Réf. : Cass. civ. 3, 7 novembre 2024, n° 23-12.315, FS-B N° Lexbase : A19266E3
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N0926B3P
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 20 Novembre 2024
► L’architecte est tenu d’une obligation de moyens, qui impose au maître d’ouvrage de démontrer sa faute, au regard de la mission confiée ;
Le principe de réparation intégrale du préjudice s’étend au manque à gagner.
Le maître d’œuvre est toujours au cœur des actions contentieuses initiées par le maître d’ouvrage. D’abord, parce qu’il est souvent son interlocuteur privilégié, passerelle entre lui et les entreprises. Ensuite parce que sa mission est cousue main, en fonction des besoins du chantier. Enfin, parce que les juges ont tendance à apprécier largement les missions qui lui sont confiées et à étendre son devoir d’alerte et de conseil. La présente espèce est l’occasion d’y revenir.
Une société de construction a confié à un architecte la maîtrise d’œuvre de la construction d’un immeuble. Le maître d’ouvrage l’assigne en indemnisation du préjudice résultant du déficit de surface d’un des lots, vendu après achèvement. Statuant sur renvoi après cassation (Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 20-22.778, F-D N° Lexbase : A64577NH), la cour d’appel de Bordeaux rejette la demande d’indemnisation formée contre l’architecte.
Le maître d’ouvrage forme un pourvoi en cassation. Il articule, d’une part, que l’architecte chargé d’une mission de maîtrise d’œuvre complète est responsable de la non-conformité de la construction aux plans qu’il a établis. Les conseillers ont relevé que l’architecte s’est vue confier une mission complète de maîtrise d’œuvre allant des études préliminaires à l’assistance aux opérations de réception (AOR) ainsi qu’au dossier des ouvrages exécutés (DOE) mais qu’il n’avait pas de mission complémentaire notamment relative au mesurage et à la représentation graphique de toute ou partie des existants, de sorte qu’il ne peut lui être reproché un manquement dans l’exercice de ses missions. Selon le pourvoi, quand l’architecte a en charge la direction de l’exécution des travaux (DET) et doit assister le maître d’ouvrage aux opérations de réception (AOR), il est tenu de s’assurer que la construction est conforme aux plans.
La Cour de cassation partage cet avis et censure. Lorsque l’architecte a une mission dite complète, il lui appartient de veiller à une exécution conforme aux prévisions contractuelles et aux plans établis.
La solution est de bon sens. Lorsque le maître d’œuvre a une mission dite complète, il doit s’assurer de la conformité de la construction, même si cela n’est pas explicitement détaillé dans les missions de son contrat. Pour la Haute juridiction, c’est intrinsèque aux missions DET et AOR.
Le principe selon lequel l’architecte n’est tenu que d’une obligation de moyens (Cass. civ. 3, 8 mars 1995, n° 93-11.268, publié N° Lexbase : A7563ABQ) impacte la charge de la preuve mais non le contenu des éléments de missions confiés.
Le second moyen est tout aussi intéressant. Le maître d’ouvrage peut réclamer l’indemnisation d’un manque à gagner résultant de la non-conformité de l’ouvrage aux prévisions contractuelles.
La responsabilité était ici engagée sur le fondement du droit commun de la responsabilité. Il s’agit donc là d’une application du principe de réparation intégrale du préjudice.
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 14 octobre 2024, n° 489580, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A878659B
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N0889B3C
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par Marie-Claire Sgarra
Le 20 Novembre 2024
► L’obligation de déclaration de comptes détenus à l’étranger ne porte pas uniquement sur les comptes dont le contribuable est titulaire ou sur lesquels il dispose d'une procuration, mais sur tous les comptes qu'il a utilisés. Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 14 octobre 2024.
Les faits. M. A, époux de Mme A, s'était vu attribuer des options sur titres d’une société américaine. Contrôle sur pièces. L'administration fiscale a, notamment, estimé que la quote-part revenant à Mme A et à sa fille alors rattachée à son foyer fiscal, du gain résultant de la levée de ces options postérieurement au décès de M. A, suivi de leur cession, aurait dû être incluse dans les revenus déclarés par elle au titre de l'année 2012. L'intéressée a en conséquence été assujettie à des cotisations supplémentaires d’IR, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales.
Procédure. Le TA de Paris a rejeté la demande de l’épouse tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. La CAA a rejeté l’appel formé contre ce jugement (CAA Paris, 22 septembre 2023, n° 22PA02243 N° Lexbase : A62891HE).
Il ressort des travaux préparatoires de la loi de finances pour 1990 dont sont issues les dispositions de l'article 1649 A du CGI N° Lexbase : L8953MCL que le législateur, en mettant en place une obligation de déclarer les comptes bancaires utilisés à l'étranger, a entendu instaurer une procédure de déclaration des mouvements de fonds sur de tels comptes afin de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, s'agissant de contribuables qui ne sont pas astreints à la tenue d'une comptabilité et d'opérations bancaires pour lesquelles l'administration ne peut se faire communiquer les relevés en exerçant le droit de communication qui lui est ouvert par l'article L. 83 du LPF N° Lexbase : L6014LMP. Un compte bancaire ne peut être regardé comme ayant été utilisé par un contribuable pour une année donnée que si ce dernier a, au cours de cette année, effectué au moins une opération de crédit ou de débit sur le compte.
Il résulte en outre des dispositions précitées de l'article 1649 A du code général des impôts et de l'article 344 A de l'annexe III N° Lexbase : L3274HNL à ce Code, dans leur version applicable au litige, que l'obligation de déclaration ne porte pas uniquement sur les comptes dont le contribuable est titulaire ou sur lesquels il dispose d'une procuration, mais sur tous les comptes qu'il a utilisés.
En appel, la cour a relevé que l’épouse Mme A avait, postérieurement au décès de son époux, donné à la société américaine l'ordre de procéder à la levée des options sur titres détenues par celui-ci, puis à la cession des titres correspondants, et qu'elle avait eu connaissance avant la fin de l'année 2012 du compte bancaire, ouvert auprès d'une banque située aux États-Unis, sur lequel avaient été versés les produits de cession, ainsi qu'elle l'avait elle-même indiqué à l'administration fiscale dans ses observations des 18 février 2016 et 22 juin 2017.
En la regardant comme ayant utilisé ce compte et comme étant en conséquence soumise à l'obligation déclarative prescrite par les articles 1649 A du CGI et 344 A de l'annexe III à ce Code, alors même qu'elle n'en était pas le titulaire et qu'elle n'avait pas agi par procuration, la cour n'a pas méconnu ces dispositions.
Précisions. Le Conseil d’État a jugé que l’obligation de déclaration des comptes à l’étranger s’étend aux comptes que le contribuable a utilisés, quel qu’en soit le titulaire, y compris si le titulaire est une société commerciale (CE 3° et 8° ch.-r., 8 mars 2023, n° 463267, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A77709HA). |
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Réf. : Cass. soc., 6 novembre 2024, n° 23-15.368, FS-B N° Lexbase : A96396DD
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N0923B3L
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par Charlotte Moronval
Le 20 Novembre 2024
► L'employeur ne satisfait pas à son obligation de reclassement lorsqu'il n'apporte pas d'éléments suffisants pour déterminer le groupe au sein duquel le reclassement devait s'effectuer.
Faits et procédure. Un salarié, engagé en qualité de charpentier menuisier, est victime d'un accident du travail puis est déclaré inapte à son poste de travail.
Licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, il saisit la juridiction prud'homale, invoquant un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement. La recherche de reclassement aurait dû, selon lui, s'étendre à toutes les sociétés détenues par la holding.
La cour d’appel (CA Caen, 16 mars 2023, n° 21/03415 N° Lexbase : A77489K8) accède à la demande du salarié, l'employeur n'apportant pas d'éléments suffisants pour déterminer le périmètre du groupe au niveau duquel devait être apprécié le reclassement.
L’employeur forme un pourvoi en cassation.
La solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond.
Elle rappelle que si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
En conséquence, ne méconnaît pas les règles de la charge de la preuve relatives au périmètre du groupe de reclassement, la cour d'appel qui, appréciant les éléments qui lui étaient soumis tant par l'employeur que par le salarié, a constaté que l'employeur n'avait fourni que des informations parcellaires sur la détention du capital de sociétés dont le salarié alléguait qu'elles faisaient partie d'un groupe et a fait ressortir que la permutation du personnel était possible, ce dont elle a déduit que l'employeur ne justifiait pas du respect de son obligation de reclassement.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’inaptitude médicale au poste de travail du salarié à la suite d’une maladie non professionnelle, L'étendue de l'obligation de reclassement du salarié inapte, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3274ETG. |
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Réf. : Cass. crim., 14 novembre 2024, n° 23-86.166, F-B N° Lexbase : A54466GS
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N0952B3N
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par Pauline Le Guen
Le 26 Novembre 2024
► La Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu’en matière correctionnelle, la chambre des appels correctionnels ne peut refuser l’audition de témoins régulièrement cités par le prévenu, à moins que ces derniers aient été entendus en première instance ; par ailleurs, aucune disposition n’impose au prévenu d’aviser le ministère public de la citation de témoin avant l’audience d’une juridiction correctionnelle.
Rappel des faits et de la procédure. Un tribunal correctionnel a condamné un homme pour violences habituelles commises par conjoint à deux ans d’emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis, trois ans d’interdiction d’entrer en contact et d’inéligibilité. Le prévenu ainsi que le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision.
En cause d’appel. La cour d’appel a également condamné le prévenu pour ces faits et a dit n’y avoir lieu à l’audition des témoins cités par ce dernier, qui a alors formé un pourvoi contre cet arrêt.
Moyen du pourvoi. L’arrêt de la cour d’appel est critiqué en ce qu’il dit n’y avoir lieu à l’audition des témoins cités par le prévenu et le déclare coupable des faits qui lui étaient reprochés, alors que devant la chambre des appels correctionnels, le prévenu n’est pas tenu de signifier au ministère public la liste des personnes qu’il a citées en qualité de témoins. Néanmoins, si des témoins régulièrement cités n’ont pas été entendus par le tribunal, ils doivent l’être par la juridiction du second degré.
Décision. La Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 513, alinéa 2, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3904AZM. En effet, selon ce texte, les témoins cités par le prévenu sont entendus dans les règles prévues aux articles 435 à 437 du même code N° Lexbase : L3237DGY, mais le ministère public peut s’y opposer s’ils ont déjà été entendus par le tribunal. Or en l’espèce, pour refuser d’entendre les témoins cités par le prévenu, la cour d’appel retient que le ministère public s’y est opposé, les citations ne lui ayant pas été dénoncées. La Chambre criminelle rappelle alors qu’aucune disposition n’impose au prévenu d’aviser le ministère public avant l’audience de la citation de témoins, cette formalité étant prévue uniquement devant la cour d’assises. Ainsi, la chambre des appels correctionnels ne peut refuser l’audition des témoins, à moins que ces derniers aient été entendus en première instance.
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Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2024, n° 21-22.540, F-B N° Lexbase : A54396GK
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N0977B3L
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par Charlotte Moronval
Le 20 Novembre 2024
► Le solde de tout compte non signé par le salarié n'a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées et n'a aucun effet sur le délai de prescription, lequel ne court pas et n'est suspendu qu'en cas d'impossibilité d'agir à la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
Faits et procédure. Un salarié est licencié pour motif disciplinaire. Quelques années plus tard, il réclame devant la juridiction prud’homale diverses sommes au titre du solde de tout compte. En effet, il estime que la prescription n’a pas commencé à courir, dans la mesure où il n’a pas pu signer son solde de tout compte.
La cour d’appel accède à la demande du salarié, jugeant l’action recevable. Elle retient que le solde de tout compte, que le salarié n'a jamais signé en raison de son incarcération, n'a produit aucun effet libératoire et qu'aucune prescription n'a commencé à courir.
La solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation n’est pas du même avis et considère l’action prescrite.
Elle énonce que le solde de tout compte non signé par le salarié n'a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées et n'a aucun effet sur le délai de prescription, lequel ne court pas et n'est suspendu qu'en cas d'impossibilité d'agir à la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
En l’espèce, elle considère que bien que le salarié ait été incarcéré, cette situation ne suffit pas à interrompre ou à suspendre le délai de prescription.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La remise des documents de fin de contrat, Le reçu pour solde de tout compte, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9987ESP. |
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Réf. : Cass. ass. plén., 15 novembre 2024, n° 23-16.670, B+R N° Lexbase : A71676GK
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N0990B33
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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
Le 20 Novembre 2024
Mots-clés : SAS • décision collective • liberté contractuelle •majorité des voix exprimées • minorité
Une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. La liberté contractuelle qui régit la SAS ne peut s'exercer que dans le respect de cette règle. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires. Il s'en déduit que la décision collective d'associés d'une SAS, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.
La minorité ne peut l’emporter sur la majorité, même si les statuts le prévoient. C’est ce que l’on retiendra de l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 novembre 2024 [1]. La décision va donner lieu à de nombreux commentaires, mais on peut déjà la présenter ainsi que son contexte (I), avant d’en donner une première analyse (II).
I. La décision et son contexte
L’arrêt concerne la société par actions simplifiée (SAS), qui fête cette année son trentième anniversaire et qui est devenue depuis l’été dernier la forme de société commerciale la plus utilisée en France, devant la SARL [2]. Était en cause dans l’affaire soumise à la Cour de cassation une clause qui n’est à notre connaissance que peu utilisée, aux termes de laquelle les décisions collectives prises par les associés devaient être « adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». On a bien lu : si la décision soumise recueillait un tiers des voix, elle était adoptée, alors qu’elle pouvait susciter dans le même temps autant, voire davantage, de voix contraires.
La clause avait pour elle la lettre de la loi. Lorsque l’article L. 227-9 du Code de commerce N° Lexbase : L2484IBM traite des décisions collectives prises par les associés de la SAS, il demande qu’elles soient « prises collectivement par les associés dans les formes et conditions [que les statuts] prévoient », mais il ne requiert pas expressément qu’une majorité particulière soit réunie. La liberté contractuelle pourrait donc, à la lettre du texte, s’accommoder de la clause litigieuse. C’est en ce sens que la cour d’appel de Paris avait statué une première fois [3], puis une seconde fois, sur renvoi après cassation [4].
Mais la décision est-elle collective si les voix majoritaires sont finalement étouffées par l’opinion minoritaire ? Dit autrement, à quoi cela sert-il de réunir une majorité de suffrages si un nombre plus petit de voix peut priver d’effet cette majorité ? Par un arrêt en date du 19 janvier 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait interdit que l’on adopte une résolution « par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ». La justification était qu’il fallait « instituer une règle d'adoption des résolutions soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires » [5].
C’est cette seconde opinion, à laquelle résistait la cour d’appel de renvoi, que consacre l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, au visa à la fois de dispositions propres à la SAS (C. com., art. L. 227-9, al. 1er et 2) et de dispositions plus générales (C. civ., art. 1844, al. 1er N° Lexbase : L2412LRR et 1844-10, al. 2 et 3 N° Lexbase : L8683LQN). Précisément, la Cour juge qu’« une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix » et que « toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires ». La décision ajoute que « la liberté contractuelle qui régit la SAS ne peut s'exercer que dans le respect de la [règle précitée] » et elle en déduit que la décision collective d'associés d'une SAS, « prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite ».
L’Assemblée plénière achève son travail en statuant au fond : parce qu’elle constate que la décision litigieuse, qui portait sur une augmentation du capital de la société en cause, a été adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des votes exprimés, elle en déduit que cette délibération doit être annulée
II. Analyse et interrogations
Lorsque la Cour n’admet de décision collective valablement adoptée que « si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix », on comprend qu’elle entend que les voix des majoritaires soient prises en compte, même si elle justifie cela par l’argument – plus faible – du risque de voir la société « adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires ». Nous entendons par là que le droit fondamental de participer aux décisions collectives issu de l’article 1844, alinéa 1er du Code civil, d’ailleurs visé par l’arrêt, a plus de force que l’invocation d’un risque de contrariété de décisions. Cela nous semble d’autant plus vrai dans le cadre de la SAS, où la grande liberté laissée aux statuts porte en elle un certain degré de risque, lié aux éventuelles insuffisances de l’organisation statutaire.
On a relevé précédemment le fait que la solution formulée vaut tant pour les décisions collectives prévues par les statuts que pour celles imposées par la loi. Ce point est important, car l’arrêt rendu par la Chambre commerciale en 2022 [6] pouvait être lu comme ne concernant que les décisions collectives imposées par l’article L. 227-9, alinéa 2, du Code de commerce, alinéa alors seul visé là où la décision du 15 novembre 2024 vise tant le premier alinéa du texte (qui envisage que les statuts requièrent que des décisions soient prises collectivement par les associés) que le deuxième alinéa (qui impose que certaines décisions – on parle notamment de l’approbation des comptes, de la distribution de bénéfices, de l’augmentation de capital – soient prises collectivement par les associés).
La clause litigieuse permettant que la décision soit adoptée alors qu’elle ne réunit pas une majorité des suffrages est donc à bannir, mais nous ne croyons pas qu’elle soit très répandue. D’autres clauses devraient cependant être désormais exclues si la décision collective « ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées ». La prise d’une décision à la majorité relative devrait ainsi être écartée, ce qui empêche aussi de proposer plus de deux choix aux associés, sauf à mettre en place des décisions à plusieurs tours, qui devraient, nous semble-t-il, être encore admises… du moment que la décision finale peut se prévaloir d’une majorité des voix exprimées. Sur la question de la majorité relative, notons tout de même qu’un passage de l’arrêt semblerait prêt à l’admettre (« Une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix ») avant qu’un paragraphe postérieur referme la porte (« la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées »).
Si la « clause statutaire contraire » à l’exigence de réunir « au moins la majorité des voix exprimées » est réputée non écrite ainsi que le juge l’Assemblée plénière, se pose la question de la situation des SAS qui avaient choisi de recourir à ce type de clause. Si la clause tout entière est réputée non écrite, cela signifie que les décisions collectives concernées ne sont plus encadrées par une stipulation spécifique, ce qui devrait conduire à appliquer la règle de l’unanimité, que ce soit pour les décisions modifiant les statuts, par application de l’article 1836, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L2007ABX, ou pour les autres décisions, parce que recueillir l’accord de tous les associés s’impose à défaut d’une organisation différente.
Notons tout de même qu’il doit demeurer possible de donner aux associés minoritaires le pouvoir de prévaloir sur la majorité, en instituant, statutairement, un dispositif de droits de vote multiples. En clair, un petit nombre d’actions dotées d’une telle prérogative doit toujours l’emporter sur un contingent plus important.
On se demandera enfin, pour conclure cette analyse, si la solution formulée par l’Assemblée plénière est limitée aux SAS. Il ne nous semble pas que ce soit le cas, puisque la stipulation qui répugne ici à la Cour de cassation sans qu’elle s’appuie sur une norme explicite, au-delà du recours aux règles de principe relatives aux décisions collectives, ne devrait pas lui sembler davantage admissible dans d’autres contextes. Il nous semble même que des groupements non sociétaires pourraient aussi être concernés.
[1] Lexbase Affaires, note à paraître B. Saintourens ; JCP E, 2024, note à paraître B. Dondero.
[2] V. not. le colloque organisé par la cour d’appel de Paris, La société par actions simplifiée, un succès sans limite ?, Lexbase Affaires, novembre 2024, n° 812 N° Lexbase : N0817B3N.
[3] CA Paris, 20 décembre 2018, n° 16/25967.
[4] CA Paris, 5-8, 4 avril 2023, n° 22/05320 N° Lexbase : A46659N4.
[5] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, FS-D N° Lexbase : A18567KX, JCP E, 2022, 1091, note B. Dondero.
[6] Ibid.
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Réf. : Arrêté, du 13 novembre 2024, portant homologation de onze normes d’exercice professionnel révisées N° Lexbase : L3629MRT
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N0971B3D
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par Perrine Cathalo
Le 20 Novembre 2024
► Publié au Journal officiel du 19 novembre 2024, l’arrêté du 13 novembre 2024 portant homologation de onze normes d’exercice professionnel révisées contient des dispositions intéressant les commissaires aux comptes et la Haute autorité de l’audit.
Les onze normes d’exercice professionnel révisées, adoptées par la Haute autorité de l’audit le 16 juillet 2024 et homologuées par l’arrêté du 13 novembre 2024, sont les suivantes :
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Réf. : ANSA, avis n° 24-033, du 4 septembre 2024
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N0902B3S
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par Perrine Cathalo
Le 20 Novembre 2024
► Le montant du capital social à retenir pour le calcul du seuil de 10 % est le capital effectif tel qu’arrêté à la date de la clôture de l’exercice.
Contexte. Le Comité juridique de l’ANSA s’est interrogé sur les modalités d’application de l’article L. 232-10 du Code de commerce N° Lexbase : L6290AIS – qui oblige les associés de SARL et de sociétés par actions à doter une partie du bénéfice en réserve légale jusqu’à ce que celle-ci atteigne le dixième du capital social – en présence d’une SAS à capital variable.
Discussion. Une première interprétation consiste à dire que le montant du capital social à retenir pour le calcul du seuil de 10 % prévu à l’article L. 232-10 est le montant du capital plancher qui est fixe et ne varie pas, même en cas de départ de l’un des associés.
L’ANSA procède ensuite à une deuxième interprétation, selon laquelle le montant du capital social à retenir est le capital tel qu’arrêté à la date de clôture de l’exercice.
Le Comité juridique envisage enfin que le montant du capital social à retenir puisse être celui effectif à la date de la décision collective appelée à statuer sur les comptes de cet exercice.
Avis. L’association tranche en faveur de la deuxième interprétation. Selon elle, le capital social doit être apprécié à la date de clôture de l’exercice pour doter, le cas échéant, la réserve légale par prélèvement sur le bénéfice de l’exercice. Il semble donc logique de se référer à la situation du capital social à la date de clôture de l’exercice.
Pour en savoir plus : v. Ph. Duprat, ÉTUDE : Les droits et obligations des associés de la société anonyme, Le droit aux réserves, in Droit des sociétés (dir. B. Saintourens), Lexbase N° Lexbase : E005403E. |
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