Le Quotidien du 14 octobre 2024

Le Quotidien

Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Outrage sexuel ou sexiste : questions de principe mais arrêt de la pire espèce

Réf. : Cass. crim., 25 septembre 2024, n° 23-86.170, F-D N° Lexbase : A999654Y

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N0610B3Y

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par Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le 23 Octobre 2024

Mots-clés : outrage sexuel • sexisme • dignité • harcèlement • injure • réserve d'interprétation • Conseil constitutionnel 


 

Le directeur d’un centre d’entraînement sportif a signalé en 2021 au procureur de la République les agissements d'un kinésithérapeute qui travaillait dans ce centre, après avoir reçu différents témoignages provenant de jeunes gens au sujet de gestes et propos déplacés. Des poursuites furent engagées pour agressions sexuelles (autres que le viol) par personne ayant autorité et pour outrage sexuel ou sexiste. Le tribunal correctionnel a déclaré le kinésithérapeute coupable de l’ensemble de ces faits tout en le condamnant sur l’action publique, pour le délit, à huit mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu’à un an d'interdiction d'exercer sa profession et, pour la contravention, à 150 euros d'amende. Le prévenu a interjeté appel et le ministère public appel incident. La cour a confirmé le jugement sur la culpabilité et la peine, s’agissant des faits d’agression sexuelle ; elle a confirmé le jugement sur la culpabilité s’agissant des faits d’outrage sexuel ou sexiste, tout en portant la peine à 600 euros d’amende. Le prévenu a alors formé un pourvoi contre cette décision qui est écarté sans justification s’agissant des premiers faits, mais avec une réponse motivée s’agissant des seconds.

On apprend ainsi que, devant un témoin, le kiné a dit à une jeune fille : « c'est tout dans les cuisses et le cul »« tu as un beau fessier »« ce serait dommage d'avoir une fesse flasque et une fesse bombée ». Ces faits sont reconnus. En revanche, leur portée a été discutée. Y avait-il là « outrage sexuel ou sexiste » au sens de l’article 611-1 du Code pénal N° Lexbase : L6968K79, alors applicable ? La cour d’appel l’admit en jugeant « que ces paroles évoquent en termes vulgaires l'anatomie de la victime et que les mots employés ont une connotation sexuelle ». Elle ajouta même que « les propos dénoncés, tenus par un homme mature à une jeune fille, sont sexistes et ont porté atteinte à la dignité de la victime et créé à son encontre une situation intimidante, offensante, l'ayant mise mal à l'aise ». Le prévenu l’a contesté en soutenant que de tels propos ne faisaient référence ni au sexe, ni au genre de l’intéressée, qu’ils n’évoquaient nullement une activité sexuelle et n’avaient pas pour but, s’agissant de compliments et de conseils, de porter atteinte à sa dignité. Néanmoins, son pourvoi est rejeté dans l’arrêt commenté.

Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi la cour d’appel « a suffisamment caractérisé tant l'élément matériel qu'intentionnel de l'infraction, résultant de la nature explicitement sexuelle des propos adressés par M. [S] à [Y] [W], alors âgée de 17 ans, qu'il recevait, en sa qualité de professionnel de santé adulte, lors d'une séance de kinésithérapie ostéopathie ». La Haute juridiction ajoute même que « si les faits poursuivis ne constituent pas une injure publique, au sens de la loi du 29 juillet 1881, ils entrent néanmoins dans le champ d'application de l'infraction d'outrage sexiste, dès lors que les juges ont établi que le prévenu a voulu, par les propos reprochés, porter atteinte à la dignité de la victime et créer à son encontre une situation intimidante et offensante, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2023 (Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du19 janvier 2023, Loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur N° Lexbase : A936588D) ». Ce qui est en réalité assez confus. Cette motivation alambiquée appelle des réserves en droit (I.) aussi bien qu’en fait (II.).

I. Décryptage de la décision en droit

Il convient de rappeler ici que l’outrage sexuel ou sexiste a subi l’an dernier une modification importante. Simple contravention introduite par une loi n° 2018-703, du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ à l’article 621-1 du Code pénal N° Lexbase : L7582LPI (modifié s’agissant des peines de stage encourues par la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019 N° Lexbase : L6740LPC[1], il a été réformé par une loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023 N° Lexbase : L6260MGX. Cette réforme s’imposait pour des raisons tant juridiques que pratiques. Juridiquement, la contravention en question était d’une légitimité douteuse, car elle résultait d’une loi, alors que le mécanisme des articles 34 et 37 de la Constitution est désormais compris par tous comme réservant à l’exécutif compétence pour incriminer en matière de police [2]. De toute évidence, le Parlement avait entendu frapper les esprits et donner une force symbolique particulière à cette contravention en arrêtant lui-même son principe, au risque d’empiéter sur le domaine réservé à l’exécutif en matière pénale. Quelques années plus tard, il a tiré prétexte d’une nécessaire aggravation de la répression en la matière pour abroger cette contravention d’origine législative tout en prévoyant que les formes aggravées de la contravention à venir (devant être incriminée, cette fois, par l’exécutif) seraient désormais constitutives d’un délit. Concrètement, l’article 621-1 menaçait initialement cet outrage simple de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe et l’outrage aggravé de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. C’est cette forme aggravée qui a été transformée en délit [3]. En conséquence, la loi du 24 janvier 2023 a abrogé l’article 611-1 et adopté l’article 222-33-1-1 du Code pénal N° Lexbase : L6496MGP. Toutefois, ces innovations n’ont pris effet que trois mois après l’entrée en vigueur de la loi pour permettre à l’exécutif d’intervenir, ce qu’il a fait, le 30 mars 2023, en adoptant le décret n° 2023-227 N° Lexbase : L3248MHR qui a introduit dans le Code pénal un article R. 625-8-3 N° Lexbase : L3437MHR incriminant un outrage sexuel ou sexiste « simple » dans les mêmes termes que précédemment, mais sous la menace désormais de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe [4]. L’ensemble est entré en vigueur le 1er avril 2023.

Si la bonne articulation de ces textes a évité tout vide juridique, il n’en reste pas moins que, au moment où la Cour de cassation a statué dans la présente espèce, l’article 611-1 du Code pénal servant de base aux poursuites n’existait plus, ce qui aurait mérité quelques mots d’explication de sa part. Certes, l’abrogation de ce texte ne témoignait d’aucune volonté de dépénalisation puisqu’il s’agissait simplement de substituer une incrimination réglementaire à l’incrimination législative de l’outrage sexuel ou sexiste « simple ». Par ailleurs, les nouvelles sanctions encourues n’ont pas été appliquées ici. L’abrogation de l’ancien texte coïncidant avec l’entrée en vigueur des nouveaux, il a existé une continuité d’incriminations qui empêcha le contrevenant de se prévaloir de la rétroactivité in mitius ou de dénoncer, s’agissant des peines, une application rétroactive de la loi pénale nouvelle plus sévère. Il n’a donc soulevé aucune contestation sur ce point, mais cela ne dispensait pas les magistrats de s’expliquer dès lors que l’application de la loi pénale dans le temps est d’ordre public et que les juges, y compris la Cour de cassation, sont tenus d’en relever la violation au besoin d’office [5]. Cela suppose qu’ils contrôlent et donc qu’ils motivent leur décision d’appliquer un texte qui a formellement disparu au jour où ils statuent [6]. Ici, il est regrettable qu’ils ne l’aient pas fait en nous laissant le soin d’imaginer quel texte ils ont appliqué. A priori, il ne peut s’agir que de l’article R. 625-8-3, dans la limite des pénalités prévues à l’article 611-1 pourtant abrogé, et non de l’article 222-33-1-1. Peu importe que le comportement poursuivi ait présenté plusieurs circonstances aggravantes prévues par lui. Ce dernier texte plus sévère ne pouvait être appliqué à des faits commis avant son entrée en vigueur. Une explication sur ce point aurait peut-être permis à la Cour d’éviter également la confusion qui suit.

En effet, la motivation de l’arrêt commenté, en plus d’être lacunaire (faute de s’expliquer sur le maintien des poursuites malgré la transformation du texte qui leur est applicable), paraît maladroite, car, pour justifier le rejet du pourvoi, la Haute juridiction s’est crue obligée d’ajouter une référence à la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi du 24 janvier 2023 à l’origine de l’article 222-33-1-1. Était-ce pertinent ici ? Pour mémoire, on rappellera que, dans le recours engagé contre cette loi, les parlementaires d’opposition dénonçaient la différence de traitement (en termes de pénalités) entre l’outrage sexiste aggravé et l’injure publique commise avec un mobile tenant au sexe d’autrui. Mais le Conseil a refusé de voir là une atteinte au principe d’égalité. Il répond que « si les faits d’outrage réprimés par les dispositions contestées sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du délit d’injure publique prévu à l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, ils s’en distinguent dès lors que, à la différence de l’injure publique, ils peuvent être commis sans moyen de publicité et prendre la forme non seulement de propos, mais aussi de comportements à connotation sexuelle ou sexiste imposés à une personne déterminée. Il doit en outre être établi que l’auteur de l’outrage a voulu, par ces agissements, porter atteinte à la dignité de la victime ou créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (Cons. const., décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur , § 60). Il n’est pas sûr que le renvoi à une telle décision ait été pertinent ici. En effet, elle répond à une question qui n’était pas posée en l’espèce : s’agissant du respect du principe d’égalité [7]. Pire : cette décision se contente d’écarter un moyen d’inconstitutionnalité présenté sans exprimer aucune réserve d’interprétation. Dans ces conditions, n’est-ce pas exagérer la portée d’une telle décision que de la mentionner ? Pourquoi ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel s’agissant du délit (C. pén., art. 222-33-1-1) devrait-il s’imposer s’agissant de la contravention (C. pén., art. 621-1 ancien ou art. R. 625-8-3 nouveau) ? En toute hypothèse, pourquoi se référer ici à une décision admettant la constitutionnalité d’une disposition inapplicable, car plus sévère que le texte servant de base aux poursuites ? Cela semble parfaitement déplacé. Mais il y a plus grave encore, car cette référence à la décision n° 2022-846 DC n’est pas fidèle. En effet, respectant les termes de l’article 222-33-1-1 contesté devant lui, le Conseil y relève que l’outrage sexuel ou sexiste peut alternativement produire deux résultats : soit porter atteinte à la dignité de la victime en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Sa dernière phrase ne cumule pas ces exigences, mais au contraire les distingue en employant la conjonction de coordination « ou » que la Cour de cassation transforme ici en « et ». En effet, elle approuve la cour d’appel pour avoir jugé que « le prévenu a voulu, par les propos reprochés, porter atteinte à la dignité de la victime et créer à son encontre une situation intimidante et offensante, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2023 ». La cour d’appel s’était en effet trompée en cumulant des exigences qui sont au contraire alternatives. Mais une telle erreur ne pouvait être couverte par l’interprétation constitutionnelle, car, on vient de le voir, le Conseil ne la légitime pas. L’attitude de la Cour de cassation est donc a minima maladroite, voire malhonnête. Cette référence lui permet de déformer à son tour le texte d’incrimination (en réduisant son champ d’application) tout en laissant entendre que la responsabilité d’une telle déformation incomberait au gardien de la Constitution, ce qui est inexact. Une telle façon de procéder n’est pas acceptable. Elle n’est respectueuse ni du texte faussement appliqué, ni de la décision du Conseil constitutionnel abusivement appelée à la rescousse et dénaturée pour l’occasion.

Mais faisons semblant d’y croire un instant et demandons-nous, sur la base de cette interprétation erronée de l’outrage sexuel ou sexiste, si la cour d’appel a eu raison d’entrer en voie de condamnation et la Cour de cassation d’écarter le pourvoi formé contre son arrêt.

II. Décryptage de la décision en fait

Paradoxalement, la solution approuvée ci-dessus par la Cour de cassation aurait dû être protectrice de la liberté d’expression. En effet, en cumulant des exigences qui ont toujours été alternatives dans les différents textes incriminant l’outrage sexuel ou sexiste, l’interprétation retenue aurait dû être restrictive : elle réduit le champ de cette incrimination en exigeant que l’outrage, tout à la fois, porte atteinte à la dignité de la victime et crée à son encontre une situation intimidante ou offensante. Or, était-ce le cas ici ? Le pourvoi, qui ne contestait pas ce cumul (il n’y avait aucun intérêt), mettait en doute la pertinence d’une telle appréciation. Il soutenait qu’un outrage sexuel ou sexiste ne peut exister sans mépris exprimé envers le sexe ou le genre d’autrui, voir sans connotation sexuelle. Subsidiairement, il prétendait que la preuve de l’atteinte à la dignité de la victime n’était pas rapportée (la cour d’appel s’étant, selon lui, contentée d’une affirmation à cet égard). La Cour de cassation aurait pu se saisir de ces difficultés dans le cadre de son contrôle de qualification et, à tout le moins, dans le cadre de son contrôle disciplinaire (en relevant l’insuffisance de la motivation de l’arrêt attaqué). Or, on l’a dit, elle rejette le pourvoi au terme d’un contrôle des plus légers.

Pourtant, on aurait apprécié qu’elle précise ce qui distingue l’outrage sexuel de l’outrage sexiste et que, définissant chacun de ces termes, elle éclaire le contenu de l’incrimination. La difficulté n’est pas mince. L’incertitude sur ce point affecte jusqu’au nom de l’infraction : si l’intitulé des sections où ils trouvent place parle d’outrage « sexiste et sexuel », les articles R. 625-8-3 et 222-33-1-1 inversent ces adjectifs qu’ils envisagent de manière alternative et non plus cumulative. L’outrage incriminé est-il le même dans les deux cas ou prend-il deux formes différentes ? A priori, il convient de distinguer : ce qui est sexuel renvoie à la sexualité, alors que ce qui est sexiste correspond à une forme de discrimination selon le genre. Ces considérations sont à ce point différentes qu’il n’est pas sûr qu’elles méritaient d’être rapprochées sous prétexte d’outrage. Néanmoins, la cour d’appel a estimé en l’espèce que les propos reprochés présentaient un caractère à la fois sexuel et sexiste. Elle a affirmé, plus qu’elle n’a démontré, d’abord le caractère sexuel du propos. Peut-être, son appréciation sur ce point tient-elle au fait qu’il comporte une référence au « cul » de la jeune femme (« c'est tout dans les cuisses et le cul »). Mais n’était-ce pas évoquer là davantage son derrière que son sexe ? Ce qui le laisse entendre, c’est qu’il n’est question ensuite que de son fessier et de ses fesses (« tu as un beau fessier », « ce serait dommage d'avoir une fesse flasque et une fesse bombée »), lesquels ne sont pas des sexes [8]. Néanmoins, on l’a dit, la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur ce point. Cela ne lui a pas semblé nécessaire dès lors qu’elle a cru pouvoir ajouter que les propos étaient, en toute hypothèse, sexistes, car « tenus par un homme mature à une jeune fille ». Est-ce plus convaincant ? Nous n’en sommes pas sûrs. D’une part, parce que le même propos aurait pu être tenu par un homme envers un homme, ce qui interdit de penser que le genre opposé d’autrui aurait joué un quelconque rôle en l’espèce. D’autre part, parce qu’il semble particulièrement dangereux de considérer que tout propos désagréable adressé par un homme à une femme est nécessairement sexiste. En effet, cela revient à transformer en contravention, voire en délit, tout propos tenu par un homme à l’égard d’une femme lorsqu’il n’est pas élogieux. Autant dire qu’en l’espèce l’affirmation du caractère sexiste n’est pas plus convaincante que l’affirmation du caractère sexuel du propos tenu et il ne suffit pas d’additionner ces deux griefs pour établir, au-delà de tout doute raisonnable, que le propos était au moins l’un ou l’autre et caractériser ainsi l’outrage reproché. Le silence de la Cour de cassation sur ce point équivaut à une démission. Précisément parce qu’il s’agit d’une incrimination nouvelle et délicate, on pouvait s’attendre à une attention redoublée de sa part et à un contrôle approfondi qui fait cruellement défaut. Rappelons qu’en matière de presse, elle s’assure de la bonne qualification des propos tenus et exerce un contrôle qui la transforme quasiment en troisième degré de juridiction [9]. Le respect de la liberté d’expression, qui justifie ce contrôle étendu, commandait de la même façon ici, à la Haute juridiction, de vérifier l’impact des propos tenus. Or, tout en consacrant, on l’a vu, une interprétation de l’incrimination apparemment protectrice de cette liberté, elle admet qu’elle soit restreinte de façon discutable.

En effet, peut-on réellement soutenir qu’il a été porté atteinte à la dignité de la victime en l’espèce ? Parce qu’une telle notion est floue et donc d’appréciation délicate, elle est précisée par tous les textes qui incriminent l’outrage sexuel ou sexiste. En effet, tous indiquent que le propos ou le comportement doit porter atteinte à la dignité d’autrui « en raison de son caractère dégradant ou humiliant ». Or, aucune référence n’était faite à l’un ou l’autre de ces deux caractères dans les décisions des juges du fond et la Cour de cassation elle-même doit passer cette exigence sous silence pour conclure que l’infraction a bien été caractérisée. De plus belle, elle expose ainsi son arrêt à la critique. L’atteinte à la dignité n’a pas été établie correctement ; elle ne pouvait donc justifier la sanction prononcée et l’ingérence dans la liberté d’expression qui en résulte. La solution retenue s’avère incohérente. Elle est incompatible avec le souci initialement affiché de protéger une telle liberté. A minima, une censure de l’arrêt d’appel s’imposait pour défaut de base légale ou insuffisance de motifs. Une telle cassation n’aurait pas nécessairement conduit à la relaxe du prévenu, mais elle aurait permis de mieux justifier sa condamnation, car il y a dans cette affaire un élément de contexte qui n’a jamais été pris en compte, alors qu’il était susceptible de jouer un rôle important dans l’appréciation du propos poursuivi. En effet, on ne saurait oublier que cette poursuite pour outrage sexuel ou sexiste accompagnait une poursuite pour agressions sexuelles autre que le viol (a priori, des gestes déplacés). Il n’est pas impossible que le cumul de ces gestes et propos ait présenté le caractère dégradant ou humiliant requis pour que l’infraction d’outrage soit constituée (voire pour qu’un harcèlement sexuel soit caractérisé au sens de l’article 222-33, I N° Lexbase : L6229LLB[10]. Encore, aurait-il fallu que les juges du fond l’indiquent pour convaincre de la pertinence de leur décision, ce qu’ils n’ont pas fait. Dans ces conditions, il n’aurait pas été aberrant de demander à une cour de renvoi de le vérifier. Ici la Cour de cassation se paie de mots en rejetant le pourvoi formé contre une décision rendue au terme d’un raisonnement insuffisant, si ce n’est erroné. Elle accepte la sanction de propos dont il n’a pas été correctement démontré qu’ils excèdent les limites admissibles de la liberté d’expression. Fallait-il vraiment dénaturer le texte d’incrimination et une décision du Conseil constitutionnel pour aboutir à un aussi piètre résultat ? Chacun appréciera la pertinence de cet arrêt qui n’est, fort heureusement, pas voué à une publication au Bulletin

 

[1] C. Saas, Harcèlement de rue ou le droit à être dans l’espace public, Gaz. Pal., 30 avril 2018, p. 81 [en ligne].

[2] V., sur cette interprétation : E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 2024, 7e éd., n°496, p. 428.

[3] La contravention est transformée en délit lorsque les faits « sont commis 1° Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 2° Sur un mineur ; 3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de son auteur ; 4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur ; 5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ; 6° Dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou au transport public particulier ou dans un lieu destiné à l'accès à un moyen de transport collectif de voyageurs ; 7° En raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, vraie ou supposée, de la victime ; 8° Par une personne déjà condamnée pour la contravention d'outrage sexiste et sexuel et qui commet la même infraction en étant en état de récidive ».

[4] « Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13, 222-32, 222-33, 222-33-1-1, 222-33-2-2 et 222-33-2-3, d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

[5] V., par ex. : Cass. crim., 14 juin 2017, n° 15-86.265, F-D N° Lexbase : A2370WIM : J.-H. Robert, Dr. pén., 2017, comm. 146.

[6] V., sur cette continuité d’incriminations : P.-Y. Gautier, La loi pénale abrogée : du principe de continuité des poursuitesin Mélanges Bouloc, Dalloz, 2006, p. 379.

[7] La Cour fait écho à cette discussion en soulignant que « si les faits poursuivis ne constituent pas une injure publique, au sens de la loi du 29 juillet 1881, ils entrent néanmoins dans le champ d'application de l'infraction d'outrage sexiste, dès lors que… ». Ce qui nous semble incompréhensible. L’illogisme d’un tel raisonnement tient à l’adverbe « néanmoins » qui tend à opposer ces deux membres de phrase. Ce n’est pas parce qu’un propos n’est pas constitutif d’injure qu’il est nécessairement constitutif d’outrage. Il s’agit là d’infractions distinctes et autonomes (l’outrage devant être adressé à la personne qu’il concerne alors que l’injure met en cause une personne devant un public déterminé : E. Dreyer, Droit pénal spécial, Lgdj, 2023, 2e éd., n°686 p. 391). En toute hypothèse, cette observation de la Cour est sans rapport avec la question posée au Conseil constitutionnel et ne justifie pas la référence faite à sa décision.

[8] Comp., s’agissant de propos de « nature explicitement sexuelle » : Cass. crim., 5 mars 2024, n° 22-87.224, F-D N° Lexbase : A02572TP : P. Conte, Dr. pén., 2024, comm. 105 ; A. Lepage, CCE, 2024, comm. 47 ; E. Dreyer, L'emprisonnement justifié au seul motif qu'un prévenu ne reconnaît pas les faits ?, Gaz.Pal., 23 juillet 2024, n° 25, p. 2 [en ligne].

[9] E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2022, 2e éd., n°1736 p. 989.

[10] V. aussi L. Leturmy, La définition des violences sexuelles et/ou sexistes à l’épreuve des principes constitutionnels du droit pénalin Le droit face aux violences sexuelles et/ou sexistes, Dalloz, coll. T & C, 2021, p. 129.

newsid:490610

Construction

[Brèves] La responsabilité du contrôleur technique

Réf. : CE, 2e-7e ch.-r., 2 octobre 2024, n° 488166 N° Lexbase : A946657Q

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N0571B3K

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 11 Octobre 2024

► Les dispositions de l’article L. 125-2 du Code de la construction et de l'habitation s’appliquent en cas de responsabilité civile décennale ; et non en cas de responsabilité contractuelle de droit commun.

À l’instar des autres constructeurs, le contrôleur technique est tenu, non seulement de la responsabilité de droit commun, mais également de la responsabilité civile décennale. En application de l’article L. 125-2 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L1088LW9, il est soumis, dans les limites de la mission qui lui est confiée par le maître d’ouvrage, à la responsabilité édictée par les articles 1792 et suivants du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ.

Il bénéficie, toutefois, d’un régime favorable par rapport aux autres puisqu’il peut s’exonérer en prouvant son absence de faute. Sa responsabilité ne s’apprécie qu’au regard de la mission qui lui a été confiée. La Haute juridiction le rappelle dans la décision rapportée.

Plus précisément, la Haute juridiction énonce que :

  • le contrôleur technique n’est tenu vis-à-vis des constructeurs à supporter la réparation de dommages qu’à concurrence de la part de responsabilité susceptible d’être mise à sa charge dans la limite des missions définies par le contrat le liant avec le maître d’ouvrage ;
  • les dispositions relatives à la responsabilité du contrôleur technique vis-à-vis des autres constructeurs ne s’appliquent qu’en cas de responsabilité civile décennale et pas sur le fondement de la responsabilité de droit commun.

Cet arrêt est l’occasion de revenir sur les missions du contrôleur technique. Il rend des avis sur des sujets bien déterminés, par exemple, sur l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, en cas de mission HAND.

Ses missions peuvent être obligatoires, mais, sinon, dépendent de la complexité de la réalisation de l’ouvrage.

Ces avis sont de trois sortes :

  • en phase conception, le rapport initial de contrôle technique (RICT) ;
  • en phase exécution, sur les ouvrages exécutés ;
  • à l’achèvement de l’ouvrage, le rapport final de contrôle technique (RFCT).

Le contrôleur technique bénéficie d’une grande liberté d’analyse.

En plus de son obligation contractuelle au regard des missions confiées, il est débiteur d’une obligation générale de conseil qui permet d’aller rechercher sa responsabilité, même en l’absence de faute de sa part (pour exemple: Cass. civ. 3, 15 janvier 1997, n° 95-11.827 N° Lexbase : A946657Q).

 

newsid:490571

Contrats et obligations

[Brèves] Articulation entre modification judiciaire de la clause pénale et exécution partielle

Réf. : Cass. com., 4 septembre 2024, n° 23-14.369, F-D N° Lexbase : A31305YL

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N0615B38

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 15 Octobre 2024

► En cas d’exécution partielle d’une obligation, le juge peut réduire le montant de la clause pénale, mais c’est à la condition d’établir en quoi celui-ci était manifestement excessif au retard du préjudice effectivement subi par le créancier.

Faits et contexte. En raison du non-paiement de factures émises au titre de contrats de location-entretien, le créancier avait sollicité la résiliation des contrats en cause et se prévalait de la clause pénale incluse dans ces contrats. Les juges du fond avaient réduit le montant dû au titre de cette stipulation contractuelle.

Ayant pour objet d’évaluer par avance le montant des dommages-intérêts en cas d’inexécution, leur montant est en principe intangible, sauf si celui-ci est manifestement excessif ou dérisoire par rapport au préjudice effectivement subi par le créancier (C. civ., art. 1231-5, al. 2 N° Lexbase : L0617KZU). En cas d’exécution de l’obligation, l’alinéa 3 de l’article 1231-5 précise que la diminution peut se faire « à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent ».

C’est justement dans le lien entre exécution partielle et réduction de la clause pénale que résidait le nœud du problème. En effet, la cour d’appel avait réduit le montant de la clause au motif que le débiteur avait partiellement exécuté le contrat (CA Paris, 20 janvier 2023, n° 21/07839 N° Lexbase : A67232AA).

Solution. L’arrêt est cassé au visa de l’article 1231-5, alinéas 1er, 2 et 3 du Code civil, dont les termes sont rappelés. En effet, la cour d’appel n’avait pas précisé en quoi il y avait « disproportion manifeste entre l’importance du préjudice effectivement subi et le montant de la peine conventionnellement fixé ».

L’arrêt procède ainsi à un rappel : la réduction ne peut s’opérer que si le caractère manifestement disproportionné est établi au regard du montant de la clause et du préjudice effectivement subi (Cass. com., 4 novembre 2021, n° 15-17.479, F-D N° Lexbase : A06007BT).

Si la question est à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. com., 13 janvier 2021, n° 19-14.767 N° Lexbase : A73054CK), il est en revanche indispensable que les motifs établissent cette disproportion (Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-20.060, F-D N° Lexbase : A97107XW).

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Contrat de travail

[Brèves] Situation de coemploi en dehors d’un groupe de sociétés

Réf. : Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-10.488, F-B N° Lexbase : A290259D

Lecture: 7 min

N0616B39

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par Charlotte Moronval

Le 11 Octobre 2024

► Hors l'existence d'un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l'égard du personnel employé par une autre société, que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l'état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

Faits. Des salariés sont engagés, par le même employeur, M. V..

M. V., décédé le 3 février 2009, était un courtier mandataire de la société La Française des Jeux (FDJ), à laquelle il était lié par un contrat d'exploitation en vue de la distribution des produits de jeux, son secteur couvrant le département du Loiret et une partie de celui du Loir-et-Cher.

M. V. appartenait au GIE région Centre, mettant en commun des moyens pour assurer des services et opérations en lien avec l'activité de distribution assurée par les courtiers mandataires. Conformément aux prévisions de l’article 11 du contrat de courtier mandataire, à la suite de ce décès et dans l’attente d’un repreneur, le GIE a repris la gestion du secteur géographique devenu vacant. Les contrats de travail des salariés de M. V. se sont poursuivis avec le GIE.

Le 24 juillet 2012, les salariés ont saisi la juridiction prud’homale, afin de faire reconnaître l'existence d'un lien de travail direct entre eux et la société FDJ et obtenir sa condamnation au paiement de rappels de salaires.

À compter du 15 octobre 2012, le secteur géographique, auparavant exploité par M. V., a été confié à la société Franmarie. Les contrats de travail des salariés ont été transférés à cette dernière.

Au cours de l’année 2014, la société Franmarie, ayant modifié le lieu de son activité, a proposé à une salariée une modification de son contrat de travail qu’elle a refusée. La salariée a été licenciée pour motif économique.

Le 30 mars 2015, la société FDJ a signé avec la société Jacklot un contrat prévoyant l’exploitation par cette dernière du secteur géographique repris par la société Franmarie, puis, par avenants du 13 juin 2016, il a été prévu que les salariés exercent leurs fonctions pour le compte de la société Jacklot.

Par lettres du 13 juillet 2016, trois autres salariés ont été licenciés pour motif économique.

Le 24 novembre 2017, la société FDJ et la société Jacklot ont signé un nouveau contrat restreignant, à compter du 29 janvier 2018, son secteur géographique aux seuls départements du Loiret et de l'Eure-et-Loir et la société Jacklot a alors décidé de regrouper l’ensemble de ses activités sur un seul site.

D’autres salariés ont accepté le contrat de sécurisation professionnelle qui leur a alors été proposé et la rupture de leur contrat de travail est intervenue le 4 janvier 2018.

Les sociétés Franmarie et Jacklot ont été mises en cause dans l'instance prud'homale initialement engagée à l'encontre de la société FDJ. Les salariés ont contesté les ruptures de leur contrat de travail à l'occasion d'une autre instance prud'homale.

Procédure. Par jugements du 10 septembre 2019, le conseil de prud'hommes a notamment retenu que la société FDJ avait été l’employeur des salariés du 3 février 2009 jusqu’au 15 octobre 2012, puis avait été leur coemployeur, avec les sociétés Franmarie et Jacklot, jusqu’à leurs licenciements.

Par arrêt du 7 novembre 2022, la cour d’appel d’Orléans a partiellement infirmé ces jugements et a notamment jugé que la société FDJ n'a pas la qualité d'employeur, pour la période du 3 février 2009 au 15 octobre 2012, ni celle de coemployeur avec les sociétés Franmarie et Jacklot puis rejeté, en conséquence, les demandes de dommages-intérêts présentées à ce titre pour préjudice moral et atteinte aux droits de la représentation collective.

Les salariés ont formé un pourvoi en cassation, estimant que la société FDJ n’avait pas la qualité d’employeur, ni celle de coemployeur avec les sociétés Franmarie et Jacklot.

Solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel.

Les juges du fond relèvent, d'abord, que la situation de monopole d'État de la société FDJ sur la commercialisation des jeux de loterie et de paris sportifs, son organisation centralisée et la coordination des actions commerciales et l'étroitesse des liens commerciaux qu'elle induit ne permettent pas en eux-mêmes de retenir l'existence d'un coemploi, les intermédiaires, bien que tenus de se conformer à la politique commerciale définie contractuellement, restant libres de contracter ou non avec la société FDJ, puis de gérer et d'administrer librement leur société ou entité, et que s'il y a des intérêts communs, les activités de la société FDJ et des sociétés Franmarie et Jacklot sont distinctes et il ne peut être retenu une confusion de direction, les gérants de sociétés ou les courtiers conservant la maîtrise de l'organisation de leur propre structure et particulièrement la gestion sociale de leur personnel.

Ils précisent, ensuite, que l'utilisation de matériels sérigraphiés FDJ ou de cartes de visite mentionnant les liens avec la Française des Jeux est compatible avec le statut de mandataire de cette société et les fonctions de représentation de la société FDJ auprès des détaillants.

Ils retiennent encore que l'immixtion invoquée et les pièces produites relèvent des relations commerciales librement consenties, une domination d'une société sur une autre étant admise sans pour autant caractériser le coemploi, dès lors qu'elle n'aboutit pas à une immixtion permanente de la première sur la gestion économique de la seconde, qui se trouverait ainsi privée de toute autonomie. Ils constatent :

  • d'une part, aucun élément d'immixtion dans la gestion sociale des sociétés Franmarie puis Jacklot, notamment en matière de recrutement ou de départ, de salaires, primes ou commissions, régimes sociaux, évolution de carrière, pas même occasionnelle, la clause du contrat d'exploitation du 15 octobre 2012 précisant que la gestion du personnel reste l'affaire de l'intermédiaire n'étant pas utilement contredite par les salariés ,
  • d'autre part, que la société Franmarie a décidé au printemps 2014, de réduire la surface de son local commercial en transférant l'activité d'un site à un autre et de réorganiser la partie administrative de son activité par un regroupement en Eure-et-Loir, ce dont elle a informé ses salariés avant de leur proposer des modifications de leurs contrats de travail le 23 avril 2014, dans le cadre de l'article L. 1222-6 du Code du travail N° Lexbase : L7361IZN.

Ils concluent que ces décisions, dont rien n'établit qu'elles résultent de la volonté de la société FDJ de capter les prérogatives de la société Franmarie attachées à sa condition d'employeur qu'elle-même revendique, attestent que le mandataire est resté décideur de son organisation et de ses choix de gestion et n'a pas perdu son autonomie.

Ils retiennent également qu'il n'est pas davantage démontré que l'organisation d'une réunion le 25 septembre 2017 par la société FDJ ayant pour objet la mise en place d'une nouvelle forme d'organisation commerciale, entraînant l'application de nouvelles procédures commerciales et financières auprès des intermédiaires et des détaillants aurait emporté immixtion dans la gestion sociale de l'entreprise.

De ces seules énonciations et constatations, dont il résultait tant l'absence de toute immixtion de la société FDJ dans la gestion économique et sociale des sociétés Franmarie et Jacklot que la préservation de leur autonomie d'action, la cour d'appel a pu déduire que la société FDJ n'avait pas la qualité de coemployeur.

Pour aller plus loin : lire S. Vernac, Le coemploi, ou la quête d'un pouvoir sur le pouvoir, Lexbase Social, février 2023, n° 935 N° Lexbase : N4348BZ3.

 

newsid:490616

Données personnelles

[Brèves] RGPD : conservation limitée des données

Réf. : CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-446/21, Maximilian Schrems N° Lexbase : A0501583

Lecture: 3 min

N0562B39

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par Perrine Cathalo

Le 11 Octobre 2024

Un réseau social en ligne ne peut utiliser l’ensemble des données obtenues auprès de la personne concernée et de tiers à des fins de publicité ciblée, sans limitation dans le temps et sans distinction en fonction de leur nature.

Faits et procédure. Une personne physique conteste devant les juridictions autrichiennes le traitement, à son avis illicite, de ses données à caractère personnel par Meta Platforms Ireland dans le cadre du réseau social en ligne Facebook. Il s’agit entre autres de données concernant son orientation sexuelle.

Meta Platforms collecte les données à caractère personnel des utilisateurs de Facebook, dont le requérant, portant sur les activités de ces utilisateurs tant sur ce réseau social qu’en dehors de celui-ci. Il s’agit notamment des données relatives à la consultation de la plateforme en ligne ainsi que de pages internet et d’applications tierces. À cette fin, Meta Platforms utilise des cookies, des social plugins et des pixels insérés sur les pages internet concernées.

Au vu des données à sa disposition, Meta Platforms peut également identifier l’intérêt qu’un utilisateur porte à des sujets sensibles, tels que l’orientation sexuelle, ce qui permet de lui adresser de la publicité ciblée à cet égard. Se pose dès lors la question de savoir si le requérant a manifestement rendu publiques des données à caractère personnel sensibles le concernant, en raison du fait qu’il a communiqué lors d’une table ronde publique le fait d’être homosexuel, et a ainsi autorisé le traitement de celles-ci, en vertu du RGPD (Règlement n° 2016/679, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données N° Lexbase : L0189K8I).

Dans ce contexte, la Cour suprême autrichienne a demandé à la Cour de justice d’interpréter le RGPD.

Décision. Premièrement, la Cour répond que le principe de la « minimisation des données », prévu par le RGPD, s’oppose à ce que l’ensemble des données à caractère personnel qui ont été obtenues par un responsable du traitement, tel que l’exploitant d’une plateforme de réseau social en ligne, auprès de la personne concernée ou de tiers et qui ont été collectées tant sur cette plateforme qu’en dehors de celle-ci soient agrégées, analysées et traitées à des fins de publicité ciblée, sans limitation dans le temps et sans distinction en fonction de la nature de ces données.

Deuxièmement, selon la Cour, il n’est pas exclu que, par sa déclaration lors de la table ronde en question, le requérant ait manifestement rendu publique son orientation sexuelle. Il revient à la Cour suprême autrichienne de l’apprécier.

La circonstance qu’une personne concernée a rendu manifestement publique une donnée concernant son orientation sexuelle a pour conséquence que cette donnée peut faire l’objet d’un traitement, dans le respect des dispositions du RGPD. Toutefois, cette circonstance n’autorise pas, à elle seule, le traitement d’autres données à caractère personnel se rapportant à l’orientation sexuelle de cette personne.

Ainsi, la circonstance qu’une personne se soit exprimée sur son orientation sexuelle lors d’une table ronde publique n’autorise pas l’exploitant d’une plate-forme de réseau social en ligne à traiter d’autres données relatives à son orientation sexuelle obtenues, le cas échéant, en dehors de cette plateforme à partir d’applications et de sites internet de tiers partenaires, en vue de l’agrégation et de l’analyse de celles-ci, afin de lui proposer de la publicité personnalisée.

newsid:490562

Douanes

[Brèves] Nouvelle stratégie douanière de lutte contre les flux financiers illicites

Réf. : Douanes.gouv, communiqué de presse, 7 octobre 2024

Lecture: 2 min

N0552B3T

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par Marie-Claire Sgarra

Le 11 Octobre 2024

La Douane française a dévoilé ce lundi 7 octobre à Bercy, sa nouvelle stratégie de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

La Douane renforce ses moyens humains, matériels et dispose d'un nouvel arsenal législatif :

  • coopération internationale et interministérielle accrue pour détecter, saisir afin de faire confisquer les avoirs criminels ;
  • possibilité pour les douaniers de constater des opérations de blanchiment douanier y compris lors des phases de transport et de collecte réalisées sur le territoire national. Il s’agit d’un apport conséquent de la loi n° 2023-610, du 18 juillet 2023, visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces N° Lexbase : L2073MIM ;
  • les actifs numériques, comme les cryptomonnaies, sont désormais inclus dans le champ d'application du délit de blanchiment douanier ;
  • enfin, cette loi a élargi la possibilité pour les douaniers de retenir l’argent liquide en circulation sur le territoire national, lorsqu’ils suspectent un lien avec des activités criminelles.

Les capacités d’intervention de la Douane ont été renforcées pour mieux appréhender les réseaux de collecteurs :

  • la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), à travers son département Blanchiment et trafics de biens culturels, se spécialise dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme ;
  • la douane développe aussi son réseau d’équipes maître/chiens spécialisées dans la détection d’argent liquide, « les cash-dogs » ;
  • l'Office national antifraude (ONAF) lutte contre les fraudes aux finances publiques en identifiant les flux financiers illicites et en saisissant les avoirs criminels et coopère étroitement avec des organismes internationaux comme EUROPOL, ainsi qu’avec des juridictions spécialisées (JIRS et JUNALCO), pour démanteler les réseaux de fraude et de blanchiment d'argent, en mettant l'accent sur les cryptoactifs et les fraudes transnationales.

Les chiffres de 2023. La douane française a relevé 2393 cas de manquement à l’obligation déclarative, 204 cas de blanchiment et saisi ou identifié et proposé à la saisie 163,27 millions d’avoirs criminels.

newsid:490552

Fonction publique

[Brèves] Information obligatoire du droit de se taire du fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée

Réf. : Cons. const., décision n° 2024-1105 QPC, du 4 octobre 2024 N° Lexbase : A049958Y

Lecture: 2 min

N0583B3Y

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par Yann Le Foll

Le 11 Octobre 2024

► Les dispositions ne prévoyant pas que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire sont contraires à la Constitution.

Grief. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article 19 de la loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3 et sur le deuxième alinéa de l’article L. 532-4 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L6825MBE. Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas prévoir que le fonctionnaire mis en cause est informé du droit qu’il a de se taire, alors que ses déclarations sont susceptibles d’être utilisées à son encontre dans le cadre d’une procédure disciplinaire, contrevenant ainsi à l’article 9 de la DDHC N° Lexbase : L1373A9Q

Position Conseil const. Aux termes de l’article 9 de la DDHC : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.

En application des dispositions contestées, l’administration est tenue de l’informer du droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel. En revanche, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne prévoient que le fonctionnaire poursuivi disciplinairement soit informé de son droit de se taire.

Décision. Elles doivent être déclarées contraires à la Constitution. L’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles de l’article L. 532-4 du Code général de la fonction publique aurait pour effet de supprimer l’obligation pour l’administration d’informer le fonctionnaire poursuivi disciplinairement de son droit à communication du dossier. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. 

Par suite, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2025, la date de l’abrogation de ces dispositions.

Pour aller plus loin :

  • à ce sujet, lire L. Dufour et M. Saulnier, Fonction publique : à la recherche d’un nouvel équilibre entre la protection des témoins et le respect des droits de la défense, Lexbase Public, février 2024, n° 736 N° Lexbase : N8482BZ8.
  • v. ÉTUDE : La sanction des obligations des fonctionnaires dans la fonction publique d'État, L'obligation de communication de son dossier au fonctionnaire dans la fonction publique d'État, in Droit de la fonction publique (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E02913LD.

newsid:490583