La lettre juridique n°997 du 3 octobre 2024

La lettre juridique - Édition n°997

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Faute inexcusable de l’employeur : le point de départ du délai de prescription à l’issue d’une conciliation entre les parties

Réf. : Cass. civ. 2, 5 septembre 2024, n° 22-16.220, F-B N° Lexbase : A75355XD

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N0484B3C

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par Marc-Antoine Godefroy, Avocat associé et Marina Leconte, Juriste, cabinet Factorhy Avocats

Le 02 Octobre 2024

Mots-clés : faute inexcusable • prescription • biennale • conciliation • procès-verbal

Dans un arrêt du 5 septembre 2024, la Cour de cassation apporte une précision quant à la période d’interruption de la prescription biennale applicable aux actions tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable lorsque la victime a introduit une procédure de conciliation devant la caisse primaire d’assurance maladie. Selon la Haute juridiction, l’effet interruptif de cette procédure ne cesse qu’à compter de la date à laquelle les parties ont connaissance du résultat définitif de la conciliation portant d’une part, sur le principe de la faute inexcusable de l’employeur, et, d’autre part, sur ses conséquences indemnitaires.


L’assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles prévoit une réparation limitée des conséquences des risques professionnels. Les victimes ont ainsi été contraintes d’explorer d’autres voies afin de tenter d’obtenir une meilleure indemnisation de leurs préjudices. Depuis les arrêts « Amiante » du 28 février 2002 [1], la jurisprudence a répondu à cette attente en érigeant la notion de « faute inexcusable » en régime de réparation complémentaire. Alors qu’elle subordonnait la réparation complémentaire de la victime à la démonstration d’une faute d’une gravité exceptionnelle dont l’employeur aurait dû avoir conscience [2], elle a modifié sa définition en considérant que l’existence d’une faute inexcusable est établie lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Par la suite, dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 [3], la Cour de cassation a précisé que la liste des chefs de préjudice indemnisables visés par l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5302ADQ n’était pas limitative, ouvrant droit à une réparation plus large des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur [4]. Plus récemment, l’Assemblée plénière de la Cour a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant que la rente versée aux victimes n’indemnisait pas le déficit fonctionnel permanent, autorisant ainsi l’allocation d’une réparation à ce titre [5].

C’est dans ce contexte que la Haute juridiction s’est interrogée sur l’extinction du droit à indemnisation dans le cadre d’une procédure de conciliation tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable, mise en œuvre devant la caisse primaire d’assurance maladie. Il convient en effet de rappeler qu’en application de l’article L. 452-4 du Code de la Sécurité sociale, la victime peut solliciter de la caisse la mise en œuvre d’une tentative de conciliation. Il s’agit d’une simple faculté qui n’est pas requise à peine d’irrecevabilité [6] ; le salarié peut donc saisir directement la juridiction de Sécurité sociale. S’il est admis que la saisine de la caisse interrompt le délai de prescription de l’action tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable, à compter de quelle date ce délai recommence-t-il à courir si la conciliation aboutit à un procès-verbal portant sur l’existence de la faute inexcusable de l’employeur, la majoration de la rente et la mise en œuvre d’une expertise ayant pour objet l’évaluation des préjudices personnels ? Un tel procès-verbal marque-t-il le terme de la procédure de conciliation, justifiant ainsi une reprise du délai de prescription, ou ne constitue-t-il qu’une étape de la démarche amiable ? Dans un arrêt rendu le 5 septembre 2024, la deuxième chambre civile répond à ces questions en s’inscrivant dans le droit fil de la jurisprudence antérieure visant une meilleure réparation des préjudices des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

En l’espèce, le 2 février 2011, un salarié avait été victime d’un accident du travail qui avait donné lieu à des poursuites pénales. Par jugement du 5 décembre 2014, l’employeur avait ainsi été reconnu coupable du délit de blessures involontaires par personne morale avec incapacité supérieure à trois mois. Le 17 août 2015, la victime avait saisi la caisse d’une demande de reconnaissance d’une faute inexcusable. Dans le cadre de la procédure de conciliation mise en œuvre par la caisse, l’employeur avait admis sa responsabilité et les parties étaient convenues de la réalisation d’une expertise médicale relative à l’évaluation des préjudices personnels. Cet accord avait donné lieu à un procès-verbal établi le 18 avril 2017. En l’absence d’accord final sur le montant de la réparation, le salarié avait saisi la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale, requête que l’employeur considérait comme irrecevable en raison de l’expiration du délai de prescription.

La Cour de cassation était ainsi amenée à rappeler les règles relatives à la prescription de l’action tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable (I.) avant d’écarter l’argumentaire de l’employeur lequel aurait abouti à priver la victime de l’indemnisation de ses préjudices personnels (II.).

I. L’interruption de la prescription de l’action tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable par la saisine de la caisse

Les dispositions relatives à l’action tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable étant prévues par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, la prescription biennale instituée par l’article L. 431-2 N° Lexbase : L2713LWE du même Code lui est applicable. Ainsi, cette action se prescrit par deux ans à compter notamment du jour de l’accident ou de la cessation du paiement des indemnités journalières. Pour ce qui concerne les maladies professionnelles, la date de l’accident est assimilée soit à la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle, soit à celle de la cessation du travail en raison de la maladie constatée, soit à compter du jour de la clôture de l'enquête, soit à compter de celui de la cessation du paiement des indemnités journalières, soit encore à compter du jour de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie [7]. S’agissant de la date de cessation du paiement des indemnités journalières, il y a lieu d’ajouter qu’une éventuelle interruption de ce versement, par exemple à l’occasion d’une reprise du travail, ne fait pas courir le délai de prescription, dès lors que l’indemnisation reprend par la suite [8]. En pratique, le point de départ le plus favorable à la victime est le plus souvent la date de cessation du paiement des indemnités journalières de la Sécurité sociale.

Dans son arrêt du 5 septembre 2024, la Cour de cassation rappelle ces règles en introduisant sa motivation par l’énoncé du principe selon lequel les droits de la victime d'un accident du travail aux prestations et indemnités dues au titre de la faute inexcusable de l'employeur se prescrivent par deux ans à dater du jour de l'accident ou de la cessation du paiement des indemnités journalières. Toutefois, dans cette affaire, le délai de prescription de deux ans avait été interrompu par la mise en œuvre d’une action pénale.

À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale dispose que le délai de prescription de l’action tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur est interrompu par l’exercice de l’action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident. Seule la citation directe de l’auteur de l’infraction devant une juridiction pénale ou la plainte avec constitution de partie civile caractérise l’exercice de l’action pénale permettant d’interrompre la prescription. Ainsi, à titre d’exemple, il a été jugé que les simples instructions adressées par le procureur de la République à un officier de police judiciaire dans le cadre d’une enquête préliminaire close par un classement sans suite ne peuvent constituer l’engagement d’une action pénale [9]. De la même manière, les procès-verbaux de l’inspecteur du travail [10] ou un simple dépôt de plainte sont insuffisants. En outre, l’effet interruptif de l’action pénale prend fin lorsque toutes les voies de recours exercées à la suite de celle-ci sont achevées et que l’action pénale est pleinement éteinte [11].

En l’espèce, le délai de prescription de l’action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable avait ainsi été interrompu par la mise en œuvre de l’action pénale, laquelle avait abouti à un jugement rendu le 5 décembre 2014 reconnaissant l’employeur coupable du délit de blessures involontaires. Un nouveau délai de deux ans avait donc commencé à courir à compter de cette décision. Par courrier du 17 août 2015, le salarié avait alors saisi la caisse d’une requête tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable. Or, il est admis que la saisine de la caisse primaire d’assurance maladie aux fins de tentative de conciliation interrompt également le délai de prescription biennale [12]. La Cour de cassation affirme ce principe depuis longtemps, en soulignant que la saisine de la caisse équivaut à la citation en justice visée par l’ancien article 2244 du Code civil [13]. Dans une telle hypothèse, le délai de prescription ne commence à courir qu’à compter de la date à laquelle la caisse « fait connaître aux intéressés le résultat de la tentative de conciliation » [14].

En l’espèce, l’employeur avait admis l’existence d’une faute inexcusable dans le cadre de la procédure de conciliation. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la condamnation pénale d’un employeur emporte reconnaissance de sa faute inexcusable dès lors que les faits sanctionnés sont les mêmes que ceux ayant donné lieu aux poursuites [15]. Un procès-verbal avait ainsi été établi par la caisse le 18 avril 2017 faisant état de la reconnaissance de l’employeur, de la majoration de la rente et de la mise en œuvre d’une expertise aux fins d’évaluer les préjudices personnels de la victime. Dans ce contexte, ce procès-verbal faisait-il à nouveau courir le délai de prescription de deux ans ? Certes, le résultat de la conciliation était connu, à savoir le principe de la faute de l’employeur, cependant ses conséquences n’étaient pas toutes déterminées. La Cour répond à cette question dans un sens favorable à la victime.

II. Le point de départ du délai de prescription fixé à la date de notification du résultat final et complet de la procédure de conciliation

En l’espèce, l’employeur reconnaissait que la saisine de la caisse avait interrompu le délai de prescription, mais soutenait que le procès-verbal du 18 avril 2017 avait permis de le faire courir à nouveau, peu important à cet égard que l’indemnisation de la victime demeurait indéterminée. Or, soit que les opérations d’expertises aient tardé, soit que les discussions entre les parties se soient prolongées, à la date du 18 avril 2019, aucun accord n’avait été trouvé sur le montant de la réparation. C’est dans ce contexte que le salarié avait saisi la juridiction de Sécurité sociale quelques semaines plus tard, le 13 juin 2019. Pour l’employeur, cette saisine était tardive. Selon lui, le délai de prescription s’était écoulé parallèlement à la mise en œuvre de l’expertise et à la détermination de l’indemnisation. Cependant, admettre un tel raisonnement reviendrait à inciter l’employeur à entreprendre toutes les démarches permettant de retarder l’aboutissement de l’évaluation des préjudices (discussions sur la qualité de l’expert, différends sur la mission de l’expertise, ergotages sur ses conclusions, chicaneries sur la liquidation des préjudices, etc.). Une telle situation pourrait contraindre la victime à accepter une réparation incomplète sous la menace du terme du délai de prescription, voire l’empêcher d’obtenir son indemnisation si par mégarde elle laissait s’écouler deux années à compter du procès-verbal de la caisse. Une telle solution serait apparue contraindre à l’évolution de la jurisprudence tendant à faciliter et améliorer la réparation des victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles. Sans surprise, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur.

Ainsi qu’il a été rappelé, elle avait eu l’occasion, à plusieurs reprises, de juger que le cours de la prescription biennale était interrompu tant que la caisse primaire d’assurance maladie « n’avait pas fait connaître aux intéressés le résultat de la tentative de conciliation » [16]. Dès lors, elle admet qu’un nouveau délai de prescription de deux ans ne commence à courir qu’à compter de la date de notification du résultat de la tentative de conciliation « sur l’existence de la faute inexcusable, le montant de la majoration et des indemnités ». Le raisonnement de la deuxième chambre civile s’appuie avec raison sur les termes mêmes de l’article L. 452-4 du Code de la Sécurité sociale qui évoque l’« accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d’une part, et l’employeur d’autre part » comme devant porter sur « l’existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L. 452-3 ».

En l’espèce, le procès-verbal portait sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, le montant de la majoration de rente et de l’indemnité provisionnelle, mais prévoyait la mise en œuvre d’une expertise afin d’évaluer les préjudices du salarié. La Cour de cassation en déduit que l’effet interruptif de la saisine de la caisse primaire d’assurance maladie aux fins de tentative de conciliation, se maintenait jusqu’à ce que le résultat de la tentative de conciliation sur le principe de la faute inexcusable et de ses conséquences indemnitaires soit notifié aux parties. Autrement dit, le procès-verbal du 18 avril 2017 ne précisant pas le montant des indemnités alloué au salarié, il ne pouvait être considéré comme portant à la connaissance des parties le résultat final de la tentative de conciliation, de sorte que le délai de prescription n’avait pas recommencé à courir.

La publication de l’arrêt du 5 septembre 2024 se justifie par le caractère inédit de la réponse apportée par la Cour de cassation. Sans doute, la Haute juridiction a-t-elle en outre souhaité réaffirmer sa position en faveur d’une amélioration de la réparation des sinistres liés au travail. Au regard de l’évolution de la jurisprudence, il aurait ainsi été inconcevable que l’indemnisation du travailleur puisse être empêchée ou précipitée par la reprise du délai de prescription a fortiori dans le cadre d’une procédure amiable dans laquelle un employeur avait lui-même reconnu l’existence de sa faute inexcusable à l’aune d’une condamnation pénale. De la même manière, si le recours de la victime avait finalement été jugé irrecevable, il va sans dire que la procédure de règlement amiable devant les caisses aurait sérieusement été fragilisée. À cet égard, il y a lieu de relever que la Cour de cassation a prudemment écarté l’argumentaire des juges du fond relatif à l’application de l’article 2238 du Code civil N° Lexbase : L1053KZZ selon lequel le délai de prescription est suspendu tout au long d’une démarche de médiation ou de conciliation. La Haute juridiction rappelle ainsi implicitement que ce texte, qui relève du droit commun, n’a pas vocation à s’appliquer à une action régie par des dispositions spéciales ; ce d’autant plus, qu’il prévoit une simple suspension du délai de prescription alors que l’article L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale pose le principe d’une interruption.  

En pratique, il serait judicieux que les procès-verbaux des caisses faisant état d’une conciliation partielle mentionnent expressément la solution dégagée par la jurisprudence afin d’éviter que la question de la prescription ne vienne s’immiscer dans les discussions relatives à l’évaluation et à l’indemnisation des préjudices personnels de la victime.


[1] Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-11.793, publié, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0602AYX.

[2] Cass. soc., 1er décembre 1971, n° 70-14465, publié au bulletin N° Lexbase : A6900CEB.

[3] Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK.

[4] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6498IH7 et 11-15.393 N° Lexbase : A6499IH8.

[5] Cass. Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 20-23.673 N° Lexbase : A962688Z et n° 21-23.947 N° Lexbase : A962588Y.

[6] Cass. soc., 3 novembre 1994, n° 92-11.140, inédit au bulletin N° Lexbase : A0582CMI.

[7] Cass. civ. 2, 19 septembre 2013, n° 12-21.907, F-P+B N° Lexbase : A4836KLP.

[8]  Cass. civ. 2, 20 juin 2013, n° 12-16.576, FS-P+B N° Lexbase : A1913KHC.

[9]  Cass. civ. 2, 10 juin 2003, n° 02-30.318, F-D N° Lexbase : A7295C8P.

[10]  Cass. civ. 2, 31 mai 2012, n° 11-10.424, FS-P+B N° Lexbase : A5273IMA.

[11]  Cass. soc., 4 mars 1999, n° 97-11.195 N° Lexbase : A8099AG3.

[12]  Cass. soc., 17 juin 1993, n° 91-10.762 N° Lexbase : A1584ABB.

[13]  Cass. soc., 16 décembre 1993, n° 92-10.169 N° Lexbase : A3852ACN.

[14] Cass. soc., 17 juin 1993, n° 91-10.762, préc..

[15]  Cass. civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-18.712, F-P+B N° Lexbase : A3322YG7.

[16] Cass. soc., 17 juin 1993, n° 91-10.762, préc. ; Cass. soc., 13 mai 1993, n° 90-19.548 N° Lexbase : A6317ABL ; Cass. civ. 2, 10 décembre 2009, n° 08-21.969, FS-P+B N° Lexbase : A4517EPY.

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Affaires

[Brèves] La formation restreinte du H3C n’est pas une juridiction

Réf. : CJUE, 26 septembre 2024, aff. C-368/23, MO N° Lexbase : A169157R

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N0490B3K

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par Vincent Téchené

Le 02 Octobre 2024

► La formation restreinte du H3C, appelée à prononcer des sanctions disciplinaires, exerce des fonctions de nature non pas juridictionnelle, mais administrative. Partant, elle ne saurait être regardée comme étant une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de telle sorte que la demande de décision préjudicielle qu’elle a introduite est irrecevable.

Faits et procédure.  Dans le cadre de poursuites disciplinaires initiées contre un commissaire aux comptes, la formation restreinte du H3C (désormais H2A pour Haute autorité de l’audit) a estimé nécessaire de poser des questions préjudicielles à la CJUE.

La question qui se posait ici était de savoir si le H3C revêt le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE N° Lexbase : L2581IPB.

Décision. La Cour relève d’abord que, eu égard aux compétences de supervision et de sanction qui lui incombent en vertu du droit de l’Union, une autorité compétente désignée par un État membre en vertu, notamment, de l’article 32, paragraphe 1, de la Directive n° 2006/43 N° Lexbase : L9916HI4, exerce, en principe, des fonctions à caractère administratif.

Par ailleurs, il ressort de l’article L. 824‑14 du Code de commerce N° Lexbase : L2354K7C que la décision de sanction dans le cadre d’une procédure disciplinaire peut faire l’objet d’un recours contentieux devant le Conseil d’État.

Et, lorsqu’un tel recours est exercé, le H3C a le statut de partie défenderesse. Or, une telle participation du H3C à une procédure de recours, mettant en cause sa propre décision, constitue un indice que, lorsqu’il adopte celle-ci, le H3C n’a pas la qualité de tiers.

Enfin, la Cour relève que le Conseil d’État statue, en premier et dernier ressort, sur les recours de pleine juridiction contre une telle décision de sanction. Or, cette circonstance implique que cette décision de sanction n’est pas regardée comme étant revêtue de l’autorité de la chose jugée.

Elle précise également que le H3C doit être considéré, dans le cadre des procédures ayant donné lieu à la présente demande de décision préjudicielle, comme étant une autorité de supervision prise dans son ensemble, quand bien même celle-ci agirait à travers différentes unités de sa structure organique.

Ainsi, il y a lieu de constater que la formation restreinte du H3C exerce, dans le contexte normatif particulier dans lequel elle est appelée à saisir la Cour, des fonctions de nature non pas juridictionnelle, mais administrative. Partant, elle ne saurait être regardée comme étant une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de telle sorte que la demande de décision préjudicielle qu’elle a introduite est irrecevable.

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Droit des étrangers

[Brèves] L'exclusion des périodes d’IRTF du calcul de la durée de résidence en France pour les ressortissants algériens

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 30 juillet 2024, n° 473675, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A24225UA

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N0454B39

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par Bruno Guillier, Avocat associé, NOVLAW Avocats

Le 02 Octobre 2024

Mots clés : Accord franco-algérien • Certificat de résidence • Éloignement du territoire • Obligation de quitter le territoire • Interdiction de retour sur le territoire français • Résidence habituelle 

Par une décision du 30 juillet 2024 rendue en chambres réunies et mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État a apporté des précisions sur le calcul de la durée de résidence en France des ressortissants algériens ayant fait l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français. Pour l’appréciation de la durée de résidence mentionnée au 1 de l’article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, les périodes durant lesquelles un ressortissant algérien a fait l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), alors même qu’il a continué à séjourner sur le territoire national sans respecter cette interdiction, ne peuvent plus être prises en considération.


 

Le 30 juillet 2024, les septième et deuxième chambres réunies du Conseil d’État ont rendu une décision importante en ce qui concerne la prise en compte des périodes d’interdiction de retour pour calculer la durée de résidence nécessaire à l’obtention d’un certificat de résidence « vie privée et familiale » en vertu du 1 de l’article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Ce dernier, qui constitue un régime dérogatoire pour les ressortissants algériens, prévoit la délivrance de ce titre de plein droit après dix ans de résidence continue, qu’elle soit régulière ou non. 

En l’espèce, un ressortissant algérien invoquait cette disposition pour obtenir un certificat de résidence. Toutefois, il avait fait l’objet de plusieurs obligations de quitter le territoire français (OQTF) assorties d’interdictions de retour, sans jamais quitter la France. Le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé cette demande par un arrêté du 13 octobre 2021, lui imposant une obligation de quitter le territoire et une interdiction de retour pour une durée de deux ans. La cour administrative d’appel de Marseille confirme cette décision en jugeant que les périodes durant lesquelles il faisait l’objet d’une interdiction de retour ne pouvaient être prises en compte pour évaluer la durée de résidence.

La question centrale de ce litige portait donc sur la possibilité ou non d’inclure dans le calcul des dix ans nécessaires les périodes durant lesquelles l’intéressé faisait l’objet d’une interdiction de retour, bien qu’il se soit maintenu sur le territoire de façon irrégulière.

La décision du Conseil d’État, contraire aux conclusions du rapporteur public, marque un tournant jurisprudentiel dans la manière d’appréhender la résidence habituelle, avec des conséquences non négligeables pour la régularisation des ressortissants algériens se maintenant irrégulièrement sur le territoire français après une obligation de quitter le territoire (OQTF) assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF).

I. La durée de résidence habituelle en France constitutive d’un droit au séjour pour les Algériens

Le 1 de l’article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 prévoit que tout ressortissant algérien justifiant d’une résidence continue de plus de dix ans en France, ou 15 ans s’il a été étudiant, se voit délivrer de plein droit un certificat de résidence d’un an portant la mention « vie privée et familiale ». Cette disposition constitue un avantage significatif pour les Algériens par rapport aux autres nationalités, pour lesquelles des réformes successives ont durci les conditions d’octroi des titres de séjour et réduit les protections contre les expulsions. 

En effet, alors que l’ancien article L. 313-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [1], qui prévoyait des dispositions similaires, a été abrogé en 2006, l’accord franco-algérien est demeuré en vigueur, maintenant ainsi une logique dérogatoire pour les ressortissants de ce pays.

Le principe sous-jacent à cette règle est celui d’une reconnaissance de fait de la résidence : la seule présence physique en France, qu’elle soit régulière ou non, est suffisante pour que l’étranger acquière des droits après une certaine durée. Comme l’a rappelé le rapporteur public Nicolas Labrune dans les conclusions, « passé une certaine période de résidence, sous quelque forme que ce soit, régulière ou non, le droit rattrape le fait et l’étranger doit bénéficier d’un titre de séjour ou d’une protection contre l’éloignement ». 

La résidence habituelle, dans ce contexte, se fonde sur la simple continuité de la présence sur le territoire, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une régularité du séjour. Ce mécanisme répond à une approche pragmatique, où l’écoulement du temps finit par conférer à l’étranger des droits que la régularité de sa situation administrative ne lui avait pas initialement permis d’obtenir.

Cette conception libérale de la résidence habituelle est ancienne pour la Haute juridiction. Le Conseil d’État a ainsi pu juger, dans une décision du 29 avril 2002 [2], que la résidence sous une fausse identité devait être prise en compte pour calculer la durée de séjour en France, illustrant ainsi l’idée que seule la réalité matérielle de la présence importe. 

Une limite est toutefois posée, le caractère volontaire et libre de la résidence en France. Ce principe est posé par une décision du 6 mai 1988 [3] du Conseil d’État qui retient que les périodes de détention ne peuvent pas être prises en compte. 

Cette exclusion des périodes de contrainte répond bien à l’idée que la résidence en France doit être volontaire. La jurisprudence a ainsi évolué pour exclure les périodes de détention [4] [5], d’interdiction de territoire [6] ou d’autres situations où l’intéressé est privé de liberté [7].

Comme le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions, le Conseil d’État avait constamment soutenu une approche factuelle, réaliste, de la notion de résidence habituelle, qu’il distingue de la résidence régulière. Cela signifie que même une résidence irrégulière pouvait constituer un élément suffisant pour l’obtention d’un titre de séjour, tant que cette résidence était volontaire. 

II. La restriction de la notion de résidence habituelle

La décision du Conseil d’État du 30 juillet 2024 marque cependant un changement important dans cette approche. En effet, l’arrêt écarte désormais du calcul de la durée de résidence continue les périodes durant lesquelles l’intéressé faisait l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français. Il s’agit d’une restriction notable, qui rapproche l’effet de l’interdiction de retour de celui d’une sanction pénale, telle qu’une interdiction judiciaire du territoire.

Le rapporteur public avait pourtant proposé de maintenir une distinction entre ces deux types d’interdiction. Il soulignait que l’interdiction de retour est une mesure de police administrative, qui vise à assurer l’efficacité des OQTF, et non une sanction pénale prononcée par un juge. En effet, l’interdiction de retour, introduite par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité N° Lexbase : L4969IQ4, transposant la Directive « retour » de 2008 [8], n’a pas la même nature que l’interdiction judiciaire du territoire, qui est une sanction complémentaire liée à une condamnation pénale. Le rapporteur public relevait également que le fait pour un étranger de se maintenir en France en méconnaissance d’une interdiction de retour manifeste sa volonté de résider sur le territoire national, même illégalement. Dès lors, selon son analyse, il n’y avait pas de raison de priver l’étranger du droit de faire valoir cette résidence pour l’obtention d’un titre de séjour.

Les septième et deuxième chambres du Conseil d’État ont néanmoins choisi d’adopter une approche beaucoup plus stricte. En jugeant que les périodes d’interdiction de retour ne peuvent être comptabilisées, même en cas de maintien sur le territoire, la juridiction renforce ainsi l’autorité des décisions administratives d’éloignement. Ce durcissement vise probablement à éviter que des ressortissants algériens puissent obtenir de plein droit un droit au séjour simplement en contournant les interdictions de retour et en restant sur le territoire en situation irrégulière. Il s’agirait d’éviter une sorte de prime à l’inexécution.

Autre point important soulevé par le rapporteur public qui a pu contribuer à la décision du Conseil d’État : la durée d’une interdiction de retour ne commence à courir qu’à partir du moment où l’intéressé a effectivement quitté le territoire français. Cela signifie que tant que l’étranger reste en France en méconnaissance de cette interdiction, celle-ci ne s’épuise pas [9]. Ce constat renforce l’idée que les périodes d’interdiction de retour sont des périodes de maintien illégal sur le territoire, qui ne sauraient bénéficier à l’intéressé dans le cadre de sa demande de régularisation.

Toutefois, l’administration dispose déjà de nombreux moyens pour faire respecter ses décisions. Elle peut, par exemple, engager des poursuites pénales en vertu de l’article L. 824-3 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile N° Lexbase : L4274LZC [10] pour maintien irrégulier sur le territoire, ou encore imposer des mesures d’assignation à résidence sous contrôle judiciaire. Plus encore, la mesure d’interdiction de retour sur le territoire français est considérée par le Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile comme une décision d’éloignement [11], et elle peut donc faire l’objet d’une exécution d’office en application des dispositions de l’article L. 722-1 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile N° Lexbase : L3775LZT.

Ces mécanismes suffisent pour garantir l’exécution des obligations de quitter le territoire et des interdictions de retour, sans qu’il soit nécessaire de consacrer une exclusion systématique des périodes irrégulières du calcul de la résidence. 

Cette décision, et cela d’autant plus qu’elle est contraire au sens des conclusions du rapporteur public, correspond donc à un choix jurisprudentiel du Conseil d’État destiné à renforcer l’efficacité des décisions administratives, mais qui a mécaniquement pour effet de rendre plus difficile la régularisation des ressortissants algériens.

L’arrêt du 30 juillet 2024 marque une évolution importante dans la jurisprudence du Conseil d’État concernant la prise en compte des périodes d’interdiction de retour pour le calcul de la résidence habituelle en France. En excluant ces périodes, même lorsque l’étranger se maintient sur le territoire, la juridiction impose une interprétation plus stricte de la notion de résidence habituelle. Ce durcissement semble motivé tant par le caractère de plein droit de la délivrance du titre sollicité que par une volonté de rendre plus efficace l’exécution des décisions administratives d’éloignement [12], tout en évitant de créer des incitations à l’inexécution des interdictions de retour. Le Conseil d’État renforce ainsi ici l’autorité des interdictions de retour [13] et évite toute prime à l’inexécution

Toutefois, cette décision pourrait être perçue comme un durcissement de la jurisprudence, au détriment des droits des étrangers, alors même que des moyens d’exécution efficaces existent déjà pour l’administration. 

La décision du 30 juillet 2024 nous semble donc devoir être limitée à la délivrance de plein droit d’un titre de séjour dans le cadre des stipulations du 1 de l’article 6 de l’accord franco-algérien, et ne pas être entendue par exemple au cadre plus général de l’admission exceptionnelle au séjour dans lequel la délivrance des titres n’est pas de plein droit.

À retenir :

La décision du Conseil d’État du 30 juillet 2024 précise que les périodes durant lesquelles un ressortissant algérien fait l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) ne peuvent pas être comptabilisées dans la durée de résidence pour l’obtention d’un certificat de résidence portant la mention « vie privée et familiale ». 


[1] CESEDA, art. L. 313-11 3°, en vigueur jusqu’au 25 juillet 2006 : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” est délivrée de plein droit : (…) 3° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d’étudiant. Les années durant lesquelles l’étranger s’est prévalu de documents d’identité falsifiés ou d’une identité usurpée ne sont pas prises en compte ; (…) ».

[2] CE, 29 avril 2002, n° 226626, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6363AYC : Les dispositions du 3° de l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 font obstacle à la reconduite à la frontière d’un étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans. Pour l’application de cette condition relative à la seule situation effective de l’intéressé, il n’y a pas lieu de tenir compte de la circonstance qu’il aurait résidé en France pendant tout ou partie de cette période sous une fausse identité et en se prévalant d’une fausse nationalité.

[3] CE, 6 mai 1988, n° 74507 N° Lexbase : A7687APE : Aux termes de l’article 25-3° de l’ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 octobre 1981, « Ne peuvent faire l’objet d’un arrêté d’expulsion… 3°) l’étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ». Si M. M. soutient qu’il est entré en France en 1970, il résulte des pièces versées au dossier qu’il a été écroué le 6 août 1981. Les années passées en détention au titre d’une peine de privation de liberté ne pouvant s’imputer dans le calcul des quinze ans mentionnés par les dispositions législatives précitées, le requérant n’est pas fondé à soutenir qu’il ne pouvait être expulsé en raison de la durée de son séjour en France.

[4] CE, 11 juillet 2018, n° 409090, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7988XX7, sur un autre point : les périodes de détention doivent être laissées de côté lorsqu’il s’agit d’apprécier si un Algérien réside en France depuis plus de dix ans et peut bénéficier à ce titre du certificat prévu par l’article 6 de l’accord franco-algérien.

[5] CE avis, 8 avril 2021, n° 446427, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A25494P4 : les éventuelles périodes d’incarcération en France d’un étranger ne peuvent être prises en compte dans le calcul d’une durée de résidence.

[6] CE, 26 juillet 2007, n° 298717, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4846DXR : les périodes durant lesquelles un étranger se maintient en France en méconnaissance de peines d’interdiction du territoire prononcées contre lui par le juge pénal, fussent-elles non exécutées, ne sauraient, pour la durée de celles-ci, être prises en compte au titre de la condition de résidence habituelle énoncée par les dispositions du 3° de l’article 12 bis de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France N° Lexbase : L4788AGG.

[7] CE, 28 février 2020, n° 426076, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A92913G9 : lorsqu’un étranger incarcéré à la suite d’une condamnation à une peine privative de liberté bénéficie, en application de l’article 707 et du premier alinéa de l’article 723-1 du code de procédure pénale et de l’article 132-26 du Code pénal N° Lexbase : L7612LPM, d’une mesure d’exécution de sa peine sous le régime de la semi-liberté, la période effectuée sous ce régime, comme toute période de détention ou toute période d’exécution de peine sous un autre régime d’exécution, tel le placement à l’extérieur ou le placement sous surveillance électronique, ne peut être regardée comme une période de résidence régulière au sens du 4° de l’article L. 521-2 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile N° Lexbase : L3414LZH, dès lors qu’elle emporte une obligation de résidence pour l’intéressé, ne résultant pas d’un choix délibéré de sa part.

[8] Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier N° Lexbase : L3289ICS.

[9] Sauf à en obtenir l’annulation, le retrait ou l’abrogation (cf. CESEDA, art. L. 613-7 N° Lexbase : L3639LZS et L. 613-8 N° Lexbase : L3640LZT).

[10] CESEDA, art. L. 824-3 : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le fait, pour un étranger, de se maintenir irrégulièrement sur le territoire français sans motif légitime, après avoir fait l’objet d’une mesure régulière de placement en rétention ou d’assignation à résidence ayant pris fin sans qu’il ait pu être procédé à son éloignement en exécution d’une interdiction administrative du territoire français, d’une obligation de quitter le territoire français, d’une décision de mise en œuvre, une décision prise par un autre État, d’une décision d’expulsion ou d’une peine d’interdiction du territoire français. 

L’étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de trois ans d’interdiction du territoire français. »

[11] Cf CESEDA, art. L. 700-1 N° Lexbase : L3714LZL.

[12] Cela d’autant plus que les autorités algériennes délivrent difficilement des laissez-passer lors des procédures d’expulsion touchant leurs ressortissants. La prise en compte de cet élément factuel peut aussi expliquer en partie la décision du Conseil d’État.

[13] Qui n’ont pas l’autorité qui s’attache aux décisions d’interdiction de territoire du juge pénal.

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Expropriation

[Brèves] Délai d’engagement de l'action judiciaire en rétrocession

Réf. : Cass. civ. 3, 19 septembre 2024, n° 23-20.053, FS-B N° Lexbase : A97245Z8

Lecture: 2 min

N0408B3I

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par Yann Le Foll

Le 02 Octobre 2024

► L'action judiciaire en rétrocession doit être engagée dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet de la demande et dans le délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation.

Faits. Par ordonnance du 15 mars 1988, le juge de l'expropriation du département du Calvados a déclaré expropriées plusieurs parcelles au profit d’une commune.

Soutenant que le terrain n'avait reçu que partiellement la destination prévue par l'acte déclaratif d'utilité publique, les anciens propriétaires ont, par une lettre recommandée du 26 février 2018, demandé au maire de la commune la rétrocession de leurs parcelles.

La commune n'ayant pas donné suite à cette demande, ceux-ci l'ont assignée en rétrocession le 27 juin 2018. Ils font grief à l'arrêt attaqué (CA Caen, 27 juin 2023, n° 21/00342, N° Lexbase : A867597G) de les déclarer irrecevables en leur action aux fins de rétrocession, pour cause de prescription.

Rappel. Selon l'article L. 421-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique N° Lexbase : L8022I4U, si les immeubles expropriés n'ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique.

L'article R. 421-6 du même code N° Lexbase : L4061LTL précise que le recours devant le tribunal judiciaire compétent pour connaître des litiges nés de la mise en œuvre du droit prévu à l'article L. 421-1, doit être introduit, à peine de déchéance, dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet, ce dont il résulte que cette action doit être précédée d'une demande adressée à l'expropriant.

Position CCass. En premier lieu, la demande préalable de rétrocession adressée à l'autorité expropriante ne constituant pas un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision administrative, au sens de l'article L. 411-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1885KN7, ce texte (qui prévoit l’interruption du cours du délai) ne lui est pas applicable.

En second lieu, ne constituant pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9, elle n'est pas interruptive du délai de prescription trentenaire.

Décision. Énonçant le principe précité, la Cour suprême rejette le pourvoi.

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Fiscalité des entreprises

[Focus] Pacte Dutreil et sociétés agricoles : quelques obstacles sur le chemin de la transmission

Lecture: 31 min

N0472B3U

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 02 Octobre 2024

Mots-clés : pacte Dutreil • exploitation agricole • chef d’entreprise • succession • donation


 

1.- La transmission de l’exploitation agricole est un enjeu important pour les années à venir. Certains médias [1] ont notamment indiqué que d’ici dix ans, environ un agriculteur sur deux doit partir à la retraite. Il s’agit ainsi d’un enjeu majeur nécessitant un accompagnement important, du « chef d’entreprise » agricole.

Depuis quelques années déjà, un certain nombre d’opérateurs se positionnent sur le secteur de la transmission agricole : banques, assureurs, cabinet d’expertise comptable, cabinets de conseil en gestion de patrimoine, avocats, notaires....

2.- Les problématiques juridiques sont importantes. On peut notamment penser à la loi Sempastous [2], au statut du fermage, au risque de répétition de l’indu…

Il existe également des difficultés liées à l’application de la fiscalité, et notamment celles portant sur l’application du régime des plus-values professionnelles [3], ou bien celle concernant la cession du fonds agricole résiduel (notamment sa valorisation).

3.- Parmi les outils à la disposition de l’agriculteur, on trouve bien évidemment le pacte Dutreil. Pour les sociétés, l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L0727MLI permet de bénéficier d’un abattement de 75 % sur la valeur des titres soumis au droit de mutation à titre gratuit (succession ou donation).

L’application de ce mécanisme nécessite de remplir plusieurs conditions cumulatives :

  • La société sur lequel porte le pacte Dutreil doit exercer une activité opérationnelle de nature artisanale, commerciale, industrielle, agricole ou libérale ;
  • Les titres doivent faire l’objet d’un engagement collectif ou unilatéral de conservation d’une durée minimum de deux ans. Il convient ici de relever qu’il est possible d’avoir recours à un engagement réputé acquis, soumis à condition, mais permettant « d’économiser » la durée de cette première phase d’engagement. On relèvera néanmoins qu’il existe des contraintes portant notamment sur la fonction de direction [4]. Il est également possible d’avoir recours un pacte post-mortem ;
  • À l’issue de cette première phase, le bénéficiaire des titres qui entend faire application du régime de faveur doit conserver ces derniers pendant une période de 4 ans ;
  • Un certain « volume » de titres minimum doit être engagé dans le pacte. Il doit y avoir à minima, s’agissant de titres non cotés, 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote engagés.
  • Il convient également d’exercer son activité professionnelle à titre principale (société IR) ou une fonction de direction, sur l’engagement collectif et trois ans après la transmission ;
  • Enfin, en principe la rupture dans l’engagement de conservation est susceptible de remettre en cause le régime de faveur. Il existe notamment une exception en cas d’apport.

4.- Certaines conditions sont susceptibles de poser des difficultés importantes en pratique.

Parmi celles-ci, on peut penser à l’activité (I), au nombre de titres engagés (II), à l’exercice de la fonction de direction (III) et au schéma de restructuration via des holdings (IV).

I. Activité agricole et pacte Dutreil : les risques liés à la diversification

5.- L’article 787 B du Code général des impôts est assez explicite. L’exercice d’une activité agricole par une société, sous réserve de remplir les autres conditions, rend celle-ci éligible à la mise en place d’un pacte Dutreil.

Cependant, en pratique, il n’est pas rare de constater que les exploitants ont diversifié leur activité. À titre d’exemple, notamment dans le nord de la France, il est relativement usuel de constater que des producteurs de pommes de terre ont constitué à côté de la structure de production, une société de stockage et de commercialisation des pommes de terre.

Ici, il n’y aura pas de difficultés sur l’activité en tant que telle dans la mesure où une autre structure exerce celle-ci. Des interrogations pourront néanmoins se poser sur la notion d’activité professionnelle à titre principale par exemple.

6.- En revanche, la situation est différente lorsque c’est la structure de production elle-même qui va porter cette diversification. Si il s’agit du développement d’une activité éligible à l’article 787 B du CGI, les risques semblent limiter. En effet, pour des structures relevant de l’impôt sur le revenu, il conviendra de vérifier que les conditions d’application de l’article 75 du CGI N° Lexbase : L9086LNT sont respectées, afin d’éviter, pour certaines d’entre-elle, une bascule à l’impôt sur les sociétés.

On rappellera ici brièvement que l’article 75 du Code général des impôts permet d’imposer les revenus accessoires dans la catégorie des bénéfices agricoles, avec quelques particularités. Pour s’appliquer, il est nécessaire que la moyenne annuelle des recettes accessoires commerciales et non commerciales de ces trois années n'excède ni 50 % de la moyenne annuelle des recettes tirées de l'activité agricole au titre desdites années, ni 100 000 euros.

7.- Les difficultés vont s’accentuer lorsque la structure va développer une activité non éligible. Cela amène nécessairement à une interrogation sur la qualification de l’activité agricole au sens de l’article 787 B du Code général des impôts.

A. Comment définir l’activité agricole pour l’application du pacte Dutreil ?

8.- On relèvera ici, que l’article 787 B du Code général des impôts se contente de faire référence à la notion d’activité agricole, sans la préciser.

S’agit-il de la notion visée à l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3233LQS ou bien celle visée à l’article 63 du Code général des impôts N° Lexbase : L5639MA4.

9.- On relèvera que l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime précise : « Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. Les activités de cultures marines et d'exploitation de marais salants sont réputées agricoles, nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent. Il en est de même des activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à l'exclusion des activités de spectacle. Il en est de même de la production et, le cas échéant, de la commercialisation, par un ou plusieurs exploitants agricoles, de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant d'exploitations agricoles. Les revenus tirés de la commercialisation sont considérés comme des revenus agricoles, au prorata de la participation de l'exploitant agricole dans la structure exploitant et commercialisant l'énergie produite. Les modalités d'application du présent article sont déterminées par décret ».

10.- L’article 638 du Code général des impôts précise pour sa part : « Sont considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole pour l'application de l'impôt sur le revenu, les revenus que l'exploitation de biens ruraux procure soit aux fermiers, métayers, soit aux propriétaires exploitant eux-mêmes.

Ces bénéfices comprennent notamment ceux qui proviennent de la production forestière, même si les propriétaires se bornent à vendre les coupes de bois sur pied. Ils comprennent également les produits de l'exploitation de champignonnières en galeries souterraines et ceux des exploitations apicoles, avicoles, piscicoles, ostréicoles et mytilicoles ainsi que les profits réalisés par les obtenteurs de nouvelles variétés végétales au sens des (articles L. 623-1 à L. 623-35 du Code de la propriété intellectuelle). Sont aussi considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole les revenus qui proviennent des activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques, en vue de leur exploitation dans les activités autres que celles du spectacle. Sont considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole les revenus provenant de la vente de biomasse sèche ou humide, majoritairement issue de produits ou sous-produits de l'exploitation. Il en est de même des revenus provenant de la production d'énergie à partir de produits ou sous-produits majoritairement issus de l'exploitation agricole. La prépondérance est appréciée en masse au regard de chaque produit commercialisé par l'exploitant. Sont considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole les revenus qui proviennent de la mise à disposition de droits au paiement au titre du régime de paiement de base prévu par le Règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) n° 637/2008 du Conseil et le Règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil. Sont aussi considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole les revenus qui proviennent des activités de courses en attelage, d'enseignement de la conduite et du travail avec les chiens et de prestations de transports en traîneaux ou de louage de traîneaux quand elles sont réalisées par des conducteurs de chiens attelés titulaires du diplôme d'État de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport mention « attelages canins ». Sont également considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole les revenus qui proviennent des actions réalisées par les personnes mentionnées aux sept premiers alinéas sur le périmètre de leur exploitation et qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes dont la société tire des avantages ».

11.- La rédaction de l’article 63 du CGI n’inclut pas le cas des activités accessoires ou plutôt par rattachement. En ce sens, la rédaction du code rural et de la pêche maritime est donc plus large dans son approche de l’activité agricole.

À titre d’exemple, les activités agrotouristiques sont susceptibles d’entrées dans la notion d’activité agricole au niveau juridique, alors que fiscalement, il s’agit d’une activité relevant du régime des bénéfices industriels et commerciaux (ex : location de meublé, gîtes ruraux…) sauf à faire application de l’article 75 du CGI.

12.- À ce jour, la dernière loi de finances pour 2024 a défini la notion d’activité commerciale par référence aux articles 34 N° Lexbase : L4844IQH et 35 N° Lexbase : L3342LCR du Code général des impôts, à l’exclusion de la gestion de son propre patrimoine mobilier et immobilier.

En revanche, le législateur n’a pris le soin d’apporter une définition pour l’activité agricole. On relèvera que la question est potentiellement identique pour les activités libérales.

La doctrine administrative [5] propre à l’application de l’article 787 B du Code général des impôts demeure également assez pauvre.

Celle-ci opère un renvoi auprès de la doctrine IFI [6]. Celle-ci fait explicitement référence à l’article 63 du CGI.

Celle-ci précise notamment : « Les activités agricoles doivent s'entendre de celles dont les revenus sont susceptibles de relever de la catégorie des bénéfices agricoles en application de l'article 63 du CGI. Il s'agit notamment :

  • des activités d'élevage ou de culture exercées par les exploitants ;
  • de la production forestière ;
  • des centres équestres ;
  • des exploitations avicoles, apicoles, piscicoles, ostréicoles et mytilicoles ;
  • de l'exploitation des champignonnières et des marais salants, ainsi que des activités exercées par les obtenteurs de nouvelles variétés végétales.

Sont en revanche toujours exclues, même imposées dans la catégorie d’imposition précitée, les activités civiles visées au II § 90 ».

13.- Cette dernière précise également : « Les activités civiles telles que la location du droit de chasse et de pêche, même imposées dans la catégorie des bénéfices agricoles, sont toujours exclues de la qualification d’activité agricole pour l’application de l’IFI (cf. II § 90). Une telle activité est cependant assimilable à une activité agricole si elle est exercée à titre accessoire et constitue le complément indissociable d'une activité agricole reconnue comme telle pour l’IFI ».

14.- La doctrine s’en tient ainsi à une vision de l’activité agricole par le prisme du Code général des impôts et plus spécifiquement de l’article 63 du Code général des impôts. Malgré une absence de précision de l’article 787 B du Code général des impôts, et au vu de la dernière loi de finances pour 2024, ce type d’approche ne semble pas incohérent.

B. Quid des activités accessoires ?

15.- Que faire en présence d’activité accessoire ? Les exploitants agricoles ont pu développer d’autres activités, certaines ayant pour support l’exploitation, d’autres non.

On peut notamment penser à l’agrotourisme, ou bien au développement d’activité photovoltaïque.

Au niveau de l’impôt sur le revenu, la réalisation de ces activités, à titre accessoire, peuvent donner lieur à une imposition unique dans la catégorie des bénéfices agricoles.

16.- Pour autant, il convient de respecter les conditions d’application de l’article 75 du Code général des impôts.

Il est nécessaire de remplir les conditions cumulatives suivantes :

  • l’exploitant agricole doit relever d’un régime réel d’imposition ;
  • la moyenne annuelle des recettes accessoires commerciales et non commerciales des trois années précédant la date d’ouverture de l’exercice ne doit pas excéder 50 % de la moyenne annuelle des recettes tirées de l’activité agricole ;
  • ni 100 000 euros.

17.- Pour autant, l’application du régime prévu à l’article 75 du Code général des impôts pose des difficultés pratiques. En effet, plusieurs régimes spécifiques à l’activité agricole ne s’appliquent pas aux revenus accessoires. Sont notamment concernés : la déduction pour épargne de précaution, l’abattement pour les jeunes agriculteurs, l’étalement des revenus exceptionnels sur sept ans.

18.- Concernant l’application du pacte Dutreil, la rédaction des articles 787 B et 787 C du Code général des impôts ne fait pas référence à l’article 75 du Code général des impôts. À l’heure actuelle, l’activité commerciale est définie par renvoi aux articles 34 et 35 du Code général des impôts.

Les commentaires administratifs [7] propres au pacte Dutreil se contentent de renvoyer à la doctrine relative à l’IFI.

19.- On indiquera que l’activité photovoltaïque est visée parmi les activités éligibles au régime des biens professionnels par la doctrine IFI. Il semble alors possible de considérer que celle-ci peut potentiellement être également éligible au pacte Dutreil.

La doctrine [8] ne s’arrête pas là. Celle-ci vise également le cas spécifique des activités accessoires.

Il est indiqué : « Sont en revanche toujours exclues, même imposées dans la catégorie d’imposition précitée, les activités civiles visées au II § 90. Remarque : Les activités civiles telles que la location du droit de chasse et de pêche, même imposées dans la catégorie des bénéfices agricoles, sont toujours exclues de la qualification d’activité agricole pour l’application de l’IFI (cf. II § 90). Une telle activité est cependant assimilable à une activité agricole si elle est exercée à titre accessoire et constitue le complément indissociable d'une activité agricole reconnue comme telle pour l’IFI ».

20.- On relèvera que la doctrine IFI ne fait pas spécifiquement à l’article 75 du Code général des impôts. Que penser des exploitants agricoles donnant en location en une partie des bâtiments de l’exploitation en location meublée ?

On rappellera que la nouvelle rédaction de l’article 787 B du Code général des impôts exclut de manière explicite les activités de gestion de son patrimoine mobilier ou immobilier. D’ailleurs, tant la doctrine relative aux biens professionnels en matière d’IFI que celle relative au pacte Dutreil, considèrent cette activité comme étant civile.

21.- Il pourrait dès lors paraître surprenant de pouvoir réintégrer cette activité dans le champ de l’article 787 B du Code général des impôts par le truchement de l’article 75 du même code auquel il n’est pas fait référence. Cette question est ainsi susceptible de renvoyer à une autre question tout aussi complexe portant notamment sur la prépondérance et l’utilisation de la méthode du faisceau d’indices [9].

22.- L’activité n’est pas le seul obstacle. Le périmètre des titres engagés est également susceptible de poser des difficultés, et ceux d’autant plus que certaines formes de sociétés agricoles ont des particularités.

II. L’engagement des titres : les difficultés liées à certaines sociétés agricoles

23.- Les sociétés agricoles, de type EARL, GAEC, SCEA n’étant en règle générale par coté, il faudra alors engager à minima, 34 % des droits de vote et 17 % des droits financiers.

L’administration fiscale [10] précise :

« La quotité de droits de vote et de droits financiers doit être appréciée par rapport à la masse des droits de vote dans les assemblées et des droits à dividendes attachés aux titres émis par la société en contrepartie de son capital social.

Il convient donc de se référer :

  • au pourcentage des droits de vote détenus par le ou les associés liés par un engagement de conservation par rapport à l’ensemble des droits de vote susceptibles d’être représentés ;
  • au pourcentage des droits détenus par la ou les mêmes personnes dans l’ensemble des droits à dividendes attachés aux titres émis par la société.

Ainsi, pour la détermination du seuil, il y a lieu de prendre en considération les droits de vote attachés :

  • aux actions ordinaires ;
  • aux actions à droits de vote multiples ou privilégiés ;
  • aux certificats de droits de vote ».

24.- Certaines sociétés agricoles consacrent le principe « un homme = une voix ». Cette règle se retrouve notamment à l’article 17 des statuts types des GAEC. Cet élément se retrouve également pour les EARL à l’article L. 324-10 du Code rural et de la pêche maritime : « Les associés disposent de droits de vote, dans les assemblées, proportionnels au nombre de parts sociales qu'ils détiennent. Toutefois, les statuts peuvent prévoir que les associés exploitants se répartissent d'une façon égalitaire les droits de vote qu'ils détiennent ensemble ».

25.- Dans les situations où la règle « un homme – une voix s’applique », l’articulation avec l’article 787 B du Code général des impôts peut poser des difficultés. En effet, dans la mesure où 34 % des droits de vote doivent être engagés dans le pacte Dutreil, et que ce seuil est figé durant l’engagement collectif ou unilatéral de conservation, certaines opérations peuvent avoir pour effet d’entraîner la perte de cette condition.

La doctrine administrative [11] (et surtout l’article 787 B, g du CGI) évoque certaines situations spécifiques :

  • fusion et scission ;
  • augmentation de capital ;
  • annulation des titres pour cause de perte ou de liquidation judiciaire ;
  • offre publique d’échange préalable à une fusion ou à une scission.

Lorsqu’à l’issue de l’opération concernée la condition de seuil minimal n’est plus respectée, l’exonération partielle ne pourra s’appliquer pour l’avenir à de nouvelles transmissions à titre gratuit que si un nouvel engagement collectif de conservation est souscrit dans les conditions de droit commun.

26.- Le cas spécifique des sociétés agricoles n’est à ce jour pas appréhendé par la doctrine administrative. Un exemple permettra de mieux illustrer cette difficulté.

Monsieur X et Y sont associés au sein d’une société agricole. Celle-ci applique la règle « un homme = une voix ». Monsieur Y a trois enfants. Monsieur X a un enfant.

Monsieur X conclut en engagement unilatéral de conservation de ces parts. Monsieur Y ne conclut pas d’engagement unilatéral ou collectif de conservation, et transmet ses parts à ses enfants.

Monsieur X se retrouve dilué à l’image d’une augmentation de capital. En effet, celui-ci ne disposera plus que d’un quart des voix.

Monsieur X ne respecte ainsi plus la condition concernant l’engagement de 34 % de ses droits de vote dans l’engagement unilatéral de conservation.

On peut donc penser que dans ce cas, l’abattement de 75 % ne devrait pas pouvoir trouver à s’appliquer.

27.- Que se serait-il passé en cas de transmission préalable de Monsieur X à celle de Monsieur Y. L’article 787 B du Code général des impôts demeure muet sur cette question, alors qu’en présence d’une augmentation de capital, celui-ci précise : « L'exonération partielle accordée lors d'une mutation à titre gratuit avant l'une de ces opérations n'est pas remise en cause si les signataires respectent l'engagement prévu au a jusqu'à son terme ».

Il est ainsi possible de se demander si dans une telle situation, il n’y aurait pas un risque de remise en cause de l’abattement de 75 %.

28.- On le voit, la rédaction de l’article 787 B du Code général des impôts n’est pas toujours adapté aux modalités d’exploitation d’une activité agricole.

L’analyse de la fonction de direction est également susceptible de générer des difficultés.

III. Les contraintes liées à la fonction de direction et la pluriactivité

29.- L’application de l’abattement de 75 % est conditionnée à l’exercice d’une fonction de direction durant la phase d’engagement collectif et trois ans après la transmission.

La fonction de direction s’apprécie différemment, selon qu’il s’agit d’une société relevant de l’impôt sur les sociétés ou d’une société relevant de l’impôt sur le revenu.

Au cas d’une société relevant de l’impôt sur les sociétés, il est nécessaire d’exercer l’une des fonctions énumérées au 1° du 1 du III de l’article 975 du Code général des impôts N° Lexbase : L9125LHG.

Il s’agit :

  • du gérant nommé conformément aux statuts de la SARL ou d’une société en commandite par actions ;
  • de l’associé en nom d’une société de personnes ;
  • du président, directeur général, président du conseil de surveillance ou du membre du directoire de la société par actions.

30.- L’article 787 B du Code général des impôts ne renvoie qu’aux fonctions énumérées au III, 1-1° de l’article 975 du Code général des impôts, et non à l’ensemble des conditions d’application du régime des biens professionnels. Il n’y a donc pas lieu d’analyser la condition de rémunération.

Ce point est par ailleurs explicitement confirmé par la doctrine administrative [12].

31.- Au cas des sociétés relevant de l’impôt sur le revenu, ce qui est le cas de nombreuses sociétés agricoles, il est nécessaire d’exercer son activité professionnelle à titre principal.

La doctrine administrative [13] renvoie ici, pour partie à la doctrine IFI concernant les biens professionnels.

Le paragraphe n° 10 du BOI-PAT-IFI-30-10-10-30 précise : « Lorsque l'exploitant exerce simultanément plusieurs professions, l'activité principale s'entend normalement de celle qui constitue pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques, même si elle ne dégage pas la plus grande part de ses revenus (cas de l'entreprise déficitaire). Dans l'hypothèse où un tel critère ne peut être retenu (par exemple lorsque les diverses activités professionnelles sont d'égale importance), il convient de considérer que l'activité principale est celle qui procure à l'intéressé la plus grande part de ses revenus ».

Le premier critère concerne la caractérisation du fait que l’activité représente l’essentiel des activités économiques, le second porte, dans l’hypothèse où le premier ne peut être utilisé, sur le niveau des revenus des activités.

Là encore, on peut s’interroger sur l’adaptation de tels critères à la réalité du monde agricole. En effet, et notamment en ce qui concerne le second critère, les récoltes peuvent volatiles, celles-ci dépendant d’une multitude de facteurs aléatoires : conjoncture économique, aléas climatiques, …Ayant une incidence sur les prix et les revenus du monde agricole.

Si bien que la fonction de direction est également susceptible de devenir volatile, pouvant générer des sorties du régime de faveur au gré de la conjoncture… Ainsi, il peut être nécessaire dans un certain nombre de cas de s’interroger sur une option pour l’impôt sur les sociétés, avec les conséquences que celle-ci peut engendrer (qui d’un abus de droit ?), ou sur la personne portant la fonction de direction.

32.- Concernant l’analyse du « premier critère », l’administration fiscale a recours à un faisceau d'indices. Celle-ci s’attache notamment au temps passé dans chaque activité, à l’importance des responsabilités exercées et des difficultés rencontrées, ainsi qu’à la taille des diverses exploitations par exemple. L’analyse de la fonction de direction est ainsi plus délicate pour les sociétés agricoles soumises à l’impôt sur le revenu, celle-ci se rapprochant en grande partie du régime des biens professionnels.

33.- Le point de difficulté concerne notamment le cas des agriculteurs associés dans plusieurs sociétés, celle-ci n’ayant pas toujours de lien de connexité, ou une complémentarité et une similitude au niveau des activités.

C’est notamment dans ces situations que l’appréciation de l’activité professionnelle à titre principal posera des difficultés.

Malheureusement, la lettre de l’article 787 B du Code général des impôts ne traite pas de cette difficulté. Celle-ci ne renvoie pas par exemple aux dispositions concernant les biens professionnels en matière d’impôt sur la fortune immobilière.

La jurisprudence concernant le pacte Dutreil est peu loquace sur cette question. Le réflexe consiste donc à reprendre la doctrine administrative sur ce sujet.

Comme indiqué ci-dessus, la doctrine administrative relative à l’article 787 B du CGI renvoi explicitement au régime des biens professionnels.

Cette première lecture pourrait amener une forme soulagement. Celle-ci vise le cas des activités similaire, connexe et complémentaire, permettant de bénéficier du régime des biens professionnels lorsqu’un bien immobilier est affecté à plusieurs activités.

34.- Sauf que, la doctrine administrative n’opère pas un renvoi à l’intégralité de la doctrine IFI : « Cette notion est identique à celle utilisée en matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour le régime des actifs professionnels prévu à l'article 975 du CGI (I § 10 à 40 du BOI-PAT-IFI-30-10-10-30) ». Les activités similaires ou connexes et complémentaires sont visées au paragraphe n° 60.  Le principe d’interprétation stricte des instructions fiscales, sous réserve de leur opposabilité bien sûr, limite l’application de l’article 787 B du Code général des impôts.

35.- En pratique, cela pose de vraies difficultés. En effet, Il n’est pas rare, notamment dans le nord de la France, d’avoir des exploitants agricoles ayant structurés leurs activités au moyen de plusieurs sociétés. Par exemple, certains disposeront d’une SCEA pour l’activité de production agricole (exemple : pommes de terre), accompagnés d’une SARL de commercialisation et de stockage de pommes de terre. D’autres, outre l’existence de la société de production agricole, créeront des structures leur permettant d’exercer des activités de travaux agricoles.

36.- La rédaction de l’article 787 B du CGI et de la doctrine administrative embrassent mal ce type de situation. Cela amène dans plusieurs dossiers à choisir la structure accueillant l’engagement collectif ou unilatéral, avec les risques liés à la perte de la fonction de direction au gré de la saisonnalité.

Cela est d’autant plus regrettable, qu’outre le lien capitalistique, ces structures ont en règle générale un lien capitalistique. Il serait intéressant d’avoir des évolutions législatives également sur ce point.

Cela semble d’autant plus important que la disparité créée entre les sociétés relevant à l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, amène les exploitants dans certains cas à opter pour l’impôt sur les sociétés sans en maîtriser complètement les contours.

Et notamment, il convient de ne pas perdre de vue que l’option pour l’impôt sur les sociétés entraîne la perte de l’ensemble des régimes de faveur en matière agricole : DEP, étalement des revenus exceptionnels sur sept ans, moyenne triennale, régime d’exonération des plus-values professionnelles sur les cessions de titres,..

37.- Enfin, les schémas d’apport des sociétés agricoles dutreillées posent également des difficultés.

IV. L’apport des titres dutreillés : les contraintes liées aux plus-values et au statut du fermage

38.- En principe, l’apport de titres dutreillés à une société holding, durant la phase d’engagement collectif/unilatéral ou individuel, entraîne la perte de l’abattement de 75 %.

Cependant, l’article 787 B du Code général des impôts prévoit une exception à cette remise en cause, sous réserve de remplir les conditions suivantes :

  • la valeur réelle de l’actif brut de la société holding est composée à plus de 50% des participations dans la société dutreillée ;
  • 75 % du capital et des droits de vote de la société holding doivent être détenus par les personnes soumises aux engagements collectif/unilatéral et individuel de conservation ;
  • ces mêmes personnes doivent diriger la société holding ;
  • la société holding doit conserver les titres de la société apportée jusqu’à la fin des engagements de conservation ;
  • les associés de la société holding bénéficiaires de l’abattement de 75 % doivent conserver les titres de la société holding reçus en contrepartie de l’apport des titres dutreillés jusqu’à l’expiration des engagements de conservation.

39.- Plusieurs éléments sont susceptibles de constituer des freins à ces opérations de restructuration, pouvant empêcher le maintien de l’article 787 B du Code général des impôts.

Ces obstacles ne sont pas nécessairement endogènes à l’article 787 B du Code général des impôts, ils sont exogènes.

Parmi ces éléments, le régime des plus-values professionnelles est susceptible de constituer une contrainte.

En effet, l’apport d’une société agricole relevant de l’impôt sur le revenu dont les parts relèvent du régime des plus-values professionnelles, en raison de la participation personnelle, directe et continue de l’associé n’est pas gratuit.

Si l’exonération en fonction du chiffre d’affaires visée à l’article 151 septies du Code général des impôts n’est pas applicable, il reste à s’interroger sur l’application d’un éventuel régime de report d’imposition.

40.- L’article 151 nonies IV bis du Code général des impôts N° Lexbase : L9116LKT permet de bénéficier d’un report d’imposition, cependant, celui-ci nécessite notamment que la société holding reçoive à l’occasion de l’apport plus de 50 % des droits de vote de la société agricole apportée.

Or, dans certains cas, le foncier agricole n’est pas détenu par la société agricole. Il y a dans ces cas un bail rural conclu entre la société agricole et le propriétaire foncier.

La société reste tenue par le statut du fermage et notamment l’article L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4462I4Z.

Celui-ci précise : « Cette société doit être dotée de la personnalité morale ou, s'il s'agit d'une société en participation, être régie par des statuts établis par un acte ayant acquis date certaine. Son capital doit être majoritairement détenu par des personnes physiques ».

41.- En d’autres termes, la société holding ne peut pas détenir la majorité du capital. Dès lors, dans ces situations, l’article 151 nonies IV bis du Code général des impôts ne sera pas applicable, et la plus-value d’apport fera l’objet d’une imposition.

Il ne faut pas perdre de vue qu’il est tout à fait possible que d’autres régimes de report d’imposition puissent être présents dans le dossier, et notamment un article 151 octies du Code général des impôts (report d’imposition portant sur les plus-values des éléments d’actif non amortissables en cas d’apport d’une entreprise individuelle).

Or, l’article 151 nonies IV bis du CGI permet de maintenir le report d’imposition de l’article 151 octies du même Code. Ne pas bénéficier de l’article 151 nonies IV bis du CGI entraînera lors de l’apport des titres dutreillés, une imposition en cascade.

42.- Par ailleurs, si la société holding est soumise à l’impôt sur les sociétés, le bénéfice de la société agricole relevant de l’impôt sur le revenu sera déterminé conformément à l’article 238 bis K du Code général des impôts, selon les règles des BIC/IS.

Ainsi, il ne sera pas possible de faire application des différents régimes de faveur, cités plus haut, à hauteur de la quote-part de détention de la société holding, en raison de la double détermination du résultat fiscal.

43.- La forme sociale de la société agricole peut également constituer une contrainte. En effet, l’EARL ne peut être constituée conformément à l’article L. 324-1 du Code rural et de la pêche maritime qu’entre des personnes physiques. Une personne morale ne peut ainsi pas être associée de celle-ci. Il sera ainsi nécessaire de transformer l’EARL en SCEA par exemple.

44.- La transmission d’une société agricole pose ainsi des difficultés au regard de l’article 787 B du Code général des impôts. La rédaction de ce dernier donne le sentiment que celle-ci n’est pas toujours adaptée à la pratique des exploitants, et aux contraintes conjoncturelles – voire structurelles -  de leur métier.

Il pourrait être opportun que le législateur adapte le dispositif afin de le rendre plus lisible, rapidement, dans un contexte de transmission accrue des exploitations.

 

[1] TF1 info, 23 février 2024 [en ligne].  

[2] Loi n° 2021-1756, du 23 décembre 2021, portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires N° Lexbase : L0864MAA.

[3] À titre d’exemple : gestion des seuils de l’article 151 septies du CGI modifiés par la loi de finances pour 2024 à compter des cessions réalisées au 1er janvier 2023. Lire en ce sens, J. Mazeres, Les principales mesures de la loi de finances pour 2024 concernant le secteur agricole, Lexbase Fiscal, février 2024, n° 972 N° Lexbase : N8240BZ9.

[4] Lire en ce sens, J. Mazeres, Pacte Dutreil réputé acquis et fonction de direction : le juge confirme que celle-ci ne peut pas être portée par le donateur, Lexbase Fiscal, février 2024, n° N° Lexbase : N8484BZA.

[5] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 15 N° Lexbase : X6754ALQ.

[6] BOI-PAT-IFI-20-20-20-30 N° Lexbase : X1172AUX.

[7] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 15 du 30 mai 2024, renvoyant au BOI-PAT-IFI-20-20-20-30.

[8] BOI-PAT-IFI-20-20-20-30, n° 40.

[9] Pour un exemple de la méthode du faisceau d’indices, voir CA de Versailles, 12 mars 2024, 23/01551 N° Lexbase : A66472UQ.

[10] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 190, du 31 mai 2024.

[11] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n°160 et suivant, du 21 décembre 2021 [en ligne].  https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/6510-PGP.html/identifiant=BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20-20211221

[12] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 290, du 30 mai 2024.

[13] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 280 du 30 mai 2024.

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Licenciement

[Brèves] Licenciement fondé sur un fait relevant de la vie personnelle du salarié : nullité ou absence de cause réelle et sérieuse ?

Réf. : Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 22-20.672, FS-B N° Lexbase : A297154S

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N0459B3E

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par Charlotte Moronval

Le 02 Octobre 2024

► Les faits de détention et de consommation de produits stupéfiants d’un salarié à bord de son véhicule, constatés par un service de police sur la voie publique et étrangers aux obligations découlant de son contrat de travail, tirés de la vie personnelle du salarié, ne relèvent toutefois pas de l'intimité de sa vie privée, de sorte que, si le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il n'est pas atteint de nullité, en l'absence de violation d'une liberté fondamentale.

Faits et procédure. La RATP révoque, pour faute grave, un salarié, machiniste-receveur, pour avoir eu des propos et un comportement portant gravement atteinte à l'image de l'entreprise et incompatibles avec l'obligation de sécurité de résultat de la RATP, tant à l'égard de ses salariés que des voyageurs qu'elle transporte, sur le fondement d’un signalement de l'autorité de police judiciaire faisant état d'un contrôle de police au cours duquel les forces de l'ordre ont notamment constaté la détention et la consommation de produits stupéfiants par le salarié, outre son comportement particulièrement irrespectueux.

La cour d’appel annule cette révocation, en raison de l’atteinte portée au droit fondamental de l'intéressé à sa vie privée. Elle relève notamment que le salarié a fait l'objet d'un contrôle d’identité, après sa journée de travail, alors qu'il se trouvait sur la voie publique, à bord de son véhicule, en possession d'un sac contenant de l'herbe de cannabis, la procédure pénale ayant finalement été classée sans suite.

Si le contrat de travail du salarié interdit la prise de stupéfiants avant ou pendant le service, la cour d’appel relève qu’il ne l'interdit pas après, étant observé que le contrôle a eu lieu après le service de l'intéressé et que la prise de stupéfiant n'a pas, en l'espèce, été caractérisée, les tests s'étant révélés négatifs.

La RATP forme un pourvoi en cassation.

Solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule la décision de la cour d’appel.

Elle considère que la révocation du salarié était fondée sur des faits relevant non pas de la vie privée mais de la vie personnelle du salarié. Le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse mais la nullité de la rupture ne pouvait pas être prononcée, en l'absence de la violation d'une liberté fondamentale.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnelle, La vie personnelle du salarié, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3369Z38

newsid:490459

(N)TIC

[Brèves] Exception de recevabilité d’une preuve illicite : l’hypothèse de la clé USB personnelle du salarié

Réf. : Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 23-13.992, FS-B N° Lexbase : A2979544

Lecture: 9 min

N0477B33

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par Fanny Gabroy, Professeure de droit privé à l’Université CY Cergy Paris Université

Le 02 Octobre 2024

► La Cour de cassation poursuit son œuvre quant à l’exception de recevabilité des preuves illicites et déloyales : par cet arrêt du 25 septembre 2024, elle offre une nouvelle illustration à propos de la production du contenu de la clé USB personnelle d’une salariée, destiné à prouver la faute grave commise par cette dernière.

Cette question, relative à la recevabilité d’une preuve illicite, poursuivant une jurisprudence entamée il y a quelques années par la Cour de cassation, justifie très certainement que la décision soit promise aux honneurs du Bulletin.

Faits et procédure. Licenciée pour faute grave le 27 septembre 2017, après trente-sept ans d’ancienneté, pour avoir copié des documents appartenant à l’entreprise sur ses clés USB, une salariée saisit la juridiction prud’homale pour obtenir la condamnation de l’employeur au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d’appel (CA Lyon, 25 janvier 2023, n° 19/06601 N° Lexbase : A89979AH) la déboute de ses demandes, estimant que le licenciement était bel et bien justifié par une faute grave dont la preuve était apportée par la copie du contenu des clés USB de ladite salariée.

Moyen du pourvoi. La salariée invoquait au soutien de son pourvoi le caractère illicite de la preuve servant de fondement au licenciement, en l’occurrence le caractère personnel des clés USB dont le contenu avait été consulté et copié par l’employeur. L’argument reprenait une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation à propos de la consultation des outils informatiques par l’employeur.

Consultation des correspondances et fichiers par l’employeur. Rappelons en effet que la vie privée du salarié implique un droit au secret qui se poursuit sur le lieu de travail. Sur ce fondement, la Cour de cassation énonce, depuis l’arrêt « Nikon », que les employeurs ne peuvent « prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur » (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, publié au bulletin N° Lexbase : A1200AWD). Lorsque l’employeur consulte un outil professionnel mis à la disposition du salarié, s’applique une présomption de professionnalité des communications et documents, que le salarié peut renverser en signalant expressément leur caractère personnel (Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025, F-P+B N° Lexbase : A9621DRR). En revanche, lorsque l’outil est personnel au salarié, l’employeur n’est pas autorisé à en prendre connaissance. Dans l’interstice entre ces deux solutions, la Cour de cassation a développé une jurisprudence considérant qu’un outil personnel, connecté à un outil professionnel, est présumé être utilisé à des fins professionnelles. Tel est le cas d’une clé USB, connectée à l’ordinateur de la société (Cass. soc., 12 février 2013, n° 11-28.649, FS-P+B N° Lexbase : A0485I8H).

C’est sûrement en écho à cette dernière solution que le pourvoi tentait de faire admettre que la clé USB personnelle n’était pas connectée à un poste informatique de l’entreprise au moment où l’employeur en avait consulté le contenu. Mais le raisonnement, tendant à faire déclarer cette preuve illicite, était-il suffisant à l’heure où la Cour de cassation admet la recevabilité des preuves illicites ?

Exception de recevabilité des preuves illicites. En raison de la découverte du droit à la preuve par la Cour européenne des droits de l’Homme, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation a été amenée à faire évoluer sa jurisprudence. Alors qu’auparavant, toute preuve illicite ou déloyale était automatiquement irrecevable, il appartient désormais aux juges du fond d’opérer un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits et intérêts antinomiques en présence.

Initiée en 2012 par la première chambre civile à propos d’une preuve illicite, en ce qu’elle portait atteinte à la vie privée d’une des parties (Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-14.177, F-P+B+I N° Lexbase : A1166IIZ), la solution fut reprise par la Chambre sociale à partir de 2016 (Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2511SG4 ; par la suite, par ex., Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A41383W8 ; Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5510379 ; Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, F-B N° Lexbase : A135947H). L’exception de recevabilité d’une preuve illicite, invoquée par celui qui se prévaut de son droit à la preuve, impose aux juges d’opérer un contrôle de proportionnalité entre ledit droit et le droit à la vie personnelle. En décembre 2023, l’assemblée plénière a finalement décidé d’étendre l’exception de recevabilité aux preuves déloyales (Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648, publié au bulletin N° Lexbase : A27172AU). Depuis, les illustrations se sont multipliées (par ex. Cass. soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474, F-B N° Lexbase : A35522EB ; Cass. soc., 14 février 2024, n° 22-23.073, F-B N° Lexbase : A19252MA ; Cass. soc., 14 février 2024, n° 21-19.802, F-D N° Lexbase : A04232NY ; Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 23-14.900, F-B N° Lexbase : A22185PT).

Réponse de la Cour de cassation. C’est finalement sans grande surprise qu’après avoir rappelé que « l'accès par l'employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l'ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié », la Cour de cassation précise qu’il « résulte des articles 6 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Application du contrôle de proportionnalité. Dans le cadre des preuves illicites, le contrôle de proportionnalité implique le respect par les juges du fond d’une méthode en trois temps, dictée par la Chambre sociale pour la première fois dans trois arrêts rendus le 8 mars 2023 (Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-17.802 N° Lexbase : A92179GH et n° 20-21.848 N° Lexbase : A08979HP, FS-B et n° 21-20.797, FS-D  N° Lexbase : A39049H3). D’abord, le juge doit relever la légitimité du contrôle opéré par l’employeur. Ensuite, il doit rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Le moyen de preuve doit ainsi être « indispensable ». Enfin, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle du salarié au regard du but poursuivi.

En l’espèce. Pour approuver la motivation des juges du fond, la Chambre sociale relève que l’employeur avait agi pour préserver la confidentialité des affaires de l’entreprise. De plus, des raisons concrètes justifiaient le contrôle effectué sur les clés USB de la salariée. En l’occurrence, plusieurs témoignages de collègues attestaient avoir vu la salariée imprimer des documents à partir de l’ordinateur d’une collègue absente, puis ranger lesdits documents dans un sac plastique. En outre, la Chambre sociale note que les données ont été extraites des clés USB par un expert, en présence d’un commissaire de justice, et que seules les données professionnelles ont été transmises à l’employeur (à l’exclusion des données personnelles). De tout cela, la Chambre sociale en déduit que « la production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et que l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi », justifiant sa recevabilité.

Quid du caractère indispensable ? À l’étude, il nous semble toutefois qu’un critère soit passé sous silence par la Chambre sociale, celui du caractère indispensable… La motivation des juges du fond, du moins telle que reprise par la Cour de cassation, n’explique pas, à notre sens, en quoi la production était indispensable au droit à la preuve de l’employeur. Seuls sont démontrés le caractère légitime du contrôle, ainsi que la proportionnalité de l’atteinte portée à la vie privée de la salariée. Mais, encore fallait-il que cette preuve soit indispensable pour établir la faute commise par la salariée, à savoir la copie de données. Peut-être que, pour la Chambre sociale, le caractère indispensable s’infère des faits reprochés, mais la précision aurait été bienvenue. Nous sommes d’autant plus déçus de cette imprécision que le caractère indispensable semble - pour l’heure - le plus délicat à appréhender. Le juge doit-il exiger une impossibilité totale de se procurer une preuve licite ou loyale ? Ou doit-il se contenter du constat qu’au jour où il statue, la partie n’a entre les mains pas d’autres preuves ? Ou peut-il encore se suffire du constat que la partie ne lui a pas soumis d’autres preuves, peu importe celles dont elle dispose réellement ? Espérons que les prochaines décisions nous apportent davantage d’éclaircissements.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Droit du travail et nouvelles technologies, Le contrôle du travail par les NTIC, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1365Y9G.

 

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Sûretés

[Jurisprudence] Cautionnement et annulation d’un compte courant

Réf. : Cass. com., 11 septembre 2024, n° 23-11.534, F-B N° Lexbase : A53565YZ

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par Stéphane Piédelièvre, Professeur à l’Université de Paris-Est

Le 09 Octobre 2024

Mots-clefs : cautionnement • erreur • nullité • compte courant • restitution

En cas d’annulation d’un compte courant, la caution garantit uniquement le montant du solde débiteur du compte.


 

Il est très fréquent pour ne pas dire usuel que les banques exigent le cautionnement des comptes courants qu’ils ont ouverts aux sociétés. La jurisprudence a dû fréquemment intervenir en cette matière. Pour autant toutes les difficultés ne sont pas résolues, comme le démontre un arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 qui avait à se prononcer sur les conséquences pour cette garantie en cas d’annulation d’un compte courant débiteur.

En l’espèce, une banque avait ouvert deux comptes courants à une société. Dans le même temps, elle lui avait consenti une ouverture de crédit qui avait été garantie par quatre cautionnements distincts émanant de personnes différentes. Quelque temps plus tard, elle consentit à la société une nouvelle ouverture de crédit qui sera cette fois garanti par trois des cautions initiales. Ces dernières se portaient également cautions solidaires de tous les engagements pris par la société pour une durée de cinq ans pour un montant de 24 000 euros chacun. La société a été mise en liquidation judiciaire. La banque a déclenché ses garanties et a mis en demeure chacune des cautions de régler les sommes dues au titre de leurs engagements, puis les a assignées en paiement. Deux des trois cautions ont réussi à démontrer que leurs engagements étaient disproportionnés ; elles ont donc été déchargées en totalité. La troisième caution a alors été condamnée à payer certaines sommes. En appel, elle a argué de la nullité de son engagement sur le fondement de l’erreur et a également tenté de limiter les conséquences à son égard de la nullité du compte courant. N’ayant pas obtenu satisfaction [1], elle s’est pourvue en cassation en invoquant ces deux moyens.

I. La théorie des vices du consentement est souvent invoquée par les cautions désireuses de se dégager de leurs engagements. Si le dol a pendant un temps été régulièrement retenu, il n’en va pas de même pour l’erreur dont les conditions d’admission sont strictes.

Dans la présente décision, la caution actionnée faisait valoir que l'étendue des garanties fournies à la banque est nécessairement déterminante du consentement du garant qui s'engage concomitamment avec trois autres cofidéjusseurs. Elle prétendait avoir commis une erreur sur l’étendue des garanties fournies à la banque. Il est vrai que la pluralité de cautions aurait été de nature à alléger le poids de sa dette. La jurisprudence a admis de telles prétentions dans l’hypothèse où l’existence d’une pluralité de sûretés a été stipulée en condition expresse [2]. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

Les juges du fond ont refusé de faire droit à la demande de la caution en faisant principalement valoir une clause insérée dans les conditions générales du prêt garanti stipulant que « la caution ne fait pas de la situation du cautionné ainsi que de l'existence et du maintien d'autres cautions la condition déterminante de son cautionnement ». La Cour de cassation les en approuve aux motifs que la caution ne rapportait pas la preuve que son engagement de caution n'avait été consenti qu'en raison de l'existence des autres engagements de caution.

Les circonstances de l’espèce présentaient un certain particularisme dans la mesure où effectivement plusieurs contrats de cautionnement avaient été souscrits par plusieurs cautions pour une même dette. Certains d’entre eux ont été rendus inefficaces en raison de leur caractère disproportionné, avec cette conséquence que la caution subsistante devait supporter l’intégralité de la dette. On se trouvait en présence d’une déchéance.

Les juges du fond et la Cour de cassation fondent leur solution sur l’existence d’une clause figurant non dans le contrat de cautionnement, mais dans celui de prêt. Cela conduit à s’interroger sur l’opposabilité d’une telle clause à la caution, même si l’arrêt du 11 septembre 2024 prend le soin d’indiquer que la garante avait apposé un paraphe sur la page où la stipulation contractuelle apparaissait. En tout état de cause, ce paraphe ne faisait pas de la caution une partie au contrat de prêt et on peut douter de son opposabilité. Cette clause n’était pas reprise visiblement dans le contrat de cautionnement.

Pour autant, toutes les difficultés ne sont pas résolues dans la mesure où la jurisprudence exige régulièrement pour admettre une erreur sur l’engagement des autres cautions qu’un tel engagement ait été la cause déterminante de celui de la caution [3], même s’il existe quelques décisions plus souples [4]. Hormis si le contrat de cautionnement comporte une stipulation prévoyant une telle condition, ce qui sera sans doute exceptionnel surtout lorsque le créancier a la qualité de créancier professionnel, il pourra seulement s’agir d’éléments extérieurs au contrat de garantie démontrant que les garanties formaient un tout indissociable. Tel n’a pas été le cas en l’espèce, puisqu’aucune preuve positive a été rapportée.

Même si la nullité pour erreur sur l’engagement d’autres cautions est tout à fait possible sur le plan des principes, il aurait été préférable et plus judicieux, tout du moins au plan des principes, pour la caution de se placer sur le terrain de la condition. En effet, lors de la conclusion du cautionnement, les deux autres garanties avaient été conclues concomitamment et elles ont été ultérieurement rendues inefficaces ; il ne pouvait par conséquent pas y avoir erreur.

II. Ne pouvant obtenir satisfaction sur le terrain de la nullité, la caution a contesté le montant des sommes qui lui étaient réclamées par le créancier. La convention de compte courant et l’ouverture de crédit avaient été annulée. Les juges du fond avaient considéré que cette nullité entraînait la restitution des fonds alloués à la société en exécution de l'autorisation de découvert afin de remettre les parties à cette convention dans l'état dans lequel elles se trouvaient au jour de sa signature et que la caution était tenue de restituer à la banque les sommes allouées par celle-ci au titre du découvert autorisé augmenté de certains frais. La caution s’est alors pourvue en cassation en faisant valoir que l'annulation de la convention d'ouverture de compte courant entraîne la restitution des sommes correspondant au solde du compte courant, à l'exclusion de tous autres frais et intérêts conventionnels.

Au visa de l’ancien article 1379 du Code civil N° Lexbase : L1485ABM, la Cour de cassation censure les juges du fond en posant en principe que « l'annulation de la convention d'ouverture de compte courant entraîne la restitution des sommes correspondant au solde du compte courant, à l'exclusion de tous autres frais et intérêts conventionnels ». Par conséquent, la cour d’appel aurait dû déduire tous les frais et intérêts bancaires depuis la convention d'ouverture de comptes courants. La Cour ne distingue pas selon le type de frais.

Cette solution résulte de la nature des restitutions à la suite de la nullité de la convention garantie. Il subsiste une obligation de restitution pour le débiteur. En ce domaine, la jurisprudence a posé en règle que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable ; dès lors, le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » [5].

Cette solution pouvait sans difficulté être transcrite à l’hypothèse de la présente espèce, dans la mesure où la personne assignée était la caution et non le débiteur principal. Elle ne garantissait pas ici ce qui était éventuellement dû par ce dernier, mais uniquement l’obligation de restitution et uniquement elle. Dès lors que l’on accepte le principe de la survie du cautionnement en cas de nullité du contrat principal, la garantie peut uniquement couvrir ce qui est dû par le débiteur principal pour que les parties soient remises dans la situation qui était la leur avant la conclusion du contrat, ce qui exclut les frais et les intérêts.

 

[1] CA Metz, 1er décembre 2022, n° 20/00019 N° Lexbase : A87038YY.

[2] Pour une illustration Cass. com., 18 mars 2014, n° 13-11.733, F-D N° Lexbase : A7477MHE, RDC, 2014 407, obs. A.-S. Barthez ; JCP, 2014 635, n° 2, obs. Ph. Simler ; RD bancaire, 2014 n° 97, obs. D. Legeais.

[3] Par exemple Cass. com., 24 novembre 1981, n° 80-10.205, inédit [LXB=], Gaz. Pal, 1982, 1, pan. 180, obs. A. Piédelièvre.

[4] Par exemple Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-17.853, F-D N° Lexbase : A1202EDU, JCP G, 2009, I, 150, n° 2, obs. Ph. Simler.

[5] Cass. com., 17 novembre 1982, n° 81-10.757, publié N° Lexbase : A3673AG7, D., 1983, 527, note M. Contamine-Raynaud ; JCP G, 1984, II, 20216, note Ph. Delebecque et Ch. Mouly – également en ce sens, Cass. com., 18 avril 1985, n° 83-15.559, publié N° Lexbase : A2628AAL – Cass. civ. 1, 25 mai 1992, n° 90-21.031, publié N° Lexbase : A5622AHP, RTD civ., 1992 799, obs. M. Bandrac.

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