Le Quotidien du 3 février 2025

Le Quotidien

Avocats/Déontologie

[Textes] Du nouveau pour la discipline des avocats : le décret du 29 janvier 2025

Réf. : Décret n° 2025-77 du 29 janvier 2025, relatif à la déontologie et à la discipline des avocats N° Lexbase : L2496MSA

Lecture: 7 min

N1593B3E

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par Georges Teboul, avocat à la Cour

Le 04 Février 2025

Mots clés : déontogie • disciplinaire • droit de se taire • avocat • juridiction disciplinaire

Chacun sait que la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T, a modifié la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ, et particulièrement les avocats.

Ces nouvelles dispositions ont été mises en œuvre par le décret n° 2022-965 du 30 juin 2022 N° Lexbase : L2884MD8 qui a modifié le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L8168AID. Un nouveau décret n° 2025-77 du 29 janvier 2025 vient modifier ce dispositif d’une manière importante sur la déontologie et la discipline des avocats.

Le CNB avait établi des fiches pratiques très claires sur les nouvelles modifications auxquelles le lecteur sera invité à se reporter. Nous savons que la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat fait l’objet d’un envoi au Bâtonnier qui estime que cette réclamation lui paraît mériter une suite ou non.

Puis, le Bâtonnier (article 186-3 du décret de 1991) peut organiser une conciliation entre les parties dans un délai de trois mois à compter de la réception de la réclamation. Le Bâtonnier peut aussi, soit de sa propre initiative, soit à la demande du procureur général, soit sur la plainte de toute personne intéressée, procéder à une enquête sur le comportement d’un avocat, ce dont ce dernier doit bien entendu être avisé.

Le Bâtonnier désigne alors un ou plusieurs délégués. Cette enquête n’est d’ailleurs pas obligatoire. Puis, le Bâtonnier décide s’il y a lieu d’exercer une action disciplinaire. La juridiction disciplinaire est saisie par requête du Bâtonnier ou du procureur général, ou encore, par une requête de l’auteur de la réclamation. La requête doit contenir les mentions prescrites par l’article 57 du CPC N° Lexbase : L9288LT8.

La requête de l’auteur de la réclamation peut être rejetée par ordonnance motivée si celle-ci est estimée irrecevable, manifestement infondée ou si elle n’est pas assortie des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé. Cette ordonnance de rejet est susceptible de recours devant la cour d’appel.

Si la requête est acceptée, un rapporteur est désigné par le Conseil de l’Ordre. Le procureur général a aussi la possibilité de saisir directement la juridiction disciplinaire. Puis, l’instruction se déroule pendant un délai de 4 mois à compter de la désignation du rapporteur. Ce délai peut être prorogé de 4 mois.

Puis, l’avocat est convoqué devant la juridiction disciplinaire. L’avocat a la faculté de solliciter que l’audience soit présidée par un magistrat (article 22-3 de la loi du 31 décembre 1971) et l’auteur de la réclamation est évidemment informé de la date d’audience et de la faculté dont il dispose de demander à être entendu par la juridiction disciplinaire.

Il faut noter que la juridiction disciplinaire doit statuer dans un délai de 12 mois à compter de la demande. Ce délai peut être prorogé de 8 mois. En appel, la formation de jugement est composée de 3 magistrats du siège de la cour et de 2 membres des conseils de l’ordre du ressort de la cour.

Ce panorama n’est pas exhaustif mais il donne une idée de la procédure telle qu’elle est fixée par le nouveau dispositif de 2022.

C’est celui-ci qui vient d’être modifié et aménagé par le nouveau décret du 29 janvier 2025 dont il convient d’examiner les principales dispositions.

Ce décret s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, d’orientation et de programmation pour le ministère de la Justice N° Lexbase : L2962MKW.

Le décret de 1991 est modifié pour intégrer la création d’un conseil de discipline commun pour les ressorts des cours d’appel de Cayenne, de Fort-de-France et de Basse-Terre. À cet égard, le recours à la visioconférence est prévu.

Il introduit une modification importante en reconnaissant aux avocats mis en cause le droit de se taire en matière disciplinaire. Des incompatibilités sont prévues en matière de mandat électoral dans les collectivités territoriales. Sont prévues des dispositions pour étendre aux modes de résolution amiable la levée du secret professionnel de l’avocat pour les besoins de sa défense.

Le nouveau décret entre en vigueur au lendemain de sa publication.

Détaillons ici les principales innovations :

I. La procédure disciplinaire simplifiée

Les articles 187-2 et 187-6 prévoient une procédure disciplinaire simplifiée. Cela relève de la décision du Bâtonnier sauf lorsque la saisine fait suite à une réclamation présentée par un tiers ou lorsque l’avocat a fait l’objet d’une peine d’interdiction temporaire d’exercice assortie en tout ou partie du sursis, dans les 5 années qui précèdent.

L’éventail des sanctions est réduit pour la procédure disciplinaire simplifiée (article 184 1° et 2°). À cet égard, le Bâtonnier qui a préalablement entendu l’avocat poursuivi, propose une des sanctions prévues à l’article 187-2. Il notifie l’indication détaillée des faits reprochés avec les pièces et la motivation de la proposition de sanction. L’avocat poursuivi dispose de 15 jours pour reconnaître les faits et accepter la proposition ou la refuser.

En cas d’acceptation, le Bâtonnier saisit la juridiction disciplinaire pour faire homologuer l’accord. Celle-ci a la possibilité de refuser cette homologation. L’avocat poursuivi dispose de 15 jours pour contester la décision rendue en matière d’homologation ainsi que le procureur général.

Si l’avocat poursuivi refuse la proposition, la procédure se poursuit. Dans ce cas, la proposition de sanction ne peut être produite ni invoquée dans la suite de la procédure. Si la procédure disciplinaire simplifiée échoue, la procédure disciplinaire « ordinaire » peut être engagée.

Il y a lieu de noter un article 194-1 qui fait référence aux techniques de communication audiovisuelles et aux garanties qui permettent de s’assurer de l’identité des personnes concernées. Les échanges doivent bien entendu rester confidentiels.

Ainsi et sans qu’il soit nécessaire d’entrer plus avant dans le détail, il convient de noter, que la procédure simplifiée va permettre à l’avocat poursuivi d’accepter une proposition qui, en cas d’homologation, mettra fin à l’instance.

II. Le droit de se taire

La notification du droit de se taire doit être préalable. Elle résultait déjà de la jurisprudence, mais elle est à présent prévue dans des conditions dénuées de toute ambiguïté.

Cette notion très inspirée du droit anglosaxon figurait déjà dans notre droit pénal et le Conseil constitutionnel a décidé, par une décision du 8 décembre 2023, que ce droit s’appliquait non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toutes sanctions ayant le caractère d’une punition [1]. Ce droit autrement qualifié de droit au silence ou de droit de ne pas s’auto-incriminer, correspond au cinquième amendement de la Constitution américaine et il avait été dégagé par un arrêt « Miranda » de la Cour suprême de 1946.

Ce droit est perçu comme un prolongement de la présomption d’innocence. En conséquence, l’autorité de poursuite doit rapporter la preuve de la culpabilité de la personne en cause. Rappelons cependant que le droit de se taire n’est sans doute pas la meilleure solution pour se défendre, comme cela a été relevé en droit pénal [2].

Cet article rappelle notamment les conditions dans lesquelles Klaus Barbie avait refusé de comparaître après quelques jours de débats devant la cour d’assises du Rhône. Le droit de se taire peut en effet être conjugué avec une défense de rupture.

Rappelons aussi que depuis 2011, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de ses déclarations, sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. L’introduction du droit de se taire est donc une nouveauté importante sur laquelle, il nous fallait attirer l’attention.

 

[1] Cons. const., décision n° 2023-1074 QPC, du 8 décembre 2023 N° Lexbase : A432218L.

[2] Voir par exemple Dalloz Actu du 30 janvier 2025 par H. Génin et D. Sénat, commentant la décision du Conseil constitutionnel, au visa de l’article 9 de la DDHC N° Lexbase : L1373A9Q ; voir Cons. const., décision n° 2024-1105 QPC  du 4 octobre 2024 N° Lexbase : A049958Y, Dalloz Actu, 14 octobre 2024 obs. J.-M. Pastor ; Cons. const., décision n° 2024-1108 QPC du 18 octobre 2024 N° Lexbase : A87706A3.

newsid:491593

Concurrence

[Dépêches] Entente : une réglementation empêchant une action groupée en recouvrement du préjudice peut enfreindre le droit de l’Union

Réf. : CJUE, 28 janvier 2025, aff. C-253/23 N° Lexbase : A18696SZ

Lecture: 2 min

N1589B3A

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef

Le 19 Février 2025

Alors que pour la quatrième fois de son histoire, l’Autorité de la concurrence a dépassé en 2024 le seuil symbolique du milliard d’euros de sanctions cumulées, la CJUE a apporté des précisions sur l'indemnisation des préjudices résultant d'une entente. Elle a jugé que le fait d’interdire une action groupée en recouvrement, intentée par un prestataire de services juridiques sur la base des droits à réparation qui lui ont été cédés par un grand nombre de personnes lésées, peut compromettre l’effectivité du droit de l’Union. C’est le cas lorsque le droit national n’offre aucune autre voie collective de regroupement des prétentions individuelles et que l’exercice d’une action individuelle visant à faire valoir ce droit à réparation s’avère impossible ou excessivement difficile.

Le droit de l’Union permet à toute personne de demander la réparation du dommage que lui aurait causé une infraction au droit de la concurrence. Il appartient alors à chaque État membre de déterminer les modalités d’exercice de ce droit, dans le respect notamment du principe d’effectivité.

La législation allemande qui était en cause prévoit que l’action groupée en recouvrement constitue le seul mécanisme procédural collectif permettant de mettre en œuvre effectivement le droit à réparation dans les affaires d’ententes.

À partir de la réponse apportée par la CJUE, le juge allemand sera alors tenu de vérifier si l’interprétation du droit national satisfait à l’exigence d’effectivité. S’il concluait que le droit allemand n’offre aucune autre voie de droit collective et qu’une action individuelle rend son exercice impossible ou difficile, il devra constater une violation du droit de l’Union et exclure l'application du droit national.

En ce qui concerne la France, l’année dernière, la cour d’appel de Paris a publié des fiches sur la réparation du préjudice économique dont quatre sont consacrées à la réparation du préjudice résultant de pratiques anticoncurrentielles.

newsid:491589

Temps de travail

[Observations] Transporteur routier : le temps de trajet entre le domicile et le lieu de prise en charge du véhicule constitue-t-il du temps de travail effectif ?

Réf. : Cass. soc., 15 janvier 2025, n° 23-14.765, F-B N° Lexbase : A47826Q8

Lecture: 7 min

N1596B3I

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par Sandrine Maillard, Maître de conférences en droit privé, Faculté Jean Monnet de l’Université Paris-Saclay, Sceaux, Laboratoire IDEP (Institut Droit éthique et Patrimoine)

Le 31 Janvier 2025

► Le temps passé par un chauffeur routier à la conduite de son véhicule personnel pour rejoindre le lieu de prise en charge de son camion et y revenir n’est pas du temps de travail effectif, si ce lieu correspond à un établissement de l’employeur auquel le salarié est normalement rattaché. Ce qui est le cas lorsque le lieu de prise en charge correspond au siège social d’une entreprise cliente, fixé par une clause du contrat de travail.

En l’espèce, le litige, qui opposait un salarié engagé en qualité de conducteur routier par une société de transport, faisait suite à une modification du lieu de prise de service, décidé par l’employeur et acté dans un avenant au contrat de travail. Ce salarié réclamait un rappel de salaire au titre des trajets qu'il effectuait entre son domicile et le lieu de prise en charge de son véhicule. La question portait donc sur la qualification des trajets effectués par un chauffeur routier à partir de son domicile et avec son véhicule personnel, pour se rendre sur le lieu de prise en charge de son véhicule et en revenir. Par le présent arrêt an date du 15 janvier 2025, ayant eu les honneurs d’une publication au Bulletin, la Cour de cassation a retenu que ce temps de trajet ne constituait pas du temps de travail effectif.

Fondement juridique : l'article 9.2 du Règlement européen n° 561/2006 du 15 mars 2006 N° Lexbase : L3600HI8. Nulle trace, dans cet arrêt, de l’article L. 3121-4 du Code du travail N° Lexbase : L6909K9R qui énonce que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif », ni des critères de qualification du temps de travail effectif, posés par l’article L. 3121-1 du Code du travail N° Lexbase : L6912K9U, qui ont récemment permis à la Cour de cassation de requalifier des temps de trajet en temps de travail, lorsque le salarié était à la disposition de l'employeur et devait se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 20-21.924, FP-B+R N° Lexbase : A10708U8 ; Cass. soc., 1er mars 2023, n° 21-12.068, F-B N° Lexbase : A17959GL). La Cour de cassation vise le Règlement n° 561/2006 du 15 mars 2006, sans en préciser l’intitulé, relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route. Le secteur routier est ainsi strictement règlementé par ce texte qui s’impose, dans son entier, aux États membres, sans qu’ils aient besoin de le transposer dans leur législation nationale. Le Règlement vise à améliorer les conditions de travail des transporteurs routiers et la sécurité routière, notamment en instaurant des temps de conduite maximum et en garantissant des temps de repos suffisants pour éviter que le salarié se retrouve dans un état de fatigue incompatible avec la conduite d’un véhicule. À cet égard, le temps passé en voiture par le salarié pour récupérer son camion ou rentrer chez soi, après l’avoir garé au lieu indiqué par l’employeur, n’est pas comptabilisé comme du temps de repos (ou pause) lorsque, aux termes de l’article 9.2 du Règlement, le véhicule « ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni à l'établissement de l'employeur auquel le conducteur est normalement rattaché ». Mais qu’en est-il lorsque le lieu de prise en charge est déplacé et fixé par le contrat de travail au nouveau siège d’une entreprise cliente ? Tout dépend de l’interprétation qui doit être donnée à la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché ».

Notion d’établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché. La formule laisse penser qu’il ne peut s’agir que du lieu d’implantation de l’entreprise (siège social) ou d’un établissement de l’employeur. Et ce d’autant plus qu’une interprétation extensive de la notion s’accorde mal avec la finalité protectrice du Règlement puisqu’elle permet de qualifier plus facilement le temps de trajet en temps de repos, alors même que ce temps de trajet pourrait s’avérait très long (en cas d’éloignement important du lieu de prise en charge par rapport au domicile) et ne pas être comptabilisé pour déterminer calculer la durée maximale de conduite autorisée et, partant, protéger la sécurité routière. Cette notion n’est pourtant pas définie par le règlement qui, lui-même ne renvoie pas aux définitions des États membres. Il s’agit donc d’une notion autonome du droit de l’Union qui doit recevoir une interprétation uniforme dans les États membres, donnée par la Cour de justice. C’est pourquoi la Cour de cassation se fonde sur la jurisprudence européenne. Mais on pourra s’étonner qu’elle se rattache à la définition extensive du « centre de l’exploitation de l’employeur » (CJUE, 29 avril 2010, aff. C-124/09, Smit Reizen BV N° Lexbase : A7850EWN ; CJUE, 18 janvier 2001, aff. C-297/99, Skills motor coaches Ltd N° Lexbase : A0254AWC). L’explication se trouve finalement dans un arrêt plus récent, et non cité par la Chambre sociale, rendu par la Cour de justice qui se prononce, pour la première fois, sur la définition de l’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché » et retrace sa genèse pour démontrer qu’elle ne fait que consacrer et correspondre à la notion jurisprudentielle de « centre d’exploitation auquel un conducteur est normalement rattaché » (CJUE, 26 septembre 2024, C‑164/23, Volonbusz N° Lexbase : A168757M).

Or, le « centre d’exploitation de l’employeur » est défini comme « le lieu de rattachement concret du conducteur, à savoir le lieu au départ duquel il effectue régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de celui-ci, dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions et sans se conformer à des instructions particulières de son employeur » (CJUE, 29 avril 2010, aff. C-124/09, Smit Reizen BV N° Lexbase : A7850EWN, point 29). L’on comprend alors que tout lieu (y compris un simple lieu de dépôt) peut constituer un « établissement de l’employeur » dès lors qu’il est démontré que le conducteur s’y rend de manière régulière pour prendre en charge son véhicule et y retourne à la fin de son service. Dans ces conditions, il pouvait donc s’agir, comme en l’espèce, du siège de l’entreprise cliente (et non de l’employeur). La clause du contrat de travail relative au lieu de prise de service du conducteur paraît avoir constitué un indice déterminant pour établir le rattachement unique et donc régulier du salarié à ce lieu de prise en charge. Le temps de trajet entre le domicile et ce lieu de rattachement concret du conducteur constituait donc du temps de repos. À l’inverse, il a déjà été jugé que les trajets effectués par le salarié entre son domicile et les lieux de ses diverses prises de poste distincts du lieu de rattachement de l'entreprise étaient du temps de travail effectif (Cass. soc., 12 janvier 2016, n° 13-26.318, FS-P+B N° Lexbase : A9253N34). Peu importe la distance et donc le temps passé à la conduite du véhicule entre le domicile et le lieu de prise de service.

Au-delà de l'article 9.2 du Règlement européen n° 561/2006 du 15 mars 2006 : temps de conduite vs temps de travail effectif. Le Règlement européen n° 561/2006 s’attache à définir les temps de conduite et les temps de repos qui doivent être accordés aux transporteurs routiers pour des raisons impérieuses de protection de la santé des salariés et de la sécurité routière, mais il ne s’intéresse pas à la rémunération des temps de conduite. Pourtant, en se fondant sur ce texte, la Cour de cassation choisit d’assimiler le temps de conduite, au sens de la directive, au temps de travail effectif (rémunéré) et d’exclure automatiquement la qualification de temps de travail effectif pour les temps dits de repos ou de pause par le règlement. Le procédé est connu en matière de temps de déplacement des salariés, qualifiés de temps de travail effectif à la lumière de la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003, concernant l’aménagement de certains aspects de l’aménagement du temps de travail N° Lexbase : L5806DLM (Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 20-21.924, FP-B+R N° Lexbase : A10708U8).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le temps de travail effectif et le décompte, Le temps de trajet domicile-lieu de travail inhabituel, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0293ETZ.

 

 

newsid:491596

Urbanisme

[Jurisprudence] L’intérêt à agir de l’héritier de l’usufruitier décédé à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme

Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 20 décembre 2024, n° 489830, mentionné aux tables du recueil Lebon Lebon N° Lexbase : A98946NR

Lecture: 7 min

N1595B3H

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par Laura Picavez, Avocate à la Cour

Le 31 Janvier 2025

Mots-clés : intérêt à agir • héritier de l’usufruitier du bien affecté • absence d’intérêt • urbanisme • permis de construire

Par une décision du 20 décembre 2024, le Conseil d’État apporte de nouvelles précisions s’agissant de l’appréciation de l’intérêt à agir des tiers et juge que l'héritier de la personne qui, à la date de l'affichage en mairie de la demande de permis, était usufruitière du bien immobilier dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance seraient directement affectées par le projet, ne dispose pas, en cette seule qualité, d’un intérêt à agir.


 

Dans cette affaire, le maire de la commune de l'Île de Bréhat a délivré à une société civile immobilière (SCI), par arrêté du 4 juillet 2016, un permis de construire en vue de l’extension d’une maison d’habitation.

Bien que la demande de permis du pétitionnaire, déposée le 27 avril 2016, ait été affichée en mairie dans les quinze jours qui suivent leur réception par la commune conformément à l’article R. 423-6 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3483L77, ce n’est qu’en août 2019 que l’arrêté du 4 juillet 2016 a été affiché sur le terrain.

A la suite du décès en janvier 2019 de l’usufruitière du bien immobilier situé sur les parcelles immédiatement voisines du projet litigieux, son héritière, Mme X, a alors contesté le permis de construire, le 13 février 2020, en demandant au tribunal administratif de Rennes d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté du 4 juillet 2016. Par un jugement n° 2000748 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à cette demande.

La SCI a, en conséquence, interjeté appel à l’encontre de ce jugement. Par un arrêt n° 21NT02179 du 10 octobre 2023 N° Lexbase : A60971RA, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l’appel et confirmé le jugement attaqué.

La SCI a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

I. L’appréciation de l’intérêt à agir d’un tiers requérant

Alors qu’auparavant, la recevabilité des recours des tiers était admise dès lors qu’ils disposaient de la qualité de voisin [1], l’appréciation de l’intérêt à agir du requérant tiers a été, depuis, limitée dans le temps et dans l’espace.

1.1.- D’une part, si l’appréciation de l’intérêt à agir du requérant a pu s’effectuer à la date d’introduction du recours, la situation du requérant est désormais appréciée à partir de la date d’affichage en mairie de la demande de permis de construire, de démolir ou d’aménager, « sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières ».

Dans la décision commentée, le Conseil d’État rappelle d’ailleurs les dispositions de l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4349IXD :

« Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. »

1.2.- D’autre part, le recours du tiers n’est désormais possible « que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien » du requérant « régulier ». Par conséquent, tout requérant doit dorénavant prouver qu’il est affecté directement dans la jouissance de son bien et que le bien est occupé de façon régulière. A défaut, la requête sera considérée comme irrecevable [2].

C’est ce que rappelle le Conseil d’État par la décision ainsi commentée lorsqu’il énonce les dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0037LNP :

« Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation N° Lexbase : L0015LNU (…) »

À cet égard, la Haute juridiction relève que « la contestation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le Code de l'urbanisme est ouverte aux personnes physiques ou morales qui justifient de leur qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier, usufruitier ou nu-propriétaire, dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet ».

Le Conseil d’État précise alors qu’en vertu des dispositions de l'article L. 600-1-3 précité, « cette qualité s'apprécie, sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

II. L’absence d’intérêt à agir de l’héritier de l’usufruitier du bien dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont directement affectées par le projet

2.1.- La cour administrative d’appel de Nantes avait jugé que « la seule qualité d'héritière de sa mère, usufruitière de la maison à la date de l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire et décédée depuis, suffisait à donner intérêt pour agir contre le permis attaqué ».

La cour se fondait ainsi sur les dispositions de l’article 724 du Code civil N° Lexbase : L3332ABZ au terme duquel « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt (...) ».

2.2.- Le Conseil d’État censure toutefois ce raisonnement. Il retient, pour ce faire, que la juridiction d’appel a commis une erreur de droit dans la mesure où l'intérêt pour agir contre un permis de construire s'apprécie sur le seul fondement des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du Code de l'urbanisme et donc uniquement « au regard de la qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

Au cas présent, la Haute Juridiction relève notamment qu'à cette même date, l’héritière requérante n'était plus nue-propriétaire de la maison d'habitation dès lors qu'elle avait cédé cette nue-propriété à ses enfants et qu’elle ne justifiait pas, en outre, l'occuper de façon régulière.

2.3.- Réglant ensuite l’affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3298ALQ, le Conseil d’État souligne qu'à la date d'affichage en mairie de la demande de permis, l’héritière ne justifiait ni détenir ni occuper régulièrement la maison voisine du projet et ne faisait valoir aucune autre circonstance qui aurait été de nature à lui conférer, à cette date, un intérêt pour agir à l'encontre du permis de construire en litige, non plus qu'aucune circonstance particulière qui justifierait que son intérêt pour agir soit apprécié à une autre date.

En conséquence, le Conseil d’État censure la juridiction d'appel qui s’était fondée sur l’article 724 du Code civil relatif aux successions puisqu’en qualité d’héritière, la requérante ne pouvait être considérée comme s’étant trouvée saisie de plein droit des biens, droits et actions de sa mère défunte, y compris des actions qui n’avaient pas été initiées par cette dernière.

Ce faisant, le Conseil d’État rappelle à cette occasion que l'intérêt pour agir des tiers contre un permis de construire s'apprécie sur le seul fondement des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du Code de l'urbanisme.

 

[1] CAA Lyon, 1ère ch., 17 février 2015, n° 13LY03373 N° Lexbase : A4944NDH.

[2] A. Lallet, L’intérêt pour agir contre un permis de construire, conclusions sur CE, 10 juin 2015, n° 386121, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6029NKI, RFDA, 2015, p. 993.

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Urbanisme

[Jurisprudence] Mention de la hauteur des constructions sur le panneau d’affichage, à quel niveau faut-il se positionner ?

Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 28 novembre 2024, n° 475461, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A43986K4

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N1582B3Y

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par Eric Hervy, notaire associé et Valérie Guéguen, Lab Cheuvreux

Le 31 Janvier 2025

Mots clés : formalités d'affichage • permis de construire • hauteur maximale de la construction • points de référence • plan local d'urbanisme

Un arrêt du Conseil d’État rendu le 28 novembre 2024 apporte des précisions supplémentaires au pétitionnaire devant procéder à l’affichage des caractéristiques du permis de construire selon les critères retenus par le Code de l’urbanisme.


 

Dans cette affaire, une voisine immédiate du terrain d'assiette du projet, conteste un permis de construire délivré par le maire de Rognes pour un ensemble de logements avec commerces et parking et demande le retrait de l’arrêté.

Sa demande ayant été rejetée, elle saisit le tribunal administratif de Marseille en annulation du permis de construire.

Après le rejet de sa demande d'annulation, elle saisit la cour administrative d'appel de Marseille, qui rejette son appel. La requérante se pourvoit alors en cassation.

À titre liminaire, rappelons, pour la bonne forme, que le délai de recours court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain d’un panneau renseignant les aspects principaux du permis de construire (C. urb., art. R 600-2 N° Lexbase : L2033ICB).

Les mentions devant apparaître sur le panneau d’affichage sont précisées par l’article A. 424-16 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L5515LKH, au titre desquelles figure « la hauteur de la ou des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel ».

Or, une erreur substantielle dans cette mention aura pour conséquence d’empêcher le déclenchement du délai de recours.

C’est le motif retenu par la requérante dans le cadre du pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille, estimant qu’elle avait commis une erreur de droit quant à la hauteur renseignée sur le panneau d’affichage.

En l’espèce, le bénéficiaire du permis de construire avait indiqué sur le panneau d’affichage une hauteur de 9,50 mètres correspondant à la hauteur des constructions mesurée à l’égout du toit alors que la hauteur au faîtage était approximativement d’une douzaine de mètres.

Il est vrai que l’article A. 424-16 du Code de l’urbanisme n’indique pas quelle hauteur des constructions retenir et celle-ci peut être multiple notamment en fonction du type de construction :

  • le sommet de l’acrotère (élément de façade, situé au-dessus du niveau de la toiture ou de la terrasse) pour un bâtiment couvert par une toiture-terrasse,
  • le faîtage (ligne de jonction de pans de toitures inclinés) pour un bâtiment disposant  d’un toit en pente,
  • l’égout du toit (ligne du pan de couverture où se déversent les eaux de pluie),
  • la hauteur des édicules techniques (locaux techniques, cages d’escaliers ou d’ascenseurs, matériels de ventilation, souches de cheminée, …), lesquels peuvent être inclus ou exclus du calcul de la hauteur dans le règlement du plan local d’urbanisme.

Pour apprécier si la mention de la hauteur de la construction figurant sur le panneau d’affichage était affectée d’une erreur substantielle, la cour administrative d’appel de Marseille s’est référée à l’article du règlement du plan local d’urbanisme « qui dispose que la hauteur maximale des constructions, mesurée verticalement à l’égout du toit par rapport au sol naturel, ne peut excéder 9,50 mètres » et sur cette base a écarté les moyens exposés par la requérante.

Comme le souligne le rapporteur public, le pourvoi pose la question de savoir s’il faut systématiquement retenir la hauteur au faîtage du toit ou la hauteur de l’égout du toit voire l’une ou l’autre selon le cas de figure.

Après avoir rappelé que de précédentes décisions du Conseil d’État indiquaient qu’il convenait de se référer à la hauteur maximale de la construction par rapport au sol naturel « telle qu’elle ressort de la demande de permis » [1], le rapporteur public souligne que l’objet du panneau d’affichage n’est pas de faire apparaître la conformité du projet aux règles applicables mais de mettre à même les tiers, à la seule lecture de ces mentions, d’apprécier la consistance du projet envisagé pour, le cas échéant, se rendre en mairie afin de consulter la demande de permis de construire.

En outre, on apprécie l’approche pratique de ce dernier qui met en lumière les inconvénients que soulèverait la mention systématique de la hauteur maximale des constructions qui pourrait même biaiser l’idée que peuvent se faire les tiers de la construction projetée.

C’est la voie retenue par la Haute Juridiction pour rejeter le pourvoi jugeant que ne peut être affecté d’une erreur substantielle, le panneau d’affichage qui mentionne la hauteur maximale de la construction telle qu’elle ressort de la demande de permis de construire dans les termes suivants, à savoir :

« Pour apprécier si la mention de la hauteur de la construction figurant sur le panneau d’affichage est affectée d’une erreur substantielle, il convient de se référer à la hauteur maximale de la construction par rapport au sol naturel telle qu’elle ressort de la demande de permis de construire. La hauteur mentionnée peut toujours être celle au point le plus haut de la construction.

Elle peut également être, lorsque le règlement du plan local d’urbanisme se réfère, pour l’application des dispositions relatives à la hauteur maximale des constructions, à un autre point, tel que l’égout du toit, la hauteur à cet autre point ».

On comprend alors que la hauteur maximale autorisée par le plan local d’urbanisme peut valablement être la hauteur retenue pour l’affichage quand bien même celle-ci ne correspond pas à la hauteur maximale de la construction.

Mais le Conseil d’État offre la possibilité au bénéficiaire du permis de construire, s’il le souhaite, de renseigner la hauteur au faîtage puisqu’il précise que « La hauteur mentionnée peut toujours être celle au point le plus haut de la construction. »

Le bénéficiaire du permis de construire dispose donc d’un choix :

  • mentionner la hauteur mesurée au sommet de la construction ;
  • ou mentionner la hauteur calculée selon les règles du document d’urbanisme en vigueur lorsque cette hauteur est différente de la hauteur mesurée au sommet de la construction.

L’autre enseignement de la décision du Conseil d’État résulte du fait que « La circonstance que l’affichage ne précise pas cette référence ne peut, dans un tel cas, permettre de regarder cette mention comme affectée d’une erreur substantielle ».

La précision est bienvenue ; rappelons que l’article A. 424-16 du Code de l’urbanisme n’impose pas au bénéficiaire du permis de construire de préciser sur le panneau la hauteur qu’il a retenue pour l’affichage afin de pleinement informer les tiers.

Ces derniers ne pourront donc pas arguer que le panneau n’indiquant pas le mode de calcul de la hauteur retenue est entaché d’une erreur substantielle.

On ne peut que saluer cette indication qui s’inscrit dans un courant bien établi quant aux problématiques relatives au panneau d’affichage ; permettre au tiers, à la simple lecture des mentions, d’apprécier l’importance et la consistance du projet de construction [2] et si, ces derniers le souhaitent, disposer des informations leur permettant d’étudier plus précisément le dossier en mairie.


[1] CE, 25 février 2019, n° 416610 N° Lexbase : A9861YYU ;  CE, 6 juillet 2012, n° 339883 N° Lexbase : A4695IQX.

[2] CE, 16 octobre 2019, n° 419756 N° Lexbase : A9242ZRQ.

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