Le Quotidien du 23 janvier 2025

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[A la une] Trente-trois ans après, Monique Olivier extraite de prison pour tenter de retrouver l’une des victimes de Fourniret disparue dans l’Orne

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par Vincent Vantighem

Le 22 Janvier 2025

Évidemment, en trois décennies, le paysage a dû changer. Certains magasins ont sans doute été remplacés par d’autres. Et que dire de la végétation ? Que dire du champ qui fait face à un petit pavillon, à la sortie du bourg de Saint-Christophe-le-Jajolet (Orne) ? Mais, depuis mardi 21 janvier, Monique Olivier « participe » comme elle peut aux recherches qui sont effectuées dans le secteur pour tenter de retrouver le corps de Lydie Logé. Âgée de 29 ans, cette jeune femme a disparu au beau milieu de l’hiver 1993. C’était il y a trente-trois ans…

Après des décennies d’investigations ponctuées par deux non-lieux, la justice est enfin parvenue à élucider ce mystère grâce au travail récent mené par le pôle « Cold Cases » à Nanterre (Hauts-de-Seine). Alors qu’elle revenait chez elle dans son pavillon, alors qu’elle était en train de décharger ses courses de Noël parmi lesquelles un sapin à décorer avec son fils de sept ans, Lydie Logé a, en fait, été enlevée par Michel Fourniret qui a, ensuite, tenté de la violer et n’y parvenant pas, l’a étranglée. « L’Ogre des Ardennes » est mort en mai 2021. Mais son ex-femme, Monique Olivier, elle est toujours là pour tenter d’aider les enquêteurs, dans la mesure de ses possibilités.

En mai dernier, elle a donc avoué sa participation aux faits à la juge Sabine Khéris, celle-là même qui a mené les plus récentes enquêtes sur l’ancien couple diabolique. Monique Olivier a reconnu qu’elle était présente dans la camionnette de son ex-mari. Qu’elle a assisté à la filature de Lydie Logé dans les rues des villages alentours et, plus tard, au meurtre. Mise en examen pour complicité d’arrestation, d’enlèvement, de détention ou de séquestration, elle risque d’être donc jugée seule pour cette affaire.

Quelques années avant de mourir, Michel Fourniret avait, lui aussi, avoué les faits. Enfin, à sa manière si particulière. Avec ses mots choisis pour tenter, jusqu’au bout, de perturber le travail des enquêteurs. Confondu tardivement par la présence d’un ADN de Lydie Logé retrouvé sur l’un des tapis de sol de sa voiture, il avait eu ses mots : « Je ne vois que moi pour avoir mis fin à son parcours de vie. » Avant de confirmer qu’il avait bien tenté de violer la jeune femme, de façon tout aussi alambiquée.

« C’est compliqué trente-trois ans après d’avoir des réponses »

Trente-trois ans après, la juge Sabine Khéris a donc ordonné un transport sur les lieux de trois jours, cette semaine, pour tenter de retrouver le corps de la jeune femme suppliciée. Avec Monique Olivier, 76 ans, en guise de guide. Mardi après-midi, l’ex-femme de l’Ogre a débarqué dans les rues d’Argentan et dans les environs. Encadrés par une vingtaine de gendarmes et de policiers et par la juge qui, logiquement, l’a réinterrogée sur toute cette affaire.

« On travaille pour déterminer l’endroit où il l’aurait repérée exactement et l’endroit, où, à partir de quand, il aurait pu commencer à la prendre en filature, a commenté Richard Delgenes, l’avocat de Monique Olivier. Il est encore trop tôt pour avoir des certitudes. C’est compliqué trente-trois ans après d’avoir des réponses mais ça l’est encore plus pour les familles de victimes… »

Corinne Herrmann en sait quelque chose. Criminologue de formation, infatigable travailleuse, elle tente depuis des années de résoudre ce que pudiquement on appelle « les affaires non résolues ». Les affaires froides, les « Cold Cases » sur lesquels la justice s’est fracassée au fil du temps. Avocate de la famille de Lydie Logé, elle espère, elle aussi, que les recherches aboutiront. « Les familles ont besoin de réponses, a-t-elle déclaré sur les ondes de RTL. La famille de Lydie Logé a besoin de pouvoir lui donner une sépulture digne ».

Le précédent concernant Estelle Mouzin

Mais tout comme Sabine Khéris, elle sait que les choses ne sont jamais simples lorsqu’il s’agit de résoudre les crimes imputés à Michel Fourniret et à Monique Olivier. Parce que l’Ogre prenait un malin plaisir à balader les enquêteurs. Et que son ex-femme a des problèmes pour se repérer dans l’espace. « C’est toujours difficile avec les indications de Monique Olivier, poursuit ainsi Corinne Herrmann. Mais il faut tout tenter ».

C’est aussi ce que doit se dire la juge Sabine Khéris aussi discrète qu’efficace dans la gestion de ses dossiers. Il y a quelques années, elle avait multiplié les voyages à Issancourt-et-Rumel, dans les Ardennes, pour tenter de retrouver le corps d’Estelle Mouzin, tué en 2003 par Michel Fourniret. Malgré le travail de spécialistes de la topographie, l’utilisation de sonars et de géoradars et les indications de Monique Olivier, la magistrate n’est jamais parvenue à localiser l’endroit où la fillette de Guermantes (Seine-et-Marne) dont le visage s‘est affiché dans les gendarmeries pendant tant et tant d’années. Mais cela n’avait pas empêché la justice d’avancer et d’organiser un procès. Un procès où seule Monique Olivier avait été jugée et condamnée à la perpétuité. C’est peut-être ce qui l’attend dans l’affaire Lydie Logé.

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Affaires

[Commentaire] La réforme des tribunaux des activités économiques

Réf. : Décret n° 2024-1225, du 30 décembre 2024, relatif à l'expérimentation de la contribution pour la justice économique N° Lexbase : L9874MR7

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N1541B3H

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à Aix-Marseille Université, Directeur du master Ingénierie des sociétés, Membre du Centre de droit économique (UR 4224) et de l’Institut de droit des affaires (IDA), Avocat au Barreau d’Aix-en-Provence

Le 23 Janvier 2025

Mots-clés : tribunaux des activités économiques (TAE) • contribution pour la justice économique (CJE) • compétence • procédures collectives • baux commerciaux • tribunal de commerce • tribunal judiciaire

L’adoption du décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 relatif à l’expérimentation de la contribution pour la justice économique (CJE) parachève la mise en œuvre des tribunaux des activités économiques (TAE) dont l’expérimentation débute dès le 1er janvier 2025. L’occasion est donnée de faire le point sur cette réforme des TAE qui s'annonce procéduralement délicate.


 

1. L’adoption du décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, relatif à l’expérimentation de la contribution pour la justice économique (CJE) [1], pris pour l'application de l'article 27 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : L2962MKW, parachève la mise en œuvre des tribunaux des activités économiques (TAE) dont l’expérimentation débute, dans certains tribunaux, dès le 1er janvier 2025. L’objet du présent article est de présenter ledit décret (I) mais surtout, plus largement, de livrer les éléments les plus saillants de cette réforme sans précédent des TAE (II).

I. La contribution pour la justice économique (CJE)

2. La CJE est entrée en vigueur le 1er janvier 2025. Cette contribution est due par l’auteur de la demande initiale, lorsque la valeur totale des prétentions qui y sont contenues est supérieure à un montant de 50 000 euros.

3. Le décret précise tout d’abord le champ d’application et le barème de la CJE. Ainsi, les demandes incidentes ne sont pas soumises à la CJE. Lorsque la demande initiale est formée par plusieurs demandeurs, la CJE est due par chacun d’eux, et la valeur totale des prétentions est appréciée séparément pour chacun. Les sommes demandées au titre des frais de procédure non compris dans les dépens ne constituent pas des prétentions dont la valeur doit être prise en compte pour l’assujettissement à la CJE ou pour le calcul du montant de cette contribution.

4. Au sens dudit décret, ne constituent pas une demande initiale : la demande tendant à l’exercice d’une voie de recours mentionnée au titre XVI du livre Ier du Code de procédure civile ; la demande tendant à la modification, la rétractation ou la contestation d’une ordonnance rendue sur requête ; la demande tendant à l’interprétation, la rectification ou le complément d’une précédente décision, en application des articles 461 N° Lexbase : L2583LBB à 463 du Code de procédure civile ; l’acte de saisine du TAE en tant que juridiction de renvoi après cassation.

5. En revanche, en cas de saisine d’un TAE à la suite d’une décision d’incompétence rendue par toute autre juridiction, la contribution est due. En cas de décision d’incompétence d’un TAE au profit d’un autre TAE, la CJE n’est due qu’une seule fois.

6. Le décret prévoit ensuite les cas dans lesquels la contribution n’est pas due, notamment lorsque la demande est formée par le Ministère public, l’État, une collectivité locale, un organisme public de coopération ou une personne physique ou morale de droit privé employant moins de 250 salariés. Puis le décret fixe le barème de la contribution financière perçue « en fonction de la capacité contributive de la partie demanderesse, de sa qualité de personne physique ou morale et du montant de la valeur totale des prétentions formées par elle dans l’acte introductif d’instance ». Il faut alors se référer directement aux tableaux qui figurent dans le décret. Ainsi, on y apprend que, pour les personnes morales, la CJE dépend de leur taille, mesurée à l’aune du montant du chiffre d'affaires annuel moyen sur les trois dernières années, supérieur à 50 millions d’euros et inférieur ou égal à 1,5 milliard d’euros, ou supérieur à 1,5 milliard d’euros, et à l’aune du montant du bénéfice annuel moyen sur les trois dernières années, supérieur à 3 millions d'euros ou supérieur à 0. Le montant de la CJE est soit de 3 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l'acte introductif d'instance et dans la limite d'un montant maximal de 50 000 euros, soit de 5 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l'acte introductif d'instance et dans la limite d'un montant maximal de 100 000 euros, selon donc la taille. Pour les personnes physiques, il est tenu compte du revenu fiscal de référence : supérieur à 250 000 euros et inférieur ou égal à 500 000 euros, la CJE est de 1 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l'acte introductif d'instance et dans la limite d'un montant maximal de 17 000 euros ; supérieur à 500 000 euros et inférieur ou égal à 1 000 000 d’euros, la CJE est de 2 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l'acte introductif d'instance et dans la limite d'un montant maximal de 33 000 euros ; supérieur à 1 000 000 d’euros, la CJE est de 3 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l'acte introductif d'instance et dans la limite d'un montant maximal de 50 000 euros.

7. En outre, le décret précise les modalités de versement de la CJE auprès des greffes des TAE. Ainsi, le demandeur joint à l’acte introductif d’instance les documents justifiant de sa situation. Le greffier détermine si le demandeur est assujetti à la CJE et en calcule le montant en fonction du barème, après avoir, le cas échéant, sollicité des justificatifs complémentaires ou manquants. Lorsque le demandeur est assujetti à la contribution, le greffier l’avise par tous moyens, avant la première audience, du montant dont il doit s’acquitter et de l’irrecevabilité encourue en cas de non-paiement. Le versement de la contribution est effectué au guichet du greffe ou, par voie électronique, sur le site « www.tribunaldigital.fr ». Il donne lieu à l’émission d’un justificatif, le cas échéant, dématérialisé qui est joint au dossier par le greffe. Le produit de la contribution est conservé sur le compte de dépôt dédié jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jugement qui dessaisit le TAE ou, le cas échéant, de la décision qui constate l’extinction de l’instance et le dessaisissement du tribunal. Toutefois, lorsque ces décisions font l’objet d’un recours, la contribution reste conservée sur le compte de dépôt dédié jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la décision qui statue sur ce recours. La contribution est remboursée en cas de décision constatant l’extinction de l’instance par suite d’un désistement ou bien de transaction conclue à la suite du recours à un mode amiable de résolution des différends, lorsqu’elle met fin au litige.

8. Le décret apporte encore des précisions sur l’irrecevabilité de la demande du fait du défaut de versement de la CJE ainsi que sur la liquidation de la CJE.

9. Enfin, « En cas de comportement dilatoire ou abusif d’une partie au litige, le tribunal des activités économiques peut condamner celle-ci à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés ».

10. En résumé, les demandeurs employant plus de 250 salariés devront contribuer à hauteur de 5 % maximum du cumul des demandes au moment de l’acte introductif supérieur à 50 000 euros. La CJE se calcule suivant un barème prenant en compte le montant des demandes initiales, la nature du litige, la capacité contributive de la partie demanderesse, appréciée en fonction de son chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années, ses bénéfices ou son revenu fiscal de référence et sa qualité de personne physique ou morale. Un plafond de 100 000 euros est institué. Si la CJE n’est pas versée alors qu’elle doit l’être, la sanction est l’irrecevabilité de la demande que le juge peut prononcer d’office. Par exception, sont exclus du paiement de la CJE le demandeur à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du Code de commerce et au règlement amiable agricole ; l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements ; les personnes physiques et les personnes morales employant moins de 250 salariés ; les demandes incidentes, de rectification, interprétation, vérification des dépens, d’homologation d’un accord amiable, de modification, rétractation, contestation d’une ordonnance sur requête. En cas de résolution amiable emportant extinction de l’instance ou de l’action, ou en cas de désistement, la CJE est remboursée.

11. Au-delà des aspects formels, procéduraux et techniques, la CJE est critiquable en ce qu’elle constitue un nouvel impôt ou plutôt une nouvelle taxe qui ne dit pas son nom et qui porte considérablement atteinte au droit d’accès à la justice. En cela, le principe même de la CJE est inadmissible. De plus, tous les tribunaux de commerce de France n’étant pas devenus des TAE, il va sans dire que ceux qui sont restés de « simples » tribunaux de commerce vont sans doute voir leur activité augmenter. En effet, les clauses territoriales attribuant compétence aux juges consulaires non TAE risquent de fleurir, donnant lieu à un forum shopping d’opportunité, très discutable.

12. Quel que soit le montant du litige, le tribunal de commerce reste et doit rester une juridiction de proximité, accessible au justiciable. Si l’on peut comprendre la logique économique et financière, on ne peut qu’espérer que la CJE n’éloigne pas précisément le justiciable de la juridiction consulaire. Quel que soit le montant du litige, la justice commerciale ne doit pas devenir un contentieux élitiste.

II. La compétence élargie des TAE

13. L’objectif des TAE n’est pas nouveau : il s’agit de l’augmentation du champ de compétence des tribunaux de commerce. En lien avec l’attractivité du droit commercial, les juges consulaires plaident depuis longtemps en faveur d’un élargissement de leur domaine d’intervention. Ces dernières années, on a ainsi pu voir le tribunal de commerce devenir compétent pour les auto-entrepreneurs qui déposent le bilan, les artisans [2], les cautionnements de dettes commerciales [3] et même pour apprécier la situation de surendettement de tout entrepreneur individuel avant de renvoyer la demande, le cas échéant, à la commission de surendettement des particuliers [4].

14. Le sujet n’est donc pas neuf. La méthode en revanche innove. Certes, c’est celle de l’expérimentation qui a été choisie. Ainsi, le décret n° 2024-1225 précise les modalités de conduite et d'évaluation de l'expérimentation : un comité de pilotage accompagne les TAE désignés tout au long l'expérimentation et, à l'issue, un comité d'évaluation rédige le rapport final remis par le Gouvernement au Parlement [5]. L’expérimentation est une manière moderne, voire plus douce de légiférer, en particulier dans les domaines sensibles. Mais surtout, tous les tribunaux de commerce de France ne sont pas devenus, au 1er janvier 2025, des TAE. Seuls douze d’entre eux, qui ont candidaté pour l’être, sur la base du volontariat, le sont devenus. Il s’agit des tribunaux de commerce de Marseille, Saint-Brieuc, Nancy, Lyon, Le Mans, Paris, Le Havre, Versailles, Avignon, Limoges, Auxerre et Nanterre [6].

15. Ces douze tribunaux, « anciennement » de commerce, changent de dénomination : à compter du 1er janvier 2025, tous les actes du ressort des TAE doivent être adressés au « tribunal des affaires économiques de [ville] » et non plus au « tribunal de commerce » et ce, quelles que soient la procédure et la matière concernées. Concrètement, toutes les affaires en cours devant ces juridictions, dans toutes les matières (droit commun ou rôle général, référé, mise en état ou juge chargé d’instruire l’affaire dit « JCIA », procédure collective, etc.) sont dorénavant adressées non plus au tribunal de commerce ou au président du tribunal de commerce mais au TAE ou au président du TAE.

16. Ne sont concernées que les affaires nouvelles à compter du 1er janvier 2025 : celles en cours, devant les tribunaux de commerce devenus des TAE, restent traitées par les mêmes tribunaux qui changent seulement de nom, et la CJE n’est pas exigible ; en revanche, pour les affaires nouvelles, la CJE est exigible si les conditions sont remplies.

17. Ces tribunaux sont, pendant le temps de cette expérimentation, compétents pour connaître des procédures prévues au II de l’article 26 de la loi du 20 novembre 2023 et ouvertes à compter du 1er janvier 2025. Corrélativement, les tribunaux judiciaires, dont le ressort correspond au ressort des TAE ainsi créés (Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Carpentras, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre, Versailles) se voient ôter toute compétence pour ces mêmes procédures.

18. Dans quels cas ces douze TAE sont-ils compétents et a priori exclusivement ? En substance, ils le sont dans deux grandes hypothèses. La première est celle des procédures collectives, tant préventives que curatives. Désormais, les procédures d’alerte, de prévention (mandat ad hoc et conciliation) et de traitement des difficultés (« procédures collectives ») du livre VI du Code de commerce, qui étaient de la compétence matérielle du tribunal judiciaire du ressort des douze TAE, seront traitées par lesdits TAE. Sont concernés par cette compétence, sans doute exclusive du TAE, les agriculteurs, les associations, les sociétés civiles et les professions libérales, à l’exception des professions juridiques et judiciaires règlementées (avocats, notaires, commissaires de Justice, greffiers, administrateur judiciaires, mandataires judiciaires) conformément à l’article L. 722-6-1 du Code de commerce N° Lexbase : L7267LQ9 [7].

19. En somme, le tribunal judiciaire qui était compétent hier en matière de procédures de prévention et de traitement des difficultés, pour les agriculteurs, les associations, les sociétés civiles et les professions libérales, ne l'est plus, au profit du TAE, à l’exception des procédures concernant les avocats, notaires, commissaires de justice, greffiers, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires. On notera que ces professions étaient, dans le cadre du projet de la loi programmation, concernées par les TAE. Mais il a été décidé finalement de les exclure.

20. La seconde hypothèse est celle des baux commerciaux. Ainsi, en vertu du II de l’article 26 de la loi du 20 novembre 2023 : « Le tribunal des activités économiques, saisi de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du débiteur, connaît de toutes les actions et les contestations relatives aux baux commerciaux qui sont nées de la procédure qui présentent avec celle-ci des liens de connexité suffisants ».

21. Cette double compétence élargie des TAE appelle plusieurs remarques.

22. Comme déjà indiqué, l’attractivité du droit commercial n’est pas nouvelle. La doctrine s’interroge depuis de nombreuses années déjà sur l’évolution du Code de commerce vers un Code des activités économiques. L’entrée des professions libérales dans le livre VI du Code de commerce par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), tout comme l’arrêt de la Cour de cassation qui a affirmé la compétence exclusive du tribunal de commerce en refusant d’accorder une option de compétence au dirigeant, même non-commerçant, d’une société commerciale [8], sont autant de manifestations de ce mouvement. Quoi qu’il en soit, et même si la réforme est d’envergure, seuls sont concernés soit les difficultés financières des activités civiles (sauf les professions du droit), soit les litiges en matière de baux commerciaux qui sont nés de la procédure du livre VI « et qui présentent avec celle-ci des liens de connexité suffisants ».

23. L’extension de compétence des TAE est par conséquent très limitée : non seulement il ne s’agit que des procédures collectives, et, s’agissant des baux commerciaux, ne sont concernées que les actions et les contestations relatives à ces baux qui sont nées de la procédure qui présentent avec celle-ci des liens de connexité suffisants. Dans ces conditions, cette extension de compétence ne devrait pas, a priori, profondément bouleverser la répartition du contentieux de la faillite puisque les tribunaux de commerce sont saisis chaque année de la majeure partie des demandes d'ouverture de procédure collective. Les tribunaux judiciaires ne traitent qu’une partie résiduelle, sauf peut-être pour les procédures préventives qui sont relativement nombreuses au tribunal judiciaire, ce d’autant que, les tribunaux judiciaires précisément restent compétent pour connaître des procédures amiables et collectives des professions juridiques et judiciaires [9].

24. Il n’empêche que, s’agissant des professions libérales et des baux commerciaux, la nouvelle répartition de compétence n’est pas d’une clarté absolue.

25. Pour les professions libérales, avant la réforme des TAE, le principe était celui de la compétence du juge judiciaire [10], que le professionnel libéral exerce en individuel, en SCP ou en SEL [11]. Cette compétence collait bien au demeurant avec la compétence des tribunaux judiciaires en matière de baux commerciaux conformément à l’article R. 145-23 du Code de commerce N° Lexbase : L4149LTT. Il y avait ici une forme de cohérence, même s’il est vrai que les professions libérales concluent plus, pour l’exercice de leur activité, de baux professionnels que de baux commerciaux.

26. Aujourd’hui les pistes sont brouillées, à plusieurs niveaux. D’abord, s’agissant des professions libérales, il faut relever que l’article L. 721-5 du Code de commerce N° Lexbase : L7802MG3 n’a pas été mis au diapason de la réforme des TAE. Nous pensons, comme notre collègue Véronique Martineau-Bourgninaud, qu’il faut « en conclure que les sociétés d'exercice libéral se trouvent exclues du champ de compétence des tribunaux des activités économiques et que le tribunal judiciaire conserve pleine compétence pour connaître les procédures amiables ou collectives ouvertes à l'encontre de ces sociétés » [12]. Cela signifie qu’une profession libérale qui ferait l’objet d’une procédure, préventive ou curative, du livre VI du Code de commerce, pourrait relever d’un TAE à condition que ce professionnel libéral n’exerce pas en SEL. Car s’il exerce en SEL, la compétence du TAE semble exclue au profit de la compétence du tribunal judiciaire. Comment expliquer que, pour une même profession, selon le mode d’exercice du professionnel, ce sera soit le TAE (exercice individuel, SCP voire société de droit commun) qui sera compétent, soit le tribunal judiciaire (exercice en SEL) ? Il n’y a aucune cohérence, aucune justification, et même à n'en pas douter un traitement inégalitaire devant la loi.

27. De plus, depuis le 1er septembre 2024, les sociétés d’exercice de droit commun (SEDC) des professions juridiques et judiciaires [13] sont assimilées à des SEL. Cela ne suffit pas, nous semble-t-il, à exclure la compétence du tribunal de commerce pour des litiges opposants des associés de SEDC et/ou des associés à leur SEDC dans la mesure où la référence de l’article L. 721-5 du Code de commerce à l’ordonnance du 8 février 2023 crée le doute [14]. À plus forte raison, s’il s’agit d’autres professions libérales relevant des professions techniques et du cadre de vie, lesquelles, contrairement aux professions du droit, conservent la possibilité d’exercer leur profession au moyen de société commerciale de droit commun, le tribunal de commerce paraît rester compétent [15].

28. En somme, les professions libérales structurées en société de droit commun doivent pouvoir être éligibles au TAE et ce, malgré le caractère civil de leur activité ; à l’inverse, les professions libérales structurées en SEL relèvent de la compétence du tribunal judiciaire. Les professions techniques, majoritairement structurées en société de droit commun, devraient ainsi relever des TAE. Les professions de santé, essentiellement structurées en SEL, relèvent toujours du tribunal judiciaire, excepté les SEL d’officine de pharmacie qui doivent pouvoir relever soit du tribunal judiciaire soit du TAE [16]. Quant aux professions juridiques et judiciaires, elles continuent de relever du tribunal judiciaire quelle que soit la forme de leur société.

29. On pourrait même imaginer, dans les situations les plus complexes, une profession libérale qui aurait conclu un bail commercial, qui ferait l’objet d’une procédure curative et non préventive du livre VI du Code de commerce, qui pourrait donc relever d’un TAE, à condition bien entendu que le litige lié à ce bail présente avec ladite procédure des liens de connexité suffisants, mais à condition également, si l’on reprend le raisonnement précédent, que ce professionnel libéral n’exerce pas en SEL. Car s’il exerce en SEL, la compétence du TAE semble exclue, sauf à considérer que le bail commercial en jeu, parce qu’il présente des liens de connexité suffisants avec la procédure collective, permette de rattacher ce contentieux au TAE.

30. Compte tenu de cette complexité, il y a à fort à parier que certains plaideurs vont utiliser l’arme de la compétence en soulevant à foison des exceptions de compétence, ne serait-ce que pour perdre ou gagner du temps si tel est l’intérêt de leur client. C’est plus que regrettable. La mise en état dans les juridictions risque d’être complètement engorgée par ces sujets de compétence juridictionnelle [17].

31. Ensuite, s’agissant des baux commerciaux, le texte ne vise que les procédures de traitement, à savoir sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires. Le mandat ad hoc et la conciliation ne sont pas concernés [18]. Dès lors, on peut au moins évoquer deux hypothèses. Celle d’abord de droit commun. Ainsi, en matière de baux commerciaux, en vertu de l’article R. 145-23 du Code de commerce, c’est le tribunal judiciaire ou son président qui est en principe compétent. Et c’est le président du tribunal judiciaire qui est saisi classiquement, dans le cadre d’un référé droit commun, lorsque par exemple un bailleur souhaite que soit acquise la clause résolutoire (en cas d’impayés avec commandement visant ladite clause resté infructueux pendant plus d’un mois). Ce juge reste-t-il compétent ? La réponse est sans doute positive même en présence d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. En revanche, en cas de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires, sous réserve que le bail dispose des liens de connexité suffisants, ce devrait être dorénavant le président du TAE, dans le cadre d’un référé droit commun, qui devrait être compétent.

32. Autre hypothèse, celle de la compétence du juge-commissaire. On le sait, le juge-commissaire est compétent en matière de bail commercial en cas de procédure collective, par exemple pour prononcer la résolution du bail (en cas de loyers postérieurs impayés), si ce n’est que le juge-commissaire ne peut pas prononcer l’expulsion du locataire. D’où le recours au juge de droit commun. Ce juge reste-t-il compétent ? Difficile de répondre, d’autant plus que le critère des « liens de connexité suffisants » est plus que vague.

 

[1] M. Barba, Ainsi naquit la contribution pour la justice économique ?, Dalloz Actualité, 21 janvier 2025.

[2] Depuis le 1er janvier 2022, ils connaissent de l'ensemble des contestations relatives aux engagements entre artisans (C. com., art. L. 721-3 N° Lexbase : L2718LBB).

[3] L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés N° Lexbase : L8997L7D a fait du cautionnement de dettes commerciales un acte de commerce entre toutes personnes (C. com., art. L. 110-1, 11° N° Lexbase : L0093L8X), élargissant ainsi la compétence du tribunal de commerce aux cautions personnes physiques alors que classiquement, seul leur intérêt patrimonial à l'opération permettait de qualifier le cautionnement de commercial.

[4] L’article L. 681-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3711MB3, créé par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante N° Lexbase : L3215MBP, donne compétence au tribunal de commerce pour apprécier la situation de surendettement de tout entrepreneur individuel avant de renvoyer la demande, le cas échéant, à la commission de surendettement des particuliers (C. com., art. L. 681-3 N° Lexbase : L3710MBZ) qui jusque-là avait le monopole des procédures de surendettement.

[5] Voir déjà le décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques N° Lexbase : L9348MM8.

[6] Désignés par l’arrêté du 5 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques N° Lexbase : L9637MMU pris en application du décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024, lui-même précisant les conditions de l’application de l’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027.

[7] Lesquelles professions étaient, initialement, potentiellement éligibles aux TAE. Mais, dans le cadre des discussions du projet de loi, il a finalement été décidé de les exclure de la compétence des TAE.

[8] Affaire « Renault » Cass. com., 20 décembre 2023, n° 22-11.185, FS-B N° Lexbase : A846719H.

[9] V. Martineau-Bourgninaud, Le TAE ou l'extension de compétence d'attribution des tribunaux de commerce : la grande illusion !, Droit des sociétés, 2025, Étude 1, spéc. n° 10.

[10] Pour le pharmacien cependant, le tribunal de commerce peut être compétent, sauf si sa compétence est éludée par une autre compétence plus spéciale, ce qui est le cas en matière de baux commerciaux. Pour le dire autrement, le pharmacien qui conclut un bail commercial et qui connaît un litige en la matière devait aller au tribunal judiciaire jusqu’au 31 décembre 2024. Et il devra toujours aller au tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2025 sauf s’il relève territorialement d’un TAE.

[11] C. com., art. L. 721-5 N° Lexbase : L7802MG3.

[12] V. Martineau-Bourgninaud, Le TAE ou l'extension de compétence d'attribution des tribunaux de commerce : la grande illusion !, préc., spéc. n° 12.

[13] Pour les avocats par exemple : J.-J. Daigre et V. Maurel, Quel avenir pour les sociétés commerciales d’avocats ?, Lexbase Avocats, décembre 2024, n° 353 N° Lexbase : N1133B3D.

[14] B. Brignon et J.-F. Barbièri, Réforme des sociétés d'exercice des professions libérales : quelques problèmes de mise en œuvre, BJS, décembre 2024, n° BJS203l6, spéc. n° 4 : la référence de l’article L. 721-5 du Code de commerce à l’ordonnance du 8 février 2023 crée le doute.

[15] Pour une SAS de notaires : T. com. Salon-de-Provence, 4 avr. 2024, n° 2022005210 N° Lexbase : A33285DM, JSS, septembre 2024, note J.-F. Barbièri ; B. Saintourens, Lexbase Affaires, juin 2024, n° 799 N° Lexbase : N9545BZK.

[16] Il s’agirait d’un rare cas de compétence non exclusive du TAE.

[17] . F. Kendérian, Vers l'attribution du contentieux des baux commerciaux au tribunal de la procédure collective ?, JCP E 2024, 1104 ; B. Ghandour, Des tribunaux de commerce aux tribunaux des activités économiques : compétence juridictionnelle (art. 26, II), Act. proc. coll., 2024, comm. 18.

[18] V. Martineau-Bourgninaud, Le TAE ou l'extension de compétence d'attribution des tribunaux de commerce : la grande illusion !, préc. spéc. n° 24.

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Douanes

[Observations] L’octroi de mer ou la rencontre de l’imprévisible avec l’inintelligible

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N1536B3B

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par Vincent Courcelle-Labrousse, Avocat associé, Godin Associés

Le 22 Janvier 2025

Toujours prolongé à coups de négociations avec Bruxelles, l’octroi de mer a bien failli disparaître dans les années 90 en raison de son absence de conformité au droit européen.

Véritable coup de tonnerre au-dessus des recettes abondant le budget des régions et communes ultramarines, les arrêts [1] des 16 juillet 1992 et 9 août 1994 de la Cour de justice des Communautés européennes avaient frappé d’invalidité le mécanisme de l’octroi de mer alors en place, en tant que taxe d’effet équivalent à un droit de douane. La jurisprudence de la Cour de justice évoluera cependant par la suite [2], considérant le nouveau régime de l’octroi de mer entretemps instauré, compatible avec les dispositions du droit de l’Union, mais sous réserve.

Depuis lors, ce régime dérogatoire d’impositions intérieures discriminatoires ou protectrices a été renouvelé par plusieurs décisions du Conseil de l’Union européenne en 2004, 2014 et 2021.

Or, ce survivant qu’est l’octroi de mer est un bel exemple de tout ce que l’on peut mal faire en matière fiscale. Pour les entreprises, les commerçants qui en sont les sujets, c’est le lieu de rencontre de l’inintelligible avec l’imprévisible. Quelques exemples.

L’assiette de l’octroi de mer à l’importation dans les DROM doit être déterminée suivant les règles du Code des douanes de l'Union sur la valeur en douane. Quand on sait la complexité de la détermination de la valeur en douane qui résulte à la fois d’accords internationaux, de la règlementation européenne et de la jurisprudence pléthorique de la Cour de justice, il faut être bien armé juridiquement pour être certain de déclarer correctement la valeur d’une marchandise voyageant par mer du Havre à Pointe-à-Pitre.

Ensuite, l’accessibilité à l’information sur la situation fiscale de tel produit est en deçà du minimum acceptable. Les délibérations des collectivités territoriales sur l’octroi de mer sont « publiées » sur leur site web dans le registre des actes administratifs (RAA). Mais c’est un bonheur lorsque ce registre contient une partie séparée spécialement consacrée à l’octroi de mer. Il peut arriver qu’une délibération soit perdue dans un vrac de décisions les plus diverses. S’il revient à l’administration des douanes, qui a la charge de collecter l’octroi de mer, d’intégrer dans sa base de données RITA les délibérations des collectivités territoriales (taux, exonérations, réductions), l’interface douanière n’est parfois pas à jour… Retard des services douaniers ou non-communication des délibérations par les collectivités territoriales ? Mystère. Mais l’administration prend bien soin d’indiquer sur son applicatif RITA que « l’information restituée par l’application n’a qu’un caractère indicatif. En cas de doute ou de contestation, la consultation des textes légaux et règlementaires, qui sont les seuls à avoir force légale, demeure impérative ». Si plusieurs juridictions n’ont pas été vraiment d’accord avec cette clause d’irresponsabilité, elle donne bien la mesure de l’environnement général dans lequel baignent les opérateurs qui s’exposent à l’octroi de mer.

La complexité relevée pour déterminer l’assiette de l’octroi de mer à l’importation a son binôme en matière d’assujettissement à l’octroi de mer interne. Celui-ci frappe les livraisons de biens faites à titre onéreux par les personnes qui accomplissent des opérations de production dans les DROM. Qu’est-ce qu’une activité de production ? : les opérations de fabrication, transformation, rénovation ainsi que les opérations agricoles extractives. Pour déterminer s’il effectue une transformation, l’assujetti potentiel doit trouver la position tarifaire initiale de son produit dans le système harmonisé (SH) et ensuite identifier si le produit transformé change de position tarifaire dans le SH [3]. Il incombe aux entreprises produisant dans les DROM d’avoir en interne un déclarant en douane sans lequel il peut être périlleux de naviguer seul en béotien dans les milliers de positions tarifaires que contient le système harmonisé. Certains l’ont appris à leurs dépens  [4].

Et l’on pourrait multiplier les exemples tirés de rapports [5] d’autorités de contrôle qui, années après années, stigmatisent le dysfonctionnement à la fois structurel et fonctionnel de l’octroi de mer : multiplicité des taux, calendriers aléatoires des délibérations, format impraticable de celles-ci, absence de motivation des exonérations... L’état des lieux est archi documenté.

Nul ne contestera bien sûr les difficultés et les spécificités des économies ultramarines. Toutefois, la « véritable loi de programme pour l’Outre-Mer », qu’appellent des élus, devrait être aussi l’occasion de discuter des lacunes. Si l’on retourne à la question de la légalité dans l’ordre juridique européen de ce régime qui ne résulte que de la permission donnée par décision du Conseil de l’Union européenne, on est en droit de se demander si la règlementation française (et l’application qui en découle) n’est pas largement sortie du lit qu’on lui avait affecté à sa source.


[1] CJCE, 16 juillet 1992, aff. C-163/90, Administration des douanes et droits indirects c/ Léopold Legros et autres N° Lexbase : A1722AWP ; CJCE, 9 août 1994, aff. C-363/93, René Lancry SA c/ Direction générale des douanes et Société Dindar Confort, Christian Ah-Son, Paul Chevassus-Marche, Société Conforéunion et Société Dindar Autos contre Conseil régional de la Réunion et Direction régionale des douanes de la Réunion N° Lexbase : A5839AYW.

[2] CJCE, 19 février 1998, aff. C-212/96, Paul Chevassus-Marche c/ Conseil régional de la Réunion N° Lexbase : A1691AWK ; CJCE, 30 avril 1998, aff. C-37/96, Sodiprem SARL e.a. (C-37/96) et Roger Albert SA (C-38/96) c/ Direction générale des douanes N° Lexbase : A5872AY7.

[3] Circulaire du 27 décembre 2018, relative au régime fiscal de l’octroi de mer N° Lexbase : L1969MSQ.

[4] Voir notamment, CE, 3°-8° ch. réunies, 31 mars 2021, n° 447979 N° Lexbase : A00584NH.

[5] Avis n° 19-A-12 du 4 juillet 2019 de l’Autorité de la Concurrence N° Lexbase : X4334CHY. Rapport de la Chambre régionale des comptes Guadeloupe du 20 octobre 2020. Rapport de la Cour des comptes, L’Octroi de mer, une taxe à la croisée des chemins, mars 2024.

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Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Cession d'une exploitation agricole : le Conseil d'État clarifie l'option pour l’imposition du résultat intermédiaire

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 20 décembre 2024, n° 470234, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A99056N8

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N1434B3I

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 22 Janvier 2025

Mots-clés : société agricole • EARL • plus-values professionnelles • transmission d’entreprises • associés

1.- En cas de transmissions de titres d’une société agricole soumise à l’impôt sur le revenu, plusieurs mécanismes spécifiques sont susceptibles de s’appliquer.

Bien évidemment, on pensera aux mécanismes classiques d’exonération des plus-values professionnelles. On peut notamment citer le régime d’exonération en fonction du chiffre d’affaires de la société (CGI, art. 151 septies N° Lexbase : L0813MLP), ou bien encore le régime d’exonération en fonction de la valeur des éléments cédés (CGI, art. 238 quindecies N° Lexbase : L0722MLC).


 

2.- Certains mécanismes concernent le traitement fiscal du bénéfice réalisé par la société. En principe, seuls les associés présents à la clôture sont considérés comme attributaire du bénéfice, et imposés sur celui-ci. Dès lors, l’associé sortant en cours d’exercice n’est pas attributaire de ceux-ci et n’est normalement pas fiscalisé sur ceux-ci.

3.- Cependant, il est possible de déroger à ce principe en matière de fiscalité agricole. On remarquera qu’un mécanisme similaire existe pour les bénéfices non commerciaux (CGI, art. 93 B N° Lexbase : L1988HL9).

En matière de fiscalité agricole, c’est l’article 73 D du Code général des impôts qui permet de déroger à ce principe (I).

Un arrêt récent du Conseil d’État vient d’apporter quelques précisions concernant l’interaction de ce dispositif et l’appréhension de sommes par l’associé sortant (II), confirmant ainsi par la même occasion une jurisprudence récente.

I. L’article 73 D du CGI une dérogation optionnelle et conditionnée, au principe de l’imposition des associés présents à la clôture

4.- L’article 73 D du Code général des impôts N° Lexbase : L1730HLN est un mécanisme original permettant d’arrêter un résultat fiscal intermédiaire. L’associé sortant est ainsi imposé sur la quote-part de résultat lui revenant, celui-ci étant déterminant de la date d’ouverture de l’exercice jusqu’à la date de « sortie » de l’associé concerné.

Le ou les associés présents à la clôture seront ainsi imposés sur une quote-part de résultat, minoré de celui déjà imposé au nom de l’associé sortant.

A. Une dérogation à l’imposition de l’associé présent à la clôture 

5.- L’exemple ci-dessous permet de comprendre l’application de ce mécanisme :

Une SCEA clôture son exercice au 30 septembre 2025, l’exercice ayant été ouvert au 1er octobre 2024. La SCEA a trois associés : Jean, Étienne et David.

Jean détient 30 % des titres de la SCEA, Étienne et David détiennent 35 % chacun.

Le 31 juin 2024, Jean cède l’intégralité de ses titres à Germain. Une option conjointe est formulée pour l’application de l’article 73 D du Code général des impôts.

Le résultat intermédiaire à cette date s’élève à 100 000 euros. À la clôture de l’exercice (30 septembre 2025), le résultat s’élève à 200 000 euros.

6.- En raison de l’application de l’article 73 D du Code général des impôts, Jean sera imposé sur la part du résultat intermédiaire correspondant à la totalité des droits cédés, soit 30 000 euros (100 000 x 30 %). Cette somme sera imposée dans la catégorie des bénéfices agricoles.

Germain qui a acquis les titres de Jean, sera quant à lui imposé sur le résultat lui revenant au 30 septembre 2025 duquel sera déduite la quote-part déjà imposée au nom de Jean, soit 30 000 euros [(200 000 x 30 %) – 30 000].

7.- Le mécanisme de l’article 73 D du Code général des impôts aboutit ainsi à partager la masse imposable entre l’associé entrant et l’associé sortant. Sans l’application de ce régime, l’associé entrant Germain aurait été imposé sur la totalité du résultat, soit 60 000 euros dans le présent exemple. 

B. Un mécanisme d’exception applicable sous conditions

8.- Le régime visé à l’article 73 D du Code général des impôts s’applique aux sociétés soumises au régime réel d’imposition. À titre d’exemple, l’associé d’une EARL unipersonnelle relevant du régime micro se retrouve exclu de celui-ci.

9.- La société doit relever de l’article 8 du Code général des impôts N° Lexbase : L1176ITQ. Elle doit ainsi être soumise à l’impôt sur le revenu.

La lettre de l’article 73 D du Code général des impôts ne fixe pas de condition tenant à la forme sociétaire. Cela explique certainement pourquoi l’administration fiscale [1] adopte une interprétation large des associés pouvant bénéficier de ce régime.

Le mécanisme peut ainsi s’appliquer dès lors que le contribuable est associé de l’une des sociétés suivantes soumises à l’impôt sur le revenu :

  • SNC ;
  • société en commandite simple pour la part de bénéfices revenant aux commandités ;
  • SCEA, EARL, GAEC ;
  • SARL de famille ;
  • sociétés en participation et sociétés créées de fait, dès que leur régime fiscal est celui des sociétés en participation.

Attention ce régime ne s’applique pas aux exploitations en indivision.

10.- La société doit exercer une activité agricole. Il s’agit d’une activité agricole au sens de l’article 63 du Code général des impôts N° Lexbase : L5639MA4. L’administration fiscale [2] précise par ailleurs : « La société peut exercer cette activité agricole à titre principal ou accessoire. Peu importe, par ailleurs, que les associés exercent ou non leur activité professionnelle au sein de la société. Il est cependant indispensable que la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits soit imposée dans la catégorie des bénéfices agricoles ».

11.- L’application de ce mécanisme nécessite surtout la formalisation d’une option.

L’article 38 sexdecies U à l’annexe III du CGI précise que la demande d’option doit être signée conjointement, en cas de transmission des titres, par l’associé sortant ou ses ayants cause en cas de décès de celui-ci, et le ou les bénéficiaires de la transmission.

En cas de rachat de titres par la société, l’option doit être signée par l’associé sortant et les associés présents dans la société à la date du rachat.

Cette demande, établie sur papier libre, doit être adressée par la société, en simple exemplaire, à la direction départementale ou, le cas échéant, régionale des finances publiques auprès de laquelle elle souscrit ses déclarations de résultats, dans un délai de soixante jours à compter du jour de la transmission ou du rachat des titres.

Les commentaires administratifs [3] reprennent pratiquement in extenso la rédaction de cet article.

12.- Une répartition du bénéfice au profit de l’associé sortant, décidé dans le cadre d’une assemblée générale, venant en majoration du prix de cession des titres, peut-elle être assimilée à une telle option ?

II. Rémunération de l’associé sortant et application de l’article 73 D : quelle articulation avec le régime des plus-values professionnelles ?

A. La rémunération de l’associé sortant : quid d’une possible imposition en tant que plus-value 

1) Le Conseil d’État rappelle les principes en cas de perception d’une rémunération par l’associé sortant

13.- Cette question vient notamment de trouver une illustration au regard de la décision rendue par le Conseil d’État le 20 décembre 2024.

Dans cette affaire, l’associé unique d’une EARL avait cédé une partie de ses titres le 16 décembre 2013, à un repreneur ayant obtenu les aides en faveur des jeunes agriculteurs, permettant à ce dernier de bénéficier du régime d’exonération en faveur des jeunes agriculteurs [4], permettant à l’époque de bénéficier jusqu’à 100 % d’exonération sur les bénéfices. Le même jour, l’EARL a procédé au rachat du reliquat de titres appartenant à l’associé sortant, celle-ci s’étant suivie d’une annulation de ceux-ci et d’une réduction du capital.

Un résultat intermédiaire avait été arrêté au 15 décembre 2013. Il avait été convenu lors de l’assemblée générale extraordinaire d’affecter entièrement le résultat à l’associé sortant, et d’intégrer celui-ci à la valeur vénale des parts de l’EARL cédées.

On relèvera que l’associé sortant avait pris soin de décaler la date de clôture de l’EARL.

En effet, celle-ci clôturait normalement ses exercices au 30 avril. Il a été décidé de décaler la date de clôture au 31 décembre 2013. L’exercice de plus 12 mois courant du 1er mai 2012 au 31 décembre 2013 aurait donc dû être imposé au nom de l’associé présent à la clôture. En l’absence d’option pour l’application de l’article 73 D du Code général des impôts, c’est donc le repreneur qui aurait dû être imposé intégralement sur les bénéfices réalisés depuis le 1er mai 2012.

Or, celui-ci bénéficiant du régime des jeunes agriculteurs visé à l’article 73 B du Code général des impôts N° Lexbase : L0808MLI, les bénéfices agricoles réalisés au titre de cette période ont ainsi été intégralement exonérés.

14.- En l’absence d’application de l’article 73 D du CGI, on arrive à une situation où :

  • l’associé sortant qui a été attributaire des bénéfices suite à la décision prise lors de l’assemblée générale extraordinaire n’est pas imposé dans la catégorie des bénéfices agricoles ;
  • le repreneur n’est lui pas imposé, en raison de l’application du régime d’exonération visé à l’article 73 B du CGI.

15.- L’associé sortant n’ayant pas été imposé, ni sur les résultats qui lui ont été attribué, ni sur les plus-values professionnelles réalisées lors de la cession des titres de l’EARL, il n’aura pas fallu longtemps au service vérificateur pour diligenter une vérification de comptabilité. Le Service a remis en cause l’application de l’article 73 B du Code général des impôts, c’est-à-dire le régime de faveur des jeunes agriculteurs, ainsi que le calcul des amortissements et des plus-values de cession ultérieurs, les rectifications ayant été établies suivant la procédure de l'abus de droit fiscal en application des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales N° Lexbase : L9266LNI.

Une proposition de rectification a également été adressée à l’associé sortant, établi également selon la procédure de l’abus de droit. Celle-ci tirait les conséquences du redressement de l’EARL. L'administration fiscale a considéré que cette résolution de ladite assemblée générale revêtait le caractère et emportait les effets de l'option prévue à l'article 73 D du code général des impôts précité, et qu'en conséquence l’associé sortant aurait dû être imposé sur le revenu à raison de l'appréhension de cette quote-part du résultat.

16.- Le tribunal administratif de Toulon et la cour administrative d’appel de Marseille [5] ont validé le raisonnement de l’administration fiscale.

Plusieurs éléments avaient emporté la validation de la cour administrative d’appel de Marseille :

  • La date de clôture de l’EARL avait été modifiée par l’associé sortant basculant du 30 avril au 15 décembre 2013. Celle-ci a été à nouveau fixée au 30 avril par le repreneur ;
  • L’intégralité du résultat a été affectée à l’associé sortant, celui-ci venant en majoration de la valeur de la part. Les titres ont été cédés au repreneur et rachetés par l’EARL à la même valeur vénale. La réduction de capital a été effectuée à la valeur nominale, empêchant la réalisation d’une plus-value. Il a été estimé qu’aucune explication à ce schéma n’était apportée, alors que le schéma classique de rachat d'une exploitation conduit, en principe selon la juridiction, au rachat de l'intégralité des parts de la structure par le cessionnaire.
  • Il a été considéré que le résultat arrêté au 16 décembre 2013 aurait dû être affecté en compte-courant. Or, celui-ci a été traité comme un résultat imposable au nom de l’EARL. La totalité du bénéfice agricole de la période du 1er mai 2012 au 31 décembre 2013 a été affectée à l’associé repreneur, seul présent à la clôture.
  • La résolution doit être regardée comme ayant conféré au repreneur des droits dans les bénéfices sociaux différents de ceux qui résulteraient de la seule application du pacte social, de sorte que les bénéfices agricoles arrêtés au 15 décembre 2013 auraient dû être imposés dans ses mains.
  • L'écart entre la valeur nominale des 2 000 parts cédées et le prix de cession, qui constitue la plus-value de cession des titres à long terme réalisée par le repreneur, diminué du résultat intermédiaire qui était également intégré à la valeur de la part, et qui aurait dû être imposée entre ses mains, a été traité comptablement par la réévaluation libre des actifs de l'EARL, immédiatement après la cession des titres, soit le 31 décembre 2013, et dans le même exercice de la cession, et fiscalement comme un résultat imposable au nom de l'EARL. Le bénéfice agricole arrêté au 15 décembre 2013 et la plus-value de cession des titres à long terme ont ainsi été intégrés au résultat de l'EARL.

La cour administrative d’appel de Marseille a ainsi considéré que le montage était abusif. L’administration fiscale était ainsi fondée à écarter l’abattement en faveur des jeunes agriculteurs.

17.- Les contribuables se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État. La haute juridiction administrative a dû déterminer si la résolution prise dans le cadre de l’assemblée générale extraordinaire valait option pour l’article 73 D du Code général des impôts. Le Conseil d’État a également eu l’occasion de se positionner sur l’application de l’abus de droit.

18.- Le Conseil d’État apporte une première réponse sur l’application de l’article 73 D du CGI, qui rappelons-le, est un dispositif optionnel.

Il rappelle le principe, à savoir que, sont seuls redevables de l'impôt dû sur les résultats de l'exercice les associés présents dans la société à la clôture de l'exercice.

Pour être précis, le Conseil d’État indique : « Il résulte de ces dispositions que les bénéfices réalisés par une société de personnes qui n'a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux sont soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains des associés présents dans la société à la date de clôture de l'exercice. Ces bénéfices sont réputés comprendre la rémunération que les intéressés perçoivent le cas échéant en raison de l'activité qu'ils déploient dans l'entreprise. Par suite, la rémunération versée à l'associé d'une société de personnes qui a cédé ses parts avant la date de clôture de l'exercice, à raison de l'activité qu'il a déployée dans l'entreprise avant son départ, constitue un élément du prix de cession de ces parts, prélevé par le cessionnaire sur la quote-part des bénéfices sociaux qui lui revient à la clôture de l'exercice ».

Il est également précisé de manière explicite que l’article 73 D du CGI constituent une dérogation au principe exposé ci-dessus.

2) Quid d’une option pour l’article 73 D du CGI dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire

19.- Le Conseil d’État a considéré que la cour administrative d’appel de Marseille a dénaturé les pièces du dossier.

C’est un petit peu l’effet « Canada dry », les effets sont bien ceux de l’option pour l’article 73 D du CGI, pour autant, les contribuables n’ont pas opté pour l’application de ce mécanisme. Cependant, il est intéressant que l’arrêt rendu par le Conseil d’État ne se réfugie pas derrière la forme de l’option à savoir l’article 38 sexdecies U à l’annexe III du CGI. Celui-ci n’est même pas visé par la haute juridiction administrative. On rappellera qu’il s’agissait de l’une des argumentations du contribuable devant la juridiction d’appel.

Cela amène inévitablement, lorsque l’on met en perspective l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille et la décision rendue par le Conseil d’État, des questions sur la possibilité de réaliser cette option via une assemblée générale extraordinaire notamment en cas de rachat de titres.

20.- Le Conseil d’État ne se positionne que sur la 8ème résolution de l’assemblée générale extraordinaire.

« En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des termes mêmes de cette résolution que l'associé sortant de l'EARL et son nouvel associé avaient au contraire entendu, conformément aux règles rappelées au point 3, prélever sur les bénéfices sociaux devant revenir au nouvel associé à la clôture de l'exercice une somme destinée à rémunérer, sous la forme d'un complément du prix de rachat et de cession des parts de la société, l'activité déployée en son sein par l'associé sortant jusqu'à la date de ce rachat et de cette cession, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier ».

21.- Il est donc nécessaire d’être prudent quant à la rédaction des résolutions des assemblées générales, celles-ci pouvant amener à quelques interrogations quant à une éventuelle option pour l’application de l’article 73 D du CGI.

3) Bénéfice agricole ou plus-value : il faut choisir

22.- Le Conseil d’État semble ainsi dessiner un chemin dans l’imposition des sommes perçues par l’associé sortant d’une société de personnes avant la clôture de l’exercice.

Plusieurs solutions sont possibles :

  • Si l’associé est présent à la clôture de l’exercice, la rémunération perçue est alors qualifiée de bénéfice et imposée en tant que telle, en l’occurrence en tant que bénéfice agricole ;
  • Si l’associé perçoit une rémunération avant la clôture de l’exercice, et que celui-ci cède ses titres en cours d’exercice, alors il s’agit d’un élément du prix de cession. Cela laisse, possiblement, la question de le traiter comme une plus-value professionnelle ;
  • Par exception au cas précédent, si une option pour l’article 73 D du CGI est formulée, alors il est dérogé à ce principe, et la rémunération perçue est imposée en tant que bénéfice agricole.

23.- Le logigramme ci-dessous permet de résumer :

B. Une position devenant constante

24.- Cette articulation entre l’imposition en tant que bénéfices agricoles et l’application de l’article 73 D du Code général des impôts n’est pas une position isolée.

Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de prendre une telle position dans le cadre d’une décision rendue le 30 juin 2023 [6].

25.- La question qui avait été posée au Conseil d’État portait notamment sur, le traitement de la rémunération perçue par l’associé d’une société agricole depuis la fin du dernier exercice et jusqu’à son retrait ? Cette somme peut-elle être déductible du résultat de la société, celle-ci ne pouvant pas affecté ses droit dans les bénéfices ?

Celui-ci avait alors répondu : « La rémunération versée à l'associé d'une société de personnes, qui a cédé ses parts avant la date de clôture de l'exercice, à raison de l'activité qu'il a déployée dans l'entreprise avant son départ, ne constitue pas une charge déductible des résultats de la société mais un élément du prix de cession de ces parts, prélevé par le cessionnaire sur la quote-part des bénéfices sociaux qui lui revient à la clôture de l'exercice ».

26.- On rappellera que la Cour de cassation avait eu l’occasion d’indiquer : « en conséquence, la cour d'appel, qui a relevé que l'engagement souscrit par M. Alexis X... de rembourser à M. Patrick X... le solde de son compte courant déterminé après qu'il eut été crédité de sa quote-part des bénéfices réalisés par la société au 31 juillet 1997 emportait pour lui obligation de supporter le paiement de cette quote-part, dès lors qu'avant la clôture de l'exercice, l'approbation des comptes et la décision d'affectation des résultats, ces bénéfices n'étaient pas acquis, a retenu, à bon droit, que cette convention, qui reposait sur une évaluation et une affectation anticipées des résultats, et, par là même, sur une estimation de la capacité de la société à dégager des bénéfices, participait directement de l'appréciation de la valeur de la société, et constituait une contrepartie négociée, à la charge de l'acquéreur, de la cession des parts dans laquelle elle trouvait sa cause, ce qui en faisait un élément du prix de cession des parts » [7].

27.- On retrouve une forme de réadaptation de cette position au cas de l’arrêt rendu par le Conseil d’État.

Le traitement au regard des bénéfices non commerciaux, avec l’application de l’article 93 B du Code général des impôts N° Lexbase : L1988HL9, est susceptible, à notre sens, de trouver un écho à la décision rendue par le Conseil d’État.

 

[1] BOI-BA-BA-CESS-20 n° 10, du 19/06/2019 [en ligne]

[2] BOI-BA-BA-CESS-20 n° 40, du 19/06/2019 [en ligne].

[3] BOI-BA-CESS-20 n° 210, du 19/06/2019 [en ligne].

[4] CGI, art. 73.

[5] CAA Marseille, 10 novembre 2022, n° 20MA03342 N° Lexbase : A01448TI.

[6] CE 9° et 10° ch.-r., 30 juin 2023, n° 460432, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A364098C.

[7] Cass. com., 28 novembre 2006, n° 04-17.486, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A6407DS4.

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Marchés publics

[Focus] La définition du marché public de travaux en question autour de trois décisions de justice

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N1506B38

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par Goulven Le Ny, Avocat au barreau de Nantes et David Blondel, juriste commande publique à la Ville de Mantes-la-Jolie, formateur à l’Ecole des Ponts Paristech et EFE

Le 17 Janvier 2025

Mots clés : marché public de travaux • influence déterminante • BEFA • opération complexe • cession avec charges d’intérêt général

Le critère de l’influence déterminante a été dégagé par le juge européen pour préciser ce qu’il fallait entendre par un ouvrage répondant aux besoins précisés par l’acheteur public. Ce critère est lui-même désormais complété par la jurisprudence des différents ordres de juridiction, qui converge. Il s’en déduit une dichotomie entre les opérations pour lesquelles l’acheteur public détermine des orientations générales, échappant à la commande publique, et les opérations pour lesquelles il formule des exigences spécifiques dépassant des orientations générales qui relèvent de la commande publique et de la catégorie des marchés de travaux. Les jurisprudences récentes rendues par les juridictions administratives, européennes et judiciaires permettent de déterminer plus finement les contours de ce qui constitue une orientation générale et de ce qui la dépasse de manière « spécifique ».


 

La jurisprudence européenne a progressivement dégagé le critère de « l’influence déterminante » de l’acheteur public sur la nature et la conception de l’ouvrage, critère repris par le législateur européen et aujourd’hui transposé dans le Code de la commande publique (1). Ce critère difficile à appréhender a fait l’objet d’applications récentes à la fois par la Cour de Justice de l’Union européenne, le Conseil d’État mais également la Cour de cassation, fournissant des espèces permettant d’identifier des hypothèses de requalification (2).

I. Le critère de « l’influence déterminante », origine et fondements juridiques actuels

Le critère de « l’influence déterminante » a été dégagé par la jurisprudence européenne (1.1), avant d’être repris par le législateur européen, et intégré dans le Code de la commande publique, où il cohabite avec une présomption (1.2).

A. L'identification du critère de l’influence déterminante dans la jurisprudence européenne

Le critère de l’influence déterminante de l’acheteur public a été dégagé par la jurisprudence européenne pour donner corps à la définition du marché public de travaux figurant dans la directive de 2004. Le marché de travaux était alors défini par référence à son objet, qui devait porter sur la réalisation d’un « ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur ».

Le juge européen a d’abord qualifié de marché public une opération de location d’un ensemble immobilier au motif que l’ensemble immobilier avait été réalisé « conformément aux spécifications très détaillées » explicitées par l’acheteur public au travers d’un « descriptif précis des bâtiments à construire, de leur qualité et de leurs équipements », allant bien au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un nouvel immeuble d’une certaine envergure [1].

C’est pour donner corps de manière plus précise à cette définition que le juge européen a dégagé le critère de l’influence déterminante de l’acheteur public, en ce que « il faut que ce dernier ait pris des mesures afin de définir les caractéristiques de l’ouvrage ou, à tout le moins, d’exercer une influence déterminante sur la conception de celui-ci » [2].

Dans cette affaire, il était question de la vente par un acheteur public à une société privée sur lequel cette dernière devait exécuter ultérieurement des travaux répondant à des objectifs de développement urbanistique définis par la ville. Le juge avait ici écarté la qualification de marché public de travaux que « Le simple fait qu’une autorité publique, dans l’exercice de ses compétences en matière de régulation urbanistique, examine certains plans de construction qui lui sont soumis ou prenne une décision en application de compétences dans cette matière ne répond pas à l’exigence relative aux «besoins précisés par le pouvoir adjudicateur», au sens de ladite disposition » [3].

Le juge européen a estimé caractérisée l’influence déterminante de l’acheteur public en constant l’existence dans les pièces contractuelles d’un cadre d’exigences, lequel précisait « les différentes caractéristiques techniques et technologiques de l’ouvrage projeté ainsi que, en fonction d’un ensemble de données statistiques relatives aux activités », allant jusqu’à évoquer le nombre de bureaux ou de salles nécessaire selon les fonctions ou la capacité d’accueil des parcs de stationnement [4].

B. Reprise par la législateur et intégration dans le Code de la commande publique

Le critère de « l’influence déterminante » dégagé par la jurisprudence européenne a été repris à la directive de 2014, qui dispose qu’est un marché public de travaux le contrat ayant pour objet « la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception » [5].

Ce critère a été de ce fait introduit dans la législation interne lors de la transposition de cette Directive en 2015 (ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics N° Lexbase : L9077KBS, article 5), puis codifié à l’article L. 1111-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3878LR3.

Pour identifier un marché public de travaux, deux critères alternatifs cohabitent en droit interne [6].

Le premier consiste à présumer que constitue un marché public de travaux le marché public ayant pour objet l’exécution, ou la conception ou l’exécution de travaux dont la liste figure dans un avis annexé au Code de la commande publique [7].

La portée de la liste figurant à cet avis a été précisée par le Conseil d’État, qui l’analyse comme créant une présomption de réponse à un besoin de l’acheteur public lorsque le contrat porte sur des travaux figurant à cette liste, ce qui doit conduire à regarder le contrat comme un contrat de la commande publique [8].

Dans cet avis, le Conseil d’État considère qu’ « il ressort tout d’abord du cahier des charges que les passerelles envisagées, bien que destinées à plusieurs usages, ont vocation à être utilisées comme axe de déplacement et de franchissement de la Seine. La création de nouvelles voies et leur affectation à la circulation, y compris piétonne, relèvent de la satisfaction d’un besoin public. Les ponts figurent, en outre, sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique » publiée au Journal officiel du 27 mars 2016 en application du 1° du I de l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du 1° du I de l’article 6 de l’ordonnance du 29 janvier 2016, pour lesquelles existe une forme de présomption de réponse à un besoin de la personne publique ».

Les acheteurs publics doivent donc prêter une attention particulière à ce premier critère, qui semble présenter désormais une certaine automaticité.

Le deuxième critère consiste en une reprise du critère de l’influence déterminante de l’acheteur public sur la nature et la conception de l’ouvrage, critère qui a vocation à s’appliquer dans des situations où l’opération n’est pas présumée relever de la présomption de réponse a un besoin dégagé par le Conseil d’État, ce qui explique probablement la rareté des applications.

Est un marché public de travaux le contrat ayant pour objet « Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception », étant précisé qu’un ouvrage « est le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique » (CCP, art. L. 1111-2).

Si le Conseil d’État considère ce deuxième critère comme alternatif du premier, il est intéressant de noter qu’il analyse les deux critères afin de vérifier qu’en tout état de cause, il est question d’une commande publique.

Il pourrait être tentant d’omettre l’examen du premier critère, puisque que pour reprendre la doctrine, le deuxième « vise probablement à restreindre les hypothèses de qualification de marché de travaux » si bien que « n’y seront plus incluses les opérations dans lesquelles le pouvoir adjudicateur se borne à définir certaines exigences tout en n’exerçant aucune influence déterminante sur la nature ou la conception même de l’ouvrage » et que l’« on pense ici particulièrement aux ventes avec charges » [9].

Cependant, nous ne pouvons qu’inciter les acheteurs publics à reprendre la méthode utilisée par le Conseil d’État dans son avis de 2019 et examiner, par précaution, et en tout état de cause, les deux critères. Ceci afin de limiter les aléas concernant la qualification des montages contractuels complexes et choisir d’emblée la procédure de passation et le régime contractuel adéquat.

II. Le critère de « l’influence déterminante » précisé par des applications par les différentes juridictions s’agissant de montages juridiques variés

La jurisprudence récente fournit trois illustrations récentes, qui permettent d’illustration l’application de critère dans une variété de situations :

  1. application par le Conseil d’État dans le cadre d’une BEFA portant sur la réalisation d’une extension d’un centre hospitalier ;
  2. application par la CJUE dans le cadre d’une opération complexe impliquant subvention et promesse d’achat portant sur un équipement sportif ;
  3. application par la Cour de cassation dans le cadre d’une cession avec charges d’intérêt général en matière de logement social.

Il en ressort que de manière déterminante, c’est la nature des exigences posées par l’acheteur qui fait basculer l’opération dans le champ de la commande publique. Dès lors qu’il dépasse la fixation d’orientations générales, l’acheteur public est en risque de requalification.

A. Application par le Conseil d’État dans le cadre d’une BEFA portant sur la réalisation d’une extension d’un centre hospitalier

Le juge administratif s’est prononcé à plusieurs reprises en appliquant le critère de l’influence déterminante. Avant même que celui ne soit dégagé par la jurisprudence européenne, le Conseil d’État approuvait le tribunal administratif ayant prononcé la nullité d’un « contre de vente l’état futur d’achèvement » dont l’objet était « la construction même pour la compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu selon ses besoins propres », y voyant un contournement des « règles de concurrence, prévues par le code des marchés » [10].

Les juridictions du fond n’ont donc pas eu de difficulté à faire la synthèse de la jurisprudence interne et européenne. Ainsi, par exemple, a été écartée la qualification de commande publique, en regardant des « orientations générales » comme insuffisantes pour qualifier une commande publique [11].

Le Conseil d’État a confirmé cette tendance dans sa décision « SCI Victor Hugo » [12], reprenant et suivant d’ailleurs en cela le rapporteur public, la grille d’analyse dégagée par les juridictions européennes. Le rapporteur public Nicolas Labrune, relatant la jurisprudence européenne et interne explicitée ci-avant, affirmait aux juges du Conseil d’État que « votre propre jurisprudence ne dit pas autre chose » tout en pointant la rareté des précédents.

Il était question là encore d’un bail en l’état futur d’achèvement, concernant l’extension d’un centre hospitalier. Le Conseil d’État juge qu’il s’agit d’un marché public en raison :

  • du contenu des notices descriptives des prestations techniques d'aménagement du bâtiment, lesquelles répondaient à des besoins définis par l'acheteur public ;
  • des nombreux aménagements intérieurs prévus, nécessaires aux activités spécifiques devant s'y dérouler.

Les conclusions du rapporteur public sont également très éclairantes sur la situation de fait et les éléments qui ont pu conduire à cette appréciation : « Ce contrat, [...]  porte sur un ensemble indivisible de deux bâtiments existants et d’un bâtiment à construire.  En ce qui concerne le bâtiment B, qui existe déjà, le centre hospitalier n’occupera que le rez-de-chaussée, qui s’étend sur 116 m², et il n’y a pas de travaux prévus. Quant au bâtiment A,  lui aussi déjà construit et dont l’hôpital occupera les 651 m², des travaux sont prévus pour  «l'adapter à une activité tertiaire », notamment en ouvrant des fenêtres et en créant un  escalier de secours. Ces travaux d’adaptation du bâtiment A ne seraient peut-être pas  suffisants, à eux seuls, pour caractériser un marché public. Mais ils sont indissociables des  demandes du centre hospitalier concernant le bâtiment C, bâtiment de 487 m² à construire  après la conclusion du contrat. Or l’implantation même de ce bâtiment C, dans la continuité  du bâtiment A dont il constitue une extension « en L », a été conçue pour répondre aux  besoins d’utilisation de ce bâtiment A par l’hôpital. Quant aux aménagements intérieurs de ce  bâtiment C, il nous semble ressortir des pièces du dossier soumis aux premiers juges qu’ils  sont destinés à répondre aux besoins spécifiques des usagers accueillis par le centre  hospitalier, en particulier les enfants. Et, d’ailleurs, puisque ces aménagements sont conçus  pour répondre au projet de l’établissement public d’installer dans le bâtiment des activités  médicales et non pas des services administratifs, ils sont en réalité, presque de ce seul fait,  suffisamment spécifiques pour être regardés comme répondant aux besoins précis du pouvoir  adjudicateur. Dans ces conditions, il nous semble que l’influence de la personne publique sur  la conception des ouvrages a bien été déterminante, de sorte que le contrat devait, comme l’a  jugé la cour, être qualifié de marché public de travaux ».

La jurisprudence administrative paraît donc bâtie autour d’une dichotomie entre les opérations pour lesquelles l’acheteur public a fixé des orientations générales, qui ne relèvent pas de la commande publique, et les opérations pour lesquelles l’acheteur public est allé au-delà d’orientations générales, entraînant l’application du droit de la commande publique.

B. Application par la CJUE dans le cadre d’une opération complexe impliquant subvention et promesse d’achat portant sur un équipement sportif

La CJUE a été récemment amenée à statuer sur un ensemble contractuel comprenant un contrat de subvention et une promesse d’achat en vue de la réalisation d’un ouvrage du stade dont les spécifications techniques sont détaillées [13].

Si cet arrêt a principalement intéressé pour la requalification en marché public opérée concernant un ensemble contractuel complexe liant un contrat de subvention et un contrat immobilier, le juge européen a également été conduit à appliquer le critère de l’influence déterminante.

La CJUE y voit un marché public de travaux : « constitue un « marché public de travaux », au sens de cette disposition, un ensemble contractuel liant un État membre à un opérateur économique et comprenant un contrat de subvention ainsi qu’une promesse d’achat, conclus en vue de la réalisation d’un stade de football, dès lors que cet ensemble contractuel crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées » (pt 61).

Elle souligne que l’obligation de respecter les critères fixée par une fédération sportive est susceptible de révéler une influence déterminante, à vérifier par la juridiction de renvoi, dans le cas où ce règlement comporterait des exigences relatives, par exemple, aux dimensions du terrain de jeu, à la capacité du stade en nombre de spectateurs ou au nombre de places de parking prévues, ce qu’il revient également à la juridiction de renvoi d’examiner (pt 54).

Il est intéressant de noter que le fait que les exigences émanent de tiers est indifférent. Il suffit que l’acheteur les reprenne à son compte pour qu’elle traduise une influence déterminante.

L’élément déterminant est en réalité, pour le juge européen également, la nature des exigences posées par l’acheteur public, qui entraînent la qualification de commande publique dès lors qu’elles dépassent des orientations générales telles que la reprise des obligations découlant de la réglementation d’urbanisme.

C. Application par la Cour de cassation dans le cadre d’une cession avec charges d’intérêt général en matière de logement social

De son côté, la Cour de cassation a eu à connaître d’une promesse de cession avec charges d’intérêt général conclues entre une commune et deux promoteurs à la suite d’une consultation menée par un établissement public foncier, prenant des engagements de construction de logements en mixité sociale avec livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix ventes des terrains du domaine privé objet de la cession, d’un local brut et de places de stationnement [14].

Le maire s’est finalement ravisé et a refusé de réitérer la vente, estimant la procédure de passation irrégulière, ce qui a conduit les promoteurs à assigner la commune en réalisation forcée de la vente et paiement de la clause pénale stipulée à la promesse de vente.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation va être conduite à qualifier le contrat. Par une motivation à certains égards surprenante, mêlant la Directive de 2004 et le droit interne résultant de l’ordonnance de 2014, ainsi que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, la Cour de cassation va mobiliser à son tour le critère de l’influence déterminante pour qualifier le contrat.

Elle va écarter l’influence déterminante de l’acheteur public en reprenant à son compte les éléments relevés par la cour d’appel.

En premier lieu, l’appel à candidature ne mentionnait la réalisation d’environ 40 % de logements locatifs sociaux, ce qui correspondait à la proportion minimale imposée par le règlement local d’urbanisme.

En deuxième lieu, l’appel à candidature ne comportait aucune demande formulée par la commune sur la structure architecturale des bâtiments, laissant toute latitude aux opérateurs pour concevoir et réaliser le programme immobilier (catégories de logements et modes d’acquisition), sans définition par la commune des caractéristiques précises du projet.

En troisième lieu, et quand bien même la commune se réservait un local brut et un parc de stationnement et imposait 250 logements collectifs et une surface de plancher minimale à atteindre, la Cour constate qu’aucun élément probant n’établissait que ce local soit utilisé pour la réalisation d’un équipement public répondant à un besoin spécifiquement défini par la commune.

En conséquence, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui a jugé que l’opération n’était pas soumise aux règles de la commande publique.

La jurisprudence des juridictions judiciaires paraît donc également se stabiliser autour d’une dichotomie entre les opérateurs pour lesquels l’acheteur a fixé des orientations générales et les opérations dans lesquelles il est au-delà.

Si cela se déduit d’une lecture a contrario de cet arrêt de la Cour de cassation, la tendance est également marquée clairement par les juridictions du fond.

Ainsi par exemple, il a été jugé que l’acheteur qui a suivi et encadré la réalisation, ce qui résulte de différents courriels démontrant qu’il a adressé une notice descriptive sommaire, un plan de masse, des documents concernant les éléments techniques spécifiques à mettre en place dans l’ouvrage à construire en vente en l’état futur d’achèvement [15].

De même, il a été jugé qu’une opération de vente en l’état futur d’achèvement constituait un marché de travaux, l’acheteur public ayant « fait un certain nombre de remarques et de préconisations », portant sur le nombre de postes de travail et plus généralement sur des détails techniques (pose d'un isolant par l'extérieur sur l'ensemble des façades, volets roulants anti-relevage, brise-soleil, luminaires à LED dans les circulations, palier et sanitaires, téléphonie et informatique avec précablage avec performance de 10 Gbits, etc.). Le juge en déduit que c’est en considération des besoins de l’acheteur public que le projet a été réalisé, l’acheteur public ayant initié le projet et en ayant défini les caractéristiques du bâtiment à construire [16].

Les acheteurs publics, quand même ils relèvent du juge judiciaire, doivent tout autant veiller à ne pas excéder la détermination d’orientations générales au risque de voir leurs opérations requalifiées par des « spécificités ».

 

[1] CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-536/07, Commission c/ Allemagne, N° Lexbase : A5617EMY, pt. 58.

[2] CJCE, 25 mars 2010, aff. C-451/08, Hellmut Muller N° Lexbase : A9884ETA, pt 67.

[3] Idem, pt 68.

[4] CJCE, 10 juillet 2014, aff. C-213/13, Impresa Pizzarotti & C. SpA c/ Cne Bari N° Lexbase : A1868MUQ, pt. 46 et 47.

[5] Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics N° Lexbase : L8592IZA, art. 2.

[6] Voir, sur le caractère alternatif de ces critères : CE, 22 janvier 2019, n° 396221 [LXB=].

[7] Avis relatif à la liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique N° Lexbase : L2786K93.

[8] CE, 22 janvier 2019, n° 396221, 5°.

[9] S. Nicinski (in O. Guézou (Dir.), Droit des marchés publics et contrats publics spéciaux, Le Moniteur.

[10] CE, 8 février 1991, n° 57679, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9835AQC.

[11] CAA Douai, 9 février 2021, n°19DA02146 N° Lexbase : A62564H8.

[12] CE, 3 avril 2024, n° 472476 N° Lexbase : A64072ZC.

[13] CJUE, 17 octobre 2024, aff. C-28/23 N° Lexbase : A73216AE.

[14] Cass. civ. 3, 26 octobre 2023, n° 22-19.444, F-D N° Lexbase : A70531QB.

[15] TJ Bordeaux, 25 octobre 2024, n° 22/09865 N° Lexbase : A49456DI.

[16] CA Orléans, 14 mai 2024, RG n° 21/02017 N° Lexbase : A25215CD.

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