Le Quotidien du 7 mars 2025

Le Quotidien

Avocats

[Veille d'actualité] Veille Avocat - Toute l'actualité de la profession (Mars 2025)

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N1799B3Z

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par Yann Le Foll

Le 10 Mars 2025

I. L’actualité de la profession 

A. Aide juridictionnelle

CAA Paris, 5ème ch., 13 février 2025, n° 23PA02520, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A06366WH : l’insuffisance de l’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle dans l’exercice des missions lui incombant doit conduire le juge à surseoir à statuer.

B. Avocats

Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU : deux mesures de la loi de finances pour 2025 concernent plus particulièrement la profession d’avocat, à savoir la réforme globale de la franchise en base de TVA et le doublement des droits fixes de procédure.

C. Avocats/Honoraires

CE, 2°-7° ch. réunies, 7 février 2025, n° 495551, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A75546TX : dans une instance engagée par un agent public devant une juridiction administrative relative à des faits ouvrant droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, celui-ci peut voir ses frais d’avocat pris en charge au titre de cette protection.

CA Versailles, 12 février 2025, n° 24/04601 N° Lexbase : A24016WT : il n'appartient ni au Bâtonnier, ni au premier président saisis en matière de contestation d'honoraires d'avocat, de se faire juge de la qualité du travail effectué ni de la stratégie choisie par le conseil, mais simplement de vérifier que les diligences dont il est demandé paiement ont été régulièrement effectuée.

CA Aix-en-Provence, 10 février 2025, n° 21/11258 N° Lexbase : A98806UH : dès lors qu'ils correspondent aux tâches réalisées, qu'ils ont été réglés sans réserve par une personne non dépourvue de capacité et de discernement, seul le succès d'une action en responsabilité peut conduire à la restitution des honoraires.

D. Avocats/Institutions représentatives

Le CNB et le barreau de Paris déposent un recours contre le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, relatif à l'expérimentation de la contribution pour la justice économique N° Lexbase : L9874MR7.

Le CNB adopte un guide sur la mission de certification des informations en matière de durabilité.

Dans le cadre de la mission d'urgence sur l'audiencement criminel lancée par le ministère de la Justice fin 2024, le CNB propose des pistes d’amélioration pour faire face aux difficultés croissantes liées à l’augmentation des procédures.

E. Avocats/Procédure

Cass. civ. 2, 6 février 2025, n° 22-20.232, F-D N° N° Lexbase : A27976U7 : l'acte de notification de la sentence arbitrale du Bâtonnier arbitrant un différend entre avocats doit préciser le point de départ du délai de recours, ce délai ne pouvant à défaut être considéré comme ayant commencé à courir.

F. Avocats/Périmètre du droit

CAA Paris, 3ème ch., 5 février 2025, n° 24PA00635, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A92736ZH : en ne désignant pas avec assez de précision les diplômes, autres que la licence en droit, susceptibles de permettre à leurs titulaires de bénéficier de l’agrément pour la pratique du droit à titre accessoire, le ministre de la Justice a méconnu l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme.

G. Avocats/Structure d’exercice

Décret n° 2025-131 du 13 février 2025 N° Lexbase : L4135MSX : dispositions relatives aux obligations de remontées annuelles d'informations, au délai de mise en conformité des sociétés de participation financières de profession libérale (Spfpl) dont l'objet viendrait à ne plus être rempli et à l’autorisation des Spfpl de certaines professions juridiques et judiciaires à détenir des parts ou actions de sociétés commerciales.

Lire B. Dondero, Dispositions réglementaires sur les sociétés d’avocats (1ère partie) : SCP et SEP, Lexbase Avocats n° 350, 2024 N° Lexbase : N0192B3I.

Lire A. Cadix, Les impacts de l’ordonnance du 8 février 2023 sur la profession d’avocat, Lexbase Avocats n° 347, 2024 N° Lexbase : N9092BZR.

II. L’actualité de la pratique professionnelle  

A. En procédure pénale

Cass. crim., 12 février 2025, n° 24-86.795, F-D N° Lexbase : A53466WW : l’envoi d’un message indiquant sans ambiguïté la tenue d’un débat contradictoire concernant une prolongation de détention implique que l’avocat a été régulièrement informé de la date, de l'heure et de l'objet de la convocation précédemment annoncée.

CE, 6° ch., 10 février 2025, n° 499028, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A44196U9 : les perquisitions dans un cabinet d'avocat ou au domicile de celui-ci sont assorties de garanties suffisantes pour assurer le respect des droits de la défense, du droit au respect de la vie privée, de l'inviolabilité du domicile et du secret des correspondances.

Cass. crim., 4 février 2025, n° 23-86.384, F-B N° Lexbase : A60686TW : lorsqu’une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression est invoquée, il appartient au juge d’instruction saisi, après s’être assuré du lien direct allégué entre le comportement incriminé et la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général, de vérifier le caractère proportionné des poursuites. Ledit contrôle implique alors un examen d’ensemble, tenant compte notamment des circonstances des faits, de la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé. 

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 5 février 2025, n° 23-86.184, F-B N° Lexbase : A60556TG : l’ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant une requête en relèvement d’une interdiction de paraître ordonnée à l’occasion d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble psychique ou neuro-psychique est susceptible d’appel, en l’absence de disposition législative spéciale contraire. 

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 24-83.370, F-B N° Lexbase : A19696RD : le renouvellement de la prescription d’une mesure d’interception ou de géolocalisation doit intervenir avant l’expiration de la mesure précédente. Par ailleurs, la mesure initiale expire à l’issue de la durée fixée, calculée selon les mentions de la décision la prescrivant ou l’autorisant ; dans le silence de cette décision, il convient de fixer le point de départ à la date de la pose des dispositifs techniques.  

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 11 février 2025, n° 23-86.752, F-B N° Lexbase : A34506UC : l’action civile appartenant à ceux qui ont personnellement souffert d’un dommage directement causé par l’infraction, le nouveau propriétaire d’un immeuble acquis, en connaissance de cause, postérieurement à la destruction de celui-ci, ne peut demander l’indemnisation d’un préjudice subi par l’atteinte à ce bien. 

par Pauline Le Guen

Cass. crim., 11 février 2025, n° 24-83.214, F-D N° Lexbase : A05066WN : la présence de journalistes filmant les étapes préparatoires d’une interpellation et d’une perquisition n’est pas irrégulière dès lors qu’ils n’entrent pas dans les lieux et que les opérations d’interpellation, de perquisition et de saisie ne sont pas filmées. 

par Pauline Le Guen

newsid:491799

Avocats/Déontologie

[Dépêches] Validation de l’interdiction du port de signes distinctifs s'ajoutant au costume de la profession d'avocats

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 3 mars 2025, n° 490505, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A417463Y

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N1806B3B

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par Yann Le Foll

Le 06 Mars 2025

L’interdiction du port de signes distinctifs s'ajoutant au costume de la profession d'avocats n’est contraire ni à la CESDH, ni au pacte international des droits civils et politiques.

Le Syndicat des avocats de France demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 septembre 2023 du Conseil national des barreaux portant modification du règlement intérieur national de la profession d'avocat N° Lexbase : Z6379229.

L'obligation légale pour les avocats, qui ont la qualité d'auxiliaires de justice et apportent un concours régulier et indispensable au service public de la justice, de porter la robe dans leurs fonctions judiciaires a pour objectif d'identifier ces derniers par un costume qui leur est propre.

Elle a aussi pour but d'éviter, par l'uniformité de ce costume commun à l'ensemble de la profession, qu'ils n'affichent par leur apparence de préférences personnelles sans rapport avec la défense des intérêts de leur client.

En outre, le port d'un costume uniforme contribue à assurer l'égalité des avocats et, à travers celle-ci, l'égalité des justiciables, qui est une condition nécessaire du droit à un procès équitable.

Cette obligation, qui emporte l'interdiction du port de signes distinctifs avec la robe, poursuit dès lors un but légitime et est proportionnée à ce but. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 9 de la CESDH N° Lexbase : L4799AQS et de l'article 18 du Pacte international des droits civils et politiques N° Lexbase : L6816BHW ne peut qu'être écarté.

La requête est rejetée.

À ce sujet. Lire F.-X. Berger, Décision du CNB relative au port de signes distinctifs avec le costume professionnel : entre faux-semblant et goût d’inachevé, Lexbase Avocats n° 342, 2023 N° Lexbase : N7651BZE.

 

newsid:491806

Fonction publique

[Jurisprudence] Protection fonctionnelle et prise en charge des frais d’instance devant la juridiction administrative

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 7 février 2025, n° 495551, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A75546TX

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N1800B33

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par Rachel-Ji Lemoine, avocate au barreau de Paris

Le 12 Mars 2025

Mots clés : protection fonctionnelle • agent public • fonction publique • frais d’instance • procédure administrative

Par un arrêt du 7 février 2025, le Conseil d’État a confirmé que les frais exposés par un agent devant les juridictions administratives au titre de sa protection fonctionnelle pouvaient être pris en charge par l’administration employeur.


 

La protection fonctionnelle est un dispositif de droit public conçu pour permettre aux agents publics, titulaires ou contractuels, de bénéficier d’une protection de la part de leur administration, en cas d’atteintes volontaires à l'intégrité de leur personne, de violences, d’agissements constitutifs de harcèlement, de menaces, d’injures, de diffamations ou d’outrages dont ils pourraient être victimes [1] lors de l’exercice de ses missions, ou lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites dans le cadre de ses fonctions, dès lors qu’aucune faute personnelle n’a été commise par l’agent [2].

Ce dispositif ouvre aujourd’hui la possibilité à l’agent en faisant la demande de bénéficier d’une protection de son administration, qui peut se traduire par la mise en œuvre de mesures de protection pour faire cesser les agissements à son encontre, ou bien pour le soutenir financièrement dans la prise en charge des frais qu’il a été dans l’obligation d’exposer dans le cadre de la défense de ses intérêts.

En d’autres termes, le bénéfice de la protection fonctionnelle permet à l’agent public de solliciter la prise en charge des frais exposés dans les procédures juridictionnelles relatives aux faits ayant préalablement ouvert le droit au bénéfice de cette protection fonctionnelle.

À titre d’exemple, un agent public ayant fait l’objet de diffamation dans le cadre de ses fonctions, peut demander l’octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle. Dès lors que celle-ci est accordée, l’agent pourra solliciter de la part de son administration la prise en charge des frais d’avocat exposés dans le cadre des poursuites pénales engagées à l’encontre de l’auteur de la diffamation.

Cette possibilité a été ouverte par le décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017, relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales par l'agent public ou ses ayants droit N° Lexbase : L6423LCU, qui prévoyait dans son article 2 une prise en charge « des frais exposés dans le cadre d’une instance civile ou pénale » au titre de la protection fonctionnelle.

Il convient de noter que dans le cadre de la codification de la partie règlementaire du code général de la fonction publique, le décret n° 2024-1038 du 6 novembre 2024 relatif aux dispositions réglementaires des livres I et II du code général de la fonction publique N° Lexbase : L3605MRX, est venu abroger le décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017, et créer les articles R. 134-1 N° Lexbase : L3911MRB et suivants du Code général de la fonction publique, portant sur la protection dans l’exercice des fonctions des agents publics, et sur la prise en charge des frais d’instance dans ce cadre.

En tout état de cause, les articles du code général de la fonction publique, et notamment l’article L. 134-12 N° Lexbase : L5812MBU et le nouvel article R. 134-1 reprennent tout deux les mêmes termes que le décret du 26 janvier 2017 précité, à savoir prévoyant, suivant l’octroi de la protection fonctionnelle, la prise en charge par la collectivité publique « des frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales par l'agent public ».

Les textes précités ne mentionnant que des « instances civiles ou pénales », la question s’est donc posée de savoir si les frais exposés devant les juridictions administratives pouvaient aussi être pris en charge dans le cadre de la protection fonctionnelle.

Le juge administratif a eu l’occasion de se prononcer sur la question.

Elle a ainsi pu considérer que l’octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle devait conduire l’administration à assister son agent dans le cadre des « poursuites judiciaires » au sens large qu’il entreprendrait :

« 16. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre » [3].

Par voie de conséquence, la cour administrative d’appel de Paris avait alors soutenu que le refus de prise en charge des frais exposés dans la procédure administrative et tendant à l’indemnisation du préjudice subi du fait des attaques ayant donné lieu à l’octroi de la protection fonctionnelle, était entaché d’une erreur de droit :

« 17. Contrairement à ce que soutient la commune de C..., ces dispositions sont susceptibles de s'appliquer à une instance tendant à voir engager, devant le juge administratif, la responsabilité de la collectivité qui emploie l'agent bénéficiaire. D... suite, en refusant de faire droit à la demande de Mme A... qui sollicitait le bénéfice de la protection fonctionnelle afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis en raison de l'agression dont elle avait été victime le 21 mars 2017, au motif qu'elle ne tendait pas à la prise en charge de frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales, la commune a entaché sa décision d'une erreur de droit. Mme A... est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que, D... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 septembre 2018 D... laquelle la commune de C... a rejeté sa demande de prise en charge des frais d'avocat exposés aux fins d'engager la responsabilité de la commune ».

De la même façon, le tribunal administratif de Poitiers a pu considérer que les instances engagées devant les juridictions administratives devaient être prises en charge au titre de la protection fonctionnelle, et ce alors même qu’aucune procédure civile ou pénale n’avait été engagée par l’agent :

 « en n’incluant pas la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances juridictionnelles, notamment devant les juridictions administratives, l’administration a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation, nonobstant la circonstance que le requérant n’ait pas souhaité engager de procédure pénale » [4]

Ce raisonnement a très récemment été confirmé par le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris, dans des termes particulièrement explicites :

« 6. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5, le bénéfice de la protection fonctionnelle que l'administration est tenue d'accorder à son agent doit être regardé comme valant pour toutes les démarches et actions contentieuses que cet agent peut être conduit à effectuer, devant quelque ordre juridictionnel que ce soit et pour toutes les phases ou stades de la procédure, incluant la première instance et les voies de recours, de sorte que l'autorité administrative n'est pas tenue de réitérer son octroi pour chacune de ces phases, afin d'obtenir la réparation des menaces et violences qu'il a subies dans l'exercice de ses fonctions. Par suite et dès lors que la Cour a retenu, par son arrêt précité devenu définitif, que M. B... devait être regardé comme apportant un faisceau d'indices suffisamment probants pour permettre de considérer comme au moins plausible le harcèlement moral dont il s'est dit victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques, la protection fonctionnelle qui doit lui être accordée en exécution de l'injonction mentionnée au point 4 comprend nécessairement l'ensemble des actions contentieuses relatives à ce harcèlement » [5].

Ainsi, le juge administratif a pu admettre que tous types de procédures administratives, disposant d’un lien effectif avec la demande de protection fonctionnelle initiale pouvaient être pris en charge par l’administration, telle qu’une procédure contentieuse de reconnaissance d’un accident de travail (TA Nantes, 9 novembre 2022, n° 1810496 N° Lexbase : A30668SD) ou bien d’une procédure indemnitaire en réparation des préjudices subis.

La jurisprudence a en effet pu considérer que les dispositions relatives à la protection fonctionnelle établissaient « à la charge de l’administration une obligation de protection de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent est exposé, mais également d’assurer à celui-ci, une réparation adéquate des torts qu’il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l’administration à assister son agent dans l’exercice des poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour se défendre » [6].

La jurisprudence a en ce sens pu estimer que les dispositions relatives à la protection fonctionnelle « sont susceptibles de s’appliquer à une instance tendant à voir engager, devant le juge administratif, la responsabilité de la collectivité qui emploie l’agent bénéficiaire » [7] notamment lorsqu’il est question d’obtenir l’indemnisation des préjudices subis par l’agent en raison de l’attaque dont il a été victime et au titre de laquelle la protection fonctionnelle lui a été reconnue.

Toutefois, un doute persistait, en raison des dispositions du décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 qui ne garantissaient qu’une prise en charge des frais « devant les instances civiles et pénales », et de jurisprudences parfois contradictoires.

En effet, dans une ordonnance du 13 juin 2024, la cour administrative d'appel de Paris avait récemment rejeté la demande de provision d'un agent bénéficiant de la protection fonctionnelle pour prendre en charge des frais découlant d'un litige porté devant une juridiction administrative, en considérant que cette institution ne saurait être regardée comme une instance civile ou pénale [8].

C’est dans ces circonstances, et suivant le pourvoi en cassation à l’encontre de cette ordonnance rendue par la cour administrative d’appel de Paris, que l’arrêt de la haute juridiction administrative est intervenu, pour trancher la question.

Dans cette affaire, un professeur avait dénoncé une situation de harcèlement moral au sein de son établissement, et avait sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, qui lui avait été attribué par l’établissement dans lequel l’agent était affecté. Le requérant avait alors engagé des frais d’avocat dans le cadre d’une procédure pénale, mais aussi dans le cadre de procédures administratives précontentieuses et contentieuses. En conséquence, l’agent a sollicité auprès du juge des référés une provision, au titre de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2548AQG, pour les frais engagés pour la défense de ses intérêts.

Si le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris a cependant annulé l’ordonnance rendue en première instance.

L’agent a donc fait le choix de se pourvoir en cassation, et de saisir le Conseil d’État.

C’est ainsi que dans son arrêt du 7 février 2025, le Conseil d’État a eu l’occasion, en désavouant le juge d’appel, de confirmer que les frais exposés par un agent devant les juridictions administratives devaient être pris en charge au titre de la protection fonctionnelle :

«  l’instance engagée par un agent devant une juridiction administrative, relative à des faits ouvrant droit au bénéfice de la protection fonctionnelle doit être regardée comme entrant dans les prévisions de l’article L. 134-12 du code général de la fonction publique et du décret du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit pris pour son application, dont les dispositions sont désormais codifiées aux articles R. 134-1 et suivants de ce même code. Dès lors, en jugeant que ces dispositions faisaient obstacle à ce que les frais d’avocat exposés par M. B devant les juridictions administratives puissent être pris en charge par l’Etat au titre de la protection fonctionnelle, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ».

Grâce à la clarification du Conseil d’État, il est dorénavant établi que les agents publics pourront demander la prise en charge de leurs frais d’instance devant les juridictions administratives dans le cadre de la protection fonctionnelle octroyée par leur administration.

À retenir :

  • L’octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle à un agent public ouvre le droit à la prise en charge, par son administration, des frais relatifs aux procédures judiciaires diligentées dans le cadre de sa défense, dès lors qu’elles se rattachent aux faits ayant ouvert le droit à la protection fonctionnelle.
  • Si les textes prévoient la prise en charge des frais d’instance devant les « instances civiles et pénales », le Conseil d’État est venu confirmer que cette notion comprenait aussi les juridictions administratives.

[1] CGFP, art. L. 134-5 N° Lexbase : L5809MBR.

[2] CGFP, art. L. 134-2 N° Lexbase : L5806MBN.

[3] CAA Paris, 7 juin 2022, n° 21PA02396 N° Lexbase : A05787ZG.

[4] TA Poitiers, 6 février 2023, n° 2100996 N° Lexbase : A10019G8.

[5] CAA Paris, 4 octobre 2024, n° 24PA01236 N° Lexbase : A430658Y.

[6] CAA Paris, 7 juin 2022, n° 21PA02396 N° Lexbase : A05787ZG ; voir aussi TA Nantes, 9 novembre 2022, n° 1810496 N° Lexbase : A30668SD.

[7] CAA Paris, 7 juin 2022, n° 21PA02396.

[8] CAA Paris, 13 juin 2024, n° 20PA01673 N° Lexbase : A57174GT.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Observations] L’assujettissement des organismes publics à la TVA

Lecture: 5 min

N1522B3R

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par Ludovic Lombard, Docteur en droit, Consultant en gestion de services publics, cabinet COGITE

Le 06 Mars 2025

À l’image des autres impôts économiques tels que l’impôt sur les sociétés, la TVA est applicable aux organismes publics selon un équilibre parfois délicat entre leurs missions d’intérêt général et une logique de marché. L’arbitrage est d’autant plus hésitant que l’identification de la mission d’intérêt général ou de la logique de marché résulte d’une appréciation au cas par cas par le juge.

Ainsi, la jurisprudence, à l’instar de la jurisprudence européenne, précise régulièrement et systématiquement désormais que « le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévue en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de de l'article 13 de la « Directive TVA » du 28 novembre 2006, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance » [1].

Cette jurisprudence établie reprend les principes posés par la Cour de Justice de l’Union européenne et synthétisés dans la décision « Saudaçor » du 29 octobre 2015, que les différentes décisions des juridictions françaises reprennent dans le corps des décisions.

Il s’agit d’abord de l’interprétation donnée à l’exercice d’une activité en tant qu’autorité publique. Sont concernées les activités exercées « dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public » [2].

Il s’agit ensuite de s’assurer que le non-assujettissement à la TVA n’entraîne pas de distorsion de concurrence. Cette condition est appréciée « par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle ». L’examen de la concurrence peut s’appuyer sur des fondements théoriques divers, parfois incompatibles. La solution dégagée par la jurisprudence européenne est en conséquence équilibrée bien que parfois contradictoire dans ses objectifs [3]. Ainsi, la concurrence doit être examinée en fonction de l’activité en tant que telle d’une part, mais d’autre part, en fonction de la possibilité « d’entrer sur un marché pertinent » [4]. Surtout, le juge examine les conditions d’exploitation de l’activité pour déterminer le niveau des distorsions de concurrence [5].

L’examen au cas par cas des situations entraîne une jurisprudence relativement nourrie sur le sujet, bien que certaines situations récurrentes permettent d’établir une relative stabilité dans l’appréciation de l’assujettissement à la TVA des organismes publics.

Il est désormais admis que les organismes publics agissent en tant qu’autorité publique lorsqu’ils délivrent des autorisations d’occupation du domaine public. Et dans la mesure où elles sont les seules à pouvoir octroyer ce type de titre, elles n’entrent pas en concurrence avec des entreprises privées. Dès lors, elles ne sont pas assujetties à la TVA sur les redevances d’occupation du domaine public qu’elles perçoivent. Ainsi, dans sa décision du 17 octobre 2024, la CAA de Nancy s’inscrit dans ce courant en reconnaissant que le Port autonome de Strasbourg, établissement public administratif, n’est pas assujetti à la TVA pour les redevances qu’il perçoit au titre des conventions d’occupation du domaine public ayant pour objet le stationnement sur le plan d’eau et la mise à disposition des installations techniques à quai [6].

Il est également admis qu’un syndicat mixte exerce son activité dans le cadre d’un régime juridique propre aux personnes morales de droit public, donc en qualité d’autorité publique [7]. Toutefois, dès lors que ce syndicat mixte exploite une base de loisir dans les mêmes conditions qu’une entreprise privée, sans qu’il ne soit apporté la preuve que cette activité est exploitée en accordant des tarifs préférentiels à certains publics par exemple, alors il doit être assujetti à la TVA pour cette activité.

Bien que l’application du régime de TVA soit relativement stabilisée désormais, il arrive que des décisions surprenantes à première vue puissent être prises par les juges du fond. C’est ainsi que le tribunal administratif de Paris, dans sa décision du 22 octobre 2024 [8], a admis que la Région Bretagne n’était pas assujettie à la TVA au titre des redevances perçues dans le cadre d’une délégation de service public.

Le juge procède à une analyse classique, d’abord en examinant si la Région agit en qualité d’autorité publique, puis en appréciant les distorsions de concurrence en cas de non-assujettissement à la TVA. Il en déduit que la Région ne doit pas être assujettie. Cette solution peut apparaître surprenante dans la mesure où, selon le bulletin officiel des finances publiques, « lorsqu'une collectivité territoriale confie l'exploitation d'un service à un tiers, la mise à disposition à titre onéreux des investissements que la collectivité a réalisés est constitutive d'une activité économique imposable. Par conséquent, la redevance d'affermage qui lui est versée par son délégataire en contrepartie de cette mise à disposition est soumise à la TVA » [9].

Ces exemples jurisprudentiels tendent à démontrer que si la jurisprudence en matière d’assujettissement à la TVA des organismes publics semble aujourd’hui stabilisée, l’appréciation au cas par cas qui en résulte peut se révéler source d’insécurité juridique pour ces organismes.

 

[1] CE 9° et 10° ch.-r., 7 avril 2023, n° 463241, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A29809NP.

[2] CAA Nancy, 17 octobre 2024, n° 23NC03772 N° Lexbase : A69886BG.

[3] Sur une appréciation de cette formulation, L. Lombard, Retour sur l’assujettissement à la TVA des collectivités territoriales, Lexbase Fiscal, septembre 2021, n° 875 N° Lexbase : N8552BYE.

[4] CAA Paris, 22 novembre 2024, n° 23PA02763 N° Lexbase : A28226KQ.

[5] CAA Paris, 22 novembre 2024, n° 23PA02763.

[6] CAA Nancy, 17 octobre 2024, n° 23NC03772 N° Lexbase : A69886BG.

[7] CAA Paris, 22 novembre 2024, n° 23PA02763.

[8] TA Paris, 22 octobre 2024, n° 2226121 N° Lexbase : A63856CH.  

[9] BOI-TVA-CHAMP-10-20-10-10 §93 N° Lexbase : X4532ALG.

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Voies d'exécution

[Observations] Constat internet : liens profonds et autres complications

Réf. : TJ Paris, 3ème chambre, 1ère section, 23 janvier 2025, n° 22/03006 N° Lexbase : A20936SC

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N1807B3C

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par Sébastien Racine, commissaire de justice à Paris

Le 06 Mars 2025

Mots clés : droit des marques • parasitisme • constat • commissaire de justice • liens profonds • horodatage des captures d’écran.

En matière de procès-verbal de constat, la méthode et la forme sont deux exigences de premier plan pour tout professionnel de la preuve qui souhaite voir ses constatations revêtues d’une force probante peu contestable. La matière des constatations sur internet, loin de déroger à cette affirmation, y donne au contraire un écho particulièrement strict, soumettant le procès-verbal de constat à un contrôle minutieux. C’est ce que la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris est venue nous rappeler dans une matière particulièrement friande de constat internet, à savoir la propriété intellectuelle.


 

La décision du 23 janvier 2025 rendue par la 3ème chambre, 1ère section, du tribunal judiciaire de Paris concerne un litige relativement courant entre deux sociétés dans le domaine du droit des marques. D’un côté, la société suisse Swixim International, qui a développé un réseau international de professionnels de l’immobilier (agents et courtiers) dans plusieurs pays, dont la Suisse et la France, dans le cadre juridique de la franchise. La société Swixim France Développement (Swixim France) est licenciée exclusive des marques déposées par Swixim International sur le territoire français, notamment la marque française SWIXIM (n° 3340406) et la marque semi-figurative de l’Union européenne (n° 6316574).

De l’autre côté, la société Suisse Immo a mis en place un réseau de professionnels de l’immobilier, constitué d’agences physiques et d’agents mandataires, sous la dénomination Suisse Immo, qu’elle a étendu sous forme de franchises dans plusieurs départements français. À ce titre, Suisse Immo est titulaire des marques françaises semi-figurative (n° 4372113) et verbale Suisse Immo (n° 4504295).

Comme souvent dans ce secteur, les deux sociétés exploitent chacune un site internet pour leurs activités commerciales. C’est à cette occasion que Swixim France a reproché à la société Suisse Immo de reproduire son nom ainsi que son logo dans des annonces immobilières publiées sur les sites « suisse-immo.fr » et « suisse-immo-besançon.fr ». Pour préserver ses droits, Swixim France a fait appel à un commissaire de justice pour dresser un procès-verbal de constat portant sur cette utilisation qu’elle considère comme illicite.

Outre la question de la contrefaçon, le principal intérêt de cette décision réside dans le traitement de la preuve, à savoir le procès-verbal de constat établi sur Internet. En effet, ce constat a été privé de toute force probante et a été écarté des débats. Cette sanction [1] s’inscrit dans une logique cohérente et mérite d’être saluée.

Cependant, les raisons ayant conduit à cette privation de force probante méritent une analyse plus approfondie et nuancée. La décision repose sur une approche méthodologique dans l’appréciation de la validité du constat, en vérifiant dans un premier temps la bonne application du protocole prétorien préalable aux constatations. Après cette vérification, le tribunal se penche successivement sur la question de l’utilisation des liens profonds et sur celle de l’horodatage des captures d’écran.

À la lecture de cette décision, une interrogation se pose sur la portée de celle-ci, notamment en ce qui concerne la création de nouvelles contraintes techniques, méthodologiques et formelles à la charge du commissaire de justice dans l’exercice de sa mission de constatation.

Ainsi, il apparaît pertinent d’analyser dans un premier temps l’exigence du protocole prétorien et son impact sur la question de l’horodatage (I). Dans un second temps, il convient d’aborder la pratique des liens profonds, dont la prohibition doit être nuancée (II).

I. Protocole prétorien et horodatage, lien étroit

La jurisprudence et la doctrine ont établi, au fil du temps, une hiérarchie dans les règles dites de prérequis techniques, considérées comme nécessaires pour garantir l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité des constatations dressées par un commissaire de justice sur Internet. La décision de la troisième chambre ne déroge pas à ce courant (A). Cependant, elle semble vouloir limiter leur portée pourtant bien établi en sanctionnant l’absence d’horodatage des captures d’écran (B).

A. Prééminence du protocole prétorien

Pendant plusieurs années, la norme AFNOR NF Z67-147 de septembre 2010 fut considérée comme une exigence incontournable et obligatoire, tant par la doctrine que par la jurisprudence. Cependant, ce courant s’est finalement inversé sous l’impulsion de la jurisprudence, qui a estimé qu’elle ne pouvait avoir une force contraignante [2]. La conséquence fut la mise en avant d’un protocole prétorien, au fil des décisions de justice. Ce protocole, plus pragmatique, a relégué la norme AFNOR au statut de simple recueil de bonnes pratiques [3].

L’objectif de ces vérifications techniques préalables est rappelé par la décision qui souligne que « garantir la fiabilité et la force probante des constatations sur Internet ».

Le contenu du protocole [4] est rappelé par la décision comme suit « il appartient au commissaire de justice instrumentaire de procéder à la description du matériel ayant servi aux constatations, de mentionner l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux opérations de constat, de s’assurer d’une connexion directe entre l’ordinateur et le site visité, de vider la mémoire cache du navigateur préalablement à l’ensemble des constatations, de supprimer l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur ainsi que les cookies et l’historique de navigation ». Il y est également ajouté « Il a en outre décrit dans le corps du procès-verbal les diligences opérées relativement […] à la synchronisation de la date et de l’horloge de l’ordinateur […]. »

Il ressort de ces vérifications que le commissaire de justice doit s’assurer de la maîtrise technique de l’outil servant à ces constatations. En outre, il doit également s’assurer qu’aucun élément sur l’ordinateur n’est de nature à altérer le contenu des pages visitées au cours de sa navigation. Sur ce point, la décision confirme que le procès-verbal est conforme aux règles en vigueur.

B. L’horodatage, obligatoire ou opportun ?

Parmi les vérifications réalisées dans le cadre du constat attaqué, il est indiqué que la synchronisation de la date et de l’heure a été effectuée préalablement et constatée.

Cette vérification préalable permet deux choses : garantir la précision de l’heure de l’ordinateur et acter le début des opérations de constatation.

Dans les faits, la mention de l’heure n’est pas obligatoire. Elle n’est à ce titre pas visée par l’article 648 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6811H7E. À ce titre, il semble opportun de rappeler que ces mentions présentes dans le procès-verbal de constat font foi jusqu’à inscription de faux. Pour autant, la mention de l’heure est parfois requise dans certains actes de procédure comme le procès-verbal de saisie-attribution. En tout état de cause, cette mention revêt de fait, au même titre que la date, une force authentique.

En matière de constat, la mention de l’heure s’avère parfois opportune, sans pour autant être obligatoire. En matière de tapage nocturne, par exemple, ou encore lors d’un constat de non-présentation d’enfant. À l’inverse, la mention de l’heure est indifférente, par exemple, en matière d’état des lieux.

Sa mention peut être directe, avec la mention aux côtés de la date de l’heure du début des constatations, ou indirecte, par exemple au moment de la vérification de la bonne synchronisation des dates et heures de l’ordinateur, ou alors lorsqu’elle apparaît sur les captures d’écran englobant la barre des tâches. En revanche, l’horodatage des captures d’écran n’est pas une obligation, même si, dans certains cas, elle peut être opportune, voire nécessaire pour rendre les constatations utiles.

Dans le cas d’espèce, il n’est pas fait mention d’une absence de date, et il est indiqué que la vérification de la synchronisation de la date et de l’heure de l’ordinateur préalablement aux constatations a été réalisée. Il ressort donc des affirmations du magistrat que la date de début des opérations de constatation est connue. En conséquence, l’affirmation du magistrat selon laquelle « les captures d’écran des pages internet annexées au procès-verbal ne comportent ni date ni heure, ce qui ne garantit pas que les pages étaient accessibles au jour du constat » semble de prime abord contradictoire, et doit, à notre sens, être nuancée. En effet, l’indication des dates et heures des constatations remplit ce rôle.

De plus, cette affirmation en paragraphe numéro 35 de la décision fait suite à la mention du paragraphe précédent qui vise la présence dans le constat de captures d’écran annexées, sans qu’il en soit pour autant fait mention par le commissaire de justice. Ces captures d’écran ne semblent pas s’intégrer dans les constatations réalisées par le commissaire de justice, de sorte qu’elles ne bénéficient pas de la date du procès-verbal de constat. Il est important de préciser que, si ces documents sont ceux du requérant et servent à soutenir les constatations du commissaire, leur horodatage peut présenter un intérêt formel, bien que l’ajout de ces éléments au constat ne leur confère aucune force probante, puisqu’ils n’ont pas été constatés personnellement par le commissaire de justice.

Il ne nous semble donc pas qu’une règle de principe soit ici établie, de sorte que l’exigence d’horodatage concernerait ici les éléments annexés au procès-verbal non constatés par le commissaire de justice personnellement.

Il est enfin important de rappeler que, en ce qui concerne le rapport au temps, les constatations sont parfois transportées dans le passé. Ainsi, il a été reconnu à plusieurs reprises la validité des constatations sur des sites comme Webarchive, qui ont pour particularité de présenter des pages dans leurs versions antérieures. Dans ce cas précis, l’horodatage de la capture d’écran ne semble pas déterminant.

II. Lien profond, bon et mauvais usages

Lors de la réalisation d’un constat, la clarté et la précision des opérations et manipulations réalisées par le commissaire de justice sont la clé. Lorsque l’on souhaite accéder à une page, l’utilisation d’un lien profond est souvent considérée comme un raccourci malvenu. C’est la raison pour laquelle on lui préfère la navigation détaillée dite correspondant à celle de l’internaute moyen.

Cependant, une sanction absolue de l’utilisation d’un lien profond semble peu opportune et dangereuse (A). En revanche, la clarté des opérations de navigation réalisées par le commissaire de justice demeure une exigence absolue (B).

A. La prohibition de l’utilisation de lien profond, une sanction à nuancer

Le lien profond est une notion fréquemment utilisée dans le domaine du référencement. Il désigne un type d’URL de destination dans une annonce qui redirige les utilisateurs vers une page spécifique d’un site internet. L’intérêt de ce procédé est de guider directement l’utilisateur vers un contenu précis, sans qu’il ait à passer par une navigation parfois longue et fastidieuse sur le site.

L’utilisation de ces liens est devenue stratégique, notamment en termes de référencement. Par ailleurs, à notre époque où plus de 90 % du trafic internet provient des moteurs de recherche, dont la fonctionnalité principale est de proposer ces liens profonds sous différentes formes, reléguant aux oubliettes la navigation traditionnelle par saisie dans l’adresse URL du navigateur pour l’adresse d’un site internet.

Il est donc correct d’indiquer que le mode de navigation de l’internaute moyen est la navigation via les moteurs de recherche et donc les liens profonds.

Dans la pratique du constat internet, il est de plus en plus fréquent de passer volontairement par le moteur de recherche, afin notamment d’apporter la preuve d’une accessibilité accrue à la page concernée en raison de son référencement. En matière de droit des marques, et de parasitisme, c’est d’ailleurs une preuve qui semble incontournable à rapporter, quand la société qui s’estime lésée fait constater que l’utilisation de sa marque comme requête de recherche renvoie directement vers des liens d’un site concurrent, qu’ils soient normaux ou sponsorisés.

Notre cas d’espèce est clairement différent puisque le commissaire de justice a procédé à la visite de pages internet en saisissant directement l’adresse URL de la page concernée. Si le magistrat ne fait pas de distinction entre l’utilisation d’un lien profond - qui est par nature cliquable - et la saisie directe de l’URL dans le navigateur, il sanctionne le constat dans la mesure où le procédé choisi pour la navigation n’est pas de nature à apporter la preuve de l’accessibilité de la page par l’internaute via une navigation classique, qu’il estime comme nécessaire pour cette affaire. S’il est vrai que cette preuve n’est pas apportée, il semble également juste d’indiquer que dans l’hypothèse où le commissaire de justice avait pris soin de passer par un moteur de recherche et un lien profond proposé, la solution aurait été différente.

Par ailleurs, cette décision semble occulter l’idée selon laquelle il est tout de même apporté la preuve de l’existence et du contenu de la page, et malgré tout d’une certaine accessibilité. En effet, des liens profonds peuvent perdurer, alors que la page n’est plus accessible via une navigation classique sur le site internet qui l’héberge. Ainsi, si le lien profond est actif et sa page de destination, par voie de conséquence, par exemple dans des campagnes de publicité, qu’il s’agisse de SMS, de réseaux sociaux ou de courriels.

B. L’exigence de clarté dans le constat, une obligation sans nuance

Notre rôle de « constatant » fait de nous un auxiliaire de justice au service du magistrat. Nous lui prêtons nos sens pour procéder à des constatations matérielles, et nous lui restituons ensuite de la manière la plus pure et exacte qui soit. L’idée est qu’en lisant nos procès-verbaux, les magistrats soient à même de ressentir ce que l’on ressent, entendre ce que l’on entend, et voir ce que l’on voit.

La rédaction de nos procès-verbaux doit donc faire l’objet d’un soin particulier, et nécessairement s’adapter dans son contenu à la preuve que l’on souhaite rapporter. Cela signifie aussi que, comme nous l’avons vu précédemment, la méthode doit être adaptée et ciblée sur l’objectif probatoire.

Ce qui ressort finalement de la décision, c’est que l’absence de clarté et de précision dans la rédaction du procès-verbal est fautive. Cela n’est pas critiquable, car les constatations doivent être suffisamment claires et précises pour bénéficier de la pleine confiance du magistrat. Il est important de rappeler que la description détaillée des opérations de navigation effectuées lors des constatations est tout aussi essentielle que le contenu des captures d’écran, car elle permet au magistrat de comprendre et d’apprécier l’accessibilité du contenu litigieux. La sanction de l’utilisation du lien profond, ou le problème de l’horodatage auraient été évités par une rédaction moins lapidaire et correspondant au standard de la profession en la matière.

C’est, à notre sens, la somme d’inexactitudes et de lacunes visibles dans le procès-verbal de constat que le magistrat sanctionne. Il semble donc important de ne pas décontextualiser les réflexions du magistrat, qui sont un faisceau d’éléments qui, pris dans leur ensemble, vident le procès-verbal de son âme, de sa substance et de sa force probante.


[1] S. Dorol, La dévaluation, nouvelle sanction du constat Internet imparfait ? Procédures, 2016, ét. 12

[2] CE, 28 juillet 2017, n° 402752, inédit N° Lexbase : A0686WQH.

[3] CA Caen, 14 janvier 2016, n° 14/01620, inédit N° Lexbase : A6952N3U ; CA Lyon, 28 novembre 2013, n° 12/01964, inédit ; CA Paris, 27 février 2013, n° 11/11785, inédit N° Lexbase : A6456I8M.

[4] V. sur ce point : A. Bobant et E. A. Caprioli, Le constat en ligne par l’huissier de justice, Dr et proc., 2007, p. 192.

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