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par Robert Rézenthel, docteur en droit, Avocat au barreau de Montpellier
Le 24 Juillet 2024
Mots clés : ports • domaine public maritime • zone portuaire • gestionnaires d'outillages publics • contraventions de grande voirie
Longtemps délaissés par les juristes, les ports suscitent aujourd'hui un intérêt croissant de la part des universitaires, lequel est stimulé par la multiplication des textes et corrélativement par une jurisprudence qui se développe.
En 1956 a été créé [1] un Code des ports maritimes afin de regrouper les textes concernant ces infrastructures de transport. Sa partie législative a été abrogée [2] pour être transférée dans le Code des transports, et ce, afin de « rationaliser » [3] la codification.
Tous les textes relatifs aux ports maritimes ne sont pas codifiés ou le sont partiellement, c'est le cas par exemple de la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008, relative à la réforme portuaire N° Lexbase : L7060H7M. Logiquement, les Règlements et directives de l'Union européenne ne sont pas incorporés dans le Code des transports, ni dans d'autres codes.
Les prescriptions se rapportant aux ports maritimes sont dispersées dans plusieurs codes (des douanes, des collectivités territoriales, de la propriété des personnes publiques, du tourisme, des transports, de l'urbanisme…).
Parmi les obstacles à franchir pour assurer la sérénité des débats, tant pour les magistrats que pour les avocats, il y a l'absence de définition de certains concepts, et la difficulté de maîtriser une situation juridiquement complexe. Les juridictions ont pourtant pour vocation de contribuer à garantir la sécurité juridique qui est un objectif de valeur constitutionnelle, mais elles ne doivent pas en assumer seules la charge. Selon le Conseil constitutionnel, le législateur « doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » [4].
Les magistrats sont tributaires de la qualité des textes qu'ils sont chargés d'interpréter et d'appliquer. Or, le Conseil d'État fait un constat préoccupant lorsqu'il affirme dans son étude sur « simplification et qualité du droit » que « les textes, trop souvent mal rédigés, ne cessent de s'allonger… Ces textes sont de plus sujets à de fréquentes modifications, qui peuvent même les rendre illisibles » [5].
Le droit des institutions et des activités portuaires n'échappe pas à ce contexte. Il est difficile d'apprécier avec précision la marge de liberté dont bénéficient les juges pour statuer. Il est admis que les juges du fond réalisent une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation [6]. Il leur revient de qualifier les faits, d'apprécier leur compétence juridictionnelle, et de déterminer la solution du litige.
I. La qualification eu égard à l'imprécision des textes
Tout d'abord, il y a lieu de déterminer si la situation objet du litige se déroule ou non dans un port. Il est regrettable que par commodité de langage, le port soit présenté comme une institution, par exemple « le port s'est engagé, contre rémunération, à exécuter une prestation de surveillance et de gardiennage » [7], une telle formulation peut créer la confusion. En effet, le port est une infrastructure de transport, un site aménagé pour le chargement et le déchargement des marchandises ou le transit des passagers utilisant le transport maritime [8]. Si une délimitation administrative des ports existe, elle n'est pas obligatoire et sa portée est limitée à une simple présomption du caractère portuaire.
Le juge fait preuve de pragmatisme à l'égard de certaines situations. Tantôt pour l'exercice de police, il a été jugé que les dispositions relatives à la police portuaire s'appliquaient à un navire échoué dans un chenal d'accès à un port [9], tantôt pour la réalisation de travaux d'extension du port, la zone prévue pour leur exécution située en dehors des limites administratives a été qualifiée de zone portuaire [10].
S'agissant des terminaux portuaires, la convention autorisant leur exploitation a le caractère d'une convention d'occupation du domaine public maritime si elle n'a pas pour objet de répondre à un besoin du gestionnaire du port, dans le cas contraire, il s'agit d'une concession [11].
Dans le silence des textes et de la jurisprudence, le Conseil d'État est sollicité, pour avis, par les membres du Gouvernement sur des questions de droit. C'est ainsi que pour la notion de « circonscription d'un établissement public portuaire », il a estimé [12] qu'il s'agissait de la zone d'action potentielle de cette institution. À la question de la distinction entre un port de plaisance maritime ou fluvial aménagé sur un cours d'eau, la Haute juridiction a considéré [13] que si le port est situé en dehors de la circonscription des affaires maritimes, il s'agit d'un port fluvial, sachant que la Convention de Genève du 9 décembre 1923, portant statut international des ports maritimes, ne s'applique pas aux ports de plaisance.
L'imprécision de la loi confère un large pouvoir d'interprétation aux magistrats, et lui permet de n'exercer qu'un contrôle minimum sur les actes nécessitant une appréciation objective d'une situation. C'est ainsi que la délimitation administrative d'un port ne crée qu'une présomption simple du caractère portuaire de l'espace délimité [14]. On peut s'interroger sur les dispositions applicables aux zones industrielles portuaires. En effet, en autorisant les grands ports maritimes à aménager et gérer, dans leur circonscription [15], des zones industrielles ou logistiques liées à l'activité portuaire, il apparaît que ces zones peuvent être géographiquement distinctes des zones portuaires proprement dites, et dans ce cas, la question se pose de savoir si les zones industrielles portuaires peuvent se situer dans le champ de compétence des autorités chargées de la police portuaire, puisqu'il résulte de l'article L. 5331-1 du Code des transports N° Lexbase : L5619L4U que les dispositions du titre consacré à la police des ports maritimes précisent qu'elles « s'appliquent dans les limites administratives des ports maritimes à l'exclusion des ports militaires ».
La décentralisation a eu pour effet d'entraîner un transfert de compétence de l'État aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, situation qui a parfois nécessité l'intervention de la jurisprudence. C'est également le cas pour la détermination de la compétence juridictionnelle.
II. La répartition des compétences
Jusqu'en 1983, tous les ports français relevaient de la compétence de l'État, mais celui-ci en avait transféré l'exploitation à des concessionnaires, essentiellement des chambres de commerce et d'industrie pour les ports de commerce.
Le législateur a transféré [16] la propriété et l'exploitation des ports aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Ensuite, sous le contrôle de l'État, lesdites collectivités ont pu se transmettre entre elles ces ports [17].
A. Le transfert de compétence et de propriété des ports
Bien que le mouvement de décentralisation concernait de nombreux ports, peu d'actions contentieuses ont été engagées. On relèvera le différend entre le Conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur et le Conseil départemental des Alpes-Maritimes à propos de l'attribution du port de Nice [18]. À propos de l'aménagement et de l'exploitation de « Port-Ariane » sur un cours d'eau initialement ni navigable ni flottable, le Conseil d'État a jugé que « l'aménagement par une région d'un cours d'eau en voie navigable et la création d'un port sur ce cours d'eau doivent être précédés de décisions de l'État relatives à l'incorporation de ce cours d'eau dans le domaine public fluvial et au transfert de sa gestion à la région » [19].
Plus récemment, c'est le transfert de compétence opéré par le législateur des zones d'activités portuaires au profit des établissements publics de coopération intercommunaux [20] qui a provoqué une action contentieuse. Plusieurs communes de la communauté d'agglomération du Pays de Lérins ont demandé en référé au Conseil d'État de suspendre l'application de l'instruction ministérielle du 8 décembre 2016 portant définition des zones d'activité portuaire [21] et compétence des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour la gestion des ports. Ce texte tendait à pallier l'imprécision de la loi opérant le transfert de compétence de ces zones.
Pour les communes requérantes, la condition d'urgence était remplie « dès lors que le transfert des ports de plaisance à la communauté d'agglomération prive définitivement les communes de l'exercice de leurs compétences en matière de port de plaisance, engendre un préjudice financier pour les communes requérantes au regard des répercussions financières importantes, un transfert de charges vers la communauté d'agglomération et, enfin, entraîne une insécurité juridique et des désordres fonctionnels ».
Selon cette instruction, une zone d'activité portuaire doit répondre à trois critères :
Le Conseil d'État, statuant en référé, a jugé que : « Il en résulte que l'instruction attaquée n'a pas donné de la notion de zones d'activité portuaire et des compétences en la matière des communautés d'agglomération une interprétation qui méconnaît le sens et la portée de l'article L. 5216-5 du Code général des collectivités territoriales ». Il ajoute que : « le transfert aux communautés d'agglomération de la compétence de droit pour créer, aménager, entretenir et gérer les zones d'activité portuaire résulte non de l'instruction attaquée mais des dispositions de l'article 66 de la loi du 7 août 2015 (loi NOTRe) », et que « en interprétant comme elle l'a fait la notion de zones d'activité portuaire au sens de l'article L. 5216-5 du Code général des collectivités territoriales, l'instruction du 8 décembre 2016 se borne à expliciter ces dispositions, sans poser de règles nouvelles ni méconnaître le sens et la portée de dispositions législatives et n'a donc pas été prise par une autorité incompétente » [22].
Un an plus tard, le Conseil d'État statuant sur le fond a considéré qu'aucune disposition réglementaire ne définissait de critères permettant d'identifier les zones d'activités portuaires, et que « en fixant, en termes exclusifs et impératifs de tels critères sans y avoir été légalement habilité, le ministre ... a pris, par l'instruction attaquée, une mesure réglementaire d'application de la loi » [23]. L'instruction ministérielle a donc été déclarée illégale.
B. La répartition des compétences juridictionnelles
Toutes les juridictions peuvent être concernées par des questions d'ordre portuaire. Le Conseil constitutionnel a rendu plusieurs décisions dans ce domaine, il a notamment jugé [24] que les droits de port étaient des redevances pour service rendu.
À propos de la Gouvernance des grands ports maritimes d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion), le Conseil constitutionnel a considéré que « compte tenu de la situation géographique des départements d'outre-mer, ces ports occupent une place particulière dans leur réseau de transports et leur économie générale ; que ces circonstances constituent, au sens de l'article 73 de la Constitution N° Lexbase : L1343A9M, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, d'une part, de prévoir un nombre de représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements plus élevé que pour le conseil de surveillance des ports de métropole, et d'autre part, de prévoir que la nomination des personnalités qualifiées, dont celles élues par les chambres de commerce et d'industrie, intervient après avis des collectivités territoriales et de leurs groupements dont une partie du territoire est située dans la circonscription du port » [25].
Dès lors que la loi donne compétence aux juridictions administratives pour statuer notamment sur les litiges relatifs aux autorisations et contrats d'occupation du domaine public et aux contraventions de grande voirie (sauf en matière routière), il est logique que la jurisprudence administrative soit particulièrement abondante concernant les ports. On rappellera un grand arrêt de principe définissant le domaine public rendu [26] à propos du port de Bonneuil-sur-Marne. À présent, l'article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4505IQW impose des critères plus restrictifs.
Parfois, la compétence juridictionnelle est répartie entre les ordres de juridictions pour tenir compte de l'objet du litige, alors que celui-ci concerne la même matière. C'est le cas pour les litiges relatifs aux droits de port, les contestations concernant la légalité de leur barème, lequel est un acte administratif, relèvent de la compétence des juridictions administratives [27], tandis que ceux relatifs à l'application du barème, c'est-à-dire la facturation, doivent être soumis aux juridictions judiciaires [28]. La même répartition des compétences s'applique pour les redevances d'outillages publics [29].
S'agissant de la mise en cause de la responsabilité des gestionnaires d'outillages publics, une distinction est faite par la jurisprudence selon que la victime est un usager ou un tiers. Lorsqu'un usager subit des dommages, il lui appartient de saisir la juridiction judiciaire [30], en revanche, si c'est un tiers par rapport à l'équipement, c'est le juge administratif qui doit statuer [31].
Le Tribunal des conflits est parfois sollicité pour désigner l'ordre juridictionnel compétent pour statuer et à cette occasion détermine le régime juridique d'une situation. C'est ainsi qu'il a qualifié la mise à disposition d'un quai pour un navire de service public à caractère administratif [32]. Par ailleurs, pour l'application de la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 N° Lexbase : L1477G89, il a jugé qu'une drague portuaire non automotrice ne constituait un véhicule [33]. Parmi les décisions de cette juridiction, on peut citer la qualification d'outillage public [34] pour un pipeline reliant le quai d'un port à une usine implantée dans une zone industrielle portuaire.
L'Autorité de la concurrence a été conduite à statuer sur la légalité de certaines activités portuaires, comme la manutention [35]. Il y a lieu de préciser que cette juridiction n'est pas compétente pour trancher des litiges portant sur des situations impliquant des prérogatives de puissance publique.
Enfin, les juridictions de l'Union européenne se prononcent sur des litiges concernant les ports. Les sujets traités sont variés, comme la manutention [36], la limite du nombre de postes de mouillage dans les ports de plaisance [37], la redevance d'utilisation du V.T.S (système du contrôle du trafic portuaire) [38], les aides d'État [39], la notion de port [40], l'accueil des navires dans les ports [41], le recrutement des ouvriers portuaires [42], la protection de l'environnement au regard du développement d'une zone portuaire [43], la nationalité du président d'une autorité portuaire [44].
Conclusion
L'insuffisance des textes et parfois leur formulation maladroite ne sont pas à elles seules la cause de l'insécurité juridique. Il revient aux requérants de maitriser leur demande et aux juges de prendre le recul nécessaire et de s'informer sur les thèmes qui leur sont soumis. Le droit est une œuvre collective. Dans son étude annuelle de 2016 sur la simplification et la qualité du droit, le Conseil d'État observe que : « S'il n'existe pas de définition partagée de la simplification et de la qualité du droit, c'est faute de vision claire des insuffisances qui affectent le droit. Il n'y a en effet ni accord sur les concepts, ni consensus sur les préoccupations, ni mesure objective de la complexité » [45].
Pour l'élaboration des textes, comme pour le déroulement des contentieux portuaires, les gestionnaires de ports devraient être plus régulièrement consultés. Il faut faciliter l'application des normes et encourager les magistrats à mobiliser davantage leurs pouvoirs d'instruction, ils peuvent ainsi consulter un expert sur le fondement de l'article R. 625-3 du Code de justice administrative N° Lexbase : L5882IGX, à l'exclusion de toute analyse ou appréciation des pièces du dossier [46].
[1] Décret n° 56-321 du 27 mars 1956, portant codification, sous le nom de Code des ports maritimes, des textes législatifs concernant les ports maritimes (JO, 30 mars 1956, p. 3066).
[2] Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010, relative à la partie législative du Code des transports N° Lexbase : L2799INY. La partie réglementaire du Code des ports maritimes a été très largement abrogée par le décret n° 2014-1670 du 30 décembre 2014 N° Lexbase : L5155I73 (JO, 31 décembre 2014).
[3] Rapport de présentation au Président de la République de l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010, JO, 3 novembre 2010.
[4] Cons. const., décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 N° Lexbase : A4835XHK, JO, 31 mars 2018.
[5] Simplification et qualité du droit, p. 25, étude annuelle 2016 du Conseil d'État, la documentation française 2016 (n° 67).
[6] CE, 13 mai 2024, n° 474507 N° Lexbase : A35785B7.
[7] T. confl. 8 avril 2019, n° 4157 N° Lexbase : A6319Y9W. On relève encore que : « le port a saisi l'inspecteur du travail » (CAA Nantes 17 décembre 2018, n° 17NT01051 N° Lexbase : A20993PG) ; « le port ne revient pas sur sa position à l'issue de l'audition » (CAA Douai 4 avril 2016, n° 15DA00868 N° Lexbase : A5574PKN).
[8] Règlement (UE) 2017/352 du 15 février 2017 N° Lexbase : L1374LDA, art. 2-16.
[9] CE, 22 avril 1988, n° 59512 N° Lexbase : A7633APE, DMF, 1989, p. 350, concl. M Guillaume, note R. Rézenthel.
[10] CE Sect., 29 décembre 1993, n° 148567 N° Lexbase : A7945AM9, CJEG, 1994, p. 232, concl. M. Arrighi de Casanova.
[11] CE, 14 février 2017, n° 405157 et 405183 N° Lexbase : A5671TND ; CE Ass., 15 novembre 2018, n° 395539, avis sur un projet de loi d'orientation des mobilités N° Lexbase : A97908PB, p. 31, n° 94 et suiv.
[12] CE sect. TP, 20 octobre 1976, avis n° 317979.
[13] CE sect. TP des 7 et 14 janvier 1992, avis n° 348015.
[14] CE 4 décembre 1995, n° 124977 N° Lexbase : A6978ANR, DMF, 1996, p. 435 note R. Rézenthel ; Cass. civ. 1, 13 avril 1999, n° 97-15.638 N° Lexbase : A4952CS9, DMF, 1999, p. 882 note R. Rézenthel ; CE Sect., 29 décembre 1993, n° 148567 N° Lexbase : A7945AM9, CJEG, 1994, p. 232 concl. M. Arrighi de Casanova.
[15] C. transp., art. L. 5312-2 N° Lexbase : L5603L4B.
[16] Loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales N° Lexbase : O1731AXE.
[17] Loi n° 2015-991 du 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République N° Lexbase : L1379KG8.
[18] TA Nice, 15 janvier 2008, Conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur, DMF, 2008, p. 291, note R. Rézenthel.
[19] CE Ass. 15 octobre 1999, n° 160669 et 160813 N° Lexbase : A4481AXA, DMF, 2000, p. 508 note R. Rézenthel.
[20] La création et la gestion des zones d'activité portuaire sont envisagées par le Code général des collectivités territoriales pour : les communautés de communes (art. L. 5214-16-2° N° Lexbase : L4711MB4), les communautés urbaines (art. L 5215-20-I-1° a N° Lexbase : L4713MB8), les communautés d'agglomérations (art. L 5216-5-I-1° N° Lexbase : L4715MBA), les métropoles (art. L 5217-2-I-1° a N° Lexbase : L4719MBE).
[21] JO, 26 décembre 2016.
[22] CE, référé, 3 mars 2017, n° 407649 N° Lexbase : A529474T.
[23] CE, 25 mai 2018, n° 407640 N° Lexbase : A4614XPL.
[24] Cons. const., décision n° 76-92 L du 6 octobre 1976 N° Lexbase : A7944AC9, JO, 9 octobre 1976 p. 5953.
[25] Cons. const., décision n° 2013-313 QPC du 22 mai 2013 N° Lexbase : A6091KDX, JO, 24 mai 2013 p. 8599.
[26] CE Sect. 19 octobre 1956, n° 20180 N° Lexbase : A3283B84, Rec. p. 375.
[27] CE, 2 février 1996, n° 149427 N° Lexbase : A7696AND, LPA, 19 juin 1996, n° 74, p. 14 concl. J. Arrighi de Casanova ; CE, 19 décembre 1979, n° 12801 N° Lexbase : A0178AKS, DMF, 1980, 231, note R. Rézenthel et A. Caubert.
[28] Cass. com. 4 décembre 1990, n° 87-15.266 N° Lexbase : A1145CGI, Bull civ IV, n° 306. R. Rézenthel, La répartition des compétences juridictionnelles pour les litiges portuaires, DMF, 2000, p. 160.
[29] La facturation des redevances d'outillage public portuaire sont des redevances pour service rendu dont le contentieux relève des juridictions judiciaires (Cass. com. 18 avril 1989, n° 86-19.327 N° Lexbase : A3580CWI), les litiges portant sur le barème sont de la compétence des juridictions administratives (CE, 14 avril 2023, n° 462797 N° Lexbase : A18649Q4 ; CE, 21 février 1996, n° 125303 N° Lexbase : A7525ANZ).
[30] Dommages occasionnés par un portique à un navire à quai (Cass. civ. 2, 7 juillet 1993, n° 91-21.192 N° Lexbase : A2684CP4).
[31] À propos des dommages occasionnés par une station de dégazage dans un port (Cass. civ. 1, 23 juin 1981, n° 80-14.499 N° Lexbase : A7173CII).
[32] T. confl., 11 décembre 1972, n° 01975 N° Lexbase : A8217BDP.
[33] T. confl., 24 mai 1965, n° 1858 N° Lexbase : A8429BDK.
[34] T. confl., 11 décembre 2017, n° 4101 N° Lexbase : A7120W7T.
[35] Décision du Conseil de la concurrence n° 02-D-15 du 1er mars 2002, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention des vracs solides au port autonome du Havre N° Lexbase : X5257ACP ; Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention port le transport des conteneurs au port du Havre N° Lexbase : X7226AGQ.
[36] CJCE, 10 décembre 1991, aff. C-179/90, Merci convenzionali porto di Genova SpA c/ Siderurgica Gabrielli SpA N° Lexbase : A9946AUW ; G. Mattei-Dawance et R. Rézenthel, L'aménagement du régime de la manutention portuaire : droit interne et droit communautaire, RFDA, 1993, p. 356.
[37] CJCE, 29 avril 1999, aff. C-224/97, E. Ciola N° Lexbase : A0501AWH, DMF, 1999, p. 449, note R. Rézenthel.
[38] CJCE, 13 juin 2002, aff. C-430/99 et C-431/99, Inspecteur van de Belastingdienst douane N° Lexbase : A8772AYK, DMF, 2002, p. 986, note R. Rézenthel.
[39] CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-34/01 à C-38/01, Enirisorse SpA N° Lexbase : A2990DAY, DMF, 2003, p. 1122, note R. Rézenthel.
[40] CJCE, 9 mars 2006, aff. C-323/03, Commission c/ Espagne N° Lexbase : A4802DN8, DMF, 2006, p. 536, note R. Rézenthel.
[41] CJUE, 17 mars 2011, aff. C-128/10 et C-129/10, Naftiliaki Etaireia Thasou AE N° Lexbase : A0087HC9, DMF, 2012, p. 152, note R. Rézenthel.
[42] CJUE, 11 février 2021, aff. C-407/19 et C-471/19, Katoen Natie Bulk Terminals NV N° Lexbase : A45144GB.
[43] CJUE, 21 juillet 2016, aff. C-387/15 et C-388/15, Hilde Orleans N° Lexbase : A6733RXN.
[44] CJUE, 10 septembre 2014, aff. C-270/13, Iraklis Haralambidis N° Lexbase : A1644MWS.
[45] Simplification et qualité du droit, étude annuelle 2016 du Conseil d'État, adoptée par l'assemblée générale le 13 juillet 2016, n° 67, p. 13, La documentation française (2016).
[46] À propos de la consultation d'un enseignant-chercheur par une cour administrative d'appel : CE, 6 mai 2015, n° 375036 N° Lexbase : A5834NHK.
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par Amynthe Levasseur, Avocate exerçant en droit douanier, Membre du réseau d’avocat LML
Le 24 Juillet 2024
Mots-clés : douanes • procédure douanière • mécanisme d’ajustement carbone aux frontières • TICGN • TICFE
Lexbase Fiscal vous propose de retrouver la chronique d’Amynthe Levasseur retraçant l'actualité en matière douanière s'agissant tant des modifications textuelles que des évolutions jurisprudentielles.
Sommaire :
I. Actualités législatives et réglementaires
A. Nouveau service de dédouanement à l’importation et à l’exportation – Delta IE : Tenez-vous prêts !
B. Réponse à l’EMEBI – Une nouvelle note de référence a été publiée le 10 janvier 2024
C. MACF – les autorités devraient se montrer plus exigeantes au 1er août prochain
G. Violation et contournement des sanctions de l’UE – harmonisation des sanctions pénales
II. Jurisprudences
D. Droit d’être entendu et délai d’émission de l’AMR
F. Taux réduit de TICFE – Notion d’activité industrielle
G. Prise en compte des droits de douane – Validation de la régularisation a posteriori
I. Actualités législatives et réglementaires
A. Nouveau service de dédouanement à l’importation et à l’exportation – Delta IE : Tenez-vous prêts !
L’article 6 du Code des douanes de l’Union pose le principe selon lequel tout échange d’informations entre les autorités douanières et les opérateurs économiques, telles que les déclarations en douane, doivent être effectués en utilisant un procédé informatique de traitement des données.
Pour rappel, les opérateurs qui importent ou exportent des marchandises sont tenus de déposer une déclaration en douane, ayant notamment pour objectif d’assigner un régime douanier à ces marchandises.
Jusqu’à présent, cette déclaration en douane prenait la forme d’un formulaire de format A4, plus connu sous le nom de DAU (pour Document Administratif Unique) et qui est déposé au sein des systèmes informatiques Delta G et Delta X.
Cependant, une réforme une DAU est en cours et va modifier en profondeur le format des déclarations en douane qui seront dorénavant conçues comme des messages électroniques.
La nouvelle application en ligne pour le dépôt et la gestion des déclarations en douane est nommée Delta IE (pour Import-Export) et son utilisation sera, à terme (et c’est pour bientôt), obligatoire.
Delta H7 restera l’interface pour les envois inférieurs à 150 euros.
Néanmoins, la France a fait le choix de permettre aux opérateurs une édition PDF des déclarations éditées sous DELTA IE (consultable [en ligne]) en ce qui concerne la déclaration standard en un temps. Attention, ce document est dépourvu de valeur juridique et pourra être modifié dans les semaines à venir. Seuls les messages électroniques émis dans Delta IE feront foi.
Le calendrier de mise en œuvre de Delta IE évolue très fréquemment mais les dernières informations disponibles font état des échéances suivantes.
En ce qui concerne Delta Import :
En DTI : l’organisation est à la main de l’opérateur,
En EDI : La douane accompagnera la bascule pour les prestataires et opérateurs ;
En ce qui concerne Delta Export, l’objectif est une mise en service fin 2025.
Remarque : Toute bascule vers Delta IE doit être définitive. À partir du moment où des flux ont été basculés dans Delta IE, les opérateurs ne pourront plus les rebasculer dans delta X ou G.
B. Réponse à l’EMEBI – Une nouvelle note de référence a été publiée le 10 janvier 2024
Depuis le 1er janvier 2022, l’enquête statistique mensuelle sur les échanges de biens intra-Union européenne (EMEBI) a remplacé le volet statistique de la Déclaration d’échanges de biens (DEB).
Pour rappel, la réponse EMEBI vise à reprendre les flux de marchandises entre pays membres de l’Union européenne. Elle doit être fournie par tous les opérateurs ayant été sélectionnés pour faire partie de « l’échantillon » et qui ont reçu un courrier d’information en ce sens (en pratique ce courrier a été adressé à tous les opérateurs qui étaient soumis à la DEB).
La réponse à l’EMEBI doit être fournie via le portail « DEBWEB2 ».
La note de référence pour la réponse à EMEBI [en ligne] du 10 janvier 2024 permet de guider les opérateurs pour la réalisation de cette formalité.
Traditionnellement, une note de référence est publiée chaque début d’année.
C. MACF – les autorités devraient se montrer plus exigeantes au 1er août prochain
Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) est entré en application le 1er octobre 2023 pour une période dite de transition qui se terminera le 31 décembre 2025.
L’objectif du MACF est de soumettre les produits importés mis en libre pratique au sein de l’UE à une tarification du carbone à l’instar de ce qui est imposé aux industriels européens qui fabriquent les mêmes produits.
Actuellement limité à certains secteurs (comme l’acier, le ciment ou encore l’aluminium), la Commission européenne a d’ores et déjà prévu d’étendre le champ d’application du MACF à d’autres secteurs de l’industrie.
Les premiers rapports trimestriels ont en principe été déposés par les importateurs.
Bien que la phase transitoire ne comporte pas d’obligation financière, les objectifs de cette phases sont de familiariser les importateurs avec les obligations MACF et de collecter des données sur les produits importés afin de permettre la consolidation des valeurs par défaut.
Remarque : l’absence de dépôt du rapport trimestriel est constitutive d’une infraction. Pour le moment, les autorités se montrent clémentes et invitent, de manière amiable, les importateurs à compléter ou corriger le rapport trimestriel manquant ou erroné.
Attention : le niveau d’exigence vis-à-vis des rapports trimestriels va être progressivement réhaussé.
Au 1er août 2024, il ne sera en principe plus possible de corriger les deux premières déclarations. L’absence de contrainte quant à l’utilisation des valeurs par défaut devrait par ailleurs prendre fin au 31 juillet 2024.
Les renseignements contraignants permettent aux opérateurs de solliciter les autorités douanières afin d’obtenir la position de la Douane sur le classement tarifaire ou l’origine douanière d’une marchandise.
En matière de classement tarifaire, il s’agit d’une décision de RTC (Renseignement Tarifaire Contraignant).
En ce qui concerne l’origine douanière, il s’agit d’une décision de RCO (Renseignement Contraignant sur l’Origine).
Les RTC et les RCO lient l’ensemble des services douaniers de l’UE. Leur titulaire est quant à lui tenu d’en faire référence au sein des déclarations en douane des marchandises visées par ces décisions de RTC et/ou de RCO.
En ce qui concerne la valeur en douane, le droit positif ne contient pas de dispositif contraignant permettant aux opérateurs d’obtenir une décision des autorités douanières sur le sujet de la valeur en douane.
La douane peut cependant réaliser un rescrit national consistant en une expertise règlementaire de la situation des entreprises en délivrant ce que l’on appelle un avis sur la valeur en douane.
Afin d’assurer la cohérence entre les différents types de renseignements contraignants, la Commission européenne a adopté cette année deux règlements, dont le dernier date du 12 avril (Règlement (UE) n° 2024/1071, de la Commission, 12 avril 2024, modifiant le règlement d'exécution (UE) n° 2015/2447, en ce qui concerne les décisions relatives aux renseignements contraignants en matière de détermination de la valeur en douane et introduisant un système électronique pour les renseignements contraignants en matière d'origine et de valeur en douane N° Lexbase : L1324MMY) et prévoit la création d’un renseignement contraignant sur la valeur, sur des bases similaires à ce qui est prévu pour l’origine et l’espèce tarifaire avec les RTC et RCO.
Le RCV, pour Renseignement Contraignant sur la Valeur, devrait entrer en application le 1er décembre 2027.
Le renseignement tarifaire contraignant (RTC) est une décision de l’Administration des douanes qui vise à sécuriser les opérateurs demandeurs quant au classement douanier des marchandises.
Ces décisions de RTC, qui sont contraignantes pour l’Administration des douanes et les opérateurs, sont actuellement délivrées après dépôt d’une demande présentée de manière dématérialisée via le service en ligne « SOPRANO-RTC ».
Dans un souci d’amélioration de la qualité du service, une migration du service en ligne SOPRANO-RTC vers le portail européen EBTI est prévue pour mi-octobre 2024.
Pour information, cette migration est d’ores et déjà effective pour 22 des 27 États membres de l’UE.
Conformément à l’article 322-0 bis du Code des douanes N° Lexbase : L2291MIP, lorsque ledit Code prévoit que « des convocations, des procès-verbaux ou tous autres actes, ou leur copie, sont remis ou adressés par des agents des douanes, cette transmission peut être effectuée par voie électronique, à la condition que la personne concernée y ait préalablement consenti par une déclaration expresse recueillie au cours de la procédure ».
Un arrêté du 19 avril 2024 précise les modalités par lesquelles la personne destinataire d'actes douaniers donne son accord à leur transmission par voie électronique, ainsi que le contenu de celui-ci.
L'accord à la transmission par voie électronique est donné par mention au procès-verbal.
Doivent figurer dans la mention au procès-verbal :
Les actes transmis par voie électronique doivent l’être sous format PDF (ou tout autre format garantissant l'intégrité de leur contenu).
En ce qui concerne les envois par lettre recommandée ou par lettre recommandée avec avis de réception, l’arrêté impose le recours à des prestataires de services de confiance qualifiés par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information et dont le service d'envoi recommandé électronique qu'il fournit est lui-même qualifié par cette même agence.
G. Violation et contournement des sanctions de l’UE – harmonisation des sanctions pénales
Afin de garantir l’application effective des mesures restrictives mises en place au sein de l’Union européenne au titre de la politique étrangère et de sécurité commune, la Commission estime qu’il est essentiel d’avoir une application cohérente des sanctions de l’UE.
C’est dans ce contexte que la Directive (UE) n° 2024/1266, du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024 [en ligne] a été publiée.
Cette Directive établit des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions en cas de violation des mesures restrictives de l’Union.
Il est tout d’abord rappelé que constitue (notamment) une infraction pénale : le commerce, l’importation, l’exportation, la vente, l’achat, le transfert, le transit ou le transport de biens, ainsi que la fourniture de services de courtage, d’une assistance technique ou d’autres services en rapport avec ces biens, lorsque l’interdiction ou la restriction de ce comportement constitue une mesure restrictive de l’Union.
Le contournement des sanctions tel que défini à l’article 3 de la directive constitue également une infraction.
La Directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour garantir qu’une personne morale tenue pour responsable des infractions pénales pour violation ou contournement des sanctions de l’UE est passible de sanctions ou de mesures, pénales ou non pénales, effectives, proportionnées et dissuasives, qui comprennent des amendes pénales ou non pénales et peuvent comprendre d’autres sanctions ou mesures, pénales ou non pénales.
Les amendes pour les personnes morales sont fixées, selon les cas, à un maximum qui ne peut être inférieur à 1 % à 5 % du chiffre d’affaires mondial, ou bien à un montant forfaitaire de 8 ou 40 millions d’euros.
Les États membres sont tenus de transposer cette directive dans leur droit national avant le 21 mai 2025.
H. Mesures restrictives contre la Russie – Adoption du 14e train de mesures
Le 14e train de mesures restrictives contre la Russie a été adopté dans le cadre du Règlement du 24 juin 2024 (Règlement (UE) n° 2024/1745 du Conseil, 24 juin 2024, modifiant le Règlement (UE) n° 833/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine N° Lexbase : L7777MMY).
Ce nouveau train de sanction prévoit notamment :
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce ne sont pas moins de 14 trains de sanctions qui ont été adoptés par l’UE contre la Russie.
Les mesures ne visent plus seulement les flux entre l’UE et la Russie mais peuvent également concerner des intrants russes par exemple.
Une vigilance accrue est donc de mise !
En bref
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II. Jurisprudences
Conformément à l’article 369 du Code des douanes (dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2013 du 29 décembre 2013), le juge peut prendre en compte la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur pour réduire le montant des amendes fiscales, y compris jusqu’à un montant inférieur à leur montant minimal.
Si le montant de l’amende prononcé par le juge peut être symbolique (Cass. crim., 28 juin 2023, n° 22-81.956, F-D N° Lexbase : A8315974), l’auteur de l’infraction ne peut cependant pas être totalement dispensé de son paiement par le juge.
La position de la Cour de cassation est constante sur ce point et rappelée dans un arrêt du 19 juin 2024 (Cass. crim., 19 juin 2024, n° 23-86.008, F-D N° Lexbase : A52995KH) :
« 5. Vu l’article 369 du Code des douanes :
6. Il se déduit de ce texte que le juge, s’il peut réduire le montant de l’amende douanière encourue, eu égard à l’ampleur et à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’à la personnalité de son auteur, ne saurait en dispenser totalement ce dernier ».
Attention, il est rappelé que le juge qui réduit le montant de l’amende n’a pas à prendre en compte la situation personnelle, familiale et sociale du contrevenant, mais doit se limiter à prendre en considération l’ampleur et la gravité de l’infraction commise, ainsi que la personnalité de son auteur.
Les juges rappellent ainsi fréquemment que la situation financière des prévenus n’est pas un critère valable pour moduler le montant de l’amende au titre de l’article 369 du Code des douanes (Cass. crim., 7 février 2024, n° 22-83.659, FS-B N° Lexbase : A66252KL).
En matière d’accise, les principes sont établis au sein de l’UE par la Directive relative au régime général des produits soumis à accises.
La Cour de justice de l’Union européenne considère que, dans le cadre de la procédure de circulation des produits soumis à accises et placés sous un régime suspensif, le législateur a conféré un rôle central à l’entrepositaire agréé (voir notamment – CJUE, 7 septembre 2023, aff. C-323/22, KRI SpA, point 55 N° Lexbase : A16131GT).
Ainsi, lorsqu’une irrégularité ou une infraction entraînant l’exigibilité des droits d’accise a été commise au cours de la circulation, la responsabilité de l’entrepositaire agréé est objective et repose non pas sur sa faute prouvée ou présumée, mais sur sa participation à une activité économique (voir, en ce sens – CJUE, 24 février 2021, aff. C-95/19, Silcompa SpA, point 52 N° Lexbase : A95294HE).
Ainsi, en cas de vol au sein de l’entrepôt, dès lors que la perte des produits ne présente pas de caractère irrémédiable (rappelons qu’il appartient au juge de déterminer si le vol présente les caractères de la force majeure), l’entrepositaire agréé est redevable des droits d’accise.
Se fondant sur la jurisprudence européenne (CJUE, 17 octobre 2019, aff. C-579/18, QC N° Lexbase : A9264ZRK), la Cour de cassation retient cependant que la Directive n° 2008/118, fixant le régime général des accises N° Lexbase : L5847ICK, a entendu définir largement les personnes susceptibles d’être redevables du paiement des droits d’accise en cas d’irrégularités, et ce, de façon à assurer autant que possible le recouvrement de ces droits.
Pour la Cour de cassation, en cas de sortie irrégulière d’entrepôt fiscal de produit soumis à accise, les droits d’accise sont donc exigibles, solidairement, tant auprès de l’entrepositaire agréé que de toute personne ayant participé à cette sortie. (Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-24.689, F-B N° Lexbase : A85855IS).
Cet arrêt témoigne une fois de plus de la sévérité des juges et du législateur européen lorsqu’il s’agit d’accise.
Conformément aux dispositions de l’article R. 211-3-25 du Code de l’organisation judicaire N° Lexbase : L0442LS8 : « Dans les matières pour lesquelles il a compétence exclusive, et sauf disposition contraire, le tribunal judiciaire statue en dernier ressort lorsque le montant de la demande est inférieur ou égal à la somme de 5 000 euros ».
Les contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l'administration des douanes et les autres affaires de douane relèvent de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (CJO, art. R. 211-3-26 N° Lexbase : L0443LS9).
Par application de ces principes, la Cour d’appel de Dijon déclare donc irrecevable l’appel interjeté à l’encontre d’un jugement portant sur une affaire douanière dont la demande était inférieure à la somme de 5000 euros, intérêts compris (CA Dijon, 13 juin 2024, n° 24/00076 N° Lexbase : A39085KX).
D. Droit d’être entendu et délai d’émission de l’AMR
Toute personne à l’encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise doit être mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge pour fonder la décision litigieuse (voir notamment CJCE, 24 octobre 1996, aff. C-32/95, Commission des Communautés européennes c/ Lisrestal - Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ldª, Gabinete Técnico de Informática Ldª (GTI), Lisnico - Serviço Marítimo Internacional Ldª, Rebocalis - Rebocagem e Assistência Marítima Ldª et Gaslimpo - Sociedade de Desgasificação de Navios SA N° Lexbase : A0082AWX).
En matière douanière, la Cour de justice est venue préciser que le respect des droits de la défense implique, afin que l’on puisse considérer que le bénéficiaire de ces droits a été mis en mesure de faire connaitre son point de vue utilement, que l’administration prenne connaissance, avec toute l’attention requise, des observations de la personne ou de l’entreprise concernée (CJCE, 18 décembre 2008, aff. C-349/07, Sopropé - Organizações de Calçado Lda c/ Fazenda Pública N° Lexbase : A8738EBA).
En ce qui concerne plus particulièrement l’atteinte aux droits de la défense qui pourrait résulter du délai d’un jour entre l’établissement du procès-verbal de notifications d’infractions et l’émission de l’AMR, le juge considère que ce délai court n’affecte pas le droit d’être entendu à la double condition que :
Dans l’arrêt du 29 avril 2024, la cour d’appel de Paris a donc analysé de manière attentive le contexte de l’affaire (CA Paris, 29 avril 2024, n° 22/08054 N° Lexbase : A26095AU).
Relevant une complexité factuelle réelle et la présence d’observations de l’avocat de la société au cours de la notification d’infractions annonçant la communication de pièces nouvelles pouvant être déterminantes quant à l’imposition notifiée, la Cour retient que « le délai d’un jour entre l’établissement du procès-verbal de notifications d’infractions et l’émission de l’AMR […] ne constitue pas un délai raisonnable et suffisant garantissant l’exercice effectif du droit d’être entendu ».
Cette décision est bien entendu justifiée par les faits de l’espèce et il sera intéressant de voir la position de la Cour de cassation si un pourvoi venait à être formé par l’Administration des douanes.
Un taux réduit de TICGN était prévu par le 3° de l‘article 265 nonies du Code des douanes N° Lexbase : L6677LUT pour les personnes qui, sans être soumises à la Directive n° 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, exercent dans leurs installations une activité mentionnée à l'annexe I à la Directive n° 2003/87/CE relevant de la liste, établie par la décision 2014/746/UE de la Commission, du 27 octobre 2014, établissant les secteurs et sous-secteurs considérés comme exposés à un risque important de fuite de carbone, pour la période 2015-2019.
Une société ayant pour activité la transformation et la conservation de pommes de terre sous forme de chips a sollicité la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, de l’article 265 nonies du code des douanes, pour méconnaissance des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques.
La société demanderesse considère que ces principes sont méconnus puisque, contrairement l’activité de fabrication de frites surgelées de pommes de terre, l’activité de fabrication de chips de pommes de terre ne bénéficie pas d’un taux réduit de TICGN et que ces dispositions seraient discriminatoires alors que ces activités sont similaires puisqu’elles consistent toutes les deux en une activité de transformation de pommes de terre pour l’alimentation humaine.
Pour la cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 23 janvier 2024, n° 23/04157 N° Lexbase : A24852HI), c’est en application cumulée des critères quantitatifs et qualitatifs de consommation gaz que la Commission européenne n’a sciemment pas retenu la fabrication de chips de pommes de terre au nombre des entreprises présentant un risque important de fuite de carbone.
Elle juge la question dépourvue de caractère sérieux et rejette la demande de transmission à la Cour de cassation.
Pour rappel, depuis le 1er janvier 2022, la TICGN a été renommée « accise sur le gaz naturel » et est actuellement encadrée par le CIBS (« Code des impositions sur les biens et services »).
La décision de la cour d’appel aurait certainement été la même s’il avait été question des dispositions similaires du CIBS (CIBS, art. L. 312-77 CIBS N° Lexbase : L1663ML8).
F. Taux réduit de TICFE – Notion d’activité industrielle
Des taux réduits de TICFE étaient prévus par l’article 266 quinquies C N° Lexbase : L7307LZN du Code des douanes pour les entreprises électro-intensives qui exploitent des installations industrielles.
Selon les dispositions réglementaires, présentent un caractère industriel, l’entreprise, le site ou l’installation où sont effectués à titre principal une ou plusieurs activités relevant des sections B, C, D et E de l'annexe au décret n° 2007-1888, du 26 décembre 2007, portant approbation des nomenclatures d'activités et de produits françaises (codification NAF) N° Lexbase : L6920H3P.
Par une décision du 22 février 2017 (CE 9° et 10° ch.-r., 22 février 2017, n° 401137 N° Lexbase : A0106TSQ), le Conseil d’État a considéré qu’en limitant aux secteurs industriels le bénéfice des taux réduits, l’article 266 quinquies C du Code des douanes s’était borné à faire usage de la faculté ouverte aux états membres par les dispositions de la Directive n° 2003/96/CE.
Dans cette même décision, le Conseil d’État avait validé l’exclusion des activités de transport et d’entreposage relavant de la section H de l’annexe au décret n° 2007-1888 et la limitation du dispositif aux seules activités relevant sections B, C, D et E de l'annexe à ce même décret.
Par un arrêt du 20 février 2024, la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 20 février 2024, n° 21/02989 N° Lexbase : A71052PT) exclut donc très logiquement les activités de blanchisserie (relevant de la section S de la NAF) du bénéfice du taux réduit de TICFE. Cet arrêt rappelle également que les dispositions applicables en matière d’impôts locaux ou d’impôt sur la fortune immobilière sont inapplicables à la TICFE (les juges ont une position stable sur ce point).
Toujours sur le même sujet, une QPC a été transmise à la Cour de cassation par la Cour d’appel de Douai afin de savoir si la limitation du taux réduit de TICFE aux seules activités relevant sections B, C, D et E de la NAF portait atteinte aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.
Par un arrêt du 29 mai 2024 (Cass. com., 29 mai 2024, n° 24-40.006, F-D N° Lexbase : A50475EN), la Cour de cassation a considéré qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel car :
La jurisprudence en matière de TICFE est abondante et les nombreux arrêts qui ont été rendus au premier semestre 2024 sont l’occasion de rappeler des principes bien établis :
G. Prise en compte des droits de douane – Validation de la régularisation a posteriori
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, la prise en compte des droits de douane consiste en l’inscription du montant des droits, par les autorités douanières, dans les registres comptables ou sur tout autre support qui en tient lieu. Elle doit nécessairement précéder la communication au débiteur du montant des droits à l’importation (CJCE, 23 février 2006, aff. C-201/04, Belgische Staat c/ Molenbergnatie NV N° Lexbase : A1457DNB).
Dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mars 2024 (Cass. com., 21 juin 2023, n° 21-13.403, FS-D N° Lexbase : A415394L) la chambre mixte était invitée à se prononcer sur la validité de la procédure douanière alors que la prise en compte des droits avait été effectuée un jour après l’émission de l’avis de résultat d’enquête (communiquant le montant des droits de douane au débiteur).
Fondant sa décision sur la jurisprudence de la CJUE la Cour retient que « si la méconnaissance de l'article 221, paragraphe 1, du Code des douanes communautaire par les autorités douanières d'un État membre peut faire obstacle au recouvrement du montant des droits légalement dus ou à la perception d'intérêts de retard, une telle méconnaissance n'a aucune conséquence sur l'existence de ces droits (CJCE, 20 octobre 2005, aff. C-247/04, Transport Maatschappij Traffic BV c/ Staatssecretaris van Economische Zaken, point 28 N° Lexbase : A9684DKU)
et que les autorités douanières conservent la faculté de procéder à une nouvelle communication de ce montant dans le respect des conditions prévues au même texte et des règles de prescription en vigueur à la date à laquelle la dette douanière a pris naissance (CJUE, 9 juillet 2008, aff. C-477/07, Gerlach & Co. NV c/ Belgische Staat N° Lexbase : A5366IGT).
Pour la Cour une régularisation a posteriori est donc possible.
Elle valide ainsi une procédure où la dette a été prise en compte postérieurement à l'avis de résultat d'enquête à la condition que cette prise en compte ait également été effectuée préalablement à un acte la communiquant de nouveau au redevable, tel un procès-verbal de notification d'infraction.
Au cas présent, la dette a été inscrite dans le « registre de prise en compte, de communication de la dette douanière et de mise en oeuvre du droit d'être entendu » pour un montant de 585 532 euros le 16 octobre 2012, l'avis de résultat d'enquête informant la société du montant des droits éludés est daté de la veille mais, un montant identique de droits éludés a été communiqué au débiteur par notification d'un procès-verbal d'infraction daté du 10 décembre 2012. Pour la Cour, la prise en compte a donc été valablement régularisée.
Attention, cet arrêt appelle les deux observations suivantes :
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Réf. : Décret n° 2024-808, du 5 juillet 2024, portant dispositions relatives à la procédure d'expulsion et aux mesures d'assignation à résidence prévues par le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L1071MNY
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N0050B3A
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par Yann Le Foll
Le 24 Juillet 2024
► Le décret n° 2024-808, du 5 juillet 2024, portant dispositions relatives à la procédure d'expulsion et aux mesures d'assignation à résidence prévues par le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, publié au Journal officiel du 16 juillet 2024, précise les modalités de partage de compétence pour le prononcé des arrêtés d'expulsion, le fonctionnement des commissions d'expulsion et les modalités des assignations à résidence de certaines catégories d'étrangers.
Contenu. À la suite des modifications du régime des protections contre l'expulsion issues de la loi n° 2024-42, du 26 janvier 2024, pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration N° Lexbase : L3809MLN, le décret procède à un réajustement du partage de compétence entre le ministre et les préfets pour le prononcé des décisions d'expulsion. Ainsi, l'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public est le ministre de l’Intérieur en cas d'urgence absolue, ou en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État.
Il rationalise l'organisation des commissions d'expulsion (qui se réunit au moins une fois par mois selon un calendrier prévisionnel établi par le président de la commission). Il précise par ailleurs les modalités de convocation devant ces commissions des étrangers sollicitant l'abrogation de la décision d'expulsion dont ils font l'objet (l'étranger est rendu destinataire, le cas échéant via son conseil, d'un bulletin de notification quinze jours au moins avant la date prévue pour la réunion de la commission d'expulsion).
Le décret procède à l'augmentation du nombre maximum de pointages quotidiens (quatre) dans le cadre des assignations à résidence aux fins d'exécution de la décision d'éloignement prises sur le fondement de l'article L. 731-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L4348MLM.
Enfin, il harmonise le nombre maximum de pointages pour les assignations à résidence sur interdiction administrative du territoire au titre de l'article L. 731-3 du même code N° Lexbase : L3801LZS avec celui prévu pour les assignations à résidence sur arrêté d'expulsion ou interdiction du territoire français.
Entrée en vigueur. Le décret entre en vigueur le 17 juillet 2024.
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Réf. : INPI, communiqué, du 22 juillet 2024
Lecture: 1 min
N0092B3S
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par Perrine Cathalo
Le 24 Juillet 2024
► À compter du 31 juillet 2024, en dehors des autorités de contrôle et des personnes assujetties aux obligations de vigilance au sens de l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier
Cette évolution fait suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 novembre 2022 (CJUE, 22 novembre 2022, aff. C-37/20 N° Lexbase : A80518TD, v. P. Cathalo, Lexbase Affaires, janvier 2023, n° 743 N° Lexbase : N4047BZW), qui, au nom de la protection des données à caractère personnel, appelle à un filtrage de l’accès aux informations renseignées concernant les bénéficiaires effectifs.
Les conditions de ce filtrage sont en outre précisées par la sixième Directive « anti-blanchiment », publiée le 19 juin 2024 au Journal officiel de l’Union européenne (Directive n° 2024/1640 du 31 mai 2024 N° Lexbase : L7633MMN).
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newsid:490092
Réf. : BOFiP, actualité, 17 juillet 2024, BOI-INT-CVB-BFA
Lecture: 3 min
N0080B3D
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par Marie-Claire Sgarra
Le 29 Juillet 2024
► L’administration fiscale a mis à jour ses commentaires suite à la décision du Burkina Faso de dénoncer unilatéralement la convention visant à éliminer la double imposition qui avait été signée le 11 août 1965 avec la France.
Rappel. Par note diplomatique du 7 août 2023, le Burkina Faso a notifié à la France sa décision de mettre fin à la convention fiscale du 11 août 1965 à compter du 8 novembre 2023. Un avis relatif à la dénonciation par le Burkina Faso de la convention fiscale entre la France et le Gouvernement de la République de Haute-Volta tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale a été publié au Journal officiel du 21 juin 2024 N° Lexbase : L6846MMI. La dénonciation de la convention prendra effet le 1er janvier 2025. Toutefois, en vertu du principe de réciprocité d’application des accords internationaux, la convention a été suspendue par la France à compter du 8 novembre 2023 et a cessé de produire ses effets à compter de cette date. |
L’administration fiscale précise par catégorie de revenus la date à la convention cesses ses effets.
Conséquences de la fin d’application de la convention
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Burkina-Faso, in Conventions fiscales internationales, Lexbase N° Lexbase : E8258ETZ. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490080
Réf. : Cass. soc., 12 juin 2024, n° 23-13.975, FS-B N° Lexbase : A48605HH
Lecture: 13 min
N0060B3M
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par Hélène Daher, Avocate associée et Lola de Montalembert, Avocate of Counsel, Daher Avocats
Le 24 Juillet 2024
Mots-clés : enquête interne • harcèlement moral • obligation de sécurité • mesures • alerte
Dans son arrêt du 12 juin 2024, la Cour de cassation affine sa définition jurisprudentielle de l’obligation de sécurité de moyens incombant à l’employeur en retenant le caractère optionnel de l’enquête interne en cas de dénonciation de faits susceptibles de constituer une situation de harcèlement moral, dès lors que l’employeur a pris des mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée, nonobstant l’absence d’enquête.
Pierre angulaire de la relation de travail aux contours jurisprudentiels parfois flous, l’obligation de sécurité constitue un enjeu majeur pour l’employeur. Les actions en violation de cette obligation se multiplient, parallèlement et parfois conjointement aux actions en reconnaissance de harcèlement moral. Dans ce contexte, la conduite d’une enquête interne est-elle un prérequis obligatoire afin de respecter l’obligation de sécurité de l’employeur en cas d’alerte relative à une situation de harcèlement moral ?
Dans son arrêt du 12 juin 2024 [1], la Chambre sociale de la Cour de cassation répond par la négative en considérant que l’employeur n’avait, nonobstant l’absence d’enquête interne, pas manqué à son obligation de sécurité, compte tenu des autres mesures prises par ce dernier (I.). La portée de cet arrêt doit toutefois être relativisée et la conduite d’une enquête interne reste souvent nécessaire (II.).
I. L’obligation de mener une enquête interne n’est pas nécessairement un prérequis du respect de l’obligation de sécurité
A. Les différents leviers de l’employeur pour respecter son obligation de sécurité
Obligation de sécurité. L’employeur est tenu, envers ses salariés, à une obligation de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » [2]. Cela implique naturellement qu’il s’assure du respect de toutes les dispositions nécessaires en vue de « prévenir les agissements de harcèlement moral » [3] .
Il s’agissait, initialement, d’une obligation de résultat. En matière de harcèlement moral, la Cour de cassation considérait ainsi que l’employeur manquait à son obligation dès lors qu’un salarié était victime, sur le lieu de travail, de violences physiques ou morales ou de harcèlement exercés par un autre salarié et ce, quand bien même l'employeur aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements [4].
La jurisprudence considère désormais qu’il s’agit d’une obligation de moyens « renforcée ». L’employeur peut donc s’en exonérer sous réserve de pouvoir démontrer qu'il a tout mis en œuvre pour exécuter son obligation (i.) en amont au travers d’actions de prévention, d’information et de formation et (ii.) en aval, en réagissant, dès qu’il est informé de l’existence d’agissements susceptibles de caractériser une situation de harcèlement moral [5].
À titre illustratif, ont été jugées suffisantes – au regard des faits d’espèce – les mesures suivantes à la suite d’une dénonciation de faits susceptibles d’être qualifiés de harcèlement moral :
B. L’absence d’enquête ne permet pas, en elle-même, de qualifier un manquement à l’obligation de sécurité
L’enquête interne, indispensable au respect de l’obligation de sécurité de l’employeur ? Si la Cour de cassation s’est, à ce jour, abstenue de définir les « mesures suffisantes » de nature à assurer le respect de l’obligation de prévention des risques professionnels, la jurisprudence avait une tendance forte à retenir un manquement de l’employeur en l’absence de conduite d’une enquête interne à la suite d’une dénonciation de harcèlement moral.
Elle jugeait ainsi que (i) l’enquête interne permet à l’employeur d'avoir la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés et de prendre les mesures appropriées [7] et surtout, plus spécifiquement, que (ii) l'employeur qui n’entreprend aucune enquête sérieuse manque à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité du salarié victime de harcèlement [8].
De manière concordante, au fond, il était jugé que : « l’obligation de prévention des risques professionnels […] impose à l’employeur, […] de mettre en œuvre les actions de prévention […], en particulier de diligenter une enquête dès lors que des faits éventuels de harcèlement moral subi par un salarié lui sont dénoncés » [9].
Encore plus catégorique, la cour d’appel de Dijon avait considéré en 2023 : « il est constant que manque à son obligation de prévention des risques professionnels, l’employeur qui ne diligente pas une enquête interne en cas de dénonciation de faits s’apparentant, notamment, à du harcèlement moral par un de ses employés » [10].
Toutefois, ainsi que cela a été rappelé dans le rapport de Madame OTT, Conseillère à la Cour de cassation à l’occasion de l’arrêt du 12 juin 2024 commenté, la Chambre sociale n’avait : « pas pour autant consacré le principe d’une obligation d’un employeur, alerté d’un possible harcèlement moral, de diligenter en interne une enquête » [11].
L’initiation d’une enquête interne peut d’ailleurs être nécessaire, mais pas suffisante. La Cour de cassation a statué en ce sens dans un cas où l’employeur avait mené une enquête interne à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement moral, mais avait néanmoins manqué à son obligation de sécurité « à défaut d’actions d'information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral » [12].
Plus précisément, les juges du fond ont pu considérer que manque à son obligation de sécurité l’employeur qui :
Dans son arrêt du 12 juin 2024, la Cour de cassation confirme que l’enquête interne n’est pas une mesure obligatoire en cas de dénonciation de faits de harcèlement moral [15].
La salariée faisait valoir que son employeur avait manqué à son obligation de sécurité en ne prenant « aucune mesure » et en n’ordonnant « aucune enquête interne » après sa dénonciation d’agissements susceptibles d’être constitutifs d’un harcèlement moral.
La cour d’appel de Versailles n’a pas suivi cet argumentaire, considérant que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité dès lors que (i) les réponses apportées à la salariée par sa direction sur les points soulevés et (ii) la prise de position de sa hiérarchie à l’égard du différend l’opposant à l’une de ses collègues, étaient suffisantes pour répondre à l’obligation de sécurité de l’employeur, lequel n’était donc pas tenu de diligenter une enquête sur les faits objets de l’alerte [16].
La Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fond et considère que « la cour d'appel […] a fait ressortir que l'employeur avait pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée, [et] a pu en déduire, nonobstant l'absence d'enquête interne, que celui-ci n'avait pas manqué à son obligation de sécurité » [17].
Cet arrêt reste, à notre sens, conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère que le respect de l’obligation de sécurité doit s’apprécier de manière globale et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
La Haute Juridiction adopte ainsi une démarche pragmatique, cohérente avec l’abandon progressif de l’obligation de sécurité de résultat au profit d’une obligation de moyens renforcée [18].
Précisons bien entendu que lorsque l’alerte relative à des faits de harcèlement moral a été déclenchée par un membre du CSE, l’enquête n’est pas une option et doit être initiée par l’employeur « sans délai »[19].
II. Une solution d’espèce à la portée relative
A. L’intérêt de mener une enquête interne n’est pas limité à la vérification de la qualification de « harcèlement moral » des faits
Un outil nécessaire à l’appréciation de la véracité des faits rapportés. L’enquête interne offre, tant au regard de sa valeur probante que du respect du contradictoire, un outil idoine pour « vérifier la véracité » [20] des agissements dénoncés ou d’en apprécier la mesure.
L’avocate générale avait d’ailleurs rappelé, à l’occasion de l’arrêt du 12 juin 2024 que : « l’enquête interne est l’un des éléments qui permet à l’employeur d’établir qu’il a pris la mesure des faits qui ont été portés à sa connaissance et qu’il a essayé de faire la lumière dessus pour prendre les mesures les plus opportunes » [21].
La cour d’appel de Versailles avait considéré, selon son appréciation souveraine, que l’existence d’un harcèlement moral n’était pas avérée. Il est possible de s’interroger sur le fait de savoir si cela a eu un impact sur l’appréciation de la Cour de cassation quant au respect de l’obligation de sécurité de l’employeur.
La Cour de cassation considère toutefois que la mise en œuvre de mesures de prévention des situations de harcèlement par l'employeur [22] est distincte de son obligation de sécurité [23]. En d’autres termes, la conduite d’une enquête permet non seulement de répondre à l’obligation de prévention de faits constitutifs de harcèlement moral [24], mais également de l’obligation générale de prévention des risques professionnels [25].
Aussi, le fait que les faits de harcèlement moral ne soient in fine pas établis n’empêche pas que l’employeur ait manqué à son obligation de sécurité [26].
La conduite de l’enquête interne est donc nécessaire à double titre : (i) afin d’établir la réalité des faits du point de vue de l’obligation de prévention du harcèlement moral et (ii) afin de démontrer que l’employeur prend des mesures concrètes au titre de son obligation de sécurité.
La Cour de cassation a d’ailleurs censuré un arrêt ayant débouté une salariée de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité après avoir retenu qu’aucun agissement répété de harcèlement moral n’était établi, la cour d’appel estimant qu’il ne pouvait être reproché à l’employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d’avoir manqué à son obligation de sécurité [27].
Le fait que les faits de harcèlement moral n’aient pas été reconnus dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2024 n’a donc selon nous pas été déterminant dans l’appréciation de la Cour de cassation s’agissant de l’obligation de sécurité de l’employeur.
B. Une enquête interne qui peut rester, en pratique, l’outil nécessaire
Obligation imposée par les partenaires sociaux. Les partenaires sociaux ont, depuis l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail, posé l’obligation pour les employeurs de traiter sans retard les plaintes faites par les salariés en matière de harcèlement au travail, en déclenchant immédiatement une enquête [28].
La définition du harcèlement moral donnée dans l’ANI est d’ailleurs particulièrement large puisque les partenaires sociaux vont jusqu’à y inclure les « cas mineurs de manque de respect » [29].
Cette obligation conventionnelle s’applique en principe à l’ensemble des employeurs du champ d’application de l’ANI, à savoir les entreprises de l’industrie, des commerces et services, à raison de la signature de l’ANI par le Medef, la CGPME et l’UPA.
La portée normative de cette obligation conventionnelle est bien sûr à relativiser, (i) l’ANI ne prévoyant pas de sanction de l’employeur à défaut d’initiation immédiate d’une enquête, et (ii) la jurisprudence n’ayant pas encore, à notre connaissance, retenu ce fondement pour reconnaitre un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur.
L’avocate générale avait toutefois rappelé ces dispositions dans son avis relatif à l’arrêt du 12 juin 2024, en considérant que « eu égard aux garde-fous dont elle est entourée, mais également au fait qu’elle permet à l’employeur de réagir rapidement, l’enquête interne est effectivement le moyen le plus opportun et opérant lorsque des faits de harcèlement ou de violences lui sont dénoncés » [30].
Cumul des fondements. En dépit de l’absence, en effet, d’obligation de principe de diligenter une enquête interne, l’initiation d’une telle procédure doit à notre sens néanmoins être encouragée dès lors qu’existent des éléments d’alerte suffisamment crédibles puisqu’elle (i) permet d’établir la véracité des faits dans le respect du principe du contradictoire répondant à l’obligation de prévention des faits de harcèlement moral et (ii) constitue une « mesure » de nature à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, répondant à l’obligation générale de prévention des risques professionnels.
Rappelons enfin que l’avocate générale avait recommandé de considérer que l’absence d’enquête interne constituait un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité en ces termes : « la cour d’appel ne pouvait valablement retenir que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité à l’égard de la salariée alors qu’il n’avait pas procédé à une enquête interne après qu’elle lui avait dénoncé des faits de harcèlement moral » [31], à l’instar de la jurisprudence du fond qui a pu retenir une obligation de principe de conduite d’une enquête en cas de dénonciation de faits constitutifs de harcèlement moral [32].
La portée de l’arrêt doit donc, à notre sens, être relativisée et l’appréciation de l’opportunité de mener une enquête interne relève – comme auparavant – du « cas par cas ».
[1] Cass. soc., 12 juin 2024, n° 23-13.975, FS-B N° Lexbase : A48605HH.
[2] C. trav., art. L. 4121-1 et s N° Lexbase : L8043LGY.
[3] C. trav., art. L. 1152-4 N° Lexbase : L5790I3T.
[4] Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-40.144, FP-P+B+R N° Lexbase : A6060ERU ; Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019, FP-P+B+R N° Lexbase : A6087ERU.
[5] Cass. soc., 23 mars 2022, n° 20-23.272, F-D N° Lexbase : A32017RY.
[6] Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2663RR3.
[7] Cass, soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902, FS-P+B N° Lexbase : A6495HU4.
[8] Cass, soc., 9 juillet 2014, n° 13-16.797, F-D N° Lexbase : A4112MUT ; Cass, soc., 7 avril 2016, n° 14-23.705, F-D N° Lexbase : A1501RCL.
[9] CA Bourges, 18 décembre 2020, n° 20/00039 N° Lexbase : A42924A9.
[10] CA Dijon, 20 juillet 2023, n° 22/00005 N° Lexbase : A25301CP.
[11] Rapport de Mme. OTT, Conseillère à la Cour de cassation, relatif l’arrêt du 12 juin 2024 n° 23-13.975 [en ligne].
[12] Cass. soc., 5 octobre 2016 n° 15-20.140, F-D N° Lexbase : A4439R7K.
[13] CA Rennes, 18 mars 2021, n° 17/06637 N° Lexbase : A54904LW.
[14] CA Paris, 23 février 2023, n° 21/04032 N° Lexbase : A99649ER.
[15] Cass. soc., 12 juin 2024, n° 23-13.975, FS-B N° Lexbase : A48605HH.
[16] CA Versailles, 26 janvier 2023, n° 22/01192 N° Lexbase : A26649BB.
[17] Cass. soc., 12 juin 2024, n° 23-13.975, FS-B N° Lexbase : A48605HH.
[18] Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7767NXX.
[19] C. trav., art. L. 2312-59 N° Lexbase : L1771LRZ.
[20] Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-22.220, FS-B N° Lexbase : A859378R.
[21] Avis de Mme. Roques, avocate générale référendaire relatif l’arrêt du 12 juin 2024, n° 23-13.975 [en ligne].
[22] C. trav., art. L. 1154-1 N° Lexbase : L6799K9P.
[23] C. trav., art. L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY et L. 4121-2 N° Lexbase : L6801K9R.
[24] C. trav., art. L. 1154-1.
[25] C. trav., art. L. 4121-1 et L. 4121-2.
[26] Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 21-18.951, F-D N° Lexbase : A95288UG.
[27] Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551, FP-P+B N° Lexbase : A3486Z4U.
[28] ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, étendu par arrêté du 23 juillet 2010 [en ligne].
[29] ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, étendu par arrêté du 23 juillet 2010.
[30] Avis de Mme. Roques, avocate générale référendaire relatif l’arrêt du 12 juin 2024, n° 23-13.975.
[31] Avis de Mme. Roques, avocate générale référendaire relatif l’arrêt du 12 juin 2024, n° 23-13.975.
[32] CA Bourges, 18 décembre 2020, préc. ; CA Dijon, 20 juillet 2023, préc..
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Réf. : Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 22-16.805, FS-B N° Lexbase : A22175PS
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par Charlotte Moronval
Le 24 Juillet 2024
► Même en présence de difficultés économiques avérées, l’employeur reste tenu d’établir que sa décision de licencier un salarié de retour d’arrêt maladie est bien justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Faits et procédure. Un salarié, en arrêt de travail pour maladie professionnelle depuis plus deux ans, se voit imposer de solder ses congés par son employeur à son retour. À la suite d’une restructuration, il est le seul à être cadre à être licencié pour motif économique.
Le salarié saisit la juridiction prud’homale pour obtenir l’annulation de son licenciement pour discrimination en raison de son état de santé. Ne relevant pas de discrimination, la cour d’appel (CA Pau, 24 mars 2022, n° 19/02734 N° Lexbase : A88957SA) estime que le licenciement n’est pas entaché de nullité. Le salarié forme un pourvoi en cassation.
Solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel.
En jugeant que l’employeur a licencié le salarié pour des motifs tenant à une réorganisation intervenue pendant son arrêt maladie en raison de sa situation économique, en sorte que le licenciement n’est pas survenu pour un motif discriminatoire, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à établir que cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, alors qu’elle a constaté, pour déclarer le licenciement injustifié, que le motif économique invoqué n’était pas établi dès lors que les données comptables relatives aux exercices 2013, 2014 et 2015 sur lesquelles l’employeur s’appuyait ne permettaient pas d’établir l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement, Les motifs discriminatoires de licenciement, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9235EST. |
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Réf. : Cass. crim. 23 mai 2024, n° 23-85.888, F-B N° Lexbase : A86185C8
Lecture: 21 min
N9968BZ9
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par Tom Bonnifay, Avocat, Vouland Avocats
Le 24 Juillet 2024
Mots-clés : avocat • témoin • nullité • grief présumé • audition
Le commentaire examine les implications juridiques de la présence d’un avocat lors des auditions de témoins dans le cadre d’une enquête pénale. Il souligne les tensions historiques et actuelles autour de cette question, tout en analysant des cas concrets et des décisions jurisprudentielles. Si les faits d’espèce justifient la solution dégagée par la Cour de cassation, le rédacteur de l’article se demande si la solution méritait d’être érigée en principe général.
Historiquement, la procédure pénale oscille entre la quête et la crainte du témoignage. D'un côté, elle le cherche pour confondre le délinquant. De l'autre, elle redoute ses faiblesses et le risque d’erreur. Symbole de cette polarisation, Jérémy Bentham, penseur rigoureux, proposa l'idée d'un « testimoniomètre », une échelle graduée pour mesurer la fiabilité des témoignages et aider les juges à en évaluer la valeur [1].
La question centrale est simple : comment maintenir le recours au témoignage sans risquer d'accuser un innocent à tort ?
La solution a longtemps été quantitative. Le Deutéronome interdit de condamner sur un seul témoignage, une règle reprise par le Nouveau Testament et les compilations de Justinien. Au Moyen Âge et au XVIème siècle, pour éviter l’arbitraire, la preuve n’était complète qu’avec un aveu ou deux témoignages concordants, conformément à l’adage « testis unus, testis nullus » [2].
La réponse réside également dans les conditions de recueil du témoignage. Un témoignage est fiable s’il est recueilli dans des conditions garantissant sa véracité. Cette approche qualitative remonte au moins à l’ordonnance criminelle de 1670, qui exige que le témoin soit entendu secrètement et séparément, à huis clos, avec seulement le juge et le greffier présents. Sa déposition est alors fidèlement reproduite. L’idée n’est pas neuve : la confidentialité et le contact direct avec le juge permettent au témoin de se sentir en sécurité et libre de parler sans crainte de jugement ou de divulgation, favorisant ainsi une confession sincère et complète.
Dans cette optique, le simple témoin n’a rien à cacher, aucun secret à protéger, aucune stratégie à faire valoir, aucun risque de s’auto-incriminer, il n’a donc pas besoin d’avocat.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de le rappeler en annulant l’audition d’un témoin réalisée dans le cadre d’une enquête de police en présence d’un avocat.
Avant d’explorer les enjeux de cette décision, un rappel des faits s’impose.
1. L’affaire
Le 30 avril 2018, une société de casques de moto a porté plainte à Marseille, accusant plusieurs entreprises et leurs dirigeants de contrefaçon de brevets, pratiques commerciales trompeuses et blanchiment. La société plaignante dénonce des actes de contrefaçon concernant ses modèles de casques intégraux.
L'enquête préliminaire, confiée au Service national de la douane judiciaire (SNDJ), a conduit à l’audition de deux témoins : l’ancien dirigeant de la société plaignante ainsi que son représentant auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Ces auditions ont été menées en présence de l'avocat de la société plaignante, qui est devenue partie civile par la suite.
Mise en examen des chefs de contrefaçon en bande organisée, blanchiment et association de malfaiteurs, la société de droit espagnol a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de diverses pièces de l’information, et notamment des deux auditions de témoins réalisées en présence d’un avocat.
Par arrêt du 13 avril 2023, la chambre de l’instruction d’Aix en Provence a rejeté la requête.
2. La décision de la Cour de cassation
La société mise en examen a formé un pourvoi en cassation, mettant en avant trois moyens, dont un seul retiendra notre attention. Ce moyen critique l’assistance de deux témoins par l’avocat de la partie civile lors de leur audition pendant l’enquête préliminaire, autorisée par le procureur de la République. La société soutient que la présence de l’avocat influence les enquêteurs et la personne auditionnée, rendant la procédure irrégulière, surtout lorsque le témoin est assisté par l’avocat du plaignant. Cette situation, influençant le témoin et nuisant aux intérêts de la personne mise en cause, cause un préjudice et crée une inégalité entre la société prévenue et l'instigatrice de la procédure, ce qui viole le principe d’égalité des armes [3].
La Cour de cassation retient la régularité de l’audition de l’ancien dirigeant, fût-elle réalisée en présence de l’avocat de la société, puisque les victimes ont, en vertu de l’article 10-4 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6517MGH, la possibilité d’être accompagnées d’un avocat. Nous ne reviendrons pas sur cet aspect de l’arrêt.
En revanche, au visa des articles 62 N° Lexbase : L3155I3A et 78 N° Lexbase : L4984K84 du Code de procédure pénale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au motif que l'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve (§ 10). Elle ajoute que l’irrégularité a irrévocablement affecté les droits de la personne mise en examen, lui faisant ainsi nécessairement grief (§ 11).
Au-delà du principe, c’est la rigueur de la sanction qui interpelle et qui mérite d’être explorée. Pourquoi cette présence discrète inquiète-t-elle les juges au point de l’ériger en nullité d’ordre privée assimilée à une nullité d’ordre public ?
Nous tenterons ici d’apporter quelques éléments de réponse.
3. L’irrégularité
3.1. L’audition du témoin en présence de son avocat
Le droit européen a renforcé le statut des personnes soupçonnées de crimes ou délits punis d'emprisonnement. Que ce soit lors d'une audition libre (article 61-1 N° Lexbase : L7280LZN) ou en garde à vue (article 63-4-2 N° Lexbase : L2092MMG), elles peuvent être assistées d'un avocat.
En procédure pénale, le témoin se définit en creux comme celui qui n’a pas les droits du suspect [4]. Les articles 62 et 78 du Code de procédure pénale ne consacrent pas le droit à l’avocat pour les simples témoins, parfois appelés « réels » ou « véritables » [5].
Ce droit n’apparaît que lorsque des raisons plausibles de soupçonner une infraction ou un crime émergent au cours de l’audition du témoin. Cela entraîne un basculement immédiat vers le régime de l'audition libre ou de la garde à vue (article 62, alinéas 3 et 4, du Code de procédure pénale pour l’enquête de flagrance ; article 78, alinéa 2 pour l’enquête préliminaire ; Directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 N° Lexbase : L5328IYY, article 2), à peine de violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme [6].
Dans notre affaire, la chambre de l’instruction d’Aix en Provence avait souligné que si aucune disposition de procédure pénale ne prévoit la présence d’un avocat assistant à des auditions de témoins en préliminaire, aucune règle écrite ou jurisprudentielle ne le proscrit non plus, ni ne prévoit la sanction de la nullité d’une telle audition.
Cependant, la Chambre criminelle a déjà jugé que l’assistance d’un témoin par un avocat constitue une irrégularité dans deux cadres procéduraux distincts, qui l’ont conduite à en préciser la portée.
D'abord, elle a censuré la présence d’un avocat assistant le témoin pendant la phase de jugement, notamment lorsque la partie civile était entendue comme témoin après que les dispositions civiles du jugement étaient devenues définitives [7]. Ensuite, dans une décision récente, la Chambre criminelle a jugé que l'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve, causant nécessairement grief [8]. Cette décision concernait une audition menée par le juge d’instruction dans le cadre de l’information judiciaire, lors d’une confrontation entre le témoin assisté, la partie civile, et deux témoins, chacun étant assisté d'un avocat. Un des avocats avait eu communication de la procédure avant la confrontation, ce qui a été contesté par l'avocat de la partie civile.
Nous rappellerons ici le visa et les motifs qui ont présidé à cette décision :
« Vu les articles 11, 101, 102, 113-3 et 114 du Code de procédure pénale :
7. Il se déduit de ces textes que seules les personnes mises en examen, les parties civiles et les témoins assistés peuvent être assistés, lorsqu'ils sont entendus par le juge d'instruction, par un avocat, qui peut accéder au dossier de la procédure, un témoin ne pouvant bénéficier d'une telle assistance.
8. L'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve, qui fait nécessairement grief.
9. L'accès au dossier de la procédure par un avocat qui assiste un témoin constitue une violation du secret de l'instruction. »
Toutefois, le doute subsistait quant à l’extension de cette solution au stade de l’enquête. Il semblait qu'elle était dictée par la nécessité de préserver la sincérité des témoignages recueillis sous serment, ainsi que par la protection des droits exclusifs des parties dans l’information judiciaire, excluant l’accès au dossier pour le simple témoin.
Contrairement aux témoins entendus dans le cadre de l’information judiciaire par le juge d’instruction ou sur commission rogatoire (article 153 N° Lexbase : L0042LB8 du Code de procédure pénale) ou dans un cadre juridictionnel où le serment est général (articles 103 N° Lexbase : L3436AZB, 331 N° Lexbase : L1473MAS, alinéa 3, 446 N° Lexbase : L3203DGQ et 536 N° Lexbase : L8075G79 du Code de procédure pénale), l'audition des témoins en enquête est dépourvue de formalisme et de garde-fou. Aucune prestation de serment n'est requise, c’est-à-dire que le témoin entendu en enquête ne peut être poursuivi pour faux témoignage (article 434-13 du Code pénal N° Lexbase : L1785AM3).
Cette différence de traitement s’explique en théorie par les objectifs distincts de chaque phase. Les auditions en enquête visent à recueillir des renseignements pour orienter les recherches (article 61, alinéa 2, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4985K87), tandis que l’information judiciaire vise à affiner et formaliser les preuves.
Pourtant, avec notre affaire, la Cour de cassation a préféré harmoniser la prohibition de l’assistance d’un témoin par un avocat, en appliquant cette règle à l’ensemble des cadres procéduraux, qu’un serment ait été prêté ou non.
Ce rapprochement des régimes nous invite à une autre réflexion : l’absence de prestation de serment du témoin en enquête est-elle encore justifiée ?
Le Conseil constitutionnel a récemment affirmé que « l’obligation ainsi faite au témoin de prêter serment devant le juge d’instruction vise à assurer la sincérité de ses déclarations » [9]. Cette garantie, de bon sens, devrait à notre avis s’étendre à l’enquête. Bien que le témoignage recueilli en enquête soit théoriquement destiné à orienter les recherches, en pratique, les juridictions de jugement lui accordent une importance égale à celui recueilli au cours d’une information judiciaire. Aucune règle du Code de procédure pénale n’interdit de fonder une déclaration de culpabilité sur les seules déclarations d’un témoin entendu en enquête sans prestation de serment. Il en résulte une dissymétrie des garanties entre les dossiers issus de l’information judiciaire (qui ne concernent que 3 % des affaires pénales) et ceux, majoritaires, qui arrivent devant le tribunal correctionnel par d’autres voies.
Seule une question prioritaire de constitutionnalité nous permettrait de le savoir.
3.2. L’audition du témoin en présence d’un avocat
La partie civile avait habilement soutenu devant la chambre de l’instruction que son avocat avait assisté à l’audition du témoin, sans pour autant l’assister directement. Cette version était corroborée par le fait que des échanges de mails annexés au procès-verbal de convocation, intitulé « contact magistrat M. X », révélaient que l’avocat de la société plaignante avait joué un rôle actif dans l'organisation des auditions des témoins.
Une nuance subtile qui aurait pu échapper à la jurisprudence du 4 octobre précitée.
Certes, aucun texte n’accorde à une personne suspecte, qu’elle soit en audition libre ou en garde à vue, le droit de demander que son avocat assiste à l’audition d’un témoin ou d’une victime. Les articles 61-1 et 63-4-2 du Code de procédure pénale ne prévoient la présence de l’avocat que pour ses propres auditions et confrontations [10].
Cependant, dans le cadre de l’information judiciaire, l’article 82-2, alinéa 1er, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7152A4N permet à une personne mise en examen de demander que son avocat soit présent lors de l’audition d’un témoin, d’une partie civile ou d’une autre personne mise en examen.
Une réflexion par analogie aurait pu s’appliquer.
Il est clair que, dans ce cas, la présence de l’avocat de la partie qui a initié l’acte ne vise pas à assister la personne entendue, mais plutôt à garantir que les droits de la partie demanderesse soient respectés jusque dans la réalisation de l’acte.
La Chambre criminelle a déjà jugé que le principe de l’égalité des armes garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme impose que cette mesure soit réalisée de manière contradictoire. Dans une espèce où le procureur de la République avait assisté à la confrontation qu’il avait lui même demandée, de deux experts dont il estimait les conclusions contradictoires, et y avait participé activement en posant des questions, la Cour de cassation a censuré la chambre de l’instruction qui avait jugé qu’aucune disposition n’imposait au juge d’instruction d’organiser l’acte demandé de manière contradictoire. Elle juge que « le principe de l'égalité des armes tel qu'il résulte de l'exigence d'une procédure équitable et contradictoire, impose que les parties au procès pénal disposent des mêmes droits ; qu'il doit en être ainsi, spécialement, du droit pour l'avocat d'une partie d'assister à l'audition d'un expert effectuée sur réquisitions du procureur de la République, en présence de celui-ci. » [11]
La généralité de cette affirmation avait conduit un auteur à s’interroger ainsi : « il est difficile de savoir [...] s’il faut en déduire, de façon plus générale, que le "principe d'égalité des armes" impose que l'avocat de l'autre partie soit convoquée en cas d'acte quelconque - notamment une audition de témoin - réalisé à la demande de l'autre partie, son avocat étant présent, auquel cas, il faudrait également aviser le procureur de la République qu'il peut assister à un acte qui, demandé par une partie, se déroule en présence du conseil de cette partie. » [12]
Dans notre affaire, l’avocat était-il celui du témoin ou celui de la future partie civile assistant à l’audition du témoin ? La Chambre criminelle écarte ce débat pour se concentrer sur l’essentiel : dans les deux cas, le problème central est l’égalité des armes et le principe du contradictoire. L’avocat de la plaignante, qui deviendra partie civile, a assisté à l’audition d’un témoin alors que les autres parties n’ont pas eu ce droit.
C’est cette inégalité qui justifie la sévérité de la sanction.
4. La sanction
Pour rejeter la nullité, la chambre de l’instruction d’Aix en Provence a souligné que l’avocat de la société était resté silencieux, n’ayant « aucune incidence sur le déroulement des auditions ni sur l’équité de la procédure ». Elle ajoutait que la société mise en examen invoque une violation de ses droits sans démontrer d’atteinte substantielle à ses intérêts, et qu’elle pouvait utiliser l’article 82-2 du Code de procédure pénale pour demander l’audition d’un témoin ou d’une partie civile en présence de son propre avocat.
Le parquet général de la Cour de cassation partageait cet avis. Sur le plan factuel, il notait que le témoin était en lien contractuel avec la société plaignante, pour la représenter dans l’exercice des droits attachés aux brevets qu’elle a déposés, et pour avoir établi un rapport technique joint à la plainte et versé au dossier de la procédure d’information accessible à toutes les parties.
Pourtant, la Chambre criminelle censure l’arrêt au motif que l'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve (§ 10). Elle ajoute que l’irrégularité a irrévocablement affecté les droits de la personne mise en examen, lui faisant ainsi nécessairement grief (§ 11).
Cette sanction interpelle.
Pour qu'une action en nullité soit utilement invoquée, le requérant doit en principe avoir intérêt à demander l’annulation de l’acte, en avoir la qualité, et démontrer qu’un grief résulte de l’irrégularité alléguée [13].
Toutefois, la Chambre criminelle a établi une catégorie particulière de nullités d’intérêt privé qui causent nécessairement un préjudice aux intérêts de la personne concernée. Dans ces hypothèses, l’existence du grief est présumée [14].
À titre d’illustrations, la Chambre criminelle a pu juger, en matière de secret de l’enquête et de l’instruction, que porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne, en violation du secret de l’enquête et de l’instruction, l’exécution d’une perquisition effectuée à son domicile en présence d’un journaliste qui, ayant obtenu de l’autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l’image [15], ou encore un contrôle effectué par des fonctionnaires de la direction départementale de la protection des populations à l’intérieur de locaux à usage de restaurant, en présence d’une équipe de télévision, dûment autorisée à cette fin par l’autorité publique, qui en a capté le déroulement par le son ou l’image, fût-ce dans le but d’informer le public [16].
À l’inverse, dans une hypothèse très proche de la nôtre, un arrêt ancien précise que la présence d'un magistrat du ministère public lors de l’audition d’un témoin par le juge d’instruction ne porte pas atteinte aux droits des parties, tant que ce magistrat n’intervient pas et ne pose pas de questions [17]. Dans le même sens, la chambre a censuré un arrêt de chambre de l’instruction annulant l’interrogatoire d’une personne mise en examen, réalisé en présence de l’avocat des parties civiles, dès lors que ni la personne mise en examen ni son avocat n’ont émis d’opposition ou de réserve à cette présence [18].
Autrement dit, la preuve d’un grief a toujours été exigée.
Pourquoi un tel revirement de jurisprudence ?
5. L’égalité des armes, fondement de la sanction
La Chambre criminelle ne s’est pas fondée sur le secret de l’enquête pour annuler l’audition du témoin, alors qu’une telle solution aurait pu être envisagée compte tenu des solutions dégagées plus haut. Elle s’est appuyée exclusivement sur les conditions d'administration de la preuve.
Ce principe, dégagé par la Cour européenne des droits de l’Homme, consiste à évaluer l’équité de la procédure dans son ensemble, y compris la manière dont les preuves ont été administrées et utilisées, et la manière dont il a été répondu aux éventuelles objections les concernant [19].
Dans ce cadre, les juges s’interrogent successivement : La preuve a-t-elle été acquise illégalement ? Le requérant a-t-il pu contester l’authenticité de celle-ci ou s’opposer à son utilisation dans des conditions garantissant le respect du principe du contradictoire et du principe de l’égalité des armes entre l’accusation et la défense ? Est-ce que les circonstances dans lesquelles elle a été recueillie sont de nature à faire douter de sa fiabilité ou de son exactitude ? La preuve en question a-t-elle exercé une influence décisive sur l’issue de l’action pénale ?
Par exemple, l’impossibilité pour un requérant qui a choisi de ne pas se faire assister par un avocat, de pouvoir plaider oralement sa cause et d’interroger les témoins à l’audience, alors que la partie adverse, représentée par un avocat, a pu le faire, constitue une violation du principe de l’égalité des armes [20].
Dans notre affaire, c’est précisément ce principe d’égalité des armes dans l’administration de la preuve qui n’a pas été respecté.
Le contenu du principe de l’égalité des armes a été dégagé par la Cour européenne dans ses arrêts Neumeister contre Autriche du 27 juin 1968 (n° 1936/63) N° Lexbase : A8604ILA et Delcourt contre Belgique du 17 janvier 1970 (n° 2689/65) N° Lexbase : A9403MKH. Il implique « l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause (...) dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ". Il ne s’agit pas de garantir une stricte égalité mais un juste équilibre entre les parties [21].
Même si l’avocat de la future partie civile n’est pas intervenu au cours de l’audition, il a pu prendre des notes, observer le témoin et, par sa présence, a pu contribuer à l’auto-censure du témoin. Il a donc bénéficié d’un avantage concurrentiel que les autres parties ne parviendront jamais à rattraper, même en demandant l’audition de ce témoin en leur présence.
6. Perspective(s)
Une question persiste : la solution de l'arrêt commenté s'applique-t-elle uniquement lorsque l'avocat du témoin est aussi celui d'une des parties ? Si l'avocat avait été uniquement celui du témoin, la décision aurait-elle été la même ?
Il est fréquent en pratique que le témoin, par crainte de potentielles suites judiciaires, joue sa propre partition. Par exemple, un chef d’entreprise peut être entendu en qualité de témoin dans le cadre d’un homicide involontaire survenu sur un de ses sites ou concernant les conditions d'obtention d’un marché public par un subordonné. Dans ces situations, la frontière entre le statut de témoin et celui de suspect est très poreuse. Faut-il alors demander aux enquêteurs de le placer en garde à vue ou de l’entendre en audition libre pour garantir qu’il bénéficie pleinement de ses droits ?
Une autre question, plus inhabituelle, rencontrée par le rédacteur de ces lignes : qu'en est-il du témoin entendu en présence d’un avocat qui devient ensuite suspect puis mis en examen sur la base de ses déclarations faites au cours de l'audition ? Peut-il soulever la nullité de sa propre audition en arguant qu’il était accompagné d’un avocat ?
Enfin, si une présence passive suffit à obtenir l’annulation d’une audition, le problème semble moins résider dans l’assistance que dans le conseil reçu. Dans ce cas, que se passe-t-il si une partie prouve que le témoin a consulté un avocat avant son audition ?
L’arrêt commenté n’épuise pas le champ du questionnement, la saga de l’avocat du témoin continue.
[1] J. Bentham, The Rationale on Judicial Evidence, 1827.
[2] A. Laingui et A. Lebigre, Histoire du droit pénal, Paris, 1979, t. II, p. 111 sq. ; J.-L. Halpérin, L'instrumentalisation de la preuve testimoniale par la procédure pénale, in Benoît Garnot [dir.], Les Témoins devant la justice..., ouvrage cité, p. 11-22.
[3] CEDH, 27 octobre 1993, Req. n ° 14448/88, Dombo Beheer c/ Pays-Bas N° Lexbase : A6587AWU, §33.
[4] M. Giacopelli et Y. Joseph-Ratineau, Article Témoin, Rép. pén. Dalloz, § 2.
[5] S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, septembre 2023, 16ème édition.
[6] CEDH, 13 septembre 2016, Req. n° 50541/08, 50571/08, 50573/08, Ibrahim et autres c/ RU N° Lexbase : A7910RZY.
[7] Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13-86.526, F-P+B+I N° Lexbase : A4324MRL ; Cass. crim., 29 mars 2017, n° 16-82.484, F-P+B+I N° Lexbase : A6074UMW.
[8] Cass. crim., 4 octobre 2023, n° 23-81.287, F-B N° Lexbase : A03671KS.
[9] Cons. const., décision n° 2023-1072 QPC, du 1er décembre 2023 N° Lexbase : A324517C.
[10] Cass. crim., 19 septembre 2023, n° 23-81.285, F-B N° Lexbase : A28701HR.
[11] Cass. crim., 11 mai 2010, n° 10-80.953, F-P+F N° Lexbase : A2758E3K.
[12] J.-P. Valat, Audition des témoins, JCL. Procédure pénale, Encyclopédies, art. 101 à 113-8, Fasc. 20.
[13] Cass. crim., 7 septembre 2021, n° 20-87.191, FS-B N° Lexbase : A458743B ; P.-J. Delage, Nullité des perquisitions et saisies : de la question de la qualité à agir à celle de l'existence d'un grief, RSC, janvier-mars 2022, n° 1, p. 94.
[14] Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-84.026, FS-P+B+I N° Lexbase : A6481YST ; Cass. crim., 10 mars 2021, n° 20-86.919, F-P+IN° Lexbase : A47394KQ ; Cass. crim., 18 janvier 2022, n° 21-83.728, F-D N° Lexbase : A56167LL ; Cass. crim., 25 octobre 2022, n° 22-81.466, F-D N° Lexbase : A69078QU.
[15] Cass. crim., 10 janvier 2017, n° 16-84.740, FS-P+B+I N° Lexbase : A2774S4I ; Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-84.026, FS-P+B+I N° Lexbase : A6481YST.
[16] Cass. crim., 9 mars 2021, n° 20-83.304, FS-P+B+I N° Lexbase : A47414KS.
[17] Cass. crim., 19 juin 1990, n° 90-81.811 N° Lexbase : A0102CX3.
[18] Cass. crim., 6 novembre 2012, n° 12-83.766, FS-P+B N° Lexbase : A6821IWK.
[19] CEDH, 12 mai 2000, Req. n° 35394/97, Khan c/ Royaume-Uni N° Lexbase : A1272IZ7, § 34 ; CEDH, 11 juillet 2006, Req. n° 54810/00, Jalloh c/ Allemagne N° Lexbase : A4841DQD § 95 ; CEDH, 10 mars 2009, Req. n° 4378/02, Bykov c/ Russie N° Lexbase : A4528EMN § 89 ; CEDH, 18 janvier 2023, Req. n° 15669/20, Yüksel Yalçınkaya c/ Türkiye, § 303 et 310 [en anglais] ; CEDH, 16 novembre 2017, Req. n° 919/15, Ilgar Mammadov c/ Azerbaïdjan (n° 2) N° Lexbase : A2446ZDX, § 237.
[21] CEDH, 27 octobre 1993, Req. n° 14448/88, Dumbo Beheer c/ Pays-Bas N° Lexbase : A6587AWU.
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Réf. : Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-15.851, FS-B N° Lexbase : A85925I3
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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
Le 23 Juillet 2024
Mots-clés : GAEC • article 1832 du Code civil • article 1134 du Code civil • apport de biens communs • revendication de la qualité d’associé
Un arrêt d’appel retient à bon droit que, bien qu'ils ne fassent pas mention de l'article 1832-2 du Code civil, les statuts d’un GAEC établissent que le conjoint d’un associé a renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d'associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision.
Il résulte de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que la renonciation par l'époux à sa qualité d'associé lors de l'apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l'unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.
1. Une décision intéressant potentiellement des millions de sociétés. Un intéressant arrêt, publié au Bulletin, a été rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui revient sur les conditions dans lesquelles s’applique l’article 1832-2 du Code civil N° Lexbase : L2003ABS [1]. Rappelons que ce texte, dont la suppression est demandée par une partie des praticiens – notaires notamment – et de la doctrine protège le conjoint en cas d’acquisition ou de souscription de parts sociales (les sociétés concernées sont plusieurs millions : SCI, SARL, SNC, etc.) effectuée au moyen de biens communs, en lui permettant de revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts.
2. L’espèce ayant donné lieu à l’arrêt. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt, la société en cause était un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) constitué entre un père et son fils. Rappelons que le GAEC est une société civile de type particulier, aux termes de l’article L. 323-1 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3826AEG. L’information requise par l’article 1832-2 avait été fournie à l’épouse de l’un des deux associés (on supposera qu’il s’agissait de l’épouse du père associé et de la mère du fils lui aussi associé), dès lors que cet associé était en communauté de biens avec son conjoint. Les statuts indiquaient que l’épouse reconnaissait ne pas avoir la qualité d’associé. L’arrêt n’indique pas la date de constitution du GAEC, mais postérieurement à celle-ci, dans le cadre d’une assemblée tenue le 11 octobre 2012, l’épouse se trouvait agréée, à sa demande, en qualité d'associée à concurrence de la moitié des parts dépendant de la communauté de biens existant entre elle et son époux. Une assemblée générale tenue le 29 avril 2014 prenait la décision de proroger l’existence du GAEC, et une troisième assemblée en date du 4 mars 2016 approuvait les comptes sociaux pour l’exercice clos au 30 juin 2015.
3. L’enjeu du litige. Bien qu’ayant consenti en tant qu’associé à l’intégration de son épouse, l’associé marié – le père supposera-t-on, donc – assignait par la suite le GAEC en annulation des différentes assemblées tenues. La cour d’appel [2] saisie du litige accueillait ses demandes, jugeant que l’épouse n’avait pas valablement acquis la qualité d'associé du groupement. Les différentes assemblées étaient donc annulées, la dissolution du GAEC était constatée et sa liquidation était ordonnée. Le GAEC formait alors un pourvoi en cassation. L’arrêt commenté, qui censure la décision attaquée, enrichit le dispositif relatif au conjoint associé sur trois points, en réalité.
I. Le formalisme de la renonciation de la qualité d’associé
A. L’incertitude liée au dispositif de l’article 1832-2 du Code civil
4. Permettre au conjoint de devenir aussi associé quand des biens communs sont utilisés. Il convient de rappeler l’objectif qui sous-tend le dispositif de revendication de la qualité d’associé institué à l’article 1832-2 du Code civil dans le cadre des « sociétés dont les parts ne sont pas négociables », texte dont l’abrogation est, comme on l’a dit, demandée par certains [3] et qui, selon un auteur, ferait « partie des dispositions les plus contestées de notre droit des sociétés » [4]. Notons que d’autres auteurs proposent de manière plus nuancée de limiter dans le temps (à un délai de deux années suivant la notification faite au conjoint) la possibilité de revendiquer la qualité d’associé [5]. L’idée est de permettre, lorsque le conjoint A utilise des biens communs pour souscrire ou acquérir des parts sociales, que le conjoint B puisse obtenir la même contrepartie, c’est-à-dire qu’il obtienne autant de parts sociales que le conjoint A. La procédure mise en place à cet effet par le législateur commence par l’avertissement fait par le conjoint A au conjoint B, à peine de nullité. Le conjoint B, une fois averti, peut prendre la décision de « notifi[er] à la société son intention d'être personnellement associé » « pour la moitié des parts souscrites ou acquises ».
5. Une forte incertitude pour la société et les autres associés. Simplement, cette porte d’entrée dans la société, ouverte au conjoint de l’associé, est source d’incertitude tant pour la société concernée que pour les autres associés : le cercle des associés comprend-il A pour 100 parts sociales, ce qui correspond à la contrepartie de son apport, ou bien verra-t-on A n’entrer en société que pour 50 parts sociales, mais accompagné de son conjoint B, associé également à hauteur de 50 parts ? La protection du conjoint est à ce prix, étant rappelé que même si le conjoint B ne se voit pas reconnaître la qualité d’associé, les parts sociales souscrites ou acquises au moyen de biens communs rentrent en communauté [6]. Il est certes possible que l’entrée de l’époux soit bloquée par le jeu d’une clause d’agrément, ainsi que l’envisage l’article 1832-2, alinéa 3, du Code civil. Il demeure que le dispositif protecteur du conjoint de l’associé fait peser une forte incertitude sur la société et les autres associés lorsque la faculté de revendiquer la qualité d’associé est « mise en réserve », pour reprendre la formule d’un auteur [7], d’autant que la revendication de la qualité d’associé est possible, selon la formule du texte, « seulement jusqu'à la dissolution de la communauté » et que la Cour de cassation admet que la demande soit faite par le conjoint y compris alors qu’une procédure de divorce est en cours, tant qu’aucun jugement passé en force de chose jugée n’est intervenu [8].
B. La possibilité d’une renonciation... et le formalisme requis
6. La possibilité d’une renonciation à revendiquer la qualité d’associé. L’article 1832-2 du Code civil n’envisage pas la possibilité que le conjoint qui reçoit l’information prescrite par le texte puisse renoncer à devenir associé, puisque le texte demande seulement qu’une information lui soit transmise sur l’utilisation sociétaire donnée à un bien commun, avec la possibilité pour le conjoint de revendiquer la qualité d’associé. Pour autant, c’est dès 1993 que la Cour de cassation avait admis la possibilité d’une renonciation à revendiquer la qualité d’associé de la part du conjoint [9]. Cela était assurément bienvenu, puisque la société et ses associés pouvaient ainsi sortir de l’incertitude évoquée plus haut. Mais cela avait fait craindre que la clause de renonciation devienne une clause de style.
7. Pas nécessaire de viser l’article 1832-2 du Code civil. Cette renonciation à revendiquer la qualité d’associé doit-elle prendre une forme particulière ? On est tenté de dire qu’elle doit essentiellement être claire et non équivoque, mais l’arrêt vient ajouter une intéressante précision, en relevant que l’arrêt d’appel avait retenu à bon droit que les statuts du GAEC établissaient que le conjoint de l’associé avait renoncé clairement et sans réserves à revendiquer la qualité d’associé, « bien [que ces statuts] ne fassent pas mention de l'article 1832-2 du Code civil ». Il n’est donc pas requis de viser formellement le texte pour que la renonciation prenne effet, bien que l’on soit tenté de le faire [10]. C’est là le premier enseignement de l’arrêt. Ajoutons tout de même que le conjoint devrait attester, en signant les statuts si c’est de ce document que l’on déduit la renonciation, qu’il a choisi de ne pas devenir associé.
II. Le caractère définitif de la renonciation à la qualité d’associé
8. Renonciation sans réserves. Par son arrêt de 1993 [11], la Cour de cassation rejetait le pourvoi qui soutenait que si l’épouse avait renoncé à revendiquer la qualité d’associé lorsque son mari avait fait un apport, elle conservait la possibilité de revendiquer ultérieurement cette qualité d’associé. La Cour de cassation approuvait la cour d’appel [12] d’avoir « considéré, à bon droit, que Mme X […] avait renoncé clairement et sans réserves à revendiquer la qualité d'associée, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ». En 2022, la Cour de cassation avait admis par ailleurs la possibilité d’une renonciation tacite, lorsque les circonstances établissent sans équivoque la volonté de renoncer [13].
9. Renoncer… à la renonciation ? Cette fois-ci, la question qui se posait était celle de savoir s’il était possible au conjoint de l’associé, une fois la renonciation faite (le GAEC, demandeur au pourvoi, plaidait que la renonciation n’avait même pas eu lieu, en réalité), de revenir sur celle-ci. Cela permettait de contrer les juges d’appel en ce qu’ils avaient retenu que l’épouse de l’associé n’avait pas valablement acquis la qualité d’associé, ce dont ils avaient déduit la nullité des assemblées tenues avec sa participation, vraisemblablement en application de la jurisprudence désormais bien établie selon laquelle la participation d’un non-associé à une assemblée est une cause de nullité de celle-ci [14], toutes les chambres de la Cour de cassation ne s’accordant cependant pas, à ce jour, sur les conditions à vérifier pour que la nullité soit envisageable, puisque seule la Chambre commerciale exige que la participation du non-associé soit de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
10. La renonciation intervenue en l’espèce. Il était assez audacieux de plaider que la renonciation à la qualité d’associé n’était pas intervenue, ainsi que le faisait le GAEC demandeur au pourvoi, dès lors que les statuts de ce groupement indiquaient que l’épouse de l’associé déclarait « avoir été avertie de l'intention de son époux de faire apport de biens de communauté ci-dessus désignés, consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d'associé du GAEC », et qu’ils indiquaient à un autre passage que l’épouse « ne requiert pas la qualité d'associé ».
11. Une solution de stabilité. Il aurait été étonnant que la Cour de cassation admette que le conjoint de l’associé puisse revenir unilatéralement sur sa renonciation. Admettre cela aurait conduit à laisser une porte ouverte, ou plutôt à rouvrir une porte que l’on pensait condamnée, et à permettre à tout moment que l’associé ayant utilisé des biens communs pour entrer en société voie finalement son conjoint faire à son tour son entrée dans le cercle des associés. On comprend bien l’instabilité qui en serait résultée pour la société et les autres associés. La Chambre commerciale de la Cour de cassation condamne donc cette possibilité, en jugeant que « c'est à bon droit que l'arrêt retient que […] les articles 5 et 33 des statuts du GAEC [Y] père et fils établissent que Mme [V] a renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d'associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision ».
12. La référence à une renonciation « claire et sans réserves ». Pour autant, la référence faite par la décision commentée au fait que la renonciation avait été faite « clairement et sans réserves » laisse penser qu’il devrait être possible, dans l’esprit des juges, de renoncer de manière moins définitive, si l’on peut dire, en aménageant donc une possibilité de revenir sur la décision prise. Ce retour du conjoint pourrait éventuellement être subordonné à la réalisation d’une ou de plusieurs conditions. En quelques mots, ce sont des perspectives importantes qui sont ainsi ouvertes au conjoint de l’associé et à ses conseils.
III. Faire renaître l’option ?
13. Possibilité de faire renaître l’option ? Le dernier point abordé par l’arrêt portait sur la possibilité de revenir sur la renonciation précédemment exprimée par le conjoint à revendiquer la qualité d’associé, mais cette fois avec l’accord des associés. La cour d’appel [15] avait donc jugé qu'à la lecture des statuts du GAEC, il ressortait que le conjoint avait renoncé clairement et sans réserves à revendiquer la qualité d'associé « sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision », ce qui selon la décision attaquée empêchait tout retour en arrière, tant par voie de décision unilatérale que par accord contractuel. C’est sur ce tout dernier point que la Cour de cassation et la cour d’appel divergent, puisque la première juge à cet égard que « la renonciation par l'époux à sa qualité d'associé lors de l'apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l'unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité ». En somme, si tout le monde est d’accord, on peut donc « refonder » la société au regard du conjoint de l’associé et lui donner une seconde chance d’intégrer le cercle sociétaire. C’est ce que soutenait le GAEC, demandeur au pourvoi, en plaidant que « la renonciation à une option ne fait pas obstacle à son rétablissement lorsque tous les intéressés y consentent ».
14. La procédure à suivre. Si tant le conjoint que les associés sont d’accord, l’arrêt commenté leur indique la marche à suivre et celle-ci comporte deux étapes. Première étape : il faut que le conjoint qui a renoncé de manière définitive fasse par la suite une demande « de réintégration », si l’on peut dire, au sein du cercle des associés. Il n’est pas dit à qui cette demande est adressée, et l’on serait tenté de supposer qu’elle doit l’être à la société – rappelons que lorsque le conjoint reçoit l’information relative à l’emploi de ses biens communs, l’article 1832-2 dispose en son 3ème alinéa que la qualité d’associé est reconnue « au conjoint qui a notifié à la société son intention d'être personnellement associé ». Mais le caractère sans doute contractuel de cette modalité de revendication, sur lequel on va revenir, nous semble indiquer les associés comme destinataires. Seconde étape : « l’unanimité des associés », pour reprendre la formule de l’arrêt, peut reconnaître au conjoint qui a fait la demande la qualité d’associé.
15. Sans doute un fondement contractuel. Formellement, il est donc plus question de créer contractuellement une voie d’accès au sein de la société, ce que suggère le visa de l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L1234ABC, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, que d’admettre que l’on peut, dans le cadre de l’application de l’article 1832-2, faire renaître le droit à revendication de la qualité d’associé. Il faudrait comprendre que l’époux ne revendique plus la qualité d’associé en application de la disposition précitée, mais qu’une voie contractuelle d’accès à la moitié des parts de son conjoint lui est ouverte, avec l’assentiment de tous. Maintenant, dans la mesure où l’article 1832-2 du Code civil n’évoque à aucun moment la possibilité que le conjoint renonce à revendiquer la qualité d’associé, on ne voit pas comment il aurait été possible de fonder ce retour du conjoint sur le texte du droit des sociétés, ce qui enlève un peu d’autorité à l’analyse contractuelle.
16. Nécessité de l’unanimité des associés ? C’est une question que l’on se pose inévitablement à la lecture de la décision : l’intervention de l’unanimité des associés est-elle indispensable, ou serait-il possible qu’une décision simplement majoritaire, modifiant les statuts, produise ce même effet ? Deux approches sont ici possibles. (i) Soit l’on considère que la volonté des associés est prise en compte au regard de la nécessité de modifier les statuts qui actaient la volonté du conjoint de ne pas devenir associé, et en ce cas, seule serait requise l’intervention de la majorité compétente pour procéder à la modification des statuts. (ii) Soit l’on considère que l’admission du conjoint a une base purement contractuelle, et correspond finalement à une forme de cession d’une partie des parts de son époux, qui se ferait au vu de la qualité d’époux certes, mais qui supposerait du coup l’accord de tous. C’est donc ce second fondement qu’accrédite le visa de l’arrêt.
[1] Dalloz Actualité, 2 juillet 2024, note Q. Monget.
[2] CA Amiens, 4 mars 2022, n° 19/00756.
[3] V. ainsi A. Rabreau, Plaidoyer pour la suppression de l’article 1832-2 du Code civil, in Mél. M. Germain, LexisNexis-LGDJ, 2015, p. 697.
[4] R. Mortier, note sous Cass. com., 18 novembre 2020, n° 18-21.797, FS-P+B+R N° Lexbase : A512037R, Dr. sociétés, 2021, comm. n° 3.
[5] N. Jullian, N. Kilgus, R. Mortier et C. Farge, Parts sociales non négociables : les dangers de l’article 1832-2 du Code civil, JCP N, 2022, 1244.
[6] Cass. civ. 1, 4 juillet 2012, n° 11-13.384, FS-P+B+I N° Lexbase : A4893IQB, Rev. sociétés, 2012, p. 717, note I. Dauriac ; Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 608, note E. Naudin ; B. Dondero, À qui la garde d’une SARL en cas de divorce ?, RLDC, novembre 2012, n° 98, p. 43.
[7] F. Caporale, Société et communauté entre époux, in Mél. P. Le Cannu, p. 667, sp. p. 669.
[8] Cass. com., 18 novembre 1997, n° 95-16.371, publié au Bulletin N° Lexbase : A1917ACY, Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 221, note J. Derruppé ; LPA, 1998, n° 78, note D. Ponsot ; Dr. sociétés, 1998, comm. n° 22, note Th. Bonneau ; JCP N, 1998, p. 789, note S. Rouxel ; JCP E, 1998, 517, note D. Vidal ; D., 1998, somm., p. 394, obs. J.-Cl. Hallouin ; D., 1999, somm., p. 238, obs. V. Brémond ; RTD civ., 1998, p. 889, obs. J. Hauser – Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-18.103, F-P+B N° Lexbase : A5136KDL, D., 2013, p. 2739, obs. A. Rabreau ; RTD civ., 2013, p. 585, obs. J. Hauser ; Bull. Joly Sociétés, 2013, p. 453, note E. Naudin ; D., 2014, p. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD com., 2013, p. 527, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.
[9] Cass. com., 12 janvier 1993, n° 90-21.126, publié au Bulletin N° Lexbase : A6345ABM, Bull. Joly Sociétés, 1993, p. 364, note J. Derruppé ; Defrénois, 1993, p. 508, obs. P. Le Cannu ; Dr. sociétés, 1993, comm. n° 45, note Th. Bonneau ; Rev. sociétés, 1994, p. 55, note J. Honorat, rejetant le pourvoi formé contre un arrêt (CA Paris, 16 octobre 1990, Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 201, note B. Maubru ; RTD com., 1991, p. 392, obs. C. Champaud) et précisant en outre que la rétractation de la renonciation était impossible.
[10] V. ainsi la clause proposée par N. Jullian, N. Kilgus, R. Mortier et C. Farge, op. cit.
[11] Cass. com., 12 janvier 1993, n° 90-21.126, publié au Bulletin, préc.
[12] CA Paris, 16 octobre 1990.
[13] Cass. com., 21 septembre 2022, n° 19-26.203, FS-B N° Lexbase : A25348K3, N. Jullian, Lexbase Affaires, octobre 2022, n° 732 N° Lexbase : N2960BZN ; Dalloz Actualité, 11 octobre 2022, note J. Delvallée ; D., 2022, p. 1838, note B. Dondero ; Rev. sociétés, 2023, p. 35, note A. Reygrobellet ; RTD civ., 2023, p. 147, obs. I. Dauriac, jugeant que « la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer ».
[14] V. Cass. civ. 3, 8 juillet 2015, n° 13-27.248, FS-P+B N° Lexbase : A7794NMM, Bull. Joly Sociétés, 2015, p. 585, note J.-P. Garçon ; Rev. sociétés, 2016, p. 175, note L. Godon ; RTD com., 2015, p. 533, obs. A. Constantin et ibid. 2016, p. 145, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. sociétés, 2015, comm. n° 189, note R. Mortier ; Gaz. Pal., 29 septembre 2015, p. 13, obs. B. Dondero – Cass. com., 11 octobre 2023, n° 21-24.646, FS-B N° Lexbase : A85241KW, B. Saintourens, Lexbase Affaires, octobre 2023, n° 772 N° Lexbase : N7116BZL ; RTD com., 2023, p. 892, obs. A. Lecourt ; Dalloz Actualité, 10 novembre 2023, note J. Delvallée ; Bull. Joly Sociétés, janvier 2024, p. 20, note E. Guégan ; LPA, 29 février 2024, p. 53, note S. Farges ; D., 2023, p. 2024, note B. Dondero – Cass. civ. 1, 24 avril 2024, n° 22-24.667, FS-B N° Lexbase : A7822289, B. Dondero, Lexbase Avocats, juin 2024, n° 348 N° Lexbase : N9341BZY.
[15] CA Amiens, 4 mars 2022, n° 19/00756, préc.
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