Lecture: 6 min
N1148BU3
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
A l'origine, l'idée d'assurer le paiement de transactions uniquement par l'intermédiaire d'un réseau "pair à pair", sans que l'unité monétaire n'ait pour équivalence un bien matériel, un métal précieux, et encore moins la garantie étatique de sa valorisation, apparaît, au mieux comme originale et épiphénoménale, au pire comme fantasque, voire dangereuse. En effet, Bitcoin se passe de toute infrastructure centralisée pour tenir les comptes des montants détenus et pour assurer les transactions. C'est un ordinateur du réseau qui, de manière aléatoire, contrôle la tenue des comptes de chaque titulaire et recense l'état des transactions passées. Par ailleurs, sans rapport avec l'économie réelle, se voulant détachée de toute contingence bancaire, la valeur du bitcoin varie selon l'usage économique qui en est fait et le marché des changes. La seule garantie systémique réside, alors, dans les protocoles cryptographiques associés, qui permettent, en principe, de contrôler l'identité véritable des personnes titulaires des compte et opérant des transactions quelconques.
Finalement, on l'aura compris, à part le rejet des systèmes bancaires traditionnels, de la gouvernance financière et de l'Etat, comme créateur de monnaie et Autorité de contrôle, ce libertarisme cache un libéralisme absolu puisque s'appliquent, ici, la loi marchande et spéculative la plus primaire, depuis Adam Smith : la rareté crée la valeur. Le nombre de bitcoin étant prédéterminé de manière algorithmique, plus l'unité de monnaie est utilisée, plus elle est recherchée voire rare, plus sa valeur d'usage est grande, plus le profit spéculatif est important. Tant est si bien que la valeur du bitcoin a pu gagner 400 % entre les mois de janvier et de mars 2013 ; pour perdre 35 % de sa valeur en une nuit de décembre 2013, à la suite d'une mise en garde de la Banque populaire de Chine et de la Banque de France... La volatilité du bitcoin est avérée. Et, rien, absolument rien, ne peut venir au secours des titulaires des comptes Bitcoin (un demi-million dans le monde), qui se verraient lésés à la suite de la défaillance des sociétés gérant les réseaux en cause ; à la suite d'une absence d'information et de conseil réguliers sur le fonctionnement du système de paiement ; à la suite de l'usurpation de leur identité sur le réseau.
En effet, comme évoqué supra, la clé de voûte du système réside dans cette croyance en l'étanchéité du réseau, aux protocoles cryptographiques. Mais, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent : et, l'incrédulité commande la plus grande prudence lorsque l'on invoque la sécurité informatique. Si quelqu'un a réussi à créer un protocole réputé inviolable, quelqu'un, dans le monde, s'attachera à prouver sa fébrilité, ses failles, voire usera de ses défaillances pour escroquer les titulaires des comptes. Il n'y a pas plus d'inviolabilité des comptes bancaires traditionnels que des comptes Bitcoin. C'est la malheureuse expérience récemment vécue par Mt Gox, une des principales plates-formes d'échange et de conservation de bitcoins, dont les failles ont permis la spoliation informatique de milliers de comptes. La société a donc fermé et s'est, dès lors, placée sous la protection de la loi sur les faillites au Japon. Les milliers de titulaires de comptes sur la plate-forme ont, de facto, perdu l'équivalent de centaines de milliers d'euros (puisque le bitcoin profite du marché des changes classique), sans qu'un Etat ne puisse couvrir une partie des pertes, comme la majorité d'entre eux avait pu l'organiser ou le proposer lors de la crise monétaire de 2008.
Alors, les Autorités bancaires nationales et internationales se réveillent peu à peu et prennent conscience de la dangerosité d'un tel système de paiement entièrement virtuel et créé ex nihilo du cerveau d'un ou d'un groupe d'informaticiens anonymes... D'autant que le système est opaque et échappe à toute règle de contrôle ; attisant, dès lors, l'intérêt des organisations criminelles malmenées par les mesures anti-blanchiment et autres obligations de transparence.
Et, la France prend le cortège de la raison bancaire. Il faut dire que la prochaine ordonnance en la matière tachera, notamment, de mettre en oeuvre un régime prudentiel allégé pour certains établissements de paiement ; de transposer la Directive 2013/36 du 26 juin 2013, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement ; de mettre en conformité de la législation française avec le Règlement n° 575/2013 du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement ; de transposer la Directive 2011/89 du 16 novembre 2011 en ce qui concerne la surveillance complémentaire des entités financières des conglomérats financiers ; de mettre en conformité la législation française avec le Règlement n° 1024/2013 du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit... Contrôle prudentiel et surveillance complémentaire sont bien les maître-mots de la finance d'aujourd'hui... Alors, un système de paiement entièrement dérégulé... Pensez donc !
Il est certain que l'empathie pour le milieu bancaire n'est pas flamboyante ; à force de mea culpa, d'encadrement, de règles prudentielles et de contrôle permanent, la confiance pourrait bien revenir petit à petit et purger les années de doutes suscitées par la toxicité d'emprunts mal ficelés pour crédules non avertis. Et, l'on voit mal, pour le coup, la pertinence d'un système monétaire dérégulé, affranchi de toute sérieuse garantie quant aux dépôts et aux échanges, pour établir la confiance nécessaire pour amorcer l'économie de demain. L'esprit communautaire animant positivement les réseaux d'échange sur internet ne suffit pas à garantir la stabilité de la confiance, quand il arrive, parfois, à créer ce premier climat de confiance nécessaire, comme ce fut le cas avec Bitcoin.
Alors, entre les montages spéculatifs des golden boys et la naïveté des réseaux d'échange monétaire "pair à pair", il y peut-être la nécessité de revisiter le système bancaire pour le rendre tout simplement plus appréhendable par le commun, et donc susciter plus volontiers la confiance. L'investissement dans des cheptels est sans doute une idée, remise au goût du jour, bien que de prime abord farfelue, des plus opportunes et symptomatiques. On apprend alors que l'investissement dans un cheptel de vaches laitières obtient un rendement de 4 à 5 % l'an, contre 1,25 % pour le Livret A ! Le coût d'une vache est raisonnable (1 630 euros) et sa production connaît peu la crise : le lait ne tombe pas ! L'option "produit annuel" permet de mettre en vente chaque année les bêtes devenues adultes. L'option "croissance du troupeau" permet la conservation des génisses supplémentaires. De cette manière, l'investissement ajoute des bêtes à son cheptel. Avec un achat de départ de dix bêtes, le cheptel aura doublé en 21 ans ; et la valeur du cheptel d'autant... le tout sous couverture d'assurance en cas de perte de tout ou partie du cheptel ! Bref, "la chose [va] à bien par son soin diligent". Le seul risque serait alors de confier sa fortune à "Perrette [qui] sur sa tête ayant un Pot au lait / Bien posé sur un coussinet / Prétendait arriver sans encombre à la ville", écrirait La Fontaine.
Alors, qu'allons-nous créer de nouvelles monnaies numériques, pour investir sur des marchés volatiles et complexes, quand le rendement est, encore et toujours, assuré par la propriété de cheptels... comme c'est le cas depuis la révolution agricole néolithique, il y a 10 000 ans !
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441148
Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2014, n° 357228, 366334, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1008MGG)
Lecture: 2 min
N1139BUQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 06 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441139
Réf. : Cass. civ. 2, 30 janvier 2014, n° 12-29.246, F-P+B (N° Lexbase : A4417MDX)
Lecture: 5 min
N1039BUZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)
Le 06 Mars 2014
Par arrêt confirmatif en date du 4 octobre 2012 (CA Paris, Pôle 4, 8ème ch., 4 octobre 2012, n° 11/19701 N° Lexbase : A8240ITD), la cour d'appel de Paris avait rejeté la demande de la société d'avocats tendant à obtenir la mainlevée des mesures d'exécution forcée prises à son encontre en considérant, d'une part que, par application des dispositions de l'article 153 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), le Bâtonnier de l'Ordre avait une compétence exclusive pour le règlement des litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail conclu avec un avocat, et d'autre part, que la décision du Bâtonnier de l'Ordre était exécutoire de plein droit à titre provisoire comme portant sur des honoraires dus dans la limite de neuf mois de rétrocession, après avoir observé que la décision du Bâtonnier avait été régulièrement notifiée à la société appelante.
Notons que, dans cet arrêt, la cour d'appel avait écarté l'application des dispositions de l'article 1487 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2233IPE) relatives à l'exequatur des sentences arbitrales jugées inopérantes dans le litige, motif qui ne souffre aucune critique dès lors que les décisions rendues par le Bâtonnier d'un Ordre, dans un litige opposant des avocats à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail ou d'un contrat de collaboration, n'ont pas le caractère de sentences arbitrales.
L'article 142 du décret du 27 novembre 1991 dispose que "pour tout litige né à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail, à défaut de conciliation, le Bâtonnier du barreau auprès duquel l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l'une ou l'autre des parties soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l'Ordre des avocats, soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception [...]".
Le principe de la compétence exclusive du Bâtonnier pour trancher ce type de litige entre avocats ne soulève aucune difficulté.
Rappelons, également, que l'article 153 du même décret dispose que "sont de droit exécutoires à titre provisoire les décisions du Bâtonnier qui ordonnent le paiement de sommes au titre des rémunérations dans la limite maximale de neuf mois de rétrocession d'honoraires ou de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois".
Le caractère exécutoire des décisions du Bâtonnier, dans une limite de neuf mois, ne soulève pas davantage de difficulté.
La Cour de cassation a censuré l'arrêt de la cour d'appel de Paris, ainsi qu'il vient d'être rappelé, au motif que la décision du Bâtonnier ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d'un jugement, de sorte qu'elle ne peut être exécutée que sur présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire.
En vérité, cette décision n'est pas surprenante.
La décision de la Cour suprême ne remet en cause ni la compétence exclusive du Bâtonnier de l'Ordre pour trancher les litiges nés à l'occasion de l'exécution ou de la rupture d'un contrat de travail ou d'un contrat de collaboration entre des avocats, ni le caractère exécutoire par provision de plein droit des condamnations prononcées par le Bâtonnier dans la limite de neuf mois de rétrocession d'honoraires ou de salaires.
La Cour de Cassation rappelle implicitement que le Bâtonnier d'un Ordre, lequel ajoutons-le n'est pas assisté d'un greffier, ne dispose pas de l'imperium qui lui permettrait de rendre ses décisions, non pas exécutoires, mais susceptibles d'exécution forcée, ou selon une expression très approximative "exécutables".
Le Bâtonnier d'un Ordre ne rend pas ses décisions au nom du peuple français.
Nous savons bien que les décisions rendues par le Bâtonnier, en matière de contestations d'honoraires, sont rendues exécutoires par le président du tribunal de grande instance, en vertu de l'article 179-7 du décret du 27 novembre 1991 : "lorsqu'elles ne sont pas déférées à la cour d'appel, les décisions du Bâtonnier peuvent être rendues exécutoires par le président du tribunal de grande instance auprès duquel est établi son barreau".
Dans le cas d'espèce qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 30 janvier 2014, toute la difficulté tenait à la rédaction des dispositions de l'article 153 du décret dans son deuxième alinéa :
"Sont de droit exécutoire à titre provisoire les décisions du Bâtonnier qui ordonnent le paiement de sommes au titre des rémunérations dans la limite maximale de neuf mois de rétrocession d'honoraires ou de salaire calculé sur la moyenne des trois derniers mois.
Les autres décisions peuvent être rendues exécutoires par le président du tribunal de grande instance lorsqu'elles ne sont pas déférées à la cour d'appel".
Il faut bien admettre que la rédaction de ce texte est ambiguë.
Lorsque des décisions du Bâtonnier n'ont pas été frappées d'appel et sont donc devenus définitives, elles peuvent être rendues exécutoires par le président du tribunal de grande instance. Mais, il s'agit là des "autres décisions" que celles prévues au premier alinéa et qui, elles, sont de droit exécutoires à titre provisoire, et qui donc ne supposeraient pas pour l'être l'intervention du président du tribunal de grande instance.
Telle ne sont pas l'analyse et la décision de la Cour de Cassation.
Y aurait-il une discrimination opérée par la Cour de Cassation à l'encontre des décisions rendues par un Bâtonnier ?
Nous ne le pensons pas.
Par un arrêt en date du 9 janvier 2014 (Cass. civ. 2, 9 janvier 2014, n° 12-28.220, F-P+B N° Lexbase : A2020KTY), la Cour de Cassation avait jugé que la décision rendue par un premier président de cour d'appel en matière d'honoraires était dépourvue de force exécutoire faute de condamner expressément une partie dans son dispositif, même si cette partie était nommément désignée dans les motifs.
De la condamnation par un juge, y compris par un Bâtonnier, à la mise en oeuvre de cette condamnation, il y a un pas. Cette mise en oeuvre passe par la clause exécutoire qui pare -"revêt" dit la loi- le titre valant condamnation.
N'use pas de la Marianne qui veut.
Décision
Cass. civ. 2, 30 janvier 2014, n° 12-29.246, F-P+B (N° Lexbase : A4417MDX) Cassation (CA Paris, Pôle 4, 8ème ch., 4 octobre 2012, n° 11/19701 N° Lexbase : A8240ITD) Liens base : (N° Lexbase : E9259ET4), (N° Lexbase : E0087EUR) et (N° Lexbase : E9236ETA) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441039
Réf. : CA Paris, 13 février 2014, n° 12/19369 (N° Lexbase : A1958MEA)
Lecture: 2 min
N1071BU9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 12 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441071
Réf. : Cass. crim., 25 février 2014, n° 13-85.386, F-P+B+I (N° Lexbase : A8150MEL)
Lecture: 2 min
N1034BUT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 06 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441034
Réf. : Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-27.901, F-P+B (N° Lexbase : A4435MDM)
Lecture: 8 min
N1049BUE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Karine Rodriguez, Maître de conférences HDR à l'Université de Pau, Responsable du M2 Droit de l'entreprise, Parcours droit de la consommation
Le 06 Mars 2014
L'apport de l'arrêt est donc double. En déterminant les critères d'exonération du banquier, l'arrêt précise les conditions de la responsabilité du banquier en fonction des fautes respectives des parties et de leur lien causal avec le dommage. Par ailleurs, il rappelle que la qualité à agir du gérant suppose que les préjudices invoqués lui soient personnels.
I - Fautes des parties et responsabilité de la banque
Lorsque le paiement d'un chèque lui est demandé, le banquier tiré doit vérifier la régularité formelle du titre. En particulier, il doit contrôler la concordance entre la signature apposée sur le chèque et le modèle fourni par le client. Dans l'arrêt commenté, il est relevé que le banquier a commis une négligence en ne s'apercevant pas que les chèques émis n'avaient pas été signés par le gérant, mais par la comptable, et que de ce fait, ils étaient frauduleux. Toutefois, le gérant a lui-même commis une négligence. En laissant un pouvoir démesuré à la comptable qu'il autorisait à imiter sa signature, sans aucun contrôle a posteriori, il a rendu possible l'émission des chèques frauduleux. D'ailleurs, c'est seulement à la suite d'un contrôle fiscal qu'il a compris que la comptable avait agi frauduleusement. C'est cette indéniable négligence du gérant que fait prévaloir la cour d'appel en exonérant totalement le banquier de sa responsabilité. Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation lui reproche de ne pas avoir précisé en quoi la faute commise par le titulaire du compte constituait la cause exclusive du dommage. Autrement dit, seule la faute du client qui est la cause exclusive du dommage permet d'exonérer totalement le banquier.
Cette formule de principe, déjà affirmée par la Cour de cassation en 2013 dans un contexte extrêmement proche (1), doit être approuvée (2). D'une part, exonérer le banquier dès lors que le client a commis une faute de nature à contribuer à l'émission de chèques frauduleux serait de nature à réduire les obligations de vérification de banquier à la portion congrue. D'autre part, dire que le gérant est l'unique responsable du dommage reviendrait également à faire valoir la théorie de la causalité adéquate, c'est-à-dire à rechercher, parmi les antécédents du dommage, celui dont on peut dire qu'il est la véritable cause, en l'occurrence selon la cour d'appel la négligence du gérant. Or, en matière de responsabilité pour faute, et en présence d'une pluralité de faute à l'origine du dommage dont celle de la victime, la jurisprudence procède en général à un partage de responsabilité (3). En effet, il est souvent alors délicat d'affirmer qu'un seul fait est la cause intégrale du dommage. En l'espèce, c'est précisément la conjonction de deux négligences caractérisées par les juges du fond, qui a, semble-t-il, rendu possible l'aggravation du passif social.
Pour s'exonérer, le banquier devra donc démontrer qu'il n'a pas commis de faute ayant un lien causal avec le dommage. Soit parce qu'il n'a tout simplement pas commis de faute, notamment, parce qu'une imitation parfaite de la signature du client le mettait dans l'impossibilité de déceler l'anomalie matérielle. Soit parce que la faute qu'il a commise n'a pas causé le dommage (4). Mais en pratique, lorsqu'une faute du banquier aura été prouvée lors du paiement du chèque comme en l'espèce, il sera vraisemblablement difficile pour le banquier, en qualité de professionnel et de dernier maillon de la chaîne, de prouver l'absence totale de rôle causal de sa faute. Dans ce cas, la formule choisie par la Cour de cassation invite les juges à apprécier le rôle causal des fautes respectives des parties. C'est ce que devra faire la cour d'appel de renvoi, qui aura la possibilité de graduer les responsabilités respectives des parties en fonction du rôle causal de leurs négligences (5).
On peut s'étonner de ce que la Cour de cassation ne fasse aucune référence à la distinction entre les chèques faux et falsifiés, point de départ habituel pour apprécier la responsabilité d'une banque qui paye un chèque frauduleux. S'il s'agit d'un chèque faux dès l'origine, le tiré qui paye n'est pas libéré à l'égard du tireur, y compris lorsqu'il s'agit d'une bonne imitation. Le titre ne constitue pas véritablement un chèque, de sorte que le banquier ne paye pas un créancier et ne saurait être libéré (C. civ., art. 1937). Le banquier est donc tenu de restituer les fonds à son client sur le fondement du contrat de dépôt (6). Il s'agit d'une responsabilité sans faute. Si le titre est falsifié, c'est-à-dire qu'il a été correctement émis mais qu'il a fait l'objet d'une falsification par la suite, seul le banquier qui a payé, malgré une irrégularité apparente, est responsable parce qu'il a commis une faute. Il s'agit donc d'une responsabilité pour faute.
En l'espèce, non seulement la Cour ne distingue pas entre un chèque faux et un chèque falsifié, mais surtout, elle le qualifie de chèque falsifié alors qu'à l'évidence, le chèque est faux dès l'origine. Il est vrai que les parties ne s'appesantissaient pas sur le sujet dans les moyens invoqués à l'appui de leur pourvoi, et qu'en l'espèce, l'enjeu de la qualification était faible. Car, si la distinction est importante pour le client qui poursuit le banquier en responsabilité (afin de déterminer s'il convient ou pas de prouver sa faute), elle ne présente pas d'intérêt lorsque le client a lui-même commis une faute, puisqu'il est nécessaire, alors, d'apprécier les fautes respectives de parties. Ce qui constitue la règle en présence d'un chèque falsifié (7), le devient également en matière de chèque faux lorsque le client ou son préposé a lui-même commis une faute rendant possible l'établissement du faux (par exemple, la négligence dans la conservation de son chéquier ou la négligence dans la surveillance de ses comptes (8)). Dans ce cas, la jurisprudence atténue la responsabilité de plein droit du banquier : il n'est tenu envers son client que s'il a lui-même commis une négligence en ne décelant pas une signature apparemment différente de celle du titulaire du compte, et seulement pour la part de responsabilité en découlant. Autrement dit, c'est un retour au droit commun de la responsabilité pour faute qui est alors opéré (9), et c'est ce que confirme implicitement l'arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2014.
II - Préjudice réparable et qualité pour agir
La Cour de cassation rappelle un principe et une exception. L'ancien article L. 621-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L6891AI3 ; C. com., art. L. 622-20, actuel N° Lexbase : L3879HBB), prévoit que "le représentant des créanciers désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt des créanciers". Le représentant des créanciers a qualité pour agir en reconstitution du patrimoine de la société au nom et dans l'intérêt des créanciers de la société qui subit une procédure collective, ce que la Cour de cassation ne manque pas de rappeler en l'appliquant au liquidateur en période de liquidation. C'est lui qui agit en responsabilité contre toute personne dont les agissements auraient causé un préjudice à la collectivité des créanciers, notamment, en raison de l'appauvrissant le patrimoine social. La Cour de cassation précise que les créanciers peuvent toutefois agir à titre individuel lorsque le préjudice causé par un tiers l'a été au créancier lui-même, directement et à titre personnel. Dans ces conditions, celui qui se prétend victime a qualité et intérêt pour agir (10).
La difficulté consiste alors à faire le départ entre les préjudices collectifs et les préjudices personnels des créanciers. A ce titre, la Cour de cassation estime que la perte de valeur des titres ne constitue pas un dommage personnel distinct de celui subi collectivement par tous les créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition du patrimoine social. Il pouvait difficilement en être autrement. En premier lieu parce que la Cour de cassation l'a déjà affirmé dans un contexte similaire (11). En second lieu, parce qu'elle se positionne également ainsi en matière de responsabilité des dirigeants à l'égard des associés, à la suite d'une action individuelle. La réparation du préjudice de l'associé supposant que son préjudice ne soit pas "le corollaire" de celui subi par la société, elle estime que la dépréciation des titres due à une mauvaise gestion de la société par les dirigeants ne permet pas de caractériser un préjudice individuel distinct du préjudice social, le premier n'étant que le corollaire du second (12). Le raisonnement se fondant sur l'écran de la personnalité morale dans les deux cas, la solution devait être la même.
Si le préjudice lié à la baisse de valeur des titres ne permet pas à l'associé d'agir en responsabilité contre le tiers dès lors qu'il ne lui est pas personnel, il reste toutefois à examiner les deux autres préjudices invoqués par le demandeur et qui n'avaient pas retenu l'attention de la cour d'appel : la perte de son emploi salarié au sein de la société et son préjudice moral.
Concernant la perte d'emploi, elle semble résulter directement de l'appauvrissement du patrimoine social qui empêche la société de payer ses dettes, y compris salariales. Certes, la Cour de cassation a pu faire preuve de clémence par le passé en affirmant que la perte d'emploi était un préjudice particulier et distinct de celui éprouvé par l'ensemble des créanciers (13), mais le contexte de l'espèce était différent, puisque le tiers poursuivi était une société qui avait cédé la branche d'activité employeuse à la société qui subissait des difficultés financières.
Concernant préjudice moral, s'il résulte du fait que le gérant-associé majoritaire est affecté par la faillite de la société, il pourrait également être considéré comme une conséquence du préjudice collectif. Toutefois, si un préjudice moral était réellement caractérisé, il serait beaucoup plus délicat de retenir qu'il ne se distingue pas de celui subi par la collectivité des associés pour exclure sa prise en compte. Un préjudice moral est, en effet, par nature personnel. Mais ce n'est pas tout. Lorsque la Cour de cassation ne retient pas comme personnel le préjudice qui n'est que le corollaire de celui subi par la société ou qui ne se distingue pas de celui subi par la collectivité des créanciers, sa volonté n'est-elle pas, dans le fond, d'exclure qu'un même préjudice puisse potentiellement être réparé deux fois ? Observons les préjudices d'appauvrissement du patrimoine social et de la baisse de valeur des titres : les prendre en compte tous les deux reviendrait à sanctionner deux fois un seul et même préjudice. Cela expliquerait que la Cour de cassation impose de choisir et de prendre en compte le préjudice premier, le préjudice social et collectif. Si telle est l'explication de la position de la Cour de cassation, sa réponse en présence d'un préjudice moral avéré pourrait être différente. Car, le préjudice moral, même subi que par ricochet, se distingue réellement du préjudice financier subi par la société ou par la collectivité des créanciers. De ce fait, sa prise en compte ne reviendrait pas à sanctionner par deux fois le même préjudice.
Sur ces points particuliers, il serait donc particulièrement intéressant de voir la suite donnée à cette affaire.
(1) Cass. com., 22 mai 2013, n°12-15.672, F-D (N° Lexbase : A9217KDQ). En l'espèce le banquier avait encaissé des chèques dotés d'une signature fausse, mais le client avait négligé de contrôler ses comptes.
(2) Le raisonnement rappelle celui de la faute inexcusable de la victime non conductrice qui permet d'exonérer l'auteur d'un accident de la circulation de sa responsabilité lorsqu'elle cause exclusive du dommage (v. loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, art. 3, al.1er N° Lexbase : L7887AG9).
(3) A. Bénabent, Droit des obligations, Montchrestien, 13ème éd., n° 256 et s. ; Ph. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, Defrénois, n° 95.
(4) V. dans un contexte un peu différent, Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-22.240, F-D (N° Lexbase : A8941KIY), Banque et Droit, novembre-décembre 2013, p.16. En l'espèce, le banquier avait certes été négligent lors de la délivrance des chéquiers, mais c'est la faute du commerçant qui n'avait pas vérifié la solvabilité du payeur par chèque qui est considérée comme la cause exclusive du dommage.
(5) En ce sens, Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-12.805, F-D (N° Lexbase : A5892KAH), RDBF, 2013, n° 181, Crédot et Samin.
(6) Cass. com., 2 juillet 2002, n° 00-10.121, F-D (N° Lexbase : A0518AZ9), RDBF, 2002, 315, obs. Crédot et Gérard.
(7) En effet, une fois la faute du banquier tiré démontrée, ce dernier aura, comme moyen de défense, à établir que le tireur lui-même ou son préposé à commis une faute.
(8) Pour le retard dans la consultation des comptes, v. Cass. com., 15 février 2011, n° 10-15.268, F-D (N° Lexbase : A1654GXK), JCP éd. E, 2011, 1394, § 42. Ce n'est pas le cas, en revanche, de celui qui a laissé un proche accéder à son carnet de chèque (Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-70.739, F-D N° Lexbase : A5660GDY JCP éd. E, 2011, 1394, § 40), ni du défaut de contestation des opérations lorsque les relevés d'une personne âgée ont été falsifiés par une employée (Cass. com. 26 mars 2013, n° 12-13.016, F-D N° Lexbase : A2798KBA, Banque et Droit, mai 2013, p. 24).
(9) En ce sens, v. R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 2013, n° 298.
(10) En ce sens, v. Cass. com., 16 avril 1991, n° 89-14237, publié au bulletin (N° Lexbase : A2650ABR), Bull Joly Sociétés, 1991, 705, note J.-J. Daigre ; Cass. com., 2 juin 2004, n° 01-17.945, F-D (N° Lexbase : A5072DCT), Act. proc. coll., 2004-14, n° 182.
(11) Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-14.500, publié (N° Lexbase : A8738AH4), Bull. civ. IV, n° 230. Pour la Cour de cassation, les préjudices tenant à des pertes de rémunérations, de valeur de leurs parts sociales et actions, ainsi que des fonds de commerce et autres biens, mis à la disposition des sociétés sont subis indistinctement et collectivement par tous les créanciers ayant déclaré leur créance.
(12) En ce sens, v. Cass. com., 1er avril 1997, n° 94-18.912 (N° Lexbase : A8134AXK), Bull Joly Sociétés, 1998, p. 650, J.-F. Barbièri ; Cass. civ. 3, 22 septembre 2009, n° 08-18.483, F-D (N° Lexbase : A3472EL8), Dr. Soc., 2010, n° 1, M.-L. Coquelet. Dans ce cas, seule la société peut bénéficier d'une réparation dans le cadre d'une action sociale menée ut singuli ou ut universi.
(13) Cass. soc., 14 novembre 1997, n° 05-21.239, FS-P+B (N° Lexbase : A5847DZL), Rev. proc. coll., 2008, p. 74, obs. A. Martin-Cerf, G. Auzero, Recevabilité de l'action en responsabilité engagée par des salariés, créanciers d'un débiteur en procédure collective, contre un tiers, Lexbase Hebdo n° 286 du 29 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2145BDS).
Décision
Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-27.901, F-P+B (N° Lexbase : A4435MDM). Cassation (CA Versailles, 20 septembre 2012, n° 11/05426 N° Lexbase : A1806IT3). Lien base : (N° Lexbase : E9051AKG). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441049
Réf. : Décret n° 2014-251 du 27 février 2014, relatif aux conditions d'exercice du droit au compte au nom et pour le compte du demandeur par les associations et fondations (N° Lexbase : L5836IZ8)
Lecture: 2 min
N1099BUA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441099
Lecture: 13 min
N1064BUX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
Le 06 Mars 2014
La responsabilité du garagiste, déjà évoquée dans le cadre de cette chronique, peut, selon les hypothèses, être appréciée soit au regard de sa qualité d'entrepreneur, en tant qu'il a conclu avec son client un contrat d'entreprise, soit au regard de sa qualité de dépositaire du véhicule qui lui est confié pour réaliser des travaux puisque, à tort ou à raison, la Cour de cassation décide que "le contrat de dépôt d'un véhicule auprès d'un garagiste existe, en ce qu'il est l'accessoire du contrat d'entreprise, indépendamment de tout accord de gardiennage" (1). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 5 février 2014, à paraître au Bulletin, permet d'y revenir une nouvelle fois, d'autant que l'arrêt apporte une précision intéressante et potentiellement riche de conséquences sur la preuve du lien de causalité existant entre l'intervention du garagiste et le préjudice subi par le client.
En l'espèce, le propriétaire d'un véhicule immobilisé par une panne électrique attribuée au déchargement de la batterie l'avait fait remorquer jusqu'à un garage, alors exploité par la société C.. Après que la batterie et le démarreur eurent été remplacés, le véhicule, hors d'état de marche, avait été transporté vers un autre établissement, où il avait été examiné par l'expert en automobile mandaté par l'assureur, en présence d'un second expert représentant la société A., cessionnaire du garage. Se prévalant des conclusions du rapport d'expertise amiable, le propriétaire malheureux a fait assigner les sociétés respectivement cédante et cessionnaire de ce fonds de commerce afin de les entendre condamner solidairement au paiement du coût de remplacement de certains organes électriques de son véhicule, sollicitant, en outre, de la société cessionnaire seule, le remboursement des frais de gardiennage dont il s'était acquitté ainsi que la prise en charge des frais de nettoyage de l'habitacle, empli de moisissures.
Le premier moyen du pourvoi en cassation formé par le propriétaire faisait grief aux juges du fond de l'avoir débouté de sa demande en paiement du coût du remplacement du démarreur et du compresseur du climatiseur au motif qu'il n'aurait pas démontré qui, de la société C. ou de la société A., avait bénéficié du paiement des travaux réalisés sur ces organes électriques et que, chacune d'entre elles déniant les avoir exécutés, la preuve n'était pas apportée de l'identité de la société sous l'autorité de laquelle les réparations litigieuses avaient été effectuées. Leur décision est cassée, sous le visa des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) du Code civil, la Haute juridiction jugeant "qu'en se prononçant ainsi, quand il ressortait de ses constatations que le véhicule, confié au garage situé [...] à la suite d'une panne électrique, n'avait pas été restitué en état de marche malgré les interventions conduites sur plusieurs organes électriques, de sorte qu'il appartenait à chacune des deux sociétés de prouver que la persistance de cette panne ne découlait pas de prestations insuffisantes ou défectueuses en regard de l'obligation de résultat pesant sur le réparateur professionnel, preuve que la seule indétermination de l'identité du dirigeant du garage au moment de ces interventions ne pouvait constituer, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés".
Le second moyen reprochait aux premiers juges d'avoir, pour rejeter la demande en remboursement des frais de gardiennage du véhicule facturés par le garage cessionnaire et en paiement des frais de nettoyage des moisissures apparues dans l'habitacle, relevé que la présence de ces moisissures avait été constatée alors que le véhicule était remisé dans un autre établissement depuis onze jours, de telle sorte que, en l'absence de précision sur les conditions de ce second dépôt, la preuve n'était pas apportée que ces dégradations soient imputables au premier dépositaire. Là encore, cassation, sous le visa cette fois des articles 1927 (N° Lexbase : L2151ABB), 1928 (N° Lexbase : L2152ABC) et 1933 (N° Lexbase : L2157ABI) du Code civil : après avoir énoncé, dans un attendu de principe en chapeau, "qu'il résulte de la combinaison de ces textes qu'il appartient au dépositaire, auquel est imputée la détérioration d'une chose confiée aux fins de réparations ou d'entretien, de prouver qu'il y est étranger, en établissant soit que cette détérioration préexistait à la remise de la chose ou n'existait pas lors de sa restitution, soit, à défaut, qu'il a donné à sa garde les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à celle des choses lui appartenant", la Cour de cassation décide, au cas présent, qu'en statuant comme elle l'a fait, "alors qu'il incombait à la société A. d'apporter la preuve que les moisissures ou l'excès d'humidité qui en était la cause n'existaient pas le 12 janvier 2012, date de restitution du véhicule, ou, à défaut, celle des soins qu'elle avait apportés pour éviter ce type de désordres pendant les trois mois où le véhicule lui avait été confié, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés". Les deux aspects de la solution, objets des deux moyens, appellent, chacun d'eux, quelques observations.
Sur le premier point, consistant à considérer que, lorsque plusieurs garagistes sont intervenus sur le véhicule sans que le client puisse déterminer sous l'autorité duquel les réparations litigieuses ont été effectuées, c'est à celui qui dénie les avoir réalisées de prouver que la persistance de la panne ne découle pas de ses prestations insuffisantes ou défectueuses, l'arrêt entend faire peser sur chaque garagiste une présomption de causalité entre son fait et le dommage. Tout cela pourrait bien annoncer une volonté de la Cour de cassation d'étendre le jeu de la théorie dite de la causalité alternative (2), jusque-là cantonnée semble-t-il à la responsabilité du fait des produits de santé (3), consistant à admettre l'existence d'une présomption d'imputabilité en cas de dommage causé par un membre indéterminé d'un groupe déterminé. Il reste qu'une telle solution, appliquée au garagiste, paraît difficilement conciliable avec les décisions de la Cour de cassation qui avaient fini par renoncer à attacher une présomption de causalité à l'obligation contractuelle de résultat du garagiste (4). Depuis quelques années en effet, il paraissait acquis que la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste réparateur ne s'étend qu'aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat (5), si bien qu'il incombe logiquement au client de démontrer que le dommage subi par son véhicule trouve son origine dans la prestation fournie par le garagiste (6). Et l'on avait déjà expliqué, dans le cadre de cette chronique, en quoi ce revirement était justifié : si les circonstances du dommage, rapprochées de l'objet de l'obligation, permettent parfois de présumer tant l'inexécution que le lien de causalité (coïncidence entre le dommage et l'absence de résultat), il ne peut s'agir, comme on l'a justement fait observer, que d'une présomption de l'homme, "que les circonstances n'autorisent pas toujours. En particulier, lorsque le dommage n'apparaît qu'un certain temps après l'exécution, on ne peut plus fonder raisonnablement une probabilité de relation causale, et la présomption est alors écartée" (7). En clair, la seule considération du dommage ne permet pas toujours d'établir qu'il trouve son origine dans l'inexécution contractuelle imputable au débiteur : l'obligation de résultat n'emporte aucune présomption de causalité, et en tout cas pas de présomption de droit. On a dès lors un peu de mal à comprendre comment, d'un côté, on peut juger que l'obligation de résultat n'emporte aucune présomption de causalité (8) et, de l'autre, considérer qu'en cas d'intervention de plusieurs garagistes sur un même véhicule, une présomption d'imputabilité du dommage pèse sur chacun d'eux.
Sur le second point, tenant à la qualification de dépôt, on savait déjà que lorsqu'un véhicule est confié à un garagiste pour une réparation et que, une fois le travail effectué, le client tarde à venir reprendre sa voiture, et que l'on se demande s'il doit payer le service qui a été rendu par le garagiste après la réparation, la jurisprudence décide que "le contrat de dépôt d'un véhicule auprès d'un garagiste existe, en ce qu'il est l'accessoire du contrat d'entreprise, indépendamment de tout accord de gardiennage" (9). Il avait déjà été jugé que, au titre du contrat de dépôt accessoire au contrat d'entreprise, le garagiste est tenu des obligations du dépositaire et doit donc, en vertu des dispositions de l'article 1915 du Code civil (N° Lexbase : L2140ABU), restituer la chose déposée (10). Ces solutions s'inscrivent au demeurant dans une tendance de la jurisprudence à retenir l'existence d'un contrat accessoire de dépôt, et donc à dédoubler la qualification (entreprise + dépôt), ce qui, en réalité, est bien discutable. Contrairement à ce que décide la Haute juridiction, on n'est pas ici véritablement en présence d'un contrat de dépôt "accessoire à un contrat d'entreprise" tant, en réalité, on peut douter qu'il existe deux contrats distincts. La situation pourrait être analysée différemment : un seul contrat, avec la qualification unique d'entreprise, comportant certes, outre le travail de réparation à effectuer, obligation principale du garagiste, une obligation accessoire de conservation (11). La qualification de louage d'ouvrage suffit dès lors. Toujours est-il que, retenant l'existence d'un contrat de dépôt, et voyant dans le garagiste un dépositaire, la Cour en déduit qu'il doit répondre de la perte ou de la dégradation du véhicule, sauf à rapporter la preuve que cette perte ou dégradation est survenue sans sa faute (12) : aussi bien, au cas présent, était-ce à lui d'établir soit que les dégradations n'existaient pas avant la restitution du véhicule, soit qu'elles sont survenues sans sa faute. Remarquons que la solution n'aurait pas été différente si l'on avait retenu la qualification de contrat d'entreprise, le locateur d'ouvrage ne pouvant s'exonérer de sa responsabilité qu'en prouvant son absence de faute.
On sait bien qu'il est habituel que les contrats préparatoires qui, comme leur nom l'indique, préparent le contrat définitif, soient conclus sous condition suspensive, le plus souvent sous condition de l'obtention par le débiteur d'un prêt lui permettant le financement de l'opération envisagée ou d'une autorisation quelconque lui permettant d'exercer l'activité en vue de laquelle l'opération est réalisée. On rappellera, à cet égard, que l'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN) dispose que "l'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas", et que l'article 1176 (N° Lexbase : L1278ABX) précise que, "lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé". Encore faut-il que la non-réalisation de la condition ne soit pas due à la faute de l'emprunteur ou, plus largement, du débiteur lui-même qui n'aurait, par exemple, pas sollicité le prêt nécessaire à la vente. Ainsi l'article 1178 du Code civil (N° Lexbase : L1280ABZ) dispose-t-il que "la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement". C'est d'ailleurs là sans doute la difficulté la plus fréquemment rencontrée en jurisprudence, où l'on se demande si la défaillance de la condition doit être considérée comme le fait du débiteur : un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 20 novembre 2013, signalé dans le cadre de cette chronique, nous avait d'ailleurs permis de le rappeler (13). Un autre arrêt, plus récent, rendu par la même troisième chambre civile le 12 février 2014, mérite à son tour d'être évoqué, d'autant qu'il permet d'apporter une précision complémentaire à ce qui avait déjà pu être dit, et auquel on renverra pour l'essentiel (14) : il répond, en effet, à la question de savoir si les parties peuvent, dans la promesse de vente, insérer une clause qui fixe le délai dans lequel l'acquéreur est tenu de présenter une demande de prêt auprès d'un organisme financier.
En l'espèce, des époux avaient, par acte sous seing privé du 5 juin 2007, promis de vendre un appartement à un acquéreur sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt pour lequel celui-ci s'engageait à déposer une demande dans un délai de dix jours. Lui reprochant de ne pas justifier du dépôt d'une demande de prêt dans ce délai, les époux vendeurs l'avaient assigné en paiement de la clause pénale prévue au contrat. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, par un arrêt en date du 20 mars 2012, les ayant déboutés de leur demande, ils se sont pourvus en cassation. En dehors du fait qu'ils soutenaient qu'en énonçant, pour décider que la non-réalisation de la condition suspensive n'était pas imputable à l'acquéreur, qu'une demande de prêt avait été présentée auprès de la banque, qui lui avait signifié un refus de prêt le 25 septembre 2007, sans indiquer la date de cette demande, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), ensemble l'article 1178 du Code civil (N° Lexbase : L1280ABZ) et l'article L. 312-16 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6749ABL), les vendeurs faisaient surtout valoir que les parties fixent librement le délai dans lequel l'acquéreur est tenu de présenter une demande de prêt auprès d'un organisme financier et que le délai de rétractation ne diffère pas le point de départ du délai d'exécution de l'obligation de l'acquéreur à son expiration. Aussi bien considéraient-ils qu'en décidant que le point de départ du délai contractuel imparti à l'acquéreur pour présenter une demande de prêt, soit dix jours à compter de la signature de l'acte, avait nécessairement été reporté à la fin du délai de rétractation, pour en déduire que la demande formalisée le 23 juillet 2007 avait été formée dans le délai imparti, la cour d'appel aurait violé l'article 1134 du Code civil, ensemble les articles L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1988HPC) et L. 312-16 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6749ABL). La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs, "d'une part, que les dispositions d'ordre public de l'article L. 312-16 du Code de la consommation interdisent d'imposer à l'acquéreur de déposer une demande de crédit dans un certain délai, cette obligation contractuelle étant de nature à accroître les exigences de ce texte" et, "d'autre part, qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé qu'en s'adressant à la société F., courtier en prêts immobiliers, Mme Y [l'acquéreur] avait satisfait à l'obligation de déposer une demande de prêt auprès d'un organisme financier contenue dans la promesse de vente et constaté qu['un établissement de crédit] lui avait signifié un refus le 25 septembre 2007, la cour d'appel en a exactement déduit que la non-réalisation de cette condition suspensive ne lui était pas imputable et que la demande des époux X [les vendeurs] de versement de la clause pénale ne pouvait être accueillie".
On passera rapidement ici, parce que déjà évoquée ailleurs, sur la question de savoir si la défaillance de la condition doit ou non être considérée comme le fait du débiteur : on sait bien, en effet, que c'est à l'emprunteur qu'il appartient de démontrer qu'il a sollicité un prêt conforme aux caractéristiques définies dans la promesse de vente (15), et que, pour que sa responsabilité soit engagée, il faut qu'il soit établi que le débiteur, par son abstention fautive ou sa négligence (16), a empêché l'accomplissement de la condition et, ainsi, causé un préjudice à son cocontractant qui, lui, a immobilisé le bien (17). Rien de tel semble-t-il dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 12 février 2014, puisqu'il paraît bien ressortir des circonstances de fait que l'acquéreur avait satisfait à l'obligation de déposer une demande de prêt auprès d'un organisme financier contenue dans la promesse de vente, et que le refus signifié par cet organisme, qui n'a pas accordé le prêt, n'était pas imputable à l'acquéreur.
En revanche, ce qui était discuté au cas présent tenait à la licéité de la condition elle-même. On sait bien en effet que des considérations très diverses, protectrices des parties, de l'ordre public ou même du fisc, sont à l'origine de prohibitions variées, visant selon le cas telle catégorie d'événement ou telle forme, suspensive ou résolutoire, de la modalité. En dehors de la prohibition générale du droit civil des conditions suspensives, le Code de la consommation comporte ainsi, à l'article L. 312-16, un dispositif d'ordre public protecteur de l'emprunteur immobilier : à propos de la condition suspensive d'obtention d'un prêt, le texte dispose que "la durée de validité de cette condition suspensive ne pourra être inférieure à un mois à compter de la date de la signature de l'acte ou, s'il s'agit d'un acte sous seing privé soumis à peine de nullité à la formalité de l'enregistrement, à compter de la date de l'enregistrement". Le délai fixé par le législateur s'entend d'un délai minimum que les parties peuvent évidemment augmenter de telle sorte qu'il convient d'indiquer de façon précise dans l'acte sa durée exacte. Toujours est-il qu'à défaut d'obtention des prêts dans le délai visé à l'acte, la condition est tenue pour défaillie et l'acte de vente réputé caduc. Le dispositif protecteur prohibe les clauses qui stipuleraient, à la charge de l'acquéreur, des obligations contractuelles alourdissant les exigences légales (18). Ainsi en irait-il de la clause qui imposerait la signification au vendeur de la non-obtention du prêt dans le délai légal de validité de la condition suspensive (19), a fortiori dans un délai plus court (20), tout comme, à suivre l'arrêt du 12 février 2014, de la clause qui imposerait à l'acquéreur de déposer une demande de prêt dans un certain délai. En réalité, il faut comprendre dans un délai plus court que le délai de validité ou d'efficacité de la condition suspensive : la Cour de cassation avait au contraire admis la possibilité d'une clause de déchéance du bénéfice de la condition pour non-présentation de la demande dans le délai d'un mois puisqu'elle n'entame pas la durée minimum légale de la condition (21).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441064
Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 21 février 2014, n° 373159, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1035MGG)
Lecture: 1 min
N1063BUW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 06 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441063
Réf. : Cass. crim., 26 février 2014, deux arrêts, FS-P+B+R+I, n° 13-87.888 (N° Lexbase : A8803MER) et n° 13-86.631 (N° Lexbase : A8802MEQ)
Lecture: 2 min
N1043BU8
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 06 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441043
Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 21 février 2014, n° 374409, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1037MGI)
Lecture: 2 min
N1136BUM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441136
Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 23 décembre 2013, n° 346018, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9156KSW)
Lecture: 7 min
N1056BUN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Bourgogne
Le 06 Mars 2014
I - Conséquences fiscales de la reprise comptable d'une provision non déduite fiscalement
2. S'agissant des conséquences fiscales de la reprise comptable d'une provision non déduite fiscalement, il est nécessaire de mettre la solution retenue par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 23 décembre 2013 en perspective avec les solutions antérieurement retenues par cette juridiction.
3. Jusqu'à l'arrêt du 23 décembre 2013, il était possible de considérer que la décision de constituer ou de ne pas constituer fiscalement une provision s'analysait en une décision de gestion opposable, par définition, à l'administration fiscale. Cette solution semblait résulter de la jurisprudence de la Haute juridiction. En effet, celle-ci jugeait que la constitution d'une provision était facultative (CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236706, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3351DET) et, pour cette raison, que les entreprises étaient libres :
- de ne pas constituer de provision (CE, 18 décembre 1963, n° 56852 ; CE, 12 février 1965, n° 60409) ;
- ou, dans un premier temps, de se contenter de constituer une provision d'un montant inférieur au montant admissible (CE 7° et 8° s-s-r., 5 mars 1975, n° 89781, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8013AYG ; CE 8° et 7° s-s-r., 27 mai 1983, n°s 27412, 27413 et 27414, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9114AL7 ; CE, 10 décembre 2004, précité) puis, dans un second temps, d'augmenter cette provision à la clôture des exercices suivants (CE, 27 mai 1983, n°s 27412, 27413 et 27414, précité).
4. Dans son arrêt du 23 décembre 2013, le Conseil d'Etat a choisi d'appliquer la règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales. Deux conséquences découlent de cette règle :
- une provision déduite du résultat comptable d'un exercice doit également être déduite du résultat fiscal du même exercice ;
- la reprise comptable d'une provision doit s'accompagner de sa reprise fiscale, et ce, même si cette provision n'a pas été antérieurement déduite fiscalement.
La règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales serait fondée sur l'article 39-1-5° du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), qui dispose notamment que les provisions déductibles fiscalement sont "les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice".
5. Pour certains commentateurs, pourtant avisés, la solution énoncée dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 23 décembre 2013 ne contredirait pas sa jurisprudence antérieure (voir, en ce sens : G. Bachelier, Sort des provisions comptables non déduites fiscalement, Feuillet rapide Francis Lefebvre, 2/14, p. 3 et s. ; O. Fouquet, Provision comptable et provision fiscale : une saveur douce amère, à propos de CE, 23 déc. 2013, n° 346018, Min. c/ SAS Foncière du Rond Point, Dr. fisc., 2014, n° 1-2, act. 4). Selon ces commentateurs, la règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales signifierait que leur traitement fiscal devrait être identique à leur traitement comptable. Suivant ce raisonnement, il n'y aurait que dans l'hypothèse où une entreprise ferait le choix de ne pas constituer comptablement une provision que ce choix se refléterait fiscalement. Il en irait de même en présence d'une entreprise qui se contenterait de doter partiellement une provision comptable.
6. Cette interprétation prête le flanc à la critique.
En premier lieu, les entreprises sont tenues de procéder aux provisions comptables nécessaires et ce, même en cas d'absence ou d'insuffisance du bénéfice (C. com., art. L. 123-14, al. 1er N° Lexbase : L5572AI9). Comptablement, la dotation d'une provision est donc obligatoire dès lors que les conditions de constitution de cette provision sont remplies. Le non-respect de cette obligation est susceptible de constituer un délit, en l'occurrence le délit de publication de comptes annuels ne donnant pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise (C. com., art. L. 241-3-3° N° Lexbase : L9516IY4 pour les SARL ; art. L. 242-6-2° N° Lexbase : L9515IY3 pour les SA ; et art. L. 244-1 N° Lexbase : L5772ISL pour les SAS). Puisque la constitution d'une provision est obligatoire comptablement, la liberté de la doter à laquelle le Conseil d'Etat se référait antérieurement à son arrêt du 23 décembre 2013 ne pouvait être qu'une liberté fiscale. Cet arrêt constitue donc un revirement de jurisprudence.
En second lieu, la solution retenue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt commenté est contraire à la logique des provisions. Tant comptablement que fiscalement, celles-ci procurent simplement un avantage de trésorerie aux entreprises. Les provisions permettent d'anticiper une perte ou une charge future (exemple : en N-1 une entreprise dote comptablement et fiscalement une provision de 1 000, la charge provisionnée devient définitive en N à hauteur de 1 000. Au titre de l'exercice N la charge de 1 000 est compensée par la reprise de la provision de même montant constituée en N-1. Cette charge a été anticipée en N-1. Si la provision n'avait pas été constituée, le résultat de l'exercice N aurait été diminué de 1 000). L'arrêt du 23 décembre 2013 viole la règle de neutralité des provisions. En effet, cet arrêt permet à l'administration fiscale de comprendre dans le résultat fiscal une provision qui pourtant n'a pas d'existence fiscale (exemple : en N-1 une entreprise dote comptablement une provision de 1 000, la charge provisionnée devient définitive en N à hauteur de 1 000. Au titre de l'exercice N, la charge de 1 000 est compensée comptablement par la reprise de la provision de même montant constituée en N-1. Cette charge a été anticipée comptablement en N-1 mais pas fiscalement. La reprise fiscale de la provision en N en dépit de son absence de déduction fiscale antérieure revient à neutraliser fiscalement la charge et à majorer artificiellement le résultat fiscal de cet exercice de 1 000). La reprise d'une provision se traduit par la constatation d'un produit. Mais celui-ci n'est qu'un produit "virtuel". Juger le contraire revient à ne pas tenir compte de cette particularité et, en définitive, à violer la règle de neutralité des provisions. Cette neutralité se manifeste au travers de l'indissociabilité de la dotation fiscale et de la reprise fiscale des provisions. Contrairement à la solution retenue dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 23 décembre 2013, une provision ne peut donc pas être reprise fiscalement lorsqu'elle n'a pas été préalablement dotée fiscalement.
II - Jeu de la théorie de la correction symétrique des bilans et du principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture de la période non prescrite en cas de reprise fiscale d'une provision non déduite fiscalement
7. Le bilan de clôture d'un exercice correspond au bilan d'ouverture de l'exercice suivant. Il existe donc une continuité entre les bilans successifs. Cette continuité fait que la correction d'un bilan se répercute successivement sur les bilans antérieurs. A l'origine, la répercussion ne pouvait pas aller au-delà du premier exercice non prescrit (CE Plén., 31 octobre 1973, n° 88207, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7634AYE). Cette règle -dite du "butoir" fiscal- a été abandonnée par le Conseil d'Etat en 2004 (CE Ass., 7 juillet 2004, n° 230169, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0698DD9), avant sa consécration législative par la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5204GUB, devenu CGI, art. 38-4 bis N° Lexbase : L2882IXZ).
8. L'arrêt du 23 décembre 2013 rappelle que la théorie de la correction symétrique des bilans s'applique à condition que l'omission ne soit pas délibérée (Dans le même sens : CE Plén., 27 juillet 1979, n° 11717, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2343AKY).
9. En l'espèce, la provision litigieuse était une provision comptable qui avait été constituée par l'entreprise en 1996 pour dépréciation d'un immeuble inscrit à l'actif de son bilan. A l'époque, la doctrine administrative considérait que de telles provisions n'étaient pas déductibles. L'entreprise aurait donc pu soutenir qu'elle n'avait pas déduit la provision litigieuse de son résultat fiscal afin de se conformer à la position des services fiscaux et, pour cette raison, que l'omission n'était pas délibérée. Mais cette question n'a pas été débattue dans la mesure où elle était sans incidence sur l'issue du litige. En effet, celui-ci devait être tranché conformément à la solution adoptée en 2004 par le Conseil d'Etat, c'est-à-dire en ne faisant pas application de la règle du "butoir" fiscal. La conséquence est que l'exercice de correction n'était pas le dernier exercice non prescrit mais l'exercice 1996 au cours duquel la provision pour dépréciation de l'immeuble a été comptabilisée. Cet exercice était prescrit. La question du caractère délibéré de l'omission était donc sans incidence sur l'issue du litige. La solution n'aurait probablement pas été la même si l'article 38-4 bis du CGI avait pu s'appliquer. L'inscription de la provision fiscale au bilan de clôture du premier exercice non prescrit aurait alors permis de compenser la reprise ultérieure de cette provision.
10. Il est possible de considérer que le Conseil d'Etat n'est pas allé jusqu'au bout de son raisonnement en ne tirant pas toutes les conséquences de la règle du parallélisme des provisions comptables et des provisions fiscales. L'exercice de constitution de la provision étant prescrit, il n'était pas possible de procéder à la correction symétrique. Dans ce cas de figure, le déséquilibre aurait dû conduire le Conseil d'Etat à conclure à l'impossibilité de reprendre fiscalement une provision n'ayant pas été antérieurement déduite fiscalement. L'affaire ayant été renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris, il ne reste plus qu'à attendre la suite du feuilleton des provisions comptables non déduites fiscalement.
Décision
CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 23 décembre 2013, n° 346018, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9156KSW) Cassation (CAA Paris, 9ème ch., 18 novembre 2010, n° 09PA04821, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3912GN9) Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441056
Réf. : Cass. crim., 26 février 2014, n° 12-84.993, F-P+B+I (N° Lexbase : A0986MGM)
Lecture: 1 min
N1109BUM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 11 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441109
Lecture: 17 min
N1041BU4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon Sorbonne
Le 06 Mars 2014
Symptomatique du phénomène de QPC "en chaîne", on notera une nouvelle QPC visant la taxe locale sur la publicité extérieure (Cons. const., décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013 N° Lexbase : A4369KN7), après qu'ait été jugé conforme à la Constitution le régime transitoire (1) de cette taxe refondue en 2009. De même, la décision n° 2013-358 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4037KQL) porte sur les conditions de renouvellement d'une carte de séjour mention "vie privée et familiale" au conjoint étranger d'un ressortissant français, après que le Conseil ait tranché, il y a quelques mois à peine, une QPC portant sur les conditions d'attribution d'une telle carte (2). On peut encore souligner le rôle joué par le contentieux constitutionnel en matière de régulation sectorielle : après s'être prononcé, notamment, sur le pouvoir de sanction de l'Autorité de la concurrence (3), puis sur celui de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (4), le Conseil constitutionnel a examiné les modalités de mise en demeure par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (Cons. const., décision n° 2013-359 QPC du 13 décembre 2013 N° Lexbase : A2569KRL).
Certaines affaires ont soulevé des questions inédites dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par exemple, est-il possible pour le législateur, au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales, d'affecter une ressource fiscale de l'Etat à ces collectivités, tout en prévoyant simultanément un prélèvement au profit de l'Etat exactement égal au produit de la ressource fiscale ainsi transférée ? (Cons. const., décision n° 2013-355 QPC du 22 novembre 2013 N° Lexbase : A9481KPT).
I - Champ d'application
A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC
1 - Statut de l'interprétation de la loi
Le Conseil constitutionnel juge de façon constante qu'une QPC peut porter sur l'interprétation de la loi par une juridiction, dans la mesure où "tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition" (5). Ainsi, dans l'esprit de la doctrine du "droit vivant", le justiciable ne s'est pas vu reconnaître le droit de contester une norme dans une abstraction théorique qui serait distincte de l'application qui est susceptible d'en être faite dans le litige où il est partie : le requérant qui pose une QPC a le droit que soit examinée la constitutionnalité d'une disposition législative telle qu'elle est appliquée, c'est-à-dire compte tenu de la portée effective que lui confère une interprétation jurisprudentielle constante.
C'est ainsi que, dans l'affaire relative à l'imprescriptibilité de l'action du ministère public en négation de nationalité (Cons. const., décision n° 2013-354 QPC du 22 novembre 2013 N° Lexbase : A9480KPS), le Conseil a pris en considération l'interprétation qui en est donnée par la Cour de cassation. En effet, la lettre du texte contesté (la première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du Code civil N° Lexbase : L2701ABN) ne traite nullement de la prescription de cette action, c'est la jurisprudence -constante- qui a consacré son imprescriptibilité. Les arrêts pertinents de la Cour de cassation sont ainsi dûment mentionnés aux visas. On notera une évolution rédactionnelle : le considérant de principe n'est pas expressément repris dans le corps de la décision du Conseil constitutionnel, moyen de souligner que la solution est désormais parfaitement établie pour ne plus avoir à être reprise !
Selon une méthode comparable, quoique de façon plus indirecte et implicite, c'est en s'appuyant, notamment, sur la jurisprudence de la Cour de cassation sur la définition de la connexité et de l'indivisibilité que le Conseil constitutionnel a rendu la décision n° 2013-356 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4035KQI). Cette jurisprudence n'est pas expressément visée, mais il est clair que c'est sur elle que repose l'appréciation de la portée de la disposition contestée.
La notion de jurisprudence constante trouve, quant à elle, une application instructive. Dans la décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4036KQK) concernant la visite des navires par les agents des douanes, s'est posée la question de savoir si les parties d'un navire à usage privé, en particulier de domicile, pouvaient être visitées par les agents des douanes en application des articles 62 (N° Lexbase : L0684ANN) et 63 (N° Lexbase : L0685ANP) du Code des douanes ou devaient être autorisées par un juge en application de l'article 64 de ce code (N° Lexbase : L9527IYI). Or, cette question a fait l'objet d'une divergence d'interprétation entre la Chambre commerciale et la Chambre criminelle, situation qui paraît, par nature, incompatible avec l'affirmation d'une jurisprudence constante. En l'espèce, ce n'est qu'en tenant compte d'un récent ralliement à l'analyse de la Chambre criminelle (6), du moins ce qu'il juge comme tel, que le Conseil constitutionnel estime que constitue, désormais, une jurisprudence constante de la Cour de cassation la lecture selon laquelle les agents des douanes peuvent visiter les navires, y compris dans leurs parties privées, en application de l'article 63, sans l'autorisation d'un juge. On retrouve ici une lecture très réaliste de la part du Conseil constitutionnel, d'autant plus qu'elle conduit le juge constitutionnel, dans l'appréciation de cette notion évolutive, à se faire l'interprète d'arrêts dont la portée est parfois subtile. Voilà une autre facette de l'interprétation en tant qu'objet de la QPC.
2 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution
La décision n° 2013-359 QPC du 13 décembre 2013 (N° Lexbase : A2569KRL), relative à la mise en demeure par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, retient l'attention. Elle précise l'appréciation du "déjà jugé" au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3). En effet, le Conseil constitutionnel s'était déjà expressément prononcé, dans son contrôle a priori, sur la loi du 30 septembre 1986 (7) qui modifiait ou introduisait les dispositions contestées dans la présente QPC. Celles-ci avaient été jugées conformes à la Constitution, le cas échéant sous réserves d'interprétation. Toutefois, ces dispositions ont été substantiellement modifiées à plusieurs reprises depuis lors. Dans sa décision n° 2013-359 QPC, le Conseil constitutionnel retient que ces modifications "ont eu pour objet d'étendre le champ tant des personnes soumises à la procédure de mise en demeure par le CSA, que de celles qui peuvent le saisir d'une demande d'engager la procédure de mise en demeure et de modifier la référence aux principes législatifs dont le respect s'impose". Il en est déduit que les dispositions contestées ne peuvent être considérées comme ayant déjà été jugées conformes à la Constitution. Ce faisant, le Conseil constitutionnel ne se place pas sur le terrain du changement de circonstances. L'ampleur des modifications apportées aux dispositions antérieurement examinées conduit tout bonnement à considérer que la QPC portait sur des dispositions législatives différentes de celles qui avaient fait l'objet de la déclaration de conformité.
B - Normes constitutionnelles invocables
Plusieurs décisions méritent l'attention en raison de leurs apports, avérés ou potentiels, sur la protection des droits et libertés garantis par la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a jugé que "la liberté de conscience, qui résulte de ces dispositions, est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit" (Cons. const., décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 N° Lexbase : A0317KN3). Le Conseil a fondé sa décision directement sur l'article 10 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1357A97) et le cinquième alinéa du Préambule de 1946. La distinction entre la liberté d'opinion et la liberté de conscience, qui implique une conviction profonde de la personne, trouve ainsi une résonnance dans la jurisprudence QPC. On notera que le rattachement de cette liberté aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République est désormais abandonné. Cette substitution du fondement constitutionnel (8) de la liberté de conscience est, selon les propres indications officielles du Conseil, sans conséquence sur la valeur constitutionnelle et la portée de cette liberté.
Dans la décision précitée n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, le Conseil constitutionnel a précisé le cadre constitutionnel de la pénétration dans un domicile. Il a d'abord rappelé qu'il incombe au législateur, en application de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ainsi que la procédure pénale. Il lui revient "d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, le respect des autres droits et libertés constitutionnellement protégés". Aussi, "dans l'exercice de son pouvoir, le législateur ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles" (cons. n° 5). Ce contrôle de l'absence de privation de garanties légales s'opère, en l'espèce, au regard du droit au respect de la vie privée, et en particulier de l'inviolabilité du domicile, protégée au titre de la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1366A9H).
La question de savoir si l'article 5 de la Charte de l'environnement (loi n° 2005-205 du 1er mars 2005 N° Lexbase : L0268G8G) (9), qui pose le principe de précaution, institue, ou non, un droit ou une liberté que la Constitution garantit dont la méconnaissance pourrait être invoquée à l'appui d'une QPC n'est pas encore réglée par le Conseil constitutionnel. Dans l'affaire n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013 (N° Lexbase : A5874KMI), la question se posait à front renversé dans la mesure où les dispositions contestées ont été interprétées par le juge constitutionnel comme étant prises par le législateur en application, non du principe de précaution, mais du principe de prévention. En tout état de cause, ce n'est pas exactement le principe de précaution lui-même qui était invoqué, ce qui constitue déjà une première devant le prétoire du Conseil constitutionnel, mais les conditions auxquelles sa mise en oeuvre est subordonnée. La question de l'invocabilité de l'article 5 de la Charte reste donc en suspens, comme celle visant à déterminer si les conditions encadrant la mise en oeuvre de ce principe constituent en elles-mêmes des droits invocables. On peut penser qu'une réponse positive progresse. La décision rapportée contribue à définir, en creux, le champ d'application du principe, lequel n'a pas vocation à être opposé à des interdictions pérennes.
II - Procédure devant le Conseil constitutionnel
A - Interventions devant le Conseil constitutionnel
Comme souligné lors de précédentes chroniques, les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. Il en est ainsi, par exemple, de plusieurs demandes en intervention d'associations dans l'affaire n° 2013-358 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4037KQL). L'intervention peut parfaitement émaner d'une personne publique, une commune a ainsi présenté des observations dans l'affaire précitée n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013.
Ces interventions sont surtout de plus en plus utiles et mieux dirigées, notamment lorsqu'elles soulèvent des griefs nouveaux au regard de ceux développés par la partie requérante ou le gouvernement. On peut relever, à cet égard, l'intervention d'une association dans l'affaire n° 2013-354 QPC du 22 novembre 2013 (N° Lexbase : A9480KPS), ou plus encore celles formulées par trois sociétés dans l'affaire n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013. Dans ce dernier cas, c'est le grief d'incompétence négative développé par la partie intervenante qui a justifié la censure des dispositions contestées.
Devant le succès grandissant des interventions, le Conseil constitutionnel a organisé plus précisément les conditions et modalités de leur recevabilité.
Il est parfois conduit à faire un tri assez draconien, mais pas toujours très clair, au sein des nombreuses demandes d'intervention. Ce fut le cas dans l'affaire précitée n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013, concernant l'interdiction de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures. Si deux interventions, produites en défense de la loi, émanant d'associations de défense de l'environnement ont été admises, d'autres ont été soit écartées pour tardiveté, soit refusées en raison de l'absence d'un intérêt spécial au sens de l'article 6, alinéa 2, du règlement intérieur du 4 février 2010. Ce rejet ne fait pas l'objet de motivation ou justification particulière, au sein ou même en dehors de la décision, mais la décision du Conseil constitutionnel fait expressément mention des demandes en intervention via la pratique du visa "ensemble". De plus, bien qu'il demeure lapidaire, le Conseil réserve un considérant sur l'admission des interventions.
C'est aussi un défaut d'intérêt spécial qui a conduit le Conseil à refuser les sept demandes en intervention formulées par des maires dans l'affaire médiatique n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 (N° Lexbase : A0317KN3) ("clause de conscience" permettant aux maires et aux adjoints, officiers de l'état civil, de s'abstenir de célébrer un mariage entre personnes de même sexe). Avec une certaine rigueur bien comprise, le Conseil constitutionnel a estimé que le seul fait que les maires soient appelés, en leur qualité, à appliquer les dispositions contestées ne justifie pas que chacun d'eux soit admis à intervenir. Le caractère proprement "spécial" de l'intérêt peut difficilement être caractérisé devant un nombre aussi élevé d'intéressés. On peut également se demander si l'appréciation de l'intérêt spécial ne varie pas selon le caractère individuel ou collectif de l'intervenant. On notera que la non-admission de ces interventions figure de façon inédite au dispositif de la décision. Le refus d'intervention n'est donc plus sans existence formelle.
Quelques semaines après cette décision, le sujet a trouvé un écho remarquable. L'article 6, alinéas 2 et 3, a été modifié par décision n° 2013-128 ORGA du 22 novembre 2013, modifiant le règlement intérieur sur la procédure suivie pour les QPC (N° Lexbase : A9478KPQ). Pour être technique, la modification n'est pas anodine. Auparavant, tout tiers intervenant justifiant d'un intérêt spécial disposait d'un délai de trois semaines suivant la date rendue publique de transmission de la QPC par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation pour faire valoir ses observations. La "recevabilité" de l'intervention se trouvait ainsi enfermée dans un délai qui, de fait, mais de fait seulement, coïncidait avec le délai dont disposent les parties pour formuler leurs premières observations. On a pu juger cette solution comme le meilleur équilibre possible entre les différents impératifs en cause (10). Il est donc appréciable, au moins pour la cohérence de la procédure et l'équilibre du contradictoire, que la connexion des délais (le premier concernant la production des observations, le second l'admission des interventions) soit consacrée par le règlement. Désormais, le règlement prévoit que la date limite d'intervention est identique à celle fixée par le Conseil constitutionnel pour que les parties produisent leurs observations. En contrepoint, le caractère discrétionnaire de ce pouvoir se trouve donc étendu à la fixation du délai d'intervention, ce qui conforte la mainmise du Conseil sur le déroulement de la procédure. Sans doute le délai fixé par le Conseil correspondra-t-il, dans la plupart des cas, à la solution antérieure, le délai de vingt jours pour déposer les conclusions étant ancré dans la bonne pratique, sauf cas exceptionnels. Il s'agit surtout d'éviter que les intervenants puissent être en situation plus favorable que les parties en bénéficiant de délais de production supérieurs. Le droit à intervention devant le Conseil constitutionnel serait-il, ainsi, victime de son succès ? Il est clair que le mouvement d'encadrement des demandes d'intervention, qui s'appuie avant tout sur des considérations pratiques (11), correspond à la volonté de ne pas compliquer la procédure. Par ricochet, cette évolution ne fait qu'accroître l'importance de la question de la garantie d'un délai raisonnable pour produire des observations.
B - La décision du Conseil constitutionnel et ses effets
1 - Autorité des décisions du Conseil constitutionnel
La décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013 (N° Lexbase : A0316KNZ) présente un intérêt de premier ordre dans l'affermissement de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel (12). Pour la première fois, et après certaines tergiversations, une censure prononcée par celui-ci à l'encontre d'une loi promulguée dans le cadre de la jurisprudence "Etat d'urgence en Nouvelle-Calédonie" (13) voit ses effets pleinement et solennellement reconnus. On rappellera que, par l'intermédiaire de cette jurisprudence, le Conseil s'autorise, depuis une époque où la QPC n'était encore qu'un projet assez lointain, à examiner, lors de son contrôle a priori, une disposition législative en vigueur. Prenant le contrepied de la lecture retenue par le Conseil d'Etat dans son arrêt de renvoi (14), le Conseil constitutionnel répond négativement à la question de savoir si une disposition législative frappée d'inconstitutionnalité mais toujours en vigueur peut faire l'objet d'une QPC afin d'en obtenir formellement l'abrogation. La décision trouve son fondement direct dans l'article 62, alinéa 3, de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), aux termes duquel les décisions qu'il prononce ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Les pleins effets normatifs d'une censure prononcée dans le cadre de la jurisprudence néo-calédonienne trouve donc écho dans le contentieux QPC, avec en ligne de mire l'agencement des contrôles de constitutionnalité. En effet, la loi jugée inconstitutionnelle non abrogée n'est, quoi qu'il en soit, plus applicable, et ce de façon absolue. Du point de vue du débat de constitutionnalité qui la concerne, aucune distinction n'est à faire avec la loi expressément abrogée : un texte déclaré inconstitutionnel n'est, d'une façon ou d'une autre, plus toléré dans notre ordre juridique. Le recours constitutionnel contre une disposition déjà déclarée inconstitutionnelle est tout simplement sans objet car les effets du contentieux constitutionnel se trouvent épuisés, y compris dans la modulation dans le temps des effets de la censure depuis que le Conseil fait un usage équivalent de ce pouvoir en a priori et en a posteriori. Le Conseil constitutionnel renonce ainsi à une orientation constructive quoiqu'assez séduisante qui aurait consisté à faire bénéficier la jurisprudence néo-calédonienne de la portée abrogative que l'article 62, alinéa 2, de la Constitution confère aux (seules) décisions QPC. En somme, cette décision permet de conserver une pleine efficacité à son intervention sur la loi promulguée dans le cadre du contrôle a priori. On peut, toutefois, observer, dans l'appréciation de la portée plus indirecte de cette décision, que le Conseil constitutionnel paraît résolu de réfréner toute tentative consistant à placer la QPC comme un recours en interprétation de ses propres décisions (15).
2 - Effets dans le temps
a - Application immédiate aux instances en cours
Dans l'affaire n° 2013-350 QPC du 25 octobre 2013 (N° Lexbase : A4368KN4) relative à la mise en oeuvre de l'action publique en cas d'injure ou de diffamation publique envers un corps constitué, le Conseil constitutionnel précise, selon le principe de droit commun applicable aux effets dans le temps des décisions abrogatives en QPC, que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. L'application immédiate aux instances en cours est un effet de droit commun de la déclaration d'inconstitutionnalité, que le Conseil prend soin ici de mentionner pour une parfaite clarté, le Gouvernement ayant plaidé à titre subsidiaire le report de l'abrogation eu égard à la portée générale de la disposition contestée et des conséquences prétendument excessives de l'abrogation immédiate. Dans cette affaire, le Conseil n'a pas davantage réservé, ainsi que le demandait également le gouvernement, les actions en réparation mises en oeuvre par les collectivités. En somme, l'effet immédiat de la décision conduit ici à une modification du droit sans intervention formelle du législateur.
En revanche, le requérant se voit privé du bénéfice de la censure prononcée dans la décision n° 2013-352 QPC du 15 novembre 2013 (N° Lexbase : A3196KP3). En effet, la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à tous les jugements d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire rendus postérieurement à la date de la publication de la décision.
La censure prononcée par la décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013 (N° Lexbase : A4369KN7) concerne des dispositions dans leur rédaction antérieure à la législation en vigueur. Le Conseil a donc jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité ne peut être invoquée qu'à l'encontre des impositions contestées avant que ne soit intervenue cette modification. Le bénéfice de la censure se trouve mécaniquement circonscrit. Dans son commentaire officiel, le Conseil précise que le bénéfice de cette censure s'étendra donc à l'ensemble des contribuables assujettis à la taxe en cause pour les années 2009, 2010 et 2011 et ayant contesté cette imposition. Le fait de circonscrire le champ de la censure aux seuls contribuables ayant contesté leur imposition avant la publication de la décision du Conseil permet par ailleurs d'éviter tout effet d'aubaine.
b - Modulation dans le temps des effets de la décision
Dans la décision précitée n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, relative à la visite des navires par les agents des douanes, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2015 les effets de sa censure, laissant, ainsi, au législateur le soin d'encadrer davantage le pouvoir des agents des douanes. Le Conseil a pris en compte les conséquences manifestement excessives qui auraient résulté d'une censure immédiate sur les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de lutte contre la fraude. On retrouve ici une démarche qui avait prévalu pour la censure touchant la rétention douanière. Il s'agit d'éviter que les visites effectuées avant cette date puissent être contestées sur le fondement de l'inconstitutionnalité constatée. Il appartient donc au législateur de déterminer quels critères il souhaite retenir pour mieux encadrer ce droit de visite. La décision du Conseil, et surtout son commentaire officiel, livrent des pistes (visites de jour, nature des navires concernés, garanties procédurales...) dont la portée n'est, toutefois, qu'indicative.
La décision n° 2013-348 QPC du 11 octobre 2013 (N° Lexbase : A5876KML) mérite une attention toute particulière. Le Conseil constitutionnel se prononce sur des dispositions législatives réécrites à la suite d'une précédente (et fameuse) censure assortie d'un report de l'abrogation (16). Le contrôle des dispositions nouvelles se fait nécessairement à l'aune de la précédente décision constitutionnelle, situation qui génère une argumentation centrée sur le respect par le législateur de cette décision. Le Conseil constitutionnel y fait figure, tout à la fois, de juge de la correction de l'inconstitutionnalité et juge de l'exécution de ses propres décisions. Cet office est de nature à générer des débats subtils et à en aiguiser d'autres, tels celui de l'interprétation "authentique" des décisions du Conseil constitutionnel. Au cas présent, on ne peut qu'observer que la situation de la requérante, au fond, n'a pas été améliorée par la législation substitutive, sans que le Conseil n'en déduise que sa précédente décision ait été mal appliquée.
3 - Recours en rectification d'erreur matérielle
Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a procédé d'office à une rectification d'erreur matérielle d'une décision QPC (17) (Cons. const., décision n° 2013-357 R QPC du 29 décembre 2013 N° Lexbase : A9373MEU). Cette possibilité, ouverte aussi à la demande d'une partie, est prévue à l'article 13 du règlement de procédure en QPC (18). Après avoir sollicité les explications des parties, le Premier ministre en ayant apporté, le Conseil a corrigé l'article 2 du dispositif de la décision n° 2013-357 QPC. Cette dernière est, en effet, affectée d'une erreur matérielle relative à la date de prise d'effet de la décision, l'indication de la date du report faisait défaut dans le dispositif. On rappellera qu'un recours en rectification d'erreur matérielle ne met pas en cause l'autorité de chose jugée de la décision (19) et qu'il ne saurait avoir pour objet de remettre en cause ou de prolonger, directement ou indirectement, l'appréciation portée par le Conseil dans sa décision. On peut mentionner qu'un membre du Conseil n'ayant pas siégé au délibéré de la décision n° 2013-357 QPC n'a pas non plus siégé lors du délibéré de la décision n° 2013-357 R QPC. Ce parallélisme n'est pas formellement prévu, mais il est de bonne pratique (20).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441041
Réf. : Cass. soc., 19 février 2014, quatre arrêts, n° 13-16.750 (N° Lexbase : A7649MEZ), n° 13-20.069 (N° Lexbase : A7613MEP), n° 12-29.354 (N° Lexbase : A7747MEN), n° 13-16.750 (N° Lexbase : A7684MEC), FS-P+B+R
Lecture: 7 min
N1103BUE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 10 Mars 2014
Résumé
La représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral, peu important la prise en location-gérance d'autres établissements où un autre syndicat aurait été reconnu représentatif (arrêts n° 431 et n° 438) ou le transfert des contrats de travail des salariés résultant de la cession de l'un de ses établissements (arrêts n° 433 et n° 435). |
Commentaire
I - L'intangibilité du cycle électoral
Intérêt de la décision. Dans un arrêt rendu le 13 février 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait précisé que l'appréciation de "la représentativité des organisations syndicales [...] est établie pour toute la durée du cycle électoral" mais avait précisé que la solution s'entendait "dans un périmètre donné" (1), entraînant des interprétations diverses en cas de modification intervenue dans le périmètre de l'entreprise en cours de cycle, certains auteurs déduisant logiquement de la formule qu'il faudrait alors réviser la mesure (2), d'autres au contraire que "la théorie du cycle électoral, appliquée de manière dogmatique, s'y oppose" (3).
C'est à cette question que la Cour de cassation apporte une première réponse dans ces quatre décisions qui tranchent en faveur de la thèse de l'intangibilité du cycle électoral.
Les faits. Dans deux des quatre décisions rendues le 19 février 2014, le périmètre de l'entreprise (la société Colas) s'était élargi, après la dernière mesure de la représentativité, par la prise en location-gérance d'établissements supplémentaires : 25 s'ajoutant aux 16 existants dans la première affaire (arrêt n° 431), 15 s'ajoutant aux 12 existants dans la seconde (arrêt n° 438). Dans les deux autres décisions, le périmètre de l'entreprise (la société ISS logistique) s'était, au contraire, restreint par la cession, en cours de cycle électoral, de certaines activités et des contrats des salariés qui y étaient affectés (arrêts n° 433 et n° 435).
Dans les deux premières affaires, un syndicat, qui n'avait pas atteint le score électoral de 10 % lors de la mesure, avait désigné un délégué syndical au niveau de l'entreprise après avoir refait ses comptes et intégré les suffrages acquis lors des dernières élections des établissements qui avaient rejoint entre temps l'entreprise, et dans lesquels il était représentatif. Dans les deux autres, c'était, en revanche, la représentativité d'une organisation syndicale qui était discutée après la perte d'une partie de l'entreprise, au motif qu'elle était ainsi passée sous la barre fatidique des 10 %.
Si, dans trois des quatre affaires, les juridictions n'avaient pas tenu compte des modifications intervenues dans le périmètre de l'entreprise, dans l'une d'entre -elle le tribunal d'instance avait observé que "le principe de fixité de la représentativité des organisations syndicales pour la durée du cycle électoral n'a vocation à s'appliquer que dans un périmètre donné mais non, sauf à méconnaître l'expression d'une grande partie des salariés, dans une entreprise dont les composantes et la communauté de travail sont profondément modifiées par des adjonctions d'établissements et d'effectifs qui conduisent à augmenter de plus du double le nombre d'établissements et de salariés et qu'il ne résulte pas des dispositions des articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-5 (N° Lexbase : L6223ISB) du Code du travail que, dans le cas d'une telle modification du périmètre de l'entreprise, la représentativité des organisations syndicales, telle que mesurée avant l'opération d'adjonction d'établissements nouveaux, doit être figée jusqu'à l'achèvement du cycle électoral en cours".
La solution. Les trois jugements n'ayant pas modifié la mesure sont confirmés, et celui, qui avait tenu compte de l'adjonction de nouveaux établissements pour procéder à une nouvelle mesure, est cassé.
Dans les quatre décisions, la Cour reprend la même formule selon laquelle "la représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral", et la précise pour tenir compte des hypothèses : s'agissant des deux arrêts concernant l'accroissement du périmètre (arrêts n° 431 et n° 438), la Cour précise que cette règle vaut "peu important la prise en location-gérance d'autres établissements où ce syndicat avait été reconnu représentatif" ; s'agissant des deux autres décisions où le périmètre s'était au contraire réduit, la Cour, reprenant les affirmations du juge d'instance, précise que la représentativité reste acquise indépendamment "du transfert des contrats de travail des salariés résultant de la cession de l'un de ses établissements" (arrêts n° 432 et n° 435).
Précision. Pour que la solution soit bien comprise, il semble utile de s'attarder sur l'arrêt ayant prononcé une cassation, car les arguments développés par le juge d'instance semblaient pertinents. Ce dernier avait, en effet, accepté de réexaminer la représentativité au sein de l'entreprise après avoir observé que les modifications apportées au périmètre avaient conduit "à augmenter de plus du double le nombre d'établissements et de salariés". En d'autres termes, l'intangibilité des résultats issus de la mesure vaut quelle que soit l'importance des modifications ayant affecté le périmètre de l'entreprise.
II - La stabilité au détriment de la légitimité
Une solution de facilité et de stabilité. On comprend aisément pourquoi la Cour de cassation a retenu cette solution, à la fois pour des raisons de simplicité et de stabilité (4). En figeant, une fois pour toute, la mesure d'audience à la date de la fin du précédent cycle électoral, la Cour confère aux organisations syndicales une véritable stabilité : celles qui ont été reconnues comme étant représentatives le demeurent pour au moins deux ans (selon la durée retenue pour les mandats dans l'entreprise), et celles qui ne l'étaient pas continueront, si elles sont affiliées ou implantées, d'exercer les prérogatives syndicales dans l'entreprise dans la perspective des prochaines échéances électorales.
La solution privilégie donc à la fois la stabilité et la simplicité puisque le chef d'entreprise ne sera pas obligé de tenir, au fil de l'eau, une sorte de tableau de bord de l'état des forces syndicales dans l'entreprise, et de réajuster les modes de représentation syndicale en demandant aux organisations qui auraient perdu leur représentativité de bien vouloir révoquer le mandat de leur délégué syndical (5), et en permettant à celles qui le seraient devenu, de désigner de nouveaux délégués, ce qui aurait d'ailleurs également des répercussions sur la composition du comité d'entreprise dans les entreprises de moins de trois cents salariés (6).
Une solution déconnectée de la légitimité syndicale dans l'entreprise. Si on comprend que la solution retenue est la plus simple et la plus stable, on ne pourra pas ne pas observer qu'elle entraîne une déconnection importante entre la réalité syndicale de l'entreprise et sa retranscription au travers de la reconnaissance de la représentativité syndicale et ce, alors que la réforme de la démocratie sociale intervenue en 2008 visait précisément à reconnecter l'exercice des prérogatives syndicales avec la réalité des urnes.
La non-prise en compte des événements mineurs affectant le périmètre de l'entreprise n'est pas, ici, réellement en cause car elle n'est pas susceptible d'affecter de manière significative la représentativité réelledes organisations syndicales, même si elle pourrait entraîner de légers franchissements de seuils.
Mais en cas de modifications significatives du périmètre le hiatus semble problématique, comme cela avait été le cas dans les deux décisions concernant la société Colas puisque dans l'une des affaires (arrêt n° 438) le nombre des salariés et des établissements avait été plus que doublé.
Par ailleurs, la solution ne distingue pas selon qu'il s'agit de retirer au syndicat sa représentativité, ou d'en admettre de nouveaux, ou d'un accroissement du périmètre, ou de réduction et ce, alors que les situations ne sont pas les mêmes et pourraient justifier des réponses différentes.
Portée. Dans ces quatre arrêts, la question d'une éventuelle mesure en cours de cycle s'était posée s'agissant d'entreprises dont le périmètre avait été modifié. Reste à déterminer la portée de ces décisions pour les UES et les groupes en cas d'adjonction ou de perte d'entreprises, ou d'établissements appartenant à ces entreprises. Il semble que la généralité de la règle ici affirmée, fondée sur une recherche de stabilité et de simplicité, impose la même solution.
Proposition alternative. On se demande, compte tenu des réserves formulées, si une solution inspirée des règles qui prévalent pour les institutions représentatives de l'entreprise en cas de modification de l'effectif en cours de mandats ne serait pas préférable (7). En cas de franchissement de seuil à la hausse, on sait en effet que l'employeur doit organiser les élections professionnelles dans des délais qui ont, d'ailleurs, été rallongés en 2013 (8). En cas de diminution significative de l'effectif en dessous du seuil de mise en place du comité d'entreprise, l'article L. 2322-7 du Code du travail (N° Lexbase : L2717H9I) exige, pour que le comité soit supprimé, soit un accord unanime des organisations syndicales intéressées, soit une décision de l'autorité administrative "en cas de réduction importante et durable du personnel".
Ne pourrait-on pas souhaiter, contrairement à la solution retenue dans les quatre arrêts commentés, que tout en affirmant le principe de la pérennité de l'établissement de la représentativité syndicale dans l'entreprise pour toute la durée du cycle, la Cour admette qu'une nouvelle mesure puisse avoir lieu, en cas de modification importante et durable du périmètre, soit dans le cadre d'un accord avec l'ensemble des organisations syndicales intéressées (9), soit d'une décision prise en ce sens par le juge d'instance ? Ne serait-ce pas concilier de manière plus judicieuse stabilité et représentativité réelle ?
(1) Cass. soc., 13 février 2013, n° 12-18.098, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7707I7L) et lire G. Auzero, Représentativité syndicale dans l'entreprise : la consécration de la règle du cycle électoral, Lexbase Hebdo n° 518 du 28 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5967BT8) ; Dr. soc., 2013, p. 374, note F. Petit ; D., 2013, p. 2599, note P. Lokiec et J. Porta ; JCP éd. S, 2013, n° 15, p. 35, note E. Jeansen ; Dr. Ouvrier, 2013, p. 779, note F. Canut ; RDT, 2013, p. 418, note I. Oudoul-Asorey ; CSBP, 2013, n° 251, p. 128, note L. Pécaut-Rivolier ; JCP éd. G, 2013, p. 664, rapp. B. Aldigé.
(2) En ce sens, G. Auzero, préc.
(3) E. Jeansen, préc.. G. Bélier et H.-J. Legrand, La négociation collective en entreprise, Liaisons sociales, 3ème éd., 2012, n° 126, p. 111.
(4) Selon le communiqué accompagnant les arrêts du 13 février 2013, et concernant singulièrement la prise en compte éventuelle des élections partielles : "Tout en insistant sur l'importance d'une représentativité réellement en phase avec le choix des salariés, les partenaires sociaux ont, en grande majorité, souligné la nécessité pour la représentation en entreprise et pour la négociation collective de donner aux organisations syndicales représentatives une stabilité dans leur mission. [...] La Chambre sociale a décidé de privilégier cette stabilité et la sécurité des négociations collectives en optant pour une mesure de la représentativité pour la durée du cycle électoral (en principe de quatre ans) couvrant le périmètre concerné, peu important les élections intermédiaires".
(5) Pour le rétrograder comme représentant de la section syndicale, à condition toutefois qu'il ne s'agisse pas d'un délégué central car il n'existe pas de représentant de la section syndicale central.
(6) Puisque dans celles-ci ce sont les syndicats représentatifs
(7) Sur les franchissements de seuil ; F. Petit, Les effets de seuils électoraux en matière syndicale depuis la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, Commentaire de deux arrêts rendus le 22 septembre 2010, Dr. Ouvrier, 2010, p. 654.
(8) Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, art. 23 (N° Lexbase : L0394IXU)
(9) Il s'agit des syndicats reconnus représentatifs lors de la précédente mesure, ainsi que de ceux qui ont présenté des candidats au premier tour des élections professionnelles organisées tant dans l'ancien périmètre que dans les établissements nouvellement intégrés.
Décisions :
1° Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-16.750, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7649MEZ). Rejet (tribunal d'instance de Nantes, contentieux des élections professionnelles, 3 mai 2013). Textes concernés : C. trav., art. L. 2327-6 (N° Lexbase : L9892H8U), L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) et L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9). Mots clef : représentativité syndicale ; cycle électoral. Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ). 2° Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-20.069, Arrêt n° 433 FS-P+B+R (N° Lexbase : A7613MEP). Rejet (tribunal d'instance de Paris 17ème, contentieux des élections professionnelles, 14 juin 2013). Textes concernés : C. trav., art. L. 2121-1, L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI), L. 2143-5, al. 4 (N° Lexbase : L6223ISB), et L. 2327-6 (N° Lexbase : L9892H8U). Mots clefs : représentativité syndicale ; cycle électoral. Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ). 3° Cass. soc., 19 février 2014, n° 12-29.354, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7747MEN). Rejet (tribunal d'instance de Paris 17ème, contentieux des élections professionnelles, 27 novembre 2012). Textes concernés : C. trav., art. L. 2121-1, L. 2143-3 (N° Lexbase : L6224ISC) et L. 2143-5. Mots clef : représentativité syndicale ; cycle électoral. Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ). 4° Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-16.750, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7684MEC). Cassation (tribunal d'instance de Lyon, contentieux des élections professionnelles, 18 avril 2013). Textes concernés : C. trav., art. L. 2121-1, L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2143-5 et L. 2327-6. Mots clefs: représentativité syndicale ; cycle électoral. Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441103
Réf. : Cons. const., décision n° 2013-369 QPC, du 28 février 2014 (N° Lexbase : A0448MGP)
Lecture: 2 min
N1047BUC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 06 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441047
Réf. : Loi n° 2014-237 du 27 février 2014, harmonisant les taux de la TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne (N° Lexbase : L5665IZT)
Lecture: 2 min
N1044BU9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 06 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441044
Réf. : Cass. civ. 2, 27 février 2014, n° 13-11.957, F-P+B (N° Lexbase : A0929MGI)
Lecture: 1 min
N1115BUT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 13 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:441115