Réf. : CE 5/6 ch.-r., 29 août 2024, n° 488640 N° Lexbase : A07415XQ
Lecture: 3 min
N0250B3N
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 11 Septembre 2024
► Par décision du 29 août 2024, le Conseil d’État annule les dispositions du décret n° 2023-695 du 29 juillet 2023, portant règles sanitaires d'hygiène et de salubrité des locaux d'habitation et assimilés, susceptibles de permettre la mise à disposition aux fins d'habitation de locaux enterrés en totalité et d'une hauteur sous plafond de 1,80 m, les conditions de consultation préalables du Haut Conseil de la santé publique n’ayant pas été respectées s’agissant de ces dispositions.
La censure est ainsi prononcée pour vice de procédure. La Haute juridiction administrative relève en effet que l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre ladite décision envisage d'apporter à son projet des modifications, elle doit procéder à une nouvelle consultation de cet organisme lorsque ces modifications posent des questions nouvelles.
Or il ressort de la comparaison du projet de décret ayant fait l'objet, en application des dispositions de l'article L. 1311-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L9732KXQ, de la consultation du Haut Conseil de la santé publique et du décret attaqué (décret n° 2023-695 du 29 juillet 2023 N° Lexbase : L3205MIK) que ce dernier diffère du premier, notamment, d'une part, en ce qu'il ne comporte plus de condition relative à la proportion d'enfouissement dans le sol au-delà de laquelle des locaux ne peuvent être regardés comme à usage d'habitation et, d'autre part, en ce qu'il retient comme suffisante pour un tel usage une hauteur sous plafond des pièces de vie et de service égale ou supérieure à 2,20 mètres, susceptible d'être ramenée, par renvoi à l'article 4 du décret du 30 janvier 2002 susvisé, à 1,80 mètres pour les locaux disposant au moins d'une pièce principale ayant un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes, alors que le projet soumis au Haut Conseil retenait qu'une hauteur sous plafond comprise entre 2,20 mètres et 2,50 mètres pouvait contribuer à qualifier une situation d'insalubrité et excluait les locaux d'une hauteur inférieure à 2,20 mètres.
Les modifications ainsi apportées aux règles de salubrité des locaux d'habitation postérieurement à la consultation du Haut Conseil de la santé publique, qui portent sur des critères essentiels au regard de l'objet de cette réglementation et dont la nécessaire combinaison pour apprécier la salubrité d'un local destiné à l'habitation est susceptible de permettre la mise à disposition aux fins d'habitation de locaux enterrés en totalité et d'une hauteur sous plafond de 1,80 m, ce qu'excluait le projet de décret soumis à consultation, doivent être regardées comme posant, eu égard à l'objet de ce décret, une question nouvelle qui imposait une nouvelle consultation de cet organisme. Dans les circonstances de l'espèce, une telle omission de consultation a été susceptible d'exercer une influence sur le contenu du décret attaqué.
Selon le Conseil d’État Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'association Fédération Droit au Logement est fondée à demander l'annulation de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre III de la première partie de la partie réglementaire du Code de la santé publique. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de limiter dans le temps les effets de cette annulation.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490250
Réf. : CE, 2e-7e ch. réunies, 24 juillet 2024, n° 491268, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A54365TI
Lecture: 2 min
N0161B3D
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll
Le 12 Septembre 2024
► Le commentaire public d'un élu d'une collectivité délégataire relatif à la gestion du service ne constitue pas une méconnaissance du principe d'impartialité s'imposant à l'acheteur public.
Faits. Une commune a lancé une procédure pour la conclusion d'une délégation de service public pour la gestion du marché forain de la ville.
Un conseiller municipal, président délégué de la commission prévue par l'article L. 1411-5 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4821LU4 a, pendant cette procédure, déclaré dans un commentaire publié sur un réseau social que : « Ce marché est mal géré. C'est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c'est l'occasion de le réformer pour qu'il soit plus diversifié et qu'on y trouve plus de commerces de qualité ». La délégation a été attribuée à une autre société que le délégataire sortant, qui a demandé au juge des référés d'annuler la procédure de passation.
Position CE. La modération des propos et le contexte de cette publication ne révélant ni parti pris, ni animosité personnelle à l'encontre du délégataire sortant, ce commentaire ne constitue pas une atteinte à l'impartialité de l'autorité concédante (annulation partielle, TA Montreuil, 12 janvier 2024, n° 2315368 N° Lexbase : A55692EY ; sur celui-ci, lire J. Sanguinette, Le dénigrement public d’un candidat par un élu sur Facebook méconnait le principe d’impartialité, Lexbase Public, février 2024, n° 734 N° Lexbase : N8320BZ8).
Rappel. Le fait qu’une personne a participé à la procédure d'adjudication en étant susceptible d'exercer une influence sur son issue, alors qu'elle occupait peu de temps auparavant un emploi à haut niveau de responsabilité dans l'entreprise attributaire du marché constitue, elle, une violation du principe d'impartialité (CE, 14 octobre 2015, n° 390968 N° Lexbase : A3734NTH).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Les marchés publics : définitions et champ d'application, Les grands principes de la commande publique, in Marchés publics – Commande publique (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E9082ZMC. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490161
Réf. : CAA de Paris, 15 mai 2024, n° 22PA02892
Lecture: 9 min
N0188B3D
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Sorbonne Paris Nord
Le 11 Septembre 2024
Mots-clés : délai de reprise • procédures fiscales • administration fiscale • rectification
Une EURL – dont le requérant est le gérant et l’unique associé – cède en juillet 2011 son fonds de commerce à une société dont le même requérant est le PDG. La cession génère une plus-value professionnelle de 342 614 euros. Notre contribuable ne reporte pas - sur sa déclaration personnelle – cette plus-value figurant sur la déclaration 2031 souscrite par l’entreprise ; ladite plus-value n’est pas soumise aux prélèvements sociaux auxquelles elle doit être en principe assujettie. Identifiant une telle plus-value, l’administration fiscale la réintègre dans le revenu imposable du contribuable. Contentieux. Saisi, le TA de Melun rejette la demande en décharge – en droits et pénalités – des cotisations supplémentaires d’IR, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales. La CAA de Paris est saisie à son tour.
Selon le requérant, le droit de reprise abrégé de l’administration était prescrit lorsque celle-ci lui a adressé la proposition de rectification (cf. LPF, art. L. 169-2 N° Lexbase : L1214MLK) … l’administration – loin de rappeler et reporter seulement dans la déclaration n° 2042 C la plus-value en tant que plus-value à long terme exonérée par l’organisme de gestion agréé sur la déclaration professionnelle – a rectifié les résultats de la société … l’administration a donc opéré un détournement de procédure après l’expiration du délai de reprise … les juges ont méconnu la position de l’organisme de gestion ayant indiqué que la plus-value était exonérée … la règle – selon laquelle le délai de reprise abrégé ne vaut que dans la mesure où il y a concordance entre les éléments déclarés à l’organisme de gestion agréé et les éléments ultérieurement déclarés par le contribuable – s’applique seulement s’il y a effectif contrôle de cet organisme (or, tel n’est pas le cas s’agissant des conditions d’exonération) … en aucune manière, il y aurait eu intention d’éluder l’impôt en ne déclarant pas la plus-value professionnelle.
La CAA n’est pas sensible aux arguments développés par le requérant et ne fait pas droit à sa demande. Elle ne se prononce pas sur ses conclusions visant les cotisations supplémentaires d’IR et de contributions sur les hauts revenus. La Direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne a en effet procédé – par une décision en date du 14 octobre 2022, postérieure à l’introduction de la requête – à un dégrèvement intégral.
Quid du bien-fondé des prélèvements sociaux qui restent en litige ?
La CAA fait lecture de l’article L. 168 du LPF N° Lexbase : L5263MMU : « Les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition peuvent être réparées par l'administration des impôts par l'administration des douanes et droits indirects ou par les personnes compétentes mentionnées à l'article L. 16 I, selon le cas, dans les conditions et dans les délais prévus aux articles L. 169 à L. 189, sauf dispositions contraires du Code général des impôts ».
La CAA fait encore lecture de l’article L. 169 du LPF : « Pour l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l’administration des impôts s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l’administration, pour les revenus imposables selon un régime réel dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux et des bénéfices agricoles ainsi que pour les revenus imposables à l’impôt sur les sociétés des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, et des sociétés à responsabilité limitée, des exploitations agricoles à responsabilité limitée et des sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont l’associé unique est une personne physique, s’exerce jusqu’à la fin de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, lorsque le contribuable est adhérent d’un centre de gestion agréé ou d’une association agréée, pour les périodes au titre desquelles le service des impôts des entreprises a reçu une copie du compte rendu de mission prévu aux articles 1649 quater E et 1649 quater H du Code général des impôts. Cette réduction de délai ne s’applique pas aux contribuables pour lesquels des pénalités autres que les intérêts de retard auront été appliquées sur les périodes d’imposition non prescrites visées au présent alinéa».
L’administration dispose seulement – par dérogation à la règle fixée à l’article L. 169-1 du LPF – d’un délai de reprise courant jusqu’au 31 décembre de la 2ème année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due pour rectifier les omissions, insuffisances ou erreurs affectant l’assiette ou la liquidation de l’IR dû. Dans le cas présent – ajoute aussitôt la CAA de Paris – il convient de s’arrêter sur la situation d’entreprises soumises au régime fiscal des sociétés de personnes et dont les bénéfices sont taxables entre les mains de leurs associés à concurrence de leur quote-part. Or, il appert que les dispositions mentionnées en amont ne reçoivent pas application pour les rectifications procédant des erreurs ou insuffisances constatées dans le report – cf. la déclaration personnelle de l’associé – des indications figurant dans la déclaration professionnelle déposée par l’entreprise. Dans une telle configuration, l’administration jouit d’un délai courant jusqu’au 31 décembre de la 3ème année - suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due - pour procéder aux rectifications de l’impôt dû par l’associé.
On se souvient que le contribuable n’a pas reporté sur sa déclaration personnelle la plus-value professionnelle réalisée en 2011 et figurant sur la déclaration n°2031 souscrite par l’entreprise ; il ne l’a pas soumise aux prélèvements sociaux auxquelles elle était assujettie … quand bien même la déclaration n° 2031 faisait état d’une exonération de cette plus-value de cotisations d’IR (cf. CGI, art. 151 septies N° Lexbase : L0813MLP). De cela, le juge tire la conclusion suivante : puisque la rectification découle du seul constat de cette omission, l’administration disposait à bon droit d’un délai courant jusqu’au 31 décembre de la 3ème année (suivante celle au titre de laquelle l’imposition est due) pour procéder à ladite rectification.
Reste cependant le fait que l’organisme de gestion agréé a estimé que la plus-value en question méritait de faire l’objet d’une exonération ; reste cependant le fait que l’administration a requalifié la plus-value en plus-value taxable à l’IR (taux de 16 %) et a rectifié les résultats de la société. Aux yeux de la CAA de Paris, ces deux éléments sont dépourvus de portée dans la mesure où les rehaussements d’IR et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ont été abandonnés en cours d’instance. Cela signifie que restent seulement en litige les prélèvements sociaux ; or, ceux-ci ne relèvent pas du champ de l’exonération visée. De détournement de procédure il ne saurait être question selon la CAA. À l’aune de l’ensemble de ces développements, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le droit de reprise de l’administration était expiré quand la proposition de rectification lui a été adressée (quand bien même l’EURL était membre d’un centre de gestion agréé ou d’une association agréée émettant un compte rendu de mission au titre des périodes concernées).
Un ultime point de la décision porte sur les pénalités. La CAA fait lecture de l’article 1729 du CGI N° Lexbase : L4733ICB : « Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré […] ». La CAA rappelle que le contribuable n’a pas reporté sur sa déclaration personnelle – s’agissant de la taxation aux prélèvements sociaux – la plus-value professionnelle réalisée en 2011. Or, une telle « somme représente plus de 300 % du montant des bénéfices industriels et commerciaux réalisés au titre de l’année 2011 et plus de 169 % du revenu global initialement déclaré à hauteur de 201 849 euros au titre de la même année ». Partant de ce constat, la CAA en arrive à une admonestation qui sonne le glas des prétentions du requérant : étant gérant et associé unique de l’EURL, il lui était impossible d’ignorer l’existence même d’une telle plus-value tout comme son caractère imposable aux prélèvements sociaux. En une ultime parade, le requérant tente d’échapper aux rets juridictionnels en rappelant qu’il a eu recours – pour la tenue de sa comptabilité – aux services d’une association de gestion et de comptabilité agréée. Or, cette association avait établi la déclaration n° 2031 en indiquant que la plus-value était une plus-value à long terme exonérée (cf. CGI, art. 151 septies N° Lexbase : L0813MLP). Une telle défense ne saurait prospérer selon la CAA : les déclarations fiscales sont établies « sous la seule responsabilité des contribuables », l’exonération en cause ne concerne pas les prélèvements sociaux, le rehaussement découle de la seule omission du requérant. L’administration est ainsi bien fondée à prétendre poser la pénalité litigieuse en raison d’une volonté – avérée – d’éluder l’impôt. Que la Commission des infractions fiscales – saisie dans le cadre de ce litige – ait rendu un avis défavorable s’agissant de l’engagement de poursuites correctionnelles à l’encontre du requérant ne change rien à la donne : sur le plan fiscal, la volonté d’éluer l’impôt est constituée.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490188
Réf. : Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 22-20.976, FS-B N° Lexbase : A35445XK
Lecture: 4 min
N0237B38
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Charlotte Moronval
Le 11 Septembre 2024
► L'action en paiement d'une indemnité pour repos compensateur de remplacement non pris, en raison d'un manquement de l'employeur à son obligation d'information du salarié sur le nombre d'heures de repos compensateur portées à son crédit, est soumise à la prescription biennale, à compter du jour où le salarié prend connaissance de ses droits, ou au plus tard lors de la rupture du contrat.
Faits et procédure. Une salariée, exerçant ses fonctions quatre jours par semaine au sein de l'étude d’une société et un jour par semaine au sein d’une autre étude, est licenciée.
Elle saisit la juridiction prud'homale afin de contester son licenciement et adresse notamment une demande au titre des repos compensateurs de remplacement.
Pour déclarer irrecevables les demandes en paiement de la salariée au titre des repos compensateurs de remplacement pour la période antérieure au mois de décembre 2014, la cour d’appel (CA Rouen, 9 juin 2022, n° 19/02941 N° Lexbase : A138877K) relève que l'intéressée ne conteste pas avoir reçu mensuellement ses bulletins de salaires et par suite avoir pu constater, le cas échéant, ce qu'elle reproche à son employeur, à savoir l'absence d'informations sur le nombre des repos compensateurs de remplacement auxquels elle pouvait prétendre.
Elle retient que la salariée ayant introduit son action devant le conseil de prud'hommes le 27 décembre 2017, c'est à juste titre que l'employeur soulève la prescription de son action pour les demandes portant sur les années 2012 à 2014, à l'exception du mois de décembre 2014, puisqu'il n'est pas établi que le bulletin de salaire du mois de décembre 2014 a été communiqué avant le 27 décembre 2014.
La salariée décide de former un pourvoi en cassation.
Solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation ne valide pas la décision de la cour d’appel.
Rappel. Selon l'article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. L'article L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH dispose que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Enfin, l'article L. 3121-24 N° Lexbase : L3735IBX, dans sa version antérieure à la loi n° 2015-994, du 17 août 2015 LXB=L2618KG3], et l'article D. 3171-11 du Code du travail N° Lexbase : L7348IBR précisent que les salariés sont informés du nombre d'heures de repos compensateur de remplacement et de contrepartie obligatoire en repos portés à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie. Si l'employeur manque à cette obligation, le salarié peut réclamer des dommages et intérêts (Cass. soc., 21 mai 2002, n° 99-45.890, publié au bulletin N° Lexbase : A7131AYR). Cependant, la loi n° 2013-504, du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi N° Lexbase : L0394IXU, a instauré de nouveaux délais de prescription prévus aux articles L. 1471-1 et L. 3245-1 du Code du travail. En application de ces textes, la Cour de cassation juge que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée (Cass. soc., 30 juin 2021, n° 18-23.932, FS-B N° Lexbase : A21214Y9). |
Pour aller plus loin :
|
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490237
Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 23 juillet 2024, n° 481894, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A34495TW
Lecture: 5 min
N0274B3K
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, Couderc Dinh et Associés
Le 11 Septembre 2024
► Dans le contexte récent de la multiplication du recours à la procédure de l’abus de droit prévue par l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, une décision du Conseil d’État du 23 juillet dernier, semble de nature à tempérer les ardeurs de l’administration fiscale. Cette tempérance est d’autant mieux venue que, pour les redressements d’impôt dont le montant excède 100 000 euros, l’application de cette procédure signifie une transmission automatique au parquet qui fait courir au contribuable un risque de sanctions pénales.
Revenant à la lettre du texte, le Conseil d’État rappelle la nécessité pour l’administration d’écarter des actes pour pouvoir mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit.
Par trois actes conclus en 2002, 2005 et 2007, la société BancWestCorporation (BWC), immatriculée dans l’État du Delaware aux États-Unis et contrôlée en totalité par BNP Paribas SA, a cédé à cette dernière une participation minoritaire dans Bank of the West (BoW). Le produit des cessions était destiné au remboursement d’un emprunt.
Un pacte d’actionnaires entre BNP Paribas SA et BWC prévoyait des options d’achat et de vente avec des délais d’exercice différents. Le prix d’exercice de l’option d’achat prévoyait la majoration du prix de vente d’intérêts fixes capitalisés et sa minoration de dividendes reçus par BNP Paribas SA jusqu’à son exercice. Le prix de l’option de vente était égal à celui de l’option d’achat majoré de 45 millions de dollars, de sorte qu’il incitait fortement à l’exercice de l’option d’achat.
BNP Paribas SA a comptabilisé les sommes distribuées par BoW comme des dividendes, exonérés d’impôt au titre du régime des sociétés mères. Du point de vue américain, cette transaction caractéristique d’un hybride était traitée comme générant le paiement d’intérêts fiscalement déductibles.
En ayant recours à la procédure de répression des abus de droit et en soulignant que la société mère n’était en réalité pas exposée à un véritable risque d’actionnaire, l’administration fiscale a rehaussé le résultat fiscal de BNP Paribas SA en y réintégrant les dividendes ayant bénéficié à tort du régime des sociétés mères au motif que ceux-ci auraient dû être imposés comme des produits de créance correspondant aux intérêts dus dans le cadre d’une opération qui doit être assimilée à une pension sur titres, régie par l’article L. 211-27 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L9922LGL et dont les produits sont exclus du bénéfice du régime d’exonération des dividendes.
Sans pour autant donner droit au fonds à la société requérante, le Conseil d’État rappelle toutefois que la procédure de l’abus de droit repose sur la nécessité de fonder le redressement fiscal sur le fait d’écarter un acte. La recaractérisation de l’opération en opération de pension relève de la simple requalification qui ne nécessite pas d’écarter les actes passés par la contribuable mais simplement de leur appliquer le traitement fiscal qui convient. Dans ses conclusions, le rapporteur public Romain Victor rappelle à cet égard la différence avec le raisonnement conduit dans des précédents concernant des opérations similaires pour lesquels l’abus de droit s’était révélé nécessaire pour la remise en cause d’interposition de sociétés, qui n’avait d’autre justification que de faire obstacle à la mise en évidence d’une pension, par la création d’une relation triangulaire apparente (CE 3° et 8° ch.-r., 31 mai 2022, n° 453175, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A61807YK).
Lire sur cet arrêt, A. Chikouche, L’exclusion de l’octroi du régime fiscal mère-fille à l’aune de la caractérisation d’un abus de droit, Lexbase fiscal, juin 2022, n° N° Lexbase : N2022BZW. |
Comme le relève Romain Victor dans ses conclusions, en l’absence de symétrie avec les situations d’abus de droit rampant dans lesquelles le défaut de se placer dans la procédure d’abus de droit prive l’administration du droit de rectifier les résultats imposables (CE Plénière, 21 juillet 1989, n° 59970 N° Lexbase : A0784AQ4, l’abus de recours à la procédure d’abus de droit, lorsqu’il ne s’impose pas, ne peut être constitutif d’un vice de procédure compromettant la validité des rectifications opérées.
Aussi le caractère non justifié de la procédure d’abus de droit mise en œuvre n’explique pas la décision de cassation prise par le Conseil d’État sur un autre moyen soulevé par le contribuable entachant la décision de la cour administrative d’appel devant laquelle l’affaire est renvoyée, d’absence de motivation. En revanche, il devrait prémunir contre l’application des pénalités spécifiques et l’ouverture automatique d’une action au pénal.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490274
Réf. : Cass. civ. 1, 4 septembre 2024, n° 23-11.723, FS-B N° Lexbase : A35425XH
Lecture: 3 min
N0270B3E
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Laïla Bedja
Le 11 Septembre 2024
► La prestation de compensation du handicap ayant un caractère indemnitaire et, au regard du principe de la réparation intégrale, tant la PCH déjà perçue que celle à percevoir doit être déduite des sommes allouées à la victime ; mais, des difficultés existantes et relatives à la mise en œuvre de la déduction de la PCH au-delà de la date à laquelle elle a été allouée, la Cour de cassation statue sur l’impossibilité de déduire la PCH du capital alloué par l’ONIAM.
Faits et procédure. À la suite d’une radiothérapie, un patient a présenté une radionécrose et conservé d’importantes séquelles. La commission de conciliation et d’indemnisation a conclu à l’existence d’un accident médical non fautif. La victime a alors accepté une offre d’indemnisation partielle de l’ONIAM au titre de ses préjudices personnels. Il a ensuite assigné l’ONIAM en indemnisation de ses autres postes de préjudices.
L'ONIAM fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la victime un capital de 1 129 068,33 euros au titre de l'assistance tierce personne permanente, sans déduction de la prestation de compensation du handicap (PCH) pour la période postérieure au 31 juillet 2024.
Décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle rappelle que la PCH est allouée par le département sans condition de ressources, lui donnant ainsi le caractère d’une prestation indemnitaire, de sorte que les sommes versées à ce titre viennent en déduction des sommes dues à la victime par l’ONIAM au titre du poste de frais d’assistance par tierce personne.
Elle relève ensuite, pour justifier sa décision, les difficultés de mise en œuvre de cette déduction. En premier lieu, la PCH n’a aucun caractère obligatoire pour la victime qui n’est pas tenue d’en demander le renouvellement et elle peut être interrompue ou suspendue quand le bénéficiaire ne respecte pas les conditions d’attribution. En deuxième lieu, une autre difficulté découle du fait qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier si la réparation du préjudice de la victime doit prendre la forme d’un capital ou d’une rente. Enfin, en troisième lieu, la Cour relève que la victime ne doit pas se trouver pour l’avenir contrainte de produire régulièrement des justificatifs relatifs à la perception ou non d’une prestation et, le cas échéant, à son montant. La Cour de cassation a ainsi jugé que le versement d'une rente au titre de l'assistance par une tierce personne ne peut être subordonné à la production annuelle, par la victime, auprès du FGTI, d'une attestation justifiant qu'elle ne perçoit pas la PCH (Cass. civ. 2, 21 septembre 2023, n° 21-25.187, publié
Partant, la Cour de cassation en a conclu que c’est à bon droit que la cour d’appel a statué sur l’impossible déduction du capital alloué par l’ONIAM de la PCH au-delà de la période pour laquelle elle a été attribuée à la victime.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490270
Réf. : Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 22-16.129, FS-B N° Lexbase : A35355X9
Lecture: 4 min
N0223B3N
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Laïla Bedja
Le 11 Septembre 2024
► Il résulte des articles L. 1225-17, alinéa 1, et L. 1225-29 du Code du travail, interprétés à la lumière de l'article 8 de la Directive n° 92/85/CEE du 19 octobre 1992, que la salariée a le droit de bénéficier d'un congé de maternité pendant une période qui commence six semaines avant la date présumée de l'accouchement et qui se termine dix semaines après la date de celui-ci, et qu'il est interdit d'employer la salariée pendant une période de huit semaines au total avant et après son accouchement, ainsi que dans les six semaines qui suivent son accouchement ; le seul constat que l'employeur a manqué à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité ouvre droit à réparation ;
En revanche, la salariée devra démontrer l’existence d’un préjudice si l’employeur a manqué à son obligation de faire bénéficier à la salariée d'un suivi médical et d'une visite de reprise à la suite de son congé de maternité.
Faits et procédure. Engagée en qualité d’assistante de direction, une salariée a bénéficié d’un congé de maternité à partir de juillet 2014, puis d’un congé parental jusqu’en août 2015. Elle a ensuite démissionné en 2017.
La salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la démission en prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, absence de visite médicale, manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et de rappel de salaire au titre du treizième mois.
Les demandes relatives au harcèlement moral et au treizième mois sont écartées tant par la cour d’appel que la Cour de cassation.
Les deux moyens relatifs au congé de maternité attirent l’attention. La salariée doit-elle établir l’existence d’un préjudice en l’absence de visite de reprise du travail à la suite de son congé de maternité et en cas de prestations de travail effectuées lors de son congé ?
Décision. La Haute juridiction répond qu’un préjudice doit être rapporté en cas d’absence de suivi médical, mais que le seul constat de la fourniture de travail durant le congé de maternité ouvre droit à réparation sans qu'il y ait lieu de s'expliquer davantage sur la nature du préjudice qui en est résulté.
Les dispositions de l’article 14 de la Directive n° 89/391, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail N° Lexbase : L9900AU9, qui renvoient à l’adoption de mesures définies par la législation ou la pratique nationale et permettent le choix entre diverses modalités de mise en œuvre de la surveillance de santé ne confèrent au salarié de droits subjectifs, clairs, précis et inconditionnels en matière de suivi médical, de sorte qu'il appartient à celui-ci, en cas de non-respect par l'employeur des prescriptions nationales en la matière, de démontrer l'existence d'un préjudice. La cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait manqué à son obligation de faire bénéficier la salariée d'un suivi médical et d'une visite de reprise à la suite de son congé de maternité, a relevé que celle-ci ne justifiait d'aucun préjudice. Le pourvoi de la salariée sur ce point est alors rejeté.
En revanche, la cassation est prononcée au visa des articles L. 1225-17, alinéa 1 N° Lexbase : L5727IAD, et L. 1225-29 du Code du travail N° Lexbase : L0906H9G, interprétés à la lumière de l'article 8 de la Directive n° 92/85/CEE, du 19 octobre 1992, concernant la fourniture de travail pendant le congé de maternité N° Lexbase : L7504AUH. La suspension de la prestation de travail pendant le congé de maternité est stricte pour l’employeur.
Pour aller plus loin :
|
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490223
Réf. : Cass. soc., 3 juillet 2024, n° 23-14.227, F-B N° Lexbase : A58015MS
Lecture: 15 min
N0216B3E
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Emmanuelle Dutoit, Maître de conférences associé à l'Université de Picardie Jules Verne et Consultante juridique au sein du cabinet d’avocats AJE
Le 11 Septembre 2024
Mots-clés : médecine du travail ● examens médicaux ● inaptitude ● reclassement ● dispense ● contestation ● recevabilité ● conseil de prud’hommes ● référé ● procédure accélérée au fond ● objet du recours ● éléments de nature médicale
Conformément à l’article L. 4624-7 du Code du travail, le salarié - comme l’employeur - peut contester les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale, et ce, devant le conseil de prud'hommes selon la procédure accélérée au fond.
Cette possibilité de recours s’étend à la dispense de reclassement mentionnée dans un avis d’inaptitude, une telle mention constituant une indication du médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale selon la Cour de cassation.
Selon l’article L. 4624-7 du Code du travail N° Lexbase : L4459L7B, le salarié (ou l'employeur) peut saisir le conseil de prud'hommes, selon la procédure accélérée au fond, pour notamment contester un avis d’inaptitude sous réserve que cette contestation – selon le texte précité – repose sur des éléments de nature médicale.
Or, dans le cadre d’un avis d’inaptitude, le médecin du travail a la possibilité de mentionner dans son avis que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi », dispensant ainsi l’employeur de toute recherche de reclassement.
C’est la dispense de reclassement « l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » figurant dans l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail qui a donné lieu à la décision du 3 juillet 2024. Et c’est cette mention que le salarié a contestée en saisissant la juridiction prud’homale, selon la procédure accélérée au fond.
Le recours du salarié ayant été déclaré comme recevable par les juges du fond, l’employeur s’est pourvu en cassation.
La dispense de reclassement formulée par le médecin du travail dans un avis d’inaptitude, et plus précisément, la mention « l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi », peut-elle effectivement faire l’objet du recours prévu à l’article L. 4624-7 du Code du travail ?
C’est cette question qu’a dû trancher la Cour de cassation le 3 juillet 2024.
I. Le recours encadré contre l’avis d’inaptitude du médecin du travail
Un avis d’inaptitude résulte notamment d’un échange du médecin du travail avec le salarié, mais également avec l’employeur. Malgré cette procédure contradictoire, cet avis peut faire l’objet d’une contestation, que ce soit de la part du salarié comme de l’employeur, les deux pouvant avoir un intérêt à agir.
Cette possibilité de recours est cependant strictement encadrée et ne peut en principe concerner tous les éléments relatifs à l’avis d’inaptitude.
A. La possibilité de contester l’avis d’inaptitude…
La possibilité de contester l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail est prévue aux articles L. 4624-7 et R. 4624-45 N° Lexbase : L2346LUG à R. 4624-45-2 du Code du travail. La procédure a été significativement modifiée par la loi n° 2016-1088, du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C et l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 N° Lexbase : L6578LH4.
Cette contestation peut être à l’initiative du salarié ou de l’employeur à l’exclusion d’un tiers. Ainsi, l’employeur peut contester l’avis d’inaptitude qu’il considèrerait comme de « complaisance ». À l’inverse, le salarié peut contester le constat d’inaptitude qui pourrait entraîner son licenciement.
Dans l’arrêt rendu le 3 juillet 2024, c’est la dispense de reclassement qui était contestée par le salarié déclaré inapte. En effet, par cette mention, l’employeur était dispensé de toute recherche de reclassement et l’issue de la procédure était prévisible… le salarié ne pouvait qu’être licencié. En revanche, un nouvel avis sans mention de cette dispense permettrait de contraindre l’employeur à procéder à une recherche de reclassement, le salarié pouvant espérer que son contrat de travail ne soit pas rompu au profit de son reclassement sur un poste adapté à son état de santé.
Il est à noter que le médecin du travail – informé de la contestation par l’employeur dans tous les cas – n’est pas partie au litige.
C’est le conseil de prud'hommes, selon la procédure accélérée au fond, qui doit être saisi dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'avis du médecin du travail [1].
Le conseil de prud'hommes ne peut annuler l’avis d’inaptitude, [2] mais substitue sa décision à l’avis rendu par le médecin du travail après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d’instruction [3].
À défaut de contestation dans les délais, l’avis du médecin du travail s’impose à l’employeur, au salarié et au juge [4].
B. … limitée en principe aux éléments de nature médicale
L’article L. 4624-7 du Code du travail précise clairement que la contestation de l’avis d’inaptitude selon la procédure accélérée au fond porte sur des éléments de nature médicale.
Cette restriction aux éléments de nature médicale est rappelée par le ministère du Travail [5] et exclut donc, selon l’Administration, les contestations :
Cependant, la Cour de cassation a pu avoir une appréciation « extensive » du champ d’application de l’article L. 4624-7 du Code du travail en considérant notamment que le juge peut se baser sur les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l’avis d’inaptitude [6] – en l’espèce, c’était une problématique liée à la réalisation de l’étude de poste qui se posait.
Dans un avis du 17 mars 2021, la Cour de cassation avait en effet précisé que « la contestation dont peut être saisi le conseil de prud'hommes, en application de l'article L. 4624-7 du Code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, doit porter sur l'avis du médecin du travail. Le conseil des prud'hommes peut, dans ce cadre, examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis. » [7]
Le recours prévu à l’article L. 4624-7 du Code du travail peut donc entraîner un examen de tous les éléments sur lesquels le médecin du travail s’est fondé pour rendre son avis et non pas sur les seuls éléments de nature « médicale ».
La lettre de la Chambre sociale de la Cour de cassation précise en la matière que la contestation doit porter sur l’avis d’inaptitude lui-même ce qui conduit le conseil de prud’hommes à examiner les éléments ayant permis au médecin du travail de conclure à l’inaptitude du salarié, y compris - au besoin - en examinant la procédure suivie par le médecin [8].
Le déroulé de la procédure de constat d’inaptitude ne serait donc pas systématiquement écarté du champ d’application de l’article L. 4624-7 du Code du travail.
Cette position a été confirmée par la Cour de cassation le 25 octobre 2023 pour des avis d’inaptitude indiquant des postes erronés [9]. Dans ce cadre, Madame Wurtz, Avocate générale, a été encore plus précise en déduisant notamment que :
« - le sens de l’avis du médecin, à savoir l’aptitude du salarié assortie de recommandations ou son inaptitude est l’objet même du recours ;
- l’avis d’inaptitude s’inscrit dans une procédure comptant des actes et diligences à réaliser par le médecin du travail qui en constituent le support utile : en effet sans examen médical, étude de poste et des conditions de travail, sans échange avec l’employeur, comment le médecin pourrait- il avoir la connaissance concrète de la situation du salarié et se prononcer, de façon adaptée et au plus près de la réalité, sur la compatibilité de son état de santé avec le poste occupé ? C’est d’ailleurs et précisément ces différents actes précédant le constat d’inaptitude qui caractérisent la spécificité même de la médecine du travail ;
- si ces actes et diligences énumérés par l’article R. 4624-42 n’ont pas tous un caractère strictement médical, ils forment un tout avec l’avis médical d’inaptitude qu’ils justifient ; […]. » [10]
Ainsi, un élément de procédure semble pouvoir justifier un recours dans le cadre de l’article L. 4624-7 du Code du travail sous réserve qu’il ait exercé une influence sur les conclusions médicales du médecin du travail et donc sur l’avis d’inaptitude en lui-même.
Comme le précise l’Avocate générale, l’avis d’inaptitude est un « tout ».
Or, d’autres mentions que celles ayant permis de constater l’inaptitude du salarié y sont présentes. Ainsi, cette appréciation doit-elle également s’appliquer aux indications du médecin du travail sur les possibilités de reclassement du salarié ?
En effet, dans l’arrêt du 3 juillet 2024, ce n’était pas le constat d’inaptitude ni les diligences ayant conduit à ce constat qui faisaient l’objet d’un recours, mais les conséquences de l’inaptitude, à savoir une impossibilité de reclassement matérialisée par une dispense de recherche formalisée par le médecin du travail.
Cette décision vient donc enrichir le champ d’application de l’article L. 4624-7 du Code du travail.
II. Les indications du médecin du travail sur les possibilités de reclassement du salarié – y compris la dispense de reclassement – entrent dans le champ d’application de l’article L. 4624-7 du Code du travail
Dans cette décision du 3 juillet 2024, la Cour de cassation se prononce pour la première fois, à notre connaissance, sur la possibilité de contester la dispense de reclassement de l’avis d’inaptitude dans le cadre de l’article L. 4624-7 du Code du travail. Elle illustre cependant l’incertitude dans laquelle peuvent se trouver en pratique les employeurs.
A. La dispense de reclassement figurant dans l’avis d’inaptitude est un élément d’ordre médical
Dans l’arrêt du 3 juillet 2024, l’employeur considérait que l’action du salarié devant le conseil de prud’hommes sur le fondement de l’article L. 4624-7 du Code du travail, visant à contester l’avis d’inaptitude et, plus précisément la dispense de reclassement, n’était pas recevable.
Il aurait en effet été possible de considérer, au regard des éléments formulés supra, que la contestation doit être en lien avec le constat d’inaptitude du salarié et, plus simplement, qu’elle a pour objectif de déterminer si le salarié devait ou non être déclaré inapte.
Mais ce serait réduire le contenu de l’avis d’inaptitude.
En effet, l’article L. 4624-4 du Code du travail dispose que l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail doit être assorti d'indications relatives au reclassement du salarié.
Or, comme le rappelait Madame Wurtz, l’avis d’inaptitude est un « tout »… et dans cet avis, les indications relatives au reclassement doivent y figurer – y compris lorsqu’il s’agit d’une dispense.
De plus, le champ de l’article L. 4624-7 du Code du travail couvre les avis du médecin du travail, mais également les indications qu’il peut émettre et qui reposent sur des éléments de nature médicale.
Or, les dispenses de reclassement prévues par le Code du travail sont directement en lien avec la santé du salarié comme l’atteste leur rédaction (« tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ») – ce qui leur confère de facto une nature « médicale ».
En conséquence, comme le relève la Cour de cassation dans l’arrêt du 3 juillet 2024, la dispense de reclassement est effectivement une « indication émise par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale ».
L’action du salarié ne pouvait donc être que recevable, ce qui ouvre de nouvelles possibilités de contestation. En effet, le champ de l’article L. 4624-7 du Code du travail n’est plus limité au constat d’inaptitude en tant que tel, mais s’étend également aux indications relatives aux possibilités de reclassement du salarié.
B. Le recours prévu par l’article L. 4624-7 du Code du travail est-il adapté en pratique ?
La possibilité de contester l’avis d’inaptitude – que ce soit par l’employeur ou le salarié – est essentielle, y compris sur les indications émises (ou non) par le médecin du travail.
Cependant, la position de l’employeur est moins enviable dans cette hypothèse.
En effet, un employeur doit-il attendre l’expiration du délai de quinze jours avant de notifier un licenciement – en cas de dispense de reclassement comme en l’espèce – pour s’assurer de l’absence de contestation de l’avis par le salarié ?
Il pourra être conseillé, dans cette hypothèse, d’utiliser pleinement le délai d’un mois [11] pour réaliser la procédure de licenciement. La notification du licenciement n’intervenant alors qu’à l’issue du délai de contestation de quinze jours.
Mais en cas de contestation d’un avis d’inaptitude, doit-il poursuivre la procédure ou la suspendre dans l’attente d’une décision définitive ?
La situation peut en effet être compliquée puisque le recours contre un avis d’inaptitude n’est pas suspensif.
Or, si le salarié n’est ni reclassé ni licencié à l’issue d’un délai d’un mois, le versement du salaire doit reprendre [12]. Dans ce cas, l’employeur n’aura donc pas d’autre choix, passé ce délai d’un mois, que de verser sa rémunération au salarié jusqu’à son reclassement ou son licenciement - cette obligation entraînant un coût certain pour l’entreprise.
À l’inverse, l’employeur peut décider de poursuivre la procédure et notifier le licenciement. Cependant, il prend le risque qu’il soit déclaré sans cause réelle et sérieuse si un avis d’aptitude est substitué par exemple [13] ou si, comme en l’espèce, l’inaptitude est confirmée, mais la dispense de reclassement est supprimée…
La solution la plus prudente serait donc – sous réserve de l’espèce – de suspendre la procédure de licenciement dans l’attente d’une décision définitive et de reprendre le versement du salaire [14] afin de respecter les droits du salarié en espérant une résolution rapide du litige.
Le régime de l’article L. 4624-7 du Code du travail n’est donc pas particulièrement favorable à l’employeur qui pourrait préférer une autre voie de résolution.
En effet, le recours prévu par l’article L. 4624-7 du Code du travail peut également poser des difficultés pratiques s’agissant d’éléments ne relevant pas d’office de son champ d’application même si nous venons de voir qu’il pouvait être interprété largement.
Ainsi, il reste de nombreux éléments qui n’ont pas encore été tranchés par la Cour de cassation, alors qu’ils existent en pratique. Nous pouvons citer, par exemple, l’absence d’indications du médecin du travail sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté, l’absence de date de la dernière actualisation de la fiche d’entreprise (voire l’existence d’une date très ancienne), un médecin du travail n’étant pas le référent de l’entreprise, un avis rendu par une autre personne que le médecin du travail, etc.
Il n’est pas aisé d’anticiper la position de la Cour de cassation sur ces éléments et donc de déterminer la conduite à tenir dans de pareils cas.
De plus, des erreurs de « plume » peuvent également être commises par le médecin du travail sans qu’il soit nécessaire de contester l’avis en procédure accélérée.
Dans ces différents cas, l’employeur pourra être tenté de se rapprocher directement du médecin du travail afin que l’élément manquant ou l’erreur soient corrigés plutôt que de contester l’avis, mais cette possibilité de régularisation sera liée au bon vouloir du médecin. De plus, une issue favorable devra être trouvée avant l’expiration, le cas échéant, du délai de saisine de quinze jours.
Le recours prévu à l’article L. 4624-7 du Code du travail n’est pas adapté à toutes les situations. De plus, certains cas – qui ne relèvent pas directement d’un élément médical – interrogent quant à la recevabilité ou non d’un recours. Pour ces derniers, il pourrait être préférable de réglementer une procédure amiable préalable avec le médecin du travail permettant de le solliciter pour, qu’éventuellement, l’avis soit corrigé (voire complété). Cette procédure pourrait suspendre le délai de contestation de quinze jours prévu à l’article L. 4624-7 du Code du travail jusqu’à la notification du « nouvel » avis.
Ces difficultés pratiques laissent présager de nouvelles décisions de la Cour de cassation.
[1] C. trav., art. R. 4624-45 ; Cass. soc., 2 juin 2021, n° 19-24.061, FS-P N° Lexbase : A94434TW.
[2] Cass. Avis, 17 mars 2021, n° 15002 N° Lexbase : A94564M8.
[3] Pour aller plus loin : ÉTUDE : L'inaptitude médicale au poste de travail du salarié à la suite d'une maladie non professionnelle, Les recours contre l'avis d'inaptitude du médecin du travail, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3272ETD.
[4] L. Poinsot, Inaptitude : l’avis non contesté du médecin du travail s’impose à l’employeur, au salarié et au juge, Lexbase Social, décembre 2022, n° 928 N° Lexbase : N3599BZC.
[5] Fiche pratique du ministère du Travail publiée le 20 octobre 2020 (mise à jour le 21 juin 2024) [en ligne].
[6] Cass. soc., 7 décembre 2022, n° 21-17.927, FS-B N° Lexbase : A85208XT et n° 21-23.662, FS-B N° Lexbase : A85248XY.
[7] Voir note 2.
[9] Cass. soc., 25 octobre 2023, n° 22-12.833, FS-B N° Lexbase : A33401PE et n° 22-18.303, FS-B N° Lexbase : A33441PK.
[10] Avis de Mme Wurtz, Avocate générale, Arrêt n° 1070 du 25 octobre 2023 (B) - Chambre sociale - Pourvoi n° 22-12.833 [en ligne].
[11] C. trav., art. L. 1226-4 N° Lexbase : L5819ISC et L. 1226-11 N° Lexbase : L1028H9X.
[12] Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.141, F-P+B N° Lexbase : A9773D74 ; Cass. soc., 10 janvier 2024, n° 22-13.464, FS-B N° Lexbase : A05572DY.
[13] Cass. soc., 31 mars 2016, n° 14-28.249, F-D N° Lexbase : A1589RBH.
[14] L’employeur ne pouvant demander le remboursement des sommes versées dans le cas où un avis d’aptitude serait substitué à un avis d’inaptitude : Cass. soc., 28 avril 2011, n° 10-13.775, F-D
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490216
Réf. : Cass. com., 10 juillet 2024, n° 22-15.836, FS-B N° Lexbase : A22245P3
Lecture: 18 min
N0220B3K
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
Le 11 Septembre 2024
Mots-clés : SAS • actions de préférence • conversion d'actions • conditions de modification • consentement individuel
Il résulte de l’ancien article 1134 du Code civil, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que, lorsque les statuts d'une société par actions simplifiée ne prévoient pas les modalités selon lesquelles les droits attachés aux actions de préférence peuvent être modifiés, le consentement individuel des titulaires de ces actions est requis pour procéder à une telle modification
Constitue une conversion d'actions au sens et pour l'application de l'article L. 228-15, alinéa 2, du Code de commerce toute opération emportant modification des droits attachés aux actions converties.
1. Deux arrêts en quelques mois consacrés aux ADP. Voici le second arrêt rendu en l’espace de quelques mois par la Chambre commerciale de la Cour de cassation et qui vient enrichir le régime des actions de préférence (ADP), très utilisées en pratique mais restées jusqu’à cette année absentes des recueils de jurisprudence de la Cour. La question qui était résolue par le précédent arrêt [1], relative aux actions dépourvues de droit de vote, était déjà intéressante, mais les deux questions que traite la présente décision, rendue le 10 juillet 2024 et publiée au Bulletin [2], sont pour le coup d’une importance véritablement capitale pour les sociétés ayant émis des ADP. La Cour vient en effet formuler deux règles importantes quant au régime de modification des droits attachés à ces titres.
2. Le contexte. Une société par actions simplifiée (SAS) avait émis courant 2007 des ADP donnant droit, selon les termes de l’arrêt, « à un dividende prioritaire correspondant à 8 % du prix de souscription de ces actions ou à 50 % du bénéfice net consolidé par action » – la manière dont le choix était opéré entre ces deux valeurs n’est pas précisée par l’arrêt. Des actions de ce type étaient acquises le 30 juin 2015 par deux sociétés. Quelques mois seulement après cette acquisition, le 22 décembre 2015, une « assemblée générale extraordinaire » de la SAS modifiait les statuts, réduisant le montant du dividende prioritaire attaché aux ADP : celui-ci était désormais fixé à 3 % du prix de souscription ou 15 % du bénéfice net consolidé par action. Les deux sociétés porteuses d’ADP saisissaient le juge d’une première demande, portant sur l’annulation des résolutions de l’assemblée générale, et d’une seconde demande subséquente, portant sur le paiement de sommes à titre de complément de dividendes. Ces demandes étaient toutes deux rejetées par la cour d’appel saisie du litige [3].
3. Deux éléments de solution. La Cour de cassation, saisie par les sociétés porteuses d’ADP, revient sur la question de la nullité de l’assemblée ayant décidé de modifier les droits attachés à ces titres, et elle fournit deux éléments de solution particulièrement intéressants. L’un concerne les conditions de modification des droits attachés aux actions de préférence (I) ; l’autre traite de la conversion de ces actions (II).
I. Conditions de modification des droits attachés aux actions de préférence
A. La question posée
4. La question posée. La première question abordée par l’arrêt se synthétise ainsi : la modification des droits attachés aux ADP suppose-t-elle de recueillir le consentement des porteurs de ces actions ?
5. Une réponse donnée par le législateur… Parce que les ADP constituent une ou plusieurs catégories d’actions, la question reçoit une réponse de la part du législateur dans les SA, puisque l’article L. 225-99 du Code de commerce N° Lexbase : L2169LYY dispose en son deuxième alinéa que « la décision d'une assemblée générale de modifier les droits relatifs à une catégorie d'actions n'est définitive qu'après approbation par l'assemblée spéciale des actionnaires de cette catégorie ». La solution s’étend aux SCA en application de l’article L. 226-1 N° Lexbase : L7428MHL et aux SE, en application de l’article L. 229-1 N° Lexbase : L3829HBG. Pour les sociétés des trois formes précitées, l’intervention de l’assemblée spéciale permet aux porteurs des ADP dont la modification est envisagée de s’exprimer, et le fait que l’assemblée spéciale statue « dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 225-96 [du Code de commerce] N° Lexbase : L2084LYT », c’est-à-dire « à la majorité des deux tiers des voix exprimées par les actionnaires présents ou représentés », selon ce dernier texte, évite qu’un blocage résulte du refus d’un seul porteur ou de l’impossibilité d’entrer en contact avec un ou plusieurs d’entre eux, lorsque la majorité en question est réunie.
6. … mais qui ne vaut généralement pas pour les SAS. Mais dès lors que l’article L. 225-99 du Code de commerce voit son applicabilité à la SAS exclue par l’article L. 227-1 du même code N° Lexbase : L7429MHM, la SAS est privée de la mise en place – légale – de ce mécanisme d’assemblée spéciale, hors les cas où un texte légal le prévoit. Ces cas sont marginaux : il s’agit de l’approbation d’une fusion ou d’une scission en l’absence d’échange des ADP contre des actions conférant des droits particuliers équivalents (C. com., art. L. 228-17, al. 2 N° Lexbase : L8374GQ9) et de l’attribution d’une mission d’information au CAC sur le respect des droits attachés aux ADP (C. com., art. L. 228-19 N° Lexbase : L8983LQR). Mais le statut de la SAS ne comporte pas de disposition légale de portée générale imposant d’obtenir l’accord d’une assemblée spéciale des porteurs des actions dont les droits vont être modifiés. La question se pose alors de savoir s’il est nécessaire de recueillir le consentement des porteurs d’ADP pour que les droits attachés à ces actions soient modifiés, et le cas échéant, comment ce consentement doit s’exprimer.
7. Un moyen relevé d’office. On observera que la solution formulée par la Cour de cassation résulte d’un moyen relevé d’office par la Chambre commerciale. La cour d’appel [4] avait jugé qu’« aucune disposition légale n’exige que le consentement des associés à la modification de leurs droits particuliers attachés à certaines actions soit recueilli individuellement, le seul impératif étant que cette modification ne résulte pas d’une décision unilatérale de la société », avant de renvoyer aux conditions de prise de décisions par les associés. La Cour de cassation statue différemment.
B. Exigence de principe du consentement individuel des porteurs d’ADP
8. Consentement individuel requis par principe. Tout d’abord, la décision commentée formule le principe, fondé sur l’ancien article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, selon lequel « le consentement individuel des titulaires de ces actions [de préférence] est requis pour procéder à une telle modification [des droits attachés aux ADP] ». On comprend qu’est sollicitée la disposition légale en sa partie disposant énonçant que les conventions « ne peuvent être révoquées que [du] consentement mutuel [des parties], ou pour les causes que la loi autorise ».
9. Analyse contractuelle. Il faut donc comprendre que la Cour de cassation voit un contrat dans la relation qui unit la société aux porteurs des ADP, et il est vrai qu’en pratique, au plan de l’instrumentum au moins, on peut constater dans un certain nombre de situations le recours par la société et les souscripteurs d’ADP à un « contrat d’émission ». Notre maître Hervé Le Nabasque le relève d’ailleurs quand dans son commentaire de l’arrêt censuré par la Cour de cassation, il reprochait à la cour d’appel [5] d’omettre « de rappeler que, même en droit des sociétés, on ne peut modifier un contrat (le contrat d’émission des actions de préférence) sans le consentement de ceux qui l’avaient accepté » [6]. D’autres auteurs relèvent cependant qu’« il n’y a pas à proprement parler de contrat d’émission des actions de préférence, comme il y a des contrats d’émissions des obligations et des valeurs mobilières donnant accès au capital » [7]. D’autres encore identifient bien un contrat, mais considèrent que « le contrat dont il est ici question, ce sont bien sûr les statuts de la SAS » [8]. Pour notre part, il ne nous semble pas que l’approche contractuelle, qui emporte effectivement la lourde règle du mutuus dissensus antérieurement formulée à l’article 1134 du Code civil et désormais reprise par l’article 1193 N° Lexbase : L0911KZR [9], doive s’appliquer lorsque la question est celle d’une modification des statuts, serait-ce pour toucher les droits qui étaient jusqu’alors attachés aux actions de préférence. Si l’on veut aller dans ce sens, ne faudrait-il pas considérer que cette approche contractuelle doit valoir aussi pour les porteurs d’actions ordinaires, et que toute modification de leurs droits devrait recueillir leur consentement individuel ? Toute modification des statuts deviendrait impossible en pratique dès lors qu’un actionnaire s’opposerait ou ne participerait simplement pas à la décision collective. Cette approche contractuelle n’a pas notre faveur, même si nous comprenons bien que, dans l’hypothèse d’une conversion où les porteurs des titres convertis sont privés légalement du droit de vote [10], elle permet de donner un moyen d’expression à ces porteurs.
10. Principe écarté dans certains cas… mais lesquels ? La décision ne condamne heureusement pas les SAS à l’immobilisme, car le principe de consentement individuel est écarté lorsque les statuts comportent une organisation particulière. Précisément, la Cour de cassation juge que l’exigence du consentement individuel vaut uniquement « lorsque les statuts d'une société par actions simplifiée ne prévoient pas les modalités selon lesquelles les droits attachés aux actions de préférence peuvent être modifiés ». Par conséquent, si ces modalités sont prévues par les statuts, alors le consentement individuel des titulaires de ces actions n’est pas requis. On peut supposer sans prendre de risque excessif que la mise en place d’une assemblée spéciale des porteurs des ADP dont les droits sont modifiés figure parmi les « modalités » que les rédacteurs de la décision commentée avaient en tête. Les termes employés sont cependant bien plus larges que cela. À la lettre, la clause figurant dans les statuts d’une SAS et subordonnant toute modification des statuts à la décision d’une assemblée des associés statuant à la majorité correspondrait à l’exigence requise ; mais il faut sans doute comprendre qu’est exigée par la Chambre commerciale la stipulation de modalités visant de manière spécifique la modification des droits attachés aux ADP. La solution aurait gagné à être formulée de manière plus précise, car des questions importantes demeurent sans réponse assurée. Explicitons la question : en présence d’une clause des statuts prévoyant que « toute modification des présents statuts est décidée par les associés statuant à la majorité des deux tiers des voix des actions présentes ou représentées », faut-il considérer que l’on est en présence d’une clause « prévoyant les modalités selon lesquelles les droits attachés aux actions de préférence peuvent être modifiés », au sens de l’arrêt commenté ? Une rédaction plus « enrichie » aurait sans doute permis de répondre dès à présent à cette question.
11. Il demeure qu’en pratique, le conseil à donner aux rédacteurs des statuts de SAS consiste à intégrer un mécanisme d’assemblée spéciale statuant à une majorité déterminée et à prévoir sa mise en œuvre en cas de modification des droits attachés aux ADP, ce qui permettra de se dispenser de recueillir le consentement individuel des porteurs des titres concernés.
II. La définition de la conversion des ADP
A. Les interrogations suscitées par la notion de conversion
12. Une qualification aux enjeux essentiels. La seconde partie de l’arrêt traite d’une autre question très importante, qui est celle de la notion de « conversion » des actions de préférence. Plusieurs dispositions légales encadrant les ADP se réfèrent à cette notion (C. com., art. L. 228-12 N° Lexbase : L7232LQW, L. 228-14 N° Lexbase : L8371GQ4 et L. 228-15 N° Lexbase : L2236LYH), mais celle-ci n’est jamais définie par le législateur. Elle a donné lieu à de passionnants écrits, qui s’interrogent notamment sur la question de savoir si la conversion donne lieu ou non à annulation des titres convertis suivie d’une émission d’autres titres [11]. Sans que soit en cause ce débat, retenons que l’absence de définition par la loi est particulièrement gênante au vu des effets radicaux qui sont attachés à la qualification de conversion. Particulièrement, et c’est ce point qui était ici en cause, l’article L. 228-15 dispose en son deuxième alinéa que « les titulaires d'actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, à peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie et les actions qu'ils détiennent ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité, à moins que l'ensemble des actions ne fassent l'objet d'une conversion en actions de préférence ». L’enjeu est donc de taille puisqu’est en cause une prérogative fondamentale de l’associé : si l’on qualifie la décision soumise à une délibération des associés de conversion, cela prive de leur droit de participer au vote les titulaires d'actions devant être converties en ADP de la catégorie à créer ; en revanche, si la qualification de conversion n’est pas retenue, l’exclusion du droit de participer au vote ne joue pas. Les choses sont simples, mais l’on comprend le danger considérable qu’il y a à se tromper dans le choix de la qualification. Que l’on estime à tort être en présence d’une conversion, et l’on aura privé certains associés de leur droit de participer au vote, avec comme sanction la nullité de la décision collective, pour violation de l’article 1844 du Code civil N° Lexbase : L2412LRR. Mais si l’on estime à tort ne pas être en présence d’une conversion, on aura alors fait participer au vote des associés qui n’auraient pas dû pouvoir s’exprimer, ce qui pourrait également entraîner l’invalidité de la décision collective concernée. Si faire participer des non associés à une décision collective est aujourd’hui vu comme une cause de nullité des délibérations adoptées [12], faire voter des associés interdits de vote devrait entraîner la même sanction – l’article L. 228-15 prévoit d’ailleurs expressément cette sanction. Il ne faut donc pas se tromper sur la qualification en conversion.
13. Le sens du mot « conversion ». Le terme de « conversion » n’est pas défini par le législateur, mais celui-ci rapproche néanmoins la conversion, à l’article L. 228-15, de la notion de catégorie d’actions. Il est question de convertir des actions d’une catégorie donnée en actions d’une autre catégorie, et la privation du droit de participer au vote concerne « les titulaires d'actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ». On reviendra peu après sur cette référence à la création d’une catégorie d’ADP. Avant cela, on doit se demander quelle peut être la différence entre l’opération de conversion et ce qui ne serait qu’une « simple modification » des droits attachés aux ADP ? Il aurait été envisageable de retenir une distinction entre la modification et la conversion des ADP, distinction que l’on aurait pu fonder sur deux critères alternatifs. Un premier critère aurait été celui de l’importance de la modification opérée : au-delà d’un seuil à définir, la modification des ADP serait une conversion, et serait soumise aux règles correspondantes. Même si ce critère rencontre l’hostilité de certains auteurs [13], il apparaîtrait cohérent que le terme « conversion », qui « signifie le retournement, le changement de direction » [14], suppose une certaine ampleur dans le changement. Un second critère tiendrait à la formalisation par les statuts de catégories de titres : si les statuts identifient des catégories d’ADP, peu important l’étendue de la différence entre les droits conférés par chaque catégorie, tout changement de catégorie doit être qualifié de conversion.
B. La conception large retenue par l’arrêt
14. Définition large de la conversion. La décision commentée procède de manière radicale et par conséquent simple en rejetant toute distinction, puisqu’elle juge, au visa de l'article L. 228-15, alinéa 2, du Code de commerce, que « constitue une conversion d'actions au sens et pour l'application de ce texte toute opération emportant modification des droits attachés aux actions converties ». Toute modification, et même plus largement toute opération emportant modification des droits attachés aux actions, est donc une conversion aux yeux de la Cour de cassation, ce qui rejoint la position de plusieurs auteurs [15]. Les porteurs des ADP dont les droits avaient été modifiés en l’espèce estimaient que les juges de la cour d’appel [16] avaient violé l’article précité ainsi que l'article L. 235-1 du Code de commerce N° Lexbase : L8612LQZ relatif aux nullités des sociétés et de leurs actes, ceci par refus d'application. Ils estimaient, en clair, qu’ils n’auraient pas dû participer au vote sur la modification des droits attachés aux ADP dont ils étaient porteurs. Or, c’est la totalité des associés qui avaient voté sur la modification de la rémunération des ADP. La cour d’appel avait jugé, aux termes de l’arrêt de censure, que l'article L. 228-15, alinéa 2, ne trouvait pas à s’appliquer dès lors que le vote litigieux « ne portait pas sur la création d'une action de préférence, mais sur la modification à la baisse des modalités de rémunération d'actions de préférence déjà existantes ». La Cour de cassation retient une solution différente.
15. Pas d’exigence d’une création d’une catégorie nouvelle d’ADP. Pour la Cour de cassation, tout d’abord, il n’est pas question de limiter la privation du droit de vote à la lettre du texte et de vérifier par conséquent que l’on est effectivement en présence de la création d’une catégorie d’ADP. Même si l’article L. 228-15, alinéa 2, prive de droit de vote « les titulaires d'actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer », la Cour de cassation n’entend pas se cantonner à cette hypothèse, puisque les ADP dont les droits étaient modifiés n’étaient pas une création nouvelle opérée par l’assemblée litigieuse. Mais cela s’explique par le fait qu’elle considère que toute modification est une conversion, ce dont on peut déduire que la modification la plus légère des droits attachés à une catégorie d’actions donne naissance, par conversion, à une nouvelle catégorie d’actions.
16. Pas d’exigence d’un niveau particulier de modification. Surtout, il n’est pas davantage question pour la Cour de cassation d’exiger que la modification des droits attachés aux ADP soit d’une certaine importance pour reconnaître l’existence d’une conversion. On le comprend en lisant le passage de l’arrêt où la Cour juge qu’il résultait des constatations de l’arrêt d’appel [17] que « la modification des droits attachés aux [ADP], laquelle entraînait un changement de catégorie de ces actions, constituait une conversion d'actions au sens et pour l'application de l'article L. 228-15, alinéa 2, du Code de commerce, quand bien même ces actions continuaient d'être désignées sous le même intitulé ». Il est donc clair à la lecture de l’arrêt commenté que toute modification des droits attachés à des ADP, aussi légère soit-elle, constitue une opération de conversion, privant les porteurs de leur droit de participer au vote de la modification.
17. Une cohérence globale. Relevons pour conclure que le système retenu par la Cour de cassation par son arrêt du 10 juillet 2024, dont nous critiquons chacun des deux volets pris séparément, a au moins le mérite d’une cohérence globale. Si toute opération emportant modification des droits attachés aux ADP est une conversion, les porteurs des actions devant être converties sont nécessairement privés de la possibilité de prendre part au vote, et l’on ne concevrait pas qu’ils ne puissent pas du tout se prononcer sur la modification de leurs droits. Or, l’exigence de principe de recueillir le consentement individuel des porteurs des titres dont les droits sont modifiés permet à ces porteurs de retrouver voix au chapitre.
[1] Cass. com., 13 mars 2024, n° 22-12.205, F-B N° Lexbase : A04952UU, J.-B. Barbièri, Lexbase Affaires, avril 2024, n° 792 N° Lexbase : N8999BZC ; Dalloz Actualité, 24 avril 2024, note J. Delvallée ; Bull. Joly Sociétés, mai 2024, p.16, note H. Le Nabasque ; Gaz. Pal., 11 juin 2024, n° GPL464k2, obs. B. Brignon ; JCP E, 2024, 1175, note B. Dondero.
[2] BRDA, 15-16/24, inf. n° 1 ; Bull. Joly Sociétés, septembre 2024, n° BJS203g3, note H. Le Nabasque.
[3] CA Lyon, 3ème ch., 17 février 2022, n° 18/07114 N° Lexbase : A46017NQ, Bull. Joly Sociétés, mai 2022, p. 29, note B. Dondero ; Bull. Joly Sociétés, septembre 2022, p. 74, note H. Le Nabasque.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] H. Le Nabasque, note préc. sous l’arrêt commenté ; v. aussi A. Thobie, La conversion de titres, préf. R. Mortier, IFJD, 2020, n° 381, qui écrit que « si toute souscription nécessite le consentement du porteur, sa modification requiert elle aussi un tel accord » et que « cela vaut à plus forte raison lorsqu’il est désavantagé par la conversion ».
[7] M. Germain et P.-L. Périn, SAS – La société par actions simplifiée, Joly, 7ème éd., 2023, n° 390.
[8] Obs. préc. sous l’arrêt commenté in BRDA, 15-16/24, inf. n° 1.
[9] « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ».
[10] V. infra II.
[11] Sur l’opération de conversion portant sur des actions, v. A. Couret, La notion juridique de conversion, in mél. P. Vigreux, IPA-IAE Toulouse, 1981, p. 219 ; R. Mortier, La conversion d’actions… en actions, in mél. M. Germain, LexisNexis-LGDJ, 2015, p. 581 ; H. Le Nabasque, À propos de la conversion d'actions en actions d'une autre catégorie, Bull. Joly Sociétés, 2018, p. 302 ; A. Thobie, préc.
[12] Cass. civ. 3, 8 juillet 2015, n° 13-27.248, FS-P+B N° Lexbase : A7794NMM ; Bull. Joly Sociétés, 2015, p. 585, note J.-P. Garçon ; Rev. sociétés, 2016, p. 175, note L. Godon ; RTD com., 2015, p. 533, obs. A. Constantin et ibid. 2016, p. 145, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. sociétés, 2015, comm. n° 189, note R. Mortier ; Gaz. Pal., 29 septembre 2015, p. 13, obs. B. Dondero – Cass. com., 11 octobre 2023, n° 21-24.646, FS-B N° Lexbase : A85241KW, B. Saintourens, Lexbase Affaires, octobre 2023, n° 772 N° Lexbase : N7116BZL ; RTD com., 2023, p. 892, obs. A. Lecourt ; Dalloz Actualité, 10 novembre 2023, note J. Delvallée ; Bull. Joly Sociétés, janvier 2024, p. 20, note E. Guégan ; LPA, 29 février 2024, p. 53, note S. Farges ; D., 2023, p. 2024, note B. Dondero – Cass. civ. 1, 24 avril 2024, n° 22-24.667, FS-B N° Lexbase : A7822289, M. Le Guerroué, Lexbase Avocats, mai 2024, n° 347 N° Lexbase : N9132BZA ; B. Dondero, Lexbase Avocats, 6 juin 2024, n° 348 N° Lexbase : N9341BZY.
[13] Comp. A. Thobie, préc., sp. n° 241 et s., évoquant l’inutilité d’un critère reposant sur l’étendue du changement apporté à l’état du titre.
[14] A. Thobie, préc., n° 3.
[15] V. ainsi A. Thobie, préc., sp. n° 231 et s. ; v. également H. Le Nabasque, préc.
[16] CA Lyon, 3ème ch., 17 février 2022, n° 18/07114, préc.
[17] CA Lyon, 3ème ch., 17 février 2022, n° 18/07114, préc.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490220
Réf. : CE, 3e-8e ch. réunies, 4 juillet 2024, n° 464689, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A82995MC
Lecture: 11 min
N0199B3R
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Benjamin Vincens-Bouguerau, Avocat associé, ATV Avocats
Le 12 Septembre 2024
Mots clés : édifice menaçant ruine • pouvoir de police • police spéciale • police générale • action récursoire • enrichissement sans cause
Par une décision en date du 4 juillet 2024, le Conseil d’État a d’abord rappelé que la démolition d’un édifice menaçant ruine ne pouvait pas intervenir dans le cadre d’une procédure de péril imminent mais seulement dans le cadre d’une procédure de péril ordinaire, et ce à la charge des propriétaires, ou encore pouvait intervenir sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure de démolition, et ce à la charge de la commune. Le Conseil d’État a ensuite et surtout précisé que les actions récursoires contre les propriétaires sur le fondement d’une faute ou d’un enrichissement sans cause, pour obtenir les remboursements des sommes engagées pour démolir un édifice menaçant ruine sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, relèvent de la compétence du juge judiciaire.
1. Liminairement, observons que la décision commentée s’inscrit sous l’empire de la procédure de péril ordinaire et imminent, avant la réforme de l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020, relative l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations N° Lexbase : L2019LYG, entrée en vigueur le 1er janvier 2021 et ayant modifié quelque peu les procédures relevant du pouvoir de police spécial du maire en matière d’édifice menaçant ruine.
Désormais, on ne parle plus d’une procédure de péril ordinaire mais d’une procédure de mise en sécurité ordinaire, ni d’une procédure de péril imminent mais d’une procédure de mise en sécurité d’urgence.
Comme modification importante, la procédure de mise en sécurité ordinaire prévoit désormais que l’arrêté de mise en sécurité ne pourra prescrire de démolition ou d’interdiction définitive d’habiter dans le bâtiment sauf s’il n’existe aucun autre moyen technique pour remédier à l’insécurité ou si les travaux nécessaires seraient plus couteux que la reconstruction [1].
Autres modifications notables, la nouvelle procédure de mise en sécurité ordinaire supprime la phase de mise en demeure avant édiction de l’arrêté et prévoit désormais que l’autorité compétente « peut » faire procéder aux travaux d’office les travaux, ce qui sous-entend que l’exécution d’office est facultative.
S’agissant de la procédure de mise en sécurité d’urgence, la modification notable est la suppression de l’obligation de saisine du tribunal administratif pour désignation d’un expert. Désormais prévue au nouvel article L. 511-9 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L2417LY8, cette saisine est devenue facultative et a été étendue à la procédure de mise en sécurité hors urgence.
Plus encore et en lien avec la décision commentée, la procédure modifiée permet désormais la possibilité d’une démolition complète d’un édifice menaçant ruine dans la procédure d’urgence, sous deux conditions : qu’aucune autre mesure ne permette d’écarter le danger et d’avoir été autorisé par jugement du président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond [2].
À noter encore que la rédaction du nouvel article L. 511-20 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L2384LYX conduit à considérer que l’exécution d’office des travaux en cas de carence du propriétaire dans une procédure de mise en sécurité d’urgence reste obligatoire pour l’autorité compétente, contrairement à la procédure ordinaire.
Ces procédures de mise en sécurité concernent bien toujours tous les immeubles et édifices bâtis qui menacent ruine et qui pourraient, de par leur effondrement, compromettre la sécurité publique ou qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique.
La procédure de mise en sécurité (ancienne procédure dite de péril) relève du pouvoir de police administrative spéciale confié au maire ou au président d’un EPCI en cas de transfert de ce pouvoir [3] pour qu’il prenne des mesures visant à ce qu’il soit mis fin à un danger causé par un édifice menaçant ruine et elle est régie par les dispositions du Code de la construction et de l’habitation.
La justification de l’intervention du maire sur ce fondement dépend des caractéristiques de la cause du danger : le Conseil d’État considère ainsi que si les pouvoirs de police générale, reconnus au maire par les articles L. 2212-2 N° Lexbase : L0892I78 et L. 2212-4 N° Lexbase : L8694AAA du Code général des collectivités territoriales, s'exercent dans l'hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d'une cause qui lui est extérieure [4], lorsque le danger provient en revanche à titre prépondérant de causes propres et intrinsèques au bâtiment, le maire doit faire usage de ses pouvoirs de police spéciale relatifs aux édifices menaçant ruine, dans le cadre d’une procédure de mise en sécurité d’urgence ou de mise en sécurité ordinaire, prévues aux articles L. 511-1 N° Lexbase : L2376LYN et suivants du Code de la construction et de l'habitation.
2. Ces observations ayant été faites, revenons-en à la décision commentée prise sur le fondement de la procédure alors en vigueur de péril ordinaire et imminent.
Les faits étaient alors relativement simples et semblables à beaucoup de procédures en la matière : sur le territoire de la commune de Beaulieu dans le Puy-de-Dôme, un immeuble menaçait de s’effondrer et le maire engageait une procédure de péril imminent en ne se limitant pas à prescrire des travaux de sécurisation mais en prescrivant la démolition et en la faisant réaliser d’office faute d’exécution volontaire par la propriétaire défaillante.
Considérant son intervention bien fondée au titre de ses pouvoirs de police spéciale des édifices menaçant ruine, et plus précisément de la procédure de péril imminent, le maire émettait des titres exécutoires pour mettre à la charge de la propriétaire défaillante les coûts de démolition et de bureau d’étude : ces titres étaient annulés par jugement définitif du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 2 février 2017 considérant que le maire ne pouvait prescrire la démolition dans le cadre de la procédure de péril imminent.
C’est alors que le maire de Beaulieu faisait délibérer son conseil municipal pour être autorisé à émettre de nouveaux titres exécutoires cette fois-ci sur le fondement de l’enrichissement sans cause et qu’il émettait ces titres.
Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand le 31 décembre 2020 puis la cour administrative d’appel de Lyon le 7 avril 2022 [5] rejetait les demandes d’annulation de la délibération du conseil municipal et des titres exécutoires formées par la propriétaire : les juges du fond considéraient ainsi que le maire pouvait valablement et directement émettre des titres exécutoires pour recouvrer des sommes engagées dans le cadre d’une procédure de péril sur le fondement d’un enrichissement sans cause.
Le Conseil d’État, dans la décision commentée, n’était pas de cet avis puisque, par décision du 4 juillet 2024, il annulait le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 31 décembre 2020 et l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon le 7 avril 2022 et déclarait la juridiction administrative incompétente pour connaitre des litiges contre les titres exécutoires pris sur le fondement d’un enrichissement sans cause.
3. Ainsi, et d’abord, le Conseil d’État a rappelé que - sous l’empire de la procédure de péril avant la réforme de l’ordonnance du 16 septembre 2020 – la démolition d’un immeuble menaçant ruine ne pouvait pas intervenir dans le cadre d’une procédure de péril imminent [6] qui doit se limiter à prescrire les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité et donc pallier à l’imminence du péril mais seulement dans le cadre d’une procédure de péril ordinaire [7], et ce aux frais des propriétaires.
Si ce rappel était nécessaire dans l’affaire en litige puisque le maire avait prescrit irrégulièrement la démolition d’un bâtiment dans le cadre d’une procédure de péril imminent, il n’a plus grand intérêt puisque l’état du droit actuel permet désormais la démolition complète d’un immeuble menaçant ruine dans la procédure d’urgence lorsqu’aucune autre mesure ne permet d’écarter le danger et après avoir été autorisé par jugement du président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond.
Le Conseil d’État - dans le cinquième considérant de l’arrêt commenté - vient également confirmer que la démolition d’un édifice menaçant ruine peut toujours intervenir sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure de démolition.
Ainsi, il est confirmé qu’en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure particulière de sécurisation, y compris la démolition, le maire peut toujours l’ordonner sur le fondement des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales.
Force nous semble devoir être considéré qu’il en ira toujours ainsi même si la règlementation désormais en vigueur permet d’envisager – ainsi qu’on l’a vu ci-avant - une démolition dans le cadre de la procédure de mise en sécurité d’urgence, après autorisation du juge Judiciaire, si aucune autre mesure ne permet de sécuriser les lieux.
Sur ce point, le Conseil d’État précise que, contrairement à la procédure prévue pour les immeubles menaçant ruine où les frais sont à la charge des propriétaires, l’usage des pouvoirs de police générale du maire, sur le fondement des articles L. 2212-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales justifié par l’urgence de la situation et la gravité du danger implique que la réalisation des travaux de démolition dans ce cadre est à la charge de la commune.
Après avoir fait œuvre jusque-là de confirmation, le Conseil d’État – pour annuler les décisions de fond sur ce dossier - a ensuite et surtout précisé que les actions récursoires contre le propriétaire sur le fondement d’une faute ou d’un enrichissement sans cause, pour obtenir les remboursements des sommes engagées pour démolir un édifice menaçant ruine sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, relèvent de la compétence du juge judiciaire.
Sans se prononcer sur le bien-fondé des titres exécutoires émis par la commune de Beaulieu sur le fondement de l’enrichissement sans cause, considérant que les travaux de démolition avaient pu être entrepris sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire compte tenu de l’urgence de la situation, le Conseil d’État s’est limité à juger qu’il s’agit d’un litige relevant de la seule compétence de la juridiction judiciaire, et ce « en l’absence d’une disposition législative spéciale régissant une telle action civile ».
Le rapporteur public Thomas Pez-Lavergne sans ses conclusions sous l’arrêt commenté résume parfaitement la position de la Cour de cassation et les principes dégagés par la jurisprudence du Conseil d’État qui fondent la décision ici commentée :
« Les principes qui ressortent ainsi de votre jurisprudence et de celle de la Cour de cassation peuvent être résumés de la façon suivante : en l’absence d’une disposition législative spéciale, lorsque le maire fait exécuter d’office des travaux sur une propriété privée pour prévenir un danger grave ou imminent, la charge financière des travaux est entièrement supportée par la commune sauf si le propriétaire a commis une négligence ou si les travaux ont apporté une plus-value à sa propriété ; et dans ces hypothèses où un fait est de nature à engager la responsabilité du propriétaire, la commune doit engager, devant la juridiction judiciaire, une action en responsabilité civile contre le propriétaire privé qui peut être fondée, malgré l’illégalité de l’arrêté prescrivant la démolition, sur sa responsabilité quasi contractuelle, c’est-à-dire l’enrichissement sans cause ».
Enfin, il est à noter que le Conseil d’État – en se déclarant incompétent – a jugé que l’administration ne peut en la matière user de son privilège du préalable par l’émission d’un titre exécutoire sur le fondement de l’enrichissement en cause à l’encontre d’une personne privée mais doit nécessairement saisir le juge judiciaire d’une action récursoire sur ce fondement de l’enrichissement sans cause.
À retenir : Pour obtenir le remboursement des sommes engagées pour démolir un édifice menaçant ruine sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, ce dernier ne peut pas émettre directement un titre exécutoire mais doit engager une action récursoire contre le propriétaire sur le fondement d’une faute ou d’un enrichissement sans cause qui relève de la compétence du juge judiciaire. |
[1] CCH, art. L. 511-11 N° Lexbase : L1054MMY.
[2] CCH, art. L. 511-19 N° Lexbase : L2383LYW.
[3] CGCT, art. L. 5211-9-2 N° Lexbase : L1283ML4.
[4] CE, 10 octobre 2005, n° 259205 N° Lexbase : A0028DLM : CAA Marseille, 24 octobre 2016, n° 15MA02932 N° Lexbase : A0694SAX.
[5] CAA Lyon, 4e ch, 7 avril 2022, n° 21LY00511 N° Lexbase : A37247UH.
[6] CCH, art. L. 511-3 ancien.
[7] CCH, art. L. 511-2 ancien.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490199