Le Quotidien du 26 février 2025

Le Quotidien

Contrats et obligations

[Commentaire] L’absence de mandat écrit ne remet pas en cause l’action directe en paiement du vendeur d’espaces publicitaires à l’égard de l’annonceur

Réf. : Cass. com., 29 janvier 2025, n° 23-19.341, F-B N° Lexbase : A38956S3

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N1746B33

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par Aurélie Dardenne, Maître de conférences, Université de Lorraine

Le 14 Mars 2025

Mots-clés : contrats spéciaux • contrat de mandat • vente d’espace publicitaire • annonceur • action directe en paiement • loi « Sapin »

Par un arrêt en date du 29 janvier 2025, promis aux honneurs du Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur les exigences du contrat de mandat dans le cadre des opérations d’achats d’espaces publicitaires. Cette décision mérite une attention particulière dans la mesure où elle combine les règles de différents contrats spéciaux à savoir le contrat de mandat et la vente d’espaces publicitaires.

En outre, elle apporte des éclaircissements bienvenus sur l’application de la loi du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et notamment sur la portée du formalisme du contrat de mandat dans la situation particulière de ventes d’espaces publicitaires.


 

Les faits de l’espèce sont relativement simples. Un groupement d’intérêt économique, GIE, agissant en qualité de mandataire de trois sociétés spécialisées dans le domaine de la publicité en matière de transports en commun, a conclu deux contrats de vente d’espaces publicitaires avec la société Agence OA, agissant elle-même en qualité de mandataire de l’annonceur. Cette dernière a agi en paiement contre son contractant mais n’a pas obtenu satisfaction. Le GIE a alors directement porté une action à l’encontre de l’annonceur afin d’obtenir le règlement des prestations réalisées.

Cette demande en paiement a été rejetée par la cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 26 mai 2023, au motif que l’article 20 de la loi n° 92-122 du 29 janvier 1993 N° Lexbase : L8653AGL exige que le mandat dans le cadre de ventes d’espace publicitaires soit conclu par écrit. En l’espèce, les juges ont estimé qu’en ne rapportant pas l’existence d’un contrat écrit entre l’intermédiaire, à savoir la société Agence OA, et l’annonceur, le GIE n’établissait pas l’existence de sa créance. Dès lors, sa demande en paiement devait être refusée puisque la situation était en contradiction avec les dispositions impératives de la loi du 29 janvier 1993 s’appliquant au cas particulier des contrats de mandat souscrits dans le cadre d’une opération globale d’achat d’espaces publicitaires.

Il convient de relever que ce débat en apparence théorique masque l’application pratique d’une action directe entre le vendeur d’espaces publicitaires et l’annonceur.

Le GIE se pourvoit en cassation en invoquant la contrariété de la décision d’appel avec les articles 1984 N° Lexbase : L2207ABD et 1998 N° Lexbase : L2221ABU du Code civil, relatifs à la formation et à l’exécution du contrat de mandat. De manière plus précise, le GIE avance l’argument selon lequel l’établissement de l’existence de sa créance, et corrélativement la preuve du contrat de mandat unissant l’intermédiaire et l’annonceur, peut être faite par tout moyen.

Par un raisonnement fondé à la fois sur le droit commun du mandat et le droit spécial en matière de vente d’espaces publicitaires, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Au visa des articles 20 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, 1984 et 1998 du Code civil, elle considère que le vendeur d’espaces publicitaires bénéficie d’une action directe en paiement contre l’annonceur s’il justifie du principe de sa créance et des pouvoirs du mandataire sans qu’une telle exigence ne lui impose de rapporter la preuve écrite du contrat de mandat entre ce dernier et l’intermédiaire.

La décision commentée présente un intérêt en consacrant l’existence d’une action directe en paiement entre le vendeur d’espaces publicitaires et l’annonceur (I), et en affinant les conditions d’application de cette action notamment au regard de la preuve (II).

I. La consécration d’une action directe en paiement entre le vendeur d’espaces publicitaires et l’annonceur

Dans un premier temps, les juges de la Cour de cassation rappellent la faculté pour le vendeur d’espaces publicitaires de mettre en œuvre une action directe en paiement à l’égard de l’annonceur. Mécanisme contraire à l’effet relatif des contrats, l’action directe en paiement en matière de ventes d’espaces publicitaires trouve son fondement dans la loi du 29 janvier 1993 (A). Elle a par ailleurs d’ores et déjà admis en jurisprudence (B).

A. L’action directe fondée sur la loi du 29 janvier 1993

L’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 prévoit que la facturation effectuée par le vendeur d’espaces publicitaires doit être établie à l’égard de l’annonceur quand bien même l’achat d’espaces ou de services publicitaires ne serait pas « directement par l'annonceur au vendeur ». Le texte légal souvent perçu comme étant lacunaire [1] n’envisage aucune règle particulière quant aux modalités de paiement.

En pratique, deux situations particulières peuvent se retrouver : l’annonceur a la possibilité de s’exécuter directement en payant le vendeur d’espaces publicitaires, ou alors c’est l’agence de publicité qui est tenue de procéder au paiement en vertu du contrat de mandat. Cette seconde faculté est communément admise tant par la doctrine [2] que par la jurisprudence [3].

En tout état de cause, seul l’annonceur reste débiteur du paiement du prix. En effet, l’absence de caractère libératoire du paiement effectué par l’annonceur entre les mains de l’agence a été consacrée en jurisprudence dans la situation particulière de défaillance de l’intermédiaire. Dans plusieurs arrêts, il a été ainsi reconnu que si l’annonceur s’est exécuté auprès de l’agence et que par la suite celle-ci n’effectue pas le paiement dû à l’égard du vendeur, l’annonceur est tenu de payer une seconde fois [4].

En ce sens, confier l’exécution du paiement à l’agence de publicité par le biais du mandat présente un risque pour l’annonceur. Ce dernier, étant considéré comme débiteur final du paiement du prix du service, s’expose à devoir régler deux fois la prestation en cas d’inexécution de l’agence de publicité.

Dès lors, ce statut de débiteur final reconnu à l’annonceur justifie la possible mise en place d’une action directe entre le vendeur et celui-ci.

En l’espèce, il est fait état d’une impossibilité pour l’agence intermédiaire d’obtenir le paiement de la créance à l’égard de l’annonceur. En effet, cette dernière avait agi en paiement auprès du débiteur final sans obtenir le succès escompté. Dès lors, en l’absence d’exécution, c’est le GIE qui a entrepris de solliciter le paiement directement auprès de l’annonceur, usant ainsi de l’action directe susmentionnée.

Or, ce n’est pas tellement la mise en œuvre de cette action qui a entraîné le rejet de la demande par les juges du fond mais davantage des questions d’ordre probatoire. Dès lors, force est de constater que l’action directe en paiement dans cette situation particulière de contrat de vente d’espaces publicitaires est ancrée dans la pratique et approuvée par la jurisprudence. La décision commentée s’inscrit d’ailleurs dans un courant jurisprudentiel où cette faculté a été à plusieurs reprises mise en lumière.

B. Un arrêt reprenant une solution établie en jurisprudence

De manière occasionnelle la jurisprudence a eu à se prononcer sur l’admission de cette action directe et en a consacré le principe.

Ce sont d’abord les juges du fond qui ont admis une action directe en paiement exercée dans l’hypothèse où l’annonceur s’était d’ores et déjà acquitté du paiement entre les mains de l’agence, tombée par la suite en procédure collective [5]. Ce jugement illustre parfaitement le risque susmentionné de double paiement, et invite par conséquent l’annonceur à s’acquitter directement de sa dette à l’égard du créancier originaire.

Dans un second temps, c’est à la Cour de cassation qu’est revenue la possibilité de consacrer l’action directe en paiement entre l’annonceur et le vendeur d’espaces publicitaires [6]. Les faits en cause étaient relativement proches de ceux de l’espèce précédemment mentionnée, à savoir un annonceur avait donné mandat à une agence publicitaire pour qu’elle conclut en son nom et pour son compte des contrats d’achats d’espaces publicitaires. L’annonceur s’était acquitté de son obligation de paiement auprès de l’agence intermédiaire qui s’était quant à elle placée en défaut à l’égard du vendeur. Ce dernier agissait en paiement de sa créance à l’égard du débiteur initial. Cette faculté lui avait été refusée par la cour d’appel de Versailles qui invoquait le fait que le vendeur avait transmis sa facture à l’agence intermédiaire et non à l’annonceur, contrairement à ce qui est prévu par l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993. De ce fait, il perdait automatiquement le droit de demander le paiement à ce dernier. Ce raisonnement est censuré par les hauts magistrats qui consacrent l’existence d’une action directe fondée sur le contrat de mandat liant l’annonceur et l’agence. En outre, ces derniers considèrent également que le non-respect de l’obligation communiquer les factures à l’annonceur ne suffisait pas à faire obstacle à l’exercice de ladite action directe en paiement, conférant ainsi à cette dernière une large portée pratique.

La présente décision s’inscrit donc dans ce courant jurisprudentiel reconnaissant la mise en œuvre pratique de l’action directe en paiement fondée sur l’existence d’un contrat de mandat entre l’annonceur et l’intermédiaire. Cependant, l’arrêt commenté pose une difficulté supplémentaire ayant trait à la preuve dudit contrat fondant l’action directe.

II. La preuve du contrat de mandat entre l’intermédiaire et l’annonceur

Le second point suscitant un intérêt dans l’arrêt étudié porte sur les modalités de preuve du contrat de mandat conclu entre l’annonceur et l’intermédiaire. Si la loi du 29 janvier 1993 semble poser le principe d’un écrit, dont la portée pose question (A), la décision commentée s’en éloigne en considérant que la preuve de l’existence dudit contrat peut être faite par tout moyen (B).

A. Le principe d’un écrit formulé par l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993

L’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 pose un principe selon lequel le contrat de mandat accompagnant des opérations d’achats d’espaces publicitaires et liant l’annonceur à l’intermédiaire doit être passé par écrit. Ce contrat doit entre autres contenir certaines informations obligatoires, telles que la mention des prestations devant être effectuées par les parties et la rémunération du mandataire.

En revanche, le texte présente une lacune majeure puisqu’il ne fait point mention de la sanction applicable en cas de non-respect de cette exigence d’écrit. Certains auteurs ont rapidement admis que cette règle était imposée sous peine de nullité du contrat de mandat, faisant de ce dernier un contrat formaliste. Toutefois, aucune confirmation légale ou jurisprudentielle n’attestait d’une telle lecture.

C’est justement cette carence du texte qui était exploitée par les parties au litige. En effet, la contestation de la demande de paiement du GIE était fondée sur le fait que ce dernier se prévalait d’attestations de mandat et non d’un contrat établi par écrit entre l’annonceur et l’intermédiaire. En d’autres termes, en l’absence d’un tel écrit, il fallait considérer que le principe de lien contractuel entre ces deux parties était inexistant faisant échec à la mise en œuvre de l’action directe en paiement par le vendeur.

La Cour de cassation balaye sèchement cette argumentation en relevant que l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 n’impose aucunement les formalités susmentionnées à peine de nullité du contrat de mandat. Ainsi, la méconnaissance des exigences posées par cette disposition ne peut suffire à faire obstacle à l’action directe du vendeur à l’encontre de l’annonceur. Cette position se justifie essentiellement par le fait que les mentions imposées par ce texte portent essentiellement sur la rémunération[7] de l’intermédiaire. Dès lors, la portée de cet article doit être réduite à sa finalité première à savoir la protection de ce dernier. Comme le souligne un auteur, il ne saurait en être déduit des « conséquences trop importantes sur la validité de l’opération dans son intégralité » [8]. La Cour de cassation offre donc ici une lecture pragmatique de l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 qui doit être saluée.

Si la sanction en cas de non-respect des exigences posées par la loi du 29 janvier 1993 a pu être éclaircie par les Hauts magistrats, le raisonnement était encore à ce stade incomplet. En effet, il convenait de se prononcer sur les exigences probatoires.

B. L’affirmation de la preuve par tout moyen du contrat

Dans un second temps, afin de parfaire le raisonnement juridique, il incombait à la Cour de cassation de prendre position sur les modalités de preuve du contrat de mandat. Après avoir reconnu la validité de principe de ce dernier en dépit de l’inexistence d’un écrit, il était nécessaire d’expliciter les modalités de preuve attendues par le vendeur d’espaces publicitaires pour établir la réalité de la créance dont il se prévalait.

En se référant au droit commun du mandat, et plus particulièrement, aux articles 1984 et 1998 du Code civil, la Cour de cassation exige du vendeur d’espaces publicitaires qu’il rapporte une double preuve : celle de sa créance et celle du pouvoir du mandataire. Elle poursuit son raisonnement en déduisant de la jurisprudence constante qu’une telle preuve peut être établie par tout moyen [9].

Comme l’a souligné un auteur, cette position de la Cour de cassation n’a pas de quoi surprendre et se trouve être conforme au droit commun de la preuve [10]. En effet, il est admis en jurisprudence que lorsqu’une personne doit établir l’existence d’un acte juridique dont elle n’est pas partie, elle bénéficie de l’application du régime de liberté de la preuve [11]. Ce principe résulte du fait que la preuve des faits juridiques est libre tandis que la preuve des actes juridiques est légale [12]. Or, pour le tiers à un contrat, ledit contrat constitue un fait juridique et non un acte [13]. En l’occurrence, dans le cas d’espèce, le GIE n’étant pas partie au contrat de mandat, établir l’existence de ce dernier revient à prouver un fait juridique. Dès lors, la solution retenue est conforme à la logique juridique. Elle est également satisfaisante d’un point de vue pratique dans la mesure où il se sera souvent compliqué pour le tiers à un contrat d’obtenir un écrit de celui-ci.

En l’espèce, le GIE entendait prouver l’existence de sa créance et les pouvoirs du mandataire par le biais d’attestations de mandat, ce qui paraît acceptable au vu des exigences posées par la Cour de cassation dans la présente décision, un tel document permettant à la fois d’établir l’existence de la créance et les pouvoirs du mandataire.

La solution mérite d’être saluée dans la mesure où elle est conforme aux impératifs de simplicité et de célérité de la vie des affaires. En effet, en exigeant simplement du vendeur d’espaces publicitaires qu’il prouve le principe de sa créance et le pouvoir du mandataire, elle tend à faciliter l’exercice de l’action directe qui lui reconnue. Par voie de conséquence, elle permet de rendre efficace cette faculté et de favoriser le recouvrement de la créance du vendeur.

 

[1] E. Chevrier, Achat d'espace publicitaire : action directe contre l'annonceur, D. 2011, p. 2534, note sous Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-24.810, F-P+B N° Lexbase : A5958HYC.

[2] T. Hasser, Contrat de publicité, Rép. Com. Dalloz, janvier 2024, n° 136.

[3] CA Versailles, 4 février 1999, JCP E 1999, n° 26, p. 1129.

[4] CA Paris, 6 octobre 1995, n° 95/12665 N° Lexbase : A5929DH3, D. 1996. IR 268 ; RJ com. 1996. 156, obs. Hassler ; CA Versailles, 4 février 1999, JCP E 1999, n° 26, p. 1129.

[5] T. Com. Nanterre, 21 octobre 1992, RJ Com. 1993, p.160, note T. Hassler.

[6] Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-24.810, F-P+B N° Lexbase : A5958HYC.

[7] C. Hélaine, Des règles du mandat confrontées à la vente d’espaces publicitaires, Dalloz actualité 14 février 2025.

[8] C. Hélaine, préc.

[9] Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-19.825, FS-P+B N° Lexbase : A2225NKM, Dalloz actualité, 24 juin 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1588 , note A. Tehrani ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ fam. 2015. 414, obs. P. Hilt ; Cass. civ. 3, 3 octobre 2024, n° 23-13.242, F-D N° Lexbase : A927358X.

[10] C. Hélaine, préc.

[11] Cass. civ. 1, 25 novembre 1970, n° 69-10.893, publié au bulletin N° Lexbase : A9990CIT.

[12] A. Tehrani, La preuve, par le banquier dépositaire, de l'existence d'une procuration entre époux, D. 2015, p. 1588, obs. sous Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-19.825, FS-P+B N° Lexbase : A2225NKM.

[13] C. Hélaine, préc.

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Energie

[Jurisprudence] La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 230 de la loi de finances pour 2024 : une victoire judiciaire pour la filière solaire ? Non (fin du suspense)

Réf. : Cons. const.,décision n° 2024-1119/1125 QPC du 24 janvier 2025 N° Lexbase : A42216RR

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N1760B3L

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par Laura Descubes, avocate associée, spécialiste en droit de l’environnement et des énergies renouvelables et Olivier Bégué, avocat, Rivière Avocats Associés

Le 25 Février 2025

Parmi les actualités de ce début d’année pour la filière du solaire, il n’aura pas échappé aux professionnels de l’énergie la récente décision du 24 janvier 2025 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 230 de la loi du 29 décembre 2023, dite loi de finances pour 2024, qui prévoit le déplafonnement de la prime négative due par les producteurs d’électricité de source renouvelable à Électricité de France (ci-après EDF).

Sont concernés par cette décision les exploitants d’installations de production d’électricité à partir d’énergie renouvelable qui bénéficient d’un contrat offrant un complément de rémunération conclu avec EDF.

Il ressort de cette décision que le secteur de l’électricité, déjà marqué par la volatilité récurrente des prix spot, rencontre une situation d’instabilité qui confine les producteurs à l’insécurité juridique en ce qui concerne les montants du reversement dû par les producteurs à EDF à raison d’un prix de marché supérieur au tarif de référence.

À notre sens, les producteurs d’électricité – qui contribuent à la satisfaction des objectifs en matière de développement des énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre – mériteraient un meilleur équilibre entre la sécurité du soutien public qui leur est accordé et la nécessité de préserver les finances publiques.

La prime négative. – Pour mémoire, la situation juridique antérieure à la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023, de finances pour 2024 N° Lexbase : L9444MKY, était la suivante : lorsqu’un producteur d’électricité issue des énergies renouvelables concluait un contrat d’achat leur permettant de bénéficier d’un complément de rémunération dans les conditions prévues aux articles L. 314-18 N° Lexbase : L2976KGC et suivants ou à l’article L. 311-12 N° Lexbase : L1785MHL du Code de l’énergie, soit le producteur se voyait verser une prime lorsque le prix du marché auquel il vendait sa production était inférieur à un tarif de référence fixé par le contrat ou par arrêté, soit le producteur était redevable d’une prime, dite « prime négative » envers EDF. Cette dernière était due lorsque, au contraire, le tarif de référence était inférieur au prix du marché, et son montant correspondait à la différence entre ces deux prix. Ce reversement était toutefois plafonné à hauteur du montant total des aides perçues au titre du complément de rémunération depuis le début du contrat (article R. 314-49 du Code de l’énergie N° Lexbase : L0709MAI).  

Le prix seuil. – On rappellera que la saga du plafonnement - déplafonnement n’est pas nouvelle. Elle avait déjà donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel [1] qui avait déclaré contraires à la Constitution les dispositions prévoyant que, de manière rétroactive à compter du 1er janvier 2022, pour les contrats en cours qui intégraient un plafonnement du reversement de la prime négative à hauteur du montant total des aides perçues, le reversement dû à EDF n’était plus, dans certaines hypothèses, limité au montant total des aides perçues mais était calculé en fonction d’un prix seuil déterminé chaque année jusqu’à la fin du contrat, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie et du budget. Les Sages avaient en effet considéré qu’une telle modification des modalités contractuelles en cours d’exécution portait atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.

Un nouveau déplafonnement. – L’article 230 de loi de finances pour 2024 supprime ce plafonnement au « prix seuil » pour prévoir que, à compter du 1er janvier 2022, pour ces contrats « lorsque, pour un mois donné, la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l'intégralité de la somme correspondante pour l'énergie produite. Autrement dit, le producteur devient redevable de l’intégralité des sommes correspondant aux primes négatives sans les limiter au montant total des aides qu’il a perçues.

La décision du Conseil constitutionnel a l’air d’une victoire : les Sages jugent que les dispositions contestées portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues en affectant un élément essentiel de ces contrats. Mais elle n’en a que l’air.

En effet, d’abord, bien qu’il admette que les dispositions contestées ont pour effet de priver les producteurs d’électricité de tous les gains de marché dont ils auraient dû bénéficier à chaque fois que le prix de marché est supérieur au tarif de référence, il n’en reconnaît pas moins que le législateur était fondé à déplafonner la « prime négative » de façon rétroactive au nom de l’objectif d’intérêt général tendant à « corriger les effets d’aubaine dont ont bénéficié, dans un contexte de forte hausse des prix de l’électricité, les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d’atténuer l’effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final » (point 13 de la décision).

Ensuite, par le report dans le temps opéré par le Conseil constitutionnel, sa décision n’emporte pas de conséquences positives immédiates pour les exploitants d’installations solaires bénéficiant d’un contrat d’achat avec complément de rémunération.

Rappelons que deux options s’offraient au Conseil constitutionnel : abroger les dispositions jugées non constitutionnelles avec un effet immédiat, ou différer cette abrogation. En procédant à une abrogation immédiate, il aurait ouvert une aux producteurs titulaires de contrats de compléments de rémunération une opportunité de recours en contestation du montant des primes reversées à EDF OA, entraînant, selon lui, « des conséquences manifestement excessives » (point 19). Il a toutefois fait le choix de différer l’effet de sa décision d’inconstitutionnalité au 31 décembre 2025, « afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de [sa] déclaration d’inconstitutionnalité ».

Le Conseil constitutionnel ajoute qu’il appartient aux juridictions saisies de surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une nouvelle loi entre en vigueur ou jusqu’au 31 décembre 2025 au plus tard, « dans les procédures dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles » (point 20 de la décision). Il s’agit, notamment, des contentieux relatifs aux factures réglées ou à régler par les producteurs à EDF, dont le calcul inclut le reversement dû par les producteurs à EDF à raison d’un prix de marché supérieur au tarif de référence.

Une nouvelle loi est donc attendue par la filière, désormais rompue à l’insécurité juridique, en particulier celle du solaire, qui vient d’apprendre la volonté du gouvernement de réduire le soutien de la production d’électricité par les projets solaires d’une puissance inférieure à 500 kWc, de façon rétroactive au 1er février 2025, déstabilisant ainsi un segment du marché essentiel aux opérateurs PME, mais aussi au monde agricole.


[1] Cons. const., décision n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023 N° Lexbase : A48441P4.

newsid:491760

Procédure pénale/Détention provisoire

[Dépêches] Constitutionnalité du recours contre une mesure d’isolement dans le cadre de la détention provisoire

Réf. : Cons. const., décision n° 2024-1122 QPC, du 14 février 2025 N° Lexbase : A69046UA

Lecture: 2 min

N1750B39

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par Pauline Le Guen

Le 25 Février 2025

► Le Conseil constitutionnel déclare conforme l’article 145-4-1 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui, ne prévoyant pas un délai quant au recours pouvant être exercé contre la décision de placement à l’isolement d’une personne en détention provisoire, permet à l’intéressé de saisir à tout moment le président de la chambre de l'instruction (CHINS) de cette mesure qui, en l’absence de délai, doit toujours statuer dans un délai raisonnable, de sorte que le droit à un recours juridictionnel effectif est respecté.

Le Conseil constitutionnel était saisi par la Chambre criminelle d’une QPC relative à la conformité de l’article 145-4-1, alinéa 1er, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2700MCY, relatif au placement à l’isolement d’une personne en détention provisoire par le juge d’instruction. Le texte prévoit en effet que cette mesure « peut faire l’objet d’un recours devant le président de la chambre de l’instruction ». Il était alors reproché à ces dispositions de ne pas lui imposer de statuer dans un délai déterminé et de ne pas prévoir, à tout le moins, qu’il doit être statué sur ce recours à bref délai. 

Le Conseil constitutionnel déclare les dispositions litigieuses conformes à la Constitution. S’il est vrai que la loi ne fixe aucun délai au juge pour statuer sur le recours formé contre la décision de placement à l’isolement, il retient que la personne concernée peut saisir à tout moment le président de la CHINS aux fins d’obtenir la mainlevée de la mesure. Enfin, en l’absence de délai déterminé par la loi, le juge doit toujours statuer dans un délai raisonnable. Dès lors, le droit à un recours juridictionnel effectif n’est pas méconnu. 

newsid:491750

Vente d'immeubles

[Observations] Prescription : devoir de conseil & d’information du vendeur en EFA

Réf. : Cass. civ. 3, 13 février 2025, n° 23-15.846, FS-B N° Lexbase : A68666UT

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N1748B37

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 26 Février 2025

La garantie légale de non-conformité relève d’une disposition de droit spécial, qui prime donc sur le droit commun.

Parce que ces contrats portent, la plupart du temps, dans le domaine de l’habitation et qu’ils sont, souvent, conclus avec des personnes physiques accédantes à la propriété, les règles applicables à la VEFA sont, non seulement, strictes mais, encore, strictement appliquées. La présente espèce est l’occasion d’y revenir.

En l’espèce, par acte du 18 novembre 2015, à la suite d’un contrat de réservation, des accédants à la propriété ont acquis d’un promoteur un appartement et deux places de stationnement en l’état futur d’achèvement. Se plaignant de désordres et de non-conformités, ils sollicitent une expertise judiciaire et, à la suite du dépôt du rapport, assignent le promoteur et les constructeurs, au fond, en réparation de leurs préjudices.

La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 16 mars 2023, déclare leur demande irrecevable pour être forclose. Pour les conseillers, l’action tendant à la réparation du préjudice né du désordre lié à la modification en cours de travaux de la place de stationnement extérieure acquise, relève des dispositions d’ordre public des articles 1642-1 N° Lexbase : L8942IDK et 1648 N° Lexbase : L9212IDK du Code civil, exclusive du droit commun. Ils forment un pourvoi en cassation aux termes duquel ils exposent que :

  • l’action engagée par l’acquéreur fondée sur le défaut d’information lors de la conclusion du contrat de vente en l’état futur d’achèvement, imputé au vendeur qui aurait sciemment celé une modification survenue depuis la signature du contrat de réservation, de la consistance du bien vendu, relève de la responsabilité de droit commun ;
  • l’action ne consiste pas à remédier à une non-conformité apparente mais à sanctionner le défaut d’information.

Le pourvoi est rejeté.

La question de savoir ce qui relève des dispositions relatives au droit spécial des vices apparents est une question de fait qui relève du libre pouvoir d’appréciation des juges du fond.

Ils ont donc pu souverainement estimer que le préjudice résulte d’une non-conformité contractuelle d’un des lots découverte par les acquéreurs après la livraison et que la réparation de cette non-conformité apparente relève du droit spécial.

La solution est sévère.

La garantie légale de non-conformité consacrée par l’article 1642-1 du Code civil N° Lexbase : L8942IDK s’applique de manière exclusive, empêchant donc le recours à la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass. civ. 3, 3 juin 2015, n° 14-15.796, FS-P+B+I N° Lexbase : A9224NIH, Dalloz actualité, 12 juin 2015, obs. N. Kilgus).

Ce principe n’est pas contesté, pour autant, ce qui relève du vice apparent ou non aurait pu être plus souplement compris.

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