Réf. : Loi n° 2024-1061, du 26 novembre 2024, visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités N° Lexbase : L6167MRT
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N1110B3I
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par Pauline Le Guen
Le 20 Décembre 2024
► Publiée au Journal officiel le 27 novembre dernier, la loi du 26 novembre 2024 tire les conséquences des censures du Conseil constitutionnel relatives au mécanisme de purge des nullités prévu en matière correctionnelle et criminelle, afin de permettre notamment à la partie de soulever une nullité dont elle n'aurait pu avoir connaissance préalablement.
Par deux décisions rendues respectivement en 2021 et 2023, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, avait censuré les articles 181 N° Lexbase : L3576MAP, 305-1 N° Lexbase : L1427MA4 et 385 N° Lexbase : L4803MN9 du Code de procédure pénale. En effet, en matière correctionnelle et criminelle, le Conseil avait relevé que le mécanisme de purge des nullités rendait irrecevable, une fois l’ordonnance de mise en accusation devenue définitive, toute exception de nullité visant les actes de la procédure antérieure à cette ordonnance (Cons. const., décision n° 2021-900 QPC, 23 avril 2021 N° Lexbase : A10544Q4). Il avait également indiqué qu’en l’état, lorsque le juge d’instruction estimait, à la fin de l’information judiciaire, que les faits dont il était saisi constituaient un délit, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel couvrait les vices de procédure, ce qui privait les parties de la possibilité de soulever devant le tribunal les nullités de la procédure antérieure. Il avait ainsi conclu que les dispositions contestées méconnaissaient le droit à un recours effectif et les droits de la défense (Cons. const., décision n° 2023-1062 QPC, 28 septembre 2023 N° Lexbase : A30201IP). Il avait ainsi censuré les dispositions contestées.
Tirant les conséquences de ces deux décisions, la présente loi vient aujourd’hui modifier certaines dispositions du Code de procédure pénale, en matière correctionnelle et criminelle. Ainsi, les articles 175 N° Lexbase : L3229MKS, 178 N° Lexbase : L6709LGL, 179 N° Lexbase : L8054LAK, 181, 269-1 N° Lexbase : L1386MAL et 305-1 du Code de procédure pénale sont complétés afin d’offrir la possibilité aux parties de soulever une nullité dont elles n’auraient pu avoir connaissance préalablement.
Par ailleurs, l’article 385 du même code est modifié afin de prévoir que lorsque le tribunal correctionnel est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, il ne pourra connaître que des moyens de nullité qui n’ont pu être connus par la partie qui les soulève avant la clôture de l’instruction.
Enfin, l’article 2 de la loi précise que ces modifications sont applicables à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna.
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Réf. : Cass. ass. plén., 15 novembre 2024, n° 23-16.670, B+R N° Lexbase : A71676GK
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par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux
Le 18 Décembre 2024
Mots-clés : société par actions simplifiée • décision collective • condition d’adoption • majorité des voix exprimées
La décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause contraire étant réputée non écrite.
L’attractivité de la société par actions simplifiée, qui se confirme au fil des ans au regard des statistiques relatives aux formes de sociétés auxquelles la pratique a recours [1], repose, pour l’essentiel, sur la part de liberté contractuelle laissée pour instaurer son régime juridique. Par sa décision, en date du 15 novembre 2024, prise en Assemblée plénière et retenue pour figurer tant au Bulletin qu’au Rapport annuel [2], la Cour de cassation trace une limite à cette liberté qui ne manquera pas de retenir, légitimement, l’attention du milieu des affaires.
Afin de fixer les principaux éléments du contexte, tant factuel qu’au regard des étapes accomplies dans le parcours juridictionnel, quelques rappels s’imposent avant de pouvoir analyser la position adoptée.
Dans l’affaire en cause, l’article 17 des statuts d’une SAS prévoyait que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». Lors d’une assemblée générale extraordinaire, une décision a été prise d’augmentation du capital social par l’émission de nouvelles actions, avec suppression du droit préférentiel de souscription des associés et réservation de l’émission des actions nouvelles à une société déterminée (celle exerçant la présidence de la SAS). En application de la clause statutaire, cette décision collective a été considérée comme adoptée dès lors qu’elle avait recueilli 46 % des voix, alors que les votes exprimés à son encontre représentaient 54 % des voix.
L’un des associés de la SAS ayant formé un recours en annulation de cette décision, le parcours judiciaire a été marqué, dans un premier temps, par un rejet d’une telle action, tant en première instance [3] qu’en appel [4], reconnaissant ainsi la validité de la clause statutaire retenant le principe d’une décision minoritaire. Sur le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel, la Chambre commerciale, par une décision en date du 19 janvier 2022 [5], avait prononcé la cassation et jugé, au visa de l’article L. 227-9, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L2484IBM, que « nonobstant les stipulations contraires des statuts, les résolutions ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ». Conduite à se prononcer en qualité de cour d’appel de renvoi, la cour d’appel de Paris [6] retient une autre lecture du cadre normatif en cause et, en conséquence, juge que la décision collective n’était pas irrégulière. Un nouveau pourvoi ayant été formé à la suite de cette décision, la Chambre commerciale a ordonné le renvoi de son examen devant l’Assemblée plénière [7], ce qui a conduit la Haute juridiction à devoir se prononcer, de la manière la plus solennelle, et, se plaçant dans le sillage de la position exprimée par l’arrêt du 19 janvier 2022 [8], juger que « la décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite ».
La décision ici analysée marquera, à n’en pas douter, une étape importante dans la construction du cadre normatif et jurisprudentiel dont relève la société par actions simplifiée.
La restriction apportée à la liberté statutaire en matière de prise de décision collective, matérialisée par l’exigence d’un vote majoritaire, impose d’examiner, en premier lieu, sa justification (I), avant de tenter d’en mesurer ses conséquences (II).
I. La justification de l’exigence d’un vote majoritaire
Le point de départ de la perception du régime juridique de la SAS qui pourrait conduire à retenir qu’une clause statutaire admettant que puisse être considérée comme valablement adoptée une décision collective qui ne recueille pas une majorité des votes exprimés par les associés, repose certainement sur la nature contractuelle de cette forme de société, laissant aux associés une large liberté pour fixer les règles de fonctionnement de leur société.
Les juridictions du fond faisaient effectivement bien référence à cette liberté qui serait accordée aux associés à propos des clauses statutaires relatives aux conditions et modalités des prises de décision. Il est vrai que, au regard du libellé de l’article L. 227-9 du Code de commerce, la rédaction qui a été retenue par la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994 N° Lexbase : L2852AWK par rapport à celle figurant dans le projet initial peut être légitimement perçue comme accréditant l’idée d’une totale liberté laissée aux rédacteurs des statuts de la SAS. La première version des dispositions qui figureront à l’alinéa 2 du texte précisait que les décisions en cause devaient être prises par les associés réunis en assemblée qui statuent à « une majorité qui ne peut être inférieure à la majorité absolue des voix exprimées ». La suppression de cette précision dans le texte finalement adopté, et qui constitue l’actuel article L. 227-9 du Code de commerce, pourrait être comprise comme laissant toute liberté aux rédacteurs des statuts [9].
Dans sa décision du 19 janvier 2022 [10], la Chambre commerciale avait également reconnu la liberté accordée par le texte du Code de commerce mais en y apportant un complément consistant à limiter l’exercice de cette liberté sur deux plans. D’une part, la liberté en cause ne peut s’exercer qu’à propos du seuil de majorité des votes requis pour qu’une décision collective puisse être considérée comme adoptée et, d’autre part, la règle statutaire retenue doit permettre de départager les votes qui seraient favorables à la décision soumise aux associés de ceux qui y seraient opposés. Dans la logique d’une telle approche, la Chambre commerciale pose la règle selon laquelle « les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ». En d’autres termes, la liberté est de pouvoir retenir un pourcentage quelconque de voix favorables, dès lors qu’il est au moins égal à 50 % des votes exprimés.
L’Assemblée plénière se situe dans une perspective semblable puisqu’elle fait bien mention de la liberté contractuelle qui est accordée par le Code de commerce, mais elle y confronte une approche que l’on pourrait qualifier de réaliste. La Haute juridiction relève que toute décision, pour pouvoir être considérée comme adoptée, suppose d’avoir recueilli en sa faveur le plus grand nombre de voix, au regard du total de celles exprimées ; à défaut, le risque serait d’aboutir à ce que soient adoptées deux décisions contraires. L’arithmétique est à l’évidence en faveur d’une telle position. Si, pour retenir la situation en jeu dans l’affaire ayant donné lieu aux arrêts cités, le seuil du tiers des voix devait être admis comme emportant l’adoption d’une décision collective, un autre tiers pourrait tout à fait s’exprimer par une décision ayant un contenu contraire à la première. L’impasse dans laquelle se trouverait la SAS suffit à valider l’approche suivie par l’Assemblée plénière.
Au résultat de la position exprimée par l’Assemblée plénière, il apparaît clairement que la clause statutaire fixant les conditions d’adoption d’une décision soumise au vote des associés peut retenir le niveau majoritaire de son choix à la condition qu’il représente « au moins la majorité des voix exprimées », selon la formulation figurant dans l’arrêt. Ce seuil majoritaire, dont le minimum est de 50 % des voix exprimées, peut être placé à une hauteur librement déterminée par la clause statutaire qui serait prévue à ce propos. La formulation fait, toutefois, naître une interrogation quant à la possibilité de n’exiger, pour qu’une décision collective puisse être considérée comme adoptée, que la constatation d’une majorité relative et non point absolue, c’est-à-dire qui, sans atteindre au moins 50 % des voix exprimées, réunit un nombre total de voix favorable à la décision en cause supérieur à celui résultant des voix exprimées à son encontre. En d’autres termes, une décision collective peut-elle être considérée comme valablement adoptée si elle recueille un pourcentage de voix supérieur à celui qui reflète les votes contre ? Cette question avait été identifiée à propos de l’arrêt de la Chambre commerciale du 19 janvier 2022 [11] et la décision de l’Assemblée plénière semble bien écarter que l’on puisse s’en tenir à une majorité relative [12]. Si l’approche rigoureuse peut être justifiée en ce qu’elle conduit à ce qu’au sein d’une SAS aucune décision collective ne pourra être adoptée si elle n’emporte pas au moins l’accord de plus de 50 % des voix exprimées, ce qui est de nature à renforcer la cohésion des membres de la société et éviter le développement de contentieux, on peut aussi considérer qu’elle réduit fortement la souplesse de fonctionnement qui résulterait d’une clause prévoyant l’adoption d’une décision collective dès lors qu’elle réunit à son propos un nombre supérieur de voix – donc une majorité – par rapport à celles exprimées à son encontre [13].
Pour autant, à la lecture de l’arrêt rapporté, et par prudence, sans doute faut-il retenir qu’une décision émanant des associés d’une SAS ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées. Il convient, dès lors, de tenter d’en tirer les conséquences.
II. Les conséquences de l’exigence d’un vote majoritaire
C’est, bien sûr, au regard du régime juridique applicable aux décisions collectives prises au sein d’une société par actions simplifiée que l’impact de la position adoptée par la Haute juridiction doit d’abord être évalué.
Dès lors que la Cour de cassation déclare, au visa de l’article 1844-10, alinéas 2 et 3, du Code civil N° Lexbase : L8683LQN, que toute clause statutaire contraire à la position qu’elle retient est « réputée non écrite », et qu’une décision qui aurait été adoptée sur une telle base statutaire doit être annulée, il conviendra, en pratique, d’apporter une attention particulière aux statuts régissant les SAS déjà constituées. Si une telle clause y figure, il faudra que les associés soient informés de son ineffectivité et peut-être de l’opportunité de procéder à une modification des statuts adéquate. La démarche devrait consister à modifier la stipulation relative aux conditions d’adoption de la décision, afin de la rendre conforme aux exigences de l’arrêt rapporté ; à défaut, puisqu’il s’agit d’une décision qui doit être prise par la collectivité des associés, l’unanimité devrait être requise, faute d’une mention particulière valable à propos des conditions relatives à l’expression des votes. Pour les SAS qui seront constituées à compter de la publication du présent arrêt, la consigne devra être suivie de ne pas faire figurer des clauses relatives à l’adoption de décisions collectives qui ne supposeraient pas un vote majoritaire.
En ce qui concerne le périmètre des catégories de décisions collectives susceptibles d’être concernées par l’invalidation d’une décision qui ne résulterait pas de l’expression d’une majorité des voix exprimées, il s’agit, à l’évidence, de toutes celles qui devront être prises selon cette modalité, que ce soit parce que les statuts en auront décidé ainsi ou parce qu’il s’agit d’une hypothèse imposée par la loi. On relèvera à ce propos que si, dans la décision de la Chambre commerciale en date du 19 janvier 2022 [14], le visa au regard duquel l’arrêt était prononcé ne ciblait que l’alinéa deux de l’article L. 227-9 du Code de commerce, qui liste les décisions qui doivent prises collectivement par les associés, l’arrêt de l’Assemblée plénière se réfère aux alinéas un et deux de ce même texte. Il apparaît logique que la position adoptée dans le présent arrêt couvre toutes les hypothèses de décisions qui doivent être prises collectivement par les associés. Dès lors que l’alinéa deux de l’article L. 227-9 ne fait qu’identifier des catégories de décisions qui doivent faire l’objet de décisions collectives et qui s’ajoutent donc à celles que les statuts auraient retenues, en application de l’alinéa premier, comme imposant ce même mode de décision, il n’y avait aucune raison valable à ce que l’exigence d’un vote majoritaire ne couvre pas l’ensemble des hypothèses de décisions soumises à l’appréciation de la collectivité des associés de la société.
L’invalidation d’une clause statutaire qui admettrait l’effet d’un vote minoritaire en vue de l’adoption d’une décision soumise aux associés imposera désormais d’envisager, le cas échéant, d’autres moyens juridiques susceptibles d’aboutir à un résultat semblable. Si telle est bien la volonté des associés, ils peuvent déjà utiliser le champ de liberté accordé par l’alinéa premier de l’article L. 227-9 pour, par exemple, laisser la compétence à l’organe de direction de la société pour prendre des décisions, même dépassant le strict domaine de la gestion courante des affaires sociales. Puisque, en dehors des hypothèses figurant au deuxième alinéa, le Code de commerce laisse toute liberté aux associés pour déterminer dans les statuts les décisions qui devront être prises collectivement, ils détiennent ainsi le moyen le plus simple, et le plus sûr, d’aboutir à ce qu’une décision résulte de la volonté d’une seule personne.
En demeurant dans le cadre d’une délibération collective des associés, d’autres moyens peuvent être employés pour aboutir à ce qu’une décision puisse être valablement prise alors même qu’elle ne résulterait que du vote favorable d’une minorité des associés. Outre, bien sûr, l’effet produit par le nombre de titres sociaux détenus par un associé (un associé peut détenir plus de la moitié des actions émises par la SAS), l’attribution d’actions à droit de vote multiple permet de favoriser la prise d’une décision alors même qu’elle ne reflète que l’assentiment d’une minorité d’associés, voire d’un seul.
La question pourrait, en outre, se poser de savoir si cet arrêt, bien que ne visant que la société par actions simplifiée, est susceptible d’impacter le droit applicable à la prise de décisions collectives dans d’autres formes de sociétés. En ce qui concerne les sociétés en nom collectif, les SARL et les sociétés anonymes, le cadre normatif ne laisse pas de place aux interrogations suscitées par l’adoption de décisions par l’expression d’un vote minoritaire. En effet, au-delà des différences selon la forme sociétaire en cause, il est bien expressément fait référence à des décisions prises à la « majorité » [15]. Le doute pourrait surgir, toutefois, à propos de la société en commandite simple puisque l’article L. 222-5 du Code de commerce N° Lexbase : L5818AIC mentionne que « les décisions sont prises dans les conditions fixées par les statuts », ce qui fait écho à la règle en cause à propos des SAS. Sans doute, faut-il considérer que la position exprimée dans l’arrêt analysé doit couvrir également d’éventuelles clauses statutaires d’une SCS qui retiendraient la prise en compte d’un vote minoritaire pour l’adoption d’une décision collective. Une approche semblable apparaît pertinente à propos des sociétés civiles. Certes l’article 1852 du Code civil N° Lexbase : L2049ABI dispose que les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises « selon les dispositions statutaires » en n’imposant l’unanimité des associés qu’en l’absence de telles dispositions et l’article 1853 du même code N° Lexbase : L6158MMZ n’apporte aucune précision utile, puisqu‘il se limite à indiquer que « les décisions sont prises par les associés réunis en assemblée ». Pour autant, la règle posée par l’Assemblée plénière selon laquelle « une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix », et qui conduit à invalider une clause statutaire qui permettrait de considérer comme adoptée une décision qui n’aurait pas recueilli la majorité des voix exprimées, peut, à l’évidence, concerner aussi les sociétés civiles.
En définitive, l’arrêt de l’Assemblée plénière du 15 novembre 2024 vient prendre une place significative, bien sûr d’abord et surtout pour le cadre juridique propre aux SAS, toujours sujet à bien des discussions quant à sa pertinence [16], mais au-delà, il marque une orientation plus générale à propos de la place de la liberté contractuelle en droit des sociétés : l’exercice d’une liberté ne doit pas conduire à un blocage dans le fonctionnement de la société.
[1] La SAS a dépassé, au cours de l’année 2024, le nombre des SARL et est devenue la première forme de société utilisée, v. not., 30 ans après sa création, la SAS est devenue la première société en France : entretien avec Pierre-Louis Perrin, RLDA, 2024, n° 208, p. 48.
[2] B. Dondero, Le Quotidien, novembre 2024 N° Lexbase : N0990B33 ; P. Cathalo, Lexbase Affaires, novembre 2024, n° 814 N° Lexbase : N0951B3M.
[3] T. com. Paris, 13 décembre 2016, n° 2015068773.
[4] CA Paris, 20 décembre 2018, n° 16/25967.
[5] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, FS-D N° Lexbase : A18567KX, JCP E, 2022, 1091, note B. Dondero ; Dr. sociétés, 2022, comm. 42, obs. J.-F. Hamelin ; Bull. Joly Sociétés, avril 2022, p. 22, note F.-X. Lucas ; Rev. sociétés, 2022, p. 493, note L. Godon ; D., 2022, p. 342, note A. Couret.
[6] CA Paris, 5-8, 4 avril 2023, n° 22/05320 N° Lexbase : A46659N4, JCP E, 2023, 1197, note B. Marpeau et Th. Damour.
[7] Cass. com., 10 mai 2024, n° 23-16.670, F-D N° Lexbase : A79015BA.
[8] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, FS-D, préc.
[9] V. B. Marpeau et Th. Damour, op. cit.
[10] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, FS-D, préc.
[11] V. not. F.-X. Lucas, op. cit. ; B. Dondero, op. cit.
[12] V. en ce sens, B. Dondero, op. cit.
[13] V., sur la légitimité, dans certains cas, d’une décision valablement prise par un vote minoritaire, not. M. Germain et P.-L. Périn, La société par actions simplifiée, Études -Formules, éd. Joly, 7ème éd., 2023, n° 465.
[14] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, FS-D, préc.
[15] V. not. pour la SNC, C. com., art. L. 221-6 N° Lexbase : L6123MMQ ; pour la SARL, C. com., art. L. 223-14 N° Lexbase : L3178DYD ; pour la SA, C. com., art. L. 225-96 N° Lexbase : L2084LYT et L. 225-98 N° Lexbase : L2168LYX.
[16] V. not. les travaux du colloque « La société par actions simplifiée, un succès sans limite ? », organisé par la cour d’appel de Paris (10 septembre 2024) N° Lexbase : N0817B3N.
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 9 octobre 2024, n° 472257, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A456659Y
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par Laurence Vapaille, Maîtresse de conférences HDR droit public, Cergy Paris Université – Membre du Lejep, Directrice du master droit fiscal et douanier
Le 19 Décembre 2024
Mots-clés : TVA • hôtellerie • arrhes • prestataire de services
Le Conseil d’État a eu l’occasion, par une décision rendue le 9 octobre 2024, de se prononcer sur une nouvelle pratique développée au sein de l’hôtellerie pour limiter le phénomène du no-show.
Cette expression désigne le fait qu’un client qui a réservé une chambre ne se présente pas le jour prévu sans prévenir l’hôtel. C’est un comportement de plus en plus fréquent coûteux pour les établissements hôteliers car la nuitée qui n’est pas vendue à la fin de la journée est définitivement perdue. Pour limiter à la fois ce comportement et ses effets financiers parfois sensibles, les hôtels peuvent prendre des garanties au moment de la réservation de la chambre. Plusieurs méthodes sont mises en oeuvre. L’hôtel peut réclamer des arrhes ; proposer un tarif inférieur au prix habituel considéré comme une somme remboursable, ou encore d’exiger un prépaiement par carte bancaire qui permet de facturer la chambre bien que le client ne se soit pas présenté au jour convenu ce qui correspond aux faits de l’affaire commentée. Si dans la plupart des cas, il n’existe pas de difficultés particulières pour distinguer le paiement d’un service de l’indemnisation d’un dommage. Certaines circonstances ne permettent pas toujours de tracer une ligne très nette entre les deux situations, or le traitement du point de vue de la TVA est très différent. Si la somme correspond à une indemnité, elle ne peut pas être considérée comme la contrepartie d’un bien et n’est pas imposable à la TVA [1]. Le bénéficiaire n’a donc pas à facturer la TVA à son débiteur. Et dans le cas où la TVA a été facturée à tort, elle n’entraîne aucun droit à déduction chez le débiteur même si ce dernier était de bonne foi pensant que l’indemnité entrait dans le champ d’application de la TVA.
Une question de droit classique - Du point de vue de la TVA, la question n’est pas nouvelle même si la décision du 9 octobre 2024 concerne une pratique récente. Il s’agit de savoir si la somme demandée pour réserver la chambre et acquise par l’hôtelier prestataire sont soumises ou non à la TVA alors même que le client ne s’est pas présenté et n’a pas utilisé la chambre. Bien que ce procédé soit récent et que la haute juridiction n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer avant cette décision, la solution de la juridiction suprême administrative s’inscrit dans une suite de décisions et ne remet pas en cause la ligne jurisprudentielle en la matière.
Des circonstances nouvelles - La société Hôtellerie Paris Suffren considérait que les sommes prélevées sur les comptes bancaires de ses clients qui ne se présentaient pas à la date convenue sans la prévenir n’étaient pas soumises à la TVA car elles avaient un caractère indemnitaire. La question posée au CE est de savoir si les sommes, appelées no-shows, sont destinées à réparer un préjudice résultant du client défaillant ou si elles doivent être considérées comme un paiement effectué en contrepartie d’une prestation de service. Dans le premier cas, ainsi que le défend la société demanderesse, la nature indemnitaire implique que la somme n’est pas imposable à la TVA. Dans la seconde hypothèse, défendue par l’administration, il s’agit bien d’une prestation de service entrant dans le champ d’application de la TVA. Les juges du TA de Paris (TA Paris, 17 septembre 2021, n° 2011097) puis la CAA de Paris (CAA Paris, 20 janvier 2023, n° 21PA05850 N° Lexbase : A637189T) ont donné raison à l’administration.
La qualification contractuelle ne s’impose pas - Dans un premier temps, il faut remarquer que l’administration n’est pas tenue par la qualification donnée par la société hôtelière issue l’article 17.4 des « conditions générales de vente » selon lequel le débit à hauteur du prix de la nuitée non utilisée par le client l’est « à titre d’indemnité forfaitaire ». Les termes utilisés par ce document ne préjugent pas de la qualification réelle de la somme, l’administration comme le juge de l’impôt peuvent retenir une appréciation différente ce qui est le cas en l’espèce. Ni l’un, ni l’autre ne sont tenus par la qualification donnée par le contribuable mais doivent rechercher la qualification qui correspond à la réalité juridique [2].
Sur la question de droit, le Conseil d’État fonde sa solution sur un critère central, celui du lien direct en concluant que les sommes en cause « représentent donc la contrepartie d’une prestation de service individualisable ». Le lien direct est un critère issu de la jurisprudence de la Cour de justice, ancienne et bien établie, aux termes de laquelle une prestation de service est imposable dès lors qu’il existe, entre le prestataire et le bénéficiaire du service, un rapport juridique impliquant que la rémunération du prestataire représente la contre-valeur effective du service fourni au client bénéficiaire. On peut noter que ce lien doit être aussi « individualisable », précision qui figurait déjà dans la décision d’appel. La question qui se pose est de savoir si le critère du lien direct est toujours établi dans l’hypothèse où le client ne bénéficie pas du service, service qu’il a payé mais qu’il n’a pas utilisé. Le lien direct est-il démontré dans le cas où la somme vient rémunérer un service qui n’a pas été rendu ?
La qualification des sommes en cas de dédit a fait l’objet d’une décision importante rendue en 2007 par la CJCE [3] sur renvoi préjudiciel du CE [4] en matière d’arrhes. Il a été jugé que les sommes versées d’avance à titre arrhes dans le cadre d’une vente de service assujettie à la TVA conservées par le prestataire dans le cas où le client utilisait la faculté de dédit qui lui était ouverte n’étaient pas soumises à TVA. La CJCE a fondé sa décision en considérant que les arrhes pouvaient être analysées comme des indemnités forfaitaires de résiliation. Elles étaient versées afin de réparer le préjudice subi du fait de la défaillance du client. Dès lors la condition du lien direct n’était pas remplie car n’était pas établi le rapport entre, d’une part, une prestation de service rendu à titre onéreux par le prestataire et, d’autre part, le versement des arrhes par le client et gardées par le prestataire. Il en résultait que ces arrhes n’étaient pas soumises à la TVA, car versées en réparation d’un préjudice et non en rémunération d’un service.
La spécificité des arrhes - Pour ne pas être soumise à la TVA la somme doit pouvoir être qualifiée d’arrhes et plus généralement venir en réparation d’un préjudice. Mais, dans d’autres cas, la question posée concernait toujours le fait qu’un client ait acquis un service mais ne l’avait pas utilisé. En particulier dans une affaire portée devant la CJUE [5] à propos de billets de transport aérien. La compagnie aérienne conservait le montant du billet non utilisé par le client, selon elle l’absence d’imposition à la TVA était fondée sur la qualification de la somme en tant qu’indemnité contractuelle visant à réparer le préjudice subi du fait que le client ne s’était pas présenté en temps et en heure à l’embarquement. Mais la CJUE n’a pas retenu cette qualification, car la contrepartie tirée, par le client passager, du prix payé lors de l’achat du billet consiste dans le droit d’obtenir l’exécution du service prévu par le contrat, indépendamment du fait que ce droit soit ou non mis en œuvre par le client. Si, dans le cadre de la jurisprudence de 2007, la qualification d’arrhes avait été retenue d’une part car il s’agissait d’une somme issue d’un contrat différent du contrat principal, en l’espèce un contrat d’hébergement. D’autre part, la CJUE avait aussi pris en considération le caractère symétrique, si l’exploitant n’exécutait pas le contrat le client était en droit de recevoir une somme au titre de cette inexécution par le prestataire. En l’espèce, aucun des éléments dégagés par la décision Sté thermale Eugénie-les-Bains ne peut être retenu pour qualifier les sommes no-shows comme le versement d’une indemnité.
Une position jurisprudentielle bien établie - L’affaire SAS Hôtellerie Paris Suffren a de nombreux points communs avec la décision de la CJUE relative aux transports aériens. En effet, dans les deux espèces, la somme en jeu correspond très exactement au prix de la prestation de service, car il s’agit d’un prix qui est identique à celui que le client bénéficiaire aurait réglé s’il avait utilisé le service. En revanche, si les arrhes sont proportionnées au prix du service, elles ne sont pas identiques au prix ; le dédommagement en relation avec le préjudice subi ne correspond pas au prix du service. Dans l’affaire commentée, le montant payé à l’avance ne diffère pas que la prestation mise à disposition du client soit utilisée ou non pas ce dernier. Le prix versé par le client reste un prix et ne se transforme pas en indemnité du fait que le bénéficiaire ne profite pas du service qu’il a réglé. On comprend bien que les circonstances de l’affaire portant sur le secteur hôtelier soient de même nature que celles concernant le secteur aérien. Par ailleurs, on peut noter que la CJUE garde cette ligne jurisprudentielle, elle a rendu une décision en 2018 [6] à propos de la résiliation anticipée d’un contrat de service d’abonnement téléphonique assorti d’une période minimale d’engagement, la somme due par le client constituait la rémunération d’un service imposable en cette qualité à la TVA. Or le montant de l’indemnité de résiliation était égal celui de la redevance restant à courir sur la période d’engagement. Il en résultait que le prestataire obtenait le même montant en cas de résiliation anticipée ou dans le cadre du déroulement normal du contrat. Plus récemment par une décision du 11 juin 2020, la CJUE [7] a appliqué le même raisonnement. Ces décisions dénotent une position de la CJUE selon laquelle le montant de l’indemnité en application du contrat fait partie du prix que le bénéficiaire s’est engagé à verser en contrepartie des services réalisés par le prestataire. Bien que dans les différentes décisions le client n’ait pas bénéficié des prestations convenues, il en ressort que l’imposition à la TVA a lieu dès lors que le client a droit à ces services et non uniquement s’il a consommé lesdits services.
En conclusion, la technique de prélèvement bancaire de la somme due par le client bien que ce dernier n’utilise pas le service tend à se développer et à être employée dans le cadre de nombreux secteurs d’activités, par exemple aussi dans celui de la restauration. Ce développement est le résultat du comportement des clients, les situations de no show étant de plus en plus fréquentes. Or elles sont tout à fait dommageables pour les prestataires de services car elles impactent tant leurs chiffres d’affaires que leur marge. Plus généralement, et au-delà du seul secteur hôtelier intéressé en priorité par cet arrêt, ce dernier s’inscrit dans une la lignée d’une série de décisions de la CJUE qui concerne un grand nombre d’activités de prestations de services. Les critères mis en œuvre par la juridiction européenne ont pour effet d’étendre l’imposition à la TVA à la plupart des indemnisations contractuelles dès lors les montants sont similaires entre le prix du service et l’indemnité que le service soit ou non rendu.
[1] BOI-TVA-BASE-10-10-50, § 240 à 270, 28 décembre 2022.
[2] À propos de la qualification d’indemnité dans le cadre d’un contrat, l’administration et le juge de l’impôt ne l’avaient pas retenue dans un cas analogue afin de déterminer si une somme était ou non soumise à la TVA : CE Contentieux, 15 décembre 2000, n° 194696 N° Lexbase : A1468AI9 : DF 2001, n° 16, comm. 378, concl. G. Goulard, note R. Jouffroy.
[3] CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-277/05, « Société thermale d'Eugénie-les-Bains c/ Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie » N° Lexbase : A4375DXC, DF 2007, n° 36, comm. 749, note Y et I. Sérandour. Les auteurs de cette note se montrent critiques vis-à-vis du sens de cette décisions.
[4] CE 3° et 8°, 30 nov. 2007, n° 263653, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1008D3Q : rec. 2007, p. 202.
[5]CJUE, 23 décembre 2015, aff. C-250/14, « Air France KLM » et aff. C-289/14, « Hop ! Brit Air SAS » [LXB=N° Lexbase : A9512NZC] : RJF, 3/16, n° 309.
[6] CJUE, 22 novembre 2018, aff. C-295/17, MEO - Serviços de Comunicações e Multimédia SA N° Lexbase : A0190YND.
[7]CJUE, 11 juin 2020, aff. C-43/19, « Vodafone Portugal et Communicacoes Pessoais SA » [LXB= A27923NQ] : DF, 2020, n° 25, act. 202 ; J.-D. Vasseur et O. Galerneau, Alea jacta est : de l’imposition quasi systématique à la TVA des indemnités de résiliation contractuelles : DF 2021, n° 10, comm. 166.
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