Le Quotidien du 10 juin 2024

Le Quotidien

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Admission d’un enregistrement déloyal fait à l’insu de l’employeur pour la reconnaissance d’un accident du travail et reconnaissance d’une faute inexcusable

Réf. : Cass. civ. 2, 6 juin 2024, n° 22-11.736, FS-B+R N° Lexbase : A23885GK

Lecture: 3 min

N9540BZD

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par Laïla Bedja

Le 12 Juin 2024

► Un enregistrement déloyal peut être considéré comme recevable pour permettre au salarié de faire reconnaître un accident du travail et demander la reconnaissance de la faute inexcusable de ce dernier (application Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648).

Faits et procédure. Un salarié a déclaré avoir été victime de violences verbales et physiques commises par son employeur, gérant de la société X, accident que la caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge au titre de la législation professionnelle. L’employeur a saisi d’un recours le tribunal des affaires de Sécurité sociale aux fins d’inopposabilité de la décision. La victime a saisi la même juridiction d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Les deux instances ont été jointes.

Afin de prouver les faits, le salarié a produit un enregistrement de l’altercation et sa retranscription par un huissier de justice (commissaire de justice dorénavant).

La cour d’appel, comme le tribunal, a approuvé la production de cet enregistrement et admis la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle et reconnu la faute inexcusable de l’employeur.

Ce dernier a alors formé un pourvoi en cassation arguant de la déloyauté de la preuve fournie par le salarié et une atteinte à sa vie privée.

Décision. La Haute juridiction écarte l’argumentation de l’employeur et fait une application de la récente jurisprudence de la Cour de cassation concernant la recevabilité d’une preuve déloyale dans une instance civile. Depuis un arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648 N° Lexbase : A27172AU), la Cour de cassation reconnaît désormais la recevabilité des preuves obtenues déloyalement.

Deux conditions sont à respecter et laissées à l’appréciation stricte du juge :

  • caractère indispensable de la preuve ;
  • caractère proportionné au but poursuivi.

En l’espèce, sans l’enregistrement et sa retranscription, les éléments étaient insuffisants pour démontrer que les blessures du salarié trouvaient leur origine dans l’altercation avec l’employeur (certificats médicaux et dépôt de plainte). Les témoins présents au moment des faits ne pouvaient produire de témoignages au regard de leur lien de subordination et économique vis-à-vis de l’employeur. La première condition relative au caractère indispensable est donc validée selon la Cour de cassation.

Sur la proportionnalité, la cour d’appel a procédé à son contrôle entre, d’une part, le droit à la preuve du salarié d’établir la réalité de l’accident du travail et, d’autre part, l’atteinte à la vie privée de l’employeur, dont ce dernier faisait état. La cour d’appel constatant que l’altercation était intervenue dans un lieu ouvert au public, au vu et su de tous, a pu en conclure que l’atteinte à la vie privée n’était pas disproportionnée.

Pour aller plus loin : lire le commentaire de S. Vernac, Une preuve à tout prix, Lexbase Social, février 2024, n° 972 N° Lexbase : N8275BZI

newsid:489540

Collectivités territoriales

[Brèves] Modulation des indemnités de fonction des membres des conseils municipaux des communes de 50 000 habitants et plus : une différence de traitement injustifiées avec les communes plus petites

Réf. : Cons. const., décision n° 2024-1094 QPC, du 6 juin 2024 N° Lexbase : A24015GZ

Lecture: 2 min

N9539BZC

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par Yann Le Foll

Le 07 Juin 2024

► Les dispositions législatives instituant une modulation des indemnités de fonction des membres des conseils municipaux des communes de 50 000 habitants et plus créent une différence de traitement injustifiées avec les communes plus petites et sont donc inconstitutionnelles.

Rappel. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1370A9M, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (Cons. cons., décision n° 96-375 DC, du 9 avril 1996 N° Lexbase : A8342ACX).

Objet QPC. Aux termes de l’article L. 2123-24-2 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4859LUI, le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal de certaines communes alloue à ses membres peut être modulé en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres.

Les dispositions contestées (les mots « des communes de 50 000 habitants et plus » figurant à la première phrase de l’article L. 2123-24-2 du Code général des collectivités territoriales) réservent cette possibilité de modulation aux communes de 50 000 habitants et plus. Ce faisant, elles instituent une différence de traitement entre ces communes et celles de moins de 50 000 habitants.

Ces dispositions ont pour objet d’assurer l’assiduité des conseillers municipaux aux réunions de l’organe délibérant de la commune et des commissions dont ils sont membres.

Position Cons. const. Au regard de cet objet, il n’y a pas de différence de situation entre les communes de 50 000 habitants et plus et les autres communes, les conseillers municipaux étant tous soumis à la même obligation de participation aux réunions des organes et commissions dont ils sont membres.

La différence de traitement contestée, qui n’est pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général, est donc contraire au principe d’égalité devant la loi.

Décision. Les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution. Cette déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter du 6 juin 2024. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date (décision rendue après renvoi de CE, 3e-8e ch. réunies, 5 mars 2024, n° 490142 N° Lexbase : A41222SH).

À ce sujet. Lire Margaux Davrainville et Valentine Roux, Les indemnités de fonctions des élus locaux, Lexbase Public, décembre 2023, n° 729 N° Lexbase : N7738BZM.

newsid:489539

Concurrence

[Brèves] Concurrence déloyale : refus de transmission d’une QPC sur les modalités de détermination des dommages-intérêts

Réf. : Cass. com., 5 juin 2024, n° 23-22.122, F-B, QPC N° Lexbase : A14535GW

Lecture: 3 min

N9538BZB

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par Vincent Téchené

Le 07 Juin 2024

► L'interprétation jurisprudentielle conférée à l'article 1382, devenu 1240, du Code civil dans l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 12 février 2020 (Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614, FS-P+B+R+I) relative aux modalités de détermination des dommages-intérêts alloués pour des faits de concurrence déloyale n’est pas contraire aux principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, ni au principe de responsabilité.

Faits et procédure. Dans le cadre du contentieux opposant des chauffeurs de taxi à Uber concernant son service « UberPop », la société Uber France a posé une QPC portant sur les règles de détermination des dommages-intérêts alloués pour concurrence déloyale à l’occasion du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-4, 4 octobre 2023, n° 21/22383 N° Lexbase : A95161KN).  

Réparation du préjudice : l’interprétation de la Cour de cassation. Était, plus précisément en jeu l’interprétation jurisprudentielle conférée à l'article 1382 N° Lexbase : L1488ABQ, devenu 1240 N° Lexbase : L0950KZ9, du Code civil dans l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 12 février 2020 (Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A27263EP). Selon cet arrêt les dommages et intérêts peuvent être déterminés « en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes », lorsque le fait dommageable résulte de « pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent, ou à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu ».

Décision. Selon la Haute juridiction, en premier lieu, cette interprétation jurisprudentielle, qui ne peut avoir pour effet d'aboutir à une évaluation des dommages et intérêts qui excéderait cet avantage indu, n'instaure pas une sanction ayant le caractère d'une punition mais vise exclusivement à assurer la réparation du préjudice subi par la victime de ces actes, de sorte que les griefs tirés de la violation des principes de légalité et de nécessité des délits et des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1372A9P sont inopérants.

En deuxième lieu, toujours selon la Cour, cette interprétation qui permet seulement que le montant des dommages et intérêts dus à la victime des actes de concurrence déloyale ou parasitaire soit évalué en prenant en considération, pour déterminer l'importance du préjudice causé par ces actes, l'avantage indu que leur auteur s'est octroyé, est justifiée par l'objectif d'intérêt général d'indemnisation effective des victimes d'actes de concurrence déloyale ou parasitaire lorsqu'elles se heurtent à des difficultés de preuve de leur préjudice et l'atteinte portée au droit de propriété de l'auteur de ces actes, garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen N° Lexbase : L1366A9H, est proportionnée à cet objectif.

Enfin, cette interprétation jurisprudentielle ne porte aucune atteinte au principe de responsabilité, en ce qu'elle assure au contraire la réparation, par l'auteur d'actes de concurrence déloyale ou parasitaire, des conséquences dommageables de ses fautes.

La Cour de cassation refuse donc le renvoi au Conseil constitutionnel.

newsid:489538

Contrôle fiscal

[Brèves] Conditions de régularité de la notification par voie postale d’une proposition de rectification

Réf. : Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-14.130, F-B N° Lexbase : A01925BQ

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N9474BZW

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par Marie-Claire Sgarra

Le 07 Juin 2024

La Chambre commerciale est revenue, dans un arrêt du 10 mai 2024, sur les conditions de régularité de la notification par voie postale d’une proposition de rectification.

Faits. L'administration fiscale a adressé à la requérante, propriétaire de plusieurs lots dans deux immeubles une proposition de rectification portant rappel d’ISF et de contribution exceptionnelle sur la fortune au titre de l'année 2012, soutenant que la valeur vénale déclarée de ces différents lots devait être rehaussée.

Procédure. Rejet des réclamations de la requérante, qui assigne l’administration fiscale afin d'obtenir la nullité de la procédure et la décharge de l'imposition correspondante s'agissant des locaux commerciaux loués à La Poste, ainsi que la réduction de la base d'imposition déclarée s'agissant des autres locaux.

En cause d’appel, la requérante fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant au prononcé de la nullité de la procédure d'imposition résultant du défaut de preuve d'une notification régulière de la proposition de rectification.

Rappels :

  • l'administration fiscale adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4 et R. 57-1 N° Lexbase : L2033IBW) ;
  • lorsque la distribution d'un envoi postal recommandé relevant du service universel est impossible, le destinataire est avisé que l'objet est conservé en instance pendant quinze jours calendaires ; à l'expiration de ce délai, l'envoi postal est renvoyé à l'expéditeur lorsque celui-ci est identifiable (C. P et T, art. R. 1-1-6 N° Lexbase : L6609HWP).

Solution de la Chambre commerciale. Il résulte des dispositions précitées qu’en cas de contestation portant sur la notification de la proposition de rectification, il incombe à l'administration fiscale, qui a la charge de la preuve de la régularité de cette notification, de justifier, en cas de retour à l'expéditeur du pli recommandé contenant la proposition de rectification :

  • d'une part, que le destinataire a été avisé, par la délivrance d'un avis de passage, de ce que le pli était à sa disposition au bureau de poste dont il relevait pendant un délai de quinze jours à compter de la date de passage ;
  • d'autre part, que le pli n'a été retourné à l'expéditeur qu'à l'expiration de ce délai.

Pour rejeter le moyen tiré de l'absence de preuve de la notification régulière de la proposition de rectification, datée du 21 avril 2015, l'arrêt relève qu'une lettre a été retournée le 23 avril 2015 à l'administration fiscale avec la mention « pli non réclamé ».

En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le pli recommandé contenant la proposition de rectification ne pouvait pas avoir été mis en instance pendant un délai de quinze jours, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

newsid:489474

Droit des étrangers

[Brèves] Exclusion du droit au bénéfice de l'asile d’une personne coupable de crimes de guerre en Tchétchénie

Réf. : CE, 9e-10e ch. réunies, 14 mai 2024, n° 463491 N° Lexbase : A87125CN

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N9521BZN

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par Yann Le Foll

Le 07 Juin 2024

► Une personne s’étant livrée à des activités de renseignement ayant conduit à l'arrestation, à la torture et à l'exécution de civils pendant les guerres de Tchétchénie ne peut se voir octroyer la qualité de réfugié.

Rappel.  L'article L. 511-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L3396LZS dispose que : « Le statut de réfugié n'est pas accordé à une personne qui relève de l'une des clauses d'exclusion prévues aux sections D, E ou F de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. / La même section F s'applique également aux personnes qui sont les instigatrices ou les complices des crimes ou des agissements mentionnés à ladite section ou qui y sont personnellement impliquées ».

La clause d'exclusion prévue au a du F de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, sur le statut des réfugiés N° Lexbase : L6810BHP, vise, en application des instruments pertinents du droit international, en particulier les Conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels I et II de 1977 et l'article 8 du statut de Rome de 1998, portant création de la Cour pénale internationale, au titre des crimes de guerre, notamment l'homicide volontaire et la torture de civils, le fait de priver intentionnellement un civil ou un prisonnier de guerre de son droit d'être jugé de manière juste et équitable, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre, ainsi que l'exécution d'otages.

De tels crimes ne peuvent être justifiés par le but invoqué par celui qui les commet. Il s'ensuit que ne saurait être pris en compte, pour l'application du a du F de l'article 1er de la Convention de Genève, les objectifs poursuivis par les auteurs de crimes perpétrés - ou dont le demandeur d'asile s'est rendu complice - ainsi que du degré de légitimité de la violence qu'ils ont mise en oeuvre.

Décision. Une personne s’étant livrée à des activités de renseignement ayant conduit à l'arrestation, à la torture et à l'exécution de civils pendant les guerres de Tchétchénie, tout en ayant déclaré devant l'OFPRA qu'il était pleinement conscient des conséquences de ses actions, qu'il ne les regrettait pas et que, loin de se désolidariser de ces exactions à l'encontre de civils, assimilables à des crimes de guerre, il les revendiquait, doit se voir appliquer la clause d'exclusion. Sa demande d’asile est rejetée.

Rappel bis. Dans un arrêt rendu le 21 septembre 2023, la Haute juridiction avait déjà dit pour droit que le soutien à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission d'actes terroristes, justifie qu'il soit mis fin au statut de réfugié de l’intéressé (CE, 9e-10e ch. réunies, 21 septembre 2023, n° 463489, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A03021IZ et lire les conclusions de Laurent Domingo, rapporteur public au Conseil d’État N° Lexbase : N6964BZX).

newsid:489521

Régimes matrimoniaux

[Brèves] Dépenses de conservation de l’article 815-13 du Code civil : guide de calcul du profit subsistant

Réf. : Cass. civ. 1, 23 mai 2024, n° 22-11.649, F-B N° Lexbase : A86195C9

Lecture: 5 min

N9523BZQ

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

Le 07 Juin 2024

► Il résulte des dispositions de l’article 815-13, al. 1er du Code civil, que, pour les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis, dont fait partie le règlement des échéances de l'emprunt ayant permis son acquisition, il doit être tenu compte, selon l'équité, à l'indivisaire de la plus forte des deux sommes que représentent la dépense qu'il a faite et le profit subsistant. Le profit subsistant représente l'enrichissement procuré au patrimoine indivis ;

Pour limiter à une certaine somme le montant de la créance de M. [J] sur l'indivision au titre du financement du bien indivis, l'arrêt retient qu'ayant financé la part de Mme [O] dans une certaine proportion, il doit lui être tenu compte dans cette même proportion de la différence entre la valeur actuelle du bien indivis et le prix de son acquisition ;

En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait d'établir la proportion dans laquelle le règlement par M. [J] des échéances de l'emprunt, en capital et intérêts, avait contribué au financement global de l'acquisition, incluant les frais d'acquisition et le coût du crédit, puis d'appliquer cette proportion à la valeur actuelle du bien dans son état au jour de l'acquisition, enfin, de comparer le profit subsistant ainsi déterminé avec la dépense faite, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

La question ici tranchée touche au droit de l’indivision (C. civ., art. 815-13, al. 1er N° Lexbase : L1747IEG), en matière de concubinage, mais sa portée est générale, quels que soient les modes de conjugalité. La Cour de cassation précise ici le régime du remboursement via le mécanisme de la dette de valeur pour des dépenses de conservation d’un bien.

Une cour d’appel avait retenu le système suivant : Romeo a payé 100 % de la part de Juliette dans l’acquisition du bien, donc Romeo a droit à 100 % de la différence entre la valeur actuelle du bien et la prix d’acquisition de ce même bien.

La Cour de cassation rectifie avec raison, en disant qu’il convenait de déterminer dans quelle proportion la dépense faite par Romeo a contribué au coût global d’acquisition (ce qui inclut, outre le capital payé par Romeo, les frais d’acquisition et les intérêts qu’il a aussi réglés, précise la Cour, cette dernière précision constituant une réelle nouveauté). C’est donc une première division à faire. Puis, cette division faite, son résultat doit être appliqué à la valeur actuelle du bien conservé, mais selon son état d’origine au jour de l’acquisition, et, enfin, de comparer ce chiffre avec la dépense faite, afin de retenir la plus forte des deux sommes.

Ainsi, cela donnera ceci (chiffres purement fantaisistes) :

I. Données de fait :

Capital amorti par Romeo : 200

Coût d’acquisition payé par Romeo : 40

Intérêts payés par Romeo sur la période : 60

Valeur d’acquisition du bien : 600

Valeur actuelle du bien dans son état lors de l’acquisition : 900

II. Calcul

Montant payé par Romeo (dépense faite) : 300 (200 + 60 + 40)

Proportion de ce montant par rapport au prix d’acquisition : 300 / 600 = 0,5

Application de cette proportion à la valeur actuelle (selon état lors de l’acquisition) : 900 x 0,5 = 450, soit un calcul complet qui se présente ainsi : [(300/600) x 900]

Comparaison de la plus forte de valeur entre la dépense faite (300) et le profit subsistant (450).

Le remboursement de Romeo est donc de 450.

Si Romeo et Juliette sont à 50/50 dans l’indivision et que Juliette n’a rien payé de sa part, elle doit (450 x 0,5) = 225 à Romeo.

III. Raisonnement erroné de la cour d’appel

Le raisonnement de la cour d’appel conduisait à un résultat différent.

Romeo a financé 100 % de la part de Juliette, donc il a droit à 100 % de la différence entre la valeur actuelle du bien indivis et le prix de son acquisition, soit 100 % de (900 – 600 + 40), soit 340 x 0,5 = 170. Même en incluant les intérêts, ce n’est pas mieux (40 x 0,5 = 200).

On comprend donc pourquoi, en l’espèce, Romeo a formé un pourvoi…

Notons pour finir que les chiffres ici donnés conduisent à des évidences (300 est la moitié de 600 donc la proportion de 50 % est évidente même pour un non-matheux…). Mais avec des chiffres usuels dans des dossiers, on perd de vue cette évidence, et il faut toujours en passer par les calculs via des règles de trois. Il importe donc d’en passer par ces règles de trois, même avec des chiffres simples, afin que le réflexe liquidatif soit pris.

En matière de concubinage, le concubin solvens se réjouira de bénéficier ainsi de la dette de valeur, mais devra se méfier de la prescription quinquennale de son droit (Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 19-21.313, FS-P N° Lexbase : A81214PH).

Les époux devront faire la différence entre l’apport en capital et le remboursement au jour le jour, et ceux en régime de communauté devront particulièrement se méfier de l’application de cette jurisprudence en matière d’indivision post-communautaire, compte tenu des points de référence en cause (valeur acquisition vs valeur partage, alors que le financement du solvens ne court pas depuis l’acquisition…).

newsid:489523

Sociétés

[Brèves] SARL : conséquences du défaut de convocation régulière d’un associé

Réf. : Cass. com., 29 mai 2024, n° 21-21.559, F-B N° Lexbase : A84175D4

Lecture: 3 min

N9455BZ9

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par Perrine Cathalo

Le 07 Juin 2024

► Il résulte de l'article L. 223-27 du Code de commerce que le défaut de convocation régulière de l'associé d'une société à responsabilité limitée à l'assemblée générale de cette société n'entraîne la nullité des délibérations de cette assemblée que si cette irrégularité a privé l'associé de son droit d'y prendre part et qu'elle était de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

Faits et procédure. Une SARL était détenue à 63 % par une société de droit anglais et avait pour co-gérants deux personnes physiques.

Le 14 octobre 2015, s'est tenue une assemblée générale de la SARL au cours de laquelle il a été décidé la révocation de ses fonctions de l’un des co-gérants et la distribution de dividendes.

Soutenant qu'elle n'avait pas été régulièrement convoquée à l'assemblée générale du 14 octobre 2015, la société de droit anglais a assigné la SARL et son gérant en annulation des délibérations de cette assemblée.

La SARL a ensuite fait l'objet d'une liquidation amiable et un liquidateur a été nommé.

Par arrêt du 25 mai 2021, la cour d’appel (CA Angers, 25 mai 2021, n° 17/02421 N° Lexbase : A88054SW) a relevé l’irrégularité de la convocation de l’assemblée générale du 14 octobre 2015 et condamné le gérant de la SARL a restituer les dividendes votés par cette assemblée et à payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts au titre de la désorganisation de la société.

Le gérant de la SARL a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. La Haute juridiction censure l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article L. 223-27 du Code de commerce N° Lexbase : L2428LRD.

Selon elle, il résulte de ce texte que le défaut de convocation régulière de l'associé d'une société à responsabilité limitée à l'assemblée générale de cette société n'entraîne la nullité des délibérations de cette assemblée que si cette irrégularité a privé l'associé de son droit d'y prendre part et qu'elle était de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

Or, la Chambre commerciale considère que les juges du fond se sont bornés à dire que la convocation était irrégulière du fait que le seul document justificatif de l'envoi d'une convocation à l’associé majoritaire est un document de la poste anglaise retraçant le parcours d'un envoi non identifiable arrivé de France le 7 octobre 2015 et délivré le lendemain sans qu'il soit permis d'en connaître ni l'expéditeur ni le destinataire, sans pourtant rechercher si ce défaut de convocation régulière avait privé l’associé majoritaire de son droit à y prendre part et si son absence avait été de nature à influer sur le résultat du processus de décision (v. déjà Cass. com., 11 octobre 2023, n° 21-24.646, FS-B N° Lexbase : A85241KW).

Pour en savoir plus : v. Ph. Duprat, ÉTUDE : Les décisions collectives des associés de la société à responsabilité limitée, La convocation aux assemblées, in Droit des sociétés (dir. B. Saintourens), Lexbase N° Lexbase : E2991038.

newsid:489455