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N1247BUQ
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
"Plus des trois quarts des Français (77 %) pensent que la justice fonctionne mal. Et ils sont de plus en plus nombreux : +12 points par rapport à la précédente enquête, datant de 2011. Un cri d'alarme' pour l'Institut pour la justice (IPJ), commanditaire d'un sondage sur l'image de la justice réalisé par l'institut CSA publié lundi 3 mars [2014]. 91 % d'entre eux jugent par ailleurs difficile pour un citoyen de comprendre comment marche la justice (27 % très difficile')".
La critique de la justice n'est pas chose nouvelle, que la satire relève de la poésie antique d'Aristophane, au siècle de Périclès, à travers Les guêpes, prenne les traits de Dandin dans Les plaideurs de Racine, ou ressemble à un examen collectif de conscience à l'occasion de l'audition télévisuelle du juge Burgaud. Il n'y aurait donc pas lieu de s'alarmer outre mesure ; la vieille et noble institution serait habituée au regard accusateur de ses contemporains. Incomprise, le secret de ses rouages la protègerait, finalement, autant qu'il ne la dessert ; lui permettant de passer les âges, sans qu'un grand chambardement ne vienne trop déstabiliser la ruche.
Mais l'enquête ainsi publiée permet, pourtant, de poser de prime abord plusieurs questions. Certes la justice est rendue au nom du peuple français, mais est-elle rendue par lui et pour lui ? La réponse n'a jamais été aussi positive. A l'élitisme des recrutements du XIXème siècle a succédé une démocratisation de l'accès au concours, à la suite, bien évidemment, des flots d'étudiants de toutes couches sociales formés dans les universités. Et, l'apparente déjudiciarisation prônée par certains ne doit pas cacher le nombre de contentieux toujours plus important qui émaille la société française. Le procès de l'élitisme et de "l'entre soi" n'est donc pas le bon à tenir.
En revanche, il faut reconnaître que certains héritages peinent à expliquer leur ancrage au XXIème siècle. La coexistence des deux ordres juridictionnels aux champs de compétence cohérents et établis ne poserait pas de problème de compréhension pour le justiciable commun, si l'on renonçait à quelques "mélanges des genres" : du contentieux social au litige en droit des étrangers, en passant par les procédures fiscales, on ne compte plus les exceptions aux règles de compétence attribuant à l'un ou à l'autre ordre juridictionnel telle ou telle affaire ; au point de devoir instituer une juridiction ad hoc, le Tribunal des conflits, chargée de régler les contrariétés. Par ailleurs, d'aucuns prendront un malin plaisir à combiner justice consulaire et justice professionnelle, à détourner le procès vers des horizons communautaires lointains, à coup de questions préjudicielles, ou capitolins, vers le juge constitutionnel, à coup de QPC. Ils joueront des délais de procédure, différents selon les juridictions, voire selon les parties. Ils décortiqueront les moyens invoqués pour trouver l'erreur procédurale salvatrice. Mais au fond, pourquoi tant de complexité ?
Alors, on oublie trop vite que la procédure est en fait un gage de liberté et d'égalité. La complexité devant les juridictions est le pendant des difficultés à libéraliser l'accès au juge même pour les citoyens les plus démunis, les plus en marge de la société ; le pendant des difficultés à rétablir un sentiment d'égalité entre les justiciables dans un procès qui, sans cadre directionnel et processuel, ne serait affaire que de bons plaideurs. La démocratie crée la justice à son image : aussi pétrie de forces contraires que d'une certaine idée de la liberté et de l'égalité.
Pour autant, les juges ne sont-ils que les boucs émissaires voués au sacrifice expiatoire d'une société qui va mal ? Depuis Aristophane, on sait que la justice est l'affaire de quelques hommes chargés de régler les conflits de leurs contemporains : soit Cléon s'attache leur service pour quelques oboles électoralistes ; soit les Gouvernements leur octroient le budget le plus ridicule des pays de l'OCDE. Et, lorsque l'on sait que "Le rôle des magistrats dans le déroulement des audiences est plus directif que dans les autres pays comparables" ; que les juges français ont un pouvoir plus important que leurs homologues des autres démocraties, qui doivent s'effacer beaucoup plus souvent qu'eux, dans la prise des décisions, derrière des jurés populaires, -nous livre Benoît Garnot, Professeur d'histoire moderne à l'Université de Bourgogne- ; il y a un paradoxe qu'il convient de lever, avant toute idée de réformer la justice au XXIème siècle...
Grandement simplifiée, correctement dotée, et la justice recousue retrouvera les chemins de l'adhésion populaire ; un peuple qui cessera de la penser laxiste, quand il la juge pourtant aveugle, qui la craint aux ordres des pouvoirs politiques, quand elle n'a de cesse de s'y confronter... Parfois au risque de se perdre elle-même...
Injustice du sort, en même temps qu'était publiée cette enquête à charge sur la perception de la justice en France, disparaissait l'un de ses hauts représentants, Jean-Pierre Dintilhac. L'ancien procureur de Paris et avocat général près la Cour de cassation, qui avait terminé sa carrière comme président de la deuxième chambre civile aura, lui, donné son nom à l'une des plus importante oeuvre de simplification et d'intelligibilité du droit et de la justice : la fameuse nomenclature permettant d'améliorer les conditions d'indemnisation du préjudice corporel. C'est un petit pan de la justice, mais le fruit d'un travail d'agrégation et d'arbitrage, communément apprécié et respecté par les juges, comme par les avocats : un exemple de ce que peut offrir la justice, en son sein, au terme d'une importante réflexion, pour être en adéquation avec le peuple.
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, n° 367262, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3840MEX)
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N1101BUC
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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université de Poitiers, Directeur de l'Institut de droit public (EA 2623)
Le 27 Mars 2014
En l'espèce, le service départemental et de secours (SDIS) du Doubs avait conclu, en 2010, avec un cabinet d'avocats, un marché public de prestations de services ayant pour objet, d'une part, une mission d'assistance et de conseil pour la passation de marchés publics d'assurance et, d'autre part, une mission d'assistance technique permanente pour les questions d'assurance. La société A., candidate malheureuse à l'attribution de ce marché, en avait contesté la régularité dans le cadre d'un recours en contestation de validité, autrement dit d'un recours dit "Tropic" (2). Par un arrêt du 18 janvier 2013, la cour administrative d'appel de Nancy a partiellement fait droit à son recours (3) en annulant le marché public litigieux, en tant qu'il comportait un premier volet d'assistance technique juridique en matière d'assurance et qu'il aurait donc dû être attribué à un intermédiaire d'assurance, et non à un cabinet d'avocat.
Saisi en cassation, le Conseil d'Etat avait à régler une question inédite, qui avait donné lieu à un contentieux peu fourni devant les juridictions administratives jusqu'à présent (4), mais dont on imagine bien qu'elle est importante en pratique. Il lui appartenait de préciser le périmètre des missions d'intermédiation, qui ne peuvent être exécutées que par des prestataires immatriculés au registre adéquat. Et, de cette interrogation dépendait évidemment la place que peuvent être appelés à jouer les cabinets d'avocat en matière de prestations juridiques relatives aux marchés publics d'assurance. Deux conceptions étaient envisageables. Une interprétation large des dispositions de l'article L. 511-1 du Code des assurances aurait nécessairement conduit à priver l'accès des professions non autorisées à de nombreux marchés publics. En revanche, une interprétation plus stricte desdites dispositions aurait permis un accès plus large des opérateurs économiques auxdits marchés publics, sans pour autant priver les professions autorisées de la possibilité de présenter leur candidature. Contrairement à la cour administrative d'appel de Nancy, le Conseil d'Etat fait sienne cette seconde conception.
La solution retenue du Conseil d'Etat ne se justifie pas seulement du point de vue de la préservation et de la promotion de la concurrence. Elle se justifie, également, au regard de la lettre de la Directive du 9 décembre 2002 (Directive 2002/92/CE N° Lexbase : L7682A8Z) et du Code des assurances dont il assure la transposition. En effet, dans son arrêt du 28 janvier 2013, la cour administrative d'appel de Nancy avait retenu la qualification d'intermédiation en se fondant sur une partie des missions correspondant au premier volet du contrat (mission d'assistance et de conseil pour la passation des marchés publics d'assurances). Plus précisément, elle avait relevé que le cabinet d'avocat devait analyser les contrats existants, évaluer les risques et assurer une fonction de conseil dans la définition des niveaux de couverture, évaluer l'opportunité d'une auto-assurance, élaborer un cahier des charges ainsi que les documents de la consultation pour le renouvellement du marché public d'assurances, proposer des critères d'appréciation des offres, analyser les offres et aider à la finalisation des contrats à venir. Cette lecture des dispositions du Code des assurances était assurément maximaliste et assez éloignée de la notion d'intermédiation. En effet, l'article R. 511-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1472HSC) dispose que "pour l'application de l'article L. 511-1, est considérée comme présentation, proposition ou aide à la conclusion d'une opération d'assurance, le fait pour toute personne physique ou morale de solliciter ou de recueillir la souscription d'un contrat ou l'adhésion à un tel contrat, ou d'exposer oralement ou par écrit à un souscripteur ou un adhérent éventuel, en vue de cette souscription ou adhésion, les conditions de garantie d'un contrat.
Les travaux préparatoires à la conclusion d'un contrat mentionnés à l'article L. 511-1 s'entendent comme tous les travaux d'analyse et de conseil réalisés par toute personne physique ou personne morale qui présente, propose ou aide à conclure une opération d'assurance. Ils ne comprennent pas les activités consistant à fournir des informations ou des conseils à titre occasionnel dans le cadre d'une activité professionnelle autre que celle mentionnée à l'alinéa premier".
Comme l'a démontré M. Bertrand Dacosta, dans ses conclusions (que nous remercions pour leur aimable communication), il ressort de ces dispositions que "la notion même d'intermédiaire implique celle de mise en relation de deux personnes, en l'espèce l'assuré et l'assureur". C'est précisément cette notion de mise en relation, ou de présentation comme on la qualifiait autrefois, qui constitue le coeur de l'activité d'intermédiation. Cela suppose donc d'interpréter les dispositions de l'alinéa 2 de l'article R. 511-1 en liaison avec celles de l'alinéa 1. Les travaux préparatoires en question ne sont donc pas tous ceux qui se rapportent à la conclusion d'un contrat d'assurances quelconque. Ils sont ceux qui se rapportent à la conclusion d'un contrat que l'intermédiaire d'assurances a proposé à la personne publique. En d'autres termes, ce ne sont pas tous les travaux d'analyse et de conseil qui constituent des actes d'intermédiation, ce sont seulement ceux qui se rapportent à une opération d'intermédiation, c'est-à-dire à une opération de mise en relation entre l'assuré et l'assureur.
Cette grille de lecture permet de faire la distinction entre les missions d'intermédiation, qui ne peuvent être confiées qu'à des opérateurs économiques enregistrés, et les missions de conseils, qui peuvent être attribuées à n'importe quelle entreprise et qui s'apparentent non à de l'intermédiation, mais à de l'assistance au maître d'ouvrage (B. Dacosta). En l'espèce, le cabinet d'avocat s'était légalement vu confier une mission consistant à assister et à conseiller le SDIS afin de lui permettre de passer des marchés publics d'assurance et, notamment, de sélectionner les candidats dans le respect des dispositions du Code des marchés publics et il n'était donc nullement chargé de présenter, de proposer ou d'aider à conclure un contrat d'assurance ou de réaliser d'autres travaux préparatoires à sa conclusion (cons. 6). Simple dans son principe, le critère de distinction proposé par le Conseil d'Etat pourrait susciter quelques difficultés d'application à l'avenir, pour la simple raison qu'il n'y aura parfois qu'une différence infime entre la mission de conseil et la mission de mise en relation qui caractérise l'intermédiation.
(1) C. assur., art. L. 512-1 : "I. - Les intermédiaires définis à l'article L. 511-1 doivent être immatriculés sur un registre unique des intermédiaires, qui est librement accessible au public.
Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'immatriculation sur ce registre et détermine les informations qui doivent être rendues publiques. Il détermine également les modalités de sa tenue par un organisme doté de la personnalité morale et regroupant les professions de l'assurance concernées.
Un commissaire du Gouvernement est désigné auprès de cet organisme. Sa mission et les modalités de sa désignation sont fixées par décret en Conseil d'Etat.
L'immatriculation, renouvelable chaque année, est subordonnée au paiement préalable, auprès de l'organisme mentionné au deuxième alinéa, de frais d'inscription annuels fixés par arrêté du ministre chargé de l'Economie, dans la limite de 250 euros.
Ces frais d'inscription sont recouvrés par l'organisme mentionné au deuxième alinéa, qui est soumis au contrôle général économique et financier de l'Etat. Leur paiement intervient au moment du dépôt de la demande d'inscription ou de la demande de renouvellement.
Lorsque la demande d'inscription ou de renouvellement est déposée sans le paiement correspondant, l'organisme mentionné au deuxième alinéa adresse au redevable par courrier recommandé avec accusé de réception une lettre l'informant qu'à défaut de paiement dans les trente jours suivant la date de réception de cette lettre la demande d'inscription ne pourra être prise en compte. Dans le cas d'une demande de renouvellement, le courrier indique que l'absence de paiement entraîne la radiation du registre.
II. - Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux personnes physiques salariées d'un intermédiaire d'assurance ou de réassurance".
(2) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW) : Rec. CE, p. 360, concl. D. Casas ; AJDA, 2007, p. 1577, chron. F. Lénica et J. Boucher ; GAJA, n° 113 (avec les références bibliographiques).
(3) CAA Nancy, 4ème ch., 28 janvier 2013, n° 12NC00126, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6149I8A).
(4) Outre l'arrêt précité de la CAA de Nancy, on peut citer : CAA Marseille, 6ème ch., 8 avril 2013, n° 10MA01631, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0537KDA).
Décision
CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, n° 367262, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3840MEX) Annulation (CAA Nancy, 4ème ch., 28 janvier 2013, n° 12NC00126, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6149I8A) Lien base : (N° Lexbase : E9497ETW) |
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Réf. : CA Aix-en-Provence, 18 février 2014, n° 13/12709 (N° Lexbase : A4434MEX) et CA Aix-en-Provence, 25 février 2014, n° 13/18819 (N° Lexbase : A8599ME9)
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N1066BUZ
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Le 06 Mars 2014
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Réf. : Cass. civ. 1, 19 février 2014, n° 13-50.031, F-D (N° Lexbase : A7749MEQ)
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N1075BUD
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Le 10 Mars 2014
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N1245BUN
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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
Le 15 Mai 2014
Solution
Le preneur titulaire d'un bail saisonnier qui revendique le bénéfice du statut des baux commerciaux doit être immatriculé à la date de son assignation judiciaire.
Faits
Entre 2000 et 2006, avaient été consentis au même locataire sept baux qualifiés de saisonniers, chacun étant conclu pour une durée de neuf mois du 1er avril au 31 décembre. Le 2 avril 2008, le bailleur avait délivré un congé pour reprise à effet au 2 mai 2008. Le preneur a alors assigné le bailleur en reconnaissance de l'existence d'un bail commercial soumis au statut. Cette demande ayant été accueillie, le bailleur s'est pourvu en cassation.
Observations
L'article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L2320IBK) prévoit que les parties peuvent, à certaines conditions, déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux mais que si le locataire reste et est laissé en possession des lieux ou qu'un nouveau bail est conclu, le statut des baux commerciaux s'appliquera. Le dernier alinéa de ce texte exclut les locations à caractère saisonnier de cette dernière règle. Il en a été conclu que ces locations sont exclues du statut des baux commerciaux (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 3 janvier 1978, n° 75-13982 N° Lexbase : A7186AGA ; Cass. civ. 3, 22 mai 1986, n° 84-16.400 N° Lexbase : A4797AAW ; Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 00-13.767, F-D N° Lexbase : A0458AXA).
La location à caractère saisonnier est caractérisée par le fait que le preneur n'occupe les loués que par intermittence, le temps d'une "saison" (une saison estivale, par exemple), voire plus. Une location sur une période du 15 mars au 30 septembre peut ainsi être une location saisonnière (Cass. civ. 3, 7 novembre 1990, n° 89-12.065 N° Lexbase : A7998AHP). La location garde son caractère saisonnier même si elle est renouvelée chaque année (Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 00-13.767, préc.). En revanche, le bail consenti sur un local pour l'exercice d'une activité commerciale sera soumis au statut des baux commerciaux même si l'exploitation du fonds de commerce n'y est que saisonnière (Cass. civ. 3, 16 avril 1973, n° 72-11.351 N° Lexbase : A6892AGD). En présence d'un contrat qualifié par les parties de "location saisonnière", limitant la jouissance des lieux loués pour des saisons déterminées, renouvelé chaque année, le locataire est bien fondé à invoquer le bénéfice d'un droit au renouvellement issu du statut des baux commerciaux dès lors qu'en réalité, son maintien dans les lieux, hors des périodes désignées dans les contrats successifs, ne résulte pas d'une simple tolérance, mais démontre la pérennité des rapports locatifs (Cass. civ. 3, 15 janvier 1992, n° 90-13.865 N° Lexbase : A7923AGK).
Dans l'arrêt rapporté, le preneur avait assigné son bailleur en "reconnaissance de l'existence d'un bail soumis au statut". En dépit de la qualification de contrats saisonniers, le locataire avait, selon les juges du fond, été laissé en possession des lieux à l'issue des saisons 2006 et 2007 car il y laissait son stock, conservait les clés du local et maintenait tous ses abonnements et assurances. Les juges du fond (CA Rennes, 27 juin 2012, n° 11/00112 N° Lexbase : A8221IP8) avaient estimé qu'en application des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce, le preneur bénéficiait d'un bail commercial commençant à courir à compter du 1er janvier 2007 (date correspondant a priori au terme du bail signé le 15 avril 2006). A cette fin, ils avaient estimé, tout d'abord, que le bailleur avait renoncé à son congé notifié le 2 avril 2008 car il n'avait pris aucune initiative procédurale, et avait encaissé les loyers sans contestation en demandant l'indexation. Cette motivation interroge dès lors que, d'une part, cette renonciation serait équivoque et non caractérisée (voir Cass. civ. 3, 22 janvier 2014, n° 12-29.856, FS-P+B N° Lexbase : A9840MCG, ci-après commenté) et que, d'autre part, en tout état de cause, s'il s'est opéré un bail commercial à compter du 1er janvier 2007, ce congé serait inefficace, le bailleur ne pouvant, sauf exception, délivrer de congé en cours de bail pour une date qui ne correspondrait pas à son terme. La censure de la Cour de cassation n'a pas porté sur ce point, mais sur la question de l'immatriculation du preneur. Si les juges du fond en avaient fait une condition de la possibilité d'invoquer le statut des baux commerciaux, ils avaient considéré que cette condition était remplie dès lors que le preneur s'était immatriculé en cours de procédure.
Les juges du fond avaient estimé qu'en ne prenant aucune initiative procédurale, en percevant les loyers sans contestation et en demandant l'indexation de ceux-ci, la bailleresse avait renoncé à son congé. Et, le preneur avait été inscrit au registre du commerce et des sociétés en cours de procédure. C'est sur la condition relative à l'immatriculation qu'intervient la censure de la Cour de cassation puisqu'elle casse la décision de la cour d'appel au motif qu'elle n'avait pas précisé si, à la date de l'assignation par laquelle le locataire revendiquait le bénéfice du statut des baux commerciaux, celui-ci était inscrit au registre du commerce et des sociétés (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E2443AWE). La décision est rendue au visa de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS) qui précise que le statut des baux commerciaux est applicable, notamment, au bail portant sur un local dans lequel est exploité un fonds de commerce appartenant à un commerçant immatriculé au registre du commerce et des sociétés.
La Cour de cassation précise que c'est à la date de l'assignation par laquelle le preneur sollicite l'application du statut des baux commerciaux, que doit être appréciée la condition de l'immatriculation. Il incombait donc aux juges du fond de rechercher si à la date de l'assignation, le preneur était ou non immatriculé. Dès lors que la solution est rendue au visa de l'article L. 145-1 du Code de commerce, elle a vocation à concerner, a priori, toute action tendant à voir reconnaître la soumission d'un contrat au statut des baux commerciaux, malgré une qualification des parties qui devrait exclure cette application. Cette solution pourrait remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'immatriculation du preneur n'est qu'une condition du droit au renouvellement et non une condition d'application du statut des baux commerciaux (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842 N° Lexbase : A1903ACH). Cette décision est également intéressante en ce qu'elle implique que la reconnaissance de l'existence d'un bail commercial, alors qu'une location à caractère saisonnier a été conclue, ne s'effectuera pas dans le cadre du régime du bail dérogatoire. Il doit être rappelé que l'immatriculation n'est pas une condition du bénéfice du statut invoqué à l'issue d'un bail dérogatoire (Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 94-16.158 N° Lexbase : A9908ABL). L'inapplication des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce peut apparaître logique dès lors que l'application du statut des baux commerciaux à l'issue d'un bail dérogatoire suppose au préalable la conclusion d'un tel bail, ce qui n'est pas le cas, a priori, en présence d'une location saisonnière, étant précisé, puisque par hypothèse il existe une discordance entre la qualification du contrat et la réalité, qu'il est difficile d'admettre que ce qui serait éludé, c'est le régime du bail dérogatoire. En réalité, c'est bien l'application du statut des baux commerciaux en son entier qui est en jeu.
Solution
Ni l'acceptation par le bailleur, avant la date de renouvellement du bail, du calcul opéré par le locataire et du paiement de loyers indexés sur la base du loyer minoré correspondant au seul loyer exigible avant renouvellement, ni le silence gardé postérieurement au terme de cette période, ne manifestent de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger le loyer prévu au bail à compter de ce renouvellement.
Faits
Un bail consenti à effet du 1er octobre 1990, pour une durée de neuf années renouvelable moyennant un loyer annuel de 144 000 francs (environ 21 952 euros) indexé, prévoyait qu'en contrepartie de l'engagement du locataire de prendre à sa charge les travaux nécessaires pour rendre l'immeuble habitable, ce loyer serait réduit à 120 000 francs (environ 18 293 euros) durant les neuf premières années. Le bail s'était, semble-t-il, renouvelé sans que le loyer n'ait été porté à la somme annuelle prévue. Après le départ du preneur, le bailleur avait demandé le paiement d'une somme correspondant à la différence, sur les cinq dernières années, entre le loyer non minoré indexé et le loyer minoré indexé.
Observation
Le preneur avait tenté de faire échec à la demande du bailleur en soutenant que ce dernier aurait renoncé à exiger le loyer contractuellement prévu. Les juges du fond avaient accueilli cet argument. Au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Cour de cassation censure la solution des juges du fond (CA Poitiers, 4 juillet 2012, n° 11/02916 N° Lexbase : A4342IQU) au motif que ni l'acceptation par le bailleur, avant la date de renouvellement du bail, du calcul opéré par le locataire et du paiement de loyers indexés sur la base du loyer minoré correspondant au seul loyer exigible avant renouvellement, ni le silence gardé postérieurement au terme de cette période, ne manifestent de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger le loyer prévu au bail à compter de ce renouvellement. Si la renonciation à un droit peut être tacite, c'est en effet à la condition qu'elle ne soit pas équivoque (Cass. civ. 3, 5 mai 1975, n° 73-14.130 N° Lexbase : A6744AX3). L'attitude passive d'une partie rend équivoque son consentement à la renonciation aux droits dont elle est titulaire, même si cette passivité entre en contradiction avec ces droits. Ainsi, et par exemple, l'encaissement par le bailleur des loyers réglés par un cessionnaire ne vaut pas renonciation du bailleur à se prévaloir de l'irrégularité de la cession (Cass. civ. 3, 5 mai 1975, n° 73-14.130, préc.). Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que l'inaction du bailleur à la suite d'un congé notifié avant le terme d'un bail dérogatoire ne valait pas renonciation aux effets de ce congé (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 12-19.634, FS-P+B N° Lexbase : A3320KG3).
Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation précise, tout d'abord, que l'acceptation par le bailleur du calcul opéré par le preneur avant la date d'effet de l'application du loyer non minoré ne manifestait pas de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger le loyer prévu au bail. La renonciation du bailleur sur ce point était plus qu'équivoque puisqu'il est difficile de conclure que son acceptation du mode de calcul du loyer sur la base d'un loyer minoré pouvait caractériser une renonciation à exiger un loyer qui n'était pas encore plus applicable. La Haute cour précise, également, que le silence gardé par le bailleur après l'application du loyer non minoré ne manifestait pas de manière non équivoque sa volonté de renoncer à exiger ce dernier loyer. Il doit être noté que la question n'avait pas été posée sous l'angle de la novation, peut-être parce que le locataire avait quitté les lieux et que l'action ne portait que sur un arriéré et non pour l'avenir. En tout état de cause, une solution identique aurait pu être retenue dès lors que l'article 1273 du Code civil (N° Lexbase : L1383ABT) précise que "la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte" (voir, en ce sens CA Paris, 16ème, sect. A, 12 janvier 2005, n° 03/18816 N° Lexbase : A1095DGN).
Solution
La détermination de la valeur marchande du fonds de commerce, prise en compte pour la détermination du montant de l'indemnité d'éviction, s'effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d'activité commerciale concernés.
Faits
Un local situé dans un centre commercial avait été donné en location à un preneur pour l'exercice d'une activité de vente de prêt-à-porter, pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 1997. Le 29 mai 2007, le bailleur avait fait délivrer un congé à effet du 1er décembre 2007 avec offre d'une indemnité d'éviction. Le juge a été saisi aux fins de fixation du montant de l'indemnité d'éviction. La cour d'appel de Bastia, le 24 octobre 2012, a considéré, concernant le montant de l'indemnité d'éviction, que seul le montant hors taxe sur la valeur ajoutée du chiffre d'affaires devait être pris en considération, l'indemnité attribuée s'inscrivant dans la réparation d'un préjudice et non dans une transaction imposable.
Observations
Aux termes de l'article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII), le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit, en principe, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Toujours selon ce texte, cette indemnité comprend, notamment, la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
En l'espèce, le bailleur et le locataire étaient d'accord sur le fait que l'éviction entraînait la perte du fonds et que sa valeur devait être déterminée au regard du chiffre d'affaires moyen des dernières années augmenté d'un coefficient multiplicateur propre à l'activité exercée. Il existait, en revanche, une divergence sur la question de savoir si le chiffre d'affaires à prendre en compte devait être le chiffre d'affaires hors TVA ou incluant cette dernière. Sur le fondement de l'article L. 145-14 du Code de commerce, qui impose de déterminer la valeur marchande du fonds de commerce suivant les usages de la profession, la Cour de cassation avait précisé que les juges du fond devaient rechercher si l'usage de la profession est d'inclure, ou non, la taxe sur la valeur ajoutée dans le montant du chiffre d'affaires qui sert de base au calcul de l'indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 15 juin 1994, n° 92-14.172 N° Lexbase : A6931ABC). Dans un arrêt postérieur, la Haute cour avait rejeté un pourvoi formé contre un arrêt qui avait retenu comme base de calcul un chiffre d'affaires incluant la TVA, sans se référer aux usages de la profession, en précisant que la cour d'appel "a pu évaluer l'indemnité due à la locataire en incluant la taxe sur la valeur ajoutée" (Cass. civ. 3, 27 novembre 1996, n° 94-18.215 N° Lexbase : A8695AG7). Il était difficile d'affirmer que cet arrêt aurait traduit l'abandon de la référence aux usages de la profession. Etait en cause, en revanche, la nature du contrôle opéré par la Cour de cassation. Un arrêt du 17 décembre 2003 a réitéré la nécessaire prise en compte des usages de la profession en consacrant un contrôle "lourd" de ce point par le rejet du pourvoi formé à l'encontre d'un arrêt ayant exclu la TVA : "ayant relevé que si la référence aux usages de la profession exercée par le preneur faisait apparaître que le chiffre d'affaires toutes taxes comprises était retenu pour les transactions amiables car l'indemnité n'était pas exonérée de l'imposition, tel n'était pas le cas lorsque l'indemnité représentait la stricte réparation d'un préjudice, la cour d'appel en a exactement déduit, que l'indemnité d'éviction due au locataire devait être évaluée en excluant la taxe sur la valeur ajoutée du chiffre d'affaires qui a servi de base à son calcul" (Cass. civ. 3, 17 décembre 2003, n° 02-12.236, FS-P+B N° Lexbase : A4900DAQ).
Si l'arrêt du 5 février 2014 s'inscrit dans la continuité de cette décision en ce qu'il se réfère aux usages de la profession, il pourrait être soutenu qu'il s'en éloigne aussi concernant les modalités de prise en compte de ces usages. La cour d'appel avait retenu un chiffre d'affaires hors taxes au motif que l'indemnité d'éviction s'inscrivait dans la réparation d'un préjudice et non dans une transaction imposable. Cette solution repose, tout d'abord, sur une confusion entre l'absence d'assujettissement de l'indemnité d'éviction à la TVA et la détermination de son montant. Elle encourait, en outre, la censure dès lors qu'elle n'était pas fondée sur la prise en compte des usages de la profession. La Cour de cassation précise, à cet égard, que "la valeur marchande du fonds de commerce s'effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d'activité commerciale concernés". Elle impose même aux juges du fonds de rechercher quelles sont "les modalités d'évaluation des fonds de commerce en vue d'une transaction en usage dans la profession".
La question se pose, en conséquence, de savoir si la solution retenue par les juges du fond, approuvée par l'arrêt du 17 décembre 2003, qui avaient retenu des modalités différentes d'évaluation de la valeur du fonds de commerce selon les finalités de cette évaluation (transaction amiable ou indemnisation de la perte du fonds) pourrait de nouveau être consacrée. L'arrêt du 17 décembre 2003 recelait sans doute une ambiguïté (il se référait encore à l'absence d'imposition en cas de réparation d'un préjudice) que l'arrêt du 5 février 2014 a peut-être levée.
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Réf. : T. com. Paris, 12 février 2014, aff. n° 2012031951 (N° Lexbase : A1281MGK)
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N1192BUP
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Le 20 Mars 2014
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Réf. : Cass. soc., 5 mars 2014, n° 11-14.426, FS-P+B (N° Lexbase : A4066MGP)
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N1241BUI
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Le 19 Mars 2014
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Réf. : Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-27.701, FS-P+B (N° Lexbase : A4154MGX)
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N1233BU9
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Le 14 Mars 2014
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 31 janvier 2014, n° 367306, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4113MDP)
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N0934BU7
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par Serge Slama, Maitre de conférences en droit public à l'Université Evry Val d'Essonne, membre du CREDOF-CTAD UMR 7074
Le 28 Août 2014
I - Si, dès l'adoption de l'article L. 313-14 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version issue de l'article 40 de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 (dit "amendement Lefebvre" (6)), une circulaire a préconisé l'inapplicabilité de ces dispositions instaurant une procédure de régularisation "par le travail" aux ressortissants algériens et tunisiens (7), aucune mention n'a été faite aux marocains ou à toute autre nationalité dont le séjour est partiellement régi par un accord de gestion concerté (en particulier, comme nous le verrons, les sénégalais). Si bien que, fidèles à la ligne jurisprudentielle tracée par le Conseil d'Etat à cette époque, la quasi-totalité des juridictions administratives ont jugé pendant plusieurs années qu'un ressortissant marocain pouvait présenter une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié sur le fondement de l'article L. 313-14 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (8). Mais la "résistance" de certaines cours administratives d'appel, en particulier celle de Versailles (9), puis l'avis "Lahouel" ont changé la donne (10).
Avec cet avis du 2 mars 2012, le Conseil d'Etat a, en effet, adopté une nouvelle matrice pour les accords dont la portée n'est que supplétive. En effet, si en vertu d'un principe établi de longue date en droit des étrangers, le droit commun (ie le Code des étrangers) s'applique à l'ensemble des étrangers "sous réserve des conventions internationales" (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 111-2 N° Lexbase : L5130IQ3), seuls les algériens relèvent en principe d'un régime dérogatoire (11) : à leur égard, le Conseil d'Etat juge constamment que la législation de droit commun ne leur est, en principe, pas applicable (12), sous réserve d'exceptions s'agissant de leur éloignement (13) et des règles de procédure compatibles avec les accords franco-algériens (14). En revanche, dans la mesure où l'accord franco-tunisien ne revêt qu'une portée supplétive, le juge administratif suprême jugeait, non moins constamment, que les dispositions de droit commun s'appliquent sauf si l'accord l'exclut expressément (15).
S'agissant de l'article L. 313-14, on pouvait hésiter sur la solution à donner car ces dispositions définissent des critères d'attribution du titre "salarié" distinct de ceux de l'article L. 313-10 (N° Lexbase : L5040IQQ) (16). Ce dispositif pouvait donc être regardé comme un régime particulier, non prévu dans les termes de l'accord. Ce régime légal est d'autant plus particulier qu'il peut conduire en principe à la délivrance d'une carte de séjour "vie privée et familiale" et, le cas échéant, à celle d'une carte "salarié" (17). Mais le Conseil d'Etat a écarté ces arguments dans l'avis "Lahouel". Il a considéré qu'il faut appréhender l'accord par catégorie de titre de séjour et non au regard des conditions d'attribution des titres. Selon son rapporteur public Damien Botteghi, l'article L. 313-14 n'érige pas "un régime juridique, et même une catégorie particulière de titre de séjour", mais plutôt "une procédure particulière, et par certains aspects superflus, permettant d'accéder à des titres prévus par ailleurs" et que ce n'est qu'une "voie particulière d'accès à des titres de séjour définis par d'autres dispositions" (18). Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé dans son avis du 2 mars 2012, que "l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée" et qu'il "fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée". Il en déduit, dès lors, que l'article L. 313-14 ne peut utilement être invoqué par un ressortissant de ce pays dans la mesure où l'article 3 de l'accord franco-tunisien "prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée" -le point est donc "déjà traité par l'accord franco-tunisien" au sens de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988-.
Par suite, dans la mesure où l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 a une rédaction quasi-identique, la quasi-totalité des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (19) ont appliqué depuis l'avis "Lahouel" le même raisonnement. En effet, comme l'accord franco-tunisien, l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 en matière de séjour et d'emploi stipule que "les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent [...] un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention 'salarié' [...]". Son article 9 stipule quant à lui que "les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord". Ainsi, reprenant la trame de l'avis du 2 mars 2012 et suivant les conclusions du même rapporteur public Damien Botteghi, le Conseil d'Etat juge que "l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France [...]" et que, dès lors, "un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité [salariée] ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord [...]" (cons. n° 4).
Ajoutons que la question se pose aussi pour d'autres accords de gestion concertée (20). Comme nous l'avions esquissé dans un commentaire (21), il semble acquis que les ressortissants sénégalais ne peuvent pas non plus invoquer utilement l'article L. 313-14 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour bénéficier d'une régularisation "par le travail". Mais, au demeurant, l'accord franco-sénégalais leur est plus favorable puisque les stipulations du paragraphe 42 prévoient que ceux qui souhaitent voir régulariser leur situation en qualité de salarié n'ont à produire qu'une proposition de contrat de travail pour l'un des métiers figurant à l'annexe IV de l'accord (22). En revanche, compte tenu des rédactions adoptées, le Conseil d'Etat a logiquement admis l'invocation du L. 313-14 pour ce type de régularisation comme "salarié" pour les ressortissants maliens (23) et béninois (24). On peut avoir des interrogations pour les accords avec le Cap-Vert (25) et le Burkina-Faso (26), car ceux-ci relèvent d'un régime hybride avec un système de contingentement annuel.
Si dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat a donné raison à la position adoptée par la cour administrative d'appel de Paris sur l'exclusion de l'application de l'article L. 313-14, en revanche, il a censuré celle-ci s'agissant de son refus d'accorder au préfet une substitution de base légale car, non seulement cette substitution n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie mais aussi, selon son analyse faisant converger régularisation légale régularisation discrétionnaire, l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation dans les deux cas.
II - Le paradoxe de la jurisprudence consistant à refuser aux ressortissants de certains pays dont le séjour est régi partiellement par des accords de gestion concertée l'invocation de l'article L. 313-14 pour solliciter une régularisation par le travail est qu'elle aboutit à un grand nombre d'annulations de refus de séjour, et des obligations de quitter le territoire français subséquentes, pour ce seul motif. En effet, suivant les instructions ministérielles et la jurisprudence dominante jusqu'à l'avis "Lahouel", les préfectures ont généralement (comme c'est le cas en l'espèce) examiné les demandes d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de "salarié" introduites par des ressortissants marocains sur le fondement de l'article L. 313-14. Ce faisant, elles ont commis une erreur de droit. Or, comme la méconnaissance du champ d'application de la loi est un moyen d'ordre public, les juridictions le soulèvent (au besoin) d'office.
Pour conjurer de telles "annulation[s] contentieuse[s] purement doctrinale[s]" (27), suivant l'idée que la même décision aurait été adoptée sur le fondement du pouvoir discrétionnaire autonome, une substitution de base légale est souvent sollicitée par l'administration ou décidée d'office par le juge. Rappelons que, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, le juge de l'excès de pouvoir a la faculté de mettre en oeuvre d'office une substitution, après avoir mis les parties à même de présenter des observations, lorsqu'il constate que la décision contestée aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement "d'un autre texte" que celui dont la méconnaissance est invoquée. Il faut, néanmoins, que l'intéressé ait disposé des mêmes garanties (28). Dans cette affaire la cour administrative d'appel de Paris avait néanmoins refusé une telle substitution en estimant que le préfet ne disposait pas du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'article L. 313-14 (qui définit des conditions de l'admission exceptionnelle et, avant la loi du 16 juin 2011, renvoyait au système de liste de métiers) et l'accord bilatéral (qui n'encadre pas du tout le pouvoir de régularisation).
En l'occurrence, l'originalité de la décision du Conseil d'Etat tient dans le fait que la décision de la cour administrative d'appel est censurée pour erreur de droit car elle s'est abstenue de substituer à la base légale erronée (l'article L. 313-14) "celle tirée du pouvoir, dont dispose le préfet, de régulariser ou non la situation d'un étranger" (cons. n° 4). Car comme le rappelle l'arrêt commenté, "les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation à un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié" (cons. n° 4). La base légale substituable n'était donc pas l'accord bilatéral mais le pouvoir discrétionnaire autonome du préfet. Car, comme le mentionne ensuite le Conseil, la décision du préfet n'aurait pas dû être fondée sur l'accord bilatéral mais "trouve un fondement légal dans l'exercice par le préfet du pouvoir de régularisation discrétionnaire" (cons. n° 6). Ce fondement non écrit (le pouvoir discrétionnaire n'est fondé sur aucun texte légal (29) est, pour le juge administratif suprême, suffisant pour rendre valide une substitution de base légale, dès lors, d'une part, que celle-ci "n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie" et, d'autre part, que "l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir général de régularisation que lorsqu'elle examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée sur le fondement de l'article L. 313-14" (cons. n° 4). Ainsi, le juge administratif suprême admet qu'on puisse substituer à une base légale formelle une base légale non écrite.
Si, en définitive, la décision commentée s'avère peu protectrice des droits des étrangers dont le séjour est partiellement régi par des accords bilatéraux, elle aura néanmoins peu d'incidences pratiques autres que contentieuses (30). En effet, hormis au moment des grèves de sans-papiers en 2007-2008, l'article L. 313-14 n'a abouti qu'à très peu de régularisations "par le travail" (31). Cette disposition génère, en revanche, un flux contentieux significatif compte tenu de la masse des demandes et du nombre important de rejets. L'intérêt de cette disposition est donc faible puisqu'en tout état de cause un préfet dispose toujours de la possibilité, sur le fondement de son pouvoir général de régularisation (32), d'accorder un titre de séjour si aucune disposition légale n'y fait obstacle (33). Il peut aussi, suivant la logique de l'avis "Sacko" (34), et de la seconde partie de l'avis "Lahouel", délivrer sur le fondement du même article L. 313-14 une carte "vie privée et familiale" à un ressortissant régi par ces accords au regard de leur situation personnelle et familiale. Mais en l'espèce, pour le Conseil d'Etat, le rejet de la demande d'admission exceptionnelle au séjour du requérant, célibataire et sans charge de famille sur le territoire français et non dépourvu d'attaches familiales au Maroc, "n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise et n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation" (cons. n° 6). Car si les bases légales de la régularisation par le travail sont variables d'une nationalité à l'autre, en fonction de la rédaction des accords bilatéraux, celles des régularisations en raison des attaches personnelles et familiales sont solidement établies depuis une trentaine d'années.
(1) CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2012, n° 355208, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8961IDA), AJDA, 2012, 1282, concl. D. Botteghi.
(2) Cette disposition a, en effet, été modifiée par l'article 27 de la loi du 16 juin 2011 par la suppression de la référence au système de listes de métiers. Pour les conséquences de cette modification, v. L. Domingo, L'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié après la loi du 16 juin 2011, AJDA, 2012, p. 603.
(3) TA Paris, 3 novembre 2011, n° 1110279 (N° Lexbase : A4145MDU).
(4) CAA Paris, 5e ch., 2 février 2012, n° 11PA03979, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7391IEH) ; CAA Lyon, 3ème ch., 9 février 2012, n° 11LY01193, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8262IDD) ; CAA Marseille, 6ème ch., 13 février 2012, n° 10MA04212, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5334IGN).
(5) CAA Paris, 9ème ch., 24 janvier 2013, n° 11PA05139, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9360I88), cons. n° 4.
(6) Cette disposition avait été adoptée sur proposition du député Frédéric Lefebvre en cours de discussion de la loi "Hortefeux" en réponse aux grèves de travailleurs sans-papiers initiée par la CGT (v. nos obs., Travailleurs sans-papiers : un droit de grève "bridé" ?, Droit ouvrier, Janvier 2011, p. 65).
(7) Circulaire du 20 décembre 2007, NOR : IMI/N/07/00011/C relative aux autorisations de travail des nouveaux Etats membres de l'Union européenne pendant la période transitoire et des Etats tiers, sur la base de listes de métiers connaissant des difficultés de recrutement (N° Lexbase : L5447IZR). V. aussi, confirmant les dispositions de la circulaire du 7 janvier 2008, prise en application de l'article 40 de la loi du 20 novembre 2007, relatif à la délivrance de cartes de séjour portant la mention "salarié" au titre de l'admission exceptionnelle au séjour (N° Lexbase : L5448IZS), reprenant la même interprétation défavorable aux algériens et tunisiens : CE 2° et 7° s-s-r., 23 octobre 2009, n° 314397, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2547EMB), Tables 2009, 791, JCP éd. G, 2009, p. 461, AJDA, 2009, p. 1975, Actualité droits-libertés, 2 novembre 2009, par S. Slama.
(8) Sur Légifrance on recense depuis l'entrée en vigueur de l'article L. 313-14 issu de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007, relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (N° Lexbase : L2986H3Y), plus de 200 décisions de cours administratives d'appel admettant l'applicabilité à des ressortissants marocains de l'article L. 313-14 ayant sollicité une carte "salarié".
(9) Voir, sur les tunisiens : CAA Versailles, Plèn., 7 juillet 2011, n° 09VE04069 (N° Lexbase : A9097HWT), AJDA, 2011, p. 2472, concl. contr. P. Brunelli, LPA, 16 janvier 2012, p. 10, chron. S. Slama ; et sur les marocains : CAA Versailles, 3e ch., 11 octobre 2011, n° 10VE01439, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7862MEW), LPA, 26 novembre 2013, n° 236, p. 12, chron. S. Slama.
(10) L. Domingo, L'admission exceptionnelle au séjour par le travail ne concerne pas les ressortissants marocains, AJDA, 2012, p. 1452.
(11) Nous n'évoquons ici que les ressortissants des pays tiers. Bien évidemment, les citoyens de l'UE, de l'espace économique européen et de la Confédération helvétique ont un statut encore plus dérogatoire en application des Traités, accords européens et de la législation communautaire dérivée.
(12) CE 2° et 6° s-s-r., 25 mai 1988, n° 81420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7699APT) ; CE, 22 mai 1992, n° 99475, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6834ARK) ; CE 2° et 6° s-s-r., 18 octobre 1995, n° 156252, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6276ANR), AJDA, 1996, p. 115, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; CE 7° et 5° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 220013, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9492AZL), AJDA, 2003, p. 101.
(13) CE 2° et 6° s-s-r., 12 avril 1995, n° 150721, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3550ANS).
(14) CE 3° et 8° s-s-r., 15 décembre 2000, n° 220157, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1649AIW) ; CE 7° et 5° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 220013, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9492AZL), AJDA, 2003, p. 101, concl. D. Piveteau.
(15) CE 2° et 6° s-s-r., 13 février 1987, n° 80241, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3242APR) (application de la condition de visa posée par le droit interne) ; CE 6° et 10° s-s-r., 23 janvier 1991, n° 115876, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0149ARX), Lebon, 1991, concl. M. de Saint-Pulgent (censure d'une condition de régularité de séjour posée par une circulaire, mais ne figurant ni dans le droit interne, ni dans l'accord) ; CE 2° et 6° s-s-r., 29 décembre 1995, n° 140023, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0243B9U), Lebon, 1995, concl. M. Sanson, RFDA, 1996, p. 383, chron. D. Ruzié (application des seules dispositions de l'accord fixant les conditions de délivrance d'une carte de résident de plein droit) ; CE 2° et 7° s-s-r., 2 avril 2010, n° 319912, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4185EUK), AJDA, 2010, p. 705, concl. F. Lenica (impossibilité de retirer, sur le fondement de l'article L. 314-5-1 N° Lexbase : L9469IAX, les cartes de résident délivrées aux tunisiens conjoints de Français sur le fondement de l'article 10 de l'accord).
(16) Voit en ce sens, avec une argumentation très convaincante, P. Brunelli, Les régimes de droit commun et spéciaux des accords bilatéraux en matière de délivrance de titres de séjour : l'exemple franco-tunisien, AJDA, 2011, p. 2472.
(17) Sur cet ordre d'examen, voir CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2010, n° 334793, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9267EYU), concl. F. Lenica, AJDA, 2010, p. 1123, D., 2010, p. 2868, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot.
(18) D. Botteghi, Application aux Tunisiens du dispositif de régularisation à titre exceptionnel, AJDA, 2012, p. 1282.
(19) Voir un récapitulatif dans notre chronique, Nouvelles précisions sur la procédure d'admission exceptionnelle au séjour des marocains, LPA, 26 novembre 2013, n° 236, p. 12, et L. Domingo, L'admission exceptionnelle au séjour par le travail ne concerne pas les ressortissants marocains, AJDA, 2012, p. 1452.
(20) Depuis 2006, onze accords de "gestion concerté " ont été signés et approuvés : avec le Bénin, le Congo, le Gabon, le Liban, la Russie, la Tunisie, le Sénégal, l'Île Maurice, le Cap-Vert et le Burkina-Faso. D'autres accords sont en cours de négociation ou d'approbation, avec le Cameroun, le Mali, Haïti, les Philippines, le Nigéria et l'Egypte.
(21) Ibid.
(22) TA Paris, 17 septembre 2013, n° 1307208/2-1, AJDA, 2013, p. 2216, concl. Amélie Fort-Besnard. Voir aussi TA Montreuil, deux jugements, 1er décembre 2011, n° 1105186, 26 janvier 2012, no 1109993 ; CAA Paris, 8ème ch., 7 mars 2011, n° 10PA04036 (N° Lexbase : A0127HPE), AJDA, 2011, p. 1223 ; CAA Versailles, 5ème ch., 14 juin 2011, n° 10VE03663, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0975IQ8) ; CAA Versailles, 7ème ch., 20 décembre 2012, n° 11VE00442, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6825I8B) ; CAA Versailles, 21 mai 2013, n° 12VE03828 ; CAA Douai, 1ère ch., 7 avril 2011, n° 11DA00028, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8800MEN), voir toutefois contra CAA Paris, 10ème ch., 15 novembre 2011, n° 11PA01832 (N° Lexbase : A6718H8C) ; CAA Paris, 10ème ch., 11 décembre 2012, n° 12PA01097, inédit au recueil Lebon ([LXB=A8801MEP) ; CAA Versailles, 7ème ch., 22 novembre 2012, n° 12VE01446, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6564IZ7) ; CAA Versailles, 5ème ch., 29 novembre 2012, n° 11VE03995, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6487IZB).
(23) CE 2° et 7° s-s-r., 7 mai 2013, n° 366481, mentionné aux tables du recueil Lebon ([LXB=A1558KD3)]), AJDA, 2013, p. 1667.
(24) CE 2° et 7° s-s-r., 5 juillet 2013, n° 367908, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4613KIP).
(25) Article 3 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cap-Vert relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire, signé à Paris le 24 novembre 2008, publié par le décret n° 2011-403 du 14 avril 2011 (N° Lexbase : L9600IPA), JO du 16 avril 2011.
(26) Article 2 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire, signé à Ouagadougou le 10 janvier 2009, publié par le décret n° 2011-568 du 24 mai 2011 (N° Lexbase : L3684IQI), JO du 26 mai 2011.
(27) F. Donnat et D. Cassas, La substitution de base légale et l'office du juge de l'excès de pouvoir, AJDA, 2004, p. 202.
(28) CE 3 décembre 2003, n° 240267, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4185DAA).
(29) Sur l'origine de ce pouvoir d'appréciation sans texte, voir J. Mégret, De l'obligation pour l'administration de procéder à un examen particulier des circonstances de l'affaire, EDCE, 1953.77.
(30) En ce sens, voir L. Fermaud, Le droit au séjour de l'étranger salarié : entre incitation et encadrement, JCP éd. A, 2009, étude 2061.
(31) Le rapport "Fekl" évoque un total de 6 509 titres de séjour délivrés sur le fondement de l'article L. 313-14 au titre des admissions exceptionnelles au séjour au titre du travail contre 108 360 délivrés en vertu des articles L. 313-11, 7° (N° Lexbase : L5042IQS) et L. 313-14 du CESEDA au titre de "liens personnels et familiaux" ou répondant à des "considérations humanitaires" ou des "motifs exceptionnels" (Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France, rapport au Premier ministre, 14 mai 2013, p.18).
(32) CE Ass., 22 août 1996, n° 359622, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8809MEY), GACE, 2008, 3ème éd., n° 29 ; CE, S., 13 janvier 1975, n° 90193, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6683A7N) ; CE, S., 16 octobre 1998, n° 147141, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8272AS8).
(33) Sur cette question, voir aussi nos obs., Etendue du pouvoir discrétionnaire du préfet dans l'examen d'une demande de titre de séjour sur un autre fondement que celui invoqué par l'étranger sous CE 1° et 6° s-s-r., 6 décembre 2013, n° 362324, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8544KQI), Lexbase Hebdo n° 558 du 13 février 2014 - édition publique (N° Lexbase : N0689BU3).
(34) CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2010, n° 334793, publié au recueil Lebon, préc..
Décision
CE 2° et 7° s-s-r., 31 janvier 2014, n° 367306, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4113MDP) Cassation (CAA Paris, 9ème ch., 24 janvier 2013, n° 11PA05139, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9360I88) Lien base (N° Lexbase : E2991EYG) |
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Réf. : Cass. civ. 1, 5 mars 2014, n° 12-22.406, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1828MGS)
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N1202BU3
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Le 14 Mars 2014
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Réf. : Cons. const., 7 mars 2014, deux décisions, n° 2013-368 QPC (N° Lexbase : A3292MGZ) et décision n° 2013-372 QPC (N° Lexbase : A3294MG4)
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N1185BUG
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Le 13 Mars 2014
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Réf. : Décrets du 3 mars 2014, n° 2014-284 (N° Lexbase : L6075IZZ) et n° 2014-285 (N° Lexbase : L6070IZT)
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N1204BU7
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Le 15 Mars 2014
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N1170BUU
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 13 Mars 2014
Lexbase : Pourquoi les banques suisses ont-elles décidé de ne plus traiter avec les "fraudeurs" français ?
Didier de Montmollin : Le monde change ! Le Gouvernement suisse est en train de se rallier au principe d'un échange automatique d'informations fiscales, qui pourrait entrer en vigueur en 2016, s'agissant de la Suisse. Par ailleurs, les banquiers suisses réalisent qu'en maintenant un modèle d'affaire axé sur une clientèle française non-déclarée, ils prendraient le risque d'être appréhendés, voire mis en examen en application du droit français, à l'occasion de l'un de leurs prochains déplacements dans l'hexagone.
Lexbase : Les accords "Rubik" et "Fatca", ainsi que le projet français du même type font-ils peur aux institutions financières ?
Didier de Montmollin : Non. Certes, ces accords sont très lourds à gérer administrativement mais, s'ils sont correctement appliqués, ils contribuent à diminuer considérablement le risque de problèmes d'image ou d'implication dans une procédure pénale.
Lexbase : Quelles sont les menaces brandies par les banques face aux contribuables français récalcitrants ?
Didier de Montmollin : Les comportements des banques sont variés, même si toutes recommandent, au moins officiellement, aux clients concernés de se régulariser à Bercy.
Si le client suit la recommandation, pas de problème. Mais si le client n'est pas prêt à franchir ce cap, certaines banques vont le mettre à la porte, en lui remettant un chèque correspondant au solde du compte. Certaines vont accepter que le client s'achète des diamants au titre de nouvelles valeurs "refuge" -ce qui peut présenter un risque pénal pour la banque (blanchiment au sens du droit français), risque qui existe aussi mais, dans une moindre mesure, en cas de donations (réelles) ou de transactions portant sur des biens usuels-, ou alors accepter le virement sur un compte du client ouvert auprès d'une banque tierce. Dans ce dernier cas, il est recommandé de ne pas modifier la composition des valeurs (par exemple la devise) et de virer les fonds directement sur un compte au nom du client (et non pas sur un compte ouvert au nom d'une simple société panaméenne ou des Iles Vierges britanniques).
Il faut tout de même continuer à respecter autant que possible le droit privé des contrats et exécuter les instructions ("pacta sunt servanda") (sauf si elles contredisent une norme de droit administratif applicable à la banque). Il est par exemple scandaleux que certaines banques, à la fois chassent le client, tout en le contraignant à maintenir un dépôt de quelques dizaines de milliers de francs ou d'euros, pour pouvoir renseigner Bercy le jour où l'échange automatique d'informations entrera en vigueur ! En effet, les renseignements à transmettre ne concerneront en principe que les comptes ouverts au moment de l'entrée en vigueur des accords.
Lexbase : La Suisse est-elle en passe de devenir un Etat actif dans la lutte contre la fraude fiscale internationale ?
Didier de Montmollin : Si la Suisse passe effectivement à l'échange automatique d'informations, elle sera un partenaire fiable en la matière. Elle l'est déjà dans le système actuel "à la demande".
Lexbase : Selon vous, les transformations que connaît actuellement la Suisse, avec la levée de son secret bancaire notamment, ne risquent-elles pas d'affaiblir sa position de place financière ?
Didier de Montmollin : Un affaiblissement temporaire ne peut être exclu, mais la Suisse demeure un Etat stable politiquement et économiquement. Par ailleurs, il y a de bonnes raisons d'avoir confiance dans la capacité des banquiers suisses à s'adapter. Ils ont un savoir-faire indéniable, mais il leur faudra davantage travailler car, jusqu'ici, pour la clientèle non-déclarée, la performance du banquier n'avait pas besoin d'être très conséquente. L'économie faite par le client au plan fiscal suffisait souvent à son bonheur. Le risque le plus grand pour la place financière est probablement la tendance de la Suisse à vouloir être irréprochable, à vouloir être l'"enfant-modèle" dans le cadre de la mise en oeuvre des conventions bilatérales ou multilatérales auxquelles elle adhère. D'autres pays sont moins disciplinés ou plus perfides !
Si la transparence est le nouveau "credo", soit, mais alors il faudra veiller à ce que toutes les places financières, dont le Royaume-Uni et ses dépendances, ainsi que les Etats-Unis et son Delaware, eux aussi, appliquent réellement les règles. Ce qui est loin d'être acquis, tant la guerre économique fait rage pour la répartition du gâteau...
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2014, n° 366008, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3295MG7)
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N1176BU4
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Le 13 Mars 2014
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Réf. : Lire le référé du 10 mars 2014 de la Cour des comptes
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N1224BUU
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Le 14 Mars 2014
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Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 21 février 2014, n° 374409, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1037MGI)
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N1175BU3
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
Le 13 Mars 2014
Résumé
La condition d'urgence ne doit pas, par principe, être regardée comme remplie dans le cas où est demandée la suspension en référé de l'homologation du document unilatéral constituant le plan de sauvegarde de l'emploi. Malgré la gravité des conséquences des suppressions d'emploi envisagées sur la situation professionnelle et patrimoniale des salariés concernés, le juge des référés, qui pouvait sans erreur de droit se fonder sur le risque de liquidation judiciaire a justement décidé que la condition d'urgence n'était pas remplie. |
Commentaire
I - Référé-suspension contre l'homologation du PSE : exigence de la condition d'urgence
L'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi. Depuis la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 (1), la procédure de licenciement pour motif économique a été sensiblement remaniée. Il a en particulier été prévu que le plan de sauvegarde de l'emploi pourrait être mis en place selon deux modalités différentes.
Il peut, tout d'abord, être mis en place par accord collectif conclu par les syndicats représentatifs majoritaires de l'entreprise (2). Le plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas alors établi par l'employeur seul mais en collaboration avec ces syndicats.
A défaut d'accord, ensuite, le plan de sauvegarde peut être mis en place par document unilatéral de l'employeur tel que le prévoit l'article L. 1233-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0633IXQ). Ce document doit être élaboré après la dernière réunion du comité d'entreprise et aura un contenu similaire à l'accord collectif d'entreprise qui aurait pu être conclu (3).
Le contrôle du plan de sauvegarde de l'emploi. L'innovation principale de la loi du 14 juin 2013 n'est cependant pas là. Que le plan de sauvegarde de l'emploi soit conclu par accord collectif ou qu'il résulte d'un document unilatéral de l'employeur, il devra désormais être validé dans le premier cas, homologué dans le second cas par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DirECCTE).
Comme cela était le cas avant la réforme, l'administration du travail conserve, à cette occasion, la possibilité de présenter toute proposition tendant à modifier ou à compléter le plan (4). Le DirECCTE contrôle, ensuite, la conformité du contenu du plan qui doit impérativement comporter les éléments prévus par l'article L. 1233-24-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0631IXN) et qui doit avoir été adopté après le déroulement d'une procédure d'information et de consultation régulière du comité d'entreprise et du CHSCT. Enfin, le plan doit comporter des mesures d'accompagnement suffisantes telles que celles prévues par les articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L6215ISY) à L. 1233-63 (N° Lexbase : L0728IXA) du Code du travail.
Le contentieux de l'homologation. L'homologation est un acte administratif si bien qu'il semble logique que le contentieux portant sur cette homologation relève du juge administratif. Cette logique a été confirmée par la loi du 14 juin 2013 qui a constitué un bloc de compétence en faveur du juge administratif. Les litiges relatifs au plan de sauvegarde ne peuvent être détachés des litiges relatifs à leur homologation et c'est, pour l'ensemble, le juge administratif qui est compétent en vertu de l'article L. 1235-7-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0653IXH) (5). La règle a déjà été plusieurs fois appliquée si bien que le juge judiciaire doit décliner sa compétence, y compris en référé (6).
Rares sont les précisions qui ont déjà pu être apportées quant aux modalités de ce recours administratif. On sait, cependant, que le tribunal administratif territorialement compétent est soit celui du lieu du siège de la DIRECCTE ayant homologué (ou refusé d'homologuer) le document, soit celui dans le ressort duquel sont implantés les établissements concernés par le plan de sauvegarde (7).
Quant à la procédure de référé devant le juge administratif, en revanche, aucune précision n'avait jusqu'ici été apportée ni par la loi du 14 juin 2013, ni par la jurisprudence administrative.
L'affaire. Une société, placée en période d'observation de redressement judiciaire, élabore un plan de sauvegarde de l'emploi par document unilatéral de l'employeur après avoir été autorisée à licencier par le juge-commissaire. Le document unilatéral est homologué par le DirECCTE. Le comité d'entreprise de la société saisit le juge administratif en référé afin d'obtenir la suspension de l'homologation.
Par ordonnance du 20 décembre 2013, le tribunal administratif de Bordeaux rejette cette demande de suspension. Pour rendre cette décision, le juge administratif estime qu'aucune urgence ne justifie une telle suspension.
Le pourvoi formé par le comité d'entreprise est rejeté par les quatrième et cinquième sous-sections réunies du Conseil d'Etat le 21 février 2014.
Pour motiver sa décision, la Haute juridiction rappelle d'abord les conditions selon lesquelles un acte administratif peut être suspendu en référé. L'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) prévoit, en effet, que la suspension est prononcée "lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision". L'urgence, rappelle le Conseil d'Etat, est caractérisée si l'acte "porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre" (8) et doit être appréciée concrètement, objectivement, au vu des circonstances de l'espèce (9).
Le Conseil d'Etat déduit de ces différentes règles que, d'abord, la condition d'urgence ne devait pas être regardée comme remplie "par principe" au prétexte que l'acte administratif homologuait un plan de sauvegarde de l'emploi. Il poursuit en observant que le juge administratif a étudié concrètement les circonstances de l'espèce. En effet, il a refusé de suspendre l'homologation en relevant qu'aucune urgence ne le justifiait puisque le juge commissaire du tribunal de commerce avait autorisé les licenciements et que ces licenciements étaient nécessaires pour éviter une cessation des paiements et une liquidation judiciaire.
II - Référé-suspension contre l'homologation du PSE : appréciation de la condition d'urgence
Application des règles générales du référé administratif. Faute que le Code du travail ne prévoie de règle spécifique en matière de référé administratif contre les décisions d'homologation du DirECCTE, il semble parfaitement logique de revenir aux principes généraux du contentieux administratif et, donc, d'appliquer les règles générales applicables au référé suspension. Seules, en effet, sont aménagées les règles relatives aux délais de recours alors que le dernier alinéa de l'article L. 1235-7-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0653IXH) renvoie expressément aux dispositions du livre V du Code de justice administrative, livre relatif aux différents référés administratifs dont est issu l'article L. 521-1 appliqué en l'espèce.
Ainsi, deux conditions doivent être remplies pour que la suspension puisse être prononcée, l'existence d'une urgence à voir l'acte annulé et des doutes sérieux quant à la légalité de la décision. Le caractère cumulatif de ces deux conditions explique que le juge des référés, comme le Conseil d'Etat, ne s'intéresse qu'à l'étude du caractère urgent sans entrer dans le fond de l'analyse de la régularité du plan homologué.
Absence d'urgence par principe. On pourrait être tenté de penser que, compte tenu de la gravité des conséquences de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi et du fait que des licenciements pour motif économique vont être prononcés, l'urgence est nécessairement caractérisée.
Ce raisonnement est probablement trop rapide même si l'on entend bien que l'urgence peut être appréciée de manière subjective et vécue bien différemment par les salariés, les dirigeants de l'entreprise et le juge administratif. S'il n'y a pas par principe d'urgence à suspendre l'homologation, c'est que les actes qui découleront du plan de sauvegarde, c'est-à-dire les licenciements subséquents, ne sont pas irréversibles quand bien même le contenu du plan de sauvegarde serait insuffisant ou que la procédure n'aurait pas été scrupuleusement respectée. On se souviendra, en effet, que la réintégration des salariés pourra être prononcée en cas de nullité du plan de sauvegarde de l'emploi et des licenciements subséquents (10).
Si l'on comprend donc aisément que le caractère d'urgence ne puisse automatiquement être reconnu par le simple fait qu'un plan de sauvegarde de l'emploi ait été élaboré et qu'un projet de licenciement soit envisagé, l'examen concret de l'urgence effectuée par le juge des référés et validé par le Conseil d'Etat dans cette espèce laisse davantage dubitatif.
Elément d'analyse de l'urgence. Pour apprécier si l'urgence justifiait ou non la suspension de l'homologation, le juge des référés, dont le raisonnement est confirmé par le Conseil d'Etat, s'appuie sur deux arguments.
Le premier est un argument positif et consiste à considérer qu'il n'y a pas urgence à annuler le plan de sauvegarde de l'emploi puisque les licenciements ont été autorisés par la juge commissaire dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, ce qu'il ne pouvait faire qu'en cas d'urgence. Le second est un argument négatif qui consiste à considérer que les conséquences sur l'emploi et le patrimoine des salariés concernés ne suffisent pas à considérer la situation comme urgente. Or, il nous semble que l'un comme l'autre de ces deux arguments n'ont pas été utilisés à leur juste mesure.
S'agissant de la décision du juge-commissaire, celle-ci a été prise parce que l'urgence justifiait le prononcé rapide de licenciements afin d'éviter la cessation des paiements et la liquidation judiciaire de la société. Si le juge-commissaire a autorisé les licenciements, c'est qu'il les a jugé nécessaires, indispensables. Or, l'analyse du plan de sauvegarde de l'emploi ne devrait en principe pas se fondre dans celle de la nécessité du prononcé des licenciements. Il n'y a ici qu'un pas à franchir pour lier plan de sauvegarde de l'emploi et justification du licenciement, pas que, rappelons-le, la Chambre sociale de la Cour de cassation a refusé de franchir dans l'arrêt "Viveo" (11).
S'agissant, au contraire, des conséquences sur les salariés de la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi, celles-ci auraient pu être prises en compte pour caractériser l'urgence au sens que le Conseil d'Etat donne lui-même à cette notion. L'urgence est caractérisée, nous rappelle la Haute juridiction, lorsque l'acte administratif "porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre". Peut-être l'atteinte à la situation du requérant n'est-elle pas suffisamment directe (12) ou ne présente-t-elle pas des caractères grave et immédiat pour le juge administratif, mais cela, il ne l'explique pas (13).
(1) Sur ces questions, v. notre étude, Commentaire de l'article 18 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi : la réforme de la procédure de licenciement pour motif économique collectif, Lexbase Hebdo n° 535 du 11 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7934BTZ).
(2) C. trav., art. L. 1233-24-1 et s. (N° Lexbase : L0630IXM).
(3) L'article L. 1233-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0633IXQ) renvoie ainsi à l'article L. 1233-24-2 (N° Lexbase : L0631IXN) du même code qui détaille le contenu de l'accord ou du document unilatéral.
(4) C. trav., art. L. 1233-57 (N° Lexbase : L0713IXP).
(5) Un bloc de compétence similaire avait déjà été créé s'agissant de la contestation de l'homologation de la rupture conventionnelle du contrat de travail mais, à cette occasion, en faveur du juge judiciaire, v. C. trav., art. L. 1233-57.
(6) V. par ex., TGI Créteil, ordonnance de référé, 21 novembre 2013, n° 13/01404 (N° Lexbase : A1441KQG).
(7) CE 4° et 5° s-s-r., 24 janvier 2014, n° 374163, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0096MDW), SSL, n° 1616, p. 11.
(8) Pour des illustrations, v. Encyclopédie "Procédure administrative", La possibilité d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision contestée (N° Lexbase : E4037EXS).
(9) Sur l'exigence d'une appréciation concrète, v. CE contentieux, 19 janvier 2001, n° 228815 (N° Lexbase : A6576APA).
(10) C. trav., art. L. 1235-11 (N° Lexbase : L0725IX7).
(11) Cass. soc., 3 mai 2012, n° 11-20.741, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5065IKS) et les obs. de Ch. Radé, Affaire "Vivéo" : salutaire retour à l'orthodoxie, Lexbase Hebdo n° 484 du 10 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1794BTM).
(12) Le comité d'entreprise, requérant dans cette affaire, représente l'intérêt des salariés si bien qu'il faudrait tout de même étendre la conception de la "situation du requérant" pour que cette analyse puisse être retenue.
(13) Au contraire, l'argumentation de l'arrêt soulève que la décision de refus de suspension a été prise "malgré la gravité des conséquences des suppressions d'emploi envisagées sur la situation professionnelle et patrimoniale des salariés concernés" (nous soulignons).
Décision
CE 4° et 5° s-s-r., 21 février 2014, n° 374409, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1037MGI). Rejet, TA Bordeaux, référés, n° 1304315, 20 décembre 2013. Textes concernés : CJA, art. L. 521-1 (N° Lexbase : L3057ALS) ; C. trav., art. L. 1233-57-1 (N° Lexbase : L0638IXW) ; C. com., L. 631-17 (N° Lexbase : L0721IXY). Mots-clés : Licenciement pour motif économique. Plan de sauvegarde de l'emploi. Homologation. Contentieux. Référé. Liens base : (N° Lexbase : E9334ESI). |
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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920)
Le 28 Août 2014
Les impératifs de recherche de la vérité et de sécurité qui innervent le procès pénal peuvent conduire, parmi d'autres désagréments imposés à la personne mise en cause, à maltraiter sa propriété. Il n'en faut pas moins lui permettre, une fois la fin du procès venue ou lorsque le procès a pu être évité, de rétablir son droit sur ce qui n'a jamais cessé de lui appartenir. Tel est l'objet de la procédure dite de restitution, régie par l'article 41-4 du Code de procédure pénale en dehors des cas où une juridiction a été saisie ou lorsqu'une juridiction saisie a déjà épuisé sa compétence.
A l'instar de toutes les actions en restitution, cette action est de nature plus possessoire que pétitoire : elle ne joue que si la propriété d'un bien n'est pas sérieusement contestée. C'est pourquoi, comme le précise un premier arrêt du 8 janvier 2014, une restitution n'est pas concevable pour un bien qui a été confisqué. La confiscation provoque en effet, lorsque ses conditions sont réunies, un transfert de propriété du bien sans contrepartie au profit de l'Etat. Tel était bien le cas en l'espèce, où la somme confisquée à la personne condamnée entretenait, comme l'impose l'article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ), un lien évident avec l'infraction qui a fondé la condamnation (plusieurs escroqueries).
A l'occasion de cette même affaire, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, par ailleurs, été amenée à refuser le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 41-4 du code précité, précisant simplement que ce texte "prévoit une procédure de restitution d'objets saisis lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou lorsque la juridiction a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets et n'est ainsi pas applicable lorsqu'une confiscation a été prononcée". Autrement dit, l'objet de la procédure de restitution n'est pas de contester la légalité de la confiscation, ce qui confirme sa nature exclusivement possessoire.
Une telle nature de l'action en restitution n'empêche cependant pas que, si elle n'est pas exercée "dans un délai de six mois à compter de la décision de classement ou de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence, les objets non restitués deviennent propriété de l'Etat". C'est cette règle qui est rappelée et appliquée dans un second arrêt rendu le 19 février 2014, où une personne condamnée (pour abus de biens sociaux, faux et usage) dont les biens avaient été saisis, mais pas confisqués par les autorités, a agi plus de six mois après la décision qui l'a condamnée sans se prononcer sur la restitution et sans prononcer une confiscation.
La Cour de cassation précise que le texte de l'article 41-4, qui institue de la sorte une forme d'usucapion très abrégée au profit de l'Etat, "ne met pas en cause les principes fondamentaux du régime de la propriété, à laquelle il ne porte pas une atteinte disproportionnée". Ce n'est pas si sûr, le propriétaire si rapidement dépossédé ne l'étant ainsi ni volontairement, ni consécutivement à sa responsabilité, puisque l'hypothèse suppose précisément qu'aucune confiscation n'ait été prononcée.
Guillaume Beaussonie
Dans le cadre d'une confiscation, il ne saurait plus être question d'une simple restitution ; la propriété est en cause, qui suppose de déterminer qui, si ce n'est pas l'Etat ou la personne condamnée, est le véritable propriétaire d'un bien, avant et afin que celui-ci puisse recouvrir sa possession. Le texte de l'article 131-21 du Code pénal est effectivement très large, qui autorise la confiscation de biens dont le condamné a simplement "la libre disposition", autrement dit dont il n'est pas nécessairement propriétaire (1). Aussi apparaît-il comme la moindre des choses que de permettre au propriétaire de bonne foi de revendiquer ses biens qui ont été confisqués.
Cela signifie à l'inverse que sa mauvaise foi, en ce qu'elle caractérise son association à une infraction commise par un autre, lui ferme la porte de toute revendication. Tel était le cas en l'espèce, où a été confisquée la voiture d'une SARL que le gérant était seul à conduire, mais sans permis, à cause de sa condamnation. Comment en effet, dans cette hypothèse, dissocier la volonté de la société de celle de son gérant ?
Guillaume Beaussonie
II - Droit de la garde à vue
Le principe de la loyauté des preuves est désormais bien ancré en droit pénal français, quand bien même on demeure en droit de ne pas se satisfaire de son inapplication aux parties privées (2). La Chambre criminelle de la Cour de cassation le conjugue toujours avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ainsi qu'avec l'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R), l'idée étant, sans doute, qu'il serait une manifestation comme une autre du droit à un procès équitable (3).
Dans cet arrêt du 7 janvier 2014, une fois n'est pas coutume, la Chambre criminelle exprime même liminairement le principe de la façon la plus simple et la plus concise qui soit : "porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l'autorité publique". Cela permet de constater ce que la formation répressive de la Cour de cassation a choisi de faire de ce principe de loyauté : un simple principe de dignité -voire de pure déontologie- attaché à la fonction d'enquêteur -et non à la recherche probatoire en général-. Cette ambiguïté est originelle, puisque dans leur très notoire arrêt "Wilson", rendu le 31 janvier 1888, les chambres réunies de la Cour de cassation précisaient déjà que le juge avait "employé un procédé s'écartant des règles de la loyauté que doit observer toute information judiciaire, et constituant, par cela même, un acte contraire aux devoirs et à la dignité du magistrat" (4). Qu'en est-il en l'espèce ?
Un juge d'instruction pensait pouvoir trouver, dans les articles 706-92 (N° Lexbase : L9743HEL) à 706-102 du Code de procédure pénale, le pouvoir d'ordonner la sonorisation dissimulée de deux cellules de garde à vue contiguës. Les propos échangés par les deux mis en cause retenus étaient ainsi enregistrés à leur insu, durant leur période de repos, l'un d'entre eux s'auto-incriminant durant les échanges. Ce dernier était mis en examen, puis placé en détention provisoire, profitant de son nouveau statut pour déposer une requête en annulation de différents actes de procédure. Il se fondait notamment sur la violation du droit de se taire, du droit au respect de la vie privée et sur la déloyauté dans la recherche de la preuve. Bien étrangement, tant ses arguments semblaient congrus, la chambre de l'instruction ne faisait pas droit à sa requête, précisant à l'appui d'une décision ô combien contestable que "le mode de recueil de la preuve associant la garde à vue et la sonorisation des cellules de la garde à vue ne doit pas être considéré comme déloyal ou susceptible de porter atteinte aux droits de la défense, dès lors que les règles relatives à la garde à vue et les droits inhérents à cette mesure ont été respectés et que la sonorisation a été menée conformément aux restrictions et aux règles procédurales protectrices des droits fondamentaux posées expressément par la commission rogatoire du juge d'instruction et qu'il peut être discuté tout au long de la procédure". Autrement dit, il ne s'agissait, selon elle, que d'une garde à vue et d'une sonorisation comme les autres, leur association étant indifférente et, quoi qu'il en soit, le principe du contradictoire étant respecté.
Ce dernier motif montrait déjà à quel point la motivation dans son ensemble était viciée, puisque le respect du principe du contradictoire constitue précisément le seul garde-fou en matière d'apport d'une preuve déloyale ou illégale par une partie privée (5). Au-delà, même en concédant que la garde à vue et la sonorisation soient deux mesures d'enquête réglementées par la loi et, qu'en l'occurrence, ladite loi a bien été respectée, leur association concomitante à l'encontre d'une même personne ne représente que la manifestation d'un abus de pouvoir, puisqu'il va finalement s'agir de mettre une personne dans un état de vulnérabilité, puis de profiter de cet état (6). Le principe de loyauté est ici légitimement mobilisé, puisqu'il constitue, par nature, un instrument modérateur, qui peut et doit agir alors même que la loi a été respectée (7).
La Chambre criminelle souligne, au surplus, que le procédé déloyal "a amené [le gardé à vue] à s'incriminer lui-même au cours de sa garde à vue". Bien que non expressément consacré en droit interne, le droit de ne pas s'auto-incriminer, par ailleurs notamment reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (8), est au coeur d'un certain nombre de prérogatives dont dispose tout mis en cause en droit français, à commencer, bien sûr, par son droit de se taire (9).
Qu'il s'agisse effectivement de loyauté ou d'autre chose, ces pratiques d'un autre âge ne sont certainement pas dignes d'autoriser qu'une information -indéniablement utile- soit recueillie puis utilisée par les juridictions pénales. La fin ne justifie pas les moyens.
Guillaume Beaussonie
Le Conseil constitutionnel avait censuré, lors de son examen de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite "loi Perben 2" (N° Lexbase : L1768DP8), une disposition prévoyant que "le fait qu'à l'issue de l'enquête ou de l'information ou devant la juridiction de jugement, la circonstance aggravante de bande organisée ne soit pas retenue ne constitue pas une cause de nullité des actes régulièrement accomplis en application des dispositions" relatives à la criminalité organisée (10). Il s'agissait, à l'époque, d'éviter un détournement de procédure consistant en l'octroi d'une qualification originaire de criminalité organisée afin de bénéficier, consécutivement, des règles dérogatoires qui caractérisent ce régime, même s'il apparaissait ultérieurement que l'infraction en cause ne participait en réalité pas de ladite qualification. L'inverse, c'est-à-dire l'octroi d'une qualification de criminalité organisée dans une procédure initialement ouverte sur le fondement d'une qualification de droit commun, demeure en revanche parfaitement envisageable, avec les conséquences que cela suppose. Tel est le premier message de cet arrêt du 11 février 2014.
En l'espèce, une personne interpellée en possession de cocaïne était placée en garde à vue. Après une première prolongation de la mesure, le procureur de la République prescrivait aux enquêteurs d'appliquer le régime prévu par l'article 706-88 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9755IPY), relatif aux infractions de criminalité organisée, ce changement de cadre prenant effet à compter du placement initial en garde à vue. Ultérieurement mise en examen, la personne ayant subi ladite garde à vue déposait une requête en nullité aux fins d'annulation de ses auditions, ainsi que de celles de personnes en relation avec elle, qui s'étaient déroulées durant sa garde à vue, mais sous la forme d'auditions libres.
La chambre de l'instruction percevait une irrégularité dans l'absence de notification au mis en cause des dispositions de l'article 706-88 du Code procédure pénale dès le début de la garde à vue. Considérant, cependant, que cela ne lui avait pas causé grief, elle refusait d'annuler les procès-verbaux d'audition. Précisant à son tour, de façon plutôt obscure, que c'était "à tort que la chambre de l'instruction [avait] jugé que la garde à vue du demandeur était entachée d'une irrégularité qui ne lui faisait pas grief" -le tort portait-il, en effet, sur l'irrégularité ou sur le grief ?-, la Chambre criminelle de la Cour de cassation n'en confortait pas moins l'absence d'annulation au motif que "l'application des dispositions de l'article 706-88 [...] peut être décidée, en cours de garde à vue, en fonction de l'évolution d'une enquête ou d'une instruction sur l'une des infractions mentionnées à l'article 706-73 et que le demandeur a été régulièrement informé, lors de son placement sous le régime de la garde à vue, de la nature de l'infraction qu'il était soupçonné d'avoir commise, de la durée alors prévisible de la mesure et, à chaque stade de celle-ci, de ses droits". Autrement dit, il fallait, au départ, éclairer le mis en cause sur la qualification qui justifiait sa présence en garde à vue, ainsi que sur le délai prévisionnel de droit commun, puis, progressivement, lui notifier les droits afférents au cadre dans lequel il basculait -ce qui avait été fait en l'espèce-.
Ne serait-il pourtant pas opportun, pour les infractions susceptibles de recevoir une qualification de droit commun comme une qualification de criminalité organisée -bref pour les infractions indiquées à l'article 706-73 du Code de procédure pénale- d'informer une personne placée en garde à vue sur un tel fondement de l'évolution possible du cadre d'enquête et, partant, de son traitement procédural ?
Le second message de cet arrêt du 11 février 2014 est, à la fois, moins novateur et d'autant plus regrettable. La Chambre criminelle de la Cour de cassation poursuit effectivement son aveuglement assurément volontaire face aux exigences portées en la matière par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, en dénuant à une personne qui y trouve un intérêt la qualité à agir pour obtenir l'annulation d'une mesure d'enquête subie par une autre personne (11). En l'espèce, il s'agissait de l'audition libre de deux témoins, la personne mise en examen étant selon elle "sans qualité pour se prévaloir de la méconnaissance de formalités substantielles à l'occasion de l'audition libre d'une autre personne".
Guillaume Beaussonie
III - Liberté d'expression et présomption d'innocence
La liberté d'expression constitue, selon la Cour européenne des droits de l'Homme, l'un des fondements essentiels d'une société démocratique (12). Ce qui implique, notamment, le droit pour la presse de communiquer au public des analyses et des informations relatives aux affaires judiciaires. Il reste que cette liberté doit se concilier, notamment, avec le droit au respect de la présomption d'innocence, garanti par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q), l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale. Le droit -subjectif- à la présomption d'innocence est par ailleurs proclamé par le Code civil qui, en son article 9-1 (N° Lexbase : L3305ABZ), dispose que "chacun a droit au respect de la présomption d'innocence". Et, pour l'article 9-1, la violation de ce droit consiste dans le fait pour une personne d'être, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire. La violation peut ainsi résulter de commentaires "à charge", mais aussi, plus directement, de la publication d'actes d'accusation ou tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique, ainsi que l'énonce l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW). Ces dispositions permettent non seulement la protection de la présomption d'innocence mais aussi de garantir l'autorité et l'impartialité de la justice, comme l'affirme la Cour européenne des droits de l'Homme (13). Dès lors que de telles publications reproduisant complètement ou partiellement des actes de procédure ont lieu pendant une information judiciaire, comme c'était le cas en l'espèce, elles constituent également une violation du secret de l'instruction. Cet article 38, avec d'autres dispositions (14) permet ainsi de sanctionner une telle violation, l'article 38 prévoyant une peine d'amende de 3 750 euros. La victime peut, en outre, obtenir des dommages et intérêts venant réparer son préjudice matériel et moral résultant de la publication. Par ailleurs, elle peut saisir en amont le juge des référés afin que ce dernier fasse cesser le trouble manifestement illicite né de la violation de l'article 38 (15).
Dans la présente affaire, un journal et son site internet publient un article comprenant des extraits d'un rapport d'expertise ordonnée par un juge d'instruction saisi pour des faits d'homicide involontaire et omission de porter secours. Les prévenus (l'auteur de l'article et le directeur de la publication), cités à comparaître par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel, sont relaxés. Le jugement est confirmé en appel. Pour les juges du fond, la relaxe se justifie pour trois raisons : les extraits publiés concernaient un point de vue technique soumis à la contestation des parties à la procédure et ne valaient pas appréciation de la culpabilité ; cette publication ne portait atteinte ni à l'autorité et à l'impartialité de la justice, ni aux droits de la personne mise en examen laquelle avait pu exercer son droit de réponse dans le journal ; l'application de l'article 38 de la loi de 1881 constituerait en l'espèce une ingérence disproportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression. L'arrêt de la cour d'appel est cassé au visa des articles 38 de la loi de 1881 et 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC : insuffisance de motifs). En effet, pour la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû apprécier l'incidence de la publication de ces extraits du rapport d'expertise, dans son contexte, sur les droits de la personne mise en examen. Rappelons, à cet égard, que l'arrêt précité de 2005 (CEDH, 24 novembre 2005, Req. 53886/00, T. et J. c/ France N° Lexbase : A7066DLB) avait considéré que l'article 38 n'était pas contraire à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ), dès lors que, même portant atteinte à la liberté d'expression, cette atteinte correspond à "un besoin social impérieux" -celui de protéger la présomption d'innocence- et apparaît proportionnée à ce but légitime, car l'article 38 n'interdit pas tout commentaire des actes de procédure ou la publication d'une information puisée dans la procédure elle-même (16). Au demeurant, l'article 11, depuis la loi n° 2000-516, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ), prévoit que le procureur de la République peut rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure, afin de garantir la fiabilité des informations diffusées par la presse. Par ailleurs, comme autre source d'information, la presse peut disposer d'éléments communiqués par les personnes qui ne concourent pas à la procédure et ne sont donc pas tenues au secret de l'instruction : le mis en examen, la victime, le témoin et même l'avocat, à condition que ce dernier ne communique pas d'actes ou pièces de la procédure (17).
Lionel Miniato
IV - Judiciarisation de l'application des peines
L'article 721-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6740IXW) prévoit "qu'une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale". Cette décision d'aménagement -temporel- de la peine (18), prise par le juge de l'application des peines après avis de la commission de l'application des peines, peut être attaquée par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général dans le délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance devant le président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel (19).
En l'espèce, un condamné se voit octroyer une réduction supplémentaire de sa peine pour une durée de deux mois. Il interjette seul appel de l'ordonnance, laquelle est infirmée en appel, le président de la chambre de l'application des peines considérant que la situation du condamné ne justifiait aucune réduction. Ainsi, la prohibition de la réformation in pejus (aggravation du sort de l'appelant sur son seul appel), mentionnée à l'alinéa 2 (N° Lexbase : L9908IQZ) de l'article 515 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3906AZP), ne serait-elle pas applicable à la phase d'exécution des peines. Du reste, c'est ce qui avait été jugé dans un arrêt de 2007 (20), où un condamné s'était vu octroyer une réduction supplémentaire de trente jours par le juge de l'application des peines, ramené à vingt-cinq jours par le président de la chambre de l'application des peines, à la suite de l'appel formé par le seul condamné. Dans cet arrêt, le moyen du pourvoi avait invoqué l'application de l'interdiction de la réformation in pejus, mais la Chambre criminelle avait écarté cet argument, en considérant, sur le fondement de l'article 721-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6740IXW), "qu'en matière d'octroi de réduction supplémentaire de peine, l'article 721-1 du Code de procédure pénale laisse à l'entière appréciation du juge saisi le quantum de la réduction qu'il peut accorder aux condamnés manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale". Autrement dit, la Cour de cassation ne considérait pas, dans cette décision, que le président de la chambre de l'application des peines statue comme juge d'appel, mais qu'il est saisi pour, à son tour, apprécier le quantum de la réduction. Dans ces conditions, le président doit disposer de toute latitude pour pouvoir, le cas échéant, et en fonction de la situation du condamné, revoir à la baisse la réduction de peine supplémentaire accordée par le juge de l'application des peines.
C'est cette solution qui est remise en cause dans le présent arrêt, la Cour de cassation opérant ainsi un revirement de jurisprudence. La décision du président de la chambre de l'application des peines est en effet cassée au visa de l'article 721-1 du Code de procédure pénale, mais aussi, et surtout, des principes de l'effet dévolutif de l'appel et de la prohibition de l'aggravation du sort de l'appelant sur son seul appel. Ce qui est déterminant dans la solution est que la Cour de cassation se fonde sur l'application des principes gouvernant l'appel : le président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel peut certes, comme le juge de l'application des peines, décider du quantum de la réduction, mais, dans la mesure où il intervient comme juge d'appel, ses pouvoirs sont limités par le principe d'interdiction de la réformation in pejus. Cet arrêt concerne la réduction supplémentaire de peine, mais la solution qu'il consacre a évidemment vocation à s'appliquer à toutes les mesures d'aménagement de la peine, ce qui mérite d'être approuvé. En effet, si la judiciarisation des peines, véritablement consacrée avec la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), ne s'accompagnait pas de l'application des principes fondamentaux et protecteurs applicables aux autres phases de la procédure pénale (notamment la phase de jugement), l'on aurait du mal à voir l'apport d'une telle judiciarisation.
Lionel Miniato
(1) Cf. déjà, sur cette question : Cass. crim., 5 décembre 2013, n° 12-87.940, F-P+B (N° Lexbase : A8256KQT), sur lequel cf. nos obs. in Chronique de droit des biens - Janvier 2014, Lexbase Hebdo n° 554 du 16 janvier 2014 - édition privée (N° Lexbase : N0217BUL).
(2) Cf. par ex. G. Beaussonie, La relativité du principe de loyauté de la preuve en procédure pénale, Petites Affiches, 28 août 2008, n° 173, p. 7 (à propos de Cass. crim., 4 juin 2008, n° 08-81045, F-P+F N° Lexbase : A9418D8C, Bull. crim., n° 141). Cf. aussi M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, thèse Toulouse 1-Capitole, 2010, nos 135 et s..
(3) La Cour européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ne l'impose cependant pas : cf. CEDH, 12 juillet 1988, Req. 8/1987/131/182, S. c/ Suisse (N° Lexbase : A6480AWW).
(4) S., 1889, I, 241.
(5) Cf., encore récemment : Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B (N° Lexbase : A3769IEC), Bull. crim., n° 64.
(6) La vulnérabilité du gardé à vue est soulignée de façon récurrente par la Cour européenne des droits de l'Homme. Cf. par ex. : CEDH, 27 nov. 2008, Req. 36391/02, S. c/ Turquie (N° Lexbase : A3220EPX), § 54 : "un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure".
(7) Cf. B. de Lamy, "La loyauté, principe perturbateur des procédures ?", JCP, éd. G, 2011, 988.
(8) CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334/407, F. c/ France, (N° Lexbase : A6542AW9), § 44. Pour plus de précisions sur les normes internes et internationales en la matière, cf. M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, préc., nos 255 et s..
(9) C. proc. pén., art. 63-1, 3° (N° Lexbase : L9742IPI).
(10) Cons. const., décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, cons. 67-71 (N° Lexbase : A3770DBA).
(11) Cf. encore dernièrement : Cass. crim, 11 décembre 2013, n° 12-83.296, F-P+B (N° Lexbase : A3673KRH) et nos obs. in Chronique de procédure pénale - Janvier 2014, Lexbase Hebdo n° 553 du 9 janvier 2014 - édition privée (N° Lexbase : N0059BUQ). Le point de départ de cette position contestable est : Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3688ICL). Pour un commentaire de cet arrêt et un rappel du contexte, cf. nos observations : Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée ([LXB=N0622BT9 ]).
(12) Sur le fondement de l'article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ).
(13) CEDH, 24 novembre 2005, Req. n° 53886/00, T. et J. c/ France (N° Lexbase : A7066DLB), § 46. Elles contribuent par là même à ne pas entraver la manifestation de la vérité : CA Paris, 11 mai 2000, D., 2000, IR, 193.
(14) Cf. celles concernant le secret professionnel de l'avocat, ou bien celles de l'article 114-1 du Code procédure pénale (N° Lexbase : L4538AZ4).
(15) Ex. : Cass. civ. 2, 19 février 1992, n° 90-20.312 (N° Lexbase : A5542AHQ), Bull. civ., II, n° 61, livre relatif à "l'affaire Grégory" retiré de la vente car ayant reproduit de nombreuses pièces d'un dossier d'instruction en cours.
(16) § 69 et § 73.
(17) Sur la liberté d'expression de l'avocat, cf. CEDH, 15 décembre 2011, Req. n° 28198/09, M. c/ France (N° Lexbase : A6142IAQ).
(18) Cf. E. Garçon, V. Peltier, Droit de la peine, LexisNexis, 2010, nos 1104 et s..
(19) C. proc. pén., art. 712-11 (N° Lexbase : L5813DYX), 712-12 (N° Lexbase : L5814DYY) et 712-5 (N° Lexbase : L5807DYQ).
(20) Cass. crim., 7 mars 2007, n° 06-83.981, FS-P+F (N° Lexbase : A8098DUH), Bull. crim., 2007, n° 75.
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Réf. : Cass. civ. 1, 5 mars 2014, n° 12-28.348, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1830MGU)
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Le 14 Mars 2014
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