Le Quotidien du 25 juillet 2024

Le Quotidien

Éditorial

[A la une] L’Avocat, les brutes et les truands

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N0046B34

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par Romain Boulet et Karine Bourdié, Co-Présidents de l’ADAP

Le 26 Juillet 2024

Notre génération a en tête les images impressionnantes de notre confrère Henri Leclerc, ensanglanté et les vêtements arrachés par la foule lors d’une reconstitution en 1989 dans l’affaire « Gentil ». Depuis, nombre de nos confrères ont eu à subir des menaces plus ou moins directes, plus ou moins agressives, dans le cadre de leur mission de défense. Des cercueils ou des balles reçues au cabinet, des courriers anonymes, des appels malveillants, des menaces de viol ou de violences sur les réseaux sociaux, etc. Accepter d’endosser une défense, c’est aussi accepter qu’une partie de l’opinion publique vous assimile à votre client. Qu’il s’agisse de défendre des meurtriers, des terroristes, des policiers, des pédophiles, des imams, on sait bien que loin de nous protéger, notre robe peut devenir le symbole de l’inacceptable pour la Société. 

Une sinistre étape vient d’être franchie selon nous par la publication d’une liste d’avocats à éliminer par un site d’extrême droite. Le 3 juillet dernier, dans l’entre-deux-tours des législatives, le site Réseau libre mettait en ligne une « liste (très partielle) d’avocats à éliminer » comprenant les noms de confrères signataires d’une tribune contre le Rassemblement national. Illustré par une photo d’exécution à la guillotine, l’article incitait ses lecteurs à les « envoyer dans un fossé ou dans un stade ». Les organisations professionnelles et le garde des Sceaux s’en étaient légitimement émus, mais le site récidivait quelques jours plus tard, plus violemment encore, n’hésitant pas à transmettre l’adresse personnelle d’un confrère.

La première évolution est qu’il ne s’agit plus d’une menace directe, c’est-à-dire d’un individu exposant qu’il va s’en prendre physiquement à vous, déjà intolérable en soi, mais d’un appel public au meurtre. Sans donner plus d’importance à un site hébergé en Russie, à l’audience sans doute confidentielle, nous ne pouvons que nous inquiéter de la façon dont certains lecteurs pourraient recevoir et interpréter cette injonction.

En second lieu, et c’est là qu’un cran est encore franchi, ces menaces sont totalement décorrélées de la pratique professionnelle des confrères visés. La plupart d’entre eux exercent loin des médias, s’occupent d’affaires anonymes dont certaines n’ont rien à voir avec le pénal et n’ont jamais fait le choix de s’exposer. 

Désormais, ce n’est donc plus parce que nous acceptons une défense – ce que nous pouvons toujours refuser – que nous sommes menacés, c’est purement et simplement parce que nous sommes avocats. C’est le principe même de la défense qui devient insupportable au point d’appeler au meurtre de ceux qui l’exercent.

On pourrait incriminer l’affaissement de la culture civique, les réseaux sociaux, la sensibilité accrue des individus au malheur d’autrui… mais ne nous y trompons pas. Pour que des réflexes populistes s’initient, il faut que des relais puissants en émettent les stimuli. Depuis des mois, l’Association des avocats pénalistes alerte sur les dangers de messages de moins en moins insidieux, émis non pas par des clients éméchés au comptoir du café du commerce, mais par des élites qui relaient complaisamment des propos et comportements ahurissants : ministres qui bafouent des décisions de justice, magistrats qui dénoncent une défense « pas constructive », candidats aux législatives qui veulent « mettre le Conseil constitutionnel au pas »… Comment s’étonner par la suite que cette petite musique crissante infuse dans le corps social ?!

Que l’on ne nous fasse pas dire ce que nous ne disons pas : il ne s’agit pas pour nous d’ériger un totem d’immunité et, dans un réflexe corporatiste, de nous idéaliser. Paraphrasant Musset, nous savons bien que les avocats sont (aussi et sans doute) comme tous les hommes, menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels. Mais la fonction de Défense doit être absolument protégée. Dire cela n’est pas exiger un blanc-seing pour les avocats mais rappeler à tous, et singulièrement à ceux chargés d’éduquer, informer et éclairer, qu’une Justice de qualité ne peut se rendre sans une défense respectée. Il ne s’agit pas d’avoir raison, mais d’être écoutés si ce n’est entendus.

Personne ne fera taire les avocats.

Si notre parole nous semble parfois vaine, si nos plaidoiries nous semblent parfois servir d’alibi à des décisions qui s’apparentent de plus en plus à une gestion administrative de la répression ou à un soutien factice aux victimes, nous n’en continuons pas moins de marteler, audience après interrogatoire, l’exigence d’une place réelle et consistante conservée à la défense, car ce qui est tu n’existe plus. 

Chacun de nous se rassure en se rappelant avec une paradoxale gourmandise que les auteurs de ces menaces auront à leurs côtés des avocats qui les défendront avec sérieux et ardeur lorsqu’ils comparaîtront devant une juridiction correctionnelle. On aimerait parfois que politiques, magistrats et éditorialistes partagent la même gourmandise, qu’on appellerait simplement État de droit.

newsid:490046

Assurances

[Brèves] Une fédération sportive ne peut imposer à ses licenciés la souscription d’une assurance de dommages corporels

Réf. : CE, 2e-7e ch. réunies, 27 juin 2024, n° 489391 N° Lexbase : A68915LS

Lecture: 5 min

N0119B3S

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par Stéphane Brena, Maître de conférences HDR en droit privé – Directeur de l’École de droit de la Sorbonne au Caire-IDAI – Codirecteur du master droit des assurances de la faculté de droit de l’Université de Montpellier

Le 24 Juillet 2024

► Les fédérations sportives, délégataires de service public, ne peuvent imposer à leurs licenciés (hors sportifs de haut-niveau) la souscription d’un contrat d’assurance de dommages corporels, la loi n’envisageant cette souscription que comme facultative ; la Fédération française de rugby est ainsi enjointe de supprimer de son règlement général une telle obligation.

C’est de sources du droit dont il est question dans cette décision et, plus précisément, des sources de l’obligation d’assurance, variété de « contrat forcé ».

La Fédération française de rugby – association agréée délégataire de service public (C. sport, art. L. 131-8 N° Lexbase : L7946MBW) – avait en l’occurrence refusé la délivrance d’une licence à un demandeur ayant lui-même refusé de souscrire une assurance de dommages corporels (assurance de personnes) pouvant survenir à l’occasion d’une compétition organisée ou autorisée par la Fédération, comme l’imposait l’article 222-2 des règlements généraux de la Fédération.

Ayant formé une demande d’abrogation de ces dispositions, demande restée sans réponse, l’usager attaquait le rejet implicite issu de ce silence gardé. Selon lui, la Fédération ne pouvait imposer à ses licenciés, hors sportifs de haut-niveau, la souscription d’un tel contrat, compte tenu des dispositions législatives encadrant les prérogatives des fédérations sportives.

Porté devant le Conseil d’État, le problème consistait à savoir si, singulièrement la Fédération française de rugby, généralement une fédération sportive (C. sport, art. L. 131-1 et s. N° Lexbase : L6322HNH), est en droit d’exiger de ses licenciés la souscription d’une assurance de personne couvrant les dommages corporels qu’ils pourraient subir à l’occasion de leur participation à une compétition organisée ou autorisée par cette fédération.

Le Conseil d’État répond par la négative, en annulant la décision implicite de rejet de la demande d’abrogation de la disposition litigieuse du règlement général et en enjoignant à la Fédération française de rugby, dans les deux mois de la décision, d’abroger l’article portant obligation d’assurance de dommages corporels.

La décision, particulièrement pédagogique, est justifiée par les dispositions législatives applicables aux fédérations sportives et plus particulièrement celles résultants des articles L. 321-1 et suivants du Code du sport N° Lexbase : L6474HN4, relatives à l’obligation d’assurance des associations, sociétés et fédérations sportives.

Ces règles, de source, législative, imposent aux fédérations (ainsi qu’aux associations et sociétés sportives d’ailleurs) de souscrire une assurance couvrant leur responsabilité civile ainsi que, pour compte, celle de leurs membres (C. sport, art. L. 321-1 N° Lexbase : L6474HN4). Ces mêmes fédérations doivent souscrire une assurance de dommages corporels mais uniquement pour le compte de ses membres inscrits sur la liste des sportifs de haut-niveau (liste établie par arrêté ministériel sur proposition des fédérations, C. sport, art. L. 221-1 N° Lexbase : L7957MBC ; obligation qui cesse dès lors que le sportif de haut-niveau bénéficie d’une couverture assurantielle au moins équivalente à celle proposée par le contrat souscrit par la fédération, C. sport, art. L. 321-4-1 N° Lexbase : L1367LDY). Pour les autres licenciés, l’article L. 321-4 du Code du sport N° Lexbase : L7979MB7 se borne à faire peser sur les fédérations (et les associations sportives), une obligation d’information portant sur les intérêts de la souscription d’une assurance de dommages corporels pouvant survenir dans le cadre de la pratique sportive. Surtout, l’article L. 321-6 du Code du sport N° Lexbase : L6479HNB indique que lorsque la fédération à laquelle est affiliée l’association sportive dont le licencié est membre, propose l’adhésion à un contrat collectif (contrat d’assurance de groupe) couvrant les dommages corporels, elle est tenue « de formuler cette proposition dans un document […] qui mentionne le prix de l’adhésion, précise qu’elle n’est pas obligatoire et indique que l’adhérent au contrat collectif peut en outre souscrire des garanties individuelles complémentaires ».

Les dispositions législatives applicables aux fédérations sportives envisagent ainsi la couverture assurantielle des dommages corporels subis par les licenciés à l’occasion de leur pratique sportive comme facultative.

Or, les fédérations sportives ne peuvent exercer les prérogatives règlementaires qu’elles tirent de leur qualité de délégataire de service public que dans le respect des normes qui s’imposent à elles, et que le Conseil d’État rappelle : les normes de source légale et les normes de source règlementaire.

Contrevenant à des normes légales, cette obligation d’assurance imposée par la Fédération française de rugby était par conséquent illégale. La décision de rejet (implicite) de la demande d’abrogation est ainsi légitimement annulée, la fédération étant enjointe de supprimer, pour l’avenir (abrogation), de son règlement général, cette obligation (exercice par le Conseil d’État, du pouvoir d’injonction que lui confère l’article L. 911-1 du Code de la justice administrative N° Lexbase : L7384LP8 ; l’abrogation demandée aura vocation à profiter à tous les licenciés).

Justifiée en droit, la décision a vocation à s’appliquer à l’ensemble des fédérations sportives.

newsid:490119

Bancaire

[Brèves] Crédit affecté : importantes précisions sur le préjudice de l’emprunteur

Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 22-24.754, FS-B N° Lexbase : A22105PK

Lecture: 10 min

N0075B38

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par Jérôme Lasserre Capdeville

Le 24 Juillet 2024

► Lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l’annulation du contrat de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, l’emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d’une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n’a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.

Le « crédit affecté », dit aussi « crédit lié », est une forme particulière de crédit à la consommation. Ainsi, pour l’article L. 311-1, 11°, du Code de la consommation N° Lexbase : L9825LCU, il s’agit du crédit « servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ». Ces deux contrats constituent alors une « opération commerciale unique ».

Depuis une dizaine années, le contentieux intéressant les crédits affectés ayant servi à financer l’acquisition et l’installation de panneaux photovoltaïques ou de pompes à chaleur s’est considérablement développé dans notre pays. Les décisions rendues en la matière se sont ainsi multipliées.

Il apparaissait néanmoins que, depuis 2019/2020, la première chambre civile de la Cour de cassation avait cherché à limiter la portée des solutions dégagées jusqu’alors par quelques décisions remarquées en se fondant plus particulièrement sur le droit de la responsabilité civile.

Trois décisions rendues le 10 juillet 2024 par la même première chambre civile démontrent, toutefois, que les actions menées par les emprunteurs, en la matière, ne sont pas nécessairement vouées à l’échec (Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 23-12.122, FS-B N° Lexbase : A22265P7, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires juillet 2024, n° 803 N° Lexbase : N0039B3T ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 23-11.151, F-B, N° Lexbase : A22315PC, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, juillet 2024, n° 803 N° Lexbase : N0040B3U ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 22-24.754, F-B N° Lexbase : A22315PC). La troisième de ces décisions, certainement la plus importante, retiendra notre attention ici.

Faits et procédure. Le 25 juin 2014, par contrat conclu hors établissement, Mme B. avait commandé auprès de Ia société Habitat et Solutions Durables la fourniture et la pose de panneaux solaires ainsi que d’un ballon thermodynamique dont le prix avait été financé par un crédit souscrit le 16 juillet suivant auprès de la banque X.

Invoquant l’irrégularité du bon de commande, l’emprunteuse avait assigné le vendeur et la banque en annulation du contrat de vente et du contrat de crédit affecté et en restitution par la banque des sommes versées en remboursement du contrat de crédit. Par jugement du 17 décembre 2015, le vendeur avait été placé en liquidation judiciaire.

Décision. Or, si la Cour de cassation rejette le pourvoi (CA Lyon, 20 octobre 2022, n° 21/02721 N° Lexbase : A97908QN), sa décision, particulièrement motivée, est riche en enseignements.

Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle que, selon les articles L. 311-32 et L. 311-33, devenus L. 312-55 N° Lexbase : L1307K7K et L. 312-56 N° Lexbase : L1306K7I du Code de la consommation, en cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Si la résolution judiciaire ou l'annulation du contrat principal survient du fait du vendeur, celui-ci peut, à la demande du prêteur, être condamné à garantir l'emprunteur du remboursement du prêt, sans préjudice de dommages et intérêts vis-à-vis du prêteur et de l'emprunteur.

Elle considère, ensuite, qu’il en résulte que l’annulation ou la résolution du contrat de crédit, consécutive à celle du contrat principal, emporte, en principe, restitution par l’emprunteur au prêteur du capital, que celui-ci a versé au vendeur à la demande de l'emprunteur. Plusieurs décisions, s’étant déjà prononcée en ce sens, sont citées (Cass. civ. 1, 2 mai 1989, n° 87-18.059, publié au bulletin N° Lexbase : A3141AHS ; Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-20.999, F-P+B N° Lexbase : A8438DDU).

Cependant, il est également rappelé que la Cour de cassation juge de manière constante que le banquier commet une faute en consentant le crédit affecté sans avoir vérifié la régularité du contrat principal au regard des dispositions protectrices du consentement du consommateur. Ici encore, des décisions sont mentionnées (Cass. civ. 1, 10 décembre 2014, n° 13-26.585, F-D N° Lexbase : A6131M79 ; Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-14.951, inédit au bulletin N° Lexbase : A2014X84).

Surtout, il est souligné que, concernant les conséquences qu’il convenait de tirer d'une telle faute, la jurisprudence a évolué.

La Cour de cassation a ainsi d’abord jugé que cette faute emportait, pour la banque, privation du droit d’obtenir la restitution du capital, ce qui constituait un mécanisme de réparation conduisant à ce que l’emprunteur se trouve déchargé de sa dette (en ce sens, Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-16.352, F-D N° Lexbase : A5799XUC ; Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 16-29.118, F-D N° Lexbase : A7543XDQ).

Cependant, depuis un arrêt du 25 novembre 2020, elle juge qu’en vertu du droit commun de la responsabilité civile, le prêteur ne peut être privé de sa créance de restitution, en tout ou en partie, que si l'emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien causal avec cette faute (Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-14.908, FS-P+I N° Lexbase : A551537E). La Cour de cassation a ainsi approuvé les arrêts de cours d’appel qui avaient retenu une absence de préjudice dès lors que l'installation avait été raccordée au réseau d'électricité, qu’elle avait fonctionné après sa mise en service et qu'un contrat avait été conclu pour vendre l’électricité produite et, le cas échéant, pour bénéficier d’un crédit d’impôt, et ce, indépendamment de l’insolvabilité du vendeur (en ce sens, Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, op. cit. ; Cass. civ. 1, 19 mai 2021, n° 19-20.992, F-D N° Lexbase : A79834SH ; Cass. civ. 1, 22 septembre 2021, n° 19-24.817, F-B N° Lexbase : A134347U ; Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 20-12.411, F-D N° Lexbase : A00217AZ ; Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-11.970, F-D N° Lexbase : A80167HD ; Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-22.457, F-D N° Lexbase : A39457UN ; Cass. civ. 1, 17 mai 2023, n° 22-16.429, F-D N° Lexbase : A42819WH).

Il est noté que la doctrine (on ne sait cependant pas quels auteurs sont ainsi visés) s’est montrée favorable à cette évolution en relevant qu’une faute ne pouvait être sanctionnée qu’en cas de preuve d'un préjudice en résultant et qu'une telle approche permettait l'adoption de solutions équilibrées entre les intérêts en présence.

Or, une question s’est posée en la matière : l’impossibilité pour l’emprunteur de récupérer le prix de l’installation auprès du vendeur constitue-t-il un préjudice en lien de causalité avec la faute de la banque de nature à la priver de sa créance de restitution ? L’arrêt qui nous occupe observe que les juridictions du fond sont divisées sur ce point. Certaines cours d’appel retiennent que le préjudice matériel subi par les emprunteurs en raison de la libération fautive, par la banque, du capital emprunté, est caractérisé par l'impossibilité d’obtenir la restitution du prix auprès du vendeur insolvable (v. par ex., CA Aix-en-Provence, 25 octobre 2023, n° 22/02047 N° Lexbase : A04701RT ; CA Bordeaux, 20 mars 2023, n° 20/02889 N° Lexbase : A72489KN ; CA Lyon, 5 janvier 2023, n° 21/05492 N° Lexbase : A250988G ; CA Paris, 4-5, 14 juin 2023, n° 20/03044 N° Lexbase : A323993D ; CA Amiens, 22 décembre 2022, n° 21/02654 N° Lexbase : A262484X ; CA Dijon, 15 septembre 2022, n° 20/00314 N° Lexbase : A91228IP). D’autres jugent cependant, à l’inverse, que si l’installation conservée par les acquéreurs fonctionne et produit de l’électricité, aucun préjudice n’est subi, malgré l’insolvabilité du vendeur et l’impossibilité de récupérer auprès de celui-ci le prix de vente, la faute de la banque n’étant pas en lien causal avec la liquidation judiciaire (CA Toulouse, 28 mars 2022, n° 19/03996 N° Lexbase : A55737RT ; CA Caen 23 novembre 2021, n° 19/02444 N° Lexbase : A71897CA ; CA Nancy, 7 octobre 2021, n° 20/02094 N° Lexbase : A524748T ; CA Colmar, 1er septembre 2023, n° 21/02683 N° Lexbase : A317088W ; CA Metz, 13 avril 2023, n° 21/01050 N° Lexbase : A78949P3 ; CA Reims, 17 janvier 2023, n° 21/0194 N° Lexbase : A62798RY ; CA Caen, 21 juin 2022, n° 20/01662 N° Lexbase : A399578H).

La Cour de cassation considère alors qu’il convient de préciser la portée de l'arrêt précité du 25 novembre 2020.

Si, en principe, à la suite de l'annulation de la vente, l’emprunteur obtient du vendeur la restitution du prix, de sorte que l’obligation de restituer le capital à la banque ne constitue pas, en soi, un préjudice réparable, il en va différemment lorsque le vendeur est en liquidation judiciaire.

En effet, dans une telle hypothèse, d’une part, compte tenu de l’annulation du contrat de vente, l’emprunteur n’est plus propriétaire de l'installation qu’il avait acquise, laquelle doit pouvoir être restituée au vendeur ou retirée pour éviter des frais d'entretien ou de réparation. D’autre part, l'impossibilité pour l’emprunteur d'obtenir la restitution du prix est, selon le principe d'équivalence des conditions, une conséquence de la faute de la banque dans l’examen du contrat principal.

Par conséquent, il convient de retenir que lorsque la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné, par suite de l’annulation du contrat de vente ou de prestation de service, est devenue impossible du fait de l'insolvabilité du vendeur ou du prestataire, l'emprunteur, privé de la contrepartie de la restitution du bien vendu, justifie d’une perte subie équivalente au montant du crédit souscrit pour le financement du prix du contrat de vente ou de prestation de service annulé en lien de causalité avec la faute de la banque qui, avant de verser au vendeur le capital emprunté, n’a pas vérifié la régularité formelle du contrat principal.

Qu’en était-il en l’occurrence ? La Haute juridiction nous le dit. Après avoir annulé la vente en raison des irrégularités qui affectaient le bon de commande, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu, d’une part, qu’en libérant le capital emprunté sans vérifier la régularité du contrat principal, la banque avait manqué à ses obligations, d'autre part, que l’emprunteuse avait subi un préjudice consistant à ne pas pouvoir obtenir, auprès d’un vendeur placé en liquidation judiciaire, la restitution du prix de vente d’un matériel dont elle n'était plus propriétaire.

Par conséquent, en l’état de ces constations et appréciations, dès lors que ce préjudice, indépendamment de l’état de fonctionnement de l’installation, n’aurait pas été subi sans la faute de la banque, c’était à bon droit que la cour d’appel avait condamné celle-ci à payer à l’emprunteuse, à titre de dommages et intérêts, une somme correspondant au capital emprunté.

Voilà une décision particulièrement importante puisque de nature à clarifier les incertitudes des juges du fond en la matière, tout en se montrant protectrice pour certains emprunteurs. Elle témoigne ainsi du fait que la première chambre civile de la Cour de cassation n’a pas remis en cause la préservation des intérêts de ces derniers.

newsid:490075

Droit des étrangers

[Brèves] La délivrance d’un titre de séjour « étudiant » non subordonnée à la détention d'un visa de long séjour

Réf. : CE, 7e ch., 18 juillet 2024, n° 492495, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A90035RU

Lecture: 2 min

N0099B33

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par Yann Le Foll

Le 25 Juillet 2024

► La délivrance d’un titre de séjour « étudiant » n’est pas subordonnée à la détention par l’intéressé d'un visa de long séjour.

Faits. Par une décision du 4 décembre 2023, le préfet du Val-d'Oise a refusé de délivrer à un ressortissant ivoirien un titre de séjour portant la mention « étudiant », au motif que celui-ci ne justifiait pas d'un visa de long séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

L’intéressé a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise de suspendre l'exécution de cette décision et ce dernier a rejeté cette demande.

Rappel. Aux termes de l'article L. 422-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L4071LZS : « L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention ‘étudiant’ d'une durée inférieure ou égale à un an (…) ».

Position CE. L’intéressé soutenait que, alors qu'il avait été admis dans un établissement d'enseignement supérieur à la suite de sa réussite aux épreuves du concours commun aux écoles d'actuariat et statistiques, le préfet du Val-d'Oise avait commis une erreur de droit en refusant de faire application à sa situation des dispositions précitées de l'article L. 422-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne subordonnent pas la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » à la production d'un visa de long séjour.

Décision. En jugeant que les moyens soulevés par le requérant n'étaient pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a commis une erreur de droit.

newsid:490099

Procédure pénale

[Brèves] Prolongation exceptionnelle de la détention provisoire : les diligences mises en œuvre ou les circonstances insurmontables à l’examen du dossier doivent être démontrées

Réf. : Cass. crim., 10 juillet 2024, n° 24-82.797, F-D N° Lexbase : A00495RA

Lecture: 2 min

N0121B3U

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par Pauline Le Guen

Le 24 Juillet 2024

► Pour décider de la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire, il est nécessaire de caractériser les diligences particulières qui auraient été mises en œuvre pour permettre l’examen du dossier de l’intéressé, ou les circonstances insurmontables qui l’ont empêché.

Faits et procédure. Une chambre de l’instruction a ordonné la mise en accusation d’un homme devant la cour criminelle départementale pour y être jugé des chefs de viol et arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires, aggravés. Le procureur général a saisi la chambre aux fins de la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a effectivement ordonné la prolongation de la détention provisoire de l’intéressé, qui a alors formé un pourvoi en cassation.

Moyens du pourvoi. L’intéressé fait grief à l’arrêt d’ordonner cette prolongation sans rechercher si les autorités compétentes avaient apporté une diligence particulière afin de permettre l’examen du dossier par la cour criminelle dans le délai légal de six mois, ni démontrer les circonstances insurmontables qui auraient empêché d’y parvenir.

Décision. La Chambre criminelle casse l’arrêt rendu, au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3977AZC. En effet, pour décider de la prolongation de la détention provisoire, la chambre de l’instruction énonce que l’intéressé n’a pas comparu devant la cour criminelle dans le délai légal en raison de la mise en place de cette juridiction sans moyen supplémentaire, des problèmes d’effectifs non maîtrisables, des longs procès auxquels la cour d’assises compétente a dû faire face durant cette période ayant mobilisé les ressources humaines, générant ainsi une augmentation de 20 % du nombre de dossiers criminels à juger.  

Or, en se déterminant ainsi sans caractériser les diligences particulières qui auraient été mises en œuvre pour permettre l’examen du dossier par la juridiction, ou en quoi les difficultés rencontrées par la cour criminelle constituent des circonstances insurmontables empêchant d’y parvenir, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision de prolongation de la détention provisoire, et la cassation est dès lors encourue.

Pour aller plus loin : F. Merloz, Panorama sur la détention provisoire et le contrôle judiciaire (juin 2022 à juin 2023), Lexbase Pénal, juillet 2023, n° 62 N° Lexbase : N6361BZM

 

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Procédures fiscales

[Brèves] Réponse aux observations du contribuable et preuve de la régularité des opérations de présentation

Réf. : CE, 3e et 8e ch. réunies, 18 juin 2024, n° 472623, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A86785IA

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par Marie-Claire Sgarra

Le 24 Juillet 2024

Si l'administration fiscale n’est pas en mesure de justifier du respect du délai de mise en instance du pli comportant la notification de la réponse aux observations du contribuable, celui-ci ne peut se prévaloir de ce que les conditions de notification l'auraient privé de la garantie qu'il tient des dispositions de l'article L. 57 du Livre des procédures fiscales s'il n'établit pas, notamment par la production d'une attestation du service postal, avoir tenté, en vain, de retirer le pli en cause dans ce délai.

Faits. L’administration fiscale a remis en cause, au titre des années 2010 à 2014, des pensions alimentaires versées aux parents d’un des deux requérants.

Procédure. Les requérants se pourvoient cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande de décharge de la cotisation supplémentaire d’IR à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Principe (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4). L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable, sa réponse doit également être motivée.

Solution du Conseil d’État. Si le contribuable conteste que cette réponse lui a bien été notifiée, il incombe à l'administration fiscale d'établir qu'une telle notification lui a été régulièrement adressée et, lorsque le pli contenant cette notification a été renvoyé par le service postal au service expéditeur, de justifier de la régularité des opérations de présentation à l'adresse du destinataire.

La preuve qui lui incombe ainsi peut résulter soit des mentions précises, claires et concordantes figurant sur les documents, le cas échéant électroniques, remis à l'expéditeur conformément à la règlementation postale ; soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve établissant que l'intéressé a été avisé de ce que le pli était à sa disposition au bureau de poste et qu’il n'a pas été retourné avant l'expiration du délai de mise en instance.

Toutefois, alors même que l’administration fiscale ne serait pas en mesure de justifier du respect du délai de mise en instance du pli comportant la notification de la réponse aux observations du contribuable, celui-ci ne peut se prévaloir de ce que les conditions de notification l’auraient privé de la garantie qu’il tient de l’article L. 57 du Livre des procédures fiscales s’il n’établit pas, notamment par la production d’une attestation du service postal, avoir tenté, en vain, de retirer le pli en cause dans ce délai.

En appel, la cour a relevé qu'il ressortait de l'avis de réception postal que le pli recommandé contenant la réponse, aux observations du contribuable sur les rectifications relatives à l'année 2010, qui confirmait la persistance d'un désaccord entre les contribuables et l'administration, avait été « présenté/avisé » au domicile des requérants, qu'il n'avait pas pu être remis aux destinataires absents, et qu'il avait été retourné à l'administration en tant que « pli avisé et non réclamé ».

La cour a par suite jugé à raison que, par les mentions précises, claires et concordantes figurant ainsi sur les documents remis à l'expéditeur conformément à la règlementation postale, l'administration établissait l'envoi aux contribuables de cette réponse et la remise d'un avis de passage.

Dans un second temps, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que si l'administration fiscale n'établissait pas, en l'espèce, le respect du délai de mise en instance, de quinze jours, du pli litigieux, les requérants n'étaient pas fondés à soutenir qu'ils auraient été privés d'une garantie dès lors qu'ils ne justifiaient pas, ni même n'alléguaient, avoir cherché à retirer, sans succès, le pli concerné dans ce délai.

Le pourvoi des requérants est rejeté.

Précisions. Compte tenu des modalités de présentation des plis recommandés prévues par la réglementation postale, doit être regardé comme portant des mentions précises, claires et concordantes suffisant à constituer la preuve d'une notification régulière, le pli recommandé retourné à l'administration auquel est rattaché un volet avis de réception sur lequel a été apposée la date de vaine présentation du courrier et qui porte, sur l'enveloppe ou l'avis de réception, l'indication du motif pour lequel il n'a pu être remis (CE, 9e et 10e ch. réunies, 15 novembre 2019, n° 420509, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6692ZYI).

 

 

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