuvre reste intact : hors de question, alors, d'accepter quelque déviance dans l'interprétation ou la représentation de l'oeuvre. En France, on veut bien s'inspirer du dialogue social allemand ou de sa fiscalité, mais l'art censure l'art sui generis ! Pour un artiste du courant nabiste, qui relevait de l'orphisme, de l'ésotérisme et de la théosophie, cela ne manque toutefois pas de piquant.

Articles L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle et 9 de la Convention de Berne en poche, on se plait à imaginer l'ADAGP, la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques, gestionnaire des droits patrimoniaux, se transformer en police de l'expression artistique, traquant non plus les seuls imagiers et autres photographes de cartes postales, mais tout amateur de photo, au book connecté, s'étant arrogé le droit sacrilège de détourner une oeuvre de Burren, de Botero ou un bronze de Dali, artistes conventionnels et adeptes de la censure s'il en était... On imagine le fructueux contentieux initié, en Absurdie, où les facétieux touristes faisant les marioles sur une sculpture originale perchée aux abords d'une autoroute ou sur un rond-point municipal, mais non moins fiers de les diffuser sur leur réseau social préféré, se réveilleraient avec l'âpreté d'une assignation en bonne et due forme... L'art peut être amoral voire immoral, mais les droits qui y sont attachés restent toutefois empreints d'une certaine religiosité...

Mardi, en Absurdie. Un ancien conseiller présidentiel était, lui, condamné à verser quelques 20 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et pour, rien de moins, que d'avoir enregistré à son insu l'ancien couple présidentiel dans ses fonctions... Où l'on voit que l'intrigue est moins risquée que l'érotisme dans un pays où les combinazione ont mieux réussi leur greffe italienne que l'art de la Renaissance...

Mercredi. On apprenait simplement que les juges mettaient les avocats sur écoute pour connaître de leurs petites affaires avec leurs clients. En Absurdie, royaume de la Démocratie, des droits et des libertés, le secret professionnel, le secret des correspondances de l'avocat sont une absurdité en soi. Le droit de la concurrence a fait sauter le verrou, alors autant entrer par la grande porte de la violation des droits de la défense et écouter les conversations de l'avocat de l'ancien Président, toujours lui... Et parce que le comble du ridicule ne tue pas, pourquoi ne pas, en Absurdie, perquisitionner les locaux de l'Ordre des avocats pour obtenir l'éventuelle preuve d'une collusion entre le Bâtonnier d'alors et l'avocat irrégulièrement écouté ? Il ne faudrait tout de même pas croire que la profession puisse serrer les rangs face à une atteinte à ses fondements et à son bien le plus précieux. Faut-il avoir les oreilles grandes et la vue courte pour penser échapper au courroux légitime des sentinelles des droits et libertés !

Jeudi, en Absurdie. Le tribunal correctionnel de Paris relaxait le directeur des sites Demanderjustice.com et Saisirprudhommes.com qui était poursuivi pour exercice illégal de la profession d'avocat, déboutant, ainsi, le conseil de l'Ordre de Paris et le Conseil national des barreaux. Les magistrats parisiens ont considéré que les sites en cause remplissaient la tâche qu'ils se fixaient, à savoir permettre à une personne de saisir une juridiction où le ministère d'avocat n'est pas obligatoire sans se déplacer et sans assistance ; une activité qui s'apparente pas, selon les juges, à un exercice illégal de la profession d'avocat. Parce que, bien entendu, fournir des modèles d'actes et les clés d'une procédure devant le tribunal d'instance ou le conseil des prud'hommes n'attente en rien au monopole judiciaire des avocats. CQFD ! Question de ressort et de champ de compétence : là où les avocats sont les plus utiles à la défense des justiciables, ils sont écartés et, bientôt, boutés hors du chemin par la foultitude de sites internet d'information ou de documentation qui s'y engouffreront, parce que de conseil et d'analyse il n'y en aurait point besoin. Mais, l'audit social et fiscal des entreprises et la gestion immobilière des baux commerciaux tombent, à coup sûr, dans le champ du périmètre du droit réservé et la compétence de l'auxiliaire de justice... Quand la cession de droits immobiliers revêt de celle des experts-comptables (cf. le projet de loi "ALUR")...

Et, l'on est que jeudi, en Absurdie....

newsid:441381

Éditorial

Voyage au bout de "l'Absurdie"

Lecture: 4 min

N1381BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441381
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Lundi. Le tribunal de grande instance de Paris condamnait un magazine à verser 100 000 (cent mille) euros de dommages et intérêts aux ayants droit d'Aristide Maillol, pour avoir osé publier une série de photographies, plutôt vertueuses au regard de "l'oeuvre" générale du photographe Terry Richardson, représentant le mannequin Laetitia Casta, vêtue mais dans des poses jugées suggestives sur La Montagne, Trois Nymphes, La Jeune Fille allongée et La Rivière et Flore, quatre des bronzes installés dans le jardin des Tuileries depuis 1964. Ces sculptures "représentent des femmes nues et donc sont empreintes d'une certaine sensualité", mais elles "ne présentent pas de caractère explicitement érotique ou sexuel, la position et l'expression des femmes sculptées étant empreintes de classicisme", livre le jugement. Et, les magistrats parisiens de se muer, quelque peu, en critiques d'art en distinguant sensualité et érotisme ! Où le nu devient sensuel et une position lascive jugée, elle, érotique. Cette condamnation, pour atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l'artiste décédé en 1944, n'a rien de bien originale, si ce n'est peut-être son montant au regard de la confidentialité du tirage et de la publication.

Pareille aventure judiciaire était arrivée, en 1990, à la Géode de la Cité des sciences et de l'industrie, oeuvre d'Adrien Fainsilber et à la Grande Arche de la Défense, oeuvre de Johann Otto von Spreckelsen. Une jurisprudence qui fait oeuvre du rigorisme et qui dénie toute "liberté de panorama" ou panoramafreiheit, exception germanique au droit d'auteur reconnu aux architectes et sculpteurs sur leurs oeuvres lorsqu'elles sont situées dans l'espace public. En Allemagne, donc, on autorise la "reproduction par la peinture, le dessin, la photographie ou le cinéma d'oeuvres situées de manière permanente dans l'espace public, la distribution et la communication publique de telles copies" ; exit tout droit patrimonial en cas de reproduction. En revanche, le droit moral ou droit de suite de l'oeuvre reste intact : hors de question, alors, d'accepter quelque déviance dans l'interprétation ou la représentation de l'oeuvre. En France, on veut bien s'inspirer du dialogue social allemand ou de sa fiscalité, mais l'art censure l'art sui generis ! Pour un artiste du courant nabiste, qui relevait de l'orphisme, de l'ésotérisme et de la théosophie, cela ne manque toutefois pas de piquant.

Articles L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle et 9 de la Convention de Berne en poche, on se plait à imaginer l'ADAGP, la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques, gestionnaire des droits patrimoniaux, se transformer en police de l'expression artistique, traquant non plus les seuls imagiers et autres photographes de cartes postales, mais tout amateur de photo, au book connecté, s'étant arrogé le droit sacrilège de détourner une oeuvre de Burren, de Botero ou un bronze de Dali, artistes conventionnels et adeptes de la censure s'il en était... On imagine le fructueux contentieux initié, en Absurdie, où les facétieux touristes faisant les marioles sur une sculpture originale perchée aux abords d'une autoroute ou sur un rond-point municipal, mais non moins fiers de les diffuser sur leur réseau social préféré, se réveilleraient avec l'âpreté d'une assignation en bonne et due forme... L'art peut être amoral voire immoral, mais les droits qui y sont attachés restent toutefois empreints d'une certaine religiosité...

Mardi, en Absurdie. Un ancien conseiller présidentiel était, lui, condamné à verser quelques 20 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et pour, rien de moins, que d'avoir enregistré à son insu l'ancien couple présidentiel dans ses fonctions... Où l'on voit que l'intrigue est moins risquée que l'érotisme dans un pays où les combinazione ont mieux réussi leur greffe italienne que l'art de la Renaissance...

Mercredi. On apprenait simplement que les juges mettaient les avocats sur écoute pour connaître de leurs petites affaires avec leurs clients. En Absurdie, royaume de la Démocratie, des droits et des libertés, le secret professionnel, le secret des correspondances de l'avocat sont une absurdité en soi. Le droit de la concurrence a fait sauter le verrou, alors autant entrer par la grande porte de la violation des droits de la défense et écouter les conversations de l'avocat de l'ancien Président, toujours lui... Et parce que le comble du ridicule ne tue pas, pourquoi ne pas, en Absurdie, perquisitionner les locaux de l'Ordre des avocats pour obtenir l'éventuelle preuve d'une collusion entre le Bâtonnier d'alors et l'avocat irrégulièrement écouté ? Il ne faudrait tout de même pas croire que la profession puisse serrer les rangs face à une atteinte à ses fondements et à son bien le plus précieux. Faut-il avoir les oreilles grandes et la vue courte pour penser échapper au courroux légitime des sentinelles des droits et libertés !

Jeudi, en Absurdie. Le tribunal correctionnel de Paris relaxait le directeur des sites Demanderjustice.com et Saisirprudhommes.com qui était poursuivi pour exercice illégal de la profession d'avocat, déboutant, ainsi, le conseil de l'Ordre de Paris et le Conseil national des barreaux. Les magistrats parisiens ont considéré que les sites en cause remplissaient la tâche qu'ils se fixaient, à savoir permettre à une personne de saisir une juridiction où le ministère d'avocat n'est pas obligatoire sans se déplacer et sans assistance ; une activité qui s'apparente pas, selon les juges, à un exercice illégal de la profession d'avocat. Parce que, bien entendu, fournir des modèles d'actes et les clés d'une procédure devant le tribunal d'instance ou le conseil des prud'hommes n'attente en rien au monopole judiciaire des avocats. CQFD ! Question de ressort et de champ de compétence : là où les avocats sont les plus utiles à la défense des justiciables, ils sont écartés et, bientôt, boutés hors du chemin par la foultitude de sites internet d'information ou de documentation qui s'y engouffreront, parce que de conseil et d'analyse il n'y en aurait point besoin. Mais, l'audit social et fiscal des entreprises et la gestion immobilière des baux commerciaux tombent, à coup sûr, dans le champ du périmètre du droit réservé et la compétence de l'auxiliaire de justice... Quand la cession de droits immobiliers revêt de celle des experts-comptables (cf. le projet de loi "ALUR")...

Et, l'on est que jeudi, en Absurdie....

newsid:441381

Actualité

[Textes] Formation professionnelle, emploi et démocratie sociale : représentativité syndicale et transparence financière

Réf. : Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale (N° Lexbase : L6066IZP)

Lecture: 32 min

N1279BUW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441279
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 20 Septembre 2014

Le 6 mars 2014, la loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie a été publiée au Journal officiel. Expurgé de ces dispositions relatives à l'inspection du travail, le texte tend à rénover le régime de la formation professionnelle. La loi crée, à partir du 1er janvier 2015, un compte personnel de formation, crédité chaque année à hauteur de 150 heures maximum sur 9 ans, qui assure un suivi de la vie professionnelle de chaque personne, même en cas de chômage, contrairement au droit individuel à la formation (DIF), auquel il se substitue. Tous les deux ans, un entretien professionnel devra avoir lieu afin d'étudier les perspectives d'évolution professionnelle des salariés et un conseil en évolution sera dispensé gratuitement. Le financement de la formation professionnelle est également réformé avec la suppression du principe de l'obligation de financement sur le plan de formation. Une contribution unique de 1 % de la masse salariale, versée par les entreprises de plus de dix salariés sera destinée à alimenter les fonds de la formation qui serviront en priorité aux demandeurs d'emploi, aux salariés les moins qualifiés et aux jeunes en alternance. Le volet "démocratie sociale" instaure des règles de détermination de la représentativité patronale, problématique omise par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Alors que la qualité représentative des organisations syndicales est appréciée à l'aune de leur audience électorale, les organisations professionnelles voient leur représentativité mesurée par un critère d'adhésion, à la lumière du nombre d'entreprise "affiliées" à l'organisation professionnelle. Pour les organisations patronales du "hors-champ", le législateur consacre, au côté d'une représentativité interprofessionnelle, une représentativité multi-professionnelle. Dans la droite ligne de la réforme du 20 août 2008, le législateur précise également certaines questions relatives à la négociation du protocole préélectoral, sur les périmètres de l'élection et de désignation, ou encore sur la fin des mandats syndicaux. S'agissant de la transparence financière, le législateur prévoit la mise en place d'un fonds paritaire destiné à remplacer les mécanismes actuels de financement du paritarisme et qui intégrera les ressources publiques accordées aux organisations pour garantir un niveau équivalent de ressources globales et un niveau égal de contribution financière des entreprises. Tirant les conséquences des conclusions rendues en 2012 par un groupe de travail DGT-partenaires sociaux, la loi met à la charge des comités d'entreprises des obligations en matière d'établissement des comptes, dont l'intensité, pouvant aller jusqu'à la certification, varie selon la taille du comité.

Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose cette semaine un numéro spécial consacré à cette réforme et, dans ce cadre, le Professeur Gilles Auzero revient sur la responsabilité syndicale et la transparence financière (Titre II, chapitres II, III et IV de la loi n° 2014-288).

I - Représentativité syndicale

Consacré à la "représentativité syndicale", le chapitre II du titre II de la loi du 5 mars 2014 procède à une série d'ajustements, décidés dans le cadre du premier bilan de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008. Ainsi qu'il a été souligné lors des travaux parlementaires, "la quasi-totalité des mesures proposées [...] font l'objet d'un consensus large parmi les partenaires sociaux au sein du Haut conseil du dialogue social (HCDS), à qui la loi de 2008 a confié la mission de dresser un bilan de cette réforme mais aussi de proposer des pistes en vue de son amélioration" (1). Apportant quelques nouveautés, la loi entérine surtout plusieurs interprétations prétoriennes de la loi de 2008. Elle remet aussi en cause certains apports jurisprudentiels. Les dispositions figurant dans ce chapitre de la loi concernent, d'une part, l'organisation des élections dans l'entreprise et, d'autre part, le droit syndical dans l'entreprise.

A - L'organisation des élections

Négociation de protocole d'accord préélectoral. Au tout début du processus électoral, l'employeur se doit d'inviter les organisations syndicales à la négociation du protocole d'accord électoral (2). Dans le cas d'un renouvellement des institutions représentatives du personnel, cette invitation devait, jusqu'à la loi commentée, être effectuée un mois avant l'expiration du mandat des représentants du personnel. Ce délai est désormais porté à deux mois, que ce soit pour les délégués du personnel ou les membres élus du comité d'entreprise. L'idée est de permettre aux organisations syndicales de mieux s'organiser dans la perspective des échéances électorales et d'éviter une carence lors de la négociation du protocole d'accord préélectoral, malheureusement trop souvent constatée en pratique.

Pour les mêmes raisons, mais venant cette fois combler une lacune de la loi dont la Cour de cassation avait dû s'accommoder (3), la loi ajoute un alinéa nouveau aux articles L. 2314-3 (N° Lexbase : L6589IZ3) et L. 2324-4 (N° Lexbase : L6590IZ4) qui dispose, en des termes en tous points identiques, que "L'invitation à négocier mentionnée au présent article doit parvenir au plus tard quinze jours avant la date de la première réunion de négociation".

Conditions de validité du protocole d'accord préélectoral. Depuis la promulgation de la loi du 20 août 2008, la validité du protocole d'accord préélectoral est subordonnée à une double condition de majorité. Mais certaines de ses stipulations sont soumises à l'exigence d'un accord unanime. Il en va notamment ainsi de la modification du nombre et de la composition des collèges électoraux (C. trav., art. L. 2314-10 N° Lexbase : L6609IZS et L. 2324-12 N° Lexbase : L6608IZR). Les textes n'étaient cependant pas toujours aussi clairs. Ainsi, s'agissant de la fixation des modalités d'organisation et de déroulement des opérations électorales, le Code du travail évoquait un "accord entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées" (C. trav., art. L. 2314-23 N° Lexbase : L6601IZI et L. 2324-21 N° Lexbase : L6603IZL). De cette formule, pouvait être déduite l'exigence d'un accord unanime. Telle ne semblait pas être la position retenue par la Cour de cassation qui avait décidé que "sauf disposition légale différente, les clauses du protocole préélectoral sont soumises aux conditions de validité définies par les articles L. 2314-3-1et L. 2324-4-1 du Code du travail" (4).

Reprenant à son compte cette jurisprudence, le législateur vient dissiper les doutes qu'elle avait pu laisser subsister. Outre que les articles L. 2314-3-1 et L. 2324-4-1 débutent désormais par la formule "sauf dispositions législatives contraires", les articles L. 2314-23 et L. 2324-21 comportent un renvoi exprès aux articles L. 2324-4-1 et L. 2324-4-1 et donc à la double condition de majorité.

Un même renvoi à la double condition de majorité, clairement érigé en règle de principe, figure dans d'autres textes, tels les articles L. 2314-12 (N° Lexbase : L6599IZG) et L. 2314-13 (N° Lexbase : L6600IZH) (5). Ce renvoi règle deux questions. D'une part celle de la qualification de l'accord, il s'agit d'un protocole préélectoral et non d'un accord collectif "ordinaire" et, d'autre part, celle de ses conditions de validité. Dans la même veine, la loi nouvelle vient ajouter un alinéa à l'article L. 2314-1 (N° Lexbase : L6604IZM) au terme duquel, le nombre de délégué du personnel "peut être augmenté par accord entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées, conclu selon les conditions de l'article L. 2324-4-1". Cette modification "aligne" l'article L. 2314-1 sur l'article L. 2324-1 qui avait, quant à lui, été modifié dans le même sens en 2008. Désormais, tant le nombre de membre du comité d'entreprise que celui de délégués du personnel ne peut être augmenté que par accord préélectoral, à l'exclusion des accords collectifs "ordinaires" (6).

Pour en revenir à la règle de l'unanimité, dont on a vu qu'elle est exceptionnelle, la loi vient, à bon escient, dissiper un malentendu. Les différents textes exigeant cette unanimité visaient "les organisations syndicales représentatives existant dans l'entreprise" (C. trav., art. L. 2314-10 N° Lexbase : L6609IZS, L. 2324-12 N° Lexbase : L6608IZR, L. 2314-22 N° Lexbase : L6607IZQ, L. 2324-20 N° Lexbase : L6606IZP). La loi supprime, dans ces textes, le renvoi à la notion d'organisations syndicales "existant" dans l'entreprise car, ainsi qu'il a été relevé lors des travaux parlementaires, "cette notion introduit une confusion, laissant entendre qu'une organisation syndicale représentative dans la branche ou au niveau interprofessionnel, présente dans l'entreprise mais sans y être représentative, pourrait bloquer la conclusion d'un accord modifiant le nombre et la composition des collèges électoraux ou le moment de la tenue de l'élection, pendant ou hors de la durée du temps de travail" (7).

Afin de dissiper une autre source de malentendu, la loi vient préciser que les organisations syndicales représentatives visées aux articles L. 2314-20 et L. 2324-18, sont les organisations bénéficiant de cette qualité "dans l'entreprise".

L'intervention de l'administration du travail. Lorsqu'un accord n'a pu être obtenu, la répartition du personnel dans les collèges électoraux et des sièges entre les différentes catégories de personnel incombe au Direccte (8), qui est également compétent pour reconnaître la qualité d'établissement distinct (9). Le renvoi fait par ces textes à l'absence d'accord pouvait être compris comme une référence à l'absence d'accord, soit faute de syndicats venus négocier, soit en raison de l'échec des négociations engagées. A notre connaissance, la Cour de cassation n'a, jusqu'à présent, pas été saisie de cette difficulté. Elle ne le sera pas plus à l'avenir, puisque le législateur vient modifier les textes en cause, réservant l'intervention de l'administration du travail à l'hypothèse où au moins une organisation syndicale a répondu à l'invitation à négocier de l'employeur.

Reste alors à déterminer les conséquences de l'absence de toute négociation. Les travaux parlementaires sont ici on ne peut plus clairs, confirmant ce que l'on pouvait pressentir : "en cas d'absence des organisations syndicales, qu'elle résulte de leur absence de l'entreprise ou d'un désintérêt de leur part, il appartiendra à l'employeur de procéder seul à la répartition du personnel et des sièges ou, en l'occurrence, à la fixation des établissements distincts" (10). On pourra s'émouvoir de la latitude qui est ainsi laissée à l'employeur. Il ne faut cependant pas oublier qu'elle n'est que la conséquence de la carence des syndicats (11).

Le législateur modifie également les articles évoquant la perte de la qualité d'établissement distinct (C. trav., art. L. 2314-31 N° Lexbase : L6593IZ9 et L. 2322-5 N° Lexbase : L6594IZA). Y est supprimée la référence à la "décision administrative". Cette modification est ainsi justifiée : "dès lors que l'autorité administrative est incompétente en cas de carence des organisations syndicales, la perte de la qualité d'établissement distinct ou la fixation des établissements distincts peuvent résulter d'une décision unilatérale de l'employeur : c'est pourquoi il n'est plus nécessaire de restreindre les conséquences de ces décisions au seul cas de l'intervention de l'administration". Cela ne convainc guère. A la différence de la reconnaissance des établissements distincts, le Code du travail ne donne aucune priorité à la norme collective pour décider de la perte de cette qualité. Si les textes évoquent un accord, c'est uniquement pour permettre aux représentants du personnel d'achever leur mandat. En d'autres termes, la perte de la qualité d'établissement distinct était de la seule compétence de l'autorité administrative qui, désormais, la perd.

C'est donc désormais, au vu des travaux parlementaires, l'employeur qui pourra en décider ainsi (12). Cela pourrait s'avérer problématique car, en décidant que tel site n'a plus la qualité d'établissement distinct, l'employeur pourrait écarter toute représentation du personnel dans ce périmètre. On peut néanmoins penser que le juge pourrait être appelé à exercer un contrôle sur cette décision, appliquant, en ce cas, les définitions de l'établissement distinct forgées par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat (13). Reste à savoir, aussi, si l'employeur pourrait écarter la qualification d'établissement distinct pour telle institution et non pour telle autre. Enfin, il faut se demander si l'employeur dispose de ce pouvoir lorsque la qualité d'établissement distinct a été reconnue par accord préélectoral. Si cela peut être admis, c'est à la condition que, dans un premier, temps l'employeur ait essayé de négocier avec les syndicats concernés. Il apparaît ainsi que le législateur n'a guère été inspiré en opérant la réforme ici étudiée, n'ayant pas perçu que la reconnaissance de la qualité d'établissement distinct et la perte de cette même qualité ne relevaient pas de la même logique.

En revanche, consacrant une opportune solution jurisprudentielle (14), la loi nouvelle prévoit, à bon escient, que la saisine de l'autorité administrative suspend le processus électoral jusqu'à la décision administrative et entraîne la prorogation des mandats des élus en cours jusqu'à la proclamation des résultats du scrutin. On pourra regretter que le législateur ne soit pas allé plus loin dans sa réflexion afin de régler d'autres difficultés, tenant par exemple à l'articulation du scrutin et d'un éventuel recours contre la décision du Direccte.

B - Le droit syndical dans l'entreprise

Audience électorale. La loi du 5 mars 2014 vient introduire un nouvel article L. 2122-3-1 (N° Lexbase : L6240IZ7) au sein du Code du travail. Celui-ci dispose que "lors du dépôt de la liste, le syndicat indique, le cas échéant, son affiliation à une organisation syndicale. A défaut d'indication, l'organisation syndicale ne recueille pas les suffrages exprimés en faveur du syndicat qui lui est affilié pour la mesure de l'audience prévue au 5° de l'article L. 2121-1" (15). Ainsi qu'il a été indiqué lors des travaux parlementaires, "il s'agit là d'inciter les syndicats à déclarer officiellement leur affiliation lors du dépôt des listes électorales dans le cadre des élections professionnelles au niveau de l'entreprise. Une telle 'incitation' est partie prenante du 'pacte de confiance' des syndicats de l'entreprise avec les salariés, mais elle permet également de fiabiliser le recueil de l'audience syndicale aux niveaux supérieurs" (16).

Cette réforme, qui procède d'une évidente exigence de loyauté vis-à-vis des électeurs, doit être approuvée. Un syndicat peut rester silencieux sur son affiliation confédérale, dont la Cour de cassation a justement retenu qu'elle constitue un élément essentiel du vote des électeurs (17). Mais en ce cas, les suffrages qu'il a obtenus ne peuvent être pris en compte pour apprécier la représentativité de l'organisation à laquelle il est affilié aux niveaux supérieurs à l'entreprise. L'article L. 2122-3-1, nouveau, n'est pas sans rappeler une décision de la Cour de cassation en date du 12 avril 2012, dans laquelle il avait été décidé que "l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs ; qu'il s'ensuit qu'une organisation syndicale ne peut revendiquer à son profit, au sein d'une entreprise, le score électoral obtenu par un syndicat qui lui est affilié qu'à la condition que cette affiliation ait été mentionnée sur les bulletins de vote au moyen desquels les électeurs ont exprimé leur choix ou ait été portée à leur connaissance certaine par le syndicat" (18).

Le texte de loi est, de notre point de vue, plus restrictif que la solution jurisprudentielle. Tandis que le premier interdit à l'organisation syndicale de recueillir les suffrages exprimés en faveur du syndicat qui lui est affilié pour la mesure de l'audience électorale, la seconde fait interdiction à l'organisation syndicale de revendiquer à son profit, au sein d'une entreprise, le score électoral obtenu par un syndicat qui lui est affilié. Il faut ici comprendre que l'organisation syndicale ne peut se prévaloir du score électoral du syndicat pour exercer, dans l'entreprise, des prérogatives liées à la représentativité (19). La loi s'en est tenue à une logique "ascendante", là où la jurisprudence se fonde sur une logique "descendante". Mais toutes deux sont fondées sur une exigence de loyauté et de transparence.

Le mandat de délégué syndical. Depuis 2008, un salarié ne peut être désigné en qualité de délégué syndical que s'il a obtenu, sur son nom, au moins 10 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles (C. trav., art. L. 2143-3, al. 1er N° Lexbase : L6612IZW) (20). La loi du 5 mars 2014 vient modifier ce texte afin de préciser que les salariés doivent avoir recueilli ce score électoral "à titre personnel et dans leur collège". S'agissant du caractère personnel, il était, de notre point de vue, évident. Pour ce qui est de l'appréciation du score de 10 % dans le seul collège au sein duquel les salariés ont présenté leur candidature, elle ne faisait guère de doute, même si, effectivement, le texte n'était pas des plus clairs. C'est, désormais, chose réglée.

L'alinéa 2ème de l'article L. 2143-3 avait posé de délicats problèmes d'interprétation. Rappelons que ce texte disposait que "s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement". Au fil de plusieurs arrêts, la Cour de cassation s'était efforcée de préciser le sens à donner à cette disposition (21). Cette jurisprudence est consacrée par la loi commentée qui ajoute, au début du texte précité, les mots suivants : "si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnés au premier alinéa ou". Il faut donc comprendre désormais que le syndicat peut confier un mandat de délégué syndical à n'importe lequel de ses candidats ou, à défaut, à l'un de ses adhérents, dès lors simplement qu'aucun de ses candidats n'a obtenu le score requis par la loi. Il reste à savoir si cela laissera subsister la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le mandat pouvait être donné à un salarié ayant obtenu, à titre personnel, 10 % des suffrages en s'étant présenté sur une autre liste syndicale (22). Compte tenu de la latitude nouvelle laissée par la loi aux syndicats, cette jurisprudence, critiquable en ce qu'elle revient à méconnaître la loyauté à l'égard des électeurs, pourrait être abandonnée.

Tirant toutes les conséquences du rôle conféré aux résultats aux élections professionnelles, tant du point de vue du syndicat mandant que du salarié désigné lui-même, la Cour de cassation a décidé que le mandat de délégué syndical prend fin de plein droit aux élections suivantes (23). Plus exactement, ce mandat est frappé de caducité ; caducité qui prend effet le jour du scrutin. Cette jurisprudence est, là encore, reprise à son compte par le législateur. Le 1er alinéa de l'article L. 2143-11 (N° Lexbase : L6613IZX) dispose désormais que "le mandat de délégué syndical prend fin au plus tard lors du premier tour des élections de l'institution représentative du personnel renouvelant l'institution dont l'élection avait permis de reconnaître la représentativité de l'organisation syndicale l'ayant désigné".

Périmètre de désignation du délégué syndical. Lorsqu'une entreprise est divisée en établissements distincts, les délégués syndicaux peuvent être désignés au niveau de ces établissements, à tout le moins s'ils occupent au moins cinquante salariés. Mais encore faut-il, dans un tout premier temps, que l'on soit effectivement en présence d'un établissement distinct. On se souvient que, dans un important arrêt en date du 24 avril 2003, la Cour de cassation a donné une définition de l'établissement distinct pour la mise en place des délégués syndicaux. Pour la Chambre sociale, "caractérise un établissement distinct permettant la désignation de délégués syndicaux, le regroupement sous la direction d'un représentant de l'employeur, d'au moins cinquante salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptible de générer des revendications communes et spécifiques, peu important que le représentant de l'employeur ait le pouvoir de se prononcer sur ces revendications" (24).

Cette construction jurisprudentielle a été remise en question par un arrêt postérieur, dans lequel la Cour de cassation est venue affirmer que "sauf accord collectif en disposant autrement, le périmètre de désignation des délégués syndicaux est le même que celui retenu, lors des dernières élections, pour la mise en place du comité d'entreprise ou d'établissement" (25). Unifiant les périmètres de mise en place du comité d'entreprise et des délégués syndicaux, cette solution avait pour effet mécanique de transférer à l'autorité administrative la compétence générale (26), en l'absence de protocole d'accord préélectoral valide déterminant le périmètre de mise en place des comités d'établissement.

Etant rappelé que le Conseil d'Etat accorde une importance certaine aux pouvoirs conférés au chef d'établissement lors de la détermination des établissements distincts, cette solution pouvait entraîner l'absence de délégués syndicaux dans des établissements ayant plus de cinquante salariés mais dotés d'un représentant de l'employeur aux pouvoirs amoindris. La loi du 5 mars 2014 remet en cause cette solution. Ainsi qu'il a été, en effet, observé à propos de celle-ci "le texte s'éloigne ici volontairement de la jurisprudence, afin de permettre la désignation d'un délégué syndical sur un périmètre différent de celui sur lequel est organisée l'élection sur laquelle se fonde la mesure de l'audience, pour permettre, comme l'indique l'étude d'impact, une désignation du délégué syndical au plus près du salarié" (27).

La loi commentée vient ajouter un alinéa à l'article L. 2143-3 du Code du travail, disposant que la désignation du délégué syndical "peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques".

Ce texte n'est pas sans susciter d'importants problèmes d'interprétation. Si la loi reprend la définition de l'établissement distinct établie en 2003, elle oublie la précision relative à l'étendue des pouvoirs du chef d'établissement ou, plus exactement, à son absence d'effets. Partant, la Cour de cassation pourrait être tentée de considérer que le représentant de l'employeur visé au dernier alinéa de l'article L. 2143-3 doit avoir certains pouvoirs, à l'instar de ce que décide le Conseil d'Etat pour la mise en place des comités d'établissement. Ce faisant, la solution retenue dans l'arrêt du 18 mai 2011 serait, dans une large mesure, maintenue. Il peut cependant être avancé que là où la loi n'a pas distingué, il n'y a pas lieu de le faire. Or, il faut le redire, l'article L. 2143-3, alinéa 4, nouveau, exige simplement la présence d'un représentant de l'employeur. Il convient également de rappeler qu'il ressort clairement des travaux parlementaires que le législateur a souhaité prendre ses distances avec cette jurisprudence.

A dire vrai, ces travaux ne sont pas exempts, sinon d'erreurs, du moins de confusions. Ainsi, il est affirmé que "l'objectif est bien d'ouvrir la possibilité de désigner des délégués syndicaux au niveau de mise en place des délégués du personnel, c'est-à-dire au plus près du terrain" (28). C'est aller là un peu vite en besogne. Pour désigner des délégués syndicaux au niveau d'un établissement distinct, serait-il différent de celui retenu pour la mise en place d'un comité d'établissement, encore faut-il qu'il atteigne le seuil requis de cinquante salariés. Or, faut-il le rappeler, les délégués du personnel sont élus à partir de onze salariés !

On nous explique aussi que "s'agissant des conséquences de cette modification sur la prise en compte des résultats des élections et donc, principalement, de la négociation collective, dès lors qu'on se trouvera sur un périmètre qui comprend à la fois un comité d'entreprise et des délégués du personnel, le niveau de mesure de la représentativité (au niveau du comité d'entreprise) sera distingué du périmètre de la négociation collective (établissement dans lequel un délégué syndical peut être désigné). Les élections prises en compte pour déterminer la validité de l'accord signé au niveau de l'établissement avec des délégués du personnel et un délégué syndical désigné à ce niveau, sera celui qu'a obtenu le syndicat aux élections du comité d'entreprise, et non le poids obtenu au regard des élections des délégués du personnel. Cette modification n'a donc pas pour conséquence de multiplier les négociations obligatoires pour les employeurs car celles-ci sont déclenchées par la présence d'un délégué syndical au niveau de l'entreprise" (29). Tout cela est, pour le moins confus. A nouveau, on a la nette impression que n'a pas été prise en compte l'exigence légale relative au seuil d'effectif. A, semble-t-il, été aussi omise la situation dans laquelle l'établissement comporte à la fois des délégués syndicaux et un comité d'établissement. Enfin, avant de poser la question de la validité des accords collectifs, il aurait fallu se demander comment on apprécie la représentativité du syndicat mandant. Doit-on prendre en compte les élections au comité d'entreprise ? Au comité d'établissement ? Des délégués du personnel ?

On le constate, la réforme apportée, sous couvert de remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation et, il faut le dire, de donner satisfaction aux organisations syndicales de salariés pose beaucoup plus de questions qu'elle n'en résout.

Condition de désignation du représentant syndical au comité d'entreprise. Consécutivement à l'adoption de la loi du 20 août 2008, qui avait modifié l'article L. 2324-2 du Code du travail, dans les entreprises de plus de trois cents salariés, seuls les syndicats ayant eu des élus au comité d'entreprise pouvaient y désigner un représentant syndical. Par suite, un syndicat "simplement" représentatif mais n'ayant pas au moins deux élus était privé de cette prérogative. La loi du 5 mars 2014 abandonne cette exigence, rétablissant le droit antérieur à la réforme du 20 août 2008. Désormais, dans les entreprises de plus de trois cents salariés, peut désigner un représentant syndical au comité d'entreprise, le syndicat représentatif dans l'entreprise ou l'établissement (C. trav., art. L. 2324-2 N° Lexbase : L6614IZY).

Recevabilité des candidatures au scrutin des TPE. Modifiant l'article L. 2122-10-6 du Code du travail (N° Lexbase : L6615IZZ), la loi du 5 mars 2014 vient soumettre au critère de la transparence financière la recevabilité des candidatures au scrutin des TPE. Antérieurement, était seulement exigé le respect des valeurs républicaines et de l'indépendance.

II - Financement des organisations syndicales et patronales

Objet de nombreux phantasmes, mais aussi au coeur d'affaires politico-judiciaires plus ou moins reluisantes, le financement des organisations syndicales et patronales manquait, jusqu'à la loi du 5 mars 2014, d'un encadrement légal de nature à en assurer la nécessaire transparence.

Jusqu'à cette date, les organisations patronales et syndicales étaient financées par trois catégories de ressources (30) :

- leurs ressources propres, principalement constituées par les cotisations versées par les adhérents ;

- les ressources issues du "paritarisme" ;

- les ressources issues de subventions publiques.

A cela, peuvent être ajoutées d'autres sources de financement plus ponctuelles. Ainsi, et pour ne prendre que cet exemple, dans le sillage du fameux "chèque syndical" créé au sein de la société AXA au début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, un certain nombre d'entreprises ont accepté, selon diverses modalités et conditions, de financer leurs syndicats.

La loi du 20 août 2008 a érigé la "transparence financière" en critère de la représentativité syndicale (C. trav., art. L. 2121-1, 3° N° Lexbase : L3727IBN), imposant certaines obligations aux organisations syndicales en termes comptable. Cette loi a été par la suite modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), qui a allégé ces obligations pour les plus petites d'entre elles.

L'article L. 2135-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3080IQ7) soumet, depuis cette date, les organisations syndicales et professionnelles aux obligations comptables de droit commun prévues à l'article L. 123-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L5570AI7), c'est-à-dire aux obligations de :

- procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant leur patrimoine, ces mouvements étant enregistrés chronologiquement ;

- contrôler, par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs de leur patrimoine ;

- et établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.

Les organisations ne dépassant pas le seuil de 230 000 euros de ressources annuelles, peuvent adopter une présentation simplifiée de leurs comptes, avec la possibilité de n'enregistrer leurs créances et leurs dettes qu'à la clôture de l'exercice. Les organisations dont les ressources annuelles sont inférieures à 2 000 euros sont, quant à elles, simplement tenu d'établir un livre enregistrant chronologiquement l'ensemble des mouvements de leur patrimoine.

Ainsi qu'il a été relevé lors des travaux parlementaires, "si l'obligation de transparence financière des comptes des organisations syndicales et patronales a permis d'améliorer la lisibilité de leur financement, des sources de confusion et d'opacité demeurent, qui nuisent grandement aux organisations elles-mêmes. En effet, les financements issus du paritarisme obéissent à des règles aussi diverses qu'il existe d'organismes gérés paritairement, et les fondements juridiques de ces financements sont souvent fragiles, relevant parfois davantage de l'usage que d'une règle solidement établie". La loi nouvelle entend remédier à ces difficultés par la création d'un fonds paritaire ad hoc.

Mise en place du fonds paritaire. L'article L. 2135-9, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L6241IZ8) prévoit la création d'un "fonds paritaire, chargé d'une mission de service public, apportant une contribution au financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs, au titre de leur participation à la conception, à la mise en oeuvre, à l'évaluation ou au suivi d'activités concourant au développement et à l'exercice des missions définies à l'article L. 2135-11".

Le législateur a pris le parti de s'en remettre très largement à l'autonomie et à la responsabilité des partenaires sociaux, en leur confiant la gestion de ce fonds (31). En amont, celui-ci est créé par un accord national et interprofessionnel, qui doit toutefois être soumis à l'agrément du ministre chargé du Travail. Ce n'est qu'à défaut d'accord ou d'agrément de celui-ci que les modalités de création du fonds et ses conditions d'organisation et de fonctionnement seront définies par décret.

Les partenaires sociaux ne devront guère tarder à entrer en négociation puisque la loi prévoit que le fonds doit être opérationnel au 1er janvier 2015. Celui-ci n'aura d'autre fonction que d'être un outil de centralisation et de redistribution des ressources qui lui sont affectées, à destination des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs. Il n'a donc pas vocation à assurer lui-même une quelconque autre mission que celle du financement des syndicats.

Les ressources du fond. L'article L. 2135-10, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L6252IZL) énumère l'ensemble des ressources affectées au fonds, qui sont au nombre de quatre. Est, en premier lieu, prévue une contribution des employeurs de droit privé, assise sur la masse salariale. Son taux doit être fixé par un accord national interprofessionnel agréé par le ministre chargé du Travail. A défaut d'un tel accord ou à défaut de son agrément par le ministre, ce taux doit être fixé par décret. En tout état de cause, le texte prévoit qu'il ne peut être inférieur à 0,014 % de la masse salariale, ni supérieur à 0,02 %.

Cette contribution des employeurs a vocation à se substituer aux deux ressources actuelles suivantes (32) :

- les sommes issues du FONGEFOR et des "préciputs" versés par les OPCA ;

- le financement, par les entreprises, du congé de formation économique et sociale syndicale des salariés, prévu à l'article L. 3142-8 (N° Lexbase : L6250ISB) (33), plus connu sous le nom de "0,08", dans la mesure où ce financement est aujourd'hui assuré dans la limite d'un plafond de 0,08 des salaires versés dans l'année.

Le fonds peut, en deuxième lieu, être alimenté, le cas échéant, par une participation volontaire d'organismes à vocation nationale dont le champ d'intervention dépasse le cadre d'une ou de plusieurs branches professionnelles, gérés majoritairement par les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs. La liste de ces organismes est fixée par l'ANI créant le fonds. Lorsque le conseil d'administration de ces organismes a décidé le versement d'une participation au fonds paritaire, interdiction leur est faite d'assurer aucun financement direct ou indirect des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs. Cette exigence s'applique sous la seule réserve de la possibilité de rembourser, sur présentation de justificatifs, les frais de déplacement, de séjour et de restauration engagés par les personnes qui siègent au sein des organes de direction de tels organismes (C. trav., art. L. 2135-17 N° Lexbase : L6248IZG).

En troisième lieu, le fonds paritaire est financé par une subvention de l'Etat. Celle-ci a vocation à recouvrir les financements actuels de l'Etat de la formation économique, sociale et syndicale des salariés appelés à exercer des fonctions syndicales, prévue à l'article L. 2145-3 (N° Lexbase : L2225H9B), et destinée aux centres rattachés aux organisations syndicales. Ce dernier est en conséquence modifié par la loi.

En quatrième, et dernier lieu, le financement du fonds est assuré par "le cas échéant, toute autre ressource prévue par des dispositions législatives ou réglementaires, par accord conclu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ou par accord de branche étendu".

Les dépenses du fonds. Les ressources du fonds ne sauraient être affectées selon le bon vouloir de ceux qui le gèrent. L'article L. 2135-11, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L6242IZ9) énumère au contraire précisément les activités pouvant être financées. Elles sont au nombre de quatre et relèvent toutes, selon la loi, de missions d'intérêt général. Il s'agit de :

- la conception, la gestion, l'animation et l'évaluation des politiques menées paritairement et dans le cadre des organismes gérés majoritairement par les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs, au moyen de la contribution mentionnée au 1° du I de l'article L. 2135-10 (N° Lexbase : L6252IZL) et, le cas échéant, des participations volontaires versées en application du 2° du même I ;

- la participation des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs à la conception, à la mise en oeuvre et au suivi des politiques publiques relevant de la compétence de l'Etat, notamment par la négociation, la consultation et la concertation, au moyen de la subvention mentionnée au 3° dudit I ;

- la formation économique, sociale et syndicale des salariés appelés à exercer des fonctions syndicales ou des adhérents à une organisation syndicale de salariés amenés à intervenir en faveur des salariés, définie aux articles L. 2145-1 (N° Lexbase : L2221H97) et L. 2145-2 (N° Lexbase : L6616IZ3), notamment l'indemnisation des salariés bénéficiant de congés de formation, l'animation des activités des salariés exerçant des fonctions syndicales ainsi que leur information au titre des politiques mentionnées aux 1° et 2° du présent article, au moyen de la contribution prévue au 1° du I de l'article L. 2135-10 et de la subvention prévue au 3° du même I ;

- toute autre mission d'intérêt général à l'appui de laquelle sont prévues d'autres ressources sur le fondement du 4° dudit I.

Bénéficiaires du fonds paritaire et répartition des crédits. L'article L. 2135-12, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L6243IZA) détermine les catégories d'organisations bénéficiaires des crédits du fonds paritaire, qui varient en fonction de leur éligibilité à chaque catégorie de dépenses du fonds. Quant au nouvel article L. 2135-13 (N° Lexbase : L6244IZB), il fixe les modalités de répartition des crédits du fonds au titre de chaque catégorie de dépenses qu'il est amené à financer.

A titre d'exemple, en application du 1° de l'article L. 2135-12, nouveau, bénéficient des crédits du fonds paritaire, au titre de l'exercice de la mission mentionnée au 1° de l'article L. 2135-11 (N° Lexbase : L6243IZA), les organisations de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, leurs organisations territoriales, les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et multi-professionnel ainsi que celles qui sont représentatives au niveau de la branche. Au titre de cette mission, le fonds paritaire répartit ses crédits à parité entre les organisations syndicales de salariés, d'une part, et les organisations professionnelles d'employeurs, d'autre part, au niveau national et au niveau de la branche. Les modalités de répartition des crédits entre organisations syndicales de salariés, d'une part, et entre organisations professionnelles d'employeurs, d'autre part, sont déterminées, par voie réglementaire, de façon uniforme pour les organisations syndicales de salariés et en fonction de l'audience ou du nombre des mandats paritaires exercés pour les organisations professionnelles d'employeurs (C. trav., art. L. 2135-13, 1°).

Utilisation des crédits. L'article L. 2135-16, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L6247IZE) impose aux organisations syndicales et patronales bénéficiant de financements du fonds paritaire d'établir un rapport annuel écrit détaillant l'utilisation qui a été faite des crédits perçus. Ce rapport est rendu public et transmis au fonds dans les six mois suivant la fin de l'exercice sur lequel porte le rapport.

En l'absence de transmission du rapport dans le délai précité, ou lorsque les justifications des dépenses engagées sont insuffisantes, le fonds, peut, après mis en demeure de l'organisation concernée de se conformer à ses obligations, non suivie d'effet dans le délai que la mise en demeure impartit et qui ne peut être inférieur à quinze jours, suspendre l'attribution du financement à l'organisation en cause ou en réduire le montant.

Avant le 1er octobre de chaque année, le fonds remet au Gouvernement et au Parlement un rapport sur l'utilisation de ses crédits. Ce rapport est publié.

III - Transparence des comptes des comités d'entreprise

Si tous les comités d'entreprise ne sauraient être logés à la même enseigne, on a vu, ces dernières années, se multiplier les affaires mettant en cause la gestion pour le moins contestable de leurs budgets, opérés par certains comités d'entreprise parfois très richement dotés (34). Une réforme assurant la transparence des comptes de ces institutions représentatives du personnel était donc attendue et espérée.

Pour autant, le Code du travail n'était pas complètement muet en la matière. L'article R. 2323-37 du Code du travail (N° Lexbase : L0292IA3) impose ainsi au comité, à la fin de chaque année, de faire un compte rendu détaillé de sa gestion financière. Ce compte rendu, porté à la connaissance des salariés par voie d'affichage sur les tableaux réservés aux communications syndicales, doit indiquer, notamment :

- le montant des ressources du comité ;

- le montant des dépenses soit pour son propre fonctionnement, soit pour celui des activités sociales et culturelles dépendant de lui ou des comités interentreprises auxquels il participe. Chacune des institutions sociales fait l'objet d'un budget particulier.

En application du dernier alinéa de l'article R. 2323-37, le bilan établi par le comité d'entreprise est approuvé par le commissaire aux comptes mentionné à l'article L. 2323-8 (N° Lexbase : L2739H9C). On comprend ici que le commissaire aux comptes qui "approuve" le bilan du comité d'entreprise est le commissaire aux comptes de l'entreprise, situation qui peut être porteuse de conflit d'intérêts (35).

De façon plus générale, ce seul texte était, à l'évidence, insuffisant à assurer une véritable transparence des comptes des comités d'entreprise. Après la saisine du ministre chargé du Travail par quatre syndicats le 7 février 2011 sur la problématique de la transparence financière des comités d'entreprise, le Gouvernement a décidé en décembre 2011 la mise en place d'un groupe de travail quadripartite présidé par le directeur général du travail, composé des représentants des partenaires sociaux (l'ensemble des organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel, ainsi que la FNSEA et l'UNAPL), de la Chancellerie et du ministère de l'économie. Ses conclusions, rendues au début de l'année 2013 et qui rejoignent largement celles formulées par la Cour des comptes, sont fidèlement retranscrites par la loi sous examen. En outre, les travaux menés par le groupe de travail technique sous la houlette de l'Autorité des normes comptables (ANC) ont permis de dessiner les principaux axes des futurs règlements de l'ANC sur les comptes des comités d'entreprise (36).

A - Gradation dans les exigences légales

Principe. En application de l'article L. 2325-45, nouveau, du Code du travail (N° Lexbase : L6262IZX), le comité d'entreprise est désormais soumis aux obligations comptables définies à l'article L. 123-12 du Code de commerce (37). Ce texte, applicable à tous les commerçants, pose, nous l'avons rappelé précédemment à propos des syndicats, trois obligations.

Si le principe de la transparence financière des comptes s'applique à tous les comités d'entreprise, la loi adapte les exigences prescrites en fonction de la taille du comité d'entreprise (38).

Distinctions. Les comités d'entreprise dont les ressources annuelles n'excèdent pas un seuil fixé par décret (39) peut s'acquitter de ses obligations comptables en tenant un livre retraçant chronologiquement les montants et l'origine des dépenses qu'il réalise et des recettes qu'il perçoit et en établissant, une fois par an, un état de synthèse simplifié portant sur des informations complémentaires relatives à son patrimoine et à ses engagements en cours. Le contenu et les modalités de présentation de cet état sont définis par un règlement de l'Autorité des normes comptables (C. trav., art. L. 2325-46, nouv. N° Lexbase : L6263IZY).

Pour les comités dont les ressources annuelles dépassent le seuil précité, mais dont le nombre de salariés, les ressources annuelles et le total du bilan n'excèdent pas, à la clôture d'un exercice, pour au moins deux de ces trois critères (40), des seuils fixés par un décret peut adopter une présentation simplifiée de ses comptes, selon des modalités fixées par un règlement de l'Autorité des normes comptables, et n'enregistrer ses créances et ses dettes qu'à la clôture de l'exercice (C. trav., art. L. 2325-45, I, nouv.).

On aura donc compris que seuls les comités remplissant au moins deux des trois critères déjà évoquées sont tenus d'appliquer une comptabilité de droit commun (41).

Obligations. Le comité d'entreprise fournit des informations sur les "transactions significatives" (42) qu'il a effectuées. Ces informations sont fournies, selon les distinctions évoquées précédemment, dans l'annexe à ses comptes, s'il s'agit d'un comité d'entreprise relevant de l'article L. 2325-45, ou dans le rapport mentionné à l'article L. 2325-50, s'il s'agit d'un comité d'entreprise relevant de l'article L. 2325-46 (C. trav., art. L. 2325-47, nouv. N° Lexbase : L6264IZZ).

Lorsque, pour la gestion des activités sociales et culturelles, un comité d'entreprise contrôle une ou plusieurs entités telles des associations ou des sociétés civiles immobilières, il se doit d'établir des comptes consolidés (C. trav., art. L. 2325-48, nouv. N° Lexbase : L6270IZA).

B - Etablissement des comptes

Les comptes annuels du comité d'entreprise sont arrêtés, selon des modalités prévues par son règlement intérieur, par des membres élus du comité d'entreprise désignés par lui au sein de ses membres élus (C. trav., art. L. 2325-49, nouv., al. 1er N° Lexbase : L6265IZ3). Excluant toute participation de l'employeur ou des représentants syndicaux au comité à l'établissement des comptes, ce texte impose, indirectement, l'établissement d'un règlement intérieur.

Les documents ainsi arrêtés sont mis à disposition, le cas échéant, du ou des commissaires aux comptes (v. infra). Ils sont approuvés par les membres élus du comité réunis en assemblée plénière. La réunion au cours de laquelle les comptes sont approuvés porte sur ce seul sujet. Elle fait l'objet d'un procès-verbal spécifique.

C - Etablissement d'un rapport annuel

Le comité d'entreprise établit, selon des modalités prévues par son règlement intérieur, un rapport présentant des informations qualitatives sur ses activités et sur sa gestion financière, de nature à éclairer l'analyse des comptes par les membres élus du comité et les salariés de l'entreprise. Le contenu de ce rapport est déterminé par décret en fonction des obligations pesant sur le comité. Il est présenté aux membres élus du comité lors de la réunion en séance plénière au cours de laquelle sont approuvés les comptes.

Le trésorier du comité d'entreprise ou, le cas échéant, le commissaire aux comptes présente un rapport sur les conventions passées, directement, indirectement ou par personne interposée entre le comité d'entreprise et l'un de ses membres. Ce rapport est présenté aux membres élus du comité d'entreprise lors de la réunion en séance plénière.

Les documents comptables arrêtés par le comité, accompagnés du rapport, doivent être portés, par tout moyen, à la connaissance des salariés de l'entreprise.

D - Commissaire aux comptes

Lorsque le comité d'entreprise dépasse, pour au moins deux des trois critères mentionnés à l'article L. 2325-45, des seuils fixés par décret, il est tenu de nommer au moins un commissaire aux comptes et un suppléant, distincts de ceux de l'entreprise. Lorsque le comité établit des comptes consolidés, ce sont deux commissaires aux comptes qui doivent être nommés. Le coût de la certification des comptes est pris en charge par le comité d'entreprise sur sa subvention de fonctionnement (C. trav., art. L. 2325-54, nouv. N° Lexbase : L6271IZB).

L'intervention d'un commissaire aux comptes, alors même qu'elle est limitée aux "grands" comité d'entreprise est de nature à garantir véritablement la transparence des comptes. Cela est d'autant plus vrai que le commissaire aux comptes se voit doter en la matière d'un droit d'alerte spécifique qui, de façon très classique, est organisé en plusieurs étapes (C. trav., art. L. 2325-55, nouv. N° Lexbase : L6272IZC).

E - Création d'une commission des marchés

Dans les comités d'entreprises dépassant deux des trois seuils prévus à l'article L. 2325-45, le renforcement de l'exigence de transparence financière conduit la loi à imposer la mise en place, au sein du comité d'entreprise, d'une commission des marchés.

Le nouvel article L. 2325-34-3 (N° Lexbase : L6278IZK) précise que les membres de la commission des marchés sont désignés par le comité d'entreprise parmi ses membres titulaires. En outre, le règlement intérieur du comité d'entreprise fixe les modalités de fonctionnement de la commission, le nombre de ses membres, les modalités de leur désignation et la durée de leur mandat.

Les nouveaux articles L. 2325-34-2 (N° Lexbase : L6277IZI) et L. 2325-34-4 (N° Lexbase : L6279IZL) détaillent le rôle de la commission des marchés au regard de la politique menée par le comité d'entreprise en la matière. Ainsi, la commission des marchés est-elle chargée de :

- proposer au comité d'entreprise les critères de choix des fournisseurs et prestataires et la procédure des achats de fournitures, de services et de travaux ;

- choisir les fournisseurs et les prestataires, en rendant compte annuellement au comité d'entreprise de ses choix ;

- établir un rapport d'activité annuel, joint en annexe au rapport annuel de gestion du comité d'entreprise.

F - Comité central d'entreprise et comités d'établissement

La loi nouvelle vient imposer au comité central d'entreprise l'obligation d'établir un règlement intérieur déterminant "les modalités de son fonctionnement et de ses rapports avec les salariés de l'entreprise pour l'exercice des missions qui lui sont conférées" par la loi (C. trav., art. L. 2327-12-1, nouv. N° Lexbase : L6261IZW). Ce texte reprend, mot pour mot, les dispositions de l'article L. 2325-2 applicable au comité d'entreprise.

Le comité central d'entreprise se voit par ailleurs soumis, en bonne logique, aux mêmes obligations de transparence financière que les comités d'entreprise, dans des conditions qui seront déterminées par décret (C. trav., art. L. 2327-14-1 N° Lexbase : L6280IZM).

Enfin, la loi ajoute un nouvel alinéa à l'article L. 2327-16 du Code du travail (N° Lexbase : L6953IZK). En application de ce dernier, "en cas de transfert au comité central d'entreprise de la gestion d'activités sociales et culturelles en application du présent article, ce transfert fait l'objet d'une convention entre les comités d'établissement et le comité central d'entreprise. Cette convention comporte des clauses conformes à des clauses types déterminées par décret". Il s'agit, par cette exigence, "de garantir les conditions de la transparence financière, autrement dit, de déterminer précisément à quel niveau (établissement ou entreprise) les ressources et les dépenses relatives aux activités sociales et culturelles doivent être prises en compte" (44).

L'ensemble des obligations qui vient d'être évoqué s'applique pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015, à l'exception des articles L. 2325-48, L. 2325-5 et L. 2325-55 qui, dans leur rédaction résultant de la loi commentée, s'appliquent pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016.


(1) J.-P. Gille, rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.
(2) C. trav., art. L. 2314-3 (N° Lexbase : L6589IZ3), pour les délégués du personnel et L. 2324-4 (N° Lexbase : L6590IZ4), pour le comité d'entreprise.
(3) Dans un arrêt en date du 25 janvier 2012, la Cour de cassation avait décidé que l'article L. 2314-3 ne fixant aucun délai entre l'invitation qui doit être adressée aux organisations syndicales et la date de réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral, cette invitation doit être effectuée en temps utile : Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 11-60.093 (N° Lexbase : A4294IBN), Bull. civ. V, n° 25.
(4) Cass. soc., 6 octobre 2011, n° 11-60.035 (N° Lexbase : A6121HYD) et nos obs., Validité du protocole d'accord préélectoral : la Cour de cassation fait preuve de souplesse Lexbase Hebdo n° 458 du 20 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8226BSH). On admettra que le motif de principe de l'arrêt ne dissipait pas tous les doutes, puisqu'il pouvait être considéré que les articles L. 2314-23 et L. 2324-21 comptaient parmi les "dispositions légales différentes". L'arrêt pris dans son ensemble était en revanche plus éclairant.
(5) V. aussi l'art. L. 2324-7.
(6) Alors même que ces derniers, on le sait, peuvent améliorer, de façon générale, les dispositions légales. Mais la règle spéciale doit prévaloir sur la règle générale.
(7) On avouera, pour notre part, n'avoir jamais douté qu'étaient seules concernées les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, le terme "existant" constituant une scorie de la présomption de représentativité.
(8) C. trav., art. L. 2314-11 (N° Lexbase : L6592IZ8) et L. 2324-13 (N° Lexbase : L6595IZB).
(9) C. trav., art. L. 2314-31 (N° Lexbase : L6593IZ9) et L. 2322-5 (N° Lexbase : L6594IZA).
(10) J.-P. Gille, Rapp. préc..
(11) Dont on admettra qu'elle est souvent due, spécialement, dans les petites structures à l'absence de négociateurs, y compris extérieurs à l'entreprise, consécutivement à la raréfaction des militants.
(12) La réforme laisse dans l'ombre la situation des établissements distincts pour la mise en place des délégués syndicaux. Il est vrai qu'il n'y a pas pour eux, dans le Code du travail, l'équivalent des articles L. 2314-31 et L. 2322-5.
(13) C'est le juge judiciaire ou le juge administratif qui sera compétent en fonction de l'institution représentative du personnel en cause.
(14) Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-60.231, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4337ITS), Dr. soc., 2012, p. 1048, étude C. Landais.
(15) Ce texte ne sera applicable qu'à compter du 1er janvier 2015.
(16) J.-P. Gille, Rapp. préc..
(17) Cass. soc., 18 mai 2011, 5 arrêts, n° 10-21.705, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2902HRW), n° 10-60.069, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2903HRX), n° 10-60.300, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2906HR3), n° 10-60.264, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2904HRY) et n° 10-60.273, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2905HRZ) et nos obs., Des conséquences de "la désaffiliation-affiliation" d'un syndicat postérieurement à la loi du 20 août 2008 Lexbase Hebdo n° 442 du 2 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3039BSD).
(18) Cass. soc., 12 avril 2012, n° 11-22.290, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5828IIP) et n° 11-22.291, FS-P+B (N° Lexbase : A5926IIC) ; Dr. soc., 2012, p. 641, note F. Petit.
(19) Par exemple, la désignation d'un délégué syndical.
(20) Pour plus de précisions sur cette exigence, v. G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 28ème éd., 2014, n° 1060.
(21) Sur cette jurisprudence, v. G. Auzero et E. Dockès, op. et loc. cit..
(22) Cass. soc., 17 avril 2013, n° 12-22.699, publié (N° Lexbase : A3977KCB).
(23) Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-60.435, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2357GAK), JCP éd. S, 2010, 1500, note B. Gauriau ; Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-25.429, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8957IBD), Dr. soc., 2012, p. 372, étude F. Petit.
(24) Cass. soc., 24 avril 2003, n° 01-60.876 (N° Lexbase : A6796BMN), Dr. soc., 2003, p. 780, obs. J. Savatier.
(25) Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.383 (N° Lexbase : A2617HSQ), Bull. civ. V, n° 141.
(26) On sait en effet que la détermination des établissements distincts pour la mise en place des comités d'établissement relève de la compétence du l'autorité et du juge administratifs.
(27) J.-P. Gille, rapp. préc..
(28) J.-P. Gille, Rapp. préc..
(29) J-P. Gille, ibid..
(30) Pour une description précise de ces sources de financement, chiffres à l'appui, on se reportera avec profit au rapport précité de M. J.-P. Gille.
(31) L'article L. 2135-15, nouveau, organise la gestion du fonds, assurée par une association paritaire, administrée par un conseil d'administration composé de représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel. Le ministre du travail désigne un commissaire du Gouvernement auprès de l'association paritaire. Ce dernier assure une mission de contrôle et dispose d'un droit d'opposition lorsqu'il estime qu'une décision ou délibération concernant l'utilisation de la subvention de l'Etat n'est pas conforme à la destination de la contribution.
(32) V. en ce sens le rapp. préc. de J.-P. Gille.
(33) Texte abrogé par la loi qui, par ailleurs, modifie l'article L. 3142-9 (N° Lexbase : L6618IZ7) afin de prévoir que la durée de chaque congé ne peut être inférieure à une demi-journée et non plus à "deux jours".
(34) V., à cet égard, les exemples relatés par M. J.-P. Gille dans son rapport précité.
(35) V. en ce sens le rapp. préc. de J.-P. Gille.
(36) J-P. Gille, rapp. préc..
(37) Les comptes annuels du comité sont établis selon les modalités définies par un règlement de l'Autorité des normes comptables.
(38) Ainsi que le relève M. Gille dans son rapport, "comme le rappelle l'étude d'impact associée au présent projet de loi, plus de 90 % des comités d'entreprise existants ont moins de 100 000 euros de ressources annuelles. Le nombre des élus au comité reste faible dans les structures petites et moyennes : en effet, dans une entreprise de 50 salariés, le comité d'entreprise n'est composé que de trois titulaires et trois suppléants ; dans une entreprise de 300 salariés, le comité ne dispose que de cinq titulaires et cinq suppléants. Dans la mesure où seuls les élus titulaires disposent d'un crédit d'heures, il est clair que l'assujettissement à des règles très strictes et complexes de transparence financière absorberait l'essentiel du temps imparti aux élus au comité d'entreprise pour l'exercice de leurs fonctions : il est bien évident qu'une telle conséquence n'est pas souhaitable. C'est pourquoi les règles de transparence financière doivent légitimement être allégées pour les 'petits' comités d'entreprise, ceux des petites entreprises disposant donc logiquement aussi d'un budget plus faible".
(39) Le rapport de M. Gille fait état d'un seuil de 153 000 euros.
(40) Le rapport de M. Gille évoque les seuils suivants : cinquante salariés en équivalent temps plein, 1,55 millions d'euros de bilan et 3,1 millions d'euros de ressources.
(41) On retrouve cette gradation dans les obligations pesant sur les organisations syndicales en matière de transparence financière (v. supra). Quant au seuil de 153 000 euros, c'est celui applicable aux associations.
(42) Le règlement n° 2010-02 de l'Autorité des normes comptables (N° Lexbase : X9441AH7) définit la transaction présentant une importance significative "si son omission ou son inexactitude est susceptible d'influencer les décisions économiques prises par les utilisateurs se fondant sur les comptes. Le caractère significatif doit s'apprécier en fonction du montant de la transaction et/ou de la nature de la transaction".
(43) Lorsque le comité d'entreprise établit des comptes consolidés, le rapport porte bien sur l'ensemble constitué par le comité d'entreprise et les entités qu'il contrôle.
(44) J.-P. Gille, rapp. préc..

newsid:441279

Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Retrait d'associé de la SCP et mission de l'administrateur provisoire

Réf. : CA Versailles, 29 janvier 2014, n° 13/03001 (N° Lexbase : A1870MDM)

Lecture: 5 min

N1265BUE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441265
Copier

par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

Le 20 Mars 2014

Le droit pour tout associé de se retirer de la société, caractéristique essentielle des sociétés civiles (C. civ., art. 1869 N° Lexbase : L2066AB7), se retrouve évidemment dans les sociétés civiles professionnelles (loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, art. 18 N° Lexbase : L3146AID). Selon le contexte du retrait, plus ou moins conflictuel, le déroulement ne prend pas forcément les mêmes formes. Lorsque, comme en l'espèce jugée par la cour d'appel de Versailles, on observe qu'une évidente tension s'est faite jour entre les associés, il peut y avoir lieu à la nomination d'un administrateur provisoire. Mesure d'exception en droit des sociétés, l'intervention d'un tiers dans le fonctionnement de la société est de nature à provoquer des interrogations quant aux pouvoirs dont il dispose. Pure construction prétorienne, cette mesure reste pour une large part dans le champ d'appréciation des juges du fond tant en ce qui concerne les conditions de nomination que la détermination de leurs pouvoirs (v. G. Bolard, Administration provisoire et mandat ad hoc, JCP éd. E, 1995, I, 509). La singularité de la situation tenait à ce que, dans une SCP comportant trois avocats, l'un d'entre eux avait fait l'objet d'une décision de suspension provisoire d'exercice le 28 mars 2011, pour une durée de quatre mois qui avait été constamment renouvelée, jusqu'à son omission du barreau prenant effet le 6 juillet 2012. Quelques mois avant cette dernière date, les deux autres avocats associés ont fait part de leur décision de se retirer de la SCP. Dans ce contexte, le conseil de l'Ordre des avocats du barreau concerné a pris acte du retrait des deux associés au 31 décembre 2012 et les a informés de la nécessité de faire désigner un administrateur provisoire pour la société. Les deux avocats retrayants ont donc assigné la SCP et l'associé subsistant à cette fin et l'ordonnance du président du TGI a désigné un administrateur provisoire ayant pour mission, pour l'essentiel, de refaire les comptes de 2011, d'établir ceux de 2012 et de les soumettre pour approbation aux associés en assemblée générale. En outre, l'ordonnance donnait à l'administrateur mission de se faire remettre les sommes auxquelles les deux associés sont par ailleurs condamnés à reverser à la société, s'agissant de montants excédant le solde de leur compte courant d'associés.

La cour d'appel de Versailles, dans des circonstances qu'il convient bien sûr de prendre en compte, a jugé dans l'arrêt rapporté que la mission de l'administrateur provisoire tendant à refaire les comptes pour les années 2011 et 2012 et à les soumettre à l'approbation des associés n'implique pas l'examen du litige opposant les associés sur la répartition du résultat des exercices entre les associés. En revanche, les juges versaillais estiment que la demande de restitution de l'excédent de prélèvement effectué fin décembre 2012 par deux des associés entrait bien dans la mission de l'administrateur.

Le présent arrêt, en ce qu'il porte sur des aspects assez fréquents dans la vie des SCP, présente donc un double intérêt. D'une part, il permet de préciser la mission de l'administrateur provisoire au regard de l'établissement des comptes de la société (I) et, d'autre part, de lui reconnaître le pouvoir d'obtenir la restitution de sommes par les associés (II).

I - La mission de l'administrateur provisoire et l'établissement des comptes de la société

L'ordonnance de référé dont la réformation partielle était demandée à la cour d'appel de Versailles avait conféré à l'administrateur provisoire la mission de refaire les comptes de la société pour 2011 et imposé à deux des associés de restituer les sommes prélevées en décembre 2012. Ils font valoir qu'il n'y aurait pas lieu à référé du chef de ces demandes formées par l'un de leurs associés et, à tout le moins, constater l'existence de contestations sérieuses. En conséquence de quoi, les sommes litigieuses devraient être reversées aux deux associés concernés.

La difficulté sérieuse tiendrait, selon les appelants, à l'interprétation nécessaire de deux articles des statuts de la SCP, dont dépend le montant des droits à résultat pour 2011 et 2012 de l'avocat associé ayant fait l'objet successivement de la mesure de suspension provisoire d'exercice puis de l'omission du tableau. L'administrateur provisoire n'aurait pas de pouvoir pour trancher cette question qui relève de la compétence du Bâtonnier de l'Ordre des avocats, en application de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), qui dispose que tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à son arbitrage.

Pour les juges d'appel, un tel argumentaire ne saurait prospérer dès lors que la partie de la mission, tendant à refaire les comptes pour 2011 et 2012, consiste en une vérification de ces comptes. Elle n'implique pas l'examen du litige opposant les parties sur la répartition du résultat des exercices entre les associés. La position peut se comprendre dans la mesure où, l'administrateur provisoire est seulement désigné pour établir les comptes des deux années en cause et qu'il appartiendra aux associés de se prononcer sur l'approbation desdits comptes et surtout sur l'affectation des résultats. L'arrêt ne manque pas, d'ailleurs, de relever que l'administrateur devra convoquer les associés à cette fin, et que cette convocation entre "à l'évidence" dans sa mission. Si, lors de cette étape, les associés se trouvent en désaccord, notamment à propos de la détermination des droits aux bénéfices de l'associé sanctionné, il leur appartiendra alors de saisir le Bâtonnier afin qu'il exerce, sur cette question, le pouvoir que lui accorde la loi du 31 décembre 1971. Sous cette réserve logique, la mission de l'administrateur est bien d'établir les comptes sociaux et, pour ce faire, il est fondé à s'adjoindre un expert-comptable de son choix. Ce droit, formellement reconnu dans le présent arrêt, ne manquera pas d'être remarqué en ce qu'il s'avèrera souvent indispensable pour la bonne exécution de la mission confiée, es qualité, à un administrateur provisoire qui peut ne pas disposer des compétences comptables suffisantes pour l'établissement des comptes de la société.

II - La mission de l'administrateur provisoire et la restitution de sommes par les associés

L'arrêt commenté apparaît, également, comme favorable à la reconnaissance d'une plénitude des missions conférées à l'administrateur provisoire. Ici était en jeu la demande en restitution des sommes prélevées par les deux avocats retrayants en décembre 2012.

Pour les juges d'appel, confirmant en cela l'ordonnance du premier juge, une telle demande était fondée dans la mesure où elle permettait à l'administrateur provisoire de remplir pleinement sa mission. Dès lors qu'il résultait de l'examen des comptes que les sommes prélevées par les deux associés étaient supérieures au montant de leur compte courant d'associé, il en résultait, selon les termes de l'arrêt commenté, "une gêne à l'administration de la SCP, eu égard aux fonds dont elle dispose en compte auprès de la banque". La difficulté financière dans laquelle se trouvait ainsi placée la SCP apparaissait, d'ailleurs, à ce point évidente que les associés eux-mêmes avaient procédé, ultérieurement, à un reversement dans les comptes de la société d'une partie des sommes précédemment perçues.

Bien sûr, il ne saurait être retenu de cette position qu'entre dans les pouvoirs d'un administrateur provisoire, par principe, le droit de réclamer le reversement de sommes prélevées par des associés. Le fondement de ce droit est corrélé, en l'espèce, à la situation financière de la société et à la nécessité pour l'administrateur d'établir les comptes de l'année en cause. Une fois les comptes établis par l'administrateur, les associés seront à même de statuer, selon les clauses statutaires adéquates, sur l'affectation des résultats et donc sur la détermination du montant exact des sommes que les associés pourront prélever en représentation de leurs droits aux bénéfices dans la société.

Décision

CA Versailles, 29 janvier 2014, n° 13/03001 (N° Lexbase : A1870MDM)

Liens base : (N° Lexbase : E9778ETC) et (N° Lexbase : E9973ETK)

newsid:441265

Avocats/Périmètre du droit

[Brèves] Loi du 17 mars 2014, relative à la consommation : durcissement des peines pour infraction au "périmètre du droit"

Réf. : Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation, art. 130 (N° Lexbase : L7504IZX)

Lecture: 1 min

N1354BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441354
Copier

Le 27 Mars 2014

A été publiée au Journal officiel du 18 mars 2014 la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX). Outre l'instauration de l'action de groupe (lire N° Lexbase : N1304BUT), un autre volet de la loi intéresse plus particulièrement la profession d'avocat. L'article 130 de la loi précité modifie les articles 66-4 et 72 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9553ETY et N° Lexbase : E9502ET4) qui prévoient les peines pour quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou qui, n'étant pas régulièrement inscrit au barreau, exercera une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats. Ce sont les peines de l'article L. 121-23 nouveau du Code de la consommation (peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 150 000 euros), en cas de démarchage illicite, et celle de l'article 433-17 du Code pénal (N° Lexbase : L9633IEI ; un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende), en cas d'infraction au "périmètre du droit", qui seront désormais requises. Auparavant, il était requis une amende de 4 500 euros et, en cas de récidive, d'une amende de 9 000 euros et un emprisonnement de six mois ou l'une de ces deux peines seulement.

newsid:441354

Avocats/Publicité

[Brèves] Loi du 17 mars 2014, relative à la consommation : autorisation de la "sollicitation personnalisée"

Réf. : Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation, art. 13 (N° Lexbase : L7504IZX)

Lecture: 1 min

N1356BUR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441356
Copier

Le 26 Septembre 2014

A été publiée au Journal officiel du 18 mars 2014 la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX). Outre l'instauration de l'action de groupe, un autre volet de la loi intéresse plus particulièrement la profession d'avocat. L'article 13 de la loi précité modifie l'article 3 bis de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6365ETW et N° Lexbase : E6368ETZ), pour lui ajouter deux alinéas ainsi rédigés : "Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée. Toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet d'une convention d'honoraires". Ce faisant, l'interdiction de toute publicité personnelle s'apparentant à un démarchage est levée. La loi tire les conséquences, d'abord, de l'arrêt de la Cour de la justice de l'Union européenne du 5 avril 2011 (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3 ; lire N° Lexbase : N9684BR4), relative certes à la publicité et au démarchage par les experts-comptables, mais surtout du Conseil d'Etat rendu le 13 décembre 2013 (CE 1° et 6° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 361593, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3722KRB ; lire N° Lexbase : N0302BUQ) pour lequel l'interdiction du démarchage par les avocats est contraire à la Directive relative aux services dans le marché intérieur (Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 N° Lexbase : L8989HT4). Le soin est donc laissé au pouvoir réglementaire et au CNB de déterminer le cadre précis, conforme aux prescriptions déontologiques, de cette publicité et de cette sollicitation personnalisée. La loi soumet, toutefois, le fruit de cette sollicitation à une convention d'honoraire obligatoire permettant, ainsi, de fixer le cadre précis de l'intervention de l'avocat.

newsid:441356

Bancaire/Sûretés

[Jurisprudence] Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, n'oblige pas nécessairement celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer : la caution avertie ne peut engager la responsabilité du créancier

Réf. : Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-27.703, F-P+B (N° Lexbase : A4156MDB)

Lecture: 8 min

N1273BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441273
Copier

par Gaël Piette, Professeur à l'Université de Bordeaux, Directeur-adjoint de l'IRDAP, Directeur scientifique des Encyclopédies Lexbase "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

Le 20 Mars 2014

L'article 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ), qui est assurément l'un des textes les plus connus du Code civil français, se voit assorti d'une limite marquante en droit des sûretés : en effet, dans un arrêt rendu le 28 janvier 2014, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé, au visa de ce texte et en termes très généraux, que la caution avertie ne peut engager la responsabilité du créancier.
Dans cette affaire, en 1998, une société obtint d'une banque un crédit de campagne d'un montant de trois millions de francs (environ 457 347 euros). Ce crédit a été garanti par le cautionnement solidaire de l'associé co-fondateur (cautionnement autorisé par son épouse co-fondatrice), à hauteur de 500 000 francs (environ 76 224 euros), et par le nantissement d'un contrat d'assurance vie. La société est placée en redressement judiciaire en 1999, puis fait l'objet d'une liquidation en 2000.
Le créancier s'est vu condamné à payer au liquidateur la somme de 460 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'octroi du crédit. Les époux co-fondateurs de la société ont, en outre, recherché sa responsabilité. Ils adressaient divers reproches au créancier. D'une part, ils estimaient que ce dernier avait contracté de mauvaise foi et commis une réticence dolosive en omettant d'informer la caution et son conjoint quant à la situation lourdement obérée du débiteur principal. D'autre part, la caution et son conjoint reprochaient au créancier un soutien abusif de crédit, qui aurait retardé la procédure collective de la société cautionnée, et engendré divers préjudices (préjudices subis au titre des apports personnels de fonds, de la perte de valeur des sociétés, de la perte de salaire, indemnités de licenciement, préjudice moral, etc.).
La cour d'appel de Douai, par un arrêt en date du 20 septembre 2012 (CA Douai, 20 septembre 2012, n° 10/02186 N° Lexbase : A1996IT4), a rejeté l'action des époux fondée sur la responsabilité contractuelle du créancier pour dol, en considérant que la caution, par ses qualités de dirigeant, était une caution avertie, et que son épouse, par son degré d'implication, était en mesure de connaître la situation financière de la société cautionnée. Elle a également refusé d'admettre la responsabilité de la banque pour soutien abusif, faute de lien de causalité entre les crédits octroyés et les préjudices allégués. En revanche, la cour d'appel a retenu la responsabilité délictuelle du créancier envers la caution, en considérant que l'octroi abusif de crédit au débiteur principal avait causé un préjudice à celle-ci, "à raison de la mise en oeuvre des garanties consenties ensuite de la procédure collective" du débiteur principal. Le créancier s'est pourvu en cassation, estimant que sa responsabilité ne pouvait être engagée en raison du caractère averti de la caution. Cette dernière et son conjoint ont formé un pourvoi incident, invoquant l'idée que leur proximité avec la société cautionnée ne suffisait pas à écarter la réticence dolosive commise par le créancier et sa responsabilité pour soutien abusif.

Par l'arrêt commenté, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi incident, et admis le pourvoi principal. Elle casse donc partiellement l'arrêt d'appel, en ce qu'il a condamné le créancier. La motivation de la Cour est assez simple : la caution, parce qu'elle est une caution avertie, n'était pas fondée à rechercher la responsabilité du créancier, que ce soit pour manquement à une obligation d'information, pour réticence dolosive, ou pour octroi abusif de crédit.

L'arrêt du 28 janvier 2014 soulève un certain nombre de questions, en ce qu'il retient des conséquences discutables de la qualification de caution avertie (I), et en ce qu'il est délicat à replacer dans le contexte jurisprudentiel actuel (II).

I - Les conséquences discutables de la qualification de caution avertie

La première partie de l'arrêt du 28 janvier 2014 est cohérente au regard de la conception de la caution avertie. La Cour y retient que la caution, en raison de son caractère averti, était "parfaitement informée de la situation de ses sociétés, [et] ne pouvait reprocher à la banque un manquement à son obligation d'information et une quelconque réticence dolosive".

L'affirmation ne manque pas de logique. La caution avertie, ainsi que sa dénomination l'indique, est celle qui sait. Par sa formation, son expérience, ses fonctions, sa profession, elle est en mesure de connaître et de comprendre la nature et la portée de son engagement, la situation financière du débiteur principal, ou encore les risques que le cautionnement fait peser sur son patrimoine. Parce que la caution avertie sait, elle n'a pas, selon la jurisprudence, besoin d'être informée. C'est ainsi que la Cour de cassation estime que le créancier n'est pas débiteur à son égard d'une obligation d'information (1). De même, et toujours parce qu'elle sait, la caution avertie ne peut être victime d'une erreur provoquée par un non-dit du créancier. C'est pourquoi la Cour considère que le créancier ne peut commettre à l'égard de la caution avertie une réticence dolosive (2).

Si ces premiers éléments de la décision commentée sont empreints d'une certaine cohérence, la seconde partie de l'arrêt est plus discutable. La Cour de cassation y considère que la caution ne peut reprocher à la banque un octroi abusif de crédit. Elle fonde clairement cette affirmation, en énonçant que le garant "était une caution avertie, ce dont il résultait qu'il n'était pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque à raison de la faute commise par celle-ci lors de l'octroi du crédit". Autant l'idée peut se défendre quant à l'obligation d'information ou la réticence dolosive (cf. supra), autant elle peut surprendre au sujet de l'octroi abusif. En effet, ainsi qu'il a été précédemment relevé, la caution avertie est celle qui est en mesure de comprendre la nature et la portée de son engagement, et de connaître la situation financière du débiteur principal.

Nous avons, dès lors, certaines difficultés à comprendre en quoi une caution avertie est, en tant que telle, mieux armée face à un octroi abusif de crédit. La caution, fut-elle avertie, n'est pas nécessairement en mesure de déceler la faute de la banque à l'occasion de l'octroi du crédit. Elle n'a, en outre, pas nécessairement son mot à dire quant à l'octroi du crédit. Certes, si la caution est le dirigeant de la société débitrice principale, c'est par sa voix que cette dernière sollicite le crédit, et l'on peut comprendre que lui soit refusé le droit d'invoquer par la suite l'octroi abusif. Pour autant, la formulation très générale employée par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté ne limite pas la solution aux dirigeants cautions. Au contraire, elle a vocation à s'appliquer à toute caution avertie.

Pour terminer sur ce point, qu'il nous soit permis de nous interroger sur l'opportunité de dénier, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à une caution, parce qu'elle est avertie, le droit de rechercher la responsabilité d'un créancier. Prise au pied de la lettre, la formulation de l'arrêt laisse à penser que la caution avertie ne peut jamais invoquer la faute du créancier. Et ce au visa de 1382... La généralité des termes employés, combinée à la généralité du texte visé (principe même de la responsabilité et de la réparation), nous feraient penser que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, n'oblige pas nécessairement celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. Le droit à réparation se verrait ainsi assorti d'une bien surprenante limite.

Certes, la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de restreindre le droit pour la caution avertie de rechercher la responsabilité du créancier. Mais elle ne l'avait encore jamais fait, à notre connaissance, en des termes aussi généraux (3), sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (4). En outre, la Cour réservait toujours l'hypothèse de "circonstances exceptionnelles", qui permettaient à la caution avertie, si elles étaient avérées, d'engager la responsabilité du créancier (5). Ce n'est plus le cas dans l'arrêt commenté.

II - Une solution délicate à replacer dans le contexte jurisprudentiel actuel

En premier lieu, l'arrêt du 28 janvier 2014 se révèle sévère envers les cautions averties. Ces dernières se retrouvent plongées dans la tempête, alors même qu'elles avaient pu profiter d'une accalmie jurisprudentielle sur le front du Code de la consommation. En effet, la Cour de cassation, ces dernières années, a décidé que même les cautions averties pouvaient être déchargées d'un engagement manifestement disproportionné à leurs biens et revenus, sur le fondement de l'article L. 341-4 de ce Code (N° Lexbase : L8753A7C) (6).

Dans le même ordre d'idée, la Cour a estimé que les cautions averties peuvent invoquer la nullité de leur engagement sur le fondement des articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du même Code, lorsque les mentions manuscrites requises par ces textes n'ont pas été reproduites (7).

Il est vrai que ces solutions sont certainement inspirées par la rédaction peu réfléchie de ces textes, et par l'application de l'adage "Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus". Il n'en demeure pas moins que les cautions averties, désormais protégées par le Code de la consommation, voyaient leur condition améliorée. L'arrêt commenté se place donc en opposition directe.

En second lieu, et surtout, il est intéressant de rapprocher l'arrêt commenté de la jurisprudence relative à l'opposabilité des exceptions. Nul n'ignore que la Cour de cassation a décidé de limiter les exceptions tirées du contrat principal opposables par la caution au créancier, en qualifiant la plupart d'entre elles d'exceptions personnelles, au sens de l'article 2313 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN) (8). Tirant les conséquences de cette décision rendue en Chambre mixte, les juridictions du fond ont multiplié les qualifications d'exceptions personnelles, au détriment des exceptions inhérentes à la dette. En particulier, des cours d'appel ont jugé que l'octroi abusif de crédit est une exception personnelle, par conséquent inopposable par la caution (9). Or, cette jurisprudence est indépendante de la qualité de la caution (10).

Dans l'arrêt commenté, la caution ne recherchait pas la responsabilité du créancier pour une faute à l'égard du débiteur principal. Elle n'entendait pas opposer une exception tirée du contrat de crédit. La caution souhaitait voir la responsabilité du créancier engagée à son endroit, sur le fondement de l'article 1382, en estimant que "le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage".

La combinaison de cet arrêt avec les décisions relatives à l'opposabilité des exceptions aboutit à un résultat peu enviable pour la caution avertie. Si, lors de la conclusion du contrat principal, le créancier a commis une faute, la caution avertie ne pourra, ni engager la responsabilité de celui-ci envers le débiteur sur le fondement de l'article 2313 puisqu'il s'agit d'une exception personnelle, ni engager la responsabilité de celui-ci envers elle-même sur le fondement des articles 1382 et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR), puisqu'elle est une caution avertie.


(1) Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-20.702, F-D (N° Lexbase : A7147EPE).
(2) Cass. com., 16 novembre 1993, n° 91-14.388 (N° Lexbase : A5671ABN) ; Cass. com., 17 juillet 2001, n° 98-14.892 (N° Lexbase : A2229AU4), RDBF, 2001, comm. 222, obs. D. Legeais ; Cass. com., 5 avril 2005, n° 02-18.914, F-D (N° Lexbase : A8606DH9) ; Cass. com., 21 février 2006, n° 04-17897, F-D (N° Lexbase : A1790DNM) ; Cass. com., 9 février 2010, n° 08-21.725, F-D (N° Lexbase : A7734ERU), RDBF, 2010, comm. 88, obs. D. Legeais.
(3) Cass. com., 6 février 2001, n° 97-10.646 (N° Lexbase : A3560ARB), Bull. Joly, août-septembre, 2001, p. 1847, note Ph. Delebecque, qui retient que "loin de refuser à la caution le droit d'invoquer la faute du créancier lors de l'octroi du prêt, [...] la cour d'appel [...] a légalement justifié sa décision de ne retenir aucune faute à l'encontre de la banque".
(4) Sur le fondement de l'article 1147 (N° Lexbase : L1248ABT), v. par exemple Cass. com., 18 février 2004, n° 02-18.064, F-D (N° Lexbase : A3249DBX).
(5) Cass. com., 15 avril 2008, n° 07-12.346, F-D (N° Lexbase : A9678D7L).
(6) Cass. com., 13 avril 2010, n° 09-66.309, F-D (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-67.814, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2722E39), D., 2010, p. 1985, note D. Houtcieff, RTDCiv., 2010, p. 593, obs. P. Crocq, RTDCom., 2010, p. 552, obs. C. Champaud et D. Danet, RDBF septembre-octobre 2010, n° 172, obs. D. Legeais ; Cass. com., 19 octobre 2010, n° 09-69.203, F-D (N° Lexbase : A4348GCZ), RLDC, décembre 2010, p. 33, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-16.355, F-D (N° Lexbase : A8216IQD) et Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-20192, F-D (N° Lexbase : A8174IQS), Gaz. Pal., 20 septembre 2012, p. 20, obs. Ch. Albigès.
(7) Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-26.630, FS-P+B (N° Lexbase : A5284IAX), RTDCom., 2012, p. 177, obs. D. Legeais, RDBF, mars 2012, p. 45, obs. A. Cerles, Rev. sociétés, mai 2012, p. 286, obs. I. Riassetto; Cass. civ. 1, 8 mars 2012, n° 09-12.246, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1703IES).
(8) Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, P+B+R+I (N° Lexbase : A5464DWB), JCP éd. G, 2007, II, 10138, note Ph. Simler, D., 2007, p. 2201, note D. Houtcieff.
(9) CA Douai, 13 novembre 2008, n° 07/02411 (N° Lexbase : A7729HHQ). V. déjà CA Metz, 4ème ch., 24 mai 2007, n° 05/01597.
(10) V. l'arrêt précité de la CA Metz, qui retient en termes très généraux qu'est "inopérant l'argument selon lequel la convention de découvert constituait un soutien abusif puisqu'elle constitue non pas une exception inhérente à la dette mais une exception personnelle au débiteur principal".


Décision

Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-27.703, F-P+B (N° Lexbase : A4156MDB).

Cassation (CA Douai, 20 septembre 2012, n° 10/02186 N° Lexbase : A1996IT4).

Lien base : (N° Lexbase : E5177AH9).

newsid:441273

Consommation

[Brèves] Publication de la loi "Hamon" au Journal officiel

Réf. : Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX)

Lecture: 2 min

N1325BUM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441325
Copier

Le 20 Mars 2014

Après avoir été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel (lire N° Lexbase : N1275BUR), la loi relative à la consommation a été publiée au Journal officiel du 18 mars 2014 (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 N° Lexbase : L7504IZX). Ce texte de 155 articles -161 moins 6 censurés par le Conseil- modifie en profondeur la matière. Parmi les dispositions phares, il introduit une action de groupe qui permet à une association de défense des consommateurs d'agir devant une juridiction civile afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels patrimoniaux subis par des consommateurs. Transposant la Directive 2011/83/UE (N° Lexbase : L2807IRE), la loi comprend diverses dispositions destinées à améliorer l'information et renforcer les droits contractuels des consommateurs. Est ainsi introduite une définition du consommateur, selon laquelle est un consommateur, toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Une partie du texte concerne le régime juridique applicable au démarchage et à la vente à distance, renforçant notamment les obligations précontractuelles d'information. A noter que le consommateur dispose désormais d'un délai de quatorze jours (au lieu de sept jours) pour exercer son droit de rétractation. En outre, le consommateur qui ne souhaite pas faire l'objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s'inscrire sur une liste d'opposition au démarchage téléphonique et le démarchage en "numéro caché" est désormais interdit. En matière de garantie légale de conformité, la période durant laquelle le défaut de conformité est présumé exister au moment de la délivrance du bien passe de six à douze mois. Le texte renforce les obligations incombant au professionnel concernant le paiement, la livraison du bien ou l'exécution du service et le transfert de risque dans les contrats de consommation. Est notamment encadré le droit à résolution du contrat reconnu aux consommateurs en cas d'inexécution par le professionnel de ses obligations contractuelles et un régime de pénalités dissuasives est instauré lorsque le remboursement des sommes versées intervient avec retard. La loi comprend, également, diverses dispositions visant à améliorer l'information des consommateurs et à renforcer leurs droits lors de la conclusion et l'exécution de certains contrats spécifiques (contrats conclus dans les salons et foires, mention de la possibilité de recourir à la médiation en cas de litige). On notera, également, que les prérogatives de la DGCCRF sont renforcées, notamment, par un élargissement des pouvoirs de ses agents et la possibilité de prononcer des sanctions administratives. Les peines encourues pour certaines infractions, comme le délit de tromperie, sont aggravées. Enfin, une partie la loi est consacrée au crédit à la consommation et à l'assurance, l'instauration du fichier des crédits à la consommation ayant été censurée par le Conseil.

newsid:441325

Contrats et obligations

[Brèves] Enrichissement sans cause : la bonne foi de l'enrichi ne prive pas l'appauvri du droit d'exercer contre celui-là, l'action de in rem verso

Réf. : Cass. civ. 1, 11 mars 2014, n° 12-29.304, F-P+B (N° Lexbase : A9362MGT)

Lecture: 1 min

N1363BUZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441363
Copier

Le 27 Mars 2014

La bonne foi de l'enrichi ne prive pas l'appauvri du droit d'exercer contre celui-là, l'action de in rem verso ; tel est l'enseignement délivré par la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mars 2014 (Cass. civ. 1, 11 mars 2014, n° 12-29.304, F-P+B N° Lexbase : A9362MGT). En l'espèce, M. F., qui avait souscrit les 11 et 12 mai 2004 un bail emphytéotique auprès de M. D., avait acquitté auprès de celui-ci les redevances des années 2005 et 2006, avant de convenir d'un échéancier de paiement avec le curateur de Mme K. veuve D. pour les années 2007 à 2010. Pour débouter le fils de Mme D. de sa demande de restitution des redevances versées au curateur, la cour d'appel de Nouméa avait retenu que, si les paiements effectués par M. F. n'avaient pas été faits au créancier, ils avaient cependant été reçus de bonne foi par le curateur pour le compte de Mme D. qui avait pu se méprendre sur ses droits. A tort. L'arrêt est censuré par la Cour suprême qui estime qu'en statuant ainsi, alors que résultait des faits constatés et débattus devant elle l'applicabilité des règles de l'enrichissement sans cause, la cour d'appel, qui avait ajouté à celles-ci une condition qu'elles ne prévoient pas, a violé le texte et le principe susvisés.

newsid:441363

Contrats administratifs

[Chronique] Chronique de droit des contrats publics - Mars 2014

Lecture: 12 min

N1271BUM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441271
Copier

par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623)

Le 20 Mars 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, deux arrêts du 10 février 2014 détaillent les conditions de la détermination de la rémunération des maîtres d'oeuvre (CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, deux arrêts mentionné aux tables du recueil Lebon, n° 365828 et n° 367821). Ensuite, un arrêt du 5 mars 2014 (CE 2° et 7° s-s-r., 5 mars 2014, n° 374048, mentionné aux tables du recueil Lebon) précise qu'il n'entre pas dans l'office du juge du référé contractuel de vérifier que le pouvoir adjudicateur a été informé, par d'autres moyens que la notification par le requérant ou par le greffe du tribunal administratif, de l'existence d'un référé précontractuel faisant obstacle à la signature du contrat.
  • Le droit du maître d'oeuvre à l'augmentation de sa rémunération en cas de prestations supplémentaires utiles à l'exécution des modifications décidées par le maître de l'ouvrage n'est pas conditionnée à la conclusion d'un avenant (CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, 365828, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3832MEN ; cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E2162EQ7)

Dans un repère récent, François Llorens et Pierre Soler-Couteaux constataient à juste titre que la situation des maîtres d'oeuvre se dégradait (1). Cette dégradation est réelle en ce qui concerne l'accès des maîtres d'oeuvre à la commande publique, du fait notamment de la multiplication des contrats globaux dérogeant à l'interdiction de principe de la conception-réalisation posée par la loi "MOP" (loi n° 85-704 du 12 juillet 1985, relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maitrise d'oeuvre N° Lexbase : L7908AGY). Cette dégradation se manifeste également au stade de la passation des contrats de maîtrise d'oeuvre et de leur exécution, leur responsabilité étant de plus en plus souvent engagée. Dans ce contexte morose, l'arrêt rapporté du 10 février 2014 sera sans doute bien accueilli par les maîtres d'oeuvre. En rappelant le droit des maîtres d'oeuvre à l'augmentation de leur rémunération en cas de prestations supplémentaires et, surtout, en ne le conditionnant pas à la conclusion d'un avenant, le Conseil d'Etat a rendu une solution logique qui leur est favorable.

En l'espèce, la société X, mandataire d'un groupement de maîtrise d'oeuvre, avait été chargée par un office public de l'habitat, d'une mission relative à la construction d'une résidence universitaire. Un litige est apparu au moment du règlement du marché et la société a demandé une augmentation de sa rémunération au titre de la modification du programme des travaux ou, à titre subsidiaire, au titre des travaux indispensables à la réalisation des ouvrages dans les règles de l'art (2). Les juges du fond ont rejeté ces recours, mais la cour administrative d'appel l'a fait aux termes d'un raisonnement un peu surprenant. En effet, les juges d'appel ont précisé "qu'à défaut de la conclusion d'un avenant au contrat de maîtrise d'oeuvre arrêtant le programme modifié des travaux et leur coût prévisionnel modifié ou d'un accord du maître d'ouvrage à portée contractuelle sur une adaptation de la rémunération, la rémunération forfaitaire contractuelle initiale de la mission de maîtrise d'oeuvre ne peut être augmentée" (3). Constatant qu'un tel avenant n'avait pas été conclu, la cour a considéré, un peu sévèrement sans doute, que la rémunération du maître d'oeuvre ne pouvait pas être augmentée, même si une modification du programme était intervenue. Le Conseil d'Etat a logiquement censuré ce raisonnement en considérant que le droit à rémunération du maître d'oeuvre n'était pas lié à la conclusion d'un avenant. De cette solution, il ne faut cependant pas déduire que le maître d'oeuvre dispose d'un droit à rémunération inconditionné.

La rémunération des maîtres d'oeuvre obéit à des règles bien établies. Cette rémunération présente un caractère forfaitaire et est fixée contractuellement, étant entendu qu'elle doit tenir compte de l'étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux (article 9 de la loi "MOP"). Cette règle générale a été précisée par le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993, relatif aux missions de maîtrise d'oeuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé (N° Lexbase : L2655DYY), dont l'article 29 dispose que le coût prévisionnel des travaux "est basé soit sur l'estimation prévisionnelle des travaux établie par le maître d'oeuvre lors des études d'avant-projet sommaire, soit sur l'estimation prévisionnelle définitive des travaux établie lors des études d'avant-projet définitif. Dans le cas où le coût prévisionnel des travaux n'est pas encore connu au moment de la passation du contrat avec le maître d'oeuvre, le montant provisoire de la rémunération de ce dernier est basé sur la partie affectée aux travaux de l'enveloppe financière prévisionnelle fixées par le maître de l'ouvrage". Même si elle présente un caractère forfaitaire, la rémunération du maître d'oeuvre n'est pas figée dans le marbre. Fort logiquement, elle peut évoluer, soit parce que le contrat de maîtrise d'oeuvre a été conclu avant que ne soit connu le coût prévisionnel des travaux, soit parce le maître de l'ouvrage a modifié le programme ou a demandé de nouvelles prestations, soit parce que peuvent jouer les théories jurisprudentielles des travaux indispensables ou des sujétions imprévues (4).

L'évolution de la rémunération du maître d'oeuvre nécessite-t-elle pour autant la conclusion d'un avenant ? Telle était la question posée dans la présente affaire. Il est certain que la modification du programme ne doit pas nécessairement et automatiquement entraîner une augmentation corrélative de la rémunération du maître d'oeuvre. Le pouvoir adjudicateur et le maître d'oeuvre ont donc tout intérêt à conclure un tel avenant pour déterminer les modalités et le montant de la rémunération. En revanche, il ne semblait pas très logique de raisonner comme l'avait fait la cour administrative d'appel en jugeant que l'absence d'avenant faisait purement et simplement obstacle à l'ajustement de la rémunération du maître d'oeuvre. En effet, si la théorie générale du contrat administratif confère à l'administration des pouvoirs d'action unilatérale particulièrement importants, au nombre desquelles figure le pouvoir de modification unilatérale, elle lui impose aussi de respecter un certain nombre d'obligations. Et parmi celles-ci figure l'obligation d'indemniser son cocontractant pour toutes les dépenses générées par la modification unilatérale. Ainsi que le précise le Conseil d'Etat en l'espèce, "dans l'hypothèse où une modification de programme ou de prestations a été décidée par le maître de l'ouvrage, le droit du maître d'oeuvre à l'augmentation de sa rémunération est uniquement subordonné à l'existence de prestations supplémentaires de maîtrise d'oeuvre utiles à l'exécution des modifications décidées par le maître de l'ouvrage ; qu'en revanche, ce droit n'est subordonné, ni à l'intervention de l'avenant qui doit normalement être signé en application des dispositions précitées de l'article 30 du décret du 29 décembre 1993, ni même, à défaut d'avenant, à celle d'une décision par laquelle le maître d'ouvrage donnerait son accord sur un nouveau montant de rémunération du maître d'oeuvre".

  • Les modalités de la détermination de la rémunération du maître d'oeuvre lorsque le coût prévisionnel des travaux ne peut pas être établi à la date de conclusion du contrat de maîtrise d'oeuvre (CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, n° 367821, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3842MEZ ; cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E2162EQ7)

L'article 9 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 dispose que la "mission de maîtrise d'oeuvre donne lieu à une rémunération forfaitaire fixée contractuellement. Le montant de cette rémunération tient compte de l'étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux". Souvent, le coût prévisionnel des travaux ne peut être établi à la date de conclusion du contrat de maîtrise d'oeuvre et se pose alors la question de la détermination du montant de la rémunération du maître d'oeuvre. Cette interrogation était au coeur de l'arrêt rapporté du 10 février 2014. En l'espèce, l'établissement public de coopération intercommunale avait décidé de faire procéder aux travaux de réhabilitation de l'ancien presbytère d'une commune. La maîtrise d'oeuvre avait été confiée à la société X dont la rémunération devait correspondre, selon l'acte d'engagement, à 11,3 % du coût prévisionnel des travaux, qui était alors fixé à 645 400 euros HT (soit 771 898 euros TTC). En 2008, le maître d'oeuvre a soumis une proposition d'avenant à l'EPCI en arguant du fait que le coût prévisionnel des travaux était passé de 645 400 euros à 998 272 euros HT. Face au refus du maître d'ouvrage de signer l'avenant, le maître d'oeuvre a saisi la juridiction administrative.

La cour administrative d'appel de Nantes (5) lui a donné raison au motif que le maître d'ouvrage avait, avant le lancement de la consultation des entreprises, entériné le coût prévisionnel de l'avant-projet définitif des travaux évalué par le maître d'oeuvre et qui a servi de base à cette consultation. Surtout, la cour a considéré que cette somme constituait un forfait provisoire de rémunération du maître d'oeuvre et qu'il convenait donc de la compléter une fois connu le montant du coût prévisionnel des travaux évalué dans l'avant-projet définitif. Le Conseil d'Etat valide ce raisonnement et considère donc que le montant de la rémunération du maître d'oeuvre peut évoluer, lorsque le coût prévisionnel des travaux n'est pas encore connu au moment de la passation du contrat avec le maître d'oeuvre, mais il peut aussi évoluer (comme c'était le cas en l'espèce) lorsque le coût des travaux repose sur une estimation prévisionnelle qui n'est pas définitive. Dans cette dernière hypothèse, la rémunération du maître d'oeuvre doit être calculée en fonction du coût prévisionnel des travaux arrêté, avant le lancement de la consultation des entreprises pour la passation des marchés de travaux, à partir des études d'avant-projet définitif, lorsque la mission confiée au maître d'oeuvre comporte l'assistance au maître de l'ouvrage pour la passation du ou des contrats de travaux.

  • Précisions sur l'office du juge du référé contractuel en cas de méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l'obligation de suspendre automatiquement la signature du contrat (CE 2° et 7° s-s-r., 5 mars 2014, n° 374048, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4243MGA ; cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E4597ETG)

Parfois qualifié de recours "confidentiel" (6), voire de recours "anecdotique" (7), le référé précontractuel ne constitue pas l'équivalent du référé précontractuel une fois la signature du contrat intervenue. Il est, en effet, un recours complémentaire du référé précontractuel dans la mesure où il ne peut être exercé que lorsque ce dernier n'a pas pu être valablement engagé ou n'a pas eu les conséquences qu'il aurait dû avoir.

Comme l'écrit Paul Cassia, "en aucun cas, le référé contractuel n'est alternatif au référé précontractuel : il n'y a pas de choix entre les deux voies de droit" (8). Cette absence de choix entre les deux voies de recours est clairement affirmée par le Code de justice administrative, dont l'article L. 551-14 (N° Lexbase : L1603IE4) dispose que "le recours régi par la présente section [i.e. le référé contractuel] n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-5 (N° Lexbase : L1572IEX) [i.e. le référé précontractuel] ...dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-14 ou à l'article L. 551-19 (N° Lexbase : L6357IQI) et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours". Si l'exercice successif des référés précontractuel et contractuel n'est pas possible en principe, il le devient dans plusieurs cas parfaitement bien délimités par les textes et la jurisprudence. L'article L. 551-14 du Code de justice administrative dispose que le requérant ayant exercé un référé précontractuel peut poursuivre son action contentieuse sur le terrain du référé contractuel, soit parce que le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la chose jugée par le juge des référés précontractuels, soit parce que le même pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la suspension automatique de la signature du contrat. La jurisprudence a ajouté que le référé contractuel était également possible dans l'hypothèse où le pouvoir adjudicateur n'a pas informé l'entreprise non retenue du rejet de son offre (9) ou l'a fait mais de façon incomplète, en ne lui précisant pas par exemple le délai de standstill (10).

L'arrêt rapporté du 5 mars 2014 est l'occasion pour le Conseil d'Etat de préciser les règles qui gouvernent l'articulation entre les deux référés. La Haute juridiction administrative affirme qu'il n'entre pas dans l'office du juge du référé contractuel de rechercher si le pouvoir adjudicateur a eu connaissance d'une façon ou d'une autre de l'exercice par un concurrent évincé d'un référé précontractuel, mais seulement de vérifier si le référé précontractuel a été notifié à la personne publique, soit par le requérant, soit par le greffe du tribunal administratif.

Avant de mesurer les implications d'une telle solution, il convient de rappeler les règles applicables en matière d'information du pouvoir adjudicateur. Du point de vue des textes, l'article R. 551-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L9813IE8) dispose que "le représentant de l'Etat ou l'auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. Cette notification doit être faite en même temps que le dépôt du recours et selon les mêmes modalités. Elle est réputée accomplie à la date de sa réception par le pouvoir adjudicateur". En n'accomplissant pas cette notification (qui n'est pas prescrite à peine d'irrecevabilité du référé précontractuel) (11), le requérant prend le risque de voir son référé précontractuel rejeté car rien n'interdit alors au pouvoir adjudicateur de signer le contrat. Et dès lors que cette notification n'est pas intervenue, il ne pourrait pas prolonger son action en exerçant un référé contractuel (12). A cette précision textuelle, la jurisprudence a apporté un assouplissement notable. Le juge administratif a ajouté que si cette notification devait normalement être opérée par le requérant, elle pouvait, également, être le fait du greffe du tribunal administratif ayant accusé réception du référé précontractuel. Le pouvoir adjudicateur qui a donc été régulièrement informé par le greffe, mais non par le requérant, ne doit donc pas signer le contrat jusqu'à l'intervention de l'ordonnance du juge du référé précontractuel. S'il signe le contrat pendant ce laps de temps, alors le référé contractuel devient possible (13).

La question posée dans la présente affaire était relativement simple. Elle était de savoir s'il entrait dans l'office du juge du référé contractuel de vérifier si le pouvoir adjudicateur avait été informé de l'existence d'un référé précontractuel, et cela malgré l'absence de notification du référé précontractuel dans les conditions prescrites par l'article R. 551-1 du Code de justice administrative (c'est-à-dire par le requérant) et par la jurisprudence (notification par le greffe du tribunal administratif). Dans son ordonnance du 2 décembre 2013, le juge du référé contractuel du tribunal administratif de Saint-Denis avait rejeté le recours de la société X, après s'être assuré que la région n'avait pas eu effectivement connaissance de l'existence de référés précontractuels de la société. A contrario, cela signifiait que le juge du référé contractuel aurait sans doute admis la recevabilité du recours de la société s'il lui était apparu, lors de l'instruction, que la région avait été informée, d'une manière ou d'une autre, de l'exercice d'un référé précontractuel par la société. Le Conseil d'Etat n'opte pas pour cette solution et préfère retenir une conception plus restrictive des conditions dans lesquelles le pouvoir adjudicateur doit être informé de l'existence d'un référé précontractuel. Il considère le juge du référé contractuel doit se borner à vérifier si le référé précontractuel avait été communiqué par le greffe du tribunal administratif ou notifié au pouvoir adjudicateur dans les conditions prévues par l'article R. 551-1 du Code de justice administrative.

Cette solution appelle plusieurs remarques. En premier lieu, elle peut se justifier par des considérations pratiques évidentes. La notification par le greffe ou par le pouvoir adjudicateur présente l'incontestable avantage de pouvoir être datée de façon certaine. A l'inverse, même si le juge du référé contractuel peut avoir la certitude, au cours de l'instruction, que le pouvoir adjudicateur a signé le contrat alors qu'il avait effectivement connaissance de l'existence d'un référé précontractuel, il sera souvent bien difficile de déterminer le moment auquel il a été informé. Dans ces circonstances, il sera alors très difficile de dire si le pouvoir adjudicateur a fait obstacle au référé précontractuel en toute connaissance de cause, ou s'il l'a fait sans savoir qu'un tel recours avait été déposé. En deuxième lieu, il nous semble qu'il paraîtrait sans doute excessif de demander au juge du référé contractuel de s'assurer, à chaque fois, si le pouvoir adjudicateur n'a pas été informé d'une manière ou d'une autre de l'existence d'un référé précontractuel auquel il aurait fait obstacle en signant prématurément le contrat. Les concurrents évincés doivent bien comprendre que si la notification du référé précontractuel n'est pas prescrite à peine d'irrecevabilité du recours, il est dans leur intérêt d'y procéder. A défaut, et dans l'hypothèse où cette notification ne serait pas réalisée par le greffe du tribunal administratif, ils prennent le risque d'une signature rapide du contrat, et donc du rejet de leur référé précontractuel et de l'impossibilité d'exercer un référé contractuel. En somme, l'arrêt du 5 mars 2014 invite à une responsabilisation contentieuse des concurrents évincés qui ne peuvent pas exiger du juge du référé contractuel qu'il corrige une erreur ou un oubli qu'ils ont commis.


(1) F. Llorens et P. Soler-Couteaux, La dégradation de la situation des maîtres d'oeuvre, Contrats Marchés publ., 2014, repère 2.
(2) Ainsi que l'a expliqué M. Bertrand Dacosta dans ses conclusions, que nous remercions pour leur aimable communication.
(3) CAA Douai, 2ème ch., 4 décembre 2012, n° 11DA01302, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1246IZ8).
(4) Comme cela a été rappelé dans l'arrêt "Société Babel" (CE 2° et 7° s-s-r., 29 septembre 2010, n° 319481, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7497GAW).
(5) CAA Nantes, 3ème ch., 21 février 2013, n° 11NT01113, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0739MHT).
(6) Ph. Rees, Chronique de contentieux des contrats administratifs, Contrats Marchés publ., 2010, chron. 10.
(7) Ph. Delelis, Les insuffisances des procédures de référé, AJDA, 2011, p. 320.
(8) P. Cassia, Le référé contractuel : beaucoup de bruit pour -presque- rien, Mélanges en l'honneur du Professeur Laurent Richer, LGDJ, 2013, p. 571.
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 10 novembre 2010, n° 340944, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8947GGH).
(10) CE 2° et 7° s-s-r., 24 juin 2011, n° 346665 et n° 346746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3555HU9).
(11) CE 2° et 7° s-s-r., 10 novembre 2010, n° 341132, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8948GGI).
(12) Voir en ce sens, CE 2° et 7° s-s-r., 30 septembre 2011, n° 350148, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1556HYB) : "Considérant qu'en vertu de l'article L. 551-14 du Code de justice administrative, le recours contractuel demeure ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la suspension prévue à l'article L. 551-14 ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ; qu'il en va toutefois différemment lorsque le recours contractuel, présenté par un demandeur qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel, est dirigé contre un marché signé durant la suspension prévue à l'article L. 551-14 alors que le pouvoir adjudicateur était dans l'ignorance du référé précontractuel en raison de la méconnaissance, par le demandeur, de ses obligations de notification prévues à l'article R. 551-1".
(13) CE 2° et 7° s-s-r., 1er mars 2012, n° 355560, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3385IE4).

newsid:441271

Droit des étrangers

[Brèves] Clarification des règles concernant le droit de séjour des ressortissants d'un Etat tiers, membres de la famille d'un citoyen de l'Union, dans l'Etat membre d'origine du citoyen

Réf. : CJUE, 12 mars 2014, aff. C-456/12 (N° Lexbase : A9903MGU) et C-457/12 (N° Lexbase : A6804MG4)

Lecture: 1 min

N1306BUW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441306
Copier

Le 21 Mars 2014

La CJUE clarifie les règles concernant le droit de séjour des ressortissants d'un Etat tiers, membres de la famille d'un citoyen de l'Union, dans l'Etat membre d'origine du citoyen, dans deux arrêts rendus le 12 mars 2014 (CJUE, 12 mars 2014, aff. C-456/12 N° Lexbase : A9903MGU et C-457/12 N° Lexbase : A6804MG4). La Directive (CE) 2004/38 du 29 avril 2004 (N° Lexbase : L2090DY3) accorde aux citoyens de l'Union ainsi qu'aux membres de leur famille le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. Dans la première affaire (C-456/12), la Cour dit pour droit que, dans une situation dans laquelle un citoyen de l'Union a, en vertu et dans le respect des dispositions de la Directive (CE) 2004/38 relatives à un droit de séjour de plus de trois mois, développé ou consolidé une vie de famille avec un ressortissant d'un Etat tiers à l'occasion d'un séjour effectif dans un Etat membre autre que celui dont il possède la nationalité, les dispositions de cette même Directive s'appliquent par analogie lorsque ledit citoyen de l'Union retourne, avec le membre de sa famille concerné, dans son Etat membre d'origine. Dans la seconde affaire (C-457/12), elle précise que l'article 45 TFUE (N° Lexbase : L2693IPG) confère à un membre de la famille d'un citoyen de l'Union, ressortissant d'un Etat tiers, un droit de séjour dérivé dans l'Etat membre dont ce citoyen possède la nationalité, lorsque ledit citoyen réside dans ce dernier Etat, mais se rend régulièrement dans un autre Etat membre en tant que travailleur au sens de ladite disposition. En effet, le refus de l'octroi d'un tel droit de séjour a un effet dissuasif sur l'exercice effectif des droits que le travailleur concerné tire de l'article 45 TFUE, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E2336EY8).

newsid:441306

Entreprises en difficulté

[Brèves] Réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives

Réf. : Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives (N° Lexbase : L7194IZH)

Lecture: 1 min

N1261BUA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441261
Copier

Le 20 Mars 2014

L'ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives a été publiée au Journal officiel du 14 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives N° Lexbase : L7194IZH). L'incitation à recourir aux mesures de mandat ad hoc et à la conciliation est renforcée. Les frais d'exécution de ces mesures seront contrôlés et les clauses des contrats qui aggraveraient la situation du chef d'entreprise ayant recours à l'une ou l'autre de ces mesures sont rendues inapplicables. Le champ du privilège d'argent frais dont bénéficient les créanciers qui ont consenti un apport de capitaux dans le cadre de l'accord de conciliation est étendu aux apports réalisés au cours de la négociation qui a abouti à cet accord. Enfin, alors qu'elles en étaient jusqu'alors exclues, les professions libérales et indépendantes et les entreprises agricoles pourront désormais bénéficier de la procédure d'alerte. Une nouvelle procédure de sauvegarde accélérée est créée, qui permettra des solutions rapides et négociées avec les principaux créanciers de l'entreprise. Pour accroître les solutions de continuation ouvertes à l'entreprise en sauvegarde ou en redressement judiciaire, la faculté est donnée aux créanciers de proposer des plans alternatifs ou concurrents à celui du dirigeant de l'entreprise. Le mécanisme de la déclaration des créances et les opérations de vérification du passif, étape centrale de la procédure, sont enfin simplifiés et rendus plus sûr. S'agissant enfin des procédures de liquidation, les délais de traitement des procédures de liquidation sont réduits et les opérations de réalisation des actifs allégées. Les entrepreneurs personnes physiques pourront être soumis à une procédure de rétablissement professionnel avec effacement des dettes, ce qui favorisera leur rebond. Du point de vue procédural, l'ordonnance renforce les garanties d'impartialité des juridictions consulaires et accroît les exigences en matière de compétence et d'indépendance des mandataires de justice. Le rôle du ministère public est également renforcé. L'ordonnance met ainsi en oeuvre différents leviers juridiques qui faciliteront la poursuite de l'activité et le maintien de l'emploi.

newsid:441261

Expropriation

[Brèves] Effets de l'annulation par le juge administratif du refus de déclarer un projet d'utilité publique

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 12 mars 2014, n° 364092, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9187MGD)

Lecture: 1 min

N1309BUZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441309
Copier

Le 22 Mars 2014

Le Conseil d'Etat précise les effets de l'annulation par le juge administratif du refus de déclarer un projet d'utilité publique dans un arrêt rendu le 12 mars 2014 (CE 1° et 6° s-s-r., 12 mars 2014, n° 364092, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9187MGD). Il résulte du I de l'article L. 11-5 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L2894HLR) que l'autorité compétente de l'Etat dispose d'un délai d'un an, éventuellement augmenté de six mois, à compter de la clôture de l'enquête préalable pour déclarer d'utilité publique le projet. Il en va, toutefois, différemment lorsque cette autorité refuse de prononcer cette déclaration et que cette décision de refus est annulée par le juge administratif. Dans un tel cas, le délai d'un an recommence à courir à compter de la date à laquelle la décision d'annulation a été notifiée à l'autorité compétente. Cette dernière peut, dans ce nouveau délai, prendre l'arrêté déclarant le projet d'utilité publique au vu des résultats de l'enquête initiale, à la condition que ne soit intervenu depuis sa réalisation aucun changement dans les circonstances de fait ou de droit rendant nécessaire l'ouverture d'une nouvelle enquête publique. Dès lors, en jugeant que l'annulation de l'arrêté par lequel le préfet avait refusé de déclarer d'utilité publique l'acquisition d'immeubles nécessaires à la création d'une installation de stockage de déchets non dangereux sur le territoire de plusieurs communes était sans incidence sur l'application du délai prévu à l'article L. 11-5 précité courant à compter de la clôture de l'enquête publique, la cour administrative d'appel (CAA Lyon, 4ème ch., 27 septembre 2012, n° 11LY01226, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2833IWT) a commis une erreur de droit.

newsid:441309

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Bouclier fiscal : l'exclusion de l'impôt payé dans un Etat membre de l'UE pour le calcul du plafonnement de l'IR est contraire au droit de l'Union

Réf. : CJUE, 13 mars 2014, aff. C-375/12 (N° Lexbase : A6825MGU)

Lecture: 2 min

N1262BUB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441262
Copier

Le 20 Mars 2014

Aux termes d'un arrêt rendu le 13 mars 2014, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) retient que, pour le calcul du plafonnement de l'imposition en France, dans le cadre du dispositif, disparu en 2011, du "bouclier fiscal" (CGI, art. 1er N° Lexbase : L9234HZZ et 1649-0 A N° Lexbase : L4850IQP), l'impôt payé à la source dans un autre pays européen doit être pris en compte (CJUE, 13 mars 2014, aff. C-375/12 N° Lexbase : A6825MGU). L'administration fiscale française avait, dans le cas d'une résidente de France actionnaire d'une entreprise sise en Suède, refusé la prise en compte de l'impôt payé à la source en Suède dans le calcul du plafonnement de l'IR de la contribuable. Si ces impôts étrangers avaient été pris en compte, cette dernière aurait pu obtenir la restitution de l'impôt payé en France. Saisie par le juge français de questions préjudicielles concernant la conformité de cette exclusion aux dispositions du droit de l'Union, la CJUE décide que la législation française constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, en établissant une différence de traitement fiscal aux dividendes de source étrangère. Elle rejette les justifications avancées par le Gouvernement français, soutenues par le Royaume-Uni, et fondées sur la nécessité de maintenir la cohérence du système fiscal et la nécessité de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres. En effet, et notamment, la question de la répartition du pouvoir d'imposition entre la République française et le Royaume de Suède a été réglée dans la Convention franco-suédoise (N° Lexbase : L6757BHQ) qui établit le droit, pour chacun de ces Etats, d'imposer les dividendes acquis et perçus sur son territoire. Dans ce contexte, la République française a conservé le droit d'imposer les revenus mobiliers de source suédoise et a accepté d'octroyer un crédit d'impôt destiné à réduire les effets de cette double imposition au bénéfice des contribuables résidant en France. La France a donc librement accepté la répartition du pouvoir d'imposition telle qu'elle résulte des stipulations mêmes de la convention franco-suédoise. Le juge de l'Union en conclut que l'impôt sur le revenu payé à la source dans un autre Etat membre doit être pris en compte en France dans le total des impôts directs, et que le règlement prévoyant uniquement un crédit d'impôt équivalent à l'impôt payé à l'étranger est une entrave injustifiée à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement .

newsid:441262

Fiscalité internationale

[Focus] L'échange automatique de renseignements : les nouvelles règles du jeu

Lecture: 12 min

N1274BUQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441274
Copier

par Simon Ginesty, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine

Le 20 Mars 2014

Dire que les règles de la fiscalité internationale ont changé est un euphémisme. En l'espace de quelques années, plusieurs dizaines de règlementations ont été adoptées par les Etats -soit au niveau local, soit au niveau international- avec pour objectif commun la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale internationale.

A cet égard, l'échange de renseignements constitue sans nul doute l'une des armes les plus efficaces pour "intensifier la coopération internationale en restaurant les règles du jeu plus équitables entre les Etats pour protéger l'intégrité de leurs systèmes fiscaux et lutter contre la fraude fiscale" (1).

Les Etats, qui ont bien compris tous les intérêts qu'ils pouvaient retirer d'un tel échange de renseignements, ont donc mis en place progressivement des législations leur permettent d'échanger et collecter des données importantes sur leurs contribuables :
- l'Union européenne d'abord, avec la Directive "Epargne" (2), qui a permis un échange automatique de données sur les revenus d'intérêts des contribuables résidant dans l'Union ;
- les Etats-Unis ensuite, avec l'adoption de la loi "FATCA" (3), qui impose à tous les établissements financiers détenant des avoirs de citoyens américains d'en faire la déclaration auprès de l'administration fiscale américaine. Au vu de ces avancées, mais aussi des limites et du manque d'uniformité inhérents aux dispositifs existants, l'OCDE et le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales ont souhaité proposer tant à leurs Etats membres qu'aux non membres l'adoption d'une nouvelle norme à vocation universelle : l'échange automatique des renseignements en matière fiscale (4).

L'idée principale est de transmettre de manière systématique et régulière le plus grand nombre d'informations possibles sur certains contribuables : ces dernières sont communiquées au pays de résidence par le pays de la source et concernent diverses catégories de revenus (par exemple, les dividendes, intérêts, redevances, salaires, pensions, etc.). En principe, les renseignements sur lesquels cet échange porte sont systématiquement recueillis dans le pays de la source, généralement par le biais des déclarations de paiements effectués par le payeur (institution financière,...).

L'avantage majeur d'un tel dispositif est qu'il peut aussi constituer un vecteur de transmission d'autres renseignements utiles : changement de résidence, achat ou vente de biens immobiliers, remboursements de TVA, etc.. L'objectif est, et demeure, que les autorités fiscales du pays de résidence du contribuable soient à même de vérifier, par le contrôle des documents fiscaux, que ce dernier a bien déclaré ses revenus de source étrangère.

La mise en place d'un tel échange automatique de renseignements ne va cependant pas de soi et soulève certaines interrogations : sur quel cadre légal peut-il reposer ? Quelles sont les garanties apportées au contribuable ? Quelle doit être l'étendue de la collecte des informations et sous quelle forme les données seront-elles transmises ? Autant de questions qui sont et seront déterminantes dans le succès de cette ambitieuse opération.

I - Le cadre légal de la mise en place d'un échange automatique de renseignements

La question de la base légale d'un échange automatique de renseignements n'est pas secondaire, en ce qu'elle constitue le socle juridique sur lequel un tel échange devra fonctionner entre les Etats. Sur ce sujet, deux approches sont envisageables, l'une reposant sur un corpus de textes applicables entre deux Etats, l'autre reposant sur une approche multilatérale.

A - La clause d'échange de renseignements des conventions fiscales internationales

L'article 26 du modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l'OCDE (N° Lexbase : L6769ITU) prévoit que "les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l'administration ou l'application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des Etats contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l'imposition qu'elle prévoit n'est pas contraire à la Convention".

Il s'agit donc du cadre naturel d'échange de renseignements entre deux Etats souverains : pour appliquer la convention fiscale, les Etats agréent de s'échanger les informations qui concernent les contribuables d'un Etat qui dispose de revenus dans l'autre Etat partie à la Convention.

Bien que cet article soit une extraordinaire avancée dans le domaine, il n'en demeure pas moins qu'il souffre d'importantes lacunes, dont la plus importante a trait au caractère "vraisemblablement pertinents" des renseignements demandés. Cet article ne permet ainsi heureusement pas -ou malheureusement, c'est selon- de demander des renseignements dont il est peu probable qu'ils soient pertinents pour régler les affaires fiscales d'un contribuable déterminé (5). Autrement dit, un Etat ne peut s'appuyer sur cet article pour demander des informations générales sur un contribuable ; il doit au préalable obtenir des informations laissant penser que ce dernier perçoit des revenus dans l'autre Etat.

Pour pallier à ces difficultés, le Forum mondial propose donc d'introduire l'automaticité des échanges de renseignements et donc :
(i) d'amender l'article 26 du modèle OCDE pour prévoir l'automaticité des échanges d'informations, et
(ii) d'adopter un modèle d'accord spécifique de mise en place de l'échange automatique. En effet, de nombreux Etats ne disposent pas dans leur droit interne de dispositifs adéquats à la réalisation de cet échange. Cet accord, signé entre les deux Etats parties à la convention fiscale, prévoirait les modalités pratiques de mise en oeuvre de cet échange de renseignements.

B - La Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale

A côté des conventions internationales dites "classiques" signées entre deux Etats, il existe une convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, datant de 1988, et reposant sur une approche multilatérale : tous les Etats et Territoires signataires de cette convention y sont donc tenus par les mêmes engagements en matière fiscale.

Amendée en 2010 pour tenir compte des évolutions législatives récentes, cette convention apparaît aux yeux de l'OCDE comme l'instrument privilégié de l'échange des renseignements entre Etats. Par le biais de cette convention, l'échange d'information peut être spontané (article 7) ou automatique, s'il existe un accord préalable entre les autorités (article 6).

Ainsi, cette Convention permettrait aux Etats qui le souhaitent d'adopter très rapidement une procédure d'échange automatique de renseignements, simplement en signant le modèle d'accord tel que proposé par l'OCDE (V. infra).

Signé par plus de 64 Etats ou Territoires au 23 décembre 2013, cette Convention pourrait donc servir de cadre légal à un échange automatique de renseignements, sa portée très large (tant au regard des impôts que des revenus qui y sont visés (6)) plaidant pour son utilisation accrue.

C - La règlementation européenne

Deux instruments sont aujourd'hui disponibles au sein de l'Union européenne ayant trait à l'échange d'information en matière fiscale.

Le premier est la Directive du 15 février 2011 (7), relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, dont le considérant préliminaire mérite d'être rappelé tant il témoigne de la préoccupation des Gouvernements étatiques en la matière : "A l'ère de la mondialisation, il est plus que jamais nécessaire pour les Etats membres de se prêter mutuellement assistance dans le domaine fiscal. La mobilité des contribuables, le nombre d'opérations transfrontalières et l'internationalisation des instruments financiers connaissent une évolution considérable, ce qui fait qu'il est difficile pour les Etats membres d'établir correctement le montant des impôts et taxes à percevoir. Cette difficulté croissante a des répercussions sur le fonctionnement des systèmes fiscaux et entraîne un phénomène de double imposition, lequel incite à la fraude et à l'évasion fiscales, tandis que les contrôles restent du ressort des autorités nationales. Le bon fonctionnement du marché intérieur s'en trouve menacé". Ce texte prévoit la mise en place à compter du 1er janvier 2015 d'un échange automatique et obligatoire d'informations relatives à certaines catégories de revenus et de capital, à savoir les revenus professionnels, les jetons de présence, les produits d'assurance-vie, les pensions de retraite ainsi que les revenus de biens immobiliers. Exclus jusqu'à présent, les dividendes devraient prochainement être ajoutés au nombre des renseignements obligatoirement échangés.

Le second est la Directive "Epargne" du 3 juin 2003, relative au paiement d'intérêts, précitée, qui prévoit également un échange automatisé des informations obtenues par les Etats membres.

Dans les deux cas, on relèvera que ces deux obligations reposent -en pratique- sur les établissements payeurs des revenus et s'effectuent via l'imprimé fiscal unique ("IFU") que les entreprises et les établissements financiers sont tenus de souscrire annuellement.

D - L'accord FATCA

Nul doute que la nouvelle règlementation adoptée par les Etats-Unis en matière d'obligations déclaratives a constitué la genèse du mouvement global d'échange de renseignements. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une possible base légale d'un échange automatique de renseignements tel que prévu par la nouvelle norme OCDE, mais d'un dispositif particulier et autonome d'échange d'information entre les Etats-Unis et des Etats/entreprises tierces.

L'idée du Gouvernement américain était relativement simple : ses concitoyens étant astreints à une obligation fiscale illimitée, et ce quel que soit le lieu effectif de leurs résidences, il suffisait d'obtenir les informations les concernant auprès des établissements bancaires étrangers. A défaut d'une transmission annuelle des informations, une retenue à la source serait appliquée aux revenus de source américaine perçus par ces établissements bancaires (8).

Cette astucieuse mécanique de contrainte nécessitait toutefois la signature d'accords particuliers avec les Etats étrangers pour convenir de la procédure à adopter. S'agissant de la France, ce fut chose faite à la suite d'un accord en date du 14 novembre 2013, qui prévoit un échange automatisé -et réciproque- des informations relatives aux comptes enregistrés dans l'un des deux Etats.

Il s'ensuit que la France et les Etats-Unis échangeront désormais, et ce de manière automatique, les informations qu'ils possèdent en matière fiscale. Il serait néanmoins souhaitable à terme que la nouvelle norme OCDE et la loi FATCA se rejoignent, les deux dispositifs ayant un but identique. Cela pourrait éviter d'inutiles complexités administratives/règlementaires, mais aussi accroître considérablement la mise en oeuvre d'un échange standardisé des informations.

II - La nouvelle norme OCDE : l'échange automatique de renseignements

La base légale de cette nouvelle norme étant désormais identifiée, il reste à en déterminer les contours : qui, quoi, comment et pourquoi ?

Sept étapes ont ainsi été identifiées au cours du processus d'échange automatisé de renseignements.

Voir la présentation schématisée des sept étapes.

A - Le recueil des informations

Le recueil des informations est la première étape du processus, aussi indispensable que délicate.

Il convient tout d'abord d'identifier les personnes ou organismes chargés de collecter les informations. D'après l'OCDE, il s'agira uniquement des institutions financières, lesquelles comprennent les établissements bancaires, les entreprises d'investissements et de gestion, ainsi que les entreprises de gestion d'assurance. Compte tenu de la définition particulièrement large qui semble avoir été retenue, sera donc concerné tout organisme financier dont l'activité principale consiste à gérer des fonds pour le compte d'autrui. On remarque ainsi que la norme OCDE ne recouvre pas les données transmises directement par les contribuables à leur administration fiscale.

Ensuite, s'agissant des informations qui devront être collectées, seront concernées :
- l'identité du contribuable, c'est-à-dire ses nom et prénom, adresse, numéro fiscal et date de naissance, et ce y compris lorsque les comptes sont détenus par l'intermédiaire d'entités fiscalement transparentes (trust, fiducie, partnership,...) ;
- le numéro de compte ;
- le nom et le numéro d'identification de l'institution financière ;
- le solde du compte au 31 décembre de chaque année ;
- le montant des dividendes, intérêts ou autre revenus générés par les sommes placées sur ce compte au cours de l'année civile ;
- les sommes reçues au titre de la vente de biens immobiliers (dès lors que l'institution financière est intervenue dans la transaction en qualité d'agent ou d'intermédiaire).

On remarquera sur ce point que les informations recueillies concernent les personnes physiques ou morales, mais également les revenus perçus par ces dernières par l'intermédiaire d'une entité (trust, partnership, fondation). Il s'agit sans nul doute d'une évolution majeure dans l'identification des bénéficiaires réels, tant il apparaît que plusieurs types de montage (et notamment les trusts) sont utilisés pour échapper à l'impôt (9).

La nouvelle norme OCDE sur l'échange automatique d'informations nécessitera en pratique que les institutions financières recherchent, lors de l'ouverture d'un compte, le bénéficiaire effectif de ces entités pour les besoins de l'échange. Pour ce faire, l'OCDE a établi une procédure très précise ("due diligence") que les institutions financières seront tenues d'observer à l'égard de leurs clients. L'un des objectifs de cette procédure sera de déterminer -avec la plus grande certitude possible- la résidence fiscale de la personne détentrice du compte.

B - La transmission des informations auprès des autorités fiscales

Lorsque les institutions financières auront récupéré les informations nécessaires, elles seront tenues de les adresser à l'administration fiscale dont elles dépendent. On relèvera à ce propos qu'une succursale située dans un Etat A d'une banque située dans un Etat B ne sera tenue d'adresser les informations qu'auprès de l'Etat A relatives aux comptes ouverts auprès de cette succursale dans ce même Etat A. Autrement dit, l'OCDE a retenu une approche territoriale, de sorte que les banques françaises, par exemple, ne seront pas tenues d'indiquer à l'administration fiscale française les informations détenues par leurs succursales à l'étranger. Toutefois, quand on sait combien la résidence fiscale d'une personne peut être une question oh combien délicate, il est probable que des erreurs soient commises par les administrations fiscales/institutions financières sur ce sujet.

S'agissant de la transmission proprement dite, celle-ci est laissée à la libre disposition des Etats. Dans le cas de la France, cette transmission s'opèrera par le biais de l'imprimé fiscal unique. Les institutions financières sont déjà tenues d'adresser ce formulaire annuellement à l'administration fiscale et ce dernier comportera, à compter de l'année 2014, toutes les informations requises pour l'application des conventions conclues par la France organisant un échange automatique d'informations à des fins fiscales (10).

C - Le regroupement des informations par l'administration fiscale

Une fois les informations recueillies par l'administration fiscale, celle-ci devra regrouper l'ensemble des informations par pays de résidence. Par exemple, un compte bancaire ouvert par un résident allemand auprès d'une institution financière en France sera regroupé dans le fichier "Allemagne" par l'administration française, afin de n'adresser à l'administration fiscale allemande que les informations dont elle doit avoir connaissance.

D - Les renseignements sont cryptés et regroupés pour être envoyés à l'administration fiscale du pays de résidence

Cette étape pourra soulever des questions sur la confidentialité des informations, ainsi que sur leur fiabilité. En effet, plusieurs évènements récents (affaire "Clearstream", liste "HSBC",...) ont montré que la falsification des informations n'était pas seulement un risque théorique.

Espérons dès lors que les Etats s'entendront pour la mise en place d'une solution informatique fiable pour la transmission des données et ne se satisferont pas de la note explicative de l'OCDE sur ce sujet de 2012, qui précise que : "les renseignements peuvent être transmis par voie électronique ou sur CD ROM. Si les CD ROM sont expédiés par la poste, l'envoi doit être effectué en recommandé, de telle sorte que la référence du colis soit consignée dans un système international pour assurer son suivi...". A ce propos, l'OCDE a indiqué qu'elle formulerait au cours de l'année 2014 des commentaires et propositions sur cette transmission.

E - Les renseignements sont reçus et décryptés par l'administration

Ici encore, la question de la confidentialité des informations reçues par l'administration fiscale sera déterminante pour assurer le succès de la nouvelle norme.

F - Le pays de résidence intègre les informations pertinentes dans un processus de recoupement automatique ou manuel

Cette dernière (ou avant dernière) phase constituera bien évidemment la phase critique de l'échange, le pays de résidence pouvant -sur la base des informations ainsi reçues- confirmer ou bien constater que le contribuable a effectivement reporté les revenus perçus dans sa déclaration de revenus.

Le recoupement automatique, bien que souhaité par les Etats et l'OCDE, nécessitera une adaptation technique importante des systèmes informatiques des administrations fiscales locales. A défaut d'un numéro fiscal unique dans le monde, l'adresse et la date de naissance du contribuable seront, à cet effet, très importantes pour effectuer un recoupement automatisé.

G - Le pays de résidence analyse les résultats et prend des mesures de discipline fiscale appropriée

S'il apparait qu'un contribuable a perçu des revenus dans un Etat sans en faire mention à son Etat de résidence, les règles locales fiscales auront alors vocation à s'appliquer.

S'agissant de la France, et en cas d'omission par une personne physique par exemple, seraient alors applicables :
-la pénalité pour non-déclaration de compte bancaire à l'étranger (CGI, art. 1649 A N° Lexbase : L1746HMM) ;
-le rappel d'impôt sur le revenu afférent aux revenus non déclarés ;
-le rappel d'impôt de solidarité sur la fortune, le cas échéant ;
-les contributions sociales, le cas échéant.

III - L'adaptation de la France à la nouvelle norme

Comme énoncé déjà ci-dessus, la France semble relativement en avance sur l'épineuse question de la lutte contre la fraude fiscale. Outre les nombreux textes votés par l'Assemblée ces dernières années, notre pays participe activement à l'élaboration des textes et apporte son soutien de manière claire à toutes les initiatives entreprises dans ce domaine.

S'agissant de l'échange d'informations à des fins fiscales, on notera que la France s'est également dotée d'une législation adéquate, à même de l'aider dans sa quête d'une plus grande justice fiscale.

Deux dispositifs ont ainsi récemment été modifiés. Le premier a trait au délai de reprise dont dispose l'administration, qui a été porté de 2 à 3 ans par l'article 59 de la loi relative à la fraude contre la lutte fiscale et la grande délinquance économique (11), lorsque l'administration aura -pendant le délai initial de reprise- demandé à l'autorité compétente d'un autre Etat ou territoire des informations concernant un contribuable.

Le second est relatif au délai de prescription de l'action en recouvrement, dont l'article 47 de la loi précitée a également étendu la durée à six ans (au lieu de quatre) dans le cas d'un contribuable établi dans un Etat avec lequel la France ne dispose d'aucun instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement.

L'application de ces dispositifs soulève des interrogations au regard de la mise en place progressive d'un échange automatisé des informations : si l'administration fiscale française dispose de telles informations sur un contribuable, envoyées annuellement par son homologue étrangère, pourra-t-elle arguer d'un allongement du délai de reprise/recouvrement ? Une réponse positive ne manquerait pas de susciter l'incompréhension des praticiens, pour qui un allongement du délai normal ne devrait pouvoir se concevoir que dans les cas où l'administration fiscale ne pouvait connaître les informations permettant de sanctionner le contribuable. Si à l'inverse la réponse s'avérait négative, l'administration ne manquera certainement pas de célérité dans la mise en place d'une procédure automatisée des informations reçues dans le cadre de la nouvelle norme OCDE.


(1) Angel Gurria, Secrétaire Général de l'OCDE, lors de la présentation, le 13 février 2014, de la nouvelle norme OCDE.
(2) Directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 (N° Lexbase : L6608BH9).
(3) Foreign Account Tax Compliance Act, du 18 mars 2010.
(4) Le Forum mondial est une ancienne émanation de l'OCDE qui a été restructuré en septembre 2009 en réponse à l'appel du G20 pour renforcer la mise en place de normes d'échange de renseignements. Il compte aujourd'hui 121 membres et demeure le premier organisme international ayant pour but d'assurer l'application des normes convenues au niveau international de transparence et d'échange de renseignements dans le domaine fiscal.
(5) Commentaires OCDE, C(26) n° 5 (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8493ETQ).
(6) On notera par exemple que cette Convention intègre les cotisations de sécurité sociale -article 2- et vise les partnerships, associations ou autre entités telles que prévues dans le droit interne de chaque Etat.
(7) Directive 2011/16/EU du 15 février 2011, abrogeant la Directive 77/7999/CEE du 19 décembre 1977 (N° Lexbase : L5101IPM).
(8) Le montant de cette retenue à la source est fixé à 30% des revenus de source américaine (intérêts, dividendes, plus-values,...).
(9) On remarquera -encore une fois- l'avance de la France dans ce domaine, puisque les trusts doivent faire l'objet d'une déclaration spécifique auprès de l'administration fiscale (CGI, art. 1649 AB N° Lexbase : L9493IYA).
(10) CGI, art. 1649 AC (N° Lexbase : L5065IXU), issu de la loi 2013-672 du 26 juillet 2013 (N° Lexbase : L9336IX3).
(11) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (N° Lexbase : L6136IYW).

newsid:441274

Fiscalité internationale

[Brèves] Exclusion de la possibilité prévue par le droit interne de déduire l'impôt étranger de l'assiette taxable en France si une convention internationale l'écarte : la mort de la subsidiarité ?

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2014, n° 362528, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6800MGX)

Lecture: 2 min

N1256BU3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441256
Copier

Le 20 Mars 2014

Aux termes d'une décision rendue le 12 mars 2014, le Conseil d'Etat retient que, même si le droit fiscal interne peut prévoir la déduction de l'impôt étranger, cette dernière peut être écartée si les conventions fiscales le stipulent clairement (CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2014, n° 362528, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6800MGX). En l'espèce, l'administration a remis en cause la déduction des retenues à la source acquittées par une société imposable en France en Italie et au Japon à raison de redevances de marques perçues dans ces deux Etats. En premier lieu, le juge valide la différence de délai d'appel qui existe entre un contribuable privé et l'administration (LPF, art. R. 200-18 N° Lexbase : L4995AEQ). En effet, l'administration fiscale est dans une situation différente de celle des autres justiciables, ce qui justifie le délai complémentaire de deux mois accordé au ministre, dont les contribuables peuvent d'ailleurs, en provoquant eux-mêmes la signification du jugement au ministre, réduire la durée. En second lieu, la Haute juridiction rappelle les règles applicables en matière de conventions d'élimination des doubles impositions : leur texte ne peut pas servir directement de base légale à une l'imposition, le juge doit donc d'abord se placer au regard du droit interne pour vérifier qu'une imposition s'applique, puis chercher si la convention ne l'écarte pas. Toutefois, lorsque les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu'elle y a réalisées sont normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu de la loi fiscale nationale, le juge doit examiner si cette déduction de l'impôt acquitté à l'étranger peut être exclue par les stipulations claires d'une convention. Il en va ainsi, alors même que la convention prévoirait par ailleurs un mécanisme de crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, dont cette entreprise ne serait pas en mesure de bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l'année en cause, dès lors que la convention interdit la déduction en toutes circonstances. Le juge en conclut que si la société était fondée, par l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), à déduire les impositions acquittées en Italie et au Japon, cette déduction peut être refusée en application des stipulations conventionnelles qui y font obstacle. Les conventions fiscales signées avec l'Italie (Convention France - Italie, signée à Venise le 5 octobre 1989 N° Lexbase : L6706BHT) et le Japon (Convention France - Japon, signée à Paris le 3 mars 1995 N° Lexbase : L6709BHX) excluent la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans ces pays des revenus imposables en France, sans réserver le cas où le contribuable, résident de France, ne pourrait bénéficier, en raison de sa situation déficitaire, de l'imputation du crédit d'impôt correspondant à l'impôt acquitté à l'étranger .

newsid:441256

Presse

[Brèves] Affaire du "Mediator" : validité de la publication de pièces issues de l'instruction judiciaire en cours, au nom de l'intérêt général

Réf. : Cass. civ. 1, 11 mars 2014, n° 12-29.419, FP-P+B (N° Lexbase : A9359MGQ)

Lecture: 2 min

N1296BUK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441296
Copier

Le 20 Mars 2014

En vertu de l'article 38 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), "il est interdit de publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique et ce, sous peine d'une amende de 3 750 euros". Dans un arrêt rendu le 11 mars 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation estime que ces dispositions n'ont pas lieu d'être appliquées s'agissant de la publication de pièces issues de l'instruction judiciaire en cours dans le cadre de l'affaire du "Mediator", dès lors que cette affaire a trait à un problème de santé publique et qu'informer à son sujet revêt un caractère d'intérêt général (Cass. civ. 1, 11 mars 2014, n° 12-29.419, FP-P+B N° Lexbase : A9359MGQ ; cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E4106ETA). En l'espèce, Mme J. avait publié dans un journal du 7 février 2012 un article consacré au produit dénommé "Mediator" sous le titre "Chez S., on l'appelait le 'Merdiator'", comprenant dix extraits du procès-verbal d'audition, en qualité de témoin, de Mme J., désignée par son prénom, lors de la procédure d'instruction ouverte au tribunal de grande instance de Paris et ayant donné lieu à la mise en examen de M. S. et de plusieurs sociétés du groupe qu'il dirige pour escroquerie, tromperie aggravée et obtention indue d'une autorisation administrative. La société des laboratoires S. avaient assigné le directeur de la publication du journal, Mme J. et la société éditrice du journal, sur le fondement de l'article 38 de la loi du 1881, afin d'obtenir des dommages-intérêts, ainsi que la publication du jugement à intervenir, par extraits, dans le journal en cause et dans trois autres journaux ; elle faisait grief à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 24 octobre 2012 de la débouter de ses demandes (CA Paris, Pôle 2, 7ème ch., 24 octobre 2012, n° 12/13784 N° Lexbase : A8780IUQ). En vain. La Cour suprême approuve les juges d'appel ayant relevé que l'affaire du "Mediator" avait trait à un problème de santé publique et qu'informer à son sujet revêtait un caractère d'intérêt général. Aussi, ayant constaté que la publication des citations extraites des procès-verbaux d'audition contenait le témoignage non décisif d'une visiteuse médicale, recueilli au cours d'une information complexe et de longue durée, sans que soient connues l'échéance ni même la certitude d'un procès, la cour d'appel avait pu en déduire que cette publication n'avait pas porté atteinte au droit à un procès équitable ni à l'autorité et à l'impartialité de la justice, de sorte que l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication litigieuse constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ) ; les juges d'appel avaient ainsi légalement justifié leur décision.

newsid:441296

Procédure pénale

[Jurisprudence] Révision en cas de troubles de la personnalité de la partie civile et de sa rétractation sincère et persistante

Réf. : Cass. crim., 18 février 2014, n° 13-85.286, FS-D+I (N° Lexbase : A4197ME8)

Lecture: 7 min

N1258BU7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441258
Copier

par Kaltoum Gachi, Avocate au barreau de Paris, Docteur en Droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II

Le 20 Mars 2014

L'arrêt de la Chambre criminelle, statuant comme Cour de révision, rendu le 18 février 2014 est précieux puisqu'il s'inscrit dans les rares précédents rendus en matière de révision des condamnations pénales. Il vient utilement affiner les contours du "fait nouveau", notion essentielle et maîtresse du recours en révision laissée à l'appréciation, assez casuistique, des magistrats. En l'espèce, la Chambre criminelle précise que les troubles de la personnalité de la victime, constatés par l'expert désigné par la Commission de révision ayant rétrospectivement conduit à relativiser sa crédibilité ainsi que la persistance de sa rétractation, non motivée par un mobile financier, constituent un fait nouveau, au sens de l'article 622, 4° du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3995AZY). Cette décision, vraisemblablement inédite, doit être approuvée. Le présent arrêt de la Chambre criminelle, en date du 18 février 2014, mérite incontestablement attention tant les décisions qui admettent la révision des condamnations pénales sont rares, sans compter l'actualité cuisante de la question marquée par la proposition de loi relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale. Cette proposition a été discutée le 27 février 2014 à l'Assemblée nationale et propose notamment d'unifier la matière sous le titre II du livre III du Code de procédure pénale en créant une "Cour de révision et de réexamen" composée de dix-huit magistrats (au lieu de cinq aujourd'hui) de la Cour de cassation, présidée par le président de la Chambre criminelle.

Les faits de l'espèce étaient les suivants : le 15 juin 2000, un enfant âgé de 9 ans avait déclaré à ses parents avoir subi des violences sexuelles, en particulier des actes de sodomie, en accusant son grand-père, lequel avait toujours clamé son innocence.

Les examens médico-légaux n'avaient pas apporté de preuve formelle en faveur des actes allégués mais les examens médico-psychologiques avaient conclu au caractère crédible des déclarations de l'enfant. Le 23 février 2011, le grand-père de l'enfant était condamné à neuf ans d'emprisonnement par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant sur appel d'un arrêt de la cour d'assises des Alpes-Maritimes du 12 avril 2009.

Le 3 mai 2011, la victime faisait parvenir, au procureur de la République, une lettre exprimant sa volonté de se rétracter en affirmant avoir menti à ses parents pour qu'ils s'intéressent à lui et avoir fini par croire à son mensonge jusqu'à ce que l'achèvement de la procédure judiciaire lui permette d'opérer une introspection. Un expert psychiatre désigné par la commission de révision estimait que la victime présentait des troubles de la personnalité conduisant à relativiser son degré de crédibilité. De plus, le dossier d'assistance éducative ouvert à son bénéfice en 2004 avait fait apparaître qu'elle souffrait d'une profonde détresse psychique dans un contexte de pathologie familiale lourde, les vérifications effectuées n'ayant pas révélé de mobile financier à sa rétractation.

La question qui se posait à la Chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant en tant que Cour de révision, était donc de savoir si ces éléments (troubles de la personnalité, rétractions persistantes et non motivées par un mobile financier) pouvaient constituer un élément nouveau de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ?

Si la Chambre criminelle admet que ces circonstances constituent un fait nouveau au sens de l'article 622, 4° du Code de procédure pénale (II), il était sans doute difficile de préjuger d'une telle solution, aucune définition arrêtée du "fait nouveau" n'étant consacrée en jurisprudence (I).

I - L'absence de définition du "fait nouveau" de nature à faire naître un doute sur la culpabilité

Actuellement régie par les articles 622 à 626 du Code de procédure pénale, le recours en révision est ouvert dans quatre cas, énumérés par le premier de ces articles : la preuve de l'inexistence d'un homicide, deux condamnations inconciliables, la condamnation d'un témoin pour faux témoignage, la révélation d'un fait ou élément nouveau.

Ce dernier cas, qui est le plus fréquemment invoqué, suppose deux conditions cumulatives : le fait ou l'élément nouveau doit avoir été inconnu des juges qui ont prononcé la condamnation et il doit être de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.

Ces conditions sont strictement appréciées au regard du principe de l'autorité de la chose jugée, la décision pénale devenue définitive bénéficiant de la présomption d'être l'expression de la vérité, ce qu'exprime l'adage res judicata pro veritate habetur.

La Cour de cassation s'est toujours attachée à affirmer le caractère absolument exceptionnel de ce recours admis "dans un intérêt supérieur d'équité et d'humanité et permettant, d'une part, d'accorder à celui qui a été la victime innocente d'une erreur judiciaire une réparation morale et matérielle et, d'autre part, d'assurer la bonne administration de la justice, en rendant libre l'exercice régulier de la répression contre le véritable coupable" (1).

Le recours en révision ne peut donc être largement ouvert et est exclusivement destiné à réparer les erreurs judiciaires. Selon les mots de Garraud, "s'il est malheureusement impossible d'organiser la justice répressive de façon à éviter toute erreur judiciaire, du moins faut-il que les condamnations qui ont frappé des innocents puissent être effacées" (2).

Cette voie de recours extraordinaire, dans les cas infimes où elle aboutit, conduit à l'annulation de la décision pénale déclarative de culpabilité, bien que définitive, précisément parce qu'elle était entachée d'une erreur de fait.

Si la jurisprudence insère dans des limites étroites ce recours en révision, elle n'a en revanche jamais arrêté de définition précise du "fait nouveau" en procédant à une interprétation au cas par cas, ce qui lui laisse une véritable marge de manoeuvre.

Ainsi, par exemple, la Chambre criminelle a estimé que constituait un fait nouveau remettant en cause une condamnation pour abus de confiance, des décisions judiciaires postérieures qui ont constaté que les objets dont le prétendu détournement frauduleux avait entraîné la condamnation, avaient été en temps utile spontanément restitués par le condamné, et avaient établi à la charge des dénonciateurs l'existence d'un faux témoignage (3).

Tel est également le cas du revirement d'un témoin relayé par la presse puis réentendu par les policiers, associé à une expertise génétique mettant en évidence la présence, sur les lieux du crime, de trois profils inconnus, deux des personnes ainsi identifiées reconnaissant cette présence tout en se rejetant mutuellement la responsabilité des coups portés (4).

En outre, la jurisprudence s'était également prononcée en faveur de l'admission du fait nouveau lorsqu'est découverte, au profit du condamné, une cause légale d'irresponsabilité pénale, principalement l'existence au temps de l'action d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au sens de l'article 122-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2244AM3) (5).

Néanmoins, ces affaires intéressaient le condamné lui-même et non la partie civile, ce qui confère à l'arrêt du 18 février 2014 un intérêt particulier et, sans doute, un caractère inédit.

II - Les troubles de la personnalité de la partie civile et sa rétraction sincère et persistante, constitutifs d'un fait nouveau

Dans la présente affaire, pour retenir l'existence d'un fait nouveau de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de l'auteur, la Chambre criminelle s'est référée à un ensemble d'éléments.

Ainsi, elle a non seulement visé les troubles de la personnalité de la partie civile, constatés par l'expert désigné par la Commission de révision mais également la persistance de sa rétractation et son caractère désintéressé puisqu'elle n'était pas justifiée par un mobile financier.

Ce sont tous ces éléments qui ont été pris en considération. Il n'est pas certain que, pris isolément, ils se soient révélés suffisants pour constituer un fait nouveau.

En effet, dans une hypothèse assez proche où il s'agissait d'une fille qui disait avoir menti lorsqu'elle avait accusé son père d'atteintes sexuelles sur sa personne, en précisant que, ses parents étant en instance de divorce, elle avait voulu priver son père d'un droit de visite et le contraindre à l'obligation de soigner son alcoolisme chronique, la Chambre criminelle avait estimé que les déclarations nouvelles, particulièrement tardives, d'une partie civile ne présentaient pas, en l'absence d'autres éléments objectifs, et dès lors que les juges du fond avaient nécessairement apprécié la sincérité des accusations de la plaignante, une force probante suffisante pour permettre à la Cour de cassation de les considérer comme de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné (6). Toutefois, dans cette dernière affaire, la plaignante ne souffrait guère de troubles particuliers médicalement constatés. De plus, elle avait indiqué s'être inspirée de l'histoire vécue par une camarade mais refusait de fournir le nom de celle-ci. Dans ces conditions, la Chambre criminelle avait jugé que ces éléments ne présentaient pas, en l'absence d'autres éléments objectifs une force probante suffisante.

En tout état de cause, la seule rétractation de la partie civile ne saurait suffire à constituer un élément nouveau. Cette rétractation doit être confortée par des éléments objectifs dotés d'une force probante suffisante.

En l'espèce, c'est tout à la fois la rétractation persistante par la partie civile de ses accusations non justifiée par un mobile financier ainsi que l'expertise diligentée lors de la procédure de révision qui avait conclu à l'existence de troubles de la personnalité conduisant à relativiser son degré de crédibilité qui a amené la Cour de révision à reconnaître qu'il s'agissait là de faits nouveaux de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de l'auteur.

Néanmoins, l'on peut légitimement s'interroger sur l'existence de ces troubles lors des accusations portées par la partie civile et a fortiori au jour de la condamnation, de sorte que la qualification de "faits nouveaux" peut ici prêter à discussion.

Certes, la partie civile n'avait que 9 ans au moment des faits. Toutefois, il a été relevé par la Chambre criminelle que la communication du dossier d'assistance éducative ouvert à son bénéfice en 2004 avait fait apparaître qu'elle souffrait d'une profonde détresse psychique dans un contexte de pathologie familiale lourde. C'est dire que ces troubles trouvaient un certain ancrage dans son enfance et existaient manifestement au jour de la condamnation. De ce point de vue, la solution commentée n'est peut-être pas totalement intelligible.

Quoi qu'il en soit, en se référant à l'ensemble des éléments précédemment évoqués, les motifs de la Chambre criminelle ne peuvent qu'être approuvés. La solution vient s'inscrire dans les rares précédents, seules huit condamnations criminelles ayant été annulées depuis 1989.

Dans la présente affaire, la Chambre criminelle précise, conformément à l'article 625 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3296IQ7), que de nouveaux débats sont possibles et nécessaires et ordonne la suspension de l'exécution de la condamnation prononcée par la cour d'assises des Alpes-Maritimes le 12 avril 2009 en assortissant cette suspension de certaines obligations, comme le permet l'article 624 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7515IGG). L'arrêt de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, en date du 23 février 2011, est alors annulé et l'affaire renvoyée devant la Cour d'assises du Rhône statuant en appel.

Reste alors à cette juridiction à se prononcer, en son intime conviction, sur la culpabilité de l'accusé, lequel devrait, en toute logique, être acquitté.

Décision

Cass. crim., 18 février 2014, n° 13-85.286, FS-D+I (N° Lexbase : A4197ME8).

Cassation (CA Bouches du Rhône, 23 février 2011).

Lien base : .


(1) Cass. crim., 22 janvier 1898, D.P., 1900, 1, p. 142 (2ème espèce) ; Cass. crim., 31 juillet 1909, D.P., 1912, 1, p. 79 ; Cass. crim., 31 juillet 1913, Bull. crim., n° 381 ; D.P., 1915, 1, p. 134.
(2) R. Garraud, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procédure pénale, t. 5, n° 1995.
(3) Cass. crim., 20 février 1896, D.P., 1900, 1,137.
(4) Cass. crim., 15 mai 2013, n° 12-84.818, FS-P+I (N° Lexbase : A5299KDM).
(5) Cass. crim., 5 juin 1918, Bull. crim., n° 139 ; Cass. crim., 6 février 1931, Bull. crim., n° 40 ; Cass. crim., 3 mai 1994, n° 93-85.663 (N° Lexbase : A8742CEI), Bull. crim., n° 163 ; Cass. crim., 12 septembre 2007, n° 06-87.290, F-D (N° Lexbase : A6810MGC).
(6) Cass. crim., 26 janvier 2000, n° 99-82.100 (N° Lexbase : A0284CKQ), Bull. crim., n° 47.

newsid:441258

Sécurité sociale

[Brèves] Refus du versement d'une indemnité journalière pour rechute d'un accident du travail en l'absence de production par l'assuré d'un avis d'arrêt de travail pour la période concernée

Réf. : Cass. civ 2, 13 mars 2014, n° 12-23.580, F-P+B (N° Lexbase : A9398MG8)

Lecture: 2 min

N1357BUS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441357
Copier

Le 20 Mars 2014

L'indemnité journalière est due à la victime d'un accident de travail pendant la période d'incapacité temporaire qui l'oblige à interrompre son travail. Cependant, le salarié qui ne produit aucun avis d'arrêt de travail pendant une période où il a subi une rechute, mais seulement après la consolidation des séquelles dues à celle-ci, ne peut prétendre aux indemnités journalières pour cette période. C'est en ce sens que statue la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 mars 2014 (Cass. civ 2, 13 mars 2014, n° 12-23.580, F-P+B N° Lexbase : A9398MG8).
Dans cette affaire, un salarié avait été victime le 19 juin 2004 d'un accident du travail ayant entraîné des lésions consolidées le 23 avril 2006. Etant toujours tenu par son contrat de travail, mais ayant volontairement cessé son activité au service de l'employeur, il avait subi, le 31 octobre 2006 une rechute dont les séquelles avaient été consolidées le 4 avril 2007. La Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) avait reconnu le caractère professionnel de l'accident du travail initial, comme celui de la rechute. En revanche, elle avait refusé à l'intéressé, au titre de sa rechute, le service des prestations en espèces. Ce dernier avait, alors, saisi une juridiction de sécurité sociale pour obtenir compensation entre les indemnités journalières afférentes à la rechute et une dette d'un certain montant dont il avait été reconnu redevable envers la caisse.
L'affaire avait été portée devant la cour d'appel (CA Agen, 5 juin 2012, n° 11/01592 N° Lexbase : A2674IND), laquelle avait rejeté le recours du salarié aux motifs qu'il avait été inscrit au régime social des indépendants du 16 septembre 2004 au 15 septembre 2006. Ce dernier avait alors formé un pourvoi en cassation.
Au soutien de sa demande, il faisait valoir que les conditions d'allocation aux indemnités journalières au titre d'un accident du travail s'apprécient, en cas de rechute, à la date de l'interruption de travail causée par cet accident. Par conséquent, selon lui, la cour d'appel aurait dû faire droit à sa demande de prise en charge par la CPAM au titre de la rechute, le 31 octobre 2006, d'un accident du travail du 19 juin 2004 consolidé au 26 avril 2006.
Cependant, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle précise que, selon l'article L. 431-1, 2° du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3062ICE), l'indemnité journalière est due à la victime pendant la période d'incapacité temporaire qui l'oblige à interrompre son travail, et ajoute que, le salarié n'ayant produit aucun avis d'arrêt de travail pour la période du 15 septembre 2006 au 30 mars 2007, mais à compter du 5 avril 2007 seulement, il n'avait pas droit aux indemnités journalières pour cette période (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E5327EXL).

newsid:441357

Temps de travail

[Brèves] Requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet en cas de dépassement de la durée de travail légale, même de courte durée

Réf. : Cass. soc., 12 mars 2014, n° 12-15.014, FS-P+B (N° Lexbase : A9496MGS)

Lecture: 2 min

N1367BU8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/14943564-edition-n-563-du-20032014#article-441367
Copier

Le 20 Mars 2014

Entraîne la requalification d'un contrat de travail à temps complet le recours par l'employeur à des heures complémentaires qui a pour effet de porter, fût-ce pour une période limitée sur une période d'un mois, la durée de travail d'un salarié à temps partiel au-delà de la durée légale. C'est en ce sens que statue la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 mars 2014 (Cass. soc., 12 mars 2014, n° 12-15.014, FS-P+B N° Lexbase : A9496MGS).
Au cas présent, une salariée engagée par contrat de travail à temps partiel par une association en qualité d'aide à domicile avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de son contrat à temps partiel en un contrat à temps complet dans la mesure où son horaire mensuel avait dépassé la durée légale du travail pour le seul mois d'octobre 2004, et ce, malgré la signature d'un avenant quatre ans plus tard pour un autre temps partiel.
L'affaire ayant été portée devant la cour d'appel (CA Montpellier, 4 janvier 2012, n° 11/00882 N° Lexbase : A9499H8C), cette dernière avait accueilli la demande de la salariée et condamnée l'association au paiement d'un rappel de salaire sur la base d'un temps complet. L'association avait alors formé un pourvoi en cassation.
Elle soutenait que la requalification du CDI à temps partiel en un CDI à temps complet supposait que la salariée, en raison des modifications fréquentes, sinon incessantes, apportées par l'employeur à son temps de travail, était dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler, de sorte qu'elle devait se tenir à la disposition constante de l'employeur. L'association alléguait que la cour d'appel, en requalifiant le contrat de travail de la salariée en contrat à temps complet aurait dû chercher à savoir si le dépassement de la durée légale de travail pour le seul mois d'octobre 2004, suivi de la signature d'un nouvel avenant par la salariée quatre ans après, pour un autre temps partiel, n'impliquait pas que la salariée, dont les horaires contractuels de temps à travail partiel avaient, par ailleurs, été toujours respectés, avait donné son accord pour cette unique modification d'octobre 2004 et ne s'était ainsi jamais trouvée à la disposition de l'association depuis cette date. L'association en déduisait que ce dépassement de la durée légale de travail, isolé, un mois sur huit années de relations contractuelles au moins, ne pouvait avoir pour conséquence qu'un complément de salaire pour la période d'un mois considéré.
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle relève que la cour d'appel a légalement justifié sa décision en constatant que le recours par l'employeur à des heures complémentaires avait eu pour effet de porter, fût-ce pour une période limitée à un mois, la durée de travail de la salariée au-delà de la durée légale .

newsid:441367