La lettre juridique n°996 du 26 septembre 2024

La lettre juridique - Édition n°996

Éditorial

[A la une] Henri Leclerc et la voie de l’engagement

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par Matthieu Quinquis, avocat et président de la section française de l’Observatoire international des prisons

Le 25 Septembre 2024

Depuis sa première visite à la Santé, Henri Leclerc disait avoir « toujours détesté la prison ». Soixante-dix ans de barreau, et autant de confrontations à l’institution judiciaire et l’abîme carcéral, semblaient n’y avoir rien changé. Toute sa vie, ses expériences et celles de ses clients auront cultivé son aversion et nourri le feu de son indignation.

Après s’être « colleté avec la peine de mort » et avoir tant bataillé pour obtenir son abolition, Henri Leclerc aurait pu être de ceux qui relativisent la réclusion criminelle à perpétuité. Il aurait pu s’inscrire dans le pas de ceux qui en minorent la violence et rejoindre les voix qui assènent, satisfaites, que la justice française n’est désormais plus une justice qui tue. 

Il n’en fut rien car il ne savait que trop, qu’en dépit de l’immense progrès conquis par la force des convictions, notre justice pénale reste aujourd’hui encore viciée par cette « peine désespérante et inhumaine ». Œuvrant des années durant à la libération de Lucien Léger ou plus récemment, celle de Philippe El Shennawy, il a conservé son irrésistible foi en l’âme humaine et rejeté le fatalisme. Il a toujours exclu « de jeter sa pierre avec les autres » et ne s’est jamais résolu à cet enfermement perpétuel.

Bien que sans illusion sur l’état de l’opinion publique, il nous pressait de nous confronter à la « cruauté » de ce « substitut non-sanglant » à la peine capitale.

Pour lui, si rien n’était jamais perdu, une victoire annonçait toujours de nouveaux combats. Lorsqu’en 1972 il embarque Albert Naud au procès des mutins de Charles III de Nancy, il l’avertit et le convainc que « même s’il gagnait sa lutte infatigable contre la peine de mort, il faudrait combattre l’inhumanité des prisons ». Compagnon du GIP, il aspire à faire entendre à cette audience « le scandaleux traitement des détenus au quotidien ». Il ne cessera ensuite de dire et décrire l’« intolérable » prison.

Dans les luttes carcérales, sa présence était égale et constante. Qu’il s’agisse de soutenir les prisonniers politiques, d’accompagner celles et ceux qui luttaient contre les quartiers de haute sécurité ou de se tenir aux côtés de toutes les âmes peuplant les détentions plus ordinaires, Henri Leclerc refusait finalement tout ce que la prison produit de plus détestable : la déshumanisation, l’abandon et l’oubli.

Laissant place au silence, sa disparition a affecté bien au-delà du cercle des gens de robe ; elle a atteint toutes celles et ceux qui, admirant son talent et estimant sa conscience, ont brutalement éprouvé l’inquiétude de ne plus entendre sa voix.

Sous la pluie fraîche de ses hommages s’esquissent le trait de son exigence et son refus de la fatalité ; il vivait avec toutes ces convictions chevillées au corps. Il n’a « cessé, en robe, de la plaider, disant à ceux qui allaient l’infliger tout son poids de malheur et de souffrance ». En dehors des prétoires, il a « beaucoup milité, participé à des commissions, à des colloques, à des congrès ; [il a] lu de nombreux rapports et bien des livres, et écrit des articles ». Henri Leclerc avait saisi que les idées ne s’accomplissent que par la conjugaison de la parole et l’action.

Sa mémoire bouscule le confort et la routine de nos situations. Aux avocats, elle rappelle qu’ils forment souvent l’ultime contradiction aux pouvoirs des juges et qu’ils sont investis d’armes précieuses pour renverser les déséquilibres. Aux magistrats, elle alerte sur la tentation de la prison et prévient que quelqu’en soient les motifs, la forme ou la durée, il est de leur rôle de résister à cette facilité.

À qui espérait l’homme, l’avocat ou le militant immortel, le legs et la somme riche de ses souvenirs tiennent ainsi leur promesse. Ses combats, ses victoires comme ses échecs, nous aiguillent sur les batailles qu’il reste à mener. Et qu’importe s’il a ouvert un nombre de voies qu’une vie ne suffira à explorer ; Henri Leclerc nous enseigne que l’essentiel est de nous y engager.

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Durée du travail

[Pratique professionnelle] La semaine de 4 jours : se poser les bonnes questions avant de franchir le pas

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N0377B3D

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par Laurene Cailleux, Avocat Of Counsel, cabinet Factorhy Avocats

Le 25 Septembre 2024

Mots-clés : semaine de 4 jours • durée du travail • aménagement du travail • QVCT

La semaine de travail de 4 jours, plébiscitée par 70 % [1] des collaborateurs pour sa formule en 32 heures et 77 % [2] des collaborateurs pour sa formule sans réduction de la durée du travail, connait depuis quelque temps un engouement sociétal, voire politique.

Ce rythme de travail, sans doute fantasmé, n’est pas si nouveau, mais doit amener les entreprises à s’interroger sur la compatibilité, ainsi que sur la forme et le cadre juridique de la semaine « de » ou « en » 4 jours.

Les développements ci-après se veulent sources de réflexions plus que de réponses, car il n'existe pas d’aménagement unique de la semaine de 4 jours. Chaque entreprise en France envisageant de passer à la semaine « de » ou « en » quatre jours peut – voire même doit - adopter un modèle différent, ajusté à ses propres besoins, particularités et collaborateurs.


La crise du coronavirus a contraint de nombreuses entreprises à modifier leur organisation de travail et, pour le secteur tertiaire, à recourir massivement au télétravail.

Cette adaptation à marche forcée du monde du travail a conduit à une introspective mêlant agilité d’organisation, équilibre de la vie professionnelle et personnelle, tout en maintenant la productivité.

C’est ainsi que les réflexions sur la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT) se sont orientées vers des modes alternatifs de travail aboutissant, depuis 2022, à de nombreuses expérimentations de la semaine de 4 jours.

Il est cependant ici en majorité question de la contraction de la durée du travail des salariés sur 4 jours, et donc d’une semaine « en » 4 jours.

Ce rythme de travail, qui n’est pas si nouveau (I.), suscite de nombreuses interrogations : est-il compatible avec mon activité (II.) ? Si oui, sous quelle forme (III.) ? Dans quel cadre juridique (IV.) ? Et enfin, comment s’assurer de son efficacité (V.) ?.

Chaque employeur doit réfléchir à ces questions pour mettre en place ce dispositif de manière vertueuse, sans risquer d'effets indésirables.

I. La semaine de 4 jours ne constitue pas une révolution juridique

Au niveau mondial, l’une des premières expérimentations remonte aux années 70 aux États-Unis, dans l’Utah, où le gouverneur Scott M. Matheson a mis en place la semaine de 4 jours pour les employés du Gouvernement, dans l’objectif de faire face à la crise énergétique qui sévissait [3].

En France, la première expérimentation de la semaine de 4 jours remonte, elle aussi, aux années 70, et plus spécifiquement à l’année 1978, à l’époque à laquelle la durée légale de travail était fixée à quarante heures hebdomadaires.

Application sans doute précoce, cette semaine de quarante heures de travail, « en » 4 jours, aboutissait à la condamnation pénale du PDG de la société International Décor par le Tribunal correctionnel de Saint-Dié.

Malgré cela, convaincu de cette révolution, le dirigeant déclarait : « j’ai la certitude d’être dans une bonne voie, je pense que le fait de travailler pendant quatre jours est le plus grand progrès social depuis 1936 » [4].

Ce dirigeant était cependant relaxé en appel [5], grâce à l’intervention du législateur, et à la loi du 2 janvier 1979 [6], instaurant l’article L. 212-2-1 N° Lexbase : L5839ACA, permettant aux employeurs, sur avis conforme du comité d’entreprise, de déroger aux décrets d’application de la loi de 40 heures et d’organiser le temps de travail sur 4 ou 4,5 jours ouvrables dans la semaine.

Telle est la genèse de la semaine en 4 jours, dont les dispositions fondent toujours ce rythme de travail, aujourd’hui plébiscité.

II. La semaine de travail nécessite une réflexion préparatoire

Les motivations tendant à la mise en place de la semaine de 4 jours sont plurielles :

  • le progrès social, c’est-à-dire la recherche d’un meilleur équilibre vie personnelle et professionnelle, de flexibilité, visant à fidéliser et attirer de nouveaux collaborateurs ;
  • la productivité, et le constat que les salariés seraient plus productifs sur un laps de temps plus réduit, surtout lorsqu’il est couplé à une récupération plus longue ;
  • l’écologie, et plus spécifiquement la réduction de la consommation d’énergie et des déplacements professionnels des collaborateurs.

Si les motivations derrière la semaine de 4 jours apparaissent vertueuses, il reste impératif de s’assurer de la compatibilité de ce rythme de travail sur le plan économique, humain et juridique, les risques d’inadaptations ou d’inadéquations étant nombreux.

Sur le plan économique, il convient de relever que les expérimentations de la semaine de 4 jours se concentrent essentiellement sur le secteur tertiaire.

De son côté, le secteur industriel ou commercial peut nécessiter une ouverture ou une continuité d’activité sur 6 jours, voire 7 jours sur 7.

Dès lors, cette continuité d’activité conduira à s’interroger sur l’organisation de la semaine de 4 jours, et pourra prendre la forme d’un doublonnage de poste (roulement d’équipes ou travail en binômes), voire de l’exclusion de certains services.

Un besoin en recrutement pourra alors voir le jour, parfois dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, pour les métiers en tension, et dont le coût associé devra être anticipé pour l’entreprise.

Les motivations et les contraintes de mise en place de ce nouveau rythme de travail doivent être clairement posées afin de vérifier si la semaine de 4 jours constitue un dispositif vertueux et pour poursuivre les objectifs fixés par la société :

  • quel est l’objectif poursuivi (recrutement, fidélisation, productivité) ?
  • les horaires d’ouverture de la société correspondent-ils aux horaires de travail des collaborateurs ?
  • l’activité de la société nécessite-t-elle l’ouverture sur plus de 4 jours (5, 6 ou 7 jours) ?
  • l’intégralité des services et collaborateurs de la société seraient-t-ils concernés ?
  • le télétravail serait-il maintenu ?
  • etc.

Sur le plan humain, concentrer la durée du travail sur 4 jours aura notamment pour effet d’allonger l’amplitude journalière de travail.

En pratique, cet allongement se traduira par des journées de travail commençant plus tôt ou se finissant plus tard, ce qui pourra poser des difficultés dans l’organisation de la vie privée du collaborateur, notamment en matière de garde d’enfant, mais également d’activité associative.

À ce titre, l’étude du CREDOC identifie l’anticipation des difficultés pour organiser la garde des enfants comme l’un des freins à l’organisation de la semaine de 4 jours pour 37 % des parents de jeunes enfants (moins de 10 ans)  [7].

D’ailleurs, et selon cette même étude, les personnes élevant seules leur(s) enfant(s) sont a priori un peu moins séduites par la semaine de 4 jours.

À terme, ces nouvelles contraintes organisationnelles sont susceptibles de nuire à l’adhésion des collaborateurs à ce nouveau rythme de travail.

Afin d’éviter de tels écueils, il apparait nécessaire de sonder les salariés, auxquels les élus du personnel pourraient être associés [8], sur leur intérêt pour ce nouveau rythme de travail, afin :

  • d’analyser la pertinence du recours à cette organisation : en effet, celle-ci ne remplira pas ses objectifs si les salariés n’y adhèrent pas ;
  • d’aider à la détermination du périmètre et des modalités de mise en place de cette nouvelle organisation ;
  • d’appréhender les attentes réelles des salariés sur ce type d’organisation.

Sur le plan juridique, un audit préalable des dispositifs existants dans l’entreprise, qu’ils soient individuels ou collectifs, apparait nécessaire.

D’une part, un audit des dispositifs conventionnels applicables au sein de l’entreprise en matière de durée et d’aménagement du temps de travail, afin de vérifier la compatibilité juridique de ce nouveau rythme de travail, doit être fait.

L’une des premières vérifications tient notamment à la compatibilité de ce dispositif avec les dispositions conventionnelles de branche, qui peuvent primer, dans certains cas, en matière de répartition de la durée du travail, sur les accords collectifs d’entreprise [9].

D’autre part, un audit des contrats de travail des salariés de l’entreprise devra également être réalisé, afin de vérifier que les horaires de travail et/ou leur répartition sur 5 jours (ou plus) par semaine n’ont pas été contractualisés.

Au demeurant, et même en l’absence de contractualisation, la question d’une éventuelle modification du contrat de travail ne devra pas être évacuée pour autant.

En effet, par principe, en l’absence de toute contractualisation des horaires, une nouvelle répartition du temps de travail ne constitue pas une modification du contrat [10].

Cependant, ce principe invite à la prudence, puisqu’en cas de bouleversement très important des conditions de travail [11], portant notamment atteinte au droit du salarié au respect de sa vie personnelle ou à son droit au repos [12], une modification du contrat de travail nécessite l’accord du salarié - ce qui peut être le cas en présence de famille monoparentale, nombreuse ou composée de membres en situation de handicap.

Ainsi, et avant de s’avancer dans un changement de rythme de travail sur 4 jours, il convient au préalable de s’assurer de sa compatibilité économique, humaine et juridique.

III. Choisir la « forme » : semaine « de » ou « en » 4 jours ? Pour tous ?

La mise en place d’un rythme de travail sur 4 jours peut prendre plusieurs formes juridiques.

Afin de déterminer le dispositif retenu, l’employeur devra répondre à trois principales questions :

Quel est son impact sur la durée du travail hebdomadaire ?  En effet, la mise en place de cette nouvelle organisation peut prendre la forme :

  • d’une réduction du temps de travail : semaine « de » 4 jours.

La mise en place de la semaine « de » 4 jours revient à réduire la durée collective du travail, en la passant en dessous de 35 heures, ce qui, lorsqu’elle est fixée par voie conventionnelle, ne constitue pas du temps partiel [13].

Cette hypothèse tend notamment à la mise en place de la semaine de 32 heures (4 journées de 8 heures).

Si cette formule a pour avantage une amplitude de travail moins importante et une meilleure maîtrise des durées maximales du travail, elle a pour inconvénient potentiel une baisse corrélative de la rémunération, sauf à la maintenir.

Or, une baisse cumulative de la durée du travail et de la rémunération constitue une modification du contrat de travail, nécessitant l’accord express du salarié [14], qui ne peut être considéré comme acquis au regard de l’impact sur son pouvoir d’achat ;

  • d’une contraction de la durée du travail sur un nombre de jours travaillés réduit : semaine « en » 4 jours.

Cette hypothèse conduit à réaliser, sur 4 jours, 35 heures (soit 8h45 par jour) ou 39 heures (9h45 par jour). Ce rythme a pour principal avantage une absence de modification des contrats de travail, la durée hebdomadaire et la rémunération étant identiques [15], mais a pour principale contrainte le respect de la durée maximale quotidienne de travail (10 heures) [16] qui conduira à l’exécution réduite, si ce n’est impossible, d’heures supplémentaires.

Naturellement, ces deux hypothèses ne sont pas exclusives l’une de l’autre, puisque repenser l’aménagement du temps de travail peut également conduire à repenser la durée de travail, et donc le temps de travail dans sa globalité au sein de l’entreprise.

Comment organiser la prise de cette nouvelle journée de repos ?

Plusieurs options existent, et se cumulent parfois, mais, en réalité, ce choix repose quasi-exclusivement sur les contraintes d’activité et/ou de service.

Les hypothèses suivantes, tirées d’expérimentations, peuvent être citées :

  • le salarié propose à sa convenance son jour de repos et le manager le valide/modifie lors de l’établissement des plannings ;
  • la prise par roulement du jour de repos dans la semaine, soit entre binômes ou par roulement d’équipes, afin de garantir la continuité de l’activité / du service ;
  • la fixation de deux ou trois journées éligibles à la prise de repos (souvent le lundi, mercredi ou vendredi) sur lesquelles le collaborateur se positionne soit de manière pérenne, soit d’une semaine à l’autre ;
  • la fixation d’une journée unique de repos pour l’ensemble des salariés (vendredi), induisant la fermeture de la société sur cette journée.

La semaine de 4 jours est-elle applicable à tous les salariés et/ou services de l’entreprise ?

La mise en place de la semaine de 4 jours n’a pas obligatoirement à être appliquée à l’ensemble des salariés de la société.

En pratique, pour des raisons organisationnelles, économiques, voire juridiques, il est possible et même nécessaire d’exclure certains salariés et/ou services sur la base de critères objectifs, tenant notamment :

  • pour les collaborateurs, à des critères portant sur : la volonté du salarié (volontariat), l’ancienneté/l’expérience ou un besoin spécifique de formation ou d’encadrement (stagiaires, apprentis, nouveaux embauchés, etc.) ;

Attention toutefois, pour les collaborateurs âgés de moins de 18 ans, à l’interdiction de travailler plus de 8 heures par jour, devant conduire à réduire leur durée hebdomadaire de travail à 32 heures ou plus simplement à les écarter de ce dispositif ;

  • à certains services ou unités de travail, en raison d’horaires atypiques, de nécessité de service, de continuité, de gestion des urgences, etc.

En tout état de cause, les cas d’exclusions du dispositif devront être clairement précisés et reposer sur des critères objectifs.

IV. Choisir la traduction juridique de ce nouveau rythme de travail

A. Une mise en place par voie conventionnelle et transitoire fortement recommandée

En raison du contexte historique précédemment rappelé, le cadre juridique de la semaine de 4 jours doit être posé en fonction de la question suivante : l’activité de la société entre-t-elle dans le champ d’application de l’un des décrets de la loi des 40 heures ?

En effet, deux régimes juridiques coexistent :

  • Le premier est applicable aux sociétés qui relèvent, en raison de leur activité, de l’un des décrets d’application de la loi sur les 40 heures [17].

Pour ces entreprises, la mise en place par voie conventionnelle ne fait pas débat.

En effet, l’article L. 3121-68 du Code du travail N° Lexbase : L6662K9M dispose : « il peut être dérogé par convention ou accord collectif étendu ou par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement à celles des dispositions des décrets prévus à l'article L. 3121-67 qui sont relatives à l'aménagement et à la répartition des horaires de travail à l'intérieur de la semaine […] ».

Les concernant, la mise en place par décision unilatérale semble plus risquée, puisqu’une telle mise en place reposerait sur les dispositions transitoires de l’article 3 de l’ordonnance du 13 janvier 1982, abrogeant l’article L. 212-2-1 du Code du travail [18], sous réserve de nouvelles mesures réglementaires, qui se font, encore aujourd’hui, attendre.

Cette voie apparaît plus incertaine en raison de cet oubli du législateur.

  • Le second est applicable à toutes les autres entreprises, pour lesquelles aucune disposition du Code du travail n’encadre la mise en place par décision unilatérale ou par voie conventionnelle.

Dans un cas comme dans l’autre, la mise en place par voie conventionnelle restera à privilégier.

Ce d’autant plus que la négociation de ce nouveau rythme de travail permet de nourrir des thèmes de négociations obligatoires [19], et pourrait constituer un levier visant, notamment, à compenser le gel de rémunération.

Surtout, la voie conventionnelle permettra de s’assurer d’une légitimité sociale de ce nouveau dispositif et pourra ainsi limiter le risque de revendications, outre la sécurisation éventuelle de différences de traitement.

Au regard des bouleversements engendrés par la semaine de travail de 4 jours, il est, en tout état de cause, fortement recommandé de conclure, dans un premier temps, un accord à durée déterminée, fixant de manière claire son caractère expérimental afin de permettre un retour à la semaine de 5 jours, si l’expérience n’était pas probante.

Enfin, on rappellera que, même si la consultation du CSE n’est pas obligatoire avant la conclusion d’un accord collectif [20], une consultation de l’instance devra être menée [21], cet accord touchant à la marche générale de l’entreprise, aux conditions et à la durée du travail, et pourra être facilitée si les élus sont associés au processus dès la phase préalable d’audit de compatibilité.

Cette consultation devra également être doublée d’une consultation sur la mise à jour du DUERP, celui-ci devant nécessairement être amendé au regard des bouleversements en matière de conditions de travail suscités par la semaine « de » ou « en » 4 jours.

En effet, l’aspect santé, sécurité et conditions de travail de ce dispositif ne devra pas être négligé au regard des risques liés à l’allongement de journée, à la condensation de la charge de travail sur 4 jours, et à l’éventuelle charge mentale des managers liée à une complexification des plannings [22].

B. La semaine de 4 jours nécessitera pour certains collaborateurs des adaptations supplémentaires

Il va être ici notamment question des collaborateurs en forfait annuel en jours et des collaborateurs à temps partiel.

Concernant les premiers, il convient de rappeler que le dispositif du forfait annuel en jours implique, par nature, pour ces salariés, une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps conduisant ces derniers à s’affranchir de tout décompte horaire et, en conséquence, de toute organisation hebdomadaire du travail [23].

À cet égard, la semaine de travail de 4 jours apparait incompatible avec le forfait annuel en jours.

Cependant, la question de la semaine de 4 jours peut être appréhendée par le prisme de l’égalité de traitement puisque les salariés bénéficiant d’une organisation hebdomadaire du travail en 4 jours seront amenés en moyenne à travailler 180 jours par an contre, au maximum, 218 jours pour les salariés au forfait annuel en jours [24].

Quoiqu’il en soit, l’application de la semaine de 4 jours pour les salariés en forfait annuel en jours devra nécessairement passer par une adaptation de ce dispositif pouvant prendre trois formes :

  • un passage à un forfait annuel en jours réduit sur la base du volontariat, qui doit conduire à baisser le nombre de jours travaillés et, donc, intrinsèquement, à une réduction de la charge de travail. Cette dernière réduction peut cependant s’avérer difficile, compte tenu des postes éligibles à ce dispositif ;
  • le maintien d’un forfait annuel en jours (entier) intégrant des jours de repos sui generis de réduction de la semaine de travail en 4 jours, que le collaborateur devra utiliser d’une semaine sur l’autre sans possibilité de les stocker, récupérer, racheter, et dont la prise impose au collaborateur d’organiser sa semaine sur 4 jours.

Ce dispositif devrait conduire, mécaniquement, à un allègement de la charge de travail, mais, cette fois-ci, sans baisse de rémunération pour le collaborateur, et avec un coût supplémentaire pour l’entreprise, qui devra financer ces nouveaux jours de repos.

  • L’abandon du forfait annuel en jours au profit d’un dispositif de durée du travail par référence horaire.

Cette dernière option, si elle est possible, n’apparait cependant pas satisfaisante puisqu’elle est synonyme de retour en arrière et d’une rigidification du temps de travail pour des postes pour lesquels l’agilité organisationnelle est requise.

Concernant les seconds (salariés à temps partiel), la mise en place de ce dispositif pourra amener une modification de la répartition de leur durée de travail entre les jours de la semaine, pour les contrats établis sur une base hebdomadaire.

Cette répartition constituant une mention obligatoire du contrat de travail à temps partiel [25], en cas de modification, la société devra nécessairement établir un avenant au contrat de travail des collaborateurs à temps partiel.

V. Se doter d’outils de suivi pour mesurer la pertinence et l’application concrète de ce dispositif

Comme précédemment évoqué, il est fortement recommandé de s’orienter, dans un premier temps, vers un dispositif expérimental, d’une durée suffisante, pour appréhender l’impact de ce nouveau rythme de travail.

De manière corrélative, des outils de mesure et de suivi, tant individuels que collectifs, devront être mis en place afin de s’assurer de l’efficacité du dispositif, mais également de sa pérennité en matière de santé et sécurité au travail.

Dans ce cadre, et à l’instar de tout aménagement atypique du temps de travail, des mécanismes de suivi devront être prévus, et pourront, par souci de sécurité, être calqués sur ceux déjà mis en place pour les forfaits annuel en jours :

  • entretiens individuels réguliers : lors de la mise en place du dispositif, puis a minima trimestriels ;
  • adaptation des comptes-rendus d’entretiens d’évaluation annuelle afin d’intégrer une rubrique spécifique à l’organisation du temps et de la charge de travail sur 4 jours ;
  • dispositif d’alerte pouvant être actionné par le collaborateur en cas de difficulté ;
  • clause de réversibilité à l’initiative du collaborateur, lui permettant de revenir à un rythme de travail sur 5 jours.

À ces outils de suivi, devront s’ajouter des indicateurs économiques permettant de s’assurer de la compatibilité effective de ce nouveau rythme de travail avec l’activité et l’organisation de l’entreprise.

Il s’agira notamment d’analyser l’évolution des indicateurs suivants :

  • chiffre d’affaires et de la rentabilité de la société ;
  • satisfaction client ;
  • absentéisme ;
  • accidents du travail et maladies professionnelles ;
  • turnover.

Dans ce cadre, la constitution d’une commission de suivi constituera un atout pour établir un rapport conclusif de l’expérience, permettant à l’employeur, en fonction des données collectées, d’entériner, de manière pérenne ou non, ce nouveau rythme de travail en 4 jours par semaine.

En conclusion, la transition vers la semaine de quatre jours nécessite une préparation soignée, tant sur les plans économique, humain que juridique. Pour en garantir le succès, il est impératif de réaliser un diagnostic préalable au sein de l’entreprise afin d’élaborer un dispositif juridique, d’abord transitoire, adapté à l’organisation et en harmonie avec les intérêts économiques et humains de la société.


[1] Sondage IFOP/Politis sur la semaine de 4 jours, 21 mars 2024 [en ligne].

[2]  Baromètre de l’Économie AGPI, Challenges et BFM Business, 8 février 2024 [en ligne].

[3] Utah's Demise of the Four-Day Workweek, Governing.com, 12 juillet 2011 [en ligne].

[4] Peines d’amende pour le PDG d’International Décor, Le Monde, 30 octobre 1978.

[5] Le PDG qui avait instauré la semaine de quatre jours est relaxé, Le Monde, 26 mars 1979.

[6] Loi n° 79-3 du 2 janvier 1979, relative à la durée du travail et au travail de nuit des femmes, art. 2 [en ligne].

[7] Semaine en 4 jours, horaires flexibles : des formules qui séduisent, mais dont les avantages pour l’ensemble des salariés restent à démontrer, Étude CREDOC réalisée pour la Fondation The Adecco Group, avril 2024 [en ligne].

[8] Cette démarche touchant à la marche générale (C. trav., art. L. 2312-8 N° Lexbase : L6660L7S), un travail concerté avec le CSE apparait pertinent.

[9] C. trav., art. L. 2253-1, 6° N° Lexbase : L1406LKB.

[10] Cass. soc., 27 juin 2001, n° 99-42.462, publié N° Lexbase : A5989AGW.

[11] Cass. soc., 5 juin 2013, n° 12-12.953, F-D N° Lexbase : A3306KGK.

[12] Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-14.702, FS-P+B N° Lexbase : A5255HZN.

[13] C. trav., art. L. 3123-1 N° Lexbase : L6834K9Y.

[14] Cass. soc., 4 mai 2011, n° 10-14.767, F-D N° Lexbase : A2630HQH.

[15] Sous réserve d’une absence de contractualisation des horaires de travail et/ou de leur répartition sur la semaine.

[16] Article L. 3121-18 du Code du travail.

[17] À noter, il existait moins de secteurs d’activité en 1936, de sorte que de nombreuses sociétés ne sont pas couvertes par de tels décrets.

[18] Pour mémoire, l’article L. 212-2-1 du Code du travail N° Lexbase : L5839ACA a été introduit par la loi du 2 janvier 1979, et a ouvert la possibilité pour l’employeur de fixer unilatéralement, après avis conforme du comité d’entreprise ou, à défaut des délégués du personnel, l’organisation du temps de travail sur 4 ou 4,5 jours ouvrables dans la semaine. 

[19] C. trav., art. L. 2241-1 N° Lexbase : L4955LRX (la rémunération et le temps de travail), L. 2242-1, 2° N° Lexbase : L4403L79 (l’égalité professionnelle et QVCT) et L. 2241-2 N° Lexbase : L7798LGW (GEPP).

[20] C. trav., art. L. 2312-14 N° Lexbase : L8247LGK.

[21] C. trav., art. L. 2312-8 N° Lexbase : L6660L7S.

[22] Semaine en 4 jours, horaires flexibles : des formules qui séduisent, mais dont les avantages pour l’ensemble des salariés restent à démontrer, Étude CREDOC réalisée pour la Fondation The Adecco Group, avril 2024 [en ligne].

[23] C. trav., art. L. 3121-58 N° Lexbase : L6647K93.

[24] C. trav., art. L. 3121-64 N° Lexbase : L7344LHH.

[25] C. trav., art. L. 3123-6 N° Lexbase : L6829K9S.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La liquidation judiciaire n’entraîne plus clôture du compte courant

Réf. : Cass. com., 11 septembre 2024, n° 23-12.695, FS-B N° Lexbase : A53445YL

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N0379B3G

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

Le 26 Septembre 2024

Mots-clés : liquidation judiciaire – effets - clôture du compte courant (non) – possibilité de poursuite de la caution (non)

La liquidation judiciaire n’entraîne pas la clôture du compte courant. Il en résulte que le créancier ne peut poursuivre la caution du solde débiteur du compte, en se prévalant de la liquidation judiciaire du débiteur, faute de clôture du compte.


 

Selon une jurisprudence bien établie, la caution du solde débiteur d’un compte courant ne peut être poursuivie par le créancier qu’après clôture du compte courant [1]. C’est pourquoi, faute de clôture du compte et d’exigibilité de la créance de solde débiteur de compte courant, en cas de redressement judiciaire, la caution ne peut être poursuivie [2]. Le fait que le juge-commissaire ait autorisé l’administrateur judiciaire à solliciter la clôture du compte et à obtenir l'ouverture d'un autre compte « redressement judiciaire » est indifférent, car du fait de la continuation de la convention de compte courant et de découvert, c’est juridiquement le même compte courant qui a continué de fonctionner après l'ouverture du redressement judiciaire [3].

Selon une jurisprudence posée sous l’empire des législations précédentes, l’ouverture de la liquidation judiciaire (liquidation judiciaire immédiate) ou le prononcé de la liquidation judiciaire (liquidation judiciaire sur conversion d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire) entraînait la clôture du compte [4]. Il en résultait que le solde de ce compte devenait immédiatement exigible contre le débiteur et autorisait la poursuite immédiate de la caution [5].

C’est sur le fondement de cette jurisprudence que, en l’espèce, une banque avait cru devoir assigner une caution.

En l’espèce, la société Robert Beranger a ouvert un compte courant auprès de la société Banque Marze aux droits de laquelle vient la société Banque populaire du Sud (la banque).

Le 7 février 2018, la société MV Finances s'est portée caution de tous les engagements de la société Robert Beranger envers la banque à hauteur d'un montant de 150 000 euros.

La société Robert Beranger a été mise en redressement puis liquidation judiciaire les 11 juillet 2018 et 10 juillet 2019.

Après avoir déclaré une créance de 48 333,54 euros au titre du solde débiteur du compte, la banque a assigné en paiement la caution.

La cour d’appel de Grenoble ne va pas faire droit à sa demande [6]. La banque va alors se pourvoir en cassation en se prévalant de la jurisprudence de la Cour de cassation posant en règle que la liquidation judiciaire entraîne clôture du compte courant, d’où il résulte que la liquidation judiciaire autorise la poursuite de la caution au titre du solde débiteur du compte courant.

Pourtant, la Cour de cassation ne va pas faire droit au moyen soulevé par la banque et, en conséquence, rejeter le pourvoi.

Pour ce faire, la Cour de cassation va constater que « Selon l'article L. 641-11-1 N° Lexbase : L3298IC7, I, alinéa 1er, introduit dans le Code de commerce par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 N° Lexbase : L2777ICT, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire.  Ce texte, entré en vigueur le 15 février 2009, a transposé à la liquidation judiciaire les règles identiques résultant de l'article L. 622-13 du Code de commerce N° Lexbase : L7287IZW édictées pour la sauvegarde et rendues applicables au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 de ce code N° Lexbase : L9175L7X ».

La Chambre commerciale de la Cour de cassation va ensuite rappeler sa propre jurisprudence en la matière, en se référant à un arrêt de sa chambre en date 13 décembre 2016 [7], qui avait jugé que le compte courant d'une société étant clôturé par l'effet de sa liquidation judiciaire, il en résultait que le solde de ce compte était immédiatement exigible de la caution.

La Cour de cassation relève que la solution ainsi posée en 2016 avait fait l’objet de vives critiques doctrinales, la qualifiant de contra legem. En effet, la doctrine la plus autorisée [8] considérait que « cette solution est contraire, non seulement aux principes régissant la continuation des contrats en cours, mais aussi au texte clair de l’article R. 641-37 N° Lexbase : L1065HZH [9] qui prévoit le maintien des comptes pendant six mois au moins, si bon semble au liquidateur, ou à l’administrateur s’il en a été désigné : ce texte énonce en effet que le liquidateur "peut faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires du débiteur pendant un délai de six mois à compter du jugement prononçant la liquidation ou, au-delà, pendant la durée du maintien de l’activité autorisée par le tribunal [….] L’utilisation ultérieure de ces comptes est subordonnée à l’autorisation du juge-commissaire délivrée après avis du ministère public" (art. R. 641-37). Rien ne justifie donc le maintien de cette jurisprudence et la rupture du crédit du fait de la clôture du compte ».

Voici ce qui a conduit la Cour de cassation à abandonner, par cet arrêt du 11 septembre 2024, sa propre jurisprudence et à procéder à un authentique revirement qu’elle signale ainsi dans son arrêt : « Le compte courant non clôturé avant le jugement d'ouverture constitue un contrat en cours, de sorte qu'en l'absence de disposition légale contraire, les textes précités [C. com., art. L. 641-11-1, I, alinéa 1er], lui sont applicables ». Or, selon l’article L. 641-11-1, I, alinéa 1er, du Code de commerce, « nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire ». Par conséquent, et contrairement à la solution antérieurement retenue en la matière, la Cour de cassation ne pouvait continuer à soutenir, sans fondement juridique tiré d’un texte, que la liquidation judiciaire entraînait résolution d’un certain type de contrat, à savoir le compte courant. 

Le message est entendu. Il est très lourd de conséquences pour les banquiers. Cela signifie, en effet, que le compte courant continue à fonctionner même en liquidation judiciaire. Si, au compte est attachée une ouverture de crédit, explicite ou tacite, celle-ci est continuée de plein droit en liquidation judiciaire ce qui autorise, en théorie, le liquidateur à utiliser la ligne de crédit complètement. Il est cependant douteux que, en dehors d’une poursuite de l’activité, un liquidateur utilise la faculté qui lui est ainsi offerte. En effet, il créerait des dettes couvertes par les dispositions de l’article L. 641-13 N° Lexbase : L1065HZH, en tant que dettes nées de la continuation d’un contrat, éligibles comme telles au traitement préférentiel réservé aux créanciers postérieurs et cela pourrait lui être reproché s’il ne parvenait pas ensuite à rembourser le banquier. Mais la solution doit sans doute être nuancée s’il est question d’une liquidation judiciaire avec poursuite d’activité. Nul doute alors que cela devrait faciliter la tâche du liquidateur ou de l’administrateur judiciaire confronté aux besoins de la poursuite provisoire de l’activité.

Si le liquidateur ne prend pas l’initiative de résilier spontanément le contrat comme il en a la faculté en vertu du 3° du III de l’article L. 641-11-1 du Code de commerce, les banquiers devront donc prendre le soin de dénoncer les concours en utilisant les dispositions de l’article L. 313-12, alinéa 2, du Code monétaire et financier N° Lexbase : L2507IX7 [10] et, en se fondant sur le fait que si le débiteur est en liquidation judiciaire, sa situation est irrémédiablement compromise. Cela les autorisera alors à rompre immédiatement les concours, et par conséquent les ouvertures de crédit non encore utilisées, sans avoir à respecter le délai de préavis mentionné à l’alinéa 1er de l’article L. 313-12 du même code [11].

Pour autant, le contrat de compte courant, quant à lui, ne sera pas résilié. Si le solde débiteur de ce contrat est cautionné, il est impératif que le banquier se préoccupe de le faire résilier pour que la dette de solde débiteur devienne exigible contre la caution. Il faudra que le banquier utilise les dispositions de l’article L. 641-11-1 du Code de commerce pour qu’il soit procédé à la clôture du compte par l’effet d’une résiliation. Pour cela, l’établissement de crédit devra mettre en demeure le liquidateur judiciaire d’avoir à opter sur la continuation du compte bancaire. S’il n’y a pas de poursuite d’activité, logiquement, le liquidateur ne devrait pas opter pour la continuation du contrat et cela entraînera résiliation.

En revanche, si le liquidateur opte pour la continuation du contrat, il sera important pour le banquier de dénoncer immédiatement l’ouverture de crédit adossée au compte courant, sur le fondement de l’existence d’une situation irrémédiablement compromise du débiteur placé en liquidation judiciaire. À défaut, s’il advenait que l’utilisation de cette ouverture ne soit pas remboursée au banquier en tant que créance postérieure couverte par les dispositions de l’article L. 641-13, la responsabilité du banquier pourrait être recherchée par la caution. En effet, lorsque cette dernière sera poursuivie postérieurement à la clôture du compte, elle pourrait reprocher au banquier d’avoir maintenu ses concours en faveur d’un débiteur en situation irrémédiablement compromise, en ce qu’il faisait l’objet d’une liquidation judiciaire. La solution n’est cependant pas certaine. En effet, l’article L. 650-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3503ICQ pose un principe d’irresponsabilité du dispensateur de crédit assorti de trois exceptions : « Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci ». Or, même si l’esprit de ce texte est sans doute de ne s’intéresser qu’aux concours consentis avant le jugement d’ouverture d’une procédure collective, la lettre du texte ne pose pas de distinction selon que le concours est antérieur ou postérieur au jugement d’ouverture. Le doute est donc permis !


[1] Cass. com., 16 avril 1996, n° 94-14.250 N° Lexbase : A1401ABI.

[2] Cass. com., 3 janvier 1995, n° 90-19.832, publié N° Lexbase : A3766AB4, JCP E, 1995, I, 457, n° 16, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; JCP 1995, I, 3851, n° 8, obs. Ph. Simler et Ph. Delebecque ; Rev. proc. coll., 1995, 324, n° 3, obs. Kerckhove – Cass. com., 2 mars 1999, n° 96-16.938, inédit N° Lexbase : A6944AHN, Act. proc. coll., 1999, n° 103, obs. C. Regnaut-Moutier ; Rev. proc. coll., 2000, 55, n° 3, obs. Kerckhove – Cass. com., 15 avril 2008, n° 07-12.590, F-D N° Lexbase : A9685D7T.

[3] Cass. com., 11 juin 2003, n° 00-12.382, F-D N° Lexbase : A7092C88 – Cass. com., 16 décembre 2008, n° 07-21.764, F-D N° Lexbase : A9120EBE, Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 34, note R. Bonhomme ; P.-M. Le Corre, in Chron., janvier 2009, n° 334 N° Lexbase : A9120EBE

[4] Cass. com., 19 mai 2004, n° 02-18.570, FS-P+B N° Lexbase : A2732DC8, JCP E, 2004. 1292, n° 5, obs. M. Cabrillac – Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-21.521, FS-P N° Lexbase : A6695AYM, Act. proc. coll., 2002-12, n° 155, note J. Ch. Boulay ; Rev. proc. coll., 2003, p. 240, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle – Cass. com., 20 janvier 1998, n° 95-17836, RTD Com., 1998, 393, obs. M. Cabrillac.

[5] Cass. com., 13 décembre 2016, n° 14-16.037, F-P+B N° Lexbase : A2282SXS, D., 2017, 2002, note P. Crocq ; Act. proc. coll., 2017/2, comm. 30, note P. Petit ; Gaz. Pal., 21 février 2017, n° 8, 32, note M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD civ., 2017, 196, n° 2, note P. Crocq ; Rev. proc. coll., mars/avril 2017, comm. 27, note Ch. Gijsbers et comm. 64, note Fl. Reille ; Dr. & pat., mai 2017, n° 269, 92, note A. Aynès ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, janvier 2017, n° 495 N° Lexbase : N6216BW7.

[6] CA Grenoble, 19 janvier 2023, n° 21/01643 N° Lexbase : A53832BY.

[7] Cass. com., 13 décembre 2016, n° 14-16.037, préc.

[8] F. Pérochon, La continuation des concours bancaires en faveur d’une entreprise en difficulté, in « Contentieux bancaire des procédures collectives », éd. Bruylant, coll. Procédure(s), p. 54, n° 38.

[9] Et des textes qui l’ont précédé.

[10] « L'établissement de crédit ou la société de financement n'est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l'ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise ».

[11] « Tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours […] ».

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Notaires

[Focus] Pratique notariale du règlement d’une succession dans un contexte franco-italien

Lecture: 18 min

N0395B3Z

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par Maxime Loriot, Notaire Stagiaire - Doctorant en droit international privé à l’Université Panthéon-Sorbonne

Le 25 Septembre 2024

Mots-clés : succession internationale • Italie • civil • fiscal • notaires

Le présent article a pour objet de préciser les spécificités liées au traitement civil et fiscal d’une succession dans un contexte franco-italien.


 

Les faits

Madame B. est domiciliée en Italie, près de Venise, depuis désormais 3 ans où elle est en location dans un appartement vénitien. Décédée à l’âge de 62 ans, elle avait fait le choix de quitter la région parisienne afin de se rapprocher de ses proches italiens et de vivre le rêve d’une vie : la « dolce vita » italienne.

Elle laisse au jour de son décès son conjoint et son fils, Roberto, né de son union avec celui-ci, tous deux résidents à Venise.

Madame B. possédait la nationalité française. Son patrimoine est composé au jour de son décès des éléments d’actifs suivants :

  • un appartement parisien qui constituait jusqu’alors sa résidence principale, d’une valeur de 800 000 euros,
  • un appartement à Nice d’une valeur de 500 000 euros représentant sa résidence secondaire,
  • des liquidités bancaires sur un compte ouvert auprès d’une banque française à hauteur de 80 000 euros,
  • des liquidités bancaires sur un compte ouvert auprès d’une banque italienne à hauteur de 20 000 euros,
  • 10 000 actions au capital de la société Prada et 5 000 actions au capital de la société Armani, sociétés italiennes cotées en bourse.

Artiste dans l’âme, Madame B. a consacré sa carrière à la peinture et à la sculpture en France. L’ensemble de ses revenus étaient de source française.

Par ailleurs, avant son décès, la défunte avait pris le soin de consulter un notaire et avait rédigé un testament olographe. Le testament olographe contenait notamment un legs de plusieurs de ses oeuvres d’art à son oncle domicilié en Italie.

I. Le Règlement civil de la succession dans un contexte franco-italien

Le Règlement européen en matière de successions du 4 juillet 2012 pose les règles de détermination de la loi applicable à la succession (Règlement UE n° 650/2012, du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen N° Lexbase : L8525ITW).

La règle de principe de l’article 21 prévoit que la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (sous réserve de l’application d’une clause d’exception si le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un autre État que celui dont la loi serait applicable en vertu de la règle de principe).

Toutefois, le règlement ne définit pas expressément la notion de « résidence habituelle » mais les considérants 23 et 24 du Règlement prévoient qu’il s’agit de l’État avec lequel le défunt entretenait des liens étroits et stables.

Application au cas d’espèce - En l’espèce, la défunte avait sa résidence habituelle en Italie lors de son décès depuis 3 ans. Elle n’avait pas fait de choix de loi (de « professio juris ») avant l’ouverture de la succession. Néanmoins, elle a fait le choix depuis 3 ans de quitter la région parisienne pour se rapprocher de ses proches en Italie et réside désormais habituellement à Venise.

Par conséquent, la loi applicable à la succession de la défunte italienne sera la loi italienne dans la mesure où la défunte s’est installée en Italie il y a 3 ans, sous réserve de l’application de la clause d’exception si elle présente des liens manifestement plus étroits avec la France.

En droit italien, le législateur [1] fixe la part revenant à chaque catégorie de personnes identifiées en fonction du nombre et de la nature des membres de la famille en vie lors du décès du défunt.

Dans l’hypothèse où le défunt laisse à son décès un conjoint et un enfant, l’article 581 du Code civil  italien prévoit que l’enfant aura vocation à recueillir la moitié de la succession, tout comme le conjoint survivant.

Tableau récapitulatif de la part réservataire en droit italien :

Lien de parenté

Part réservataire

Conjoint sans présence d’enfants

1/2 (quotité disponible : 1/2)

Conjoint avec 1 enfant présent

1/3 pour chaque (quotité disponible : 1/3)

Conjoint avec 2 enfants ou plus

25 % pour le conjoint ; 50 % divisé à parts égales entre les enfants (quotité disponible : 1/3)

Conjoint en présence d’ascendants ou collatéraux

2/3 pour le conjoint (quotité disponible 1/3)

Enfants sans conjoint

Parts égales

Une fois la loi applicable à la succession déterminée, quel est le traitement fiscal d’une succession franco-italienne ?

II. Le règlement fiscal de la succession dans un contexte franco-italien

A. La qualification préalable de la résidence fiscale en l’absence de convention fiscale

Les critères retenus pour la détermination du domicile fiscal sont définis au sein du Code général des impôts. L’article 4 B du CGI N° Lexbase : L6146LU8 prévoit une série de rattachements alternatifs de nature à caractériser le domicile fiscal.

Est ainsi considérée comme résident fiscal français toute personne qui remplit l’un des critères suivants [2] :

  • avoir en France son foyer ou à défaut, son lieu de séjour principal,
  • exercer en France une activité professionnelle à titre principal (salariée ou non),
  • avoir en France le centre de ses intérêts économiques.

Le foyer ou lieu de séjour principal

D’une part, le foyer s’entend comme le lieu où les intéressés habitent normalement, c'est-à-dire le lieu de la résidence habituelle, à condition que cette résidence en France ait un caractère permanent.

En jurisprudence, les juges du Conseil d’État [3] ont défini la notion de foyer comme le lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu’il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles. Le juge ne tiendra pas compte des séjours effectués à l’étranger temporairement s’ils ont un caractère exceptionnel ou sont justifiés par des motifs d’ordre professionnel.

Le lieu du séjour principal du contribuable ne peut déterminer son domicile fiscal que dans l’hypothèse où celui-ci ne dispose pas de foyer [4]. Il se définit comme le lieu où le contribuable y séjourne au moins six mois au cours d’une année déterminée.

L’activité professionnelle

Par principe, doivent être également considérées comme ayant leur domicile en France les personnes qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire. En cas d’exercice de plusieurs activités, le juge est tenu d’identifier l’activité à laquelle il consacre le plus de temps.

Pour les salariés, le domicile est fonction du lieu où ils exercent effectivement et régulièrement leur activité professionnelle.

Pour les mandataires sociaux d'une société dont le siège social ou le siège de direction effective est situé en France, cette situation implique, en principe, l'exercice en France du mandat social.

Pour les professionnels indépendants, le domicile est déterminé en France si le contribuable a un point d’attache fixe et s’il y exercice son activité à titre principal.

La notion d’intérêts économiques

La notion d’intérêts économiques renvoie au lieu où les contribuables ont effectué leurs principaux investissements, où ils possèdent le siège de leurs affaires, d'où ils administrent leurs biens. Ceci peut être également le lieu où les contribuables ont le centre de leurs activités professionnelles ou d'où ils tirent, directement ou indirectement, la majeure partie de leurs revenus. S’ils possèdent plusieurs activités ou sources de revenus, on prend en compte le centre de ses intérêts où il tire la majeure partie de ses revenus.

Pour les titulaires de mandats sociaux au sein de plusieurs sociétés dont les sièges sociaux ou de direction effective respectifs sont situés dans différents pays, le centre des intérêts économiques est recherché, selon les circonstances propres à chaque espèce, en tenant compte des liens entre les mandats sociaux exercés.

En jurisprudence [5], le Conseil d’État a récemment jugé que le fait de percevoir ses retraites en France peut rendre le contribuable résident fiscal français alors même qu’il pensait avoir transféré sa résidence fiscale à l’étranger, et ainsi le rendre imposable sur ses revenus mondiaux en France.

Application au cas d’espèce - En l’espèce, en l’absence de convention fiscale et par application de l’article 4 B du CGI, la défunte pourrait être considérée résidente fiscale italienne dans la mesure où elle a sa résidence habituelle en Italie mais également résidente fiscale française pour plusieurs raisons :

  • elle possède un patrimoine immobilier conséquent en France (appartement parisien, résidence secondaire à Nice),
  • elle tire ses revenus de son activité d’artiste en France,
  • elle possède ses principaux comptes bancaires en France.

Par conséquent, dans  la mesure où le centre de ses intérêts économiques semblent être en France, la défunte pourrait se retrouver dans un cas de double résidence fiscale : être résidente fiscale française et italienne.

B. Les règles de territorialité du droit fiscal interne français

En l’absence de conventions fiscales,  l’article 750 ter du Code général des impôts régit les règles de territorialité en matière de droits de succession et prévoit des règles de taxation différentes tenant au lieu du domicile du défunt, de ses héritiers ou au lieu de situation des biens :

  • si le défunt a son domicile fiscal en France (au sens de l’article 4B du Code général des impôts) : l’ensemble du patrimoine immobilier et mobilier du défunt sera taxable en France, peu importe qu’il soit situé en France ou à l’étranger (CGI, art. 750 terN° Lexbase : L9528IQX),
  • si l’héritier a son domicile fiscal en France au jour du décès et l'a eu également pendant au moins six ans au cours des dix années précédant le décès : tous les biens reçus par lui, qu’ils soient situés en France ou hors de France seront taxés en France (CGI, art. 750 ter 3°),
  • si ni le défunt ni l’héritier ne sont domiciliés en France au jour du décès : seuls les biens meubles et immeubles situés en France seront taxés en France (CGI, art. 750 ter 2°).

Néanmoins, afin de favoriser les transmissions patrimoniales dans un contexte international, le droit français offre des solutions permettant de limiter les phénomènes de doubles impositions.

Le droit français prévoit un mécanisme de crédit d’impôt à l’article 784 A du CGI N° Lexbase : L8193HLZ. Selon ce mécanisme, l’impôt acquitté hors de France, pour les biens situés à l’étranger, est imputable sur l’impôt dû en France à raison de ces mêmes biens.

La notion d’impôt acquitté « hors de France » s’entend non seulement de l’impôt effectivement acquitté à l’étranger mais également dans les collectivités d’outre-mer.

Ce crédit d’impôt est applicable uniquement lorsque le défunt/donateur est domicilié en France ou lorsque l’héritier, légataire ou donataire est domicilié en France et l’a été pendant six ans au cours des dix dernières années.

Application au cas d’espèce - En l’espèce, les dispositions de l’article 750 ter du Code général des impôts n’auront pas vocation à s’appliquer dans la mesure où il existe une convention fiscale franco-italienne relative à l’élimination des doubles impositions en matière de donation et succession, en date du 20 décembre 1990.

C. L’application prioritaire de la convention fiscale franco-italienne du 20 décembre 1990

La France et l’Italie ont conclu le 20 décembre 1990 une convention fiscale bilatérale, qui a vocation à primer le droit national, afin de prévoir des règles spécifiques pour éviter le phénomène de double imposition en matière de donation et de succession.

Pour aller plus loin, ÉTUDE : Italie, in Conventions fiscales internationales, Lexbase N° Lexbase : E8198ETS

L’article 4 de la convention franco-italienne détermine les règles applicables à la domiciliation fiscale du défunt. Les critères permettant d’apprécier la domiciliation, hiérarchisés, sont les suivants :

1.    la notion de foyer d'habitation permanent ou, à défaut,

2.    le centre des intérêts vitaux, c’est-à-dire l’État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits ou, à défaut,

3.    le lieu de séjour habituel du défunt ou, à défaut,

4.    la nationalité du défunt.

Application au cas d’espèce - En l’espèce, l'expression « foyer d'habitation permanent » désigne tout logement dont la personne concernée dispose de façon durable. Au sens de l’article 4 de la convention franco-italienne, si la personne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux États, en l’occurrence en France et en Italie dans le cas d’espèce, elle est considérée comme un résident de l'État où elle a le centre de ses intérêts vitaux, c'est-à-dire de l'État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits.

La défunte possédait ici des liens économiques plus étroits avec la France où elle a résidé toute sa vie en région parisienne. Elle dispose de plus de son patrimoine immobilier et mobilier sur le territoire français. Seuls des liens affectifs pourraient caractériser une domiciliation fiscale italienne.

Par conséquent, la résidence fiscale de la défunte semble être la résidence fiscale française dans la mesure où celle-ci avait le centre de ses intérêts vitaux en France.

Une fois le domicile fiscal déterminé au sens de la convention franco-italienne, il convient de s’interroger sur la teneur de la déclaration de succession. Comment est effectuée la répartition du droit d’imposer entre la France et l’Italie ? Dois-je déclarer les seuls biens imposables en France en vertu du jeu de la convention fiscale ou dois-je déclarer l’intégralité des biens dépendants de la succession ?

La suppression des doubles impositions est réglée par les articles 5 à 11 de la convention fiscale franco-italienne du 20 décembre 1990 :

  • les biens immobiliers sont imposables dans l’État où ils sont situés (art. 5-1). Le caractère immobilier d'un bien ou d'un droit est déterminé d'après la législation de l’État dans lequel est situé le bien considéré ou le bien sur lequel porte le droit envisagé,
  • les biens autres que ceux visés aux articles 5 à 8, sont imposables dans l’État où ils sont situés à la date du décès (art. 9),
  • les revenus tirés de l’activité d’artiste de la défunte sont imposables dans l’État où le résident tire le revenu de ses activités d’artiste (art. 17).

Par ailleurs, l’article 11 de la convention fiscale prévoit un mécanisme de crédit d’impôt afin d’éliminer les situations de double imposition. Lorsque le défunt ou le donateur, au moment du décès ou de la donation, était domicilié dans un État, cet État déduit de l'impôt calculé selon sa propre législation un montant égal à l'impôt payé dans l'autre État sur les biens. Toutefois, le montant de la déduction ne peut pas dépasser la quote-part de l'impôt du premier État, calculé avant la déduction, correspondant aux biens à raison desquels la déduction doit être accordée.

Application au cas d’espèce

Du point de vue italien, en application de la convention fiscale franco-italienne, l’Italie n’aura vocation à taxer que les biens « situés » en Italie au sens de la répartition du droit d’imposer entre les deux États, soit :

  • les comptes bancaires, qu’ils soient situés en Italie ou en France (art. 9),
  • les actions des sociétés italiennes cotées en bourse (art. 8).

Du point de vue français, la France ne pourra taxer que les biens « situés » en France au sens de la répartition du droit d’imposer entre les deux États, c’est-à-dire :

  • l’appartement parisien (art. 5-1),
  • la résidence secondaire niçoise (art. 5-1),
  • les liquidités bancaires (art. 9).

    III. La détermination de la fiscalité applicable à la libéralité

    Comme vu précédemment, l’article 4 de la convention détermine la domiciliation du défunt. Les critères permettant d’apprécier la domiciliation, hiérarchisés, sont les suivants :

    1.    La notion de foyer d'habitation permanent,

    2.    Le centre des intérêts vitaux, c’est-à-dire l’État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits,

    3.    Le lieu de séjour habituel du défunt,

    4.    La nationalité du défunt.

    Application au cas d’espèce - En l’espèce, par application de ces critères, la défunte était domiciliée en Italie au jour de son décès depuis désormais 3 ans. Elle vivait à Venise en location depuis son arrivée en Italie et disposait toujours d’un appartement parisien ainsi que d’une résidence secondaire à Nice. On pourrait ici considérer qu’elle entretenait à la fois des liens personnels avec l’Italie dans la mesure où elle avait souhaité se rapprocher de ses proches en venant déménager en Italie mais également des liens plus économiques avec la France comme le démontre son patrimoine mobilier et immobilier.

    En application de l’article 9, les biens, quelle qu'en soit la situation, qui font partie de la succession ou d'une donation d'une personne domiciliée dans un État et qui ne sont pas visés aux articles 5, 6, 7 et 8, ne sont imposables que dans cet État.

    En conséquence, le legs ne sera en principe taxable que dans l’État de domicile du défunt, c’est-à-dire en Italie.

    Néanmoins, le notaire sera tenu de souligner l’attention de son client sur les dispositions prévues par le protocole annexé à la convention franco-italienne du 20 décembre 1990.

    L’article 2 b dudit protocole prévoit notamment que nonobstant les dispositions de l'article 4 (relatif à la domiciliation), une personne physique qui, au moment de son décès, possédait la nationalité de l'un des États sans posséder celle de l'autre État, et qui, en vertu du paragraphe 1

    de l’article 4 de la convention, aurait été considérée comme ayant eu son domicile dans chacun des États, est réputée avoir eu son domicile seulement dans l'État dont elle possédait la nationalité, si elle avait l'intention manifeste de conserver son domicile dans cet État et si elle a été domiciliée dans l'autre État au total moins de cinq ans au cours de la période de sept ans précédant le moment de son décès.

    Plusieurs conditions cumulatives sont posées par cet article :

    • avoir la nationalité de l’un des États sans posséder celle de l’autre État,
    • avoir l’intention manifeste de conserver son domicile dans cet État,
    • avoir été domicilié dans l’autre État au total moins de cinq ans au cours des sept ans précédant le décès.

    En définitive, le risque posé par cette disposition tirée du protocole annexé à la convention franco-italienne est clair et bien identifié : le défunt qui a conservé son appartement parisien, une résidence secondaire en France et qui dispose de comptes bancaires en France pourrait être considéré comme étant domicilié en France. Fiscalement, le legs serait alors taxé en France à condition de prouver l’intention manifeste de conserver son domicile dans cet État.

     

    [1]  Code civil italien. art. 581.

    [2] CGI. art. 4 B.

    [3] CE Contentieux, 3 novembre 1995, n° 126513 N° Lexbase : A6488ANM ; CE 3° et 8° ch.-r., 27 juin 2018, n° 408609 N° Lexbase : A1651XUP.

    [4] CE 9° et 10° ssr., 21 octobre 2011, n° 333898 N° Lexbase : A8335HYD.

    [5]  CE 9° et 10° ssr., 17 juin 2015, n° 371412, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5371NLI.

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    Procédure pénale

    [Doctrine] La minorité de faveur : manifestation de la présomption d’innocence en voie d’extinction

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    N0171B3Q

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    par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

    Le 10 Octobre 2024

    Mots-clés : minorité de faveur • présomption d’innocence • cour d’assises • cour criminelle départementale • jury populaire

    En instituant les cours criminelles départementales, le législateur a partiellement renoncé à la règle de la minorité de faveur pour le jugement des crimes, rompant ainsi avec près de cinq cents ans de législation criminelle. Le présent article définit cette règle aussi essentielle que méconnue, retrace son histoire, et identifie sa raison d’être : éviter les condamnations injustes en matière criminelle.


     

    Souvent invoquée mais presque jamais définie, la minorité de faveur est à ranger parmi ces notions qui sont à la fois familières et étrangères au juriste pénaliste. Non mentionnée par le Code de procédure pénale, écartée du champ des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) par le Conseil constitutionnel [1], souvent absente des dictionnaires juridiques : la minorité de faveur n’en reste pas moins un incontournable de la procédure criminelle en France. Elle constitue même une sorte d’exception française, inconnue des pays voisins [2] et rarissime à l’échelle mondiale [3].

    Assez récemment, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti s’est vanté, à travers le projet de loi ayant accouché de la loi n° 2021-1728 du 22 décembre 2021 dite pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459821T, « de rétablir la minorité devant la cour d’assises statuant en premier ressort » [4]. Auparavant, dans ces juridictions où siègent six jurés et trois magistrats professionnels, la culpabilité était acquise à la majorité qualifiée de six voix sur neuf. Depuis l’entrée en vigueur de la loi susmentionnée, au moins sept voix sur neuf sont nécessaires pour condamner l’accusé [5], de sorte que mathématiquement, aucune condamnation ne peut être prononcée par une cour d’assises si elle n’a pas été approuvée par quatre jurés, soit la majorité d’entre eux. L’objet de la minorité de faveur serait donc, d’après le garde des Sceaux, d’assurer que les magistrats n’imposent pas aux jurés un verdict de condamnation.

    Il s’agit pourtant là d’une définition fallacieuse de la minorité de faveur, comme nous l’enseigne à la fois la doctrine et l’histoire. Sur le plan doctrinal, le dictionnaire Cornu définit cette notion comme « la minorité qui l’emporte sur la majorité et fait résoudre, au bénéfice de l’inculpé, les questions posées à la cour d’assises (culpabilité, excuses, octroi des circonstances atténuantes, etc.) lorsque ces questions ne réunissent pas contre lui une majorité renforcée des suffrages exprimés. » Elle est également définie comme le « nom donné à cette règle de faveur » [6].

    Sur le plan historique, l’apparition de la minorité de faveur et ses multiples évolutions attestent de l’exactitude de cette définition doctrinale. Si l’expression « minorité de faveur » n’a été employée qu’à partir du XIXe siècle, sa première application en matière criminelle est intervenue sous l’Ancien régime. On parlait alors de la « règle des deux voix d’écart », dont la portée est plus modeste que la minorité de faveur (I.). Renforcée à la Révolution (II.), puis appliquée ponctuellement entre l’avènement du Premier Empire et la fin de la IIIe République (III.), la minorité de faveur a disparu sous le régime de Vichy, avant d’être progressivement rétablie après la Libération (IV.). Elle a ensuite été maintenue en cours d’assises, mais récemment supprimée devant les cours criminelles départementales (V.), ce qui amorce le recul spectaculaire d’un principe pourtant vieux de cinq siècles destiné à éviter les erreurs judiciaires in defavorem (VI.).

    I. La « règle des deux voix d’écart » sous l’Ancien régime : origine de la minorité de faveur

    En France, l’origine de la règle de la minorité de faveur en matière criminelle est très ancienne, puisqu’elle remonte à la toute fin du XVe siècle, à une époque où les jurés n’existaient pas. 

    Plus précisément, la première manifestation de la règle de la minorité de faveur apparaît dans l’ordonnance de Blois de mars 1498 sur la réformation de la justice et l’utilité générale du royaume, adoptée sous le règne de Louis XII. L’article 76 de cette ordonnance prévoyait qu’en matière criminelle, pour que la condamnation soit prononcée en cas de diversité d’opinion des juges, il était nécessaire que deux voix de plus se prononcent en faveur de la culpabilité [7]. L’effet de cette règle était double. 

    D’une part, si la juridiction était composée d’un nombre pair de juges, le partage des voix était interprété favorablement à l’accusé. Par exemple, dans une formation composée de huit juges, la culpabilité (comme la peine la plus forte) ne pouvait être acquise qu’à la majorité de cinq voix contre trois. De là venait cet adage de Loysel : « en matière criminelle, n’y a partage ; ainsi passe le jugement à la plus douce opinion » [8]

    D’autre part, si la juridiction était composée d’un nombre impair de juges, l’exigence d’un écart de deux voix signifiait l’application de ce que l’on appelle aujourd’hui la minorité de faveur. Ainsi, dans une formation composée de sept juges, la culpabilité (comme la peine la plus forte) ne pouvait être acquise qu’à la majorité qualifiée de cinq voix contre deux, et non à la majorité simple de quatre voix contre trois. En découlait cet autre adage de Loysel applicable en matière criminelle [9] : « une voix n’empêche partage » [10].

    De façon particulièrement frappante, cette exigence d’au moins deux voix d’écart pour décider d’une condamnation en matière criminelle, qui implique la minorité de faveur lorsque la juridiction est composée d’un nombre impair de juges, a été appliquée sans discontinuer pendant plus de cinq cents ans, exceptées une courte exception sous le règne de François Ier et une autre sous le régime de Vichy. 

    En effet, la règle fut délaissée pour une courte durée par le jeu de l’ordonnance de Villers-Côtterets d’août 1539, adoptée sous le règne de François Ier. L’article 126 de cette ordonnance prévoyait qu’en matière criminelle, une voix de plus en faveur de la culpabilité suffisait à entraîner la condamnation [11]. Toutefois, cette exception dura moins de dix ans, puisque la Déclaration de Fontainebleau de février 1549, faite sous le règne d’Henri II, réactiva la règle des deux voix d’écart – et donc, la minorité de faveur lorsque la juridiction était composée d’un nombre impair de juges. Son article 1er prévoyait qu’en matière criminelle, toute décision de condamnation ne pouvait être prise qu’à condition que les juges votant la culpabilité dépassent de deux voix ceux votant l’acquittement [12]. Les raisons de ce revirement ont été exposées au XVIIIe siècle par le procureur Jean-Baptiste Denisart : « on connut bientôt les dangers de la nouvelle règle » de la majorité simple instaurée par François Ier, « et sur les remontrances du parlement » [13], Henri II revint à la loi antérieure. 

    La règle de la minorité de faveur – quoique non encore exprimée en ces termes – perdura à travers l’ordonnance criminelle d’août 1670 adoptée sous le règne de Louis XIV, pourtant réputée pour l’extrême rigueur de la procédure qu’elle instituait (tortures, procédure secrète, etc.). L’Article XII du Titre XXV de ladite ordonnance prévoyait que « [l]es jugements, soit définitifs ou d’instruction, passeront à l’avis le plus doux, si le plus sévère ne prévaut d’une voix, dans les procès qui se jugeront à charge d’appel, et de deux dans les procès qui se jugeront en dernier ressort » [14]. Cette ordonnance exigeait par ailleurs la présence d’au moins sept juges en dernier ressort (Article XII eu Titre XXV). Ainsi, une décision de condamnation nécessitait une majorité de cinq voix contre deux si les juges étaient au nombre de sept [15]. Selon le magistrat François Serpillon, cette règle des deux voix d’écart prévue à l’article XII du Titre XXV montre que « l’ordonnance incline pour la douceur dans les jugements » [16]. Autrement dit, elle permettait implicitement à l’accusé de profiter du doute sur sa culpabilité.

    La règle de la minorité de faveur, qui n’a donc strictement rien à voir avec la présence des jurés (qui n’existaient pas à cette époque), fut ensuite renforcée par Louis XVI à travers sa Déclaration faite à Versailles le 1er mai 1788 [17]. Celle-ci disposait que dans les affaires où la peine de mort était encourue, un écart d’au moins trois voix (et non plus de deux) était nécessaire pour emporter condamnation [18], soit six voix au moins contre deux si les juges étaient au nombre de huit. Le quatrième article de cette déclaration était ainsi rédigé : « [l]a disposition de nos ordonnances par laquelle il suffit, pour que les arrêts en matière criminelle passent à l’avis le plus sévère, que cet avis prévaille de deux voix, n’aura lieu qu’à l’égard de toutes autres peines qu’à celles de mort ; voulons qu’aucune condamnation à la peine de mort ne puisse être prononcée en dernier ressort, si l’avis ne prévaut de trois voix. »

    Il apparaît donc évident que la règle de la minorité de faveur n’a pas été conçue pour empêcher les juges d’imposer leur verdict aux jurés, puisqu’elle est née et a été appliquée de manière constante à une époque où il n’y avait pas de jurés. Par ailleurs, il est évident que l’objet premier de cette règle est d’appliquer un principe d’humanité en faveur de l’accusé. Cette logique fut renforcée à la Révolution.

    II. Le choix de la majorité qualifiée à la Révolution

    Le 29 septembre 1789, le député Beaumetz monte à la tribune de l’Assemblée nationale constituante, au nom du comité chargé de proposer un projet de déclaration sur quelques changements provisoires dans l’ordonnance de 1670. S’agissant du nombre de voix nécessaires pour décider d’une condamnation dans une cour exclusivement composée de juges, il s’exprime ainsi : « Vous fixerez, Messieurs, dans votre sagesse, si vous le jugez à propos, quelle pluralité de suffrages sera désormais requise pour faire prévaloir l'opinion qui condamne un homme à une peine afflictive, et surtout à perdre la vie. (…) Ce ne serait pas ici le lieu d'objecter que toute fixation proportionnelle, autre que la simple pluralité, aboutit à faire prévaloir l'avis de la minorité sur celui de la majorité ; car cette observation, vraie en général, ne reçoit pas son application quand l'avis de la majorité simple est combattu par de fortes présomptions de droit, qui lui sont contraires. Toutes les délibérations ne sont que des calculs de probabilités. Ce sont des probabilités qu'additionne tout homme qui recueille et qui compte des suffrages. Or, toute probabilité doit être comparée avec les présomptions opposées ; et de toutes présomptions, la plus forte et la plus sacrée, celle qui doit être la plus religieusement consultée, c'est la présomption de l'innocence » [19]

    Par ces propos, il est clair que Beaumetz établit un lien entre la règle de la minorité de faveur et le respect de la présomption d’innocence, elle-même rattachable au principe selon lequel le doute doit profiter à l’accusé. Son intervention est d’ailleurs complétée par celle du député Thouret qui propose à l’Assemblée nationale constituante un projet de réformation provisoire de la procédure criminelle, dont l’article 24 prévoit qu’« [a]ucune condamnation ne pourra être prononcée qu'aux deux tiers des voix, et la condamnation à mort qu'aux quatre cinquièmes » [20].

    Les révolutionnaires instituèrent finalement un jury composé de douze jurés décidant seuls de la culpabilité à la majorité des 5/6ème (dix contre deux). Pour comprendre le choix de cette proportion, il faut consulter la deuxième annexe à la séance du 29 mars 1790 de l’Assemblée nationale constituante, dans laquelle le député Duport justifie l’exclusion de la règle de l’unanimité du jury qui prévaut en Angleterre : « [l]a loi des cinq sixièmes est plus juste et plus humaine. Chacun peut aisément sentir le motif de cette proportion : il résulte de ce qu’un homme peut trop aisément se tromper. Deux peuvent aisément avoir fait une convention, mais entre trois, l’erreur ou la convention est infiniment peu vraisemblable » [21]. Autrement dit, la règle de la minorité de faveur est le fruit d’un compromis entre, d’une part, la nécessité de garantir à l’accusé la bonne application de la règle selon laquelle le doute doit lui profiter, et d’autre part, la nécessité sociale de réprimer les crimes qui serait mise à mal par la règle de l’unanimité. 

    Or, aucun de ces deux impératifs n’est consubstantiel à l’intervention du jury. Il s’agit de deux objectifs valables pour tout jugement criminel, que la juridiction de jugement soit composée de jurés ou de juges professionnels. La règle de la minorité de faveur, décidément, n’a rien à voir avec la présence ou l’absence des jurés, quoiqu’en dise un ancien ténor du barreau devenu ministre.

    III. L’application inégale de la minorité de faveur entre le début du Premier Empire et la fin de la IIIe République

    Par la suite, les dispositions originelles du Code d’instruction criminelle de 1808 ont organisé un jury composé de douze jurés statuant exclusivement sur la culpabilité, qui pouvait prononcer une condamnation à la majorité de sept voix contre cinq. Il s’agissait donc d’une majorité absolue – et non d’une minorité de faveur –, qui respectait néanmoins la vénérable règle des deux voix d’écart [22]. Il faut d’ailleurs observer qu’en complément de cette règle, l’article 351 du Code d’instruction criminelle prévoyait que si la culpabilité était acquise à seulement deux voix d’écart (sept contre cinq), les cinq juges composant la cour pouvaient se joindre aux jurés et renverser le verdict au profit de l’accusé (majorité simple de neuf contre huit).

    Si la garantie minimale des deux voix d’écart fut globalement appliquée jusqu’à la fin de la IIIe République, la règle plus généreuse de la minorité de faveur lui fut parfois préférée. Ainsi, la loi du 4 mars 1831 relative à la composition des cours d’assises et aux déclarations du jury, portait la majorité requise pour la condamnation à huit voix contre quatre. Le 7 décembre 1830, à l’occasion des travaux parlementaires qui donnèrent naissance à cette loi, le rapporteur Bernard expliquait le sens de cette évolution : « si parmi [les jurés] il se rencontre 7 voix pour condamner et 5 pour absoudre, le doute légal, résultant de ce partage, sera interprété selon les principes éternels de justice et d’humanité en faveur de l’accusé, qui ne pourra plus être regardé comme coupable que lorsqu’il aura été déclaré comme tel par 8 voix au moins » [23]. Il est donc clair que pour le législateur, la justification de la règle de la minorité de faveur n’est absolument pas d’empêcher les juges de s’imposer aux jurés – les jurés décident de la culpabilité seuls à cette époque –, mais bien de limiter le risque de condamnations injustes en faisant en sorte que l’accusé profite du doute lorsque les voix sont très partagées. 

    La loi du 9 septembre 1835 était ensuite revenue au système de la majorité simple. Ses dispositions furent toutefois abrogées par le décret du 6 mars 1848 sur les cours d’assises [24], qui exigea cette fois une majorité de neuf voix contre trois pour toute condamnation. Lors des travaux parlementaires, Adolphe Crémieux, ministre de la Justice, en exposait les motifs en ces termes : « [c]onsidérant que dans la loi [du 9 septembre 1835] sur les cours d’assises, plusieurs dispositions sont à la fois contraires à la liberté ou à la sûreté de la défense, et à tous les principes du droit public ; que la condamnation par le jury à la simple majorité est une disposition que réprouvent à la fois la philosophie et l’humanité, et qui est en opposition complète avec tous les principes proclamés par nos diverses assemblées nationales » [25]. En appuyant la réintroduction de la minorité de faveur sur de tels motifs, le ministre Crémieux dévoile l’idée pétrie d’humanisme qui en est au fondement : le doute doit profiter à l’accusé. 

    Par la suite, le décret du 18 octobre 1848 relatif à la majorité du jury [26], tout en préservant la minorité de faveur, revenait à la majorité qualifiée de huit voix contre quatre. Le rapporteur du texte, Adolphe Crémieux à nouveau, justifiait cette modification par la nécessité d’assurer un équilibre entre la nécessité de protéger l’accusé contre le risque d’erreur judiciaire et l’impératif de répression : « [a]vant tout, citoyens, il faut protection à l’accusé ; chacun de nous comprend que la justice criminelle a, pour première condition, de donner toute sécurité à l’homme qui paraît devant les tribunaux, pour y défendre sa liberté, sa vie, son honneur. Frapper le coupable, mais assurer à l’innocent toutes les garanties de justification, voilà le double but de la justice criminelle. L’attendrons-nous en fixant à huit voix le nombre de voix nécessaire à la condamnation ? Comment en douter sérieusement ? » [27] Le maintien de la minorité de faveur est donc à nouveau justifié par l’idée selon laquelle le doute doit profiter à l’accusé, afin d’éviter les condamnations injustes en matière criminelle.

    La loi du 9 juin 1853 sur la déclaration du jury restaurait ensuite l’exigence d’une majorité absolue de sept voix contre cinq, sacrifiant ainsi la minorité de faveur, mais préservant l’ancienne règle des deux voix d’écart. Ce système devait être conservé tout au long du Second Empire et de la Troisième République. Dans l’exposé des motifs de ladite loi, le rapporteur Ernest-Eugène Duboys rappelait l’importance de la règle des deux voix d’écart, en soulignant qu’ « [i]l a paru de tout temps (…) qu’entre la société qui l’accuse et l’accusé qui répond de ses actes, une certaine faveur devait incliner de ce côté la balance de la justice » [28].

    Il faut enfin souligner que la loi du 9 juin 1857 sur le Code de justice militaire pour l’armée de terre, en son article 133, prévoyait l’application par les conseils de guerre permanents de la minorité de faveur [29], la culpabilité n’étant acquise qu’à la majorité de cinq voix contre deux. Selon l’article 3 du même Code, ces conseils de guerre permanents étaient composés non pas de jurés, mais « d’un colonel ou lieutenant-colonel, président, et de six juges » [30]. Dans l’exposé des motifs de cette loi, le général Allard, pour expliquer la règle de la minorité de faveur appliquée devant les conseils de guerre, avançait les arguments suivants : « [c]es dispositions sont conformes à celles de la loi du 13 brumaire an V, et à la pratique constante des conseils de guerre, dans lesquelles la minorité appelée de faveur, de trois voix sur sept, suffit pour faire prononcer l’acquittement. Plus la peine est sévère, plus elle impose au législateur l’obligation d’assurer à l’accusé toutes les garanties auxquelles il à droit. Cette dérogation aux usages communs est sanctionnée par une longue expérience et paraît devoir être respectée. » [31] Il exprime ainsi l’idée selon laquelle, eu égard à la gravité de la peine encourue, il est un principe de bonne justice de faire en sorte que le doute puisse profiter à l’accusé. Or, une seule voix d’écart ne suffit pas à évacuer le doute. 

    Cet exemple achève de démontrer que l’objet fondamental de la minorité de faveur n’est aucunement d’empêcher les juges de s’imposer aux jurés, puisqu’il n’y avait pas de jurés dans les conseils de guerre permanents. Il est d’ailleurs amusant de constater que l’expression « minorité de faveur » ne semble pas être apparue dans le cadre de discussions relatives aux cours d’assises, mais bien aux conseils de guerre. Une recherche dans Gallica fait apparaître l’expression pour la première fois en 1823 dans un numéro du journal ultra-royaliste Le Drapeau Blanc [32].

    IV. La disparition de la minorité de faveur sous le régime de Vichy et son rétablissement progressif après la Libération

    La loi n° 4978 du 25 novembre 1941 sur le jury [33], adoptée sous le régime de Vichy, réunissait six jurés et trois juges dans un collège unique de neuf membres, et prévoyait que toute décision en défaveur de l’accusé se prenait à la majorité simple de cinq voix contre quatre. Pour la première fois depuis 1549, les décisions défavorables à l’accusé se prenaient à la majorité d’une seule voix – à l’instar de la règle qui prévaut aujourd’hui devant les cours criminelles départementales.

    À la Libération, l’ordonnance n° 45-764 du 20 avril 1945 sur les cours d’assises ne remit pas en cause la réunion des jurés et des magistrats dans la salle des délibérés. En revanche, elle ajouta un septième juré « afin que la majorité soit de deux voix au moins, c’est-à-dire qu’elle comprenne au moins six voix contre quatre », précise l’exposé des motifs [34]. Ainsi était restaurée la règle imposant au moins deux voix d’écart pour toute décision défavorable à l’accusé. Selon le professeur Hugueney, cette ordonnance « rétablit au profit de l’accusé l’avantage que la loi de 1941 lui avait retiré » [35]. Pour l’ancien président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation Maurice Patin, cette ordonnance « donne des garanties plus grandes à la défense » [36]. On note pourtant que le rétablissement de cette règle des deux voix d’écart n’empêchait pas les magistrats d’imposer leur vue à la majorité des jurés, puisque trois juges unis à une minorité de trois jurés suffisaient pour déclarer l’accusé coupable. 

    L’ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le Code de procédure pénale faisait ensuite passer le nombre de jurés de sept à neuf, avec l’obligation de réunir au moins huit voix contre quatre pour condamner [37]. Commentant cette évolution, le conseiller Marc Ancel évoquait « le rétablissement de la minorité de faveur » [38], affirmation impliquant que cette règle avait prévalu antérieurement, dans des juridictions criminelles où les jurés ne délibéraient pas sur la culpabilité avec les magistrats. 

    Cela confirme que la minorité de faveur, qui n’a cessé depuis de s’appliquer sous des formes diverses, n’a aucunement pour objet d’empêcher les magistrats de s’imposer aux jurés. Son objet historique et central est d’appliquer le principe selon lequel le doute doit profiter à l’accusé, qui découle de la présomption d’innocence. 

    V. Le maintien de la minorité de faveur aux assises et sa suppression devant la cour criminelle départementale

    Dans un souci assumé de diminution des coûts [39], la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 N° Lexbase : L9731IQH, ironiquement intitulée « loi sur la participation des citoyens à la justice pénale », abaissa à nouveau le nombre de jurés à six, toujours accompagnés de trois magistrats. Toute décision défavorable à l’accusé se prenait à la majorité de six voix sur neuf, de sorte que l’opinion convergente de la moitié des jurés, et non plus de leur majorité, suffisait à fonder une condamnation. 

    Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2021 susmentionnée, sept voix sur neuf sont désormais nécessaires pour condamner un accusé renvoyé aux assises. Si cette évolution a été présentée par le garde des Sceaux comme un renforcement de la souveraineté populaire, cette affirmation est extrêmement contestable : si, dans le système ancien, six jurés pouvaient théoriquement condamner un individu contre l’avis de trois magistrats, ceci est désormais impossible, l’unanimité des juges pouvant neutraliser l’unanimité des jurés. N’en déplaise au ministre de la Justice, il est donc possible de présenter ce changement de majorité comme une garantie supplémentaire pour l’accusé, mais aucunement comme une avancée pour la souveraineté du peuple.

    Par ailleurs, la même loi a prévu la généralisation des cours criminelles départementales à partir du 1er janvier 2023. Devant ces nouvelles juridictions exclusivement composées de cinq juges professionnels et compétentes pour juger les personnes majeures accusées de crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle (hors les cas de récidive, et hors l’hypothèse où un complice ou coauteur est renvoyé aux assises), la culpabilité, comme la peine maximale, peuvent être décidées à la majorité simple de trois voix contre deux [40]. La règle de la minorité de faveur est ainsi reléguée aux oubliettes, tout comme la règle cinq fois séculaire des deux voix d’écart qui, depuis 1549, n’avait été abolie que par le régime de Vichy. La préoccupation tenant à l’évitement des erreurs judiciaires ne paraît plus de mise, ce qui est inquiétant pour les droits et libertés des accusés potentiels – c’est-à-dire de nous tous.

    VI. Le sens de la minorité de faveur : une manifestation particulière de la présomption d’innocence

    L’évolution historique de la règle de la minorité de faveur montre clairement que son objet principal est le suivant : éviter les erreurs judiciaires défavorables à l’accusé. Il ne peut s’agir d’empêcher les magistrats d’imposer leurs décisions aux jurés, d’une part parce que la règle est née à une époque où il n’y avait pas de jurés, et d’autre part parce qu’elle s’est appliquée devant des juridictions criminelles où les jurés décidaient de la culpabilité sans le concours des magistrats. L’affirmation d’Eric Dupond-Moretti, selon laquelle la loi du 22 décembre 2021 aurait rétabli la minorité de faveur, n’est donc pas recevable. Elle contribue à mal nommer les choses et à entretenir la confusion autour d’une notion qui caractérise pourtant la justice criminelle française depuis plus d’un demi-millénaire.

    L’analyse de la doctrine conforte ce point de vue, puisqu’elle tisse un lien étroit entre la minorité de faveur, la présomption d’innocence et la règle in dubio pro reo. Ainsi, d’après le conseiller Jacques Buisson, le principe fondamental selon lequel le doute profite à l’accusé « conduit à considérer que le moindre doute doit profiter à celui qui est accusé dans une affaire judiciaire, conséquence logique d'un principe constitutionnel qu'aucun législateur ne pourrait méconnaître. À défaut de charges suffisantes, le juge doit prononcer la relaxe de la personne poursuivie. Pour sa défense, cette dernière peut donc se contenter d'instiller un doute suffisant dans l'esprit du juge, sans prouver son innocence totale ; alors que le ministère public doit apporter une preuve décisive pour établir la culpabilité et obtenir la condamnation du mis en cause. Tel est le sens de l'aphorisme in dubio pro reo, qui trouve une application dans la phase de jugement. Cette règle explique notamment l'existence d'une « minorité de faveur » au profit de l'accusé en cour d'assises, applicable à la déclaration de culpabilité et à tout prononcé d'un maximum de la peine de réclusion criminelle ou d'emprisonnement » [41].

    De même, pour le professeur Damien Roets, l’objet de la minorité de faveur est d’éviter des erreurs judiciaires aux conséquences dramatiques pour la personne injustement condamnée, au regard de la singulière gravité des peines encourues en matière criminelle. Il s’agit donc une « manifestation particulière » [42] de la présomption d’innocence, propre au jugement des crimes.

    Cette règle de faveur, qui s’explique par la gravité des peines encoures en matière criminelle et par une philosophie profondément humaniste, transcende les questions liées à la composition des juridictions criminelles. L’appliquer devant la cour d’assises mais pas devant la cour criminelle départementale, alors que ces deux juridictions jugent des crimes de droit commun, revient à instituer une différence de traitement injustifiable sur le plan des principes – quoi qu’en dise (laborieusement) le Conseil constitutionnel [43]. Plutôt que d’effacer progressivement la minorité de faveur, sans doute serait-il préférable de la sanctuariser.

    ANNEXES

    TABLEAU 1 : Application historique de la « règle des deux voix d’écart » pour condamner l’accusé devant les juridictions criminelles de droit commun 

    DATES

    TEXTES

    MAJORITÉ REQUISE POUR CONDAMNER 

    EXIGENCE D’AU MOINS DEUX VOIX D’ÉCART POUR CONDAMNER 

    1549 – 1670 

    Déclaration de Fontainebleau de février 1549

    5 voix contre 2

    OUI

    1670 – 1788 

    Ordonnance criminelle 

    d’août 1670

    5 voix contre 2 

    OUI

    1788 – 1791

    Déclaration de Versailles du

    1er mai 1788

    5 voix contre 2

    OUI

    1791 – 1808 

    Loi

    des 16-29 septembre 1791

    10 voix contre 2

    OUI

    1808 – 1831

    Code d’instruction criminelle de 1808

    7 voix contre 5

    OUI

    1831 – 1835

    Loi

    du 4 mars 1831

    8 voix contre 4

    OUI

    1835 – 

    6 mars 1848

     

    Loi

    du 9 septembre 1835

    7 voix contre 5

    OUI

    6 mars 1848 – 

    18 oct. 1848

     

    Décret

    du 6 mars 1848 

    9 voix contre 3

    OUI

    18 oct. 1848 – 

    1853

     

    Loi

    du 18 octobre 1848 

    8 voix contre 4

    OUI

    1853 – 1941

    Loi

    du 9 juin 1853

    7 voix contre 5

    OUI

    1941 – 1945 

    Loi du 25 novembre 1941

    5 voix contre 4

    NON

    1945 – 1958 

    Ordonnance

    du 20 avril 1945

    6 voix contre 4

    OUI

    1958 – 2011

    Ordonnance

    du 23 décembre 1958

    8 voix contre 4

    OUI

    2011 – 2023 

    Loi

    du 10 août 2011

    6 voix contre 3

    OUI

    2023 – maintenant 

     

    Loi

    du 22 décembre 2021

    7 voix contre 2

    aux assises

    OUI

    2023 – maintenant 

     

    Loi

    du 22 décembre 2021

    3 voix contre 2

    devant les CCD

    NON

    TABLEAU 2 : Application de la « règle de la minorité de faveur » pour condamner l’accusé devant les juridictions criminelles de droit commun composées en nombre impair (depuis 1549)

    DATES

    TEXTES

    MAJORITÉ REQUISE POUR CONDAMNER 

    RÈGLE DE LA MINORITÉ DE FAVEUR

     

    1549 – 1670 

     

    Déclaration de Fontainebleau de février 1549

     

     

    5 voix contre 2

     

    OUI

     

    1670 – 1788 

     

    Ordonnance criminelle 

    d’août 1670

     

    5 voix contre 2

     

    OUI

     

    1788 – 1791

     

    Déclaration de Versailles du

    1er mai 1788

     

     

    5 voix contre 2

     

    OUI

     

    1941 – 1945 

     

    Loi du 25 novembre 1941

     

     

    5 voix contre 4

     

    NON

     

    2011 – 2023 

     

     

    Loi

    du 10 août 2011

     

     

    6 voix contre 3

     

    OUI

     

    2023 – maintenant 

     

     

    Loi

    du 22 décembre 2021

     

    7 voix contre 2

    aux assises

     

    NON

     

    2023 – maintenant 

     

     

    Loi

    du 22 décembre 2021

     

    3 voix contre 2

    devant les CCD

     

    NON

     

    [1] Cons. const., décision n° 2011-635 du 4 août 2011 N° Lexbase : A9170HWK, cons. 25-27.

    [2] Voir sur ce point, L. Rousvoal (dir.), Juger les crimes. Enjeux et juridictions en France et dans les pays voisins, Anthemis, 2023.

    [3] À l’étranger, les décisions de condamnation prises en matière criminelle sont presque toujours prises soit à l’unanimité (modèle pur de common law), soit à la majorité simple. Le recours en France à une majorité qualifiée, pendant de la minorité de faveur, constitue une singularité.

    [4] Projet de loi n° 4091 pour la confiance dans l’institution judiciaire, 14 avril 2021, p. 7 [en ligne]. 

    [5] C. proc. pén., art. 359 N° Lexbase : L1471MAQ.

    [6] Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, P.U.F., Quadrige, V° Minorité, p. 663.

    [7] Article 76 de l’ordonnance de Blois de mars 1498, enregistrée au parlement de Paris, avec modification au lit de justice, le 13 juin 1498 : « s’il se trouvoit diversité d’opinions au jugement d’un procès, tellement que l’on voulu dire le procès être parti, il sera parti s’il ne passe de deux voix ou opinion. » [en ligne].

    [8] A.-M. Dupin et E. Laboulaye, Institutes coutumières d’Antoine Loysel, tome 2, 1846, VI, 3, XX = R. 876, p. 233 [en ligne].

    [9] F. Rageau, Glossaire du droit françois, 1882, p. 376 [en ligne] ; P.-J. Brillon, Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, ou jurisprudence universelle des parlemens de France et autres tribunaux , tome 4, 1727, p. 845 [en ligne]. 

    [10] A.-M. Dupin et E. Laboulaye, op. cit., tome 2, 1846, VI, 3, XIX = R. 875, p. 233 [en ligne].

    [11] Article 126 de l’ordonnance de Villers-Côtterets d’août 1539, enregistrée le 6 septembtr au parlement de Paris : « Et à ceste fin, pour empescher lesdits partages, voulons et ordonnons que quand il passera d’une voix, soit le jugement et arrest et arresté» [en ligne]. 

    [12] Article 1er de la Déclaration interprétative de l’ordonnance du mois d’août 1539 sur la justice, enregistré le 4 mars au parlement de Paris : « Que les 72, 81, 125 et 126 articles desdites ordonnances n’auront plus de lieu et ne seront d’orenavant aucunement observez . ; mais se régleront les juges et les parties, selon et ainsi qu’elles faisoient auparavant icelles ordonnances ; et mêmement dans le jugement des procès pendans en nos parlemens et cours souveraines, lesquels ne seront conclus, qu’ils ne passent de deux voix et opinions. » [en ligne]. 

    [13] J.-B. Denisart, Collection de décisions nouvelles, et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Tome 3, 1771, p. 520 [en ligne]. 

    [14] F.-A. Isambert, A.-H. Taillandier, N. Decursy, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, Paris, Plon frères, 1827, tome XVIII, p. 417 [en ligne]. 

    [15] F. Serpillon, Code criminel, ou Commentaire sur l’ordonnance de 1670, Troisième partie, 1767, 

    p. 1066-1067 [en ligne]. 

    [16] Ibid [en ligne].

    [17] F.-A. Isambert, N. Decursy, A. Jean Léger Jourdan, op. cit., tome XXVIII, p. 531 [en ligne]. 

    [18] J.-M. Carbasse, P. Vielfaure, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, PUF, 2014, n° 216.

    [19] Archives Parlementaires de 1787 à 1860, 1ère série, tome IX, séance du mardi 29 janvier 1789, au soir, p. 217 [en ligne].  

    [20] Ibid., p. 218.

    [21] Ibid., tome XII, Deuxième annexe à la séance de l’Assemblée nationale constituante du 29 mars 1790, Moyens d’exécution pour les jurés au criminel et au civil, rédigés en article. Par M. Duport, député de Paris, p. 438 [en ligne]. 

    [22] Article 347 du Code d’instruction criminelle de 1808 : « La décision du jury se formera pour ou contre l’accusé, à la majorité, à peine de nullité. En cas d'égalité de voix, l'avis favorable à l'accusé prévaudra. » [23] Archives Parlementaires de 1787 à 1860, 1ère série, tome LXV, Chambre des députés, séance du mardi 7 décembre 1830, p. 368 [en ligne]. 

    [24] Le Moniteur Universel, 7 mars 1848, p. 555 [en ligne].

    [25] Ibid.

    [26] J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’Etat, depuis 1788 jusqu’à et y compris 1824, tome XLVIII, 1848, p. 536 [en ligne].

    [27] Ibid., p. 538 [en ligne].

    [28] Ibid.,tome LIII, 1853, p. 188 [en ligne].

    [29] Code de justice militaire pour l’armée de terre, dans sa version issue la loi du 9 juin 1857, article 133 : « Les questions indiquées par l’article précédent ne peuvent être résolues contre l’accusé qu’à la majorité de cinq voix contre deux. » [en ligne].

    [30] Article 3 du Code de justice militaire pour l’armée de terre [en ligne].

    [31] J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’Etat, depuis 1788 jusqu’à et y compris 1824, tome LVII, 1825, p. 325 [en ligne].

    [32] Drapeau Blanc, 3 septembre 1823, p. 3 [en ligne]. 

    [33] Journal officiel de l’État français, n° 333, vendredi 12 décembre 1941, p. 5354.

    [34] Journal officiel de la République française, n° 94, samedi 21 avril 1945, p. 2252 [en ligne]. 

    [35] L. Hugueney, L’Ordonnance du 20 avril 1945 sur les cours d’assises, RSC, juillet 1946, n° 2, p. 169 [en ligne]. 

    [36] M. Patin, La restauration de la légalité républicaine dans nos codes répressifs, RSC, janvier 1946, n° 1, p. 47 [en ligne]. 

    [37] Journal officiel de la République française, n° 300, mercredi 24 décembre 1958, p. 11723 [en ligne]. 

    [38] M. Ancel, La probation et le dossier de personnalité en France depuis le code de procédure pénale de 1958, Revue de droit pénal et de criminologie, 1962, n° 8, p. 717.

    [39] M. Huyette, Les réformes de la cour d’assises, D., 2011, p. 2293.

    [40] C. proc. pén., art. 380-19, 4° N° Lexbase : L1541MAC .

    [41] J. Buisson, Preuve – Charge de la preuve, Rép. pén. Dalloz, octobre 2020, n° 14.

    [42] D. Roets, La présomption d’innocence, Dalloz, Connaissance du droit, 2019, p. 43 et 67.

    [43] Cons. const., décision 2023-1069/1070 QPC, du 24 novembre 2023 N° Lexbase : A942613I, cons. 18 à 24.

    newsid:490171

    Rupture du contrat de travail

    [Brèves] Office du juge dans la qualification de la rupture du contrat de travail

    Réf. : Cass. soc., 18 septembre 2024, n° 23-13.069, F-B N° Lexbase : A97205ZZ

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    N0437B3L

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    par Charlotte Moronval

    Le 25 Septembre 2024

    ► Lorsque l'employeur et le salarié sont d'accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l'autre la responsabilité de cette rupture, il incombe au juge de dire à qui cette rupture est imputable et d'en tirer les conséquences juridiques.

    Faits. Par courrier recommandé, un employeur demande à son salarié, chef de cuisine, de justifier de sa récente absence et de réintégrer son poste.

    Le salarié, soutenant avoir fait l'objet d'un licenciement verbal, saisit la juridiction prud'homale.

    Procédure. La cour d'appel (CA Chambéry, 22 novembre 2022, n° 21/00707 N° Lexbase : A98998WK) déboute le salarié et l'employeur de leurs demandes.

    Les juges du fond retiennent qu'il ne résultait des pièces produites aux débats, ni que le salarié ait manifesté une intention claire et non équivoque de démissionner, ni que l'employeur ait entendu rompre le contrat de travail du salarié ou même ait considéré que le contrat de travail était rompu du fait du salarié.

    Le salarié forme un pourvoi en cassation.

    La solution. La Chambre sociale casse l’arrêt d’appel au visa de l'article 12 du Code de procédure civile, qui prévoit que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

    En l’espèce, l'employeur et le salarié étaient d'accord pour admettre que le contrat de travail avait été rompu, chacune des parties imputant à l'autre la responsabilité de cette rupture. Il incombait dès lors à la cour d’appel de dire à qui cette rupture était imputable et d'en tirer les conséquences juridiques.

    Pour aller plus loin :

    • v. aussi Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-42.849 N° Lexbase : A9436AHX : lorsque l'employeur et le salarié sont d'accord pour admettre que le contrat a été rompu, chacune des parties imputant à l'autre la responsabilité de cette rupture, il incombe au juge de trancher ce litige en décidant quelle est la partie qui a rompu ;
    • v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, La charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9202ESM.
     

     

    newsid:490437

    Santé et sécurité au travail

    [Brèves] Inaptitude et indemnité spéciale de licenciement : la décision de reconnaissance de l’accident du travail de la CPAM s’impose au juge prud’homal

    Réf. : Cass. soc., 18 septembre 2024, n° 22-22.782, F-B N° Lexbase : A97395ZQ

    Lecture: 2 min

    N0424B34

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    par Laïla Bedja

    Le 25 Septembre 2024

    ► Lorsqu'un accident du travail ou une maladie professionnelle a été reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie par une décision non remise en cause, cette décision s'impose au juge prud'homal auquel il revient alors de se prononcer sur le lien de causalité entre cet accident ou cette maladie et l'inaptitude et sur la connaissance par l'employeur de l'origine professionnelle de l'accident ou de la maladie.

    Faits et procédure. À la suite d’un accident du travail, un salarié a été déclaré inapte à son poste de travail le 20 février 2018 et licencié le 4 mai 2018, après autorisation de l’inspecteur du travail, pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

    Il a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

    Cour d’appel. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre de l’indemnité spéciale de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis, la cour d’appel a retenu que ce dernier n’apporte aucun témoignage ni aucun document médical permettant d’accréditer la thèse d’une lésion brutale et soudaine et que faute de témoin direct et de constatations matérielles, un doute existe sur la réalité de l’accident du travail qui ne sera pas reconnu (CA Paris, 6-4, 31 août 2022, n° 19/11009 N° Lexbase : A97758G7).

    Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.

    Décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule la solution rendue par les juges du fond. En déboutant le salarié, alors que la CPAM avait reconnu l’existence d’un accident du travail survenu le 7 novembre 2017, dont se prévalait le salarié, la cour d’appel a violé les articles L. 1226-10 N° Lexbase : L8707LGL et L. 1226-14 N° Lexbase : L1033H97 du Code du travail.

    newsid:490424

    Sociétés

    [Brèves] Cession de parts sociales : obligation de transparence et réticence dolosive

    Réf. : Cass. com., 18 septembre 2024, n° 23-10.183, F-B N° Lexbase : A97425ZT

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    N0366B3X

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    par Perrine Cathalo

    Le 25 Septembre 2024

    Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d'appel qui rejette une demande en annulation d'une cession de parts sociales en retenant que le cessionnaire aurait dû se renseigner sur la situation financière de la société qu'il acquérait, ces motifs étant impropres à exclure l'existence d'une réticence dolosive, laquelle, en application de l'article 1139 du Code civil, rend toujours excusable l'erreur provoquée.

    Faits et procédure. Le 12 juin 2019, un associé a cédé à un autre la totalité des parts composant le capital d’une SARL.

    Soutenant que le cédant avait commis, à son égard, une réticence dolosive, le cessionnaire l'a assigné en annulation de la cession de parts.

    Par un arrêt en date du 15 septembre 2022, la cour d’appel (CA Douai, 15 septembre 2022, n° 21/00672 N° Lexbase : A79398IU) a exclu l’existence d’une réticence dolosive et rejeté la demande d’annulation de la cession des parts sociales aux motifs que compte tenu de son expérience dans la gestion des sociétés pour avoir été antérieurement gérant d'une société, le cessionnaire aurait dû vérifier lui-même la situation financière de la société.

    Le cessionnaire a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

    Décision. La Chambre commerciale censure l’arrêt de la cour d’appel au visa des articles 1137 N° Lexbase : L1978LKH et 1139 N° Lexbase : L0852KZL du Code civil.

    C’est ainsi que la Cour rappelle que la réticence dolosive constitue un dol dès lors qu’une partie dissimule intentionnellement une information déterminante pour le consentement de l’autre, étant précisé que l’erreur provoquée par ce dol est toujours excusable (v. Cass. civ. 3, 21 février 2001, n° 98-20.817, publié au bulletin N° Lexbase : A8926AQN).

    En l’espèce, la Cour constate que les juges du fond se sont bornés à retenir qu’il pesait sur le cessionnaire une obligation renforcée de se renseigner sur la situation de la société qu'il acquérait, si bien qu'en l'absence de toute démarche de sa part pour se renseigner sur la situation financière de la SARL, le silence du cédant sur l'existence de dettes et de contrats liant cette société à des tiers ne constitue pas une dissimulation volontaire de la situation financière de la société pouvant caractériser un dol.

    La Haute juridiction décide du contraire et conclut qu’en se déterminant par des motifs tirés de ce que le cessionnaire aurait dû se renseigner, avant la cession, sur la situation financière de la société, impropres à exclure l'existence d'une réticence dolosive, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

    Pour en savoir plus : v. B. Saintourens, Lexbase Affaires n° 809, à paraître le 10 octobre 2024.  

    newsid:490366

    Urbanisme

    [Jurisprudence] Est illégal le changement de destination d'un hôtel en locations à fin d'habitation sans déclaration préalable

    Réf. : Cass. crim., 3 septembre 2024, n° 23-85.489, F-B N° Lexbase : A24045XC

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    N0426B38

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    par Giany Abbe, Avocat associé, Almée société d’avocats

    Le 30 Septembre 2024

    Mots clés : changement de destination • déclaration préalable • réglementation d’urbanisme • établissement hôtelier

    Dans un arrêt rendu le 3 septembre 2024, la Cour de cassation a énoncé qu'est illégal le changement de destination d'un hôtel en locations à fin d'habitation sans déclaration préalable.


     

    Un particulier fait l’acquisition d’un terrain supportant un immeuble qui abritait un hôtel-restaurant. 

    Ayant donné à bail les locaux ainsi que plusieurs mobile-homes installés sur le terrain, il a été poursuivi des chefs de construction ou aménagement de terrain dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels, infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme et exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration. 

    Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de ces infractions, le condamne à 15 000 euros d'amende, ordonne la remise en état des lieux sous astreinte et se prononce sur les intérêts civils. 

    Le prévenu et le procureur de la République relèvent appel de cette décision. 

    Le 8 septembre 2023, en cause d’appel, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Montpellier, confirme les condamnations et porte la peine d’amende à 25 000 euros.

    Pour déclarer le prévenu coupable, le juge d’appel énonce que, depuis le 1er octobre 2007, la réglementation des autorisations d'urbanisme reconnaît expressément qu'il existe des changements de destination sans travaux, soumis en ce cas à déclaration préalable. 

    Le juge ajoute que l’intéressé a acquis un bâtiment à usage d'hôtel au sens de l'article R. 123-9 ancien du Code de l'urbanisme, lequel conservait sa destination hôtelière, quelles que fussent les conditions antérieures d'exploitation ou l'éventuelle mise en sommeil de cette activité.

    Il relève enfin que le prévenu n'exploite plus le bâtiment comme hôtel, mais comme habitation pérenne et en déduit que l’intéressé, en changeant ainsi la destination de l'immeuble sans déclaration préalable, a commis l'infraction pour laquelle il était poursuivi.

    Le prévenu va se pourvoir en cassation contre cet arrêt.

    La Haute juridiction retient qu’en statuant ainsi, dès lors que le changement de destination d'une construction existante, même non accompagné de travaux, doit faire l'objet d'une déclaration préalable en vertu des articles L. 421-1 N° Lexbase : L3419HZN et R. 421-17 N° Lexbase : L8664LDA du Code de l'urbanisme, la cour d'appel a légalement justifié sa position.

    Le pourvoi est donc rejeté conformément à jurisprudence constante [1].

    La Cour de cassation rappelle ainsi que le simple changement de destination, même sans travaux, est soumis au contrôle de l’administration et que la méconnaissance des obligations déclaratives y afférente est susceptible de donner lieu à des sanctions pénales.

    Elle rappelle par ailleurs que, sauf cas particulier, la destination d’une construction ne se perd pas avec le temps 

    I. Le simple changement de destination sans travaux est soumis à déclaration préalable sous peine de sanctions pénales

    La réglementation d’urbanisme, qu’elle soit locale ou nationale, est d’un contenu assez varié. 

    Parmi les objectifs qui lui sont assignés figure la définition et le contrôle de la destination des constructions.

    C’est ainsi que le simple passage d’une destination à une autre est soumis à déclaration préalable (C. urb., art. R. 421-17) alors que le changement de destination qui s’accompagne d’une modification des structures porteuses ou de l’apparence extérieure du bâtiment est quant à lui soumis à l’obtention d’un permis de construire (C. urb., art. R. 421-14 N° Lexbase : L2746KWM).

    Le changement de sous-destination au sein d’une même destination n’est pas soumis à autorisation au titre du droit de l’urbanisme, sauf à ce qu’il implique des travaux visés par le c) de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme.

    Le changement de sous-destination peut néanmoins être soumis à autorisation au titre du code du tourisme (C. tourisme, art. L. 324-1-1 N° Lexbase : L2291LRB) de même que le changement de destination peut être contrôlé au titre d’une autre réglementation que celle de l’urbanisme, telle que la police de l’affectation (voir notamment les articles L. 631-7 N° Lexbase : L0141LNK et suivants du Code de la construction et de l’habitation qui encadrent spécifiquement les changements de destination des locaux à usage d’habitation dans certaines communes).

    Il convient également de rappeler que les plans locaux d’urbanisme peuvent prévoir des règles différentes, au sein d’une même destination, pour chaque sous-destination.

    Ils peuvent ainsi interdire ou soumettre à condition particulière les constructions ayant certaines sous-destinations (C. urb., art. R. 151-30 N° Lexbase : L0312KWH).

    L’identification des destinations et des sous-destinations est donc importante puisqu’elle est déterminante de la nécessité d’obtenir une autorisation ou d’une incompatibilité avec les règles d’urbanisme lorsque, sans qu’une autorisation ne soit requise, le plan local d’urbanisme exclut certaines sous-destinations. 

    Les difficultés d’interprétation inhérentes à l’identification des destinations et sous-destinations idoines ont donné lieu par le passé à la production d’une jurisprudence abondante [2].

    Le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 N° Lexbase : L0839KWY et l’arrêté du 10 novembre 2016 pris pour son application ont introduit dans le Code de l’urbanisme des définitions réglementaires des destinations et sous-destinations pouvant désormais être utilisés par les auteurs des documents d’urbanisme.

    L’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L2693MH9 précise ainsi que les auteurs des plans locaux d’urbanisme ont le choix entre les cinq types de destinations suivantes : exploitation agricole et forestière ; habitation ; commerce et activités de service ; équipements d'intérêt collectif et services publics ; autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.

    Le contenu de chacune de ces destinations est précisé par un certain nombre de sous-destinations mentionnées à l’article R. 151-28 du code N° Lexbase : L2694MHA. On peut souligner à cet égard que la destination « habitation » comprend les sous-destinations « logement et hébergement » quand la destination « commerce et activités de service » comprend quant à elle les activités de « restauration » et « d’hébergement hôtelier et touristique ». 

    Un arrêté du 10 novembre 2016 (modifié) définit les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu.

    La sous-destination « logement » recouvre les constructions destinées au logement principal, secondaire ou occasionnel des ménages à l'exclusion des hébergements couverts par la sous-destination « hébergement ». La sous-destination « logement » recouvre notamment les maisons individuelles et les immeubles collectifs. La sous-destination « hébergement » recouvre les constructions destinées à l'hébergement dans des résidences ou foyers avec service. Cette sous-destination recouvre notamment les maisons de retraite, les résidences universitaires, les foyers de travailleurs et les résidences autonomie (article 2 de l’arrêté).

    L’article 3 de cet arrêté précise quant à lui que :

    « La sous-destination 'restauration' recouvre les constructions destinées à la restauration sur place ou à emporter avec accueil d'une clientèle.

    La sous-destination 'hôtels' recouvre les constructions destinées à l'accueil de touristes dans des hôtels, c'est-à-dire des établissements commerciaux qui offrent à une clientèle de passage qui, sauf exception, n'y élit pas domicile, des chambres ou des appartements meublés en location, ainsi qu'un certain nombre de services.

    La sous-destination 'autres hébergements touristiques' recouvre les constructions autres que les hôtels destinées à accueillir des touristes, notamment les résidences de tourisme et les villages de vacances, ainsi que les constructions dans les terrains de camping et dans les parcs résidentiels de loisirs ».

    Toute évolution de la destination reconnue à un bâtiment doit, selon les cas, être précédée d'un permis de construire ou d'une déclaration préalable sous peine de commettre l'infraction pénale définie à l'article L. 480-4 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0991MMN, lorsque les travaux visés à l’article R. 421-14 du même code N° Lexbase : L2746KWM ont été réalisés ou, par l’article L. 610-1 du même code N° Lexbase : L0028LND, dans le cas d’un changement de destination opéré sans travaux.

    L’infraction se prescrit par six ans à compter du jour où le changement de destination a été réalisé (CPP, art. 8 N° Lexbase : L3314MMP) et l’action civile ouverte à la commune ou à l’établissement public de coopération intercommunal est en enfermée dans un délai de dix ans à compter de cette date (C. urb., art. L. 480-14 N° Lexbase : L5020LUH).

    Aux termes de la première branche de son moyen développé en cassation, le requérant soutenait que le changement de destination d'un hôtel en locations à fin d'habitation n’était susceptible de constituer une infraction pénale que si l'existence des travaux ayant eu pour effet ce changement de destination, pouvait être caractérisée.

    L’argument était développé au visa de l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme qui précise que c’est bien « le fait d'exécuter des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 et L. 421-5-3 en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable » qui  « est puni d'une amende comprise entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d'une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l'article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 300 000 euros ».

    Selon le requérant, en se bornant à constater que le prévenu avait modifié la destination de l'hôtel en le transformant en logements destinés à la location sans caractériser l'existence de travaux ayant eu pour effet ce changement de destination, la cour d'appel aurait violé les dispositions sanctionnant les changements de destination effectués en méconnaissance de la réglementation d’urbanisme.

    La chambre criminelle de la Cour de cassation écarte ce raisonnement en rappelant qu'il existe des changements de destination sans travaux, soumis en ce cas à déclaration préalable et que le fait d’opérer de tels changements sans les autorisations requises est effectivement passible de sanctions pénales.

    Dans une précédente affaire, la Cour de cassation avait déjà affirmé que l’exécution de travaux n’était pas requise pour caractériser l’infraction.

    Seule suffit l’affectation du bâtiment à un usage autre que celui pour lequel il était originellement destiné [3].

    Il convient de relever à cet égard que la Cour de cassation retient l’infraction lorsque le changement de destination n’est que partiel, c’est-à-dire limitée à une partie du bâtiment (même décision).

    II. La destination d’un établissement hôtelier ne se perd pas du fait de l’absence d’exploitation dans le temps

    En droit de l’urbanisme, le changement de destination est en principe instruit au regard de la destination initiale du bâtiment ainsi que, le cas échéant, tout changement ultérieur de destination qui a fait l'objet d'une autorisation [4].

    La destination ne se perd ainsi pas avec le temps et notamment avec le défaut d’usage du bâtiment conformément à sa destination initiale [5].

    Le fait qu'une construction soit restée inoccupée ou inexploitée pendant une longue période ne la prive pas de sa destination, celle-ci ressortissant de ses caractéristiques propres et non de l'usage effectif des locaux à la date de la déclaration [6].

    Une cour administrative d'appel commet ainsi une erreur de droit en jugeant que des dispositions d’un PLU autorisant sous conditions l’extension pour l’habitation de constructions d’un bâtiment implanté en zone agricole devaient être entendues comme autorisant l'aménagement et l'extension des seules constructions effectivement utilisées pour l'habitation à la date de la demande d'autorisation [7].

    Il a également été jugé que l'inoccupation d'une maison pendant une longue période ne change pas sa destination quand bien même celle-ci serait désormais enfouie sous la végétation sans pour autant être en ruine [8].

    Ce principe, qui connait de rares exceptions, notamment lorsqu'une construction, en raison de son ancienneté, a été édifiée sans permis de construire, impose au juge pénal de rechercher la destination initiale de l’immeuble, quand bien même celui-ci serait inutilisé, pour caractériser l’infraction de changement de destination réalisé sans autorisation [9].

    Dans l’affaire commentée, le requérant faisait grief à la Cour de s’être référée à tort à la notion d’usage du bâtiment pour caractériser le changement de destination au lieu de se déterminer en considération de l’autorisation d’urbanisme sur la base de laquelle la construction avait été édifiée ou modifiée.

    La Haute juridiction relève néanmoins que l’arrêt critiqué énonce que le prévenu avait acquis un bâtiment à usage d'hôtel au sens de l'article R. 123-9 ancien du Code de l'urbanisme, lequel conservait sa destination hôtelière, quelles que fussent les conditions antérieures d'exploitation ou l'éventuelle mise en sommeil de cette activité et nonobstant l'emploi erroné du terme usage au lieu de destination dans les motifs de la décision.

    Par conséquent, ce dernier ne pouvait l’exploiter comme habitation sans justifier de l’obtention préalable d’une autorisation d’urbanisme.

    Elle écarte ainsi la seconde branche du moyen et rejette le pourvoi après avoir relevé que l’arrêt était régulier en la forme.

    Dans une précédente affaire, la Cour de cassation avait déjà pu juger que le défaut d'exploitation d’un hôtel ne lui faisait pas perdre sa destination et confirmer ainsi la décision prise par une cour d’appel d’avoir condamné les prévenus pour la transformation d’un ancien hôtel non exploité en logements locatifs [10].


    [1] Voir Cass. crim., 26 février 2013, n° 12-80.973, F-D N° Lexbase : A8934I8E ; Cass. crim. 5 avril 2005, n° 04-83.124 N° Lexbase : A991154T.

    [2] Voir notamment CE, 9 mars 1990, n° 83457 N° Lexbase : A5919AQB, pour la définition de la destination de service hôtelier.

    [3] Cass. crim., 26 février 2013, n° 12-80.973, F-D N° Lexbase : A8934I8E.

    [4] CE, 12 mars 2012, n° 336263 N° Lexbase : A5567IGB.

    [5] CE, 9 décembre 2011, n°335707 N° Lexbase : A1762H4Z.

    [6] CE, 12 mars 2012, n° 336263 N° Lexbase : A5567IGB.

    [7] CE, 9 décembre 2011, n° 335707 N° Lexbase : A1762H4Z.

    [8] CAA Bordeaux, 16 février 2018, n° 16BX00296 N° Lexbase : A365173M.

    [9] Cass. crim., 14 juin 2005, n° 04-86.534 N° Lexbase : A991254U.

    [10] Cass. crim., 5 avril 2005, n° 04-83.124, préc.

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