Réf. : Cass. soc., 2 octobre 2024, n° 23-11.582, FS-B N° Lexbase : A777957A
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N0532B34
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par Charlotte Moronval
Le 09 Octobre 2024
► Un salarié, contraint de travailler pendant une période de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie, d'accident ou d'un congé de maternité, peut engager la responsabilité de son employeur et réclamer des dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi.
Faits et procédure. Soutenant avoir été contrainte de travailler pendant ses congés de maternité et de maladie et avoir été privée pendant la durée de son congé de maternité du bénéfice d'une augmentation de salaire accordée à l'ensemble des salariés, une salariée saisit la juridiction prud'homale de demandes en paiement de rappels de salaire, d'une indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts.
La cour d’appel (CA Montpellier, 7 décembre 2022, n° 20/00212 N° Lexbase : A28358ZZ) rejette ses demandes en paiement d'un rappel de salaire des heures de travail accomplies pendant ses congés maladie et maternité. Elle forme alors un pourvoi en cassation.
Solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale approuve la décision de la cour d’appel.
La cour d'appel a constaté que la salariée avait été contrainte de travailler pendant les périodes de suspension du contrat de travail alors qu'elle était en arrêt maladie ou en congé de maternité.
Il en résulte que l'intéressée ne pouvait prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuées et pouvait seulement réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
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Réf. : CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-446/21, Maximilian Schrems N° Lexbase : A0501583
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N0562B39
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par Perrine Cathalo
Le 11 Octobre 2024
► Un réseau social en ligne ne peut utiliser l’ensemble des données obtenues auprès de la personne concernée et de tiers à des fins de publicité ciblée, sans limitation dans le temps et sans distinction en fonction de leur nature.
Faits et procédure. Une personne physique conteste devant les juridictions autrichiennes le traitement, à son avis illicite, de ses données à caractère personnel par Meta Platforms Ireland dans le cadre du réseau social en ligne Facebook. Il s’agit entre autres de données concernant son orientation sexuelle.
Meta Platforms collecte les données à caractère personnel des utilisateurs de Facebook, dont le requérant, portant sur les activités de ces utilisateurs tant sur ce réseau social qu’en dehors de celui-ci. Il s’agit notamment des données relatives à la consultation de la plateforme en ligne ainsi que de pages internet et d’applications tierces. À cette fin, Meta Platforms utilise des cookies, des social plugins et des pixels insérés sur les pages internet concernées.
Au vu des données à sa disposition, Meta Platforms peut également identifier l’intérêt qu’un utilisateur porte à des sujets sensibles, tels que l’orientation sexuelle, ce qui permet de lui adresser de la publicité ciblée à cet égard. Se pose dès lors la question de savoir si le requérant a manifestement rendu publiques des données à caractère personnel sensibles le concernant, en raison du fait qu’il a communiqué lors d’une table ronde publique le fait d’être homosexuel, et a ainsi autorisé le traitement de celles-ci, en vertu du RGPD (Règlement n° 2016/679, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données N° Lexbase : L0189K8I).
Dans ce contexte, la Cour suprême autrichienne a demandé à la Cour de justice d’interpréter le RGPD.
Décision. Premièrement, la Cour répond que le principe de la « minimisation des données », prévu par le RGPD, s’oppose à ce que l’ensemble des données à caractère personnel qui ont été obtenues par un responsable du traitement, tel que l’exploitant d’une plateforme de réseau social en ligne, auprès de la personne concernée ou de tiers et qui ont été collectées tant sur cette plateforme qu’en dehors de celle-ci soient agrégées, analysées et traitées à des fins de publicité ciblée, sans limitation dans le temps et sans distinction en fonction de la nature de ces données.
Deuxièmement, selon la Cour, il n’est pas exclu que, par sa déclaration lors de la table ronde en question, le requérant ait manifestement rendu publique son orientation sexuelle. Il revient à la Cour suprême autrichienne de l’apprécier.
La circonstance qu’une personne concernée a rendu manifestement publique une donnée concernant son orientation sexuelle a pour conséquence que cette donnée peut faire l’objet d’un traitement, dans le respect des dispositions du RGPD. Toutefois, cette circonstance n’autorise pas, à elle seule, le traitement d’autres données à caractère personnel se rapportant à l’orientation sexuelle de cette personne.
Ainsi, la circonstance qu’une personne se soit exprimée sur son orientation sexuelle lors d’une table ronde publique n’autorise pas l’exploitant d’une plate-forme de réseau social en ligne à traiter d’autres données relatives à son orientation sexuelle obtenues, le cas échéant, en dehors de cette plateforme à partir d’applications et de sites internet de tiers partenaires, en vue de l’agrégation et de l’analyse de celles-ci, afin de lui proposer de la publicité personnalisée.
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Réf. : CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-650/22, FIFA c/ Lassana Diarra N° Lexbase : A051658M
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N0564B3B
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par Jean-Philippe Tricoit, Maître de conférences - HDR à l'Université de Lille, co-directeur de l'Institut des sciences du travail
Le 14 Octobre 2024
► Sont de nature à entraver la liberté de circulation des travailleurs, les dispositions du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA, relatives au principe d'une responsabilité solidaire et conjointe entre le joueur et le nouveau club, aux sanctions sportives applicables au club ainsi qu’à l'impossibilité de participer à des compétitions sportives pour le joueur.
Faits et procédure. Présentée comme l'affaire « Bosman 2.0 », l'affaire « Diarra » a été tranchée peu avant le trentième anniversaire de l'arrêt dont il constitue, en vérité, une extension (CJCE, 15 décembre 1995, aff. C-415/93, URBSA et UEFA c/ Bosman N° Lexbase : A7546AHX). Reconnaissant que l'activité sportive puisse constituer une activité économique (v., récemment CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-333/21, European Superleague Company, point 83 N° Lexbase : A9323198 ; v. également le préambule du Chapitre XII de la Convention collective nationale du sport), l'arrêt « Bosman » a reconnu aux joueurs professionnels la qualité de travailleur, ouvrant ainsi les portes de la liberté de circulation des travailleurs, telle que proclamée par l'article 45 du TFUE.
L'affaire opposant Lassana Diarra et le Lokomotiv Moscou est déjà ancienne, puisqu'elle a débuté en 2014. À cette époque, l'international français était sous contrat avec le club russe. Lui reprochant différents griefs, notamment des absences injustifiées, le Lokomotiv Moscou avait rompu le contrat et saisi la Chambre de résolution des litiges (CRL) de la FIFA, celle-ci ayant condamné le footballeur professionnel à 20 millions d'euros de dédommagement. C'est là que se situe le nœud de l'affaire : un potentiel transfert vers Charleroi est suspendu, car la FIFA et l'Union Royale Belge des Sociétés de Football Association (URBSFA) ne disposaient pas, conformément aux dispositions de RSTJ, de garanties suffisantes pour que le club soit tenu solidairement et conjointement responsable des indemnités réclamées à Lassana Diarra (RSTJ, 17, point 2). En outre, l’existence d’un litige lié à une rupture de contrat, sans juste cause, interdit la délivrance du certificat nécessaire à l'enregistrement du joueur, bloquant ainsi sa participation aux compétitions pour le compte du nouveau club (RSTJ, art. 9). Privé de club pendant presque un an à cause de cette situation, avant de rejoindre l'Olympique de Marseille, Lassana Diarra avait alors saisi les juridictions étatiques belges pour obtenir réparation de son préjudice.
Question préjudicielle. En appel, la cour d'appel de Mons estime que les dispositions du RSTJ suscitent quelques interrogations sur leur conformité avec les principes du droit de l'Union européenne, singulièrement vis-à-vis de la liberté de circulation des travailleurs (TFUE, art. 45) et de l'interdiction des ententes anticoncurrentielles (TFUE, art. 101). Elle communique alors une question préjudicielle à la CJUE, dont résulte la décision du 4 octobre 2024.
Éléments de réponse de la CJUE. La confrontation entre la liberté de circulation des travailleurs et le RSTJ a tourné court pour ce dernier. Aux termes de son raisonnement, calqué sur sa jurisprudence la plus récente (CJUE, 21 décembre 2023, préc. ; CJUE, 21 décembre 2023, aff. C-680/21, Royal Antwerp Football Club N° Lexbase : A932619B), la CJUE estime que les règles du RSTJ sont de nature à entraver la liberté de circulation des travailleurs, à savoir le principe d'une responsabilité solidaire et conjointe entre le joueur et le nouveau club, les sanctions sportives éventuellement applicables à l'encontre du club, ainsi que l'impossibilité de participer à des compétitions sportives pour le joueur.
Le véritable intérêt de la décision porte sur l'analyse de l’existence d’une justification à cette entrave, fondée sur deux motifs, notamment la poursuite d’un objectif légitime d’intérêt général et le respect du principe de proportionnalité.
L'arrêt « Diarra » concède que le RSTJ constitue « non pas un objectif légitime d’intérêt général en soi, mais comme un des moyens de poursuivre l’objectif légitime d’intérêt général consistant à assurer la régularité des compétitions de football interclubs » (point 102). Précédemment, avait été reconnu l'objectif d'intérêt général, consistant à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs (CJUE, 16 mars 2010, aff. C-325/08, OL c/ Olivier Bernard et Newcastle UFC N° Lexbase : A2485ET9). Cependant, au titre de la proportionnalité, la CJUE estime que le RSTJ va « au-delà, voire, pour certaines, très au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif » et heurte même certaines caractéristiques du secteur sportif, à savoir la brièveté de la carrière du joueur (point 104).
A priori, l'arrêt du 4 octobre 2024 constitue une victoire éclatante pour Lassana Diarra, d'autant plus qu'elle ne coûtera pas à ce joueur sa carrière, comme ce fut le cas pour Jean-Marc Bosman. De même, le système de transfert institué par la FIFA demande une refonte substantielle de son contenu. Toutefois, la FIFA est, en réalité, confortée dans l'idée qu'elle peut fixer des règles spécifiques, dès lors qu'elles sont justifiées et proportionnées.
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Réf. : Cass. soc., 11 septembre 2024, n° 23-15.822, F-B N° Lexbase : A53615Y9
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N0593B3D
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par Julien Damiano, Avocat associé et Marion Locuratolo, Avocate, cabinet Greenwich Avocats
Le 09 Octobre 2024
Mots-clés : CSE • élections professionnelles • PAP • validité • contestation • syndicats
Confirmant sa jurisprudence antérieure et y ajoutant, la Cour de cassation rappelle que les syndicats ayant signé le protocole d’accord préélectoral ou ayant présenté des candidats aux élections, ainsi que lesdits candidats – qu’ils soient élus ou non – ne peuvent intenter une action en annulation des élections et/ou en contestation de la validité du protocole d’accord préélectoral postérieurement à la proclamation des résultats, dès lors qu’ils n’ont pas contesté le protocole d’accord préélectoral au moment de son adoption.
Cette solution, à première vue sévère, est néanmoins logique et rappelle l’importance donnée au protocole d’accord préélectoral ainsi qu’au dialogue social dont il résulte.
Alors que la saison des élections professionnelles bat son plein, la Cour de cassation nous remémore l’importance de la négociation du protocole d’accord préélectoral et poursuit son œuvre créatrice en délimitant un peu plus encore les contours de l’action en contestation du protocole d’accord préélectoral, mais également des élections professionnelles.
Dans le litige soumis à l’analyse de la Cour de cassation, plusieurs syndicats - dont la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et la Confédération française démocratique du travail (CFDT) - avaient signé un protocole d’accord préélectoral. Pour leur part, les syndicats Force Ouvrière (FO) et la Confédération Générale du Travail (CGT) avaient refusé de signer ledit protocole d’accord préélectoral.
Les conditions de validité du protocole d’accord préélectoral étant réunies, le processus électoral s’est poursuivi jusqu’à son terme, chacun des syndicats susnommés ayant présenté des candidats.
Néanmoins, sûrement déçus de leurs résultats aux élections professionnelles, deux organisations syndicales (FO et la CFTC) et plusieurs candidats élus sur leurs listes ont saisi le tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône afin d’obtenir, notamment, l’annulation des élections des membres titulaires et suppléants des trois collèges, au motif que le principe d'exercice personnel du droit de vote - principe d’ordre public - n’aurait pas été respecté.
En défense, l’UNSA et plusieurs de ses élus soulevaient l’irrecevabilité de cette demande d’annulation au motif que les organisations syndicales susvisées n’avaient pas contesté le protocole d’accord préélectoral ni son contenu au moment de son adoption.
Le tribunal judiciaire devait déclarer l’action des fédérations FO et CFTC irrecevable, au motif que, d’une part, la fédération CFTC avait signé sans réserve le protocole d’accord préélectoral et que, d’autre part, la fédération FO avait présenté des candidats sans émettre aucune réserve.
Ces deux organisations syndicales, mais également les salariés concernés, décidaient alors de former un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.
La Cour de cassation décidait d’examiner certains des moyens soulevés par les requérants.
De leur côté, les organisations syndicales faisaient grief au tribunal judiciaire d’avoir déclaré leur action irrecevable, alors « que selon l’article 31 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1169H43, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ; que selon l’article 32 N° Lexbase : L1172H48, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ; qu’en déclarant irrecevable l’action […], le tribunal judiciaire aurait violé les articles 31 et 32 du Code de procédure civile, ensemble l’article L. 2314-6 du Code du travail N° Lexbase : L8504LG3 et l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».
De l’autre côté, les salariés candidats et/ou élus aux élections dépendant de ces deux syndicats demandaient la cassation du jugement du tribunal judiciaire à l’appui de deux moyens :
Dès lors, la question inédite posée à la Cour de cassation était de juger de la recevabilité de l’action en annulation des élections professionnelles formée par des salariés, candidats élus sur les listes d’organisations syndicales, dont l’action avait elle-même été jugée irrecevable.
Par un arrêt rendu le 11 septembre 2024, la Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant le jugement du tribunal judiciaire, considérant que les demandes de FO, de la CFTC et de leurs candidats ou élus étaient irrecevables au motif que :
Si cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation relative à la recevabilité de l’action des syndicats n’ayant pas contesté le protocole d’accord préélectoral [1] (I.), la Haute juridiction innove, en déclarant également irrecevable l’action tendant aux mêmes fins intentée par leurs élus ou leurs candidats (II.).
I. Une restriction du droit d’agir des organisations syndicales dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation
A. Rappels juridiques portant sur la contestation du processus électoral en amont des résultats
Pour mémoire, lorsque l’employeur organise les élections du comité social et économique, il en informe les salariés et invite les organisations syndicales à venir négocier le protocole d’accord préélectoral, lequel fixe les modalités d’organisation et de mise en œuvre du processus électoral et notamment le nombre de sièges à pourvoir, la répartition de ces sièges dans les collèges, la répartition hommes/femmes etc…
L’adoption du protocole d’accord préélectoral suppose une double majorité, comme le rappelle l’article L. 2314-6 du Code du travail N° Lexbase : L8504LG3, puisqu’il doit être signé « par la majorité des organisations syndicales ayant participé à sa négociation, dont les organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles ou, lorsque ces résultats ne sont pas disponibles, la majorité des organisations représentatives dans l'entreprise ».
Dès lors qu’il est valablement conclu, le protocole d’accord préélectoral est d’application stricte et ses dispositions s’imposent à tous [2].
Toutefois, la contestation du protocole d’accord préélectoral reste possible - même s’il est conclu à la double majorité - lorsque ses stipulations sont contraires à l’ordre public et notamment si elles méconnaissent le droit électoral [3].
Il y a lieu de préciser que lorsqu’un syndicat saisit le tribunal judiciaire pour faire annuler le protocole d’accord préélectoral, préalablement au scrutin et à la tenue des élections, il peut également demander l’annulation des élections à venir, comme conséquence de l’annulation du protocole d’accord préélectoral [4].
Cette action en contestation du protocole d’accord préélectoral est largement ouverte puisque toute organisation syndicale invitée à négocier le protocole d’accord préélectoral ou non, signataire de celui-ci ou non, représentative ou non et ayant ou non des adhérents dans l’entreprise a intérêt à agir, au nom de l’intérêt collectif de la profession [5].
Toutefois, cette liberté d’agir se restreint drastiquement une fois les élections terminées, et comme l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt, gare aux organisations syndicales qui n’auraient émis aucune réserve à l’encontre du protocole d’accord préélectoral au moment de sa conclusion, mais également au moment de présenter une liste de candidats. La sanction en pareille hypothèse : l’irrecevabilité de l’action des syndicats.
B. La contestation du protocole d’accord préélectoral postérieurement aux résultats des élections : un droit d’agir considérablement restreint par la Cour de cassation
Le droit d’agir en annulation des élections, sur le fondement de l’absence de validité du protocole d’accord préélectoral, est considérablement restreint lorsque la contestation intervient postérieurement aux résultats des élections du comité social et économique.
Au terme d’une jurisprudence constante, la Cour de cassation considère que l’action du syndicat qui :
est irrecevable [6].
C’est donc cette solution que la Cour de cassation réaffirme, sans ambages, dans son arrêt du 11 septembre 2024.
En l’espèce, la CFTC ayant signé le protocole d’accord préélectoral et FO ayant présenté sans réserve des candidats aux élections, ces organisations syndicales ne pouvaient remettre en cause les élections intervenues, et ce quand bien même elles invoquaient une violation du droit électoral pourtant d’ordre public.
Pour la Cour de cassation, en signant le protocole d’accord préélectoral, la CFTC en acceptait le contenu et en présentant des candidats sans réserve, FO - non-signataire du protocole - acceptait de se soumettre aux règles prévues dans le protocole d’accord préélectoral et notamment de respecter le calendrier de l’élection ainsi que les modalités de présentation des candidats, de sorte que ces organisations ne pouvaient, a posteriori et après la proclamation des résultats, contester les stipulations du protocole dont elles avaient fait application durant le processus électoral.
Par cette décision, la Cour de cassation fait une application stricte du principe selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » et rappelle que le législateur a souhaité faire prévaloir le dialogue social, même face à l’ordre public.
Mais ce qui nous intéresse particulièrement dans cet arrêt, c’est la conséquence inédite que tire la Cour de cassation de l’irrecevabilité de l’action des organisations syndicales vis-à-vis de celle intentée par les salariés, élus ou candidats sur leurs listes.
II. L’extension de l’irrecevabilité de l’action des syndicats en annulation des élections professionnelles aux salariés candidats et élus sur leurs listes
A. L’apport de l’arrêt : pas d’intérêt à agir des organisations syndicales, pas d’intérêt à agir de leurs élus et candidats
Dans sa décision du 11 septembre 2024, la Cour de cassation ne se contente pas de confirmer sa position antérieure, elle décide de l’appliquer également aux candidats et aux élus de « la liste présentée par un syndicat ayant soit signé sans réserves le protocole d’accord préélectoral, soit présenté des candidats sans avoir émis de réserves », indiquant qu’eux aussi ne sauraient, « après proclamation des élections professionnelles, contester la validité du protocole d’accord préélectoral et demander l’annulation des élections quand bien même invoquerait-il[s] une méconnaissance par le protocole d’accord préélectoral de règles d’ordre public ».
En d’autres termes, la Cour de cassation étend la solution aux candidats et/ou aux élus des organisations syndicales, elles-mêmes privées du droit d’agir en raison de leur adhésion tacite au protocole d’accord préélectoral.
Ainsi, et alors même que le candidat ou l’élu du comité social et économique n’a pas nécessairement - contrairement à l’organisation syndicale - participé à la négociation du protocole d’accord préélectoral, il se trouve privé du droit de le contester et de le faire annuler, la Cour suprême estimant qu’en présentant sa candidature aux élections, en vue de se faire élire, le candidat élu ou non a également adhéré tacitement aux stipulations du protocole d’accord préélectoral.
En l’espèce, tentant de contourner cette irrecevabilité, les candidats et élus du CSE se prévalaient, pour justifier de leur intérêt à agir, de leur qualité d’électeurs qui devait, selon eux, primer sur leur qualité de candidat.
Mais la Cour de cassation n’a pas suivi leur argument, donnant raison au juge de première instance, qui a déclaré leur action irrecevable, par extension de l’irrecevabilité de celles des organisations syndicales.
Il s’agit d’un véritable revirement dans la mesure où jusqu’alors, la Cour de cassation considérait qu’un candidat, en sa qualité d’électeur, avait qualité à agir pour former une contestation relative au protocole d’accord préélectoral et aux élections professionnelles dans le collège auquel il appartenait, « peu important la signature de ce protocole par le syndicat ayant présenté leur candidature » [7].
Cette précision jurisprudentielle est bienvenue, dès lors qu’elle vient combler un « vide juridique » dans lequel - sous la houlette de leur syndicat - des candidats et élus auraient pu être tentés de contester des élections professionnelles que leur syndicat n’était plus en mesure de contester du fait de son adhésion pleine et sans réserve aux modalités d’organisation du processus électoral en temps et en heure.
C’était sans compter sur la vigilance de la Cour de cassation, qui entend bien rappeler qu’en la matière, c’est à l’heure des négociations du protocole préélectoral, ou de la présentation de candidats, que les organisations syndicales doivent faire valoir leur opposition.
Mais certainement pas après, une fois les résultats proclamés, ce qui fait absolument sens.
B. L’intérêt de l’arrêt : la préservation de la force contractuelle du protocole d’accord préélectoral et la sauvegarde des élections
Cette solution peut à première vue paraître sévère, dans la mesure où elle restreint le droit d’agir des syndicats et de leurs candidats ou élus, même en présence d’une violation alléguée de l’ordre public.
Elle est néanmoins logique, les salariés candidats étant en réalité l’émanation des organisations syndicales qui les présentent.
Elle se comprend donc aisément, la Cour de cassation souhaitant ainsi limiter le contentieux relatif aux élections professionnelles en le purgeant notamment de toute action déloyale, certains syndicats choisissant d’attendre le résultat des élections pour tenter de contester la validité du protocole d’accord préélectoral et d’obtenir leur annulation.
C’est avant tout la sécurité juridique qui est recherchée ici, cette décision rappelant l’importance et l’attention qui doivent être accordées à la négociation du protocole d’accord préélectoral.
En effet, celui-ci n’est pas qu’une simple notice des élections professionnelles. Il s’agit d’un véritable accord avec force obligatoire.
[1] Cass. soc. 24 novembre 2021, n° 20-20.962, F-B N° Lexbase : A78257CS.
[2] Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 23-13.551, F-D N° Lexbase : A47365QH.
[3] Cass. soc., 6 octobre 2011, n° 11-60.035, FS-P+B+R N° Lexbase : A6121HYD ; Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-24.387, FS-D N° Lexbase : A92304UE.
[4] Cass. soc., 12 mai 2021, n° 19-23.428, F-P N° Lexbase : A85214RZ.
[5] Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-60.535, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2423ELC ; Cass. soc., 20 septembre 2018, n° 17-60.284, F-D N° Lexbase : A6606X7S et n° 17-26.226, F-P+B N° Lexbase : A6507X77.
[6] Cass. soc., 24 novembre 2021, n° 20-20.962, F-B N° Lexbase : A78257CS.
[7] Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-13.197, F-D N° Lexbase : A1198ILX.
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Réf. : TA Paris, 24 septembre 2024, n° 2423321 N° Lexbase : A402854X
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par Olivier Garreau, Avocat à la Cour, docteur en droit public, spécialiste en droit public
Le 11 Octobre 2024
Mots clés : référé précontractuel • limitation du nombre de candidats • besoins à satisfaire •
Par une ordonnance en date du 24 septembre 2024, rendue en matière de référé précontractuel, le juge des référés du tribunal administratif de Paris rappelle que les conditions dans lesquelles l’acheteur peut limiter le nombre de candidats admis à présenter une offre, doivent répondre aux obligations générales de publicités et de mises en concurrence imposées par le Code de la commande publique. En cela, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne peuvent exiger la production par les candidats de documents dont la communication n’est pas prévue par l’arrêté du 22 mars 2019, fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics.
Dans cette affaire, la SASU softway medical imaging avait demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3270KG9, d’annuler la procédure d’attribution pour les lots n° 1 et n° 2 du marché « fourniture et mise en oeuvre de la plateforme régionale d'imagerie médicale S-PRIM -2ème génération », initiée par le GIP SESAN, qui venait de rejeter sa candidature.
La procédure initiée par le Groupement d'Intérêt Public SESAN, par avis d’appel public à concurrence en date du 15 mai 2024, présentait la particularité de prévoir une procédure de négociation limitée à quatre candidats, en application de l’article R. 2142-15 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3731LRM.
Le GIP SESAN indiquait, dans les documents de la consultation, que les quatre candidats qu'il entendait autoriser à présenter une offre, seraient sélectionnés sur la base de trois critères identiques aux deux lots, tenant d'abord à la pertinence et à la qualité des références fournies par le prestataire pour 40 %, ensuite à la qualité des effectifs dédiés au projet pour 15 % et enfin, à la compréhension du projet et de ses enjeux au regard de la note d'intention que doivent produire les candidats à cet effet, ce dernier critère étant pondéré à 45 %.
Le juge des référés, saisi par le candidat évincé, annule cette procédure pour plusieurs motifs
En premier lieu, le juge des référés estime que la demande de renseignements non prévus par l'arrêté du 22 mars 2019, fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats, est de nature justifier l’annulation de la procédure (I).
En deuxième lieu, le juge des référés retient l'imprécision d'un critère portant sur la compréhension du projet, lequel révèle une insuffisante définition des conditions de participation à un marché public par le pouvoir adjudicateur (II).
I. Sur le caractère limitatif de la liste règlementaire des documents pouvant être demandés aux candidats
Aux termes de l’article R. 2142-15 du Code de la commande publique, l’acheteur peut limiter le nombre de candidats admis à soumissionner ou à participer au dialogue, à condition que ce nombre soit suffisant pour assurer une concurrence effective.
Cette procédure, restrictive au regard des obligations de mise en concurrence, est particulièrement contrôlée par le juge administratif, lorsqu’il en est saisi.
En l’espèce, au niveau de la phase d'examen des candidatures, pour apprécier les capacités techniques et professionnelles des candidats, les articles 3.3, 3.4 et 3.6 du règlement de consultation exigeaient de ceux-ci, la fourniture du « total des effectifs affectés au projet (décomposition en profils junior/senior et expert). () les CV des effectifs dédiés au projet indiquant pour chaque type de profil : () ; le rôle spécifique tenu par chaque profil sur les différentes phases d'exécution du projet et une note de 2 pages expliquant la constitution des effectifs pour le projet et la méthodologie de travail envisagée ».
L’ordonnance fait, tout d’abord, implicitement référence à la jurisprudence « Département de l’Orne » [1] aux termes de laquelle, au stade de l'examen des candidatures, l'acheteur public ne peut exiger des candidats qu'ils fournissent d'autres pièces que celles permettant d'évaluer leurs capacités professionnelles, techniques et financières.
Le juge des référés précise, ainsi, concernant les demandes du règlement de la consultation litigieux : « à supposer même qu'elles (les demandes) ne relèvent pas de la phase d'analyse des offres ».
Cette supposition évoque la possibilité envisagée de sanctionner la procédure sur ce fondement, sans que l’ordonnance n’y donne suite.
Le juge des référés préfère en effet sanctionner la procédure, en faisant une application stricte de l’arrêté du 22 mars 2019, fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats N° Lexbase : L3497K7N.
L’ordonnance commentée estime que les informations précitées excédent en tout état de cause, ce que le pouvoir adjudicateur pouvait exiger en application de l'arrêté du 22 mars 2019.
Et la décision commentée de rappeler les dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 22 mars 2019, lequel prévoit que
« Dans la mesure où ils sont nécessaires à l'appréciation des capacités techniques et professionnelles des candidats, l'acheteur peut exiger un ou plusieurs renseignements ou documents figurant dans la liste ci-dessous. Pour les marchés publics autres que de défense ou de sécurité, cette liste est limitative. / () 3° Une déclaration indiquant les effectifs moyens annuels du candidat et l'importance du personnel d'encadrement pendant les trois dernières années'; / 4° Pour les marchés publics (), de services () l'indication des titres d'études et professionnels du candidat ou des cadres de l'entreprise, et notamment des responsables de prestation de services ou de conduite des travaux de même nature que celle du marché public ».
Or, la procédure litigieuse va au-delà de ce que permet l’arrêté susvisé, en exigeant des candidats, au stade de l’analyse des candidatures, de justifier du « total des effectifs affectés au projet (décomposition en profils junior/senior et expert). () les CV des effectifs dédiés au projet indiquant pour chaque type de profil : () ; le rôle spécifique tenu par chaque profil sur les différentes phases d'exécution du projet et une note de 2 pages expliquant la constitution des effectifs pour le projet et la méthodologie de travail envisagée ".
Le juge des référés estime en outre que :
« le GIP SESAN, a également exigé des soumissionnaires la production d'une "note d'intention " constituant aussi le principal critère, pondéré à 45 %, de sélection des quatre candidats autorisés à présenter une offre. D'une part, il est constant qu'une telle note explicitant les enjeux et risques du projet, et présentant les facteurs de succès du soumissionnaire, n'est pas au nombre des renseignements que l'acheteur, en application de l'arrêté du 22 mars 2019, est susceptible de demander aux soumissionnaires en phase d'analyse des candidatures ».
De telles exigences au niveau des documents demandés, au-delà de la transgression de la liste limitative posée par l’article 3 de l’arrêté susvisé, auraient également permis au pouvoir adjudicateur d’apprécier les candidatures de manière biaisée, en empiétant sur la phase d’appréciation des offres (appréciation de l’adéquation des moyens spécifiques mis en œuvre pour l’exécution du marché).
L’ordonnance ne va pas sur ce terrain, mais de manière insusceptible d’interprétation, reste sur une application stricte de la liste réglementaire des documents fixée par l’arrêté du 22 mars 2019, ce qui a pour mérite, pour l’avenir d’encadrer le travail du juriste dans la rédaction des documents de la consultation.
II. Sur l’insuffisante définition des conditions de participation à la procédure de mise en concurrence
L’ordonnance commentée sanctionne également la procédure litigieuse en raison de l’imprécision de la définition des critères de sélection des candidatures et des besoins du pouvoir adjudicateur.
Il est, en effet, de jurisprudence constante que les pouvoirs adjudicateurs doivent fournir une « information appropriée » aux candidats. « Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors également porter sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné » [2].
C’est de cette jurisprudence classique dont fait application le juge des référés, au cas d’espèce, en estimant que :
« D'autre part il résulte de l'examen du règlement de consultation que la définition de ce critère se borne à indiquer qu'il consiste en 'une note d'intention présentant la compréhension du candidat des enjeux et objectifs du projet. Le candidat présentera notamment sa capacité à répondre à ces enjeux et indiquer les facteurs clés de succès ainsi que les risques' alors que la définition même des enjeux et objectifs de chacun des lots, qui relève de la détermination des besoins essentiels de l'acheteur et, pour lequel le GIP a rappelé en audience le caractère particulièrement technique et les forts enjeux en matière de sécurisation et de continuité du service, se limite en l'état des pièces produites au dossier, à la description de chacun des lots au paragraphe 5.1 de l'avis d'appel public à la concurrence publié le 15 mai 2024, qui se borne à préciser que le lot 1 " consiste en la fourniture d'un service de diagnostic et de collaboration pour les structures productrices d'imagerie médicale " et que le lot 2 " consiste en la fourniture d'un service de conservation des données pour les structures productrices d'imagerie médicale ". Dans ces conditions, en raison de cette imprécision du principal critère de sélection des candidats et pour lequel le pouvoir adjudicateur a de nouveau exigé, la production d'un document et de renseignements qui, à supposer même qu'ils ne relèvent pas de la phase d'analyse des offres, excédaient en tout état de cause, ce qu'il pouvait exiger en application de l'arrêté du 22 mars 2019, la société requérante est fondée à soutenir que le GIP SESAN a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence … »
Le juge des référés rappelle aussi l’obligation pour le pouvoir adjudicateur de définir ses besoins.
Conformément à l'article L. 2111-1 du Code de la commande publique N° Lexbase : L7082LQD, la nature et l’étendue des besoins à satisfaire doivent être déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence. La définition des besoins qui incombe au pouvoir adjudicateur répond à une obligation souvent négligée par les acheteurs soumis au Code de la commande publique.
L’ordonnance commentée, au-delà de la sanction relative au non-respect de la liste de documents fixés par l’arrêté du 22 mars 2019, sanctionne donc, également, l’insuffisance des documents de la consultation dans la détermination des besoins du pouvoir adjudicateur et dans la définition des critères de sélection des candidatures qui en découle.
[1] CE, 21 novembre 2007, n° 291411 N° Lexbase : A7254DZP.
[2] CE, 30 janvier 2009, n° 290236 N° Lexbase : A7437ECG.
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Réf. : Cass. civ. 1, 4 septembre 2024, n° 23-14.232, F-D N° Lexbase : A30875YY
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par Me Géraldine Dauphin, spécialiste en droit du dommage corporel, associée du Cabinet Coubris & Associés
Le 14 Octobre 2024
Mots-clés : responsabilité médicale • indemnisation • préjudices • assurances • étendue de la réparation • perte de chance • perte de gains professionnels futurs
Par un arrêt rendu le 4 septembre 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue apporter de nouvelles précisions majeures en matière d’indemnisation des jeunes victimes de dommages corporels, intéressant tant l’étendue de leur droit à réparation des préjudices subis que les modalités de recouvrement des indemnités dues.
I. Sur l’étendue du droit à réparation des jeunes victimes de dommages corporels
La répétition est la plus forte figure de rhétorique disait Napoléon Bonaparte. La Cour de cassation vient rappeler, dans l’arrêt commenté et s’agissant des pertes de gains professionnels futurs, que le principe de réparation intégrale des préjudices sans perte ni profit pour la victime ne peut souffrir de compromis.
A. Sur l’exclusion de toute perte de chance attachée aux pertes de gains professionnels futurs
Dans l’espèce soumise à la censure de la Haute juridiction, la victime avait conservé de très importantes séquelles cérébrales et motrices en raison d’une mauvaise manœuvre obstétricale réalisée lors de sa naissance, en 2002, à l’origine d’un enfoncement crânien avec fracture pariétale.
L’état de santé de l’enfant avait été considéré comme consolidé en novembre 2017, soit avant même d’avoir atteint l’âge de la majorité, avec un taux de déficit fonctionnel permanent fixé à 85 %. L’expert avait par ailleurs expressément précisé, dans son rapport, que l’état neurologique actuel de la victime lui interdisait toute activité salariée, même à un poste adapté ou en milieu protégé.
C’est dans ces conditions et alors qu’elle soutenait son droit à réparation intégrale, que la cour d’appel (CA Agen, 1er février 2023, n° 21/00769 N° Lexbase : A87819BT) avait considéré que la victime « n’ayant pu, en raison de son handicap, ni suivre d’études ou de formation ni exercer d’activité professionnelle, elle n’a pas subi une perte effective de revenu, mais la perte de chance d’exercer une activité professionnelle ».
La perte de chance se définit depuis fort longtemps comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Le raisonnement tenu par les seconds juges invitait ainsi à considérer que la victime mineure, dont il n’était pas établi la certitude qu’elle aurait pu intégrer le monde du travail à l’âge adulte sans son accident, ne pouvait avoir seulement perdu, de façon certaine et en raison de ses séquelles, qu’une simple chance de travailler.
Le prisme ainsi adopté déformait assurément la notion de perte de chance, alors même que la Cour de cassation avait précédemment eu l’occasion de juger, au visa de l’article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH et du principe de réparation intégrale des préjudices, « qu’une réparation ne peut être allouée au titre d’une perte de chance d’éviter le dommage qu’en l’absence de certitude que, si la faute n’avait pas été commise, le dommage ne serait pas survenu » [1].
La censure était donc inévitable.
La présente affaire est l’occasion pour la Haute juridiction de venir très clairement affirmer, au visa du même texte et du même principe, que lorsque la victime est privée de toute possibilité d’exercer un jour une activité professionnelle, en raison d’un accident survenu lors de sa naissance ou dans son jeune âge, la perte de gains professionnels futurs doit être regardée comme présentant un caractère certain.
Aucun aléa professionnel ne saurait pouvoir être caractérisé dans ces conditions.
La solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation – au-delà de sa parfaite logique – s’aligne par là même sur la jurisprudence déjà éprouvée du Conseil d’État [2], qui est d’ailleurs lui-même allé plus loin en rappelant utilement que toute notion de perte de chance doit même être écartée lorsque la jeune victime conserve une capacité à travailler, mais ne peut pas accéder « dans les conditions usuelles » à un emploi [3].
L’arrêt commenté, qui apporte une pierre à l’édifice de la réparation intégrale sans perte ni profit pour les victimes, souligne également une nouvelle fois combien l’expertise médicale revêt un enjeu majeur pour les postes de préjudice touchant à la sphère professionnelle.
Il est plus que jamais indispensable que pour les victimes ayant subi un accident avant d’avoir atteint l’âge d’intégrer le monde du travail, l’expert désigné puisse clairement décrire les conséquences des séquelles qu’elle conserve sur sa capacité à travailler [4].
L’apport de la décision commentée, s’agissant du poste de perte de gains professionnels futurs, porte par ailleurs sur un second aspect, dont chacun aura observé qu’il n’a pas vocation cette fois-ci à bénéficier aux seules jeunes victimes de dommages corporels.
B. Sur l’exclusion des périodes d’hospitalisation du poste de pertes de gains professionnels futurs
Dans l’affaire soumise à la Haute juridiction, la cour d’appel avait en effet cru nécessaire d’indemniser les pertes de gains professionnels futurs de la victime par une rente dont il était précisé que le versement serait suspendu en cas d’hospitalisation ou de prise en charge en milieu médical spécialisé supérieure à trente jours.
Le raisonnement des seconds juges semblait vouloir ainsi emprunter, sans autre précaution et de façon tout à fait surprenante, à ce que connaissait notre droit en matière de rente due au titre de l’assistance permanente par une tierce personne.
Cette jurisprudence, qui ne brillait pas par sa mesure, tangue pourtant dangereusement depuis que la première chambre civile de la Cour de cassation est venue récemment souligner que l’indemnisation de l’assistance par une tierce personne ne peut être écartée par principe durant les périodes d’hospitalisation de la victime [5].
L’arrêt commenté offre d’ailleurs un rappel nécessaire sur ce point en censurant de nouveau la cour d’appel qui, dans la présente affaire, avait également exclu l’indemnisation de ce poste de préjudice pendant les périodes d’hospitalisation ou d’admission en milieu médical de la jeune victime, « sans prendre en compte les besoins d’assistance qu’elle pourrait avoir durant ces périodes ».
Mais alors, pourquoi avoir voulu tenter d’introduire cette référence aux hospitalisations futures de la victime dans l’évaluation des pertes de gains professionnels futurs ?
La manœuvre, sans fondement, est immédiatement retoquée par la Haute juridiction.
S’appuyant sur la définition de la nomenclature Dintilhac, selon laquelle le préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs indemnise la perte ou la diminution des revenus de la victime consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage, la Cour de cassation en déduit fort logiquement que l’hospitalisation de celle-ci ne peut avoir aucune incidence sur ce préjudice.
La solution est heureuse si l’on prend par ailleurs le soin de rappeler que les hospitalisations futures comme les admissions en milieu médical seront bien souvent, pour ces jeunes victimes, dues à leur handicap sévère et donc, la conséquence de la faute du praticien dont la responsabilité a été engagée.
Elle offre au demeurant là encore un renfort bienvenu au principe de réparation intégrale des préjudices sans perte ni profit pour la victime.
*
L’apport de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 4 septembre 2024 ne réside cependant pas que dans la censure de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Agen. La situation de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt commenté a été aussi l’occasion de venir trancher l’épineuse question du recouvrement des indemnités dues aux victimes de dommages corporels en lien avec les conditions de leur naissance, dont le montant peut s’élever à des millions d’euros.
II. Sur le recouvrement des indemnités dues aux jeunes victimes de dommages corporels
La première chambre civile de la Cour de cassation est en effet venu régler, par une habile application de la loi dans le temps, le sort de l’ancien article L. 1142-21-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L9576INY s’agissant du recouvrement des indemnités dues à la victime, en cas de débiteur défaillant.
Elle vient ici très clairement trancher la question de l’intervention de l’ONIAM en cas d’épuisement de la couverture d’assurance et d’insolvabilité du médecin responsable pour les réclamations antérieures au 1er janvier 2012.
A. Sur les termes du débat
Depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 N° Lexbase : L1457AXA, il est désormais prévu à l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique l’obligation pour les professionnels de santé exerçant à titre libéral de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par un tiers dans le cadre de l’exercice de leur activité professionnelle.
Si la loi autorise les contrats d’assurance à prévoir des plafonds de garantie, un plafond minimal est néanmoins inscrit dans les textes depuis un décret n° 2003-288 du 28 mars 2003 N° Lexbase : L2103BCU, actuellement fixé à 8 millions d'euros par sinistre et à 15 millions d'euros par année d'assurance [6].
Les accidents médicaux liés aux conditions de la naissance offrent cependant un contentieux où le montant total des indemnités dues en réparation du préjudice corporel de l’enfant est bien souvent supérieur à ces plafonds.
C’est la question de ce dépassement de plafond, mêlant difficultés assurantielles des gynécologues-obstétriciens, risque d’insolvabilité pour les praticiens inquiétés et donc de désertion de la profession, et nécessité absolue d’assurer le versement des indemnités dues aux victimes, que la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 N° Lexbase : L1205IGQ a voulu régler en insérant dans le Code de la santé publique un article L. 1142-21-1.
Ce texte, comme le rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 4 septembre 2024, prévoit la substitution de l’ONIAM au médecin condamné par une juridiction à réparer les dommages subis par la victime à l'occasion d'un acte lié à la naissance, lorsque sa couverture d'assurance est épuisée et que la victime ne peut obtenir l'exécution intégrale de la décision de justice auprès de ce professionnel.
La loi n° 2011-1977 de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD en date du 28 décembre 2011 a cependant abrogé cet article L. 1142-21-1 pour permettre la création à l’article L. 426-1, I, du Code des assurances N° Lexbase : L4526LH4, du Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé (FAPDS).
Ce fonds n’a vocation à intervenir que pour les accidents médicaux faisant l’objet d’une réclamation déposée à compter du 1er janvier 2012 en cas d’expiration du délai de validité de la couverture du contrat d’assurance, ou mettant en jeu un contrat d’assurance conclu, renouvelé ou modifié à compter du 1er janvier 2012.
Il en est résulté alors une question évidente, objet du premier moyen soumis à l’analyse de la Cour de cassation dans son arrêt commenté :
Qui, aujourd’hui, doit se substituer au praticien insolvable lorsque le plafond de garantie de son assureur est atteint et que les faits litigieux, postérieurs au 5 septembre 2001, ont fait l’objet d’une première réclamation, au sens de l’article L. 251-2 du Code des assurances, antérieurement au 1er janvier 2012 ? Quel est le régime juridique applicable ?
La problématique n’avait pas encore été résolue ou bien alors de façon désastreuse pour les victimes.
Amenée à se prononcer sur ce point dans une autre affaire, la cour d’appel de Paris avait répondu en écartant l’intervention tant de l’ONIAM que – logiquement sur ce point – du FAPDS, alors que la naissance, dont les conditions avaient été à l’origine de graves séquelles pour l’enfant, avait eu lieu en 2008 et que les parents avaient formulé leur réclamation indemnitaire en 2011. Les juges avaient ordonné la mise hors de cause de l’ONIAM au motif qu’« aucune disposition légale ne prévoit l'intervention de la solidarité nationale lorsque le plafond de garantie du tiers responsable est éventuellement atteint dans le cadre d'une procédure contentieuse » [7].
Cette question avait par ailleurs transcendé la sphère juridique pour entrer dans cette politique, puisque dans le journal officiel du 20 avril 2023, une sénatrice, s’inquiétant d’un éventuel « trou de garantie » faisant peser un risque financier non négligeable sur les professionnels de santé, interrogeait le Gouvernement sur une possible extension du champ d’intervention du FAPDS à ces situations antérieures à 2012 [8].
Il lui avait été répondu que l’impact potentiel sur l’équilibre du Fonds de la prise en compte rétroactive des dossiers antérieurs à 2012 était estimé entre 290 et 440 millions d’euros, de sorte qu’une telle intervention rétroactive du FAPDS n’était pas envisageable [9].
La première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt commenté, vient donc apaiser tant les craintes des victimes que celles des professionnels de santé et des politiciens en rappelant, une fois n’est pas coutume, que le droit a horreur du vide.
B. Sur la substitution de l’ONIAM en présence d’un débiteur défaillant
La suite pourrait offrir un magnifique cas pratique universitaire sur l’application de la loi dans le temps.
Peut-on continuer à appliquer les dispositions de l’ancien article L. 1142-21-1 du Code de la santé publique dans les instances postérieures au 30 décembre 2011, soit le lendemain de la publication au JORF de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ayant abrogé ledit article et créé le FAPDS ?
C’était la position ardemment soutenue par la victime dans l’affaire commentée, suivie sur ce point par la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 4 septembre 2024.
La réponse est en effet assurément positive si l’on se réfère aux dispositions de cette loi du 28 décembre 2011 et plus précisément à son article 146, III et IV, réglant le sort de l’article L. 1142-21-1 du Code de la santé publique.
Il en résulte sans contestation possible que le législateur a entendu abroger les dispositions de cet article pour tous les accidents médicaux consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés à compter du 5 septembre 2001 et faisant l'objet d'une réclamation, au sens de l’article L. 251-2 du Code des assurances, déposée à compter du 1er janvier 2012.
En l’absence de réunion de ces deux conditions cumulatives, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, l’ancien article L. 1142-21-1 du Code de la santé publique demeure applicable à défaut de disposition législative contraire.
La Cour de cassation poursuit ainsi son œuvre d’éclaircissement dans ce délicat contentieux, après avoir rappelé, dans un arrêt de la deuxième chambre civile publié au bulletin du 15 février 2024 [10] qu’en matière d'assurance obligatoire de responsabilité civile médicale, l'assignation en référé délivrée à l'assuré par le tiers lésé, en vue de la désignation d'un expert aux fins de déterminer les responsables des dommages dont le tiers lésé se prétend victime et d'évaluer les préjudices, constitue la réclamation à laquelle est subordonnée la garantie de l'assureur au sens des dispositions de l’article L. 251-2 du Code des assurances.
La solution retenue par la première chambre civile offre ainsi aux victimes les plus jeunes l’assurance d’une indemnisation effective et intégrale de leurs préjudices corporels.
[1] Cass. civ. 1, 1er juin 2022, n° 20-16.909, F-D N° Lexbase : A799774X.
[2] CE 5°-6° ch. réunies, 24 juillet 2019, n° 408624, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7305ZKR ; CE 5 ch., 20 avril 2021, n° 433099 N° Lexbase : A00724QQ.
[3] CE 5°-6° ch. réunies, 13 février 2024, n° 463770, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A29152MW.
[5] Cass. civ. 1, 8 février 2023, n° 21-24.991, F-D N° Lexbase : A67069CD.
[6] CSP, art. R.1142-4 N° Lexbase : L5629IRW.
[7] CA Paris, 2-2, 21 décembre 2017, n° 16/04289 N° Lexbase : A6167W8W.
[8] JO Sénat du 20 avril 2023 - page 2609.
[9] JO Sénat du 8 juin 2023 - page 3660.
[10] Cass. civ. 2, 15 février 2024, n° 21-18.138, F-B N° Lexbase : A31102M7.
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Réf. : Cass. com., 18 septembre 2024, n° 23-10.183, F-B N° Lexbase : A97425ZT
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par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux
Le 09 Octobre 2024
►Mots-clés : droits sociaux • cession • réticence dolosive • obligation de se renseigner • exclusion du dol (non)
Si le cessionnaire de droits sociaux est tenu d’une obligation de se renseigner sur la situation financière de la société, cette obligation est impropre à exclure l’existence d’une réticence dolosive du cédant, laquelle rend toujours excusable l’erreur provoquée.
L’actualité jurisprudentielle de ces derniers mois confirme toute l’importance que prennent les exigences en matière d’intégrité du consentement des parties en présence lors de la cession de droits sociaux. Si, à propos de l’application de la forme particulière de vice du consentement que constitue l’abus de l’état de dépendance d’une partie à l’égard d’une autre, la Haute juridiction a pu adopter une position qui pouvait apparaître rigoureuse à l’égard du cédant [1], par son arrêt en date du 18 septembre 2024, destiné à figurer au Bulletin, la Chambre commerciale retient une solution qui est favorable au cessionnaire mais qui suscite pleinement l’approbation, en ce qu’elle permet de remettre chacune des parties en présence face à ses propres obligations.
Dans le contexte de la cession par un associé unique de la totalité des droits sociaux constituant le capital d’une société, le cessionnaire, invoquant avoir été victime d’une réticence dolosive de la part du cédant, demandait l’annulation de l’acte et la restitution du prix de cession. Alors que la cour d’appel [2] avait rejeté cette demande, relevant l’absence de toute démarche de l’acheteur pour se renseigner sur la situation financière de la société, la Chambre commerciale, au visa des articles 1137 N° Lexbase : L1978LKH et 1139 N° Lexbase : L0852KZL du Code civil, prononce la cassation, jugeant que de tels motifs sont « impropres à exclure l’existence d’une réticence dolosive, laquelle rend toujours excusable l’erreur provoquée ».
Au regard de la position adoptée par la Haute juridiction dans le présent arrêt, on est conduit à devoir examiner les deux éléments qui s’ajustent pour former le cadre juridique d’une cession de droits sociaux exempte de tout vice du consentement. S’il appartient au cessionnaire de se renseigner sur la situation financière de la société (I), le cédant, est, pour autant, tenu de s’abstenir de toute réticence dolosive (II).
I. L’obligation pour le cessionnaire de se renseigner
Même si, dans le cas d’espèce, le cessionnaire obtient l’annulation de l’acte de cession des droits sociaux, alors même qu’il aurait été négligent au regard des diligences que l’on peut, légitimement, attendre de la part du repreneur d’une activité déployée sous la forme d’une société, s’agissant de la réalité de sa situation financière, il serait regrettable, et le mot est faible, que l’arrêt rapporté soit retenu par la pratique comme un encouragement à la négligence. Il apparaît, au contraire, prudent de prendre comme point de référence en la matière que le cessionnaire des droits sociaux est tenu d’une obligation de se renseigner.
On rappellera qu’en dehors de la caractérisation d’une réticence dolosive de la part du cocontractant, la jurisprudence prend effectivement en compte l’attitude de celui qui invoque une erreur qui aurait conduit à vicier son consentement à l’acte. Pour qu’elle puisse aboutir à la nullité de l’opération, il faut que l’erreur invoquée soit excusable ; caractère compris comme visant l’impossibilité dans laquelle se trouvait l’intéressé à mener les diligences utiles à lui donner l’information pertinente sur les points en jeu [3]. Pour s’en tenir au domaine de la cession de droits sociaux, les cours et tribunaux ont ainsi pu reprocher au cessionnaire une attitude négligente dans la recherche et la prise en compte d’informations, notamment financières et fiscales, qui lui auraient permis d’avoir une visibilité crédible de la situation de la société dont il achetait les titres [4].
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, les informations dont le cessionnaire n’aurait pas disposé tenaient au passif de la société antérieur à la cession, résultant, pour l’essentiel, de dettes, de contrats en cours et d’un prêt bancaire. La cour d’appel [5] n’avait pas manqué de relever que le cessionnaire était tenu d’une obligation de se renseigner, appréciée comme il se doit en fonction de son expérience antérieure de gérant de société.
En d’autres termes, on peut raisonnablement penser qu’en l’absence d’interférence d’une éventuelle réticence dolosive du cédant, aucun vice du consentement n’aurait pu être caractérisé, eu égard au caractère inexcusable de l’erreur que le cessionnaire pourrait invoquer. Dans l’arrêt en cause, le cessionnaire est, en quelque sorte, sauvé par l’attitude du cédant, examinée sur le terrain de la réticence dolosive.
II. La prohibition pour le cédant de toute réticence dolosive
Dans la répartition des obligations auxquelles sont tenues, respectivement, chacune des parties à une cession des droits sociaux, il est évident que, dans la très grande majorité des hypothèses, le cédant détient, du fait de sa position, l’essentiel des informations relatives à la situation financière de la société, et plus largement à l’activité qu’elle développe.
Le cadre normatif, tel qu’il résulte de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, est assez singulier. S’il pose, à l’article 1112-1 du Code civil N° Lexbase : L0598KZ8, une règle générale imposant une obligation précontractuelle d’information, on relève à ce propos des restrictions qui sont en lien direct avec le contexte d’une cession de droits sociaux. Le principe est qu’aucune information n’est due sur « l’estimation de la valeur de la prestation » (C. civ., art. 1112-1, al. 2), alors même qu’en définitive le point litigieux porte bien sur la valeur réelle des titres. En outre, l’obligation d’information de l’une des parties au contrat suppose que l’autre partie ignore « légitimement » (C. civ., art. 1112-1, al. 1er), ce qui renvoie à la prise en compte du fait que le cocontractant en cause, qui avait la possibilité d’accéder à cette information par ses propres diligences, s’en est abstenu [6].
En conséquence, si le cessionnaire entend solliciter la nullité de l’acte de cession de droits sociaux, il est tenu de se tourner vers les dispositions particulières sanctionnant le dol, en tant que vice du consentement (C. civ., art. 1137).
Le présent arrêt vient replacer, opportunément, au centre de l’attention que doit déployer le cédant, et ses conseils, dans la perspective du transfert des titres de la société, la forme particulière de dol que constitue la réticence dolosive. Si l’on écarte les cas où le cédant aurait été l’auteur de manœuvres ou de mensonges destinés à obtenir le consentement du cessionnaire, sans doute moins adaptées à ce type de contrat, c’est vers la dissimilation intentionnelle d’informations qu’il faut se tourner.
En premier lieu, pour que la nullité de l’acte en cause puisse être prononcée, il faut que l’information visée présente un caractère déterminant du consentement du cessionnaire pour procéder à l’acquisition des droits sociaux (C. civ., art. 1137, al. 2). En l’espèce, le niveau d’endettement de la société, et, plus largement, les obligations de paiement auxquelles elle se trouvait tenue compte tenu des contrats en cours, constituent certainement des informations qui répondent au caractère déterminant pour le consentement du cessionnaire. On peut légitimement penser que s’il avait disposé des informations pertinentes et actualisées sur ces points, il aurait soit renoncé à son achat, soit négocié un prix bien plus faible [7].
En second lieu, et sans doute est-ce l’aspect le plus délicat, il faut que la preuve soit apportée du caractère intentionnel du défaut de communication des informations en cause. Un simple oubli de la part du cédant ne saurait, à lui seul, provoquer l’annulation du contrat [8]. L’abstention, pour être dolosive, doit être volontaire, dans le but de priver le cocontractant de l’information déterminante de son consentement à l’acte. Une telle constatation relève de l’appréciation des juges du fond, qui s’effectue sous le contrôle de la Cour de cassation [9].
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt analysé, il convient de relever que cette dissimulation intentionnelle, et donc dolosive, n’est pas effectivement constatée. Si la Haute juridiction prononce la cassation de l’arrêt d’appel [10], c’est parce que la cour d’appel avait écarté une telle réticence de la part du cédant en prenant en compte le défaut de diligence du cessionnaire pour obtenir, par lui-même, les informations en cause. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de reprendre l’ensemble des éléments disponibles pour, le cas échéant, retenir qu’il y avait bien une réticence dolosive et que cela devait donc conduire à l’annulation de l’acte de cession des droits sociaux, puisque cette attitude fautive rendait excusable l’erreur ainsi provoquée pour le cessionnaire.
En définitive, si, en application de l’article 1139 du Code civil, dans une telle occurrence, on est bien en présence d’une erreur du cessionnaire, qui emporte la nullité du contrat, « alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat », selon les dispositions de ce texte, encore faut-il que le caractère intentionnel de la dissimulation d’informations soit retenu par le juge. Si le présent arrêt peut apparaître rassurant pour le cessionnaire de droits sociaux, en ce qu’il réserve bien la possibilité d’obtenir la nullité du contrat emportant cession de droits sociaux lorsque le cédant a commis une réticence dolosive à son égard, il doit aussi l’inciter à déployer, de son côté, toutes les diligences utiles pour obtenir la plus juste visibilité de la situation financière de la société concernée. Ce faisant, il se mettra à l’abri du risque attaché ce que le caractère intentionnel de la dissimulation d’informations par le cédant ne soit pas retenu et qu’en outre, on lui reproche son manquement à sa propre obligation de se renseigner.
[1] Cass. com., 10 juillet 2024, n° 22-21.947, FS-B N° Lexbase : A22155PQ, B. Dondero, Lexbase Droit privé, septembre 2024, n° 994 N° Lexbase : N0225B3Q ; B. Saintourens, Lexbase Affaires, 19 septembre 2024, n° 806 N° Lexbase : N0288B33.
[2] CA Douai, 15 septembre 2022, n° 21/00672 N° Lexbase : A79398IU.
[3] V. B. Fages, Droit des obligations, LGDJ, 9ème éd., n° 110 ; M. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, 11ème éd., n° 306.
[4] V. not., CA Versailles, 23 juin 2005, RJDA 7/06, n° 784 – Cass. com., 11 mai 2017, n° 15-14.239, F-D N° Lexbase : A8980WCL – Cass. com., 13 décembre 2016, n° 15-18.002, F-D N° Lexbase : A2230SXU.
[5] CA Douai, 15 septembre 2022, n° 21/00672, préc.
[6] V. B. Fages, op. cit., n° 99, citant le rapport au Président de la République de l’ordonnance de 2016, aux termes duquel le devoir de s’informer fixe la limite de l’obligation précontractuelle d’information
[7] V. à propos de la dissimulation d’informations sur des contrats de crédit-bail relatifs aux machines utilisées par la société pour son activité, Cass. com., 8 juillet 2003, n° 99-18.925, F-D N° Lexbase : A1219C9Z.
[8] V. M. Malaurie, L. Aynes et Ph. Stoffel-Munck, op. cit., n° 310.
[9] V. not. Cass. com., 9 février 2016, n° 14-23.210, FS-P+B N° Lexbase : A0280PLX – Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-16.794, F-P+B N° Lexbase : A8466DIE, D. 2006, p. 2774, note P. Chauvel.
[10] CA Douai, 15 septembre 2022, n° 21/00672, préc.
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 23 juillet 2024, n° 481894, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A34495TW
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par Pierre Pradeau - Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d'avocats
Le 09 Octobre 2024
Mots-clés : TVA • fusion-acquisition • opérations complexes • prestation principale
Tel un Hamlet de la fiscalité indirecte, c’est la réponse qu’a dû apporter le Conseil d’État dans sa décision du 23 juillet 2024 dans l’affaire BNP Paribas à la question suivante : une commission de succès doit-elle être assujettie à la TVA dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition ?
Le Conseil d’État confirme dans le même temps la solution rendue dans l’arrêt d’appel.
I. Rappel du contexte
Dans le cadre d’un contrôle fiscal, l’administration a remis en cause le non-assujettissement d’une commission de succès facturée par le département « Corporate Finance » de la BNP Paribas.
Il résultait de l'instruction que le département Finance d'Entreprise (« Corporate finance ») de la société requérante fournit des prestations auprès de ses clients réalisant des opérations sur leur capital, au titre de son activité d'assistance et de conseil en fusion-acquisition.
Dans ce cadre, il est prévu que le client de la BNPP verse une rémunération forfaitaire (retainer fee) payable lors de l'annonce de l'opération et d'autre part une rémunération supplémentaire qui n'est versée qu'en cas de réalisation de l'acquisition (success fee ou commission de succès). La société BNPP, si elle a collecté de la taxe sur la valeur ajoutée sur les rémunérations forfaitaires, a en revanche exonéré de TVA les commissions perçues uniquement en cas de réalisation de l'opération d'acquisition ou de cession de titres.
Cette commission de succès avait été exonérée sur la base de l’article 261 C, 1°-e du CGI N° Lexbase : L6279LU4 (transposant l’article 135-1-f) de la Directive TVA de 2006 : « Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : 1° Les opérations bancaires et financières suivantes : e) Les opérations, autres que celles de garde et de gestion portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion des titres représentatifs de marchandises et des parts d'intérêt dont la possession assure en droit ou en fait l'attribution en propriété ou en jouissance d'un bien immeuble ou d'une fraction d'un bien immeuble ».
La BNPP soutenait pour défendre sa position au contentieux que [1] :
II. Raisonnement du Conseil d’État
Ni la cour d’appel administrative de Paris, ni le Conseil d’État n’a suivi le raisonnement de la BNPP. Les conclusions du Rapporteur public [2] sont également dans le sens du rejet des demandes de la BNPP.
Rappelons que l’exonération prévue par l’article 261 C-1°-e du CGI s’applique notamment :
L'activité de négociation est un service rendu à une partie contractuelle et rémunéré par celle-ci en tant qu'activité distincte d'entremise.
Elle peut consister, entre autres, à lui indiquer les occasions de conclure un tel contrat, à entrer en contact avec l'autre partie et à négocier au nom et pour le compte du client les détails des prestations réciproques. La finalité de cette activité est donc de faire le nécessaire pour que deux parties concluent un contrat, sans que le négociateur ait un intérêt propre quant au contenu du contrat.
Ainsi, sur cette base, la BNPP considérait que la rémunération forfaitaire (le retainer fee) rémunérait un service n’entrant pas dans le champ de l’exonération, ce dernier étant un service d’assistance et de conseil dans le cadre de l’opération de fusion-acquisition ne présentant pas un lien suffisant avec l’opération financière mais que la rémunération liée à la réalisation de l’opération rémunérait une prestation de négociation portant sur des actions ou titres de sociétés.
Cela n’a pas été l’avis de la CAA de Paris, du Conseil d’État et du rapporteur public.
La CAA et le Conseil d’État ont tout d’abord considéré sur la base des contrats produits que la commission de succès ne rémunérait pas une prestation particulière mais un ensemble de prestations fournies par la BNPP. C’est également ce qui est précisé dans les conclusions du rapport public : « Les mandats de clients produits par la SA BNP Paribas – au nombre de quatre – ne faisaient pas clairement apparaître que la commission de succès aurait rémunéré exclusivement la négociation sur titres consubstantielle à la réalisation de l’opération de fusion ou d’acquisition, alors au surplus que ces mandats prévoyaient que la commission était due même dans le cas où l’opération serait réalisée sans l’assistance de la société mandatée ».
Le Conseil d’État semble ainsi suivre l’analyse de son rapporteur qui distingue le fait générateur de la commission de succès, soit la réalisation de l’opération qui implique une opération sur titres, et les prestations effectivement accomplies dans le cadre du contrat qui rémunère le versement de cette commission.
Enfin, les juridictions administratives n’ont pas suivi l’argumentation de la BNPP relative aux opérations complexes.
Le Conseil d’État confirme l’analyse de la CAA en précisant que, pour juger que la société BNP Paribas devait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'ensemble des prestations facturées par son département Corporate finance, « même dans le cas où les contrats conclus avec les clients prévoyaient une prestation liée à la négociation des titres, cette prestation n'avait ni le caractère d'une prestation distinctement rémunérée, ni celui d'une prestation prépondérante au sein de prestations indissociables, ni enfin celui de prestation principale au sein de prestations complexes ».
En d’autres termes, le Conseil d’État écarte la qualification d’opération complexe en considérant la commission de succès ne peut être classe dans aucun des types d’opérations complexes existantes :
Pour appuyer ce raisonnement, le Conseil d’État souligne, peut-être par opportunisme, que les contrats produits ne permettaient pas de considérer que la commission de succès pouvait bénéficier de l’exonération, le lien avec l’opération de négociation n’étant pas suffisant, et qu’aucune pièce produite ne permettait de conclure à l’exonération [4].
L’enseignement principal à tirer est donc que, afin de sécuriser les régimes applicables, les opérateurs professionnels des transactions devraient avoir une attention particulière sur la rédaction de leurs contrats afin d’identifier et isoler les prestations relevant soit d’un régime d’exonération, soit d’un régime de droit commun taxable à la TVA.
Cela n’empêchera cependant pas l’administration de contester la position des assujettis mais permettrait d’apporter des preuves solides, éléments qui manquaient au cas d’espèce. En effet, l’administration n’est pas tenue par la qualification contractuelle retenue par les parties.
[1] Cf. arrêt d’appel CAA Paris, 14 juin 2023, n° 21PA06650 N° Lexbase : A090893Z.
[2] Conclusions de Romain Victor sous la décision du Conseil d’État n° 481894.
[3] CJCE, 13 décembre 2001, aff. C-235/00, Commissioners of Customs & Excise c/ CSC Financial Services Ltd N° Lexbase : A7231DPI.
[4] Il en est de même Il en est de même du tableau synthétique établi par les soins de la société requérante devant la juridiction d’appel.
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Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 1er octobre 2024, n° 477859, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A810957H
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par Yann Le Foll
Le 09 Octobre 2024
► L’obligation de notification des recours en matière d'urbanisme s’applique à l'auteur d'un recours incident.
Principe. Il résulte des articles R. 600-1 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L9492LPA et R. 631-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3167ALU que l'auteur d'un recours contentieux contre une décision d'urbanisme qu'ils mentionnent, y compris présenté par la voie d'un appel incident ou d'un pourvoi incident, est tenu de notifier une copie du recours tant à l'auteur de l'acte ou de la décision qu'il attaque qu'à son bénéficiaire.
Il appartient au juge, au besoin d'office, de rejeter le recours comme irrecevable lorsque son auteur, après y avoir été invité par lui, n'a pas justifié de l'accomplissement des formalités requises par ces dispositions.
Décision CE. Le pourvoi incident formé par le requérant contre le jugement en tant que ce jugement n'a pas fait droit à l'ensemble de ses conclusions d'annulation du permis de construire délivré, devait être notifié à la commune de Saint-Cloud et au bénéficiaire dans un délai de quinze jours à compter de son dépôt.
L’intéressé n'ayant pas justifié, en réponse à la demande de régularisation qui lui a été faite par la 1ère chambre de la section du contentieux, de l'accomplissement de cette formalité, son pourvoi incident ne peut qu'être rejeté comme irrecevable (annulation TA Cergy, 7 janvier 2022, n° 1904855, en tant qu’il n’a pas annulé dans sa totalité le permis attaqué).
Précisions rapporteur public. Pour Thomas Janicot, « dès lors que le pourvoi incident conteste un jugement, en tant qu’il a seulement rejeté partiellement le recours ciblant le permis (…) la menace contentieuse qu’il fait de nouveau planer sur les droits de son bénéficiaire nécessite de le notifier à ce dernier ainsi qu’à l’administration qui l’a délivré » (voir CE, 26 juillet 1996, n° 180373 N° Lexbase : A0655APX).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, La notification des recours en matière d'urbanisme, L'obligation de notification des recours en matière d'urbanisme in Droit de l’urbanisme (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E0297X3E. |
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