Réf. : CA Grenoble, 18 juillet 2024, n° 23/04116 N° Lexbase : A93125SP
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N1115B3P
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par Delphine Tharaud, Professeure de droit privé Université de Limoges, OMIJ
Le 20 Décembre 2024
Mots-clés : Égalité • Égalité entre les femmes et les hommes • parité • mixité • discrimination directe (non) • Discrimination positive • Proportionnalité
En tant que discrimination positive, n’a pas de caractère disproportionné au regard du principe d’égalité le mode de scrutin binominal paritaire aux élections des membres des conseils de l’Ordre, même s’il empêche la candidature de duos féminins dans une profession très féminisée.
Égalité de traitement entre les femmes et les hommes, lutte contre les discriminations en raison du sexe, mixité, parité, représentation équilibrée sont autant de déclinaisons de l’idée d’une égalité dans les faits entre les femmes et les hommes. Le modèle simple d’une identité de traitement afin de garantir l’égalité est aujourd’hui devenu une solution parmi d’autres, même si elle reste le principe. L’égalité, devenue complexe et technique, nécessite une lecture fine de chaque dispositif mis en œuvre.
Depuis la difficile acceptation de la discrimination positive[1], pour laquelle une modification de la Constitution[2] a été nécessaire afin d’intégrer un alinéa au sein l’article 1er, les actions dédiées à une représentation paritaire des femmes et des hommes lors de différentes élections politiques et professionnelles, voire concernant les responsabilités professionnelles, se sont multipliées. La profession d’avocat ne fait pas exception à cette dynamique d’ensemble. Ainsi, aux termes de l’article 15 de la loi du 31 décembre 1971[3], les élections au Conseil de l’Ordre de chaque barreau sont soumises à un scrutin binominal majoritaire à deux tours. Afin de répondre aux exigences paritaires, chaque duo doit présenter une personne de chaque sexe.
En méconnaissance manifeste de cette règle, deux avocates se sont présentées ensemble aux élections au conseil de l’Ordre du barreau de Grenoble. Leur candidature jugée irrecevable, elles contestent la décision de refus émanant du conseil de l’Ordre devant la cour d’appel de Grenoble qui s’est prononcée le 18 juillet 2024[4] en rejetant leur demande. Le refus de leur candidature n’étant qu’une application littérale des règles applicables en la matière, il fallait hisser le contentieux sur un plan plus élevé, autrement dit en agissant sur le contenu même de la règle appliquée et ses contradictions avec le principe d’égalité. Malgré la diversité des fondements nationaux et supranationaux mobilisés, la cour d’appel juge que le mode de scrutin respecte le principe d’égalité, ce qui la conduit à rejeter les prétentions des deux avocates. Le contentieux, selon ce qui ressort de la presse, avait surtout une visée stratégique[5], les candidates ayant voulu mettre en lumière l’injustice de la règle[6].
Pourtant, l’arrêt de la cour d’appel est intéressant à plusieurs titres. Tout d’abord, il permet de comprendre qu’un mode de scrutin imparfait sur le plan de l’égalité (I) peut cependant être validé tant qu’il s’agit d’une discrimination positive proportionnée (II).
I. Le scrutin binominal paritaire, un mode de scrutin imparfait sur le plan égalitaire
Il peut paraître paradoxal d’affirmer qu’un scrutin qui assure la parité n’est pas pour autant parfaitement égalitaire. Cette tension provient du fait que la parité électorale s’applique dans un contexte où il existe une forte féminisation de la profession. La mixité n’est ainsi pas prise en considération dans le dispositif paritaire (A). Pour autant, un tel mode de scrutin n’est pas, en tant que tel, contraire au principe d’égalité (B).
A. Le scrutin binominal, reflet de la parité, mais pas de la mixité professionnelle
La parité est dorénavant déclinée sous différentes formes selon le mode de scrutin concerné. Le législateur, dans le domaine des élections politiques, a envisagé la parité dans divers processus électoraux[7]. Ainsi, concernant les scrutins de liste, un nombre équivalent d’hommes et de femmes présents sur la liste des candidats avec une alternance de candidats de chaque sexe permet de réaliser la parité, autrement dit la présence égale de chaque sexe dans le panel de candidats conduit à la réalisation de l’égalité[8]. Concernant les scrutins uninominaux, l’individualisme de ce mode électoral fait remonter l’obligation paritaire au niveau des partis politiques[9]. Quant au scrutin binominal, la parité est assurée au sein de chaque candidature par la présence d’une personne de chaque sexe[10].
L’égalité est ici lue à un double niveau. Tout d’abord, la présence assurée de femmes dans les candidats. La parité est, à cette étape, un objectif aussi bien qu’un résultat réel atteint dans les faits[11]. Ensuite, concernant les personnes élues, le scrutin est censé assurer la présence d’un minimum de femmes victorieuses. À ce stade, la parité n’est plus qu’un objectif à atteindre qui ne se traduit pas nécessairement dans les faits, sauf scrutin binominal où, mécaniquement, il y a autant d’élus femmes qu’hommes. Les élections politiques se prêtent bien à ce cadre paritaire au sens où la population étant répartie à peu près pour moitié dans chaque sexe, la représentation politique de la société, quelle que soit son échelle, répond effectivement à cette répartition naturelle.
Le cadre des fonctions professionnelles, autre sphère d’application de l’article 1er de la Constitution, répond moins bien à cette parité. En effet, le degré de mixité varie énormément selon des dynamiques sociales, elles-mêmes le produit de biais discriminatoires. Les parois de verre empêchent ainsi certains métiers ou certaines activités d’être réellement féminisés, tandis que d’autres le sont particulièrement[12]. La profession d’avocat entre dans cette deuxième catégorie.
Afin de s’adapter à cette réalité de départ, les règles paritaires peuvent se transformer en règles de représentation équilibrée. C’est le cas dans les élections professionnelles où les listes de candidats doivent refléter le taux de mixité du collège électoral[13]. Ainsi, si l’alternance entre chaque sexe reste de mise, elle doit être réalisée jusqu’à épuisement du sexe le moins représenté.
Or, c’est le point central de l’action menée par les candidates malheureuses, ce type d’aménagement n’est pas présent dans le cas des élections aux conseils de l’Ordre. Le mode de scrutin binominal paritaire, qui dans le contexte des élections politiques produit une égalité des chances et de résultat, se révèle inadapté dans le contexte professionnel. La composition de duos présentant un candidat de chaque sexe répond bien à la parité, des candidats et des élus, mais rend impossible l’adaptation que l’on rencontre dans un scrutin de liste où la composition de la candidature est le reflet de la mixité de la profession ou du collège électoral concerné. Le scrutin binominal oblige à la binarité : soit la candidature est paritaire, soit elle est non mixte en présentant uniquement des candidats d’un même sexe.
Les appelantes font donc valoir la nécessité d’une mise à l’écart de cette règle et d’un changement de mode de scrutin, en accord d’ailleurs avec une proposition du Conseil National des Barreaux[14], et mettent pour cela en lumière le mode de scrutin pour les élections à ce dernier qui inclut des sièges réservés selon le sexe. Cependant, nous soulignerons que ce mode d’élection ne parvient pas à créer un miroir de la mixité de la profession, la répartition des sièges étant purement paritaire.
Quoi qu’il en soit, cette imperfection conduit le juge à devoir trancher la conformité de ce type de dispositif avec les principes d’égalité et de non-discrimination.
B. La conformité du scrutin binominal paritaire avec les principes d’égalité et de non-discrimination
En élevant le contentieux au niveau du mode de scrutin utilisé sans discuter de son interprétation par le conseil de l’Ordre, les prétentions des avocates posent la question de la conformité de la règle au principe d’égalité. Pour cela, elles ont choisi de s’appuyer sur le droit interne, avec le bloc de constitutionnalité, et sur le droit européen protecteur des droits de l’Homme par la mobilisation du droit de l’Union et de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le premier inclut des directives sur les discriminations[15], supports d’une demande de question préjudicielle, et l’article 21 de la Charte des Droits fondamentaux N° Lexbase : L8117ANX. Quant à la CESDH, sont mobilisés l’article 14 N° Lexbase : L4747AQU et le protocole n° 12. Il faut immédiatement préciser, même si cela n’est pas souligné par la cour d’appel, que le texte additionnel à la Convention ne constituait pas un fondement recevable faute d’avoir été signé par la France.
Concernant l’assise constitutionnelle, comme indiqué par le conseil de l’Ordre, partie au procès, elle ne devrait pas être analysée par la cour d’appel. En effet, la constitutionnalité d’une disposition législative reste de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel et les appelantes auraient dû présenter, par voie incidente, une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) afin de voir leurs prétentions tranchées sur ce fondement. Cependant, la cour d’appel accepte de répondre sans discuter de ses prérogatives et va, en toute logique, assoir son propos sur des décisions du Conseil constitutionnel rendues sur des modes de scrutin identiques[16] ou montrant une logique paritaire similaire[17]. Elle estime alors que le scrutin binominal est conforme à la Constitution. En effet, l’article 1er de celle-ci affirme la possibilité pour le législateur de mettre en place des actions permettant de progresser vers l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. L’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 N° Lexbase : L6821BH4, également cité, laisse entrevoir cette dynamique égalitaire en indiquant que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».
Reste donc à explorer la voie européenne. Concernant l’application du droit de l’Union, les juges grenoblois estiment que le renvoi préjudiciel demandé par les avocates n’a pas à être transmis, la CJUE ayant déjà tranché, selon eux, le sort de ce type d’action.
Ne subsiste donc que l’appui de la Convention européenne des droits de l’Homme. Mais sur ce point comme finalement sur les autres, ce n’est pas le principe même des actions paritaires qui est finalement mis en jeu, l’article 14 permettant des différences de traitement, mais son caractère proportionné.
II. Le scrutin binominal paritaire, une discrimination positive proportionnée
Le mode de scrutin mis en place dans les élections au sein des Conseils de l’Ordre répond à un objectif de réalisation de l’égalité dans les faits. Cette discrimination positive est donc à replacer au sein des actions de lutte contre les discriminations (A), pour lesquelles l’analyse se concentre sur la proportionnalité de la mesure (B).
A. Une action de lutte contre les discriminations
La cour d’appel de Grenoble affirme avec force que le mode de scrutin binominal paritaire relève d’une « discrimination positive ». L’emploi de cette expression, rare de la part des juridictions françaises[18], oblige à reprendre l’ensemble du mécanisme égalitaire pour comprendre l’analyse qui est effectuée.
Tout d’abord, l’égalité est avant tout formelle. Elle suppose alors que toutes les situations soient traitées de la même manière. Cette forme d’égalité est celle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen en son article 1er. Ensuite, dans un élan matériel et concret, et seulement à titre dérogatoire comme rappelé par les juges grenoblois, le droit français accepte que le législateur puisse, et non doive, traiter des situations différentes de manière différente[19].
Les discriminations positives entrent dans ce champ dérogatoire car ce sont des mesures qui visent à introduire une différence de traitement en raison de la différence de situations existant entre une catégorie discriminée et une catégorie non discriminée[20]. Cette différence constatée est le produit d’ « inégalités de faits[21] » et répond aux « réalités de la vie sociale[22] ». Elles sont possibles[23] et sont même particulièrement envisagées concernant l’égalité entre les femmes et les hommes par l’intermédiaire de l’article 1er de la Constitution de 1958 N° Lexbase : L7403HHN. C’est la raison pour laquelle c’est ce texte qui est au cœur des fondements utilisés par les appelantes et non l’article 1er de la DDHC N° Lexbase : L1365A9G.
Il faut dès lors envisager la nette distinction à faire entre les discriminations négatives directes, qui constituent une rupture de l’égalité formelle et réelle, et les discriminations positives, qui rompent de manière justifiée avec l’égalité formelle pour parvenir à une égalité réelle. Le scrutin binominal paritaire entre dans la deuxième catégorie.
Sur le plan supranational, si l’on en croit la cour d’appel, les appelantes auraient indiqué que la discrimination positive serait « inconventionnelle par principe ». Or, comme les juges d’appel l’indiquent, ce n’est pas le cas. La CEDH est d’ailleurs plus ouverte que le droit national en accueillant facilement les différences de traitement qu’elle peut faire reposer sur les obligations positives de l’État[24]. L’égalité a alors une double facette : le traitement identique de situations semblables et le traitement différent de situations différentes[25]. Il est regrettable de ce point de vue que la cour d’appel ne cite pas uniquement des jurisprudences strasbourgeoises spécifiquement dédiées aux discriminations positives[26] qui constituent des différences de traitement spécifiques et dont la proportionnalité obéit à un régime propre. Car il s’agit bien de l’enjeu central de la décision.
Si la question de la proportionnalité de la mesure est essentielle, son traitement par les appelantes et la cour reste relativement nébuleux. Pour commencer, les demandeuses s’appuient sur le fait qu’elles sont victimes d’une discrimination directe et non d’une discrimination indirecte. Selon elle, jurisprudence de la CJUE à l’appui, cette forme de discrimination neutralise toute analyse de sa proportionnalité. Il y a dans leur argumentation une double contradiction. En premier lieu, la rédaction de leur question préjudicielle fait apparaitre l’idée d’ « effet » de la mesure en termes discriminatoires. Cette logique se retrouve habituellement pour les discriminations indirectes dont la lecture relève essentiellement d’éléments factuels, peu important la volonté de l’auteur de la discrimination[27]. Dès lors, la proportionnalité est bien sous-jacente à cette demande. En second lieu, la proportionnalité se retrouve plus loin lorsqu’elles évoquent le fait que le mode de scrutin « ne répond pas aux critères de proportionnalité » afin de démontrer l’existence d’une discrimination liée au sexe et sur les opinions politiques. En effet, l’irrecevabilité de leur candidature restreint de fait l’offre politique et les empêche d’exprimer leurs positions[28].
Cependant, peu importe finalement le caractère direct ou indirect de la discrimination puisque la mesure contestée relève d’une discrimination positive. Dans ce cadre, l’analyse de la proportionnalité doit être effectuée selon des considérations propres à ce type d’action.
La proportionnalité est avant tout envisagée sur le plan quantitatif[29]. Il s’agit de rétablir une égalité dans les faits qui est actuellement absente, sans pour autant basculer dans une forme inverse de discrimination négative en excluant de manière non justifiée des personnes issues de la catégorie non discriminée. Ainsi, la plupart des actions en justice sur les discriminations positives en faveur des femmes sont portées par des hommes qui s’estiment injustement exclus[30]. Il est dommage que la cour d’appel de Grenoble ne se soit pas véritablement attachée à établir l’équilibre entre les deux sexes réalisé, ou non, par le mode de scrutin. En effet, elle se contente d’identifier les modulations apportées par la législation concernant les petits barreaux avec la mise en place d’un scrutin uninominal afin de pallier les difficultés pratiques pour trouver des candidats hommes. Mais le barreau de Grenoble n’est pas concerné. Elle poursuit la même logique pratique en indiquant que d’autres barreaux sont moins féminisés que celui de Grenoble, sous-endentant par là qu’il y a moins de difficultés pour trouver des avocats désirant se présenter aux élections du conseil de l’Ordre. Ces éléments ne fournissent aucune indication sur les effets réels du mode de scrutin.
Pour lire véritablement la proportionnalité quantitative de la discrimination positive, il aurait fallu revenir au moteur de l’action en justice. De manière inhabituelle, l’action est portée par des femmes qui se plaignent bien d’une forme d’exclusion qui leur est faite : cette règle binominale paritaire entrave la recevabilité de leur candidature purement féminine.
Cette excentricité judiciaire s’explique par le fait que, contrairement à des hommes, elles ne contestent pas le trop de l’action, mais le trop peu. Elles auraient voulu que leur candidature soit recevable, et même « prioritaire », dans le contexte d’une profession majoritairement exercée par des femmes. Il aurait donc fallu faire plus. Or, l’efficacité restreinte d’une discrimination positive ne peut jouer contre elle puisqu’elle a pour but d’éliminer ou simplement de réduire les inégalités de fait [31].
C’est bien de cela dont il s’agit. En effet, il est intéressant de comparer la parité parfaite au sein des conseils de l’Ordre avec les résultats obtenus aux élections des bâtonniers où aucune discrimination positive n’existe. Alors que le panel d’électeurs est le même, les bâtonniers restent majoritairement des hommes (à plus de 57 %[32]). Autrement dit, même imparfaite, la discrimination positive appliquée aux élections aux conseil de l’Ordre semble réduire factuellement les inégalités dans les résultats aux élections.
Cela prouve également que la mesure est bien une discrimination positive au bénéfice des femmes : même dans une profession fortement féminisée, les résultats d’élections sans attention portée à l’égalité risquent de rester au bénéfice des hommes.
A retenir :
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[1] Le Conseil constitutionnel a en effet toujours refusé les actions de discrimination positives (Cons. const., Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999 N° Lexbase : A8778AC4 ; Cons. const., décision n° 2001-445 DC, du 19 juin 2001 N° Lexbase : A5371AT4 et Cons. const., décision n° 2006-533 DC, du 16 mars 2006 N° Lexbase : A5902DNW), avant que leur principe ne soit explicitement inscrit dans la Constitution (Réforme constitutionnelle du 8 juillet 1999) et a fait preuve par la suite d’une lecture réductrice en cantonnant cette possibilité à la liste des exemples donnés par la Constitution (pour les élections professionnelles avant leur intégration au sein de l’article 1er de la Constitution : CC, 16 mars 2006, préc.).
[2] Une première fois en identifiant uniquement les élections politiques et en l’intégrant dans la Constitution par son article 3 (Réforme constitutionnelle du 8 juillet 1999) ; la deuxième en élargissant l’assiette de la discrimination positive aux élections et responsabilités professionnelles et en faisant glisser cette affirmation de l’article 3 à l’article 1er de la Constitution (Réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008).
[3] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ.
[4] CA Grenoble, 18 juillet 2024, n° 23/04116.
[5] Au sens où il permet de médiatiser une problématique sans nécessairement l’espoir que le contentieux aboutisse positivement sur le plan judiciaire. Sur cette notion : C. Boyer-Capelle et E. Chevalier (Dir.), Contentieux stratégiques, LexisNexis, 2021.
[6] Ainsi, ont-elles déclaré que leur candidature répondait à un « un geste militant, pour dénoncer le côté absurde de cette règle » [en ligne] https://mesinfos.fr/38000-grenoble/grenoble-deux-avocates-deboutees-apres-avoir-denonce-un-systeme-electoral-discriminatoire-202842.html
[7] Pour la première : Loi n° 2000-493 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives N° Lexbase : L0458AIS.
[8] C’est le cas pour les élections municipales.
[9] Par exemple, chaque parti politique doit présenter un nombre égal de candidats et de candidates aux élections législatives.
[10] C’est le cas pour les élections départementales.
[11] A moins, comme c’est souvent le cas, que les partis politiques ne respectent pas cette obligation. Ils sont alors soumis à des pénalités financières.
[12] Comme les professions relevant du care par exemple.
[13] Loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi N° Lexbase : L2618KG3.
[14] Résolution adoptée en assemblée générale du CNB le 9 octobre 2020.
[15] Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité des chances et de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) (N° Lexbase : L4210HK7 ; Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4.
[16] Cons. const., décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013 N° Lexbase : A4405KDI.
[17] Cons. const., décision n° 2017-686 QPC du 19 janvier 2018 N° Lexbase : A8637XA7 à propos des élections professionnelles.
[18] Qui plus est lorsque le droit de l’Union est mobilisé car celui-ci préfère identifier des « actions positives »
[19] Cons. const., décision n° 2003-487 DC, du 18 décembre 2003 N° Lexbase : A5371DA8.
[20] Sur ce point : G. Calvès, La discrimination positive, PUF, Coll. Que sais-je ?, 2024 ; D. Tharaud, Contribution à une théorie générale des discriminations positives, PUAM, 2013.
[21] CEDH, 6 juillet 2005, Req. 65731/01, Stec et autres c. Royaume-Uni N° Lexbase : A4356KLW.
[22] CJUE, 30 septembre 2010, aff. C-104/09, Roca Alvarez N° Lexbase : A6577GAT.
[23] Exception faite des motifs de la race, de la religion et de l’origine pour lesquels l’art. 1er de la Constitution prohibe toute « distinction ».
[24] CEDH, 6 avril 2000, Req. n° 34369/97 (N° Lexbase : A7586AWU.
[25] Id.
[26] Ainsi, l’arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (CEDH, 28 mai 1985, n° 9214/80) traite d’une discrimination négative subie par les femmes.
[27] M.-T. Lanquetin, Discrimination – Construction du droit de la non-discrimination, Répertoire de droit du travail, Dalloz, 2024.
[28] Cependant, cette discrimination n’est que la conséquence des règles relatives au sexe, elle n’a donc pas de caractère direct. Et la Cour de cassation a déjà pu trancher concernant les élections professionnelles que ce type de conditions liées à l’égalité des sexes n’induit pas une atteinte à la liberté syndicale. Le parallèle peut être fait avec la discrimination relative aux opinions politiques : Cass. soc. 13 février 2019, n° 18-17.042, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8601YWH.
[29] Ce qui peut être critiqué car le caractère adéquat de la mesure afin de parvenir à une égalité concrète est un élément essentiel de l’efficacité égalitaire de la norme. Pour un exemple d’absence regrettable de prise en compte de ce caractère adéquat : Cass. soc., 12 juillet 2017, n° 15-26.262, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6549WMI, obs. M. Peyronnet, Congé pour le 8 mars : l’art non maîtrisé de la “discrimination positive”, D. actu, 17 juillet 2017.
[30] Pour les premières affaires : CJCE, 17 octobre 1995, aff. C-450/93 N° Lexbase : A7261AHE ; CJCE, 11 novembre 1997, C-409/95 (N° Lexbase : A0325AWX.
[31] CJUE, 30 septembre 2010, Roca Alvarez, préc..
[32] Selon un décompte réalisé le 26 novembre 2024 à partir des données disponibles sur le site internet de la Conférence des Bâtonniers.
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par Clémence Favre, Avocat of Counsel, Factorhy Avocats
Le 18 Décembre 2024
Mots-clés : rupture du contrat de travail • licenciement économique • PSE • priorité de réembauche • congé de reclassement
L’article L. 1233-45 du Code du travail fait courir la priorité de réembauche d’un an dont peuvent bénéficier les salariés licenciés pour motif économique à compter de la rupture de leur contrat de travail. En théorie, la règle est simple. Elle s’avère en pratique plus complexe lorsque le salarié est licencié dans le cadre d’un PSE, et bénéficie d’un congé de reclassement. La Cour de cassation a tranché en 2019 [1], en indiquant que la possibilité pour le salarié de bénéficier de la priorité de réembauche, dans ce cas de figure, court à compter de la fin de son congé de reclassement. Qu’en est-il alors des embauches réalisées pendant la période de congé de reclassement, donc juste après le PSE : peuvent-elles s’opérer sans qu’il soit nécessaire de les proposer aux salariés licenciés qui ont déjà indiqué qu’ils souhaitaient déjà bénéficier de leur priorité de réembauche ? Oui, nous répondent sans aucune ambiguïté les juges d’appel, à l’occasion de multiples décisions rendues au cours de ces dernières années.
Lorsqu’un ou plusieurs licenciements économiques sont mis en œuvre au sein d’une entreprise, le sujet de la priorité de réembauche fait rarement débat :
Étant précisé que la priorité de réembauche ne s'exerce qu'à l'égard de l'entreprise ayant prononcé la rupture du contrat : c'est l'entreprise et non le groupe qui a la qualité d'employeur vis-à-vis de ses salariés ; dès lors, le salarié ne peut prétendre être réemployé dans une société du groupe autre que celle qui l'a licencié [2].
On observe pourtant, au fil de décisions rendues par plusieurs juridictions d’appel depuis 2020, qu’une situation particulière fait débat : la mise en œuvre de cette priorité de réembauche pour les salariés bénéficiant d’un congé de reclassement.
Pour rappel :
Dans le cadre d’une procédure de « grand » licenciement économique collectif (cas général : lorsqu’au moins dix ruptures de contrat de travail sont envisagées sur une période de trente jours), l’entreprise est tenue de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et, dans le cadre de ce PSE, doivent être fixées les règles relatives au congé de reclassement des salariés dont le contrat de travail est rompu pour motif économique (qu’il s’agisse d’un licenciement, ou d’un départ volontaire). Ce congé de reclassement est d’une durée comprise entre quatre et douze mois, pouvant être portée à vingt-quatre mois en cas de formation de reconversion professionnelle [3].
1. Un éclairage de la Cour de cassation sur la date de départ de la priorité de réembauche quand le salarié bénéficie d’un congé de reclassement
Le Code du travail nous indique que la priorité de réembauche court à compter de la date de rupture pour motif économique du contrat de travail des salariés. La Cour de cassation a dû préciser ce qu’il fallait, selon elle, entendre par « date de rupture de contrat » lorsque le salarié bénéficiait d’un congé de reclassement.
L’article L. 1233-45 du Code du travail N° Lexbase : L5792I3W dispose :
« Le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai.
Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification. En outre, l'employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles.
Le salarié ayant acquis une nouvelle qualification bénéficie également de la priorité de réembauche au titre de celle-ci, s'il en informe l'employeur ».
Mais qu’entend-on par date de rupture de contrat de travail ? On observe, sur ce point, une divergence entre l’interprétation « classique » de ce que la Cour de cassation considère être la date de rupture d’un contrat de travail, et l’interprétation spécifique qu’elle en fait concernant l’article L. 1233-45 du Code du travail, dans le cas spécifique où la rupture du contrat de travail pour motif économique a été suivie d’un congé de reclassement. En effet :
Dans un cadre général de rupture du contrat de travail (qu’il s’agisse ou non d’une rupture pour motif économique) :
Selon une jurisprudence constante, la date de rupture du contrat de travail d’un salarié licencié est la date d’envoi de la lettre de licenciement :
« la rupture du contrat de travail se situe à la date où l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin, c'est-à-dire au jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture » [4].
Après la rupture du contrat en tant que telle, les relations contractuelles se poursuivent jusqu’à la fin du préavis, ou, potentiellement, du congé de reclassement (dans le cadre d’un licenciement pour motif économique).
La logique est la même : la rupture intervient à la date où les parties actent, d’un commun accord, leur volonté de mettre fin au contrat de travail, même si les relations contractuelles se poursuivent encore jusqu’à la date fixée, là encore d’un commun accord, par les parties.
Ainsi, à titre d’exemple, dans les conventions de départ volontaire, on distingue habituellement :
Pour autant, et sans respecter la lettre du texte, les juges font, en dernier état, débuter la possibilité pour les salariés de bénéficier de la priorité de réembauche à compter de la fin du congé de reclassement.
Précisément :
« Le délai d'un an, pendant lequel le salarié bénéficie de la priorité de réembauchage, court à compter de la date à laquelle prend fin le préavis, qu'il soit exécuté ou non » [5] ;
« Le délai d'un an pendant lequel le salarié bénéficie de la priorité de réembauche court à compter de la date à laquelle prend fin le préavis, qu'il soit exécuté ou non ; que selon l'article L. 1233-72 du même code, le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter ; que lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement » [6].
Mais si l’on pousse le raisonnement un peu plus loin :
2. Un vide juridique sur les embauches pendant le congé de reclassement
La loi évoque simplement un délai d’un an pour la priorité de réembauche à compter de la rupture du contrat, sans préciser les modalités d’application en cas de préavis/congé de reclassement.
On l’a vu, à date (nous ne sommes jamais à l’abri d’un revirement), la Cour de cassation, en contradiction manifeste avec sa propre jurisprudence relative à la définition de la rupture de contrat, a indiqué clairement (arrêt de 2019 ci-dessus évoqué) que la priorité de réembauche ne débute qu’à l’issue du congé de reclassement. On comprend que la logique qui sous-tend le raisonnement de la Cour de cassation est de rester plus favorable aux salariés dont le congé de reclassement peut être plus ou moins long. De cette façon :
Mais qu’en est-il des postes disponibles pendant la période de congé de reclassement des salariés ?
Faut-il les proposer aux salariés dont le contrat est effectivement déjà rompu, qui auraient éventuellement indiqué souhaiter faire valoir leur priorité de réembauche pendant leur congé de reclassement ?
Il semble que la Cour de cassation n’a pas pris toute la mesure de cette problématique, qui peut conduire, potentiellement, à une situation défavorable aux salariés.
Mais les juges d’appel y ont déjà répondu, en appliquant à la lettre la position de la Cour de cassation. On l’observe au fil de décisions rendues au cours de ces dernières années par différentes juridictions :
« Xxxx fait valoir que la société a manqué à son obligation de lui assurer une priorité de réembauche en ne lui proposant pas un certain nombre de postes ayant le fait l'objet d'une offre d'emploi ou d'une embauche.
La société soutient que la priorité de réembauche de Xxxx ne pouvait s'exercer qu'à l'issue de son congé de reclassement soit le 10 février 2016 et qu'elle n'a procédé à aucun recrutement susceptible de rentrer dans le champ de cette priorité ainsi qu'elle offre de le démontrer par la production des extraits de registre d'entrée et de sortie du personnel. […]
En l'espèce, le congé de reclassement a pris fin le 10 février 2016 de sorte que le salarié ne peut effectivement se prévaloir des embauches qui ont eu lieu antérieurement à cette date au soutien de sa demande ».
« Xxxx a manifesté son souhait de bénéficier de la priorité de réembauchage par courrier reçu par la SAS SFR Distribution le 18 septembre 2017. Toutefois, à cette date, il était encore en congé de reclassement.
Dès lors que son contrat de travail n'était pas rompu et qu'il faisait encore partie des effectifs de la SAS SFR Distribution, il ne peut reprocher à cette dernière de ne pas avoir donné de suite à sa priorité de réembauchage ».
« Le congé de reclassement de Mme [B] a commencé à courir le 29 mai 2016, à l'issue du délai de réponse de huit jours suivant la présentation de la lettre de licenciement, le 21 mai 2016. Il a été suspendu durant la période d'essai de Mme [B] chez son nouvel employeur, du 22 juin au 21 août 2016. Le délai de préavis de Mme [B], qui était de trois mois, a pris fin en conséquence le 1er novembre 2016, comme mentionné sur le bulletin de paie de l'intéressée, versé aux débats et non contesté. La date de rupture du contrat de travail au sens de l'article L. 1233-45 doit dès lors être fixée au 1er novembre 2016, peu important que le licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Le droit à priorité de réembauche ayant pris naissance à cette date, la cour ne peut se fonder sur des éléments antérieurs pour apprécier si la priorité de réembauche a été respectée ».
« Il se déduit de ces stipulations de l'accord collectif du 19 octobre 2016 et de la convention de rupture conclue par M. [C] que la priorité de réembauche d'une durée d'un an offerte à ce dernier ne court qu'à compter de la date de la rupture du contrat de travail, soit au terme du congé de reclassement intervenu le 30 juin 2018, et à condition d'en avoir fait la demande au cours de ce même délai.
Or, au soutien de sa demande de dommages-intérêts pour violation de la priorité de réembauche, M. [C] invoque, d'une part, sa demande de bénéfice de cette priorité faite le 25 avril 2017, et d'autre part, des postes disponibles en juin 2017, soit des faits intervenus pendant le congé de reclassement et avant la rupture du contrat de travail. En outre, M. [C] n'allègue pas l'existence de postes disponibles après la rupture du contrat de travail.
Dans ces conditions, M. [C] n'est pas fondé à invoquer une violation de la priorité de réembauche.
Il y a donc lieu de débouter M. [C] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ».
En conclusion :
La position de la Cour de cassation est à ce jour claire (même si elle peut toujours évoluer), et les cours d’appel l’appliquent strictement, peu important :
Autrement dit : tant que les salariés sont en congé de reclassement, l’entreprise n’a pas de comptes à rendre sur ses postes disponibles ni auprès du CSE, ni des salariés qui auraient éventuellement fait (déjà) valoir leur souhait de bénéficier de la priorité de réembauche.
3. Quelques rappels, en dernier lieu, sur les conséquences d’une réembauche d’un salarié/d’un non-respect de la priorité de réembauche par une entreprise
En cas de réembauche d’un salarié dont le contrat de travail a été rompu pour motif économique, cela semble évident, mais il est toujours bon de le rappeler : un salarié éventuellement réembauché ne doit pas restituer les indemnités perçues dans le cadre de son départ.
En cas de non-respect de la priorité réembauche par une entreprise (C. trav., art. L. 1235-13 N° Lexbase : L8059LGL et L. 1235-14 N° Lexbase : L8058LGK) :
[1] Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-18.653, F-P+B N° Lexbase : A1614Z8B.
[2] Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-43.879, F-D N° Lexbase : A6065D4E ; Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-22.265, FS-D N° Lexbase : A8618RRM.
[3] C. trav., art. R. 1233-31 N° Lexbase : L5760L44.
[4] Cass. soc., 6 mai 2009, n° 08-40.395, F-P+B N° Lexbase : A7619EGB ; Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-17.090, FS-P+B N° Lexbase : A3732IEX ; Cass. soc., 28 septembre 2022, n° 21-15.606, F-D N° Lexbase : A08468MB.
[5] Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 99-44.240, publié N° Lexbase : A2931AXT.
[6] Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-18.653, F-P+B N° Lexbase : A1614Z8B.
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Réf. : Décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées N° Lexbase : L9340MMU
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par Clint Bouland, Docteur en droit privé et sciences criminelles, Qualifié aux fonctions de maître de conférences
Le 19 Décembre 2024
Mots-clés : procédure civile • fins de non-recevoir • juge de la mise en état • tribunal judiciaire • compétence exclusive • compétence partagée • incidents de mise en état • avocats
Digne d’une véritable saga (à succès ?), le traitement des fins de non-recevoir dans les litiges relevant de la compétence du tribunal judiciaire a connu moult rebondissements ces dernières années. Initialement confié à la connaissance du seul tribunal, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile est venu bouleverser cette logique, en rendant le juge de la mise en état, lorsqu’il est saisi, seul compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir à l’exclusion de toute autre formation du tribunal. Source de difficultés pratiques et de lourdeurs procédurales, ce changement de paradigme, pourtant justifié par une volonté de simplification et de rationalisation du temps de l’instance, s’est avéré assez largement contreproductif et les critiques des praticiens n’ont pas tardé à se faire entendre, reprochant en substance au législateur de jouer aux apprentis sorciers. Prenant acte de ces difficultés, ce dernier a récemment lancé son plus beau sort « Reparo », en adoptant le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 ». Est désormais prévue, en certaines circonstances, ce qui pourrait s’apparenter à une compétence partagée du juge de la mise en état et de la formation de jugement du tribunal pour statuer sur ces fins de non-recevoir.
Il est des sagas qui parviennent aisément à nous tenir en haleine, sans jamais nous lasser, et ce malgré la récurrence de leurs épisodes. Serait-ce le cas de ce que l’on pourrait désormais nommer le « cycle des fins de non-recevoir » ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que la question de leur traitement, dans les litiges relevant de la compétence du tribunal judiciaire, a pu faire couler beaucoup d’encre, tant de la part du législateur (l’auteur) que de la doctrine et des praticiens (les critiques). En outre, s’il nous est permis de filer davantage la métaphore, force est de constater que ce « cycle » respecte scrupuleusement le schéma narratif classique commun à tout bon récit.
La situation initiale présente ainsi l’existence de règles procédurales simples, faisant de la formation de jugement du tribunal, de grande instance à l’époque, la seule compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par les parties au litige.
L’élément perturbateur survient cependant par l’adoption du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3, venu bouleverser cette logique bien établie. Outre la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance en tribunaux judiciaires, est désormais consacrée par l’article 789 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9322LTG la compétence exclusive du juge de la mise en état (JME) en matière de traitement des fins de non-recevoir, à l’exclusion de toute autre formation, sauf exceptions relativement rares en pratique.
Or, comme nous le rappelle l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et si ce changement de paradigme était justifié par la volonté du législateur de simplifier et de rationaliser le temps de la procédure, en permettant au JME de statuer en amont sur une fin de non-recevoir susceptible d’entraîner l’extinction de l’instance, de nombreux effets pervers non anticipés se sont vite révélés. La multiplication des incidents de mise en état, l’allongement des délais d’audiencement devant le JME et plus généralement l’accroissement des délais de traitement des dossiers, ou bien encore le risque accru pour les avocats de voir leur responsabilité civile professionnelle engagée dans l’hypothèse où une fin de non-recevoir n’aurait pas été soulevée à temps, sont autant de péripéties auxquelles se sont vus confrontés les praticiens. Le principe de la compétence exclusive du JME dans le traitement des fins de non-recevoir a ainsi pu être assez largement critiqué et le succès de la réforme, sur cette question, n’a pas été au rendez-vous.
Ayant entendu les doléances des principaux concernés, le législateur a récemment lancé son plus beau sort « Reparo », en adoptant le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 » N° Lexbase : L9340MMU, qui entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2024. Celui-ci permet notamment au JME, saisi d’une ou de plusieurs fins de non-recevoir, de renvoyer ces questions à la formation de jugement lorsque leur complexité ou l’état d’avancement de l’instruction le justifie, laissant le soin au tribunal de statuer tant sur l’irrecevabilité des demandes que sur le fond du dossier, à l’issue de la phase de mise en état. Par ce décret « Magicobus 1 », c’est donc une voie de compromis qui est recherchée en matière de fin de non-recevoir, entre les acquis de la réforme de la procédure civile du 11 décembre 2019 d’une part, et une réponse idoine aux problèmes pratiques soulevés par cette dernière d’autre part. Serait-ce là l’élément de résolution tant attendu ?
À l’instar d’Harry Potter devant son chaudron, c’est par voie d’expérimentations que le législateur semble procéder : d’une compétence exclusive de la formation de jugement du tribunal à une compétence exclusive du JME pour connaître des fins de non-recevoir (I.), le décret « Magicobus 1 » consacre désormais, en certaines circonstances, ce qui pourrait s’apparenter à une compétence partagée entre ces deux acteurs (II.).
I. La situation ante décret « Magicobus 1 » : la compétence exclusive du Juge de la mise en état dans le traitement des fins de non-recevoir
Opérant une réforme d’ampleur de la procédure civile, le décret du 11 décembre 2019 a notamment bouleversé le traitement des fins de non-recevoir. Jusqu’alors confié au tribunal dans sa formation de jugement, le juge de la mise en état, dans le cas où celui-ci serait saisi, se voit désormais doté d’une compétence exclusive en la matière (A). Bien que justifié par des impératifs de célérité et de rationalisation de la procédure, ce changement de paradigme a vite montré ses limites, voire même s’est avéré contreproductif, faisant regretter le système antérieur aux praticiens (B).
A. Le principe de la compétence exclusive du juge de la mise en état
Définies comme tout moyen tendant à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir [1], les fins de non-recevoir se voyaient initialement confiées à la compétence exclusive de la formation de jugement du tribunal de grande instance.
En effet, si l’ancien article 771 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9313LT4 réservait un domaine de compétence propre au JME, il ne touchait mot des fins de non-recevoir. Retenant le caractère exhaustif de la liste énumérée par ledit article, la jurisprudence à fort logiquement pu en déduire d’une part que, sauf dispositions spécifiques, le JME n’était pas compétent pour en connaître [2], et d’autre part que les incidents mettant fin à l’instance visés par l’alinéa 2 de l’article 771 précité ne les comprenaient pas davantage [3].
Cette jurisprudence constante et bien établie a cependant été renversée par l’adoption du décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Véritable changement de paradigme en la matière, le traitement des fins de non-recevoir fut alors transféré, en vertu de l’article 789 du Code de procédure civile, à la compétence du seul JME lorsque la demande était présentée postérieurement à sa désignation.
Une exception, expressément prévue, subsistait cependant : lorsque le traitement de la fin de non-recevoir nécessitait que soit préalablement tranchée une question de fond [4]. En cette hypothèse, il était prévu que le JME connaisse de ces deux sujets. Cependant, en cas d’opposition des parties, il était tenu de renvoyer l’affaire devant la formation de jugement, laquelle devait statuer non seulement sur la question de fond préalable, mais également sur la fin de non-recevoir soulevée, sans que l’instruction ne soit close. Ce renvoi pouvait en outre être ordonné d’office par le JME s’il l’estimait nécessaire. Certaines questions pratiques ont toutefois échappé à la vigilance du législateur, ce dernier ayant par exemple omis de se prononcer sur les recours ouverts à l’encontre des décisions rendues par la formation de jugement statuant après renvoi du JME, non prévus par l’ancien article 795 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8605LYD. La doctrine était divisée sur le sujet, certains auteurs concluant en l’absence de recours possibles, d’autres en l’inclusion implicite de ces décisions de la formation de jugement dans le champ de l’article 795 [5]. Moins d’un an après l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile, le législateur apportait finalement un correctif via le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 N° Lexbase : Z7419194, prévoyant expressément la possibilité d’un appel portant non seulement sur la fin de non-recevoir et sur la question de fond tranchées par la formation de jugement sur renvoi du JME.
Célérité, économies et rationalisation, tels étaient les maîtres-mots ayant guidé l’élaboration de la réforme. Célérité tout d’abord, car en consacrant la compétence du JME en lieu et place de la formation de jugement, le législateur visait un traitement rapide, dès le stade de l'instruction, d'un dossier qui en tout état de cause avait vocation à mourir dans l’œuf en raison de l'existence d’une fin de non-recevoir mettant fin à l’instance. Économies ensuite, car ce faisant on évitait aux parties des frais de procédure inutiles, conséquence du maintien en vie artificielle du litige jusqu’à la saisine de la formation de jugement. Rationalisation enfin, car l’intervention du JME avait désormais pour effet de purger le dossier de l'ensemble des moyens susceptibles d’entraîner l’irrecevabilité des demandes de l’une ou l’autre des parties : débarrassée de ce contentieux, la formation de jugement pouvait ainsi ne s’attacher qu’à l’analyse du fond du litige. Ce d’autant plus que l’article 789 du Code de procédure civile prévoyait expressément, à titre de sanction, l'irrecevabilité des demandes formulées sur le fondement d’une fin de non-recevoir soulevée tardivement devant la formation de jugement, après dessaisissement du JME.
B. Les conséquences de la compétence exclusive du juge de la mise en état
Malgré ces louables intentions, nul besoin d’avoir suivi les cours de divination du Professeur Trelawney pour anticiper les conséquences pratiques indésirables résultant de ce transfert de compétence vers le JME. Des auteurs ont d’ailleurs très vite alerté sur ces effets pervers [6].
Par un effet de vase communicant des plus logiques, ce que la formation de jugement du tribunal perd en contentieux, le Juge de la mise en état le gagne. Certes, l’intervention en amont du JME supposait que ce contentieux soit traité plus rapidement, mais tel n’a pourtant pas été le cas, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le principe même de l’exclusivité de la compétence du JME, combiné à la sanction de l’irrecevabilité des demandes qui seraient formulées tardivement une fois celui-ci dessaisi, entraîne un accroissement mécanique de ce contentieux au stade de la mise en état. Il est en effet dans l’intérêt des parties de multiplier les demandes afin de s’assurer de n’omettre aucun fondement susceptible d’entraîner l’extinction de l’instance. La réelle menace pesant sur l’avocat, qui se manifeste par le risque de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée en cas d’omission, l’incite également à l’excès de zèle. Plus rarement, c’est à dessein et dans une stratégie dilatoire que certains conseils multiplient les demandes distinctes, qu’ils peuvent en outre soulever peu avant la fin de l’instruction, retardant de plusieurs mois, voire années, le traitement du dossier sur le fond.
En résulte alors une large augmentation des incidents de mise en état portant sur des fins de non-recevoir : le JME ne se voit pas confier un volume de contentieux identique à celui que devait traiter la formation de jugement du tribunal, mais bien supérieur.
Cet accroissement des demandes entraîne nécessairement une augmentation des délais d’audiencement devant le JME, étant par ailleurs précisé que le nombre de juges de la mise en état est variable d’une juridiction à l’autre, mais en tout état de cause inférieur au nombre de magistrats susceptibles de composer la formation de jugement pour connaître du fond du litige. Pour faire face à cet afflux massif de contentieux tout en conservant des délais de traitement « raisonnables », certaines juridictions n’ont alors eu d’autre choix que de confier des fonctions de JME à des magistrats qui jusqu’alors en étaient dépourvus, augmentant ainsi significativement leur charge de travail déjà conséquente ainsi que celle du greffe.
La plupart des dossiers sont alors plaidés deux fois, voire davantage selon le nombre d’incidents soulevés durant la phase d'instruction : devant le JME, puis devant la formation de jugement dans l’hypothèse, de loin la plus fréquente, où la fin de non-recevoir soulevée n’aurait pas permis de mettre fin à l’instance.
Ces délais de traitement, déjà conséquents, sont en outre rallongés en cas d’appel formé par une partie devant le conseiller de la mise en état (CME) contre l’ordonnance rendue par le JME. Un sursis à statuer s’impose alors dans l’attente de la décision du CME. Comble de la complexité procédurale, il est parfois possible d’assister à un véritable « saucissonnage » du litige, en cas d’appel formé à l’encontre d’une décision de la formation de jugement qui se serait prononcée à la fois sur une fin de non-recevoir et sur une question de fond préalable après renvoi par le JME, conformément aux dispositions de l’article 795 du Code de procédure civile tel qu’il résulte du décret du 27 novembre 2020. Litige qui aura vocation à revenir devant le JME de la juridiction du premier degré dans l’hypothèse, fréquente, où l’appel devant le CME n’aurait pas permis de mettre fin à l’instance.
Force est donc de reconnaître qu’aucun des objectifs avancés en 2019 n’a été atteint. Le contentieux relatif au traitement des fins de non-recevoir s’est largement multiplié, entraînant un accroissement conséquent des délais ; celui-ci s’est accompagné d’une augmentation du coût de la procédure pour les parties, directement fonction de la multiplication des audiences devant le JME et, le cas échéant, devant le CME ; la complexité du circuit procédural constitue enfin un obstacle à l’objectif de rationalisation voulu par le législateur.
II. La situation post décret « Magicobus 1 » : vers une compétence partagée du juge de la mise en état et de la formation de jugement dans le traitement des fins de non-recevoir ?
Conscient des difficultés précédemment exposées, le législateur est récemment intervenu en adoptant le décret du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 ». Ce dernier a vocation, selon les dires de la Chancellerie [7], à corriger les conséquences indésirables rencontrées depuis la réforme de la procédure civile, tout en conservant ses apports essentiels, à savoir la rationalisation du traitement des fins de non-recevoir et le principe de l’intervention en amont du JME. C’est uniquement lorsque cette intervention sera susceptible d’être source de lourdeurs et de ralentissements procéduraux qu’un renvoi vers la formation de jugement sera envisageable, sous certaines conditions. Serait-ce donc là la formule magique tant attendue par les praticiens ? Il convient, pour répondre à cette question, de s’intéresser plus précisément aux apports de ce décret (A) ainsi qu’à sa portée pratique (B).
A. Les apports du décret « Magicobus 1 »
Pour les quelques « moldus » qui seraient restés étrangers aux aventures du célèbre sorcier à lunettes rondes, le Magicobus est, dans l’œuvre de J.K. Rowling, un moyen de transport magique apparaissant aux sorciers en perdition, à leur demande, afin de les conduire à bon port en moins de cinq minutes. Par ce surnom abracadabrant et non dépourvu d’humour de « méthode Magicobus », la Chancellerie entend permettre aux praticiens de lui faire remonter diverses problématiques pratiques qu’ils sont amenés à rencontrer, afin d’y remédier en procédant à des modifications ciblées des dispositions de procédure civile, par l’adoption de décrets à intervalles réguliers. Si cette méthode traduit à n’en pas douter une véritable prise en compte bienvenue des difficultés de terrain, certains auteurs ont également pu porter un regard assez critique sur la façon de procéder [8].
Ainsi, par ce décret « Magicobus 1 », le législateur souhaite apporter une solution aux difficultés rencontrées dans le traitement des fins de non-recevoir, tout en conservant l’esprit ayant guidé l’adoption de la réforme de la procédure civile de 2019.
Pour ce faire, le nouvel article 789 du Code de procédure civile autorise un renvoi à la formation de jugement, par le JME, dans deux hypothèses : lorsque la complexité de l’affaire ou lorsque l’état d’avancement de l’instruction le justifie. Il appartiendra alors aux parties ayant soulevé la fin de non-recevoir devant le JME de reprendre ce moyen dans les conclusions qui seront adressées à la formation de jugement. Cette dernière se chargera d’examiner la fin de non-recevoir renvoyée, préalablement à l’étude du fond du dossier. Un tel renvoi peut donc répondre, en théorie, à deux objectifs distincts, mais convergents : éviter qu’un contentieux trop complexe, supposant la collégialité, ne surcharge le rôle du JME, ou bien encore éviter le ralentissement de la procédure résultant d’une fin de non-recevoir soulevée peu avant la fin de l’instruction.
Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une véritable compétence partagée du JME et de la formation de jugement pour traiter les fins de non-recevoir, puisque celles-ci restent par principe dévolues au seul JME [9], sauf décision de renvoi de ce dernier dans les cas spécifiquement mentionnés. Par ailleurs, est conservée la sanction de l’irrecevabilité de la demande lorsqu’elle est soulevée tardivement par les parties, après dessaisissement du JME [10].
Il convient toutefois de noter que la possibilité désormais offerte au JME de renvoyer la fin de non-recevoir devant la formation de jugement ne s’impose nullement à lui. Il conserve par ailleurs, pour le cas où il n’userait pas de cette faculté, sa compétence pour connaître d’une question de fond préalable nécessaire au traitement de la fin de non-recevoir. Seulement, le fondement textuel de cette compétence se voit transféré de l’ancien article 789 du Code de procédure civile au nouvel article 125 du même code N° Lexbase : L1421H4E. Sont en outre supprimées les dispositions spécifiques consacrant la possibilité, pour les parties, de s’opposer à ce que le JME connaisse d’une telle question de fond préalable, en lieu et place de la formation de jugement. Le législateur a en effet estimé que les dispositions prévues à ce titre par l’ancien article 789 faisaient double emploi avec celles résultant déjà de l’article L. 212-1 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7728LPW, pouvant aboutir au même résultat [11].
Autre apport essentiel et largement sollicité par les praticiens, le nouvel article 795 du Code de procédure civile tel qu’issu du décret du 3 juillet 2024 supprime la possibilité pour les parties de former immédiatement appel des ordonnances rendues par le JME statuant sur une fin de non-recevoir, exception faite de celles qui auraient effectivement mis fin à l’instance. Désormais et en cas de rejet de la fin de non-recevoir invoquée, seul l’appel différé sera ouvert, après décision rendue sur le fond du litige par la formation de jugement.
B. La portée du décret « Magicobus 1 »
Il est permis d’espérer que le décret du 3 juillet 2024 permettra de corriger bon nombre des effets indésirables issus de la réforme de la procédure civile de 2019. Nul doute que les praticiens directement concernés par ces questions accueilleront, pour la majorité d’entre eux, ces dispositions avec soulagement. La Commission texte du Conseil national des barreaux avait d’ailleurs d’ores et déjà pu, le 2 février 2024, émettre un avis favorable à l’égard des dispositions relatives aux fins de non-recevoir alors contenues dans le projet de décret [12].
Si le législateur ne fait assurément pas pleinement machine arrière, cette faculté désormais offerte au JME de renvoyer ces fins de non-recevoir devant la formation de jugement à l’issue de l’instruction, par simple mention au dossier, assurera une certaine souplesse dans le traitement des litiges, permettant d’apporter une réponse proportionnée et adaptée à la particularité de chaque dossier, à la condition que les magistrats s’en saisissent.
À ce propos, et à s’en tenir au texte, si un tel renvoi ne semble possible que lorsque la complexité de la fin de non-recevoir soulevée ou lorsque l’état d’avancement de l’instruction le justifie, le nouvel article 789 du Code de procédure civile prend cependant utilement le soin de préciser que cette décision de renvoi constitue une mesure d’administration judiciaire, par conséquent insusceptible de recours conformément aux dispositions de l’article 537 du même codeN° Lexbase : L6687H7S. Le JME disposera donc d’une appréciation souveraine pour déterminer l’opportunité d’un tel renvoi, eu égard aux conditions posées. Bien utilisé, ce nouvel article 789 pourrait par conséquent constituer un outil efficace dans la gestion des flux et stocks des dossiers d'une chambre.
La suppression des appels immédiats des ordonnances rendues par le JME, pour le cas où ce dernier aurait conservé sa compétence et en cas de rejet de la demande, permettra par ailleurs de fluidifier le traitement du contentieux. Le risque d’enlisement ou bien encore de « saucissonnage » des dossiers au stade de l’instruction s’en trouve alors largement réduit.
En ce sens, même si le chemin aura été semé d’embûches et en grande partie parcouru à tâtons, il y a des raisons de penser que le décret « Magicobus 1 » pourrait finalement approcher les objectifs de célérité, d’économies et de rationalisation que la réforme de 2019 n’avait pas permis d’atteindre.
Reste cependant une ombre au tableau, conséquence insoluble de la volonté du législateur de ne pas trahir l’esprit de cette dernière. En effet, si le décret « Magicobus 1 » permet de corriger certaines des conséquences malheureuses de la réforme de la procédure civile, il ne supprime pas leur principale cause, à savoir le principe même de la compétence exclusive du JME en matière de fin de non-recevoir à l’égard des parties. Comme vu précédemment, ces dernières et leurs conseils sont toujours tenus de les soulever au stade de l’instruction du dossier, sous peine d’irrecevabilité. Ils restent donc tout autant incités à multiplier les demandes devant le JME par voie de conclusions d’incident, et non par conclusions au fond. Pèse par ailleurs toujours sur l’avocat la menace de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée en cas d’omission malheureuse d’une fin de non-recevoir. C’est sans doute là le prix à payer du compromis voulu par le législateur.
Pour aller plus loin : lire le commentaire du Professeur Etienne Vergès, Décret « Magicobus 1 » : la réforme de la procédure civile en flux tendu, Lexbase Droit privé, septembre 2024, n° 994 N° Lexbase : N0195B3M ; |
[1] CPC, art. 122 N° Lexbase : L1414H47.
[2] Cass., avis, 13 février 2012, n° 11-00.008 N° Lexbase : A1097IXW ; Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-10.044, FS-P+B+I N° Lexbase : A3238G73, RTD Civ., 2011, n° 2 p. 382, note P. Théry ; RCDIP, 2011, n° 3 p. 716, note H. Gaudemet-Tallon.
[3] Cass., avis, 13 novembre 2006, n° 06-00.012 N° Lexbase : A1096IXU, Gaz. Pal., 2009, n° 46 p. 7, note E. Raskin ; RTD, Civ., 2007, n° 1 p. 177, note R. Perrot.
[4] Ainsi en va-t-il, par exemple, lorsque la question de la prescription nécessite au préalable, pour pouvoir être tranchée, qu’il soit statué sur la nature de l’obligation litigieuse ou de l’acte juridique qui lui a donné naissance.
[5] M. Barba, Nouvelles retouches de l'appel civil ou le syndrome de la réforme permanente. À propos du décret numéro 2020-1452 du 27 novembre 2020, D., 2021, n° 1 p. 39 ; S. Amrani-Mekki, Décret n° 2020-1452 réformant (encore !) la procédure civile, JCP G., 2020, n° 51 p. 2252.
[6] Ch. De Haas, La réforme de la dévolution des fins de non-recevoir ou l'échec annoncé d'une volonté de simplification, Communication - Commerce Électronique, 2020, n° 10 p. 12.
[7] V. not. la circulaire de présentation du décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 dit « Magicobus 1 » portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées [en ligne].
[8] M. Barba, Magique procédure civile, D., 2024, n° 20 p. 961.
[9] Comme continue à le rappeler le nouvel article 789 du Code de procédure civile.
[10] Sauf exceptions mentionnées à l’al. 4 du nouvel article 802 du Code de procédure civile.
[11] COJ, art. L. 212-1 : Le tribunal judiciaire statue en formation collégiale, sous réserve des exceptions tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger.
[12] Simplification de la procédure civile en première instance : les mesures prévues dans le projet de décret Magicobus 1, Gaz. Pal., 2024, n° 5.
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