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N0565B3C
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par Frédéric Balaguer, Maître de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux, Institut Léon Duguit (ILD)
Le 19 Décembre 2024
Mots clés : énergie solaire • sauvegarde des espaces naturels • règle d'urbanisme • panneaux photovoltaïques • patrimoine historique
Longtemps écartées d’une politique énergétique reposant, tout à la fois, sur des énergies fossiles majoritairement importées depuis des pays tiers et sur une énergie nucléaire placée sous le haut patronage de l’État, les collectivités territoriales sont aujourd’hui priées d’apporter leur concours, pour des motifs tant géopolitiques que climatiques, à la diversification de ce mix énergétique*.
Pour y parvenir, plusieurs sources d’énergies renouvelables peuvent être mobilisées. Parmi elles, l’énergie solaire figure en bonne place. Grâce à des centrales thermodynamiques ou des panneaux photovoltaïques installés sur le bâti ou sur le sol, cette dernière permet de produire non seulement de l’électricité mais encore de la chaleur, laquelle peut être utilisée soit pour le chauffage domestique soit pour la production d’eau chaude sanitaire. C’est dire que son intérêt est multiple, d’où l’attention qui lui est portée par l’État et, aussi, dans son sillage, par les collectivités territoriales.
Dans ce but, si elles peuvent prendre l’initiative d’exploiter ce type d’installation [1], elles sont également – et surtout – en mesure d’encadrer et d’organiser leur déploiement par le biais de leur compétence en matière d’urbanisme. Longtemps restée indifférente à cette forme d’occupation du sol, la police de l’urbanisme a dû expressément s’en saisir, pour les promouvoir, par suite des lois adoptées à l’occasion du Grenelle de l’environnement [2]. Depuis, l’article introductif du Code de l’urbanisme énonce que l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme contribue à « la lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ce changement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’économie des ressources fossiles, la maîtrise de l’énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables » [3]. La conséquence est concrète et immédiate puisque les collectivités territoriales sont désormais tenues d’intégrer ces préoccupations non seulement dans leurs documents d’urbanisme suivant une obligation de moyen [4] mais aussi, de façon moins immédiate, au travers des autorisations d’occupations des sols dont elles ont également la charge.
Leur action dans le domaine se veut d’autant plus guidée que les documents d’urbanisme sont invités à respecter les contraintes qui découlent des documents de planification qui leur sont hiérarchiquement supérieurs. Parmi eux, figure le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires [5], document qui doit lui-même être compatible avec l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L7042MKZ, les objectifs de développement des énergies renouvelables et de récupération, exprimés par filière dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et prendre en compte la stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone [6].
Suivant une logique descendante, il appartient ensuite aux auteurs des schémas de cohérences territoriales (SCOT) de définir les orientations qui contribuent au développement des énergies renouvelables et aux plans « climat air énergie » territoriaux d’intégrer de tels objectifs afin d’accroître la production d’énergie renouvelable, le plan local d’urbanisme (PLU) devant, in fine, être compatible avec ces deux derniers documents, lequel s’imposera aux autorisations d’urbanisme qui sont requises pour installer de tels dispositifs selon un rapport de conformité, pour ce qui est du règlement, ou de compatibilité, en ce qui concerne les orientations d’aménagement et de programmation.
La richesse, pour ne pas dire la complexité, de ce cadre normatif se justifie par l’acuité des enjeux et des tensions qui entourent aujourd’hui le nécessaire développement de cette énergie. Si la décarbonation du mix énergétique invite certes d’un côté à massifier son déploiement, la protection de la biodiversité, des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), des paysages et du patrimoine historique et architectural, qui sont autant d’autres objectifs fixés aux politiques d’urbanisme par l’article L. 101-2 du code précité, nécessite aussi de contenir et d’ajuster l’effort conduit en la matière.
Par conséquent, bien que les politiques d’urbanisme décentralisées soient sommées de stimuler le développement de l’énergie solaire (I), la nécessité de mener une politique équilibrée et respectueuse de l’environnement et du patrimoine justifie que son déploiement soit encadré (II).
I. Stimuler le développement de l’énergie solaire
La stimulation peut s’opérer par la règle locale d’urbanisme (A) et, au besoin, contre cette dernière (B).
A. Par la règle d’urbanisme
Les collectivités territoriales sont en mesure d’encadrer et de promouvoir les énergies solaires au moyen, essentiellement, des documents d’urbanisme et des autorisations d’occupation des sols dont elles ont la charge depuis la réforme décentralisatrice. Trois séries d’habilitations, allant de la simple incitation, plus ou moins explicite, à l’obligation, leur sont dans cette optique conférées par le législateur.
En premier lieu, pour que les panneaux photovoltaïques puissent être installés, encore faut-il que les règles d’urbanisme qu’elles édictent le permettent, qu’elles ne s’opposent pas à ce que de tels dispositifs soient aménagés tant sur le bâti, qu’au droit d’espaces non artificialisés tels que les ENAF.
D’abord, lorsque sont concernés des espaces agricoles ou naturels, voire même urbains, qui se révèlent adaptés pour recevoir ces installations, ce sont les règles portant sur l’affectation des sols, les interdictions de construire et la destination des constructions autorisées qui doivent être rédigées de façon à permettre leur implantation [7]. Les collectivités territoriales sont d’autant plus encouragées à agir en ce sens que l’installation de panneaux, à condition qu’ils n’affectent pas les fonctions écologiques et agronomiques des sols, n'est pas considérée comme engendrant une consommation d’espace au titre de la première tranche de l’objectif fixé par le zéro artificialisation nette [8].
Ensuite, pour favoriser leur installation sur le bâti, qu’il soit ou non situé en zone urbaine, les règles de prospect, d’aspect extérieur ou de hauteur qu’elles rédigent devront l’être de telle sorte qu’elles n’empêchent pas, voire ne contraignent pas trop les pétitionnaires. Tel sera le cas d’un règlement autorisant les panneaux solaires à l’intérieur des marges de recul, n’intégrant pas dans le calcul de la hauteur les éléments techniques, et n’interdisant tout simplement pas ces derniers sur la toiture, quoiqu’en cette hypothèse la règle peut s’en trouver neutralisée (cf. infra).
Enfin, pour qu’ils puissent être installés aux abords des axes routiers, la servitude d’inconstructibilité qui s’y applique par principe [9] n’est, depuis la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023, relative à l’accélération de la production énergétique N° Lexbase : L1382MHN, plus opposable aux infrastructures de production d’énergie solaire, photovoltaïque ou thermique, de sorte que le PLU peut faire l’économie de l’étude qu’il doit comporter pour l’écarter [10]. L’évolution se révèle donc moins coûteuse et plus expédiente pour les collectivités territoriales et les porteurs de projets.
En deuxième lieu, parce que ce type d’incitation ne saurait suffire, le législateur a progressivement habilité les collectivités territoriales à encourager plus positivement les administrés à œuvrer en ce sens. Trois exemples peuvent à ce titre être donnés.
Premièrement, la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique N° Lexbase : L5009HGM, a habilité le règlement des PLU, d’une part, à recommander l’utilisation des énergies renouvelables pour l’approvisionnement énergétique des constructions neuves [11] et, d’autre part, à accorder des bonifications de densité en cas d’installation d’un équipement performant d’énergie renouvelable. Tandis que la recommandation a laissé place à un pouvoir plus fort de contrainte [12], le PLU est aujourd’hui encore en mesure d’identifier les secteurs, situés dans les zones urbaines ou à urbaniser, dans lesquels les constructions faisant preuve d’une exemplarité énergétique ou environnementale ou qui sont à énergie positive, bénéficient d’une majoration de volume constructible qu’il détermine en référence à l’emprise au sol et à la hauteur [13].
Deuxièmement, la loi du 10 mars 2023 a quelque peu innové en faisant des documents d’urbanisme le réceptacle des fameuses zones d’accélération pour l’identification desquelles les collectivités territoriales, en particulier communales, jouent un rôle décisif [14]. Néanmoins, ce zonage n’impose aucune obligation de faire, il n’emporte avec lui que de simples incitations de diverses natures tenant essentiellement à la réduction des délais d’instructions des autorisations requises par un porteur de projet.
Troisièmement, empruntant encore au registre de l’incitation, il est prévu, depuis la loi « Grenelle I » (loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement N° Lexbase : L6063IEB), que toute action ou opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L2581MIG faisant l’objet d’une étude d’impact doit, consubstantiellement, donner lieu à une étude de faisabilité sur le potentiel de développement en énergie renouvelable de la zone. L’étude, précise encore le législateur, porte en particulier sur l’opportunité de la création ou du raccordement à un réseau de chaleur ou de froid ayant recours aux énergies renouvelables et de récupération [15]. Il n’en résulte, en tout état de cause, aucune obligation de résultat, l’étude pouvant se révéler négative.
En troisième lieu, les règles d’urbanisme peuvent imposer le recours et l’usage de panneaux solaires. C’est là un des apports de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement, dite "Grenelle II" N° Lexbase : L7066IMN, qui a non seulement inscrit les objectifs énergétiques à l’ancien article L. 121-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L2318KIP, mais a encore renforcé l’outillage mobilisable par les documents d’urbanisme dans des termes qui ont peu varié depuis.
D’abord, le DOO du SCOT fut habilité à définir des secteurs dans lesquels l’ouverture de nouvelles zones à l’urbanisation est subordonnée à l’obligation pour les constructions, travaux, installations et aménagement à respecter des performances énergétiques et environnementales renforcées [16]. Si le SCOT ne dispose plus expressément de cette habilitation, il semble toujours en mesure d’imposer ce type d’obligation puisqu’il peut décliner toute orientation nécessaire à la traduction du projet d’aménagement stratégique relevant des objectifs fixés à l’article L. 101-2 précité [17].
Ensuite, le règlement du PLU peut tout aussi bien, de lui-même, imposer aux constructeurs d’avoir recours à l’énergie solaire. Depuis 2010, il est en mesure de définir des secteurs dans lesquels il impose aux constructions, travaux, installations et aménagements, de respecter des performances énergétiques et environnementales renforcées qu’il définit [18]. À ce titre, il peut imposer une production minimale d’énergie renouvelable, le cas échéant, en fonction des caractéristiques du projet et de la consommation des sites concernés. Production qu’il peut aller jusqu’à localiser dans le bâtiment, dans le même secteur ou à proximité de celui-ci.
En quatrième lieu, le législateur a voulu faciliter l’introduction dans les SCOT [19] et PLU [20] de toutes les mesures favorables au développement de l’énergie solaire, en ce comprise l’identification des zones d’accélération. Désormais, les évolutions introduites à ce titre entrent de plein droit dans le champ de la procédure de modification simplifiée que l’on sait plus rapide et moins coûteuse à mener que la procédure de révision à raison de l’allègement du formalisme procédural auquel elle donne lieu. Dans la même optique, le législateur a étendu le champ de la déclaration de projet pour que les projets d’installation de production d’énergies renouvelables puissent en bénéficier [21]. L’accélération des procédures est dans cette hypothèse d’autant plus marquée dans la mesure où une concertation publique unique portant à la fois sur le projet et sur la mise en compatibilité du document d’urbanisme [22] est susceptible d’être mise en œuvre.
De cet exposé, on s’aperçoit que les collectivités territoriales peuvent faciliter et inciter au développement de l’énergie solaire. Elles n’y sont néanmoins pas tenues puisque les habilitations dont elles peuvent user sont, dans la plupart des cas, d’un usage facultatif. Il faut y voir une expression particulière du principe de libre administration qui se veut nettement moins marquée dans les cas où le législateur neutralise, plus ou moins directement, les règles d’urbanisme qui s’opposeraient expressément à l’installation de panneaux solaires.
B. Contre la règle d’urbanisme
La volonté de développer la production d’énergie solaire se manifeste, dans certaines hypothèses, par la neutralisation des règles locales d’urbanisme qui pourraient constituer pour cela un obstacle. Le législateur a développé en ce sens trois séries de solutions dont certaines se révèlent particulièrement attentatoires aux libertés locales.
En premier lieu, constatant que de nombreux PLU avaient, si ce n’est pour objet, du moins pour effet, de faire obstacle à des travaux permettant d’installer des dispositifs écologiques, la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 a posé un principe d’inopposabilité des règles locales d’urbanisme relatives à l’aspect extérieur qui en rendraient l’exécution impossible [23].
Le champ d’application de la mesure est circonscrit tant en ce qui concerne les règles neutralisées que les dispositifs qui en bénéficient.
Au premier titre, ne sont concernées que les seules règles relatives à l’aspect extérieur que peuvent contenir les PLU, les plans d’occupation des sols (POS) remis en vigueur, les règlements des lotissements et les plans d’aménagement de zone (PAZ) couvrant (encore) les zones d’aménagement concertées (ZAC).
Au second titre, sont seules concernées les installations expressément visées par le pouvoir réglementaire [24]. Parmi elles, on retrouve les systèmes favorisant la production d’énergie à partir de sources renouvelable, y compris, a ajouté la loi « climat et énergie » du 8 novembre 2019 N° Lexbase : L4969LT9, lorsqu’ils sont installés sur les ombrières des aires de stationnement. À la condition sine qua non que ces systèmes correspondent aux besoins de la consommation des occupants de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble concernée ce qui, de facto, exclut par exemple du dispositif les procédés de production d’énergie de type centrale solaire.
Bien que peu respectueux de la décentralisation, le législateur n’a pas complètement dépossédé de tout pouvoir les autorités décentralisées. C’est à l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme qu’il appartient d’écarter la règle incriminée. Alors, elle peut assortir l’autorisation sollicitée de prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant. À ce dispositif de neutralisation, s’en ajoute un second qui offre plus de latitude à l’autorité autorisatrice.
En deuxième lieu, cette dernière peut en effet, à la demande du pétitionnaire, déroger, par une décision motivée, aux règles des PLU relatives à l’emprise au sol, à la hauteur, à l’implantation et à l’aspect extérieur afin d’autoriser l’installation d’ombrières dotées de procédés de production d’énergies renouvelables situées sur les aires de stationnement [25]. À la différence du précédent dispositif, l’initiative de la dérogation incombe donc seulement au pétitionnaire. Son octroi n’est, au surplus, pas de droit, et s’il ne se limite pas aux seules règles esthétiques, son champ d’application est circonscrit aux panneaux solaires installés sur les aires de stationnement, pas sur le bâti. À l’instar du dispositif précédent, la décision d’octroi de la dérogation peut comporter des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant.
Voulant élargir les conditions d’octroi de telles dérogations pour que les panneaux puissent plus facilement être installés sur les bâtiments existants, ainsi d’ailleurs que l’imposent expressément les articles L. 171-4 N° Lexbase : L6837L7D et L. 171-5 N° Lexbase : L1914MHD du Code de la construction et de l’habitation (CCH) tel qu’introduits par la loi du 10 mars 2023, le projet de loi de simplification de la vie économique déposée au Sénat sous la précédente législature prévoyait d’ajouter un nouvel alinéa 5° à l’article L. 152-5 au Code de l’urbanisme N° Lexbase : L5395LTY.
D’après l’étude d’impact accompagnant le projet de loi [26], les règles de hauteur, de gabarit et d’aspect extérieur qu’imposent les PLU peuvent se révéler bloquantes pour l’installation de panneaux photovoltaïques et solaires thermiques en toiture de bâtiments existants. De tels blocages, est-il indiqué, ne peuvent être levés par aucun des deux dispositifs précédemment étudiés. Le premier, codifié à l’article L. 111-16 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L5400LT8, parce que la neutralisation ne concerne que les règles relatives à l’aspect extérieur, non les règles de hauteur ou de gabarit. Le second, prévu par l’article L. 152-5 du même code précité, car, même s’il permet de déroger aux règles de hauteur, il ne le peut qu’en vue de végétaliser une toiture, pas d’y installer des panneaux solaires.
Par suite, la réforme avortée visait à ce que les panneaux photovoltaïques et solaires thermiques puissent déroger eux aussi, par décision motivée, aux règles d’emprise au sol, de hauteur, d’implantation et d’aspect extérieur des constructions. Le blocage peut certes, en l’état, être levé par la modification, en tant que de besoin, du PLU suivant la procédure ci-avant indiquée, mais, quand bien même serait-elle simplifiée, ce cheminement procédural sera toujours plus long à mettre en œuvre qu’une dérogation. Là s’explique le choix opéré par le législateur qui s’est également enquis, plus directement, de neutraliser des règles potentiellement défavorables à l’énergie solaire.
En troisième lieu, bien que le règlement du PLU soit en mesure de délimiter des zones d’exclusion des énergies renouvelables dès lors qu’ont été cartographiées les zones d’accélération, il lui est impossible, par ce biais, d’interdire les procédés de production d’énergies renouvelables en toiture [27], ce qui vise évidemment les panneaux solaires. Il lui est donc, à nouveau, à l’image du premier dispositif, interdit d’interdire.
On le voit, si le législateur mobilise, au besoin contre leur gré, les collectivités territoriales pour qu’elles contribuent à la production d’énergie solaire, l’effort que ces dernières sont invitées à fournir n’est pas complètement débridé. Pour éviter que ne soit compromise la concrétisation des autres objectifs poursuivis par les politiques d’urbanisme, elles sont effectivement conduites à encadrer son développement.
II. Encadrer le développement de l’énergie solaire
À l’instar des autres sources d’énergie, et de l’éolien en particulier, l’énergie solaire peut susciter un certain scepticisme compte tenu des inconvénients patrimoniaux, paysagers et environnementaux qui lui sont potentiellement attachés. Pour que ces impératifs puissent ainsi être utilement conciliés, les collectivités territoriales pourront soit en interdire (A), soit en conditionner l’installation (B).
A. Interdire
L’interdiction pure et simple des panneaux solaires peut être un choix de la collectivité, qui souhaiterait protéger de sa propre initiative un espace naturel, ou la conséquence de règles supra-locales qu’elles se doivent d’appliquer. Trois séries de configurations peuvent, dans ce contexte, se présenter à elles.
En premier lieu, elles devront refuser de délivrer les autorisations d’urbanisme requises dans le cas où l’implantation de panneaux solaires porterait atteinte aux intérêts protégés par les lois « Montagne » (loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne N° Lexbase : L7612AGZ) et « littoral » (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à la protection, l’aménagement et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9). Sans prétendre à l’exhaustivité, deux exemples symboliques peuvent être pris.
Le premier montre que le développement de cette énergie peut se heurter à la rigueur du principe d’urbanisation en continuité posé par la loi « Montagne » [28]. Les panneaux photovoltaïques constituant, au sens de cette disposition, des opérations d’urbanisation, leur implantation en discontinuité des points d’ancrage posés par le législateur se révèle impossible [29], à moins qu’il y soit dérogé au moyen d’une étude justifiant que la discontinuité n’est pas contraire aux autres intérêts protégés par la loi (l’agriculture et le patrimoine tant culturel que naturel).
Le second, tiré de la loi « littoral », illustre quant à lui les limites posées par les règles protectrices qu’elle comporte depuis 1986. L’autorisation de construire un parking coiffé de 12 ombrières, toutes équipées de panneaux solaires, fut sèchement censurée parce que le projet, situé dans un espace proche du rivage en dehors d’un site urbanisé, ne présente pas un caractère limité. Étant en outre situé dans un espace remarquable du littoral, le parking ne peut davantage être assimilé, de par son envergure, à un aménagement léger [30].
En deuxième lieu, l’obstacle au développement de l’énergie solaire peut directement découler des documents locaux de planification, du règlement national d’urbanisme et de servitudes d’utilités publiques pour des motifs patrimoniaux ou environnementaux. Trois configurations permettent là encore de le mettre en évidence.
Premièrement, dans le but de protéger le patrimoine historique et architectural, le principe d’inopposabilité des règles relatives à l’aspect extérieur des constructions précédemment mentionné n’est pas applicable dans les secteurs protégés à raison de leur richesse patrimoniale, historique et architecturale [31].
D’une part, tel est le cas des projets menés aux abords d’un monument historique, dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable, d’un site inscrit ou classé, et à l’intérieur du cœur d’un parc national. Il en va encore ainsi s’agissant des travaux portant sur un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou sur un immeuble protégé par le PLU [32].
D’autre part, l’organe délibérant de l’autorité compétente pour élaborer un PLU peut, après avis de l’ABF, prendre l’initiative de délimiter des périmètres dans lesquels un tel principe ne trouvera pas à s’appliquer, à condition que leur établissement soit motivé par la protection du patrimoine bâti ou non bâti, des paysages ou des perspectives monumentales et urbaines [33].
Deuxièmement, à condition que les zones d’accélération aient été définies, le DOO du SCOT et le règlement du PLU sont en mesure, sous la réserve des panneaux solaires installés sur les toitures, de délimiter des secteurs d’exclusion des énergies renouvelables dès lors qu’elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant [34].
En troisième lieu, la protection du patrimoine et des paysages peut justifier, au stade de l’application du document d’urbanisme par l’autorité compétente, le refus de délivrer une autorisation d’urbanisme.
Premièrement, un tel refus pourra être fondé, lorsque le projet d’énergie solaire, notamment s’il est mené au droit d’ENAF, ne s’intègre pas dans les paysages environnants, qu’ils soient urbains ou naturels, sur l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0544KW3.
Deuxièmement, si l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme peut déroger, par décision motivée, aux règles des PLU relative à l’emprise au sol, à la hauteur, à l’implantation et à l’aspect extérieurs des constructions pour y autoriser l’installation d’ombrières dotées de procédés de production d’énergie renouvelables situées sur des aires de stationnement, un tel pouvoir lui échappe lorsqu’est concerné un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques, un immeuble protégé au titre des abords, à ceux qui sont situés dans le périmètre d’un SPR ou qui sont protégés par le règlement du PLU en application de l’article L. 151-19 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L7824K9N. Le législateur veut éviter que la production d’énergie solaire ne s’opère au détriment du patrimoine historique et architectural. De façon moins impérative, et donc plus respectueuse de la liberté d’entreprendre, les collectivités territoriales sont fondées à conditionner l’installation de tels dispositifs.
B. Conditionner
Les collectivités territoriales peuvent conditionner l’installation de dispositifs de production d’énergie solaire que ce soit sur le bâti, pour des raisons essentiellement patrimoniales, ou sur les terrains agricoles, naturels et forestiers, pour d’évidents motifs tirés de la protection de la biodiversité, des paysages naturels et du potentiel agronomique de terres nourricières qui doivent, autant que faire se peut, conserver leur vocation. Le cadre ainsi fixé a pu être tout à la fois assoupli et précisé comme le montrent trois séries de configurations.
En premier lieu, les obstacles à l’énergie solaire découlant des principes protecteurs contenus dans les lois « Montagne » et « littoral » peuvent être écartés à certaines conditions.
D’abord, pour qu’ils puissent être édifiés sur les friches ou sur des bassins industriels de saumure saturée sis en discontinuité de l’urbanisation existante dans les zones littorales, la loi du 10 mars 2023 a ajouté une nouvelle dérogation, qu’il a nettement conditionné, au principe de l’urbanisation en continuité [35]. En toute hypothèse, elle n’est susceptible d’être mise en œuvre qu’au droit des friches et bassins de saumure expressément identifiés par décret après concertation avec le Conservatoire du Littoral et des rivages lacustres et avis des associations représentatives des collectivités territoriales concernées. Puis, l’autorisation ne peut être délivrée que par l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites à la condition que le projet ne soit pas de nature à porter atteinte à l’environnement, notamment à la biodiversité ou aux paysages et à la salubrité ou à la sécurité publiques, en fonctionnement normal comme en cas d’incident ou d’accident. Pour le cas où serait concernée une friche, le pétitionnaire doit encore justifier que le projet photovoltaïque ou solaire est préférable, pour des motifs d’intérêt général, à un projet de renaturation. Le pouvoir ici octroyé aux collectivités territoriales se révèle donc plus que limité puisqu’il n’est que purement consultatif. Il est plus important lorsqu’il s’agit de déroger aux dispositions de la loi « Montagne ».
Ensuite, pour qu’elles puissent être installées au sol en discontinuité de l’urbanisation existante sur des territoires situés en zone de montagne, les SCOT, PLU et, depuis la loi du 10 mars 2023, les cartes communales, peuvent comporter une étude de discontinuité justifiant de ce que le non-respect de ce principe ne porte pas atteinte aux autres règles protectrices posées par la loi « Montagne ». La protection inhérente à ce principe ne peut ainsi être écartée qu’à de strictes conditions qui permettent de limiter l’impact de ces installations sur l’environnement.
En deuxième lieu, les contraintes pesant sur ces dernières découlent, lorsqu’elles sont implantées en dehors des zones urbaines, du statut législatif des zones agricoles et naturelles établies par le règlement du PLU, d’une part et, en son absence, des exceptions à la règle de la constructibilité limitée, d’autre part. L’enjeu est ici de taille puisque l’effort qu’implique la diversification du mix énergétique a conduit nombre d’opérateurs, pour des raisons essentiellement économiques, à installer ces dispositifs à même le sol ou sur les toits des exploitations agricoles. En l’absence d’encadrement, la nécessaire décarbonation de la production d’énergie court le risque de s’opérer au détriment de notre souveraineté alimentaire et de la biodiversité. Le cadre a dû, par conséquent, être raffermi, ce que fit de façon attendue la loi du 10 mars 2023.
De façon générale, et pour comprendre l’apport de ce texte, il convient d’observer que dans les zones A et N des PLU [36] et en dehors des parties urbanisées [37] des communes qui en sont dépourvues, peuvent être autorisées les constructions et installations nécessaires, d’une part, à l’activité agricole et, d’autre part, à des équipements collectifs et ce, à la double condition qu’elles ne soient pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages.
Avant la loi du 10 mars 2023, les solutions jurisprudentielles applicables dans chacune de ces hypothèses se sont voulues très pragmatiques.
Dans la première hypothèse, s’il a été jugé qu’une serre édifiée en zone agricole pouvait recevoir, sur sa toiture, des panneaux photovoltaïques, c’est à la condition que celle-ci poursuive bien un objectif de production agricole et qu’elle soit, de la sorte, nécessaire à l’activité agricole [38].
Dans la seconde hypothèse, le Conseil d’État a considéré que si des panneaux photovoltaïques peuvent être assimilés à des équipements collectifs, en revanche, leur installation n’est possible que si l’activité agricole reste, sur le terrain d’implantation, significative [39].
Après la loi du 10 mars 2023, le cadre juridique applicable en pareilles situations se trouve affiné et précisé.
D’abord, le texte est utilement venu indiquer que l’installation des serres, des hangars et des ombrières à usage agricole supportant des panneaux photovoltaïques doit correspondre à une nécessité liée à l’exercice effectif d’une activité agricole, pastorale ou forestière significative [40].
Ensuite, il est venu définir, par une disposition intégrée dans le Code de l’énergie [41], les conditions que doivent remplir ces installations pour pouvoir être implantées sur les terrains à vocation agricoles. Une nuance a été introduite entre l’agrivoltaïsme proprement dit, lequel permet d’installer des panneaux solaires sur des espaces agricoles cultivés, et les installations compatibles avec l’exercice d’une activité agricole qui, eux, ne pourront trouver place que sur des terrains incultes ou non exploités. Dans le premier cas, les panneaux solaires ne pourront être autorisés qu’à la condition de remplir l’ensemble des critères posés par les dispositions précitées du Code de l’énergie et des décrets pris pour leur application [42]. Dans cette occurrence, en effet, l’installation est alors automatiquement considérée comme nécessaire à l’exploitation agricole au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme [43].
En deuxième lieu, de façon plus classique, le règlement du PLU est habilité à définir les secteurs dans lesquels l’implantation d’installations de production d’énergie renouvelable, y compris leurs ouvrages de raccordement, est soumise à conditions, dès lors que ces installations portent atteinte à la sauvegarde des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu naturel [44].
En troisième lieu, les collectivités territoriales peuvent conditionner la délivrance d’une autorisation d’urbanisme sur la base des articles L. 111-16, L. 152-5, R. 111-27 du Code de l’urbanisme précités afin qu’elles s’intègrent dans leur environnement. Dans le même ordre d’idées, les ombrières concourant à l’ombrage des parcs de stationnement ne peuvent être installées que si elles ne portent pas atteinte à la préservation du patrimoine architectural ou paysager.
Un tel arsenal législatif permet assurément aux collectivités territoriales d’encadrer le déploiement de cette énergie afin d’éviter les dérives et écueils qui peuvent lui être, à défaut, attachés. L’impérative transition énergétique ne justifie effectivement pas que les autres enjeux de notre siècle soient négligés.
*Cette intervention est tirée du colloque Les collectivités territoriales et l'énergie solaire, organisée par l'Université Savoie Mont Blanc le 31 mai 2024.
[1] CAA Nantes, 19 avril 2024, n°23NT01257 N° Lexbase : A205428L.
[2] E. Carpentier, Les objectifs assignés aux documents d'urbanisme après la loi « Grenelle 2 », RDI, 2011, p. 69.
[3] C. urb., art. L. 101-2 7°.
[4] Cons. const., décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain N° Lexbase : A1727AIS.
[5] CGCT, art. R. 4251-5 N° Lexbase : L6373K9W et R. 4251-10 N° Lexbase : L6293K9X.
[6] CGCT, art. L. 4251-3 N° Lexbase : L3153LUC.
[7] C. urb., art. L. 151-9 N° Lexbase : L2566KIU.
[8] Loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, art. 194 III 5°.
[9] C. urb., art. L. 111-6 N° Lexbase : L1812MHL et s..
[10] C. urb., art. L. 111-7 5°.
[11] C. urb., art. L. 123-1-14° ancien.
[12] Examiné ci-après.
[13] C. urb., art. L. 151-28, préc.
[14] C. énergie, art. L. 141-5-3 N° Lexbase : L5632MIG.
[15] C. urb., art. L. 300-1-1 N° Lexbase : L6800L7Y.
[16] C. urb., art. L. 122-1-5-V ancien.
[17] C. urb., art. L. 141-4 N° Lexbase : L1732MHM.
[18] C. urb., art. L. 123-1-5, 14° ancien, recodifié à l’article L. 151-21 du même code N° Lexbase : L2578KIC et précisé par l’art. R. 151-42 N° Lexbase : L0516K9Y.
[19] C. urb., art. L. 143-29 N° Lexbase : L1734MHP.
[20] C. urb., art. L. 153-31 N° Lexbase : L1836MHH.
[21] C. urb., art. L. 300-6 N° Lexbase : L9487MI9.
[22] C. urb., art. L. 300-2 N° Lexbase : L1742MHY.
[23] C. urb., art. L. 111-16 et s..
[24] C. urb., art. R. 111-23 N° Lexbase : L0548KW9 et s..
[25] C. urb., art. L. 152-5.
[26] Etude d’impact au projet de loi de simplification de la vie économique, 23 avril 2024, p. 310 et s.
[27] C. urb., art. L. 151-42-1 N° Lexbase : L1835MHG.
[28] C. urb., art. L. 122-5 N° Lexbase : L1851LCK.
[29] TA Marseille, 2 avril 2012, n° 0900689 N° Lexbase : A2633IRX.
[30] CAA Marseille, 7 novembre 2017, n° 16MA01780, 16MA0203.
[31] C. urb., art. L. 111-17 N° Lexbase : L2594K9X.
[32] En application des articles L. 151-18 N° Lexbase : L2596K9Z et L. 151-19 N° Lexbase : L7824K9N du Code de l’urbanisme.
[33] Ibid.
[34] C. urb., art. L. 151-42-1.
[35] C. urb., art. L. 121-12-1 N° Lexbase : L1826MH4.
[36] C. urb., art. L. 151-11 N° Lexbase : L1737MHS.
[37] C. urb., art. L. 111-4.
[38] CE, 12 juillet 2019, n°422542 N° Lexbase : A2962ZKW.
[39] CE, 31 juillet 2019, n° 418739 N° Lexbase : A3884ZLG.
[40] C. urb, art. L. 111-28 N° Lexbase : L1817MHR.
[41] C. énergie, art. L. 314-36 II N° Lexbase : L1886MHC.
[42] A. Gossement, L’État encourage et freine l’agrivoltaïsme, EEI, 2024, ét. 20.
[43] C. urb., art. L. 111-27 N° Lexbase : L2188IQ4.
[44] C. urb., art. L. 151-42-1.
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par Thomas Tailleur, Diplômé du master 2 droit privé fondamental, Université Paris Nanterre, Titulaire de l’examen d’accès à l’INCJ
Le 19 Décembre 2024
Mots-clés : juge de l’exécution • compétence d’attribution • office du juge • Code de l’organisation judiciaire • droit de la consommation • relevé d’office • QPC
Depuis désormais quelques jours, le juge de l’exécution est au cœur des débats. Nul n’a pu ignorer la circulaire de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du 28 novembre 2024 affirmant que le juge de l’exécution n’est plus compétent pour statuer sur les contestations portées à l’encontre des procédures d’exécution de nature mobilière. Dès lors, la question du siège de la compétence de la juridiction de l’exécution est plus que jamais à l’ordre du jour. Se pose alors une double question : celle de la réécriture du premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire qui semble être une tâche bien difficile, et celle plus globale d’un encadrement législatif de l’office du juge de l’exécution sous l’impulsion du droit européen.
Créé par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 N° Lexbase : L9124AGZ et son décret d’application n° 92-755 du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3, le juge de l’exécution a été perçu comme « l’axe principal » [1] de la réforme des voies d’exécution. Il faut dire qu’avant la réforme, le contentieux de l’exécution était éparpillé entre de nombreuses juridictions (tribunal civil et « Justice de paix », puis tribunal d’instance ou tribunal de commerce, voire même juge des référés en cas d’urgence), créant ainsi une véritable situation anarchique. En conséquence, nombreux étaient les incidents de compétence conduisant à de multiples renvois et, in fine, à des procédures sans fin [2]. Dès lors, est intervenue dans l’esprit parlementaire l’idée selon laquelle un juge chargé de l’exécution pourrait unifier le contentieux de l’exécution forcée. C’est ainsi qu’est né l’article L. 311-12 N° Lexbase : L7912HND, devenu L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD, modifié depuis à quatre reprises afin d’élargir le champ de compétence du juge de l’exécution.
Toutefois, depuis le 1er décembre 2024, le juge de l’exécution n’est plus compétent pour statuer sur les contestations portées à l’encontre des procédures d’exécution de nature mobilière [3]. Ceci est la conséquence de l’abrogation, au sein de l’alinéa premier de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, des mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » jugés inconstitutionnels par une décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 (Cons. const., décision n° 2023-1068 QPC, du 17 novembre 2023 N° Lexbase : A61411ZH).
Voici donc que, de nouveau, le contentieux de l’exécution est réparti entre différentes juridictions : le tribunal judiciaire, d’une part, qui est désormais compétent en matière de contestations qui s’élèvent à l’occasion des mesures d’exécution forcée de nature mobilière et en matière d’expulsion conformément à sa compétence de droit commun (COJ. art. L. 211-3 N° Lexbase : L7708LP8) et le juge de l’exécution, d’autre part, qui reste compétent pour trancher les contestations qui s’élèvent à l’occasion de la saisie immobilière, pour autoriser les saisies conservatoires et statuer sur leurs contestations, pour connaître des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou conservatoires et de la saisie des rémunérations, jusqu’au 1er juillet 2025 (COJ. art. L. 213-6, alinéas 2 et suivants).
Cette situation, assurément temporaire, est la conséquence de la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée le 9 juin 2024, laquelle a interrompu les travaux parlementaires en cours, empêchant ainsi l’adoption d’une loi nouvelle avant le 1er décembre de la même année.
Dès lors, et plus que jamais, se pose la question de la réécriture de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire. Si une réécriture paraît opportune afin d’encadrer l’évolution de l’office du juge de l’exécution sous l’impulsion du droit de la consommation (II.), la tâche paraît bien ardue à la suite de la censure du Conseil constitutionnel (I.)
I. Une complexe réécriture de l’alinéa premier de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire
Par une décision question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 17 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré que les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » étaient contraires à la Constitution. Cette censure est malheureuse à deux égards, d’une part car la jurisprudence avait construit depuis plus de trente ans la compétence et les pouvoirs du juge de l’exécution sur le fondement de cet alinéa (A) et d’autre part car cette censure est inopportune au regard de sa justification et des conséquences excessives qu’elle entraîne (B).
A. L’alinéa premier de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire : une construction continue
Dès son entrée en vigueur, l’alinéa premier de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, lequel dispose que « le juge de l'exécution connaît des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire » a soulevé des difficultés. Dans un premier temps, cet alinéa a conduit certains justiciables à distinguer formellement, ainsi que le fait le texte, la connaissance, par le juge de l’exécution, des difficultés relatives aux titres exécutoires et les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée. La Cour de cassation a toutefois rapidement mis fin à ce mouvement en déclarant que « le juge de l'exécution ne peut être saisi de difficultés relatives à un titre exécutoire qu'à l'occasion des contestations portant sur les mesures d'exécution forcée engagées ou opérées sur le fondement de ce titre, et n'a pas compétence pour connaître de demandes tendant à remettre en cause le titre dans son principe, ou la validité des droits et obligations qu'il constate » [4]. En rendant cet avis, la haute juridiction met fin à la dissociation entre les difficultés relatives aux titres exécutoires et les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée. En tout état de cause, qu’il s’agisse d’une difficulté sur un titre exécutoire ou d’une contestation, ces dernières doivent porter sur les mesures d’exécution d’ores et déjà engagées. Ainsi que l’a affirmé Roger Perrot, la Cour de cassation « ressoude » [5] les deux éléments de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire.
Pour autant, cet avis de la Cour de cassation s’est attiré les foudres de la doctrine [6]. En effet, l’avis interdit toute remise en cause du titre exécutoire, peu important que cette remise en cause intervienne, ou non, à l’occasion d’une mesure d’exécution forcée. Au surplus, la Cour de cassation n’opérait aucune distinction entre les titres exécutoires, qu’il s’agisse autant d’une décision de justice ou de titres non-judiciaires, notamment l’acte notarié. Très concrètement, à la différence des décisions judiciaires dans lesquelles le juge va opérer un contrôle des engagements des parties à travers un débat contradictoire, le notaire, dans un acte notarié, ne fait qu’authentifier un engagement des parties sans en trancher les difficultés éventuelles et sans aucun débat [7].
Ces différentes critiques doctrinales portant sur les pouvoirs du juge de l’exécution à l’égard des titres exécutoires non-judiciaires ont entraîné un important revirement de jurisprudence. Le 18 juin 2009, dans une décision à l’importante publicité, la Cour de cassation revient sur sa position initiale et admet que le juge de l’exécution puise connaître de demandes tendant à remettre en cause le titre exécutoire, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’une décision de justice, à l’occasion de l’exécution forcée [8].
Cette nouvelle position retenue par la Cour de cassation, si elle introduisait une hiérarchie entre les titres exécutoires [9], présentait l’intérêt de la simplicité. Les parties n’avaient plus à se demander quel était le juge compétent pour statuer sur la nullité d’un titre exécutoire non-judiciaire. Si la validité du titre était en jeu et qu’aucune mesure d’exécution n’avait été engagée, c’était le juge du fond qui était compétent. En revanche, si la contestation était débattue à l’occasion d’une mesure d’exécution forcée, quand bien même elle n'était pas née à l’occasion d’une mesure d’exécution, c’était au juge de l’exécution qu’il revenait de se prononcer afin de pouvoir statuer sur le sort de la mesure. Ainsi, il était mis fin aux questions préjudicielles en la matière qui créaient une perte de temps non-négligeable. On retrouve ainsi une solution plus conforme à l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, en ce que la mesure d’exécution forcée ou de la mesure conservatoire marque le point de départ de sa compétence (d’autant que la Cour de cassation a, peu de temps après cette décision, précisé que ces pouvoirs du juge de l’exécution lui permettant de remettre en cause un acte notarié trouvaient pareille application si la contestation s’élevait, non pas à l’occasion d’une mesure d’exécution forcée, mais à l’occasion d’une mesure conservatoire [10]).
En somme, l’ambiguïté rédactionnelle de l’alinéa premier de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, tel que pensé par le législateur de 1991 avait été compensée par le travail constant à la fois de la doctrine et des juridictions judiciaires, au premier rang desquelles figure la Cour de cassation. Or, par sa censure, le Conseil constitutionnel a annihilé toute cette construction sans envisager toute la complexité d’une future réécriture.
B. L’alinéa premier de l’article L. 213-6 du COJ : une censure inopportune du Conseil constitutionnel
Nous l’avons dit, le Conseil constitutionnel a déclaré les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » inconstitutionnels, en ce qu’ils seraient entachés d’incompétence négative dans les conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif. En l’espèce, une requérante reprochait à diverses dispositions du Code des procédures civiles d’exécution et du Code de l’organisation judiciaire, dont l’article L. 213-6, de ne pas prévoir, en cas de vente par adjudication à la suite d’une saisie de droits incorporels, une possible contestation devant le juge de l’exécution du montant de mise à prix. Or, d’après cette requérante, ne pas pouvoir contester le montant d’une mise à prix pourrait conduire à vendre des droits incorporels à un prix manifestement insuffisant.
Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il résulte de l’article 16 [11] de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 « qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction » [12]. Partant, le Conseil rajoute que si l’article L. 213-6 du COJ donne compétence au juge de l’exécution pour connaître des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’en cas de vente par adjudication des droits saisis, le créancier fixe unilatéralement le montant de la mise à prix, qu’aucune contestation de ce montant ne peut être élevée devant le juge de l’exécution et que, par ailleurs, « aucune autre disposition ne permet au débiteur de contester devant le juge judiciaire le montant de la mise à prix fixé par le créancier » [13]. En conséquence, le Conseil constitutionnel conclut qu’au « regard des conséquences significatives qu’est susceptible d’entraîner pour le débiteur la fixation du montant de la mise à prix des droits saisis, il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours » [14].
Cette déclaration d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel interpelle en ce que le Conseil constitutionnel affirme qu’il appartenait au législateur d’instaurer une « une voie de recours ». Or, les voies de recours sont des moyens procéduraux mis à disposition des plaideurs ou des tiers pour obtenir un examen nouveau d’une affaire qui a déjà été jugée. Il s’agit d’un instrument procédural permettant de contester les jugements. Or, lorsque le débiteur souhaite contester le montant d’une mise à prix fixé par le créancier, il n’est jamais question d’obtenir un examen nouveau d’une affaire déjà jugée, il n’y a aucun jugement rendu. En réalité, le Conseil constitutionnel semble avoir assimilé le droit au recours effectif, lequel implique, lorsqu’un de nos droits a été bafoué, d’avoir accès à un juge et le droit à une voie de recours, à un double degré de juridiction, qui, quant à lui, n’a jamais été consacré comme un droit fondamental par le Conseil constitutionnel [15]. Cette formule est d’autant plus déplaisante que le juge de l’exécution n’a pas été pensé par les pouvoirs publics comme une voie de recours, en témoigne l’interdiction posée à l’article R. 121-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L8665LYL qui lui interdit de modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. Or, en affirmant qu’il y a inconstitutionnalité car le débiteur ne peut pas contester la mise à prix, en cas de saisie de droits incorporels, devant le juge de l’exécution alors qu’il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours, le Conseil constitutionnel assimile le juge de l’exécution à une voie de recours.
En outre, la décision de renvoi de la Cour de cassation précisait qu’un recours (et non pas une voie de recours) devant le juge de l’exécution existe en matière de saisie immobilière en cas de vente par adjudication de l’immeuble si le montant de la mise à prix est manifestement insuffisant [16]. Ce recours figure à l’article L. 322-6 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5884IRD. Le problème qui se pose alors avec la saisie de droits incorporels est que les dispositions relatives à cette saisie, à savoir les articles L. 231-1 N° Lexbase : L5861IRI à L. 233-1 N° Lexbase : L5862IRK du code précité, ne prévoient pas ce recours devant le juge de l’exécution. Or, il est justifié que le juge de l’exécution ne puisse pas être saisi pour la mise à prix de telles valeurs incorporelles, tout simplement car le tiers saisi ne supporte aucune obligation d’informations. Très concrètement, le juge de l’exécution ne peut pas fixer un montant de mise à prix car il ne dispose d’aucune information sur la valeur des droits incorporels. Fondamentalement, ce sont les saisies de valeurs incorporelles qui doivent faire l’objet d’une refonte, pas le siège de la compétence du juge de l’exécution...
Par conséquent, cette inconstitutionnalité est malheureuse, elle réduit à néant le travail colossal opéré par les tribunaux depuis la loi de 1991 et pose de nouveau la question de la rédaction des compétences du juge de l’exécution. Or, aucune rédaction ne saurait convenir tant le champ de compétence du juge de l’exécution est d’une remarquable originalité. En effet, cet article a été rédigé de façon abstraite. En affirmant que le juge de l’exécution connaît des « difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée », le lecteur doit, de lui-même, interpréter le champ des actions recevables devant celui-ci.
À titre comparatif, en matière familiale, le choix opéré par le Code de l’organisation judiciaire a été de lister toutes les actions et matières qui relèvent de la compétence du juge aux affaires familiales (JAF). Ainsi, l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire prévoit, par exemple, que le JAF connaît de différentes actions liées à « l’exercice de l’autorité parentale », encore « au changement de prénom ». De manière identique, les dispositions des articles L. 213-4-1 N° Lexbase : L7246LP3 à L. 213-4-8 N° Lexbase : L7253LPC du Code de l’organisation judiciaire listent précisément les matières et les différentes actions dont le juge des contentieux de la protection a vocation à connaître.
En tout état de cause, cette quête de précision poursuivie par le Code de l’organisation judiciaire rencontrait un obstacle difficilement surmontable vis-à-vis du juge de l’exécution, à savoir que les contestations en matière d’exécution forcée ne peuvent être listées, elles sont extrêmement nombreuses et peuvent porter sur le fond du droit. Dès lors, tenter de définir toutes les contestations possibles qui peuvent survenir lors de l’exécution d’une mesure conservatoire ou d’une mesure d’exécution forcée aurait été et serait un travail considérable qui conduirait à l’entrée en vigueur d’un nombre conséquent de dispositions législatives. Cette solution ne paraît pas opportune d’autant qu’elle soulève un risque majeur pour le législateur : celui d’omettre certaines contestations.
II. Une opportune réécriture de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judicaire
Si la réécriture de l’alinéa premier de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire paraît être une tâche bien délicate qui ne semblait pas nécessaire, il n’en demeure pas moins qu’une réécriture de l’article précité serait opportune afin d’encadrer l’évolution de l’office du juge de l’exécution. En effet, le droit de la consommation, par le prisme des clauses abusives, n’a de cesse d’évoluer, notamment sous l’impulsion du juge européen (A), entraînant ainsi une évolution de la jurisprudence interne. Confronté à cette évolution, le législateur a un rôle à jouer afin de préserver la juridiction de l’exécution et limiter tout empiètement du juge de l’exécution sur les autres juridictions (B).
A. Une constante évolution de l’office du juge sous l’impulsion européenne
Le développement du droit de la consommation, notamment à l’aune de la jurisprudence sur les clauses abusives, a entraîné de fortes perturbations sur l’office du juge, et, in fine, du juge de l’exécution. En effet, le droit de la consommation est un droit-fonction visant à protéger le consommateur. Or, celui-ci, qu’il soit conseillé ou non (et l’affirmation est d’autant plus vraie lorsque le consommateur n’a pas de conseil), peut omettre de se prévaloir de dispositions qui lui sont pourtant favorables. Ainsi, « l’office du juge peut-il s’avérer crucial si l’on veut éviter que le droit de la consommation ne reste lettre morte » [17]. Dès lors, pour éviter de penser un droit qui demeurerait ineffectif, des réflexions sur l’office du juge ont immédiatement été menées par la Cour de justice de l’Union européenne par le biais de la question préjudicielle [18].
Cette protection du consommateur passe majoritairement par le mécanisme des clauses abusives, dont le régime a été explicité par une importante directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 N° Lexbase : L7468AU7. Après avoir considéré que le juge national disposait d’une simple faculté de relever d’office de telles clauses [19], la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a fait muter cette faculté en obligation [20]. La solution est sans équivoque : le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose.
Cette conception étendue de l’office du juge par le prisme des clauses abusives sous l’impulsion européenne paraissait pourtant mal s’accommoder avec l’office du juge telle qu’interprétée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. En effet, en 2007, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rend l’arrêt « Dauvin » [21] dans lequel elle considère que si le juge possède une obligation dans l’opération de qualification, il ne possède qu’une simple faculté, sauf règles particulières, de relever le moyen de droit applicable au litige. La tâche reviendrait alors aux parties sous une limite toutefois, les règles particulières qui ont rapidement été assimilées à l’ordre public alors même qu’un arrêt de la Cour de cassation avait précisé que la méconnaissance des dispositions d’ordre public du code de la consommation n’entraînait qu’une simple faculté, pour le juge, de relever d’office [22].
Il a donc été nécessaire de mettre en conformité le droit français avec la jurisprudence européenne à la suite de l’arrêt « Pannon GSM ». Pour ce faire, a été inclus, par la loi n° 2014-344 N° Lexbase : L7504IZX dite loi « Hamon » du 17 mars 2014 au sein du Code de la consommation, un article L. 141-4 N° Lexbase : L7865IZC, devenu R. 632-1 N° Lexbase : L0942K9R, qui impose au juge de relever d’office l’application d’une clause abusive. C’est ici une première intervention du législateur pour se conformer au droit européen !
Le mouvement européen ne s’est pas arrêté là. En 2017, la CJUE précise que le juge est tenu de contrôler le caractère abusif des clauses soumises à son examen dès lors que ce contrôle n’a pas été effectué lors d’un premier examen juridictionnel, nonobstant l’autorité de la chose jugée attachée à ce dernier [23]. Enfin, en 2022, c’est de nouveau la CJUE qui, par deux arrêts spectaculaires rendus le même jour [24], est venue influencer l’office du juge, cette fois-ci, au stade de l’exécution forcée ! Dans ces arrêts, dont le plus explicite est l’arrêt « Ibercaja Banco » , la Cour affirme que l’autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’exécution examine d’office, au stade de l’exécution forcée, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles dès lors que cet examen n’a pas été opéré par la première décision juridictionnelle ou que les motifs de celle-ci n’attestent pas de l’existence dudit contrôle.
La Cour de cassation, liée par l’interprétation faite par la CJUE des dispositions et actes communautaires, a rapidement adopté la solution préconisée par les arrêts du 17 mai 2022. C’est ainsi que, le 8 février 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation affirme, au visa, notamment, de la directive du Conseil du 5 avril 1993, que « le juge de l’exécution, statuant lors de l’audience d’orientation, à la demande d’une partie ou d’office, est tenu d’apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen » [25].
Ces arrêts ont soulevé de nombreuses inquiétudes quant à l’avenir de l’autorité de la chose jugée, certains affirmant qu’elle était sabordée, d’autres préservée. En tout état de cause, il demeure certain que désormais, rien ne doit s’opposer à un contrôle des clauses abusives à n’importe quel stade du procès, dès lors que le juge dispose des éléments de fait et de droit nécessaires à cet effet et que le premier juge n’a pas opéré ce contrôle. Malheureusement, en imposant ce contrôle automatique du caractère abusif des clauses à tout juge, y compris au juge de l’exécution au stade de l’exécution forcée, ni la CJUE ni la Cour de cassation n’ont envisagé les conséquences de la reconnaissance d’une clause abusive sur l’avenir du titre exécutoire contenant une telle clause.
B. Une intervention législative nécessaire à la préservation de la juridiction de l’exécution
La question du sort de la décision de justice prononcée sur le fondement d’une clause déclarée postérieurement abusive est une question primordiale car imposer au juge un devoir de contrôle des clauses abusives nonobstant l’autorité de la chose jugée attachée à la décision fondant les poursuites sans, toutefois, s’intéresser au sort de cette fameuse décision au cœur des poursuites, c’est occulter une part du raisonnement. Au demeurant, il ne faut pas oublier que le juge de l’exécution, en tant que juridiction spécialisée, ne doit posséder que les seuls pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa fonction, à savoir, en principe, trancher les contestations qui s’élèvent à l’occasion des mesures d’exécution forcée ou conservatoires. C’est précisément pour cela que la Cour de cassation a toujours refusé, depuis plus de trente années, de confier au juge de l’exécution le pouvoir de remettre en cause les titres exécutoires de premier rang, d’autant plus qu’il s’agit d’une interdiction légale (CPCEx, art. R. 121-1 N° Lexbase : L8665LYL).
La difficulté de cette question a conduit le juge de l’exécution parisien, saisi de plusieurs affaires [26] relatives à des contrats de prêt à la consommation dans lesquelles il lui était demandé d’examiner les clauses de déchéance du terme, de les déclarer non écrites et, en conséquence, d’annihiler les décisions de justice qui étaient le fondement de différents commandements de payer aux fins de saisie-vente, à solliciter une demande d’avis à la Cour de cassation afin de demander, notamment, s’il peut annuler la décision contenant la clause abusive et statuer, dans ce cas, au fond sur la demande en paiement.
Dans un avis rendu le 11 juillet 2024, la Cour de cassation a pu répondre que « il résulte, d'une part, des pouvoirs du juge de l'exécution, et, d'autre part, du droit de l'Union et de la jurisprudence de la CJUE, que le juge de l'exécution, qui répute non écrite une clause abusive, ne peut ni annuler le titre exécutoire, ni le modifier. Il ne peut pas non plus statuer sur une demande en paiement, hors les cas prévus par la loi.
Le titre exécutoire étant privé d'effet en tant qu'il applique la clause abusive réputée non écrite, le juge de l'exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d'exécution forcée dont il est saisi » [27].
Très concrètement, par cet avis, la Cour de cassation confirme sa position selon laquelle le juge doit examiner le caractère abusif d’une clause, nonobstant toute autorité de la chose jugée attachée à la première décision. La Cour ne fait toutefois pas œuvre de clarté dans sa réponse. Certes le juge de l’exécution doit contrôler le caractère abusif d’une clause, mais elle interdit strictement toute annulation ou modification de la décision de justice contenant la clause abusive. Pourtant, nul justiciable ne se satisferait de la reconnaissance symbolique d’une clause abusive. C’est ainsi que la haute juridiction affirme que le titre exécutoire est privé d’effet.
Inévitablement, la sécurité juridique est négligée et l’autorité du juge sérieusement amputée. Ainsi que l’affirment certains auteurs, « On ne peut que regretter que l’occasion n’ait pas été saisie d’engager la discussion par une forme de résistance à l’approche de la Cour de justice, comme le font parfois les Cours d’appel envers la Cour de cassation » [28].
En somme, l’état actuel du droit positif est préoccupant. D’une part, il devient difficile d’articuler le juge de l’exécution et l’appel, voie ordinaire de critique du jugement rendu par la juridiction de premier degré. En effet, en l’état actuel, à compter du moment où l’erreur ou l’omission du premier juge concerne une clause abusive, alors le justiciable a deux solutions. Soit il interjette appel (qui n’a plus d’effet suspensif), soit il décide de résister jusqu’au jour où le créancier déclenche une mesure d’exécution forcée ou conservatoire et, dans ce cas, le juge de l’exécution sera compétent pour statuer sur cette contestation. Évidemment, au regard de l’engorgement des Cours d’appel, un justiciable bien conseillé aurait intérêt à rester inactif, à attendre que se déclenche une voie d’exécution afin de contester celle-ci devant le juge de l’exécution et bénéficier d’un traitement plus rapide de son affaire. Or, à long terme, cette réflexion entraînerait un effet pervers, à savoir l’écroulement du juge de l’exécution sous le poids de ses sollicitations.
D’autre part, ce débat autour de l’office du juge de l’exécution doit être replacé dans un contexte général de crise de la justice civile. Pour rappel, l’arrêt « Pannon GSM » rendu par la CJCE en 2009 impose à tout juge de contrôler le caractère abusif d’une clause dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Dès lors, par principe, aucun débat ne devrait se poser au stade de l’exécution forcée, le premier juge ayant déjà opéré le contrôle. Fondamentalement, la question de l’office du juge de l’exécution est le constat de l’échec de la jurisprudence « Pannon GSM », lequel s’explique essentiellement par le manque des moyens de la justice qui ne permettent pas un investissement humain et intellectuel suffisant de la part des magistrats.
Enfin, il ne faut pas oublier que le juge de l’exécution, bien qu’étant le gardien de l’équilibre entre les intérêts du débiteur et du créancier, est le garant du droit fondamental à l’exécution d’une décision de justice, droit fondamental reconnu par la CEDH et par le Conseil constitutionnel [29] en tant que véritable composante du procès équitable. Dès lors, il y a un certain paradoxe à demander au juge de l’exécution, protecteur de l’exécution des décisions de justice, de ne pas appliquer celles-ci au profit de la protection du consommateur contre les clauses abusives.
En tout état de cause, afin de limiter l’empiètement du juge de l’exécution sur les autres juridictions, afin de préserver la juridiction de l’engorgement et pour que le juge de l’exécution se concentre sur l’essence même de sa mission, une intervention législative permettrait d’éviter toute généralisation du relevé d’office par la Cour de cassation qui l’a déjà faite par le passé en généralisant le relevé d’office du juge national à l’ensemble des règles d’ordre public issu du droit de l’Union européenne [30]. Ce faisant, la protection du consommateur serait assurée, le droit français serait en conformité avec la jurisprudence européenne et si atteinte à l’autorité négative de la chose jugée il y a, celle-ci serait strictement circonscrite au seul domaine des clauses abusives.
Par conséquent, voici une proposition à inclure au sein de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire :
« Le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution.
Toutefois, lorsqu’il est saisi d’une contestation émanant d’un consommateur ou d’un non-professionnel relative au recouvrement d’une créance issue de son rapport contractuel avec le professionnel, le juge de l'exécution est tenu, même en présence d'une précédente décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen, et pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat ne revêtent pas un caractère abusif ». [31].
À retenir :
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[1] J. Thyraud, compte rendu intégral des débats parlementaires, seconde session ordinaire 1989-1990, 23ème séance, 15 mai 1990, JO, p. 815.
[2] Sur l’historique de la juridiction de l’exécution antérieure à la création du juge de l’exécution : L. Feuillard, Rép. proc. civ., Dalloz, V° Juge de l’exécution, 2020, n°1. ; R. Perrot, P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3ème éd. Dalloz, 2013, p. 314.
[3] Circulaire de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) du 28 novembre 2024 N° Lexbase : L6935MRB.
[4] Avis, 16 juin 1995, n° 09-50.008, Bull. civ. Avis, n° 9 N° Lexbase : A7379CHR.
[5] R. Perrot, Juge de l’exécution. Compétence d’attribution : difficultés relatives aux titres exécutoires, RTD Civ, 1995, p. 691.
[6] Ibid.
[7] Il est, ici, utile de préciser qu’il ne s’agit pas de remettre en cause l’autorité du notaire en tant qu’officier public ministériel détenant une parcelle de puissance publique. Si un doute est élevé à l’égard des titres exécutoires non-judiciaires, ce n’est pas un doute portant sur l’instrumentum mais bien un doute portant sur le contenu même du contrat, sur le negotium, de sorte que l’autorité du notaire en est pleinement préservée.
[8] Cass, civ. 2, 18 juin 2009, n° 08-10.843, Bull. civ. II, n° 165 N° Lexbase : A2954EIA.
[9] C. Roth, C. Argouarc’h, J-Cl Commissaires de Justice, Fasc. Unique : Juge de l’exécution, 2023, n° 98.
[10] Cass, civ. 2, 31 janvier 2013, n° 11-26.992, F-P+B N° Lexbase : A6274I47.
[11] DDHC, 26 août 1789, art. 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » N° Lexbase : L1363A9D.
[12] Cons. const., 17 novembre 2023, n° 2023-1068 QPC, n° 8.
[13] Ibid, n° 12.
[14] Ibid, n° 13.
[15] L’article 2 du protocole n° 7 à la Conv. EDH consacre un droit à un double degré de juridiction en matière pénale. Ce texte n’a toutefois aucun équivalent en matière civile, de sorte que les États membres ne sont pas tenus de prévoir une voie de recours contre les jugements rendus en matière civile.
[16] Cass, civ. 2, 12 septembre 2023, n° 23-12.267, F-D, n° 10 N° Lexbase : A82681GC.
[17] Cass, rapport annuel des études, 2022, p. 11.
[18] Prévue par l’article 267 du TFUE N° Lexbase : L2581IPB.
[19] CJCE, 27 juin 2000, aff. C-240/98 à C-244/98 Océano Grupo Editorial SA c/ Rocío Murciano Quintero, n° 26 N° Lexbase : A5920AYW.
[20] CJCE, 26 octobre 2006, aff. C-168/05, Elisa María Mostaza Claro c/ Centro Móvil Milenium SL, n° 38 N° Lexbase : A0140DSY ; puis CJCE, 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt. c/ Erzsébet Sustikné Gyõrfi, aff. C-243/08, n° 35 N° Lexbase : A9620EHR.
[21] Ass. Plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343, Bull. Ass. plén. n° 10 N° Lexbase : A1175D3W.
[22] Cass, civ. 1, 22 janvier 2009, n° 05-20.176FS-P+B+I N° Lexbase : A5557ECS, n° 9.
[23] CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14, Banco Primus SA c/ Jesús Gutiérrez García N° Lexbase : A9995TM7 , n° 76.
[24] CJUE, 17 mai 2022, aff. C‑600/19, Ma c/ Ibercaja Banco SA N° Lexbase : A16647XW ; CJUE, 17 mai 2022, aff. C‑693/19 et aff. C‑831/19, SPV Project 1503 Srl c/ YB N° Lexbase : A16667XY.
[25] Cass, com, 8 février 2023, n° 21-17.763, FS-B N° Lexbase : A97209BM, n° 129, solution ensuite confirmée : Cass, civ, 2, 13 avril 2023, n° 21-14.540, FS-B+R N° Lexbase : A02289P7.
TJ Paris, JEX, 11 janvier 2024, n° 23/00238 N° Lexbase : A32592D3 ; TJ Paris, JEX, 11 janvier 2024, n° 23/00185 N° Lexbase : A32582DZ; TJ Paris, JEX, 11 janvier 2024, n° 20/81791 N° Lexbase : A32602D4.
[27] Cass, avis, 11 juillet 2024, n° 24-70.001, FS-B.
[28] B. Jost, Le juge de l’exécution et les clauses abusives contenues dans le titre exécutoire (suite), Lexbase Contentieux et Recouvrement, septembre 2024, n° 7 N° Lexbase : N0387B3Q.
[29] CEDH, 19 mars 1997, Req 18357/91, Hornsby c/ Grèce N° Lexbase : A8438AWG ; Cons. const., 6 mars 2015, n° 2014-455 QPC N° Lexbase : A7734NCG.
[30] Cass, ch. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651, N° Lexbase : A5557ECS, n° 2.
[31] Il est précisé qu’une telle réécriture modifiera l’article R. 121-1 du Code des procédures civiles d'exécution qui sera amputé de son second alinéa.
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Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 18 décembre 2024, n° 473640, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A43036NP
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N1353B3I
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par Charlotte Moronval
Le 07 Janvier 2025
► Saisi par des syndicats, le Conseil d'État rejette la demande d'annulation du décret du 17 avril 2023 mettant en place un dispositif permettant de présumer la démission d'un salarié en cas d'abandon de poste ; il précise toutefois que pour qu'une démission puisse être présumée, le salarié doit impérativement être informé des conséquences de son absence prolongée sans motif légitime.
Rappel. La loi du 21 décembre 2022 N° Lexbase : L1959MGN a instauré un dispositif de présomption de démission du salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste dans le délai fixé par l’employeur. Les modalités d’application de cette nouvelle procédure ont été fixées par le décret du 17 avril 2023 N° Lexbase : L4508MHG, qui s’est également accompagné d’une « foire aux questions » (FAQ) intitulée « Questions-réponses - Présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié », publiée le 18 avril 2023 sur le site internet du ministère du Travail.
Procédure. Des syndicats ont saisi le Conseil d’État pour demander l’annulation du décret et de la FAQ et le remplacement de cette dernière sur le site du ministère.
La position du Conseil d’État. Le Conseil d’État rejette les demandes d’annulation du décret et juge qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes liées à la FAQ.
Il relève tout d’abord que le décret se borne à fixer les modalités d’application de la loi et ne peut donc être regardé comme un « projet de réforme », qui aurait dû être soumis à une concertation préalable.
Les requérants reprochaient ensuite à la loi et au décret de ne pas avoir prévu de faire bénéficier le salarié des garanties prévues par la Convention internationale du droit du travail n° 158 sur le licenciement. Cette convention ne couvre cependant que la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur et non les situations de démission volontaire. Elle n’est donc pas applicable car, si c’est bien l’employeur qui initie la procédure par l’envoi d’une mise en demeure, c’est en réalité le salarié, par son absence persistante sans justification, qui est à « l’initiative » de la rupture de la relation de travail.
Le Conseil d’État souligne par ailleurs que, comme le décret le rappelle, l’abandon de poste ne peut pas être considéré comme volontaire en cas de motif légitime, par exemple des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait ou du droit de grève, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à la réglementation, ou des modifications du contrat à l’initiative de l’employeur. La présomption de démission ne peut donc jouer dans ces situations.
En outre, cette loi prévoit l’envoi par l’employeur d’une mise en demeure au salarié qui a abandonné son poste. Cette mise en demeure a pour objet de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié, en lui permettant de justifier son absence ou de reprendre le travail dans le délai fixé. S’agissant de l’abandon de poste dans la fonction publique, le Conseil d’État avait déjà jugé que, pour que la démission de l’employé puisse être présumée, ce dernier devait nécessairement être informé des conséquences que pouvait avoir l’absence de reprise du travail sans motif légitime. Dans cette décision, le Conseil d’État adopte la même position pour les salariés du privé, même si le décret ne l’avait pas explicitement précisé.
Enfin, la loi prévoit que l’employeur doit envoyer la mise en demeure par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge. Le décret en cause précise que le délai que l’employeur doit accorder au salarié pour justifier son absence ou reprendre le travail est d’au moins quinze jours à partir de la date de présentation de la mise en demeure. Le Conseil d’État estime que le décret fixe pour ce délai minimum une durée et un point de départ clairs, qui ne sont ni contraires à la loi ni manifestement erronés.
Plusieurs requérants avaient également demandé l’annulation de la « foire aux questions », mise en ligne sur le site internet du ministère le 18 avril 2023 et qui prenait position sur la possibilité pour l’employeur de choisir entre la procédure de l’abandon de poste et celle du licenciement pour faute. Ni la loi ni le décret ne comportent de dispositions sur ce point. Mais le Conseil d’État, constatant que cette partie de la FAQ avait été retirée du site en juin 2023 et que la nouvelle version mise en ligne ne reprenait pas les mentions contestées, ne s’est pas prononcé sur cette question.
Pour aller plus loin :
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Réf. : Cass. civ. 1, 23 octobre 2024, n° 22-20.367, FS-B N° Lexbase : A76936BK ; Cassation, CA Versailles,14 juin 2022
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N1217B3H
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par Jérôme Casey, Avocat au Barreau de Paris
Le 19 Décembre 2024
Mots-clés : testament • legs • légataire universel • héritier réservataire • délivrance • action personnelle • prescription
Aux termes de l'article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Il résulte de l'article 1004 du même code qu'à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires. L'action en délivrance du legs, qui présente le caractère d'une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 de ce code.
Aux termes de l'article 2224 du code civil N° Lexbase : L7184IAC, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il résulte de l'article 1004 du code civil N° Lexbase : L0161HPN qu'à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires.
L'action en délivrance du legs, qui présente le caractère d'une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du même code.
Après avoir relevé que le point de départ de la prescription de l'action en délivrance du legs universel de M. [X] devait être fixé au 8 décembre 2008, date du décès d'[N] [E], la cour d'appel a retenu qu'aucune demande formée par M. [X] lors du litige tendant à l'interprétation du testament, tranché par l'arrêt du 30 janvier 2014, ne pouvait s'analyser en une demande reconventionnelle aux fins de délivrance de son legs, et que cette procédure n'avait pas suspendu la prescription de l'action en délivrance du legs.
Elle en a exactement déduit que la demande de délivrance du legs de M. [X] était prescrite et que son legs était privé de toute efficacité.
Dans la présente affaire, Nicole est décédée le 8 décembre 2008, en laissant à sa survivance son fils, Michel, en l’état d’un testament authentique daté du 13 juillet 2007 instituant Xavier légataire universel. Le 27 août 2009, Michel et Xavier ont saisi conjointement le président du TGI d’une demande de désignation d’un administrateur de la succession. Le 12 mai 2014, Xavier a finalement demandé la délivrance de son legs à Michel, qui refuse. Xavier a donc assigné en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession le 10 mars 2015. Michel a alors opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en délivrance de ce legs. Une cour d’appel fait droit à la demande (arrêt infirmatif de ce chef). Xavier forme un pourvoi, dont le premier moyen soutient en sa première branche que le délai de prescription de l’action en délivrance est de dix ans, par application de l’article 780 du Code civil N° Lexbase : L9853HNA. Ce moyen de cassation est rejeté.
Ce rappel des faits est nécessaire, car la question ici tranchée par la Cour de cassation est discutée en doctrine, et l’arrêt commenté mettra sans doute fin à ce débat. Il est donc décidé par la Cour de cassation que l’action en délivrance d’un legs est une action personnelle qui se prescrit par cinq ans. Voilà qui clôt un débat doctrinal né de l’incertitude des textes. Certains auteurs estiment que la prescription est de dix ans, exactement comme pour l’option successorale (v., M. Nicod, Prescription de l'action en délivrance du legs, Dr. fam. 2015, n° 6, comm. 168). D’autres ont au contraire défendu la prescription trentenaire lorsque le legs porte sur un immeuble (v., Rép. pr. civ., v° Recueil de la succession, par V. Egea, n° 134). Enfin, un troisième courant soutient que la prescription est quinquennale (v., M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., LexisNexis, 2020, n° 436 ; P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, 10e éd., LGDJ, 2022, n° 419). C’est donc ce dernier courant qui est consacré par la présente décision.
Deux raisons complémentaires (au moins) conduisent à approuver la position retenue par la Cour de cassation.
Le légataire doit donc demander la délivrance ET le paiement de son legs s’il veut exercer ses droits et récupérer les biens objets du legs. Il est donc cohérent que ces deux actions (délivrance et paiement), qui sont liées mais qui demeurent distinctes, soient soumises à la même durée de prescription. Un légataire qui demanderait la délivrance dans le délai, mais qui oublierait de demander, aussi, le paiement, serait titulaire d’un droit qu’il ne pourrait plus exercer (avec le débat sur la nature de la prescription - extinction ou paralysie du droit ? – qu’il ne nous appartient pas de développer ici). On voit donc que les deux actions sont liées, sont complémentaires, mais distinctes. La logique commande qu’elles soient soumises toutes deux au même délai de prescription, car que ferait-on d’une demande de délivrance présentée sept ou quinze ans après le décès dont le paiement serait impossible, puisque celui-ci serait prescrit depuis deux ou dix ans ? La solution est donc pleinement justifiée.
Par ailleurs, on gardera aussi à l’esprit que le fait, pour le légataire, d’être déjà en possession (dès avant le décès) ne dispense pas de demander la délivrance (Cass. civ. 1, 21 juin 2023, n° 21-20.396, FS-B N° Lexbase : A984093T ; AJ fam. AJ Famille 2023 p.464, obs. N. Levillain). Enfin, si la demande de délivrance est prescrite, le droit de demander les fruits l’est aussi (Cass. civ. 1, 21 juin 2023, prec.).
Au total, une seule question n’est pas résolue par la présente décision : le point de départ du délai de prescription de cinq ans ici affirmé. La décision sous examen affirme que le délai de cinq court à compter du décès, ce qui n’est pas nouveau (v., Cass. civ. 1, 30 septembre 2020, n° 19-11.543, FS-P+B N° Lexbase : A68893W3). La solution est donc confirmée. D’ailleurs l’arrêt précise expressément que la demande reconventionnelle portant sur l’interprétation du testament n’est pas suspensive de la prescription de la demande de délivrance. Il faudra donc toujours demander la délivrance, quand bien même une contestation relative au testament serait en cours. Attendre l’issue de cette contestation sera fatal. On peut toutefois être modérément convaincu par ce choix, car cela veut dire que l’on peut prescrit sur le legs alors que l’on ne sait toujours pas si celui-ci est valable ou non. La solution n’est que peu alignée avec ce qui se décide en droit de la responsabilité notariale, où il est jugé que le point de départ de la prescription est la décision de justice définitive statuant sur le droit en cause (v., pour une vente, Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 18-26.390, FS-P+B N° Lexbase : A52973TD ; et pour la nullité d’une donation, v., Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 19-19.409, F-D N° Lexbase : A00067AH). Le commentateur peine à comprendre cette divergence de solutions, alors que la question posée est, fondamentalement, la même. C’est ce point-là que l’avenir devra éclaircir.
Reste le message de l’arrêt : légataires, réclamez votre legs sans attendre. Cinq ans après le décès, la délivrance sera prescrite (et le paiement aussi).
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