Le Quotidien du 26 septembre 2024

Le Quotidien

Avocats/Honoraires

[Brèves] Contentieux de l’honoraire : compétence du juge français même si la mission de l'avocat se rattache de manière caractérisée au Maroc

Réf. : Cass. civ. 2, 19 septembre 2024, n° 22-24.870, F-B N° Lexbase : A97275ZB

Lecture: 4 min

N0376B3C

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par Marie Le Guerroué

Le 25 Septembre 2024

► En l'absence de saisine de la juridiction marocaine, la compétence du juge français procède du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, qui désigne le Bâtonnier du barreau auquel l'avocat est inscrit pour connaître de la contestation d'honoraires, peu important que la mission de l'avocat se rattache de manière caractérisée au Maroc.

Faits et procédure. Un syndic à la liquidation judiciaire d’une société financière avait confié la défense des intérêts de cette société à un avocat devant les juridictions marocaines, aux fins de contestation de diverses créances et d'une action en comblement de passif à l'encontre de dirigeants sociaux. Après avoir adressé à son client une mise en demeure, l'avocat avait saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris d'une demande de fixation des honoraires dus par son client. Le Bâtonnier s'était déclaré compétent et avait fixé à une certaine somme les honoraires dus par le syndic ès qualité. Ce dernier avait interjeté appel à l'encontre de cette décision. In limine litis et à titre principal, il avait soulevé l'incompétence du Bâtonnier de Paris pour connaître de ce litige.

En cause d’appel. Pour retenir l'incompétence du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris pour statuer sur la demande de fixation des honoraires de l'avocat, l'arrêt constate qu'aucun des courriers du syndic des 3 et 6 décembre 2014 demandant à l’avocat de l'assister dans les différentes procédures, ne se réfère à la loi française, ni à la qualité d'avocat français de l'avocat, ceux-ci étant adressés en langue arabe, à son adresse dont il n'est pas contesté qu'elle correspondait à son lieu d'exercice professionnel au Maroc, où il était inscrit comme avocat au barreau de Casablanca et était agréé auprès de la Cour de cassation marocaine. L'arrêt relève qu'aucune des missions confiées aux termes de ces deux lettres n'a été accomplie en France, toutes l'ayant été exclusivement sur le sol marocain, devant les juridictions de l'État du Maroc. L'arrêt ajoute que l'ensemble des documents soumis au juge de l'honoraire ont originellement été établis en langue arabe et chiffrés par référence à l'unité monétaire en cours au Maroc. L’avocat forme un pourvoi en cassation.
Décision de la Cour de cassation. Les juges du droit rendent leur décision au visa de l'article 174 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID. Selon ce texte, les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires d'avocats ne peuvent être réglées qu'en recourant à la procédure prévue aux articles 175 à 179 de ce décret. Il résulte de ces textes que les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires d'avocat sont soumises successivement au Bâtonnier de l'Ordre des avocats auquel appartient l'avocat qui y dispose de son cabinet principal, puis au premier président de la cour d'appel dans le ressort duquel l'Ordre est établi. En l'absence de saisine d'une juridiction marocaine, la compétence du juge français procède du texte précité qui désigne le Bâtonnier du barreau auquel l'avocat est inscrit pour connaître de la contestation d'honoraires, peu important que la mission de l'avocat se rattache de manière caractérisée au Maroc.

Cassation. La Haute juridiction estime qu’en se référant à tort à l'absence de lien de rattachement caractérisé du litige avec la juridiction française pour se déclarer incompétente, alors qu'aucune juridiction marocaine n'était saisie du litige d'honoraires et qu'elle constatait que l'avocat était inscrit au barreau de Paris, la juridiction du premier président a violé le texte susvisé. Elle casse et annule donc l'arrêt rendu le 7 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.

newsid:490376

Expropriation

[Brèves] Délai d’engagement de l'action judiciaire en rétrocession

Réf. : Cass. civ. 3, 19 septembre 2024, n° 23-20.053, FS-B N° Lexbase : A97245Z8

Lecture: 2 min

N0408B3I

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par Yann Le Foll

Le 02 Octobre 2024

► L'action judiciaire en rétrocession doit être engagée dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet de la demande et dans le délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation.

Faits. Par ordonnance du 15 mars 1988, le juge de l'expropriation du département du Calvados a déclaré expropriées plusieurs parcelles au profit d’une commune.

Soutenant que le terrain n'avait reçu que partiellement la destination prévue par l'acte déclaratif d'utilité publique, les anciens propriétaires ont, par une lettre recommandée du 26 février 2018, demandé au maire de la commune la rétrocession de leurs parcelles.

La commune n'ayant pas donné suite à cette demande, ceux-ci l'ont assignée en rétrocession le 27 juin 2018. Ils font grief à l'arrêt attaqué (CA Caen, 27 juin 2023, n° 21/00342, N° Lexbase : A867597G) de les déclarer irrecevables en leur action aux fins de rétrocession, pour cause de prescription.

Rappel. Selon l'article L. 421-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique N° Lexbase : L8022I4U, si les immeubles expropriés n'ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique.

L'article R. 421-6 du même code N° Lexbase : L4061LTL précise que le recours devant le tribunal judiciaire compétent pour connaître des litiges nés de la mise en œuvre du droit prévu à l'article L. 421-1, doit être introduit, à peine de déchéance, dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet, ce dont il résulte que cette action doit être précédée d'une demande adressée à l'expropriant.

Position CCass. En premier lieu, la demande préalable de rétrocession adressée à l'autorité expropriante ne constituant pas un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision administrative, au sens de l'article L. 411-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1885KN7, ce texte (qui prévoit l’interruption du cours du délai) ne lui est pas applicable.

En second lieu, ne constituant pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9, elle n'est pas interruptive du délai de prescription trentenaire.

Décision. Énonçant le principe précité, la Cour suprême rejette le pourvoi.

newsid:490408

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Remise en cause préalable de la réduction d'impôt « Scellier » et droit fixe d’enregistrement

Réf. : Cass. com., 18 septembre 2024, n° 23-12.182, F-B N° Lexbase : A97305ZE

Lecture: 3 min

N0388B3R

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par Marie-Claire Sgarra

Le 25 Septembre 2024

Le bénéfice du droit fixe d'enregistrement ne peut être remis en cause en l'absence de remise en cause préalable de la réduction d'impôt sur le revenu accordée sur le fondement de l'article 199 septvicies du CGI (réduction d’impôt Scellier) aux acquéreurs du bien en cause.

Les faits. Les requérants résidents fiscaux en France métropolitaine, ont acquis, en l'état futur d'achèvement, un bien immobilier à Nouméa, en vue de bénéficier de la réduction d'impôt sur le revenu prévue à l'article 199 septvicies du CGI N° Lexbase : L0824ML4, dit Scellier, en faveur des investissements immobiliers locatifs, dans sa version applicable à l'outre-mer. Acquisition réalisée sous le bénéfice du régime du droit fixe d'enregistrement prévu aux articles Lp. 290-2 et R 270 du Code des impôts de la Nouvelle-Calédonie.

Procédure. La direction des services fiscaux de la Nouvelle-Calédonie a remis en cause le bénéfice de ce régime de faveur, au motif que les requérants n'avaient pas respecté l'engagement de louer le bien pendant une durée minimale de cinq ans, puis a émis contre ces derniers un avis de mise en recouvrement (AMR). Après le rejet de leur contestation, soutenant que l'avantage fiscal n'avait pas été remis en cause par l'administration fiscale métropolitaine, les requérants ont assigné le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en annulation de la décision de rejet.

Aux termes de l’article Lp. 290-2, IV, alinéa 1er, du Code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, en cas de remise en cause de la réduction d'impôt, selon les cas prévus à l'article 199 septvicies du CGI, l'acquéreur qui a bénéficié du droit fixe est tenu d'acquitter les droits et taxes de mutation dont la perception a été différée.

Il en résulte que le bénéfice du droit fixe d'enregistrement ne peut être remis en cause en l'absence de remise en cause préalable de la réduction d'impôt sur le revenu accordée sur le fondement de l'article 199 septvicies du CGI aux acquéreurs du bien en cause.

En appel, la cour rejette la demande de décharge des droits mis en recouvrement et retient que les requérants n'ont pas respecté l'engagement qu'ils avaient pris de louer le bien pendant une durée minimale de cinq ans et que la réponse qui leur a été donnée par l'administration fiscale métropolitaine n'engage pas la direction des services fiscaux de la Nouvelle-Calédonie dès lors que la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière fiscale et que l'avantage fiscal litigieux, résidant dans la perception du droit fixe d'enregistrement, a été concédé par le territoire de la Nouvelle-Calédonie en application de dispositions locales.

Solution. « En statuant ainsi, alors qu'elle relevait que l'administration fiscale métropolitaine, informée par les contribuables de la vacance des locaux, n'avait pas remis en cause la réduction d'impôt sur le revenu accordée à M. et Mme [G], de sorte que la direction des services fiscaux de la Nouvelle-Calédonie ne pouvait valablement mettre en recouvrement les droits et taxes de mutation dont la perception avait été différée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

newsid:490388

Outre-mer

[Brèves] Décrets pris sur le fondement de la « loi-cadre Defferre » conservant valeur de loi dans une collectivité d'outre-mer

Réf. : Cass. civ. 2, 12 septembre 2024, n° 22-12.740, F-B N° Lexbase : A76935YL

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N0399B38

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par Yann Le Foll

Le 25 Septembre 2024

► Les décrets pris sur le fondement de la « loi-cadre Defferre » peuvent conserver valeur de loi dans une collectivité d'outre-mer.

Faits.  La société Melchior a relevé appel, le 16 décembre 2019, d'un jugement d'un tribunal du travail qui a rejeté son opposition et validé une contrainte de la caisse de compensation des prestations familiales des accidents du travail et de prévoyance (la CAFAT). Un conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel de la société, par une ordonnance que cette dernière a déférée à la cour d'appel.

La société fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 19 mai 2021, ayant déclaré irrecevable l'appel qu'elle a formé le 16 décembre 2019, et de dire n'y avoir lieu à poser la question préjudicielle au tribunal administratif de Nouméa portant sur la légalité des articles 10 et 11 du décret n° 57-246 du 24 février 1957.

L'article 11 du décret n° 57-246 du 24 février 1957 a été pris sur le fondement des articles 3 et 4 de la loi n° 56-619 du 23 juin 1956, autorisant le Gouvernement à mettre en œuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer l'évolution des territoires relevant du ministère de la France d'outre-mer, dite « loi-cadre Defferre ».

Rappel. Il résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat, que les décrets pris sur le fondement des articles 3 et 4 de la loi du 23 juin 1956 conservent valeur de loi dans une collectivité d'outre-mer s'ils ont été approuvés par le Parlement et s'ils n'ont pas été modifiés par un acte réglementaire pris par l'organe délibérant de cette collectivité (CE, 11 mars 2015, n° 382754, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6908ND9, selon lequel la juridiction administrative pour apprécier la légalité des dispositions du décret relatif à la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer).

En outre, dans la décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016 N° Lexbase : A2666RIL, le Conseil constitutionnel a implicitement tranché la question de la valeur juridique des décrets dits « de développement » pris en application de cette loi-cadre du 23 juin 1956, estimant que ces dispositions ont le caractère de dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L5160IBQ.

Position CCass. Les dispositions de l'article 11 du décret n° 57-246 du 24 février 1957 ont été approuvées par le Parlement conformément à l'article 5 de la loi précitée du 23 juin 1956. Elles n'ont fait l'objet, en tant qu'elles s'appliquent à la Nouvelle-Calédonie, d'aucune modification par un acte de nature réglementaire pris par l'organe délibérant de cette collectivité territoriale.  Il en résulte que de telles dispositions ont conservé leur valeur législative.

Décision. La décision déférée se trouve légalement justifiée en ce qu'elle a refusé de saisir la juridiction administrative de cette question préjudicielle.

newsid:490399

Responsabilité

[Brèves] Pas de force majeure en cas de collision entre concurrents lors d’une épreuve de ski-cross

Réf. : Cass. civ. 2, 19 septembre 2024, n° 23-10.638, F-B N° Lexbase : A97235Z7

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N0439B3N

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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Cité, CEDAG

Le 25 Septembre 2024

Selon l’article 1384 alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du Code civil, un événement n'est constitutif de la force majeure permettant de s'exonérer de la responsabilité prévue par ce texte que s'il est imprévisible, irrésistible et extérieur ; la simple modification de sa trajectoire par un skieur engagé dans une épreuve de ski-cross, ne constitue pas un événement imprévisible pour un autre concurrent.

Faits et procédure. En l’espèce, lors d'une compétition internationale de ski cross organisée la victime est devenue tétraplégique à la suite d'une chute. Estimant que sa chute avait été provoquée par un choc de ses skis avec ceux de son concurrent, elle agit en responsabilité contre ce dernier et son assureur. Pour la débouter de ses demandes, les juges du fond retiennent que les skis du concurrent ont « nécessairement joué un rôle causal dans l'accident, mais que, si la victime n'a pas commis de faute, son positionnement n'en a pas moins constitué, par son imprévisibilité, son extériorité et son irrésistibilité, liée à l'impossibilité qui était celle du défendeur de pouvoir manœuvrer lorsqu'il était en l'air pendant le saut, une cause étrangère exonératoire » (CA Grenoble, 15 novembre 2022, n° 20/00086 N° Lexbase : A47298UP). La force majeure était donc exonératoire de toute responsabilité pour le gardien des skis. La victime se pourvoit en cassation, pour violation de l'article 1384, alinéa 1er, devenu l'article 1242, alinéa 1er, du Code civil, au motif que « l'irrésistibilité et l'imprévisibilité constitutifs de la force majeure s'apprécient au regard des circonstances particulières de la cause ; que dans une compétition sportive de haut niveau de ski cross, n'est pas imprévisible le simple positionnement non rectiligne d'un concurrent lors d'une course jalonnée d'obstacles ».

Solution. L'arrêt est cassé pour violation de l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er du Code civil. Un événement n'est constitutif de la force majeure permettant de s'exonérer de la responsabilité prévue par ce texte que s'il est imprévisible, irrésistible et extérieur. Or, la simple modification de sa trajectoire par un skieur engagé dans une épreuve de ski cross ne constitue pas un événement imprévisible pour un autre concurrent.

Ce faisant, elle maintient un contrôle des caractères de la force majeure et une appréciation restrictive de la condition d’imprévisibilité, qui s’apprécie au regard du contexte. Il s’agissait en l’espèce de ski-cross, discipline impliquant nécessairement des risques prévisibles pour les concurrents. On peut citer une autre décision récente pour un accident survenu lors d’une compétition sportive dans lequel la Cour de cassation a retenu que « n'est pas imprévisible pour les motards qui le suivent la chute d'un pilote sur un circuit (Cass. civ. 2, 30 novembre 2023, n° 22-16.820, F-B N° Lexbase : A992814H).

L’arrêt est par ailleurs intéressant : n’était pas en cause une faute de la victime, exclue par les juges du fond, ou le comportement d’un tiers (V. S. Hocquet-Berg, Responsabilité civile et assurances n° 1, Janvier 2024, comm. 6 : « l’exonération totale du gardien d’une chose demeure exceptionnelle et, en réalité, souvent limitée aux hypothèses de dommages volontairement provoqués par la victime elle-même ou par un tiers »).

 

newsid:490439

Sociétés

[Brèves] Démembrement de parts sociales : droits de l’usufruitier sur les dividendes prélevés sur le bénéfice exceptionnel

Réf. : Cass. civ. 3, 19 septembre 2024, n° 22-18.687, FS-B N° Lexbase : A97335ZI

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N0390B3T

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par Perrine Cathalo

Le 25 Septembre 2024

En l'absence de convention particulière entre le nu-propriétaire et l'usufruitier de parts sociales, le dividende prélevé sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d'une société civile immobilière revient au premier, le droit de jouissance du second s'exerçant sous la forme d'un quasi-usufruit sur la somme distribuée. Dès lors, la décision à laquelle prend part l'usufruitier, de distribuer de tels dividendes, sur lesquels il jouit d'un quasi-usufruit, ne peut être constitutive d'un abus d'usufruit.

Faits et procédure. Une SCI est constituée entre M. A, titulaire d'une part en pleine propriété et de 3 135 parts en usufruit, de M. B, titulaire de 4 865 parts en pleine propriété et 3 135 en nue-propriété, de Mme U, titulaire de 1 999 parts en usufruit et de Mme V, titulaire de 1 999 parts en nue-propriété.

M. A est gérant de la SCI depuis 2004 et Mme V en est co-gérante depuis le 18 octobre 2017.

En vertu d'une délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 18 octobre 2017, la SCI a cédé les biens immobiliers dont elle était propriétaire.

Soutenant que cette cession emportait dissolution de la société, M. B a assigné la SCI, M. A, Mme U et Mme V, en dissolution et désignation d'un liquidateur. Il a, en outre, agi en nullité des délibérations des assemblées générales ordinaires du 19 février 2018 relatives à l'affectation du produit de la vente et du 30 avril 2018 relatives à l'approbation des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2017, à la distribution des dividendes et à l'affectation du solde restant. Il a également demandé que soit prononcée l'extinction de l'usufruit de M. A et sollicité l'indemnisation de son préjudice ainsi que le paiement de sa part du boni de liquidation.

Par une décision du 10 mai 2022, la cour d’appel (CA Versailles, 10 mai 2022, n° 21/03119 N° Lexbase : A71597W3) l’a débouté de ses demandes aux motifs que les dividendes distribuant le bénéfice constituent des fruits et sont perçus par l’usufruitier en totalité et en toute propriété, peu important qu’ils proviennent de résultats courants ou exceptionnels.

M. B a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. La troisième chambre civile censure l’arrêt de la cour d’appel au visa de la combinaison des articles 578 N° Lexbase : L3159ABM et 582 N° Lexbase : L3163ABR du Code civil, dont il résulte que si l’usufruitier a droit aux fruits générés par la chose objet de l’usufruit, il a l’obligation de conserver la substance de cette chose.

La Cour rappelle également les conditions du contrat de société posées par l’article 1832 du même code N° Lexbase : L2001ABQ, à savoir que la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.

La Haute juridiction affirme alors que la distribution, sous forme de dividendes, du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d'une société civile immobilière affecte la substance des parts sociales grevées d'usufruit en ce qu'elle compromet la poursuite de l'objet social et l'accomplissement du but poursuivi par les associés.

Il en résulte, selon elle, que, dans le cas où l'assemblée générale décide une telle distribution, le dividende revient, sauf convention contraire entre le nu-propriétaire et l'usufruitier, au premier, le droit de jouissance du second s'exerçant alors sous la forme d'un quasi-usufruit sur la somme ainsi distribuée.

Autrement dit, la décision, à laquelle a pris part l'usufruitier, de distribuer les dividendes prélevés sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d'une société civile immobilière, sur lesquels il jouit d'un quasi-usufruit, ne peut être constitutive d'un abus d'usufruit.

La Cour censure une nouvelle fois l’arrêt de la cour d’appel sur une règle de procédure (CPC, art. 455 N° Lexbase : L8438HWG).

Observations. Si la Chambre commerciale affirmait en 2015, concernant la distribution de réserves, que le démembrement se reportait sur les sommes distribuées sous la forme d’un quasi-usufruit (v. Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16.246, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6622NI4, B. Saintourens, Lexbase Affaires, juillet 2015, n° 431 N° Lexbase : N8295BUR), la première chambre civile jugeait au contraire qu’en pareille situation, les fonds devaient bénéficier aux seuls nus-propriétaires (Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-19.471, F-P+B N° Lexbase : A2344RUD).

Désormais, la troisième chambre civile semble se rallier à la Chambre commerciale et appliquer aux résultats exceptionnels le même traitement que les réserves.

newsid:490390

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