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par Emmanuel Ferrand, vice-procureur près le tribunal judiciaire d’Agen, référent environnement
le 20 Juillet 2023
Mots-clés : contentieux pénal environnemental • droit pénal de l’environnement • justice environnementale • parquet • pratiques judiciaires
D’après votre expérience, comment le choix de l’affectation de magistrats en tant que référent environnement ou dans les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement se fait-il ? Sur candidature spontanée motivée par un intérêt particulier pour le contentieux pénal environnemental ? Pour d’autres raisons, plus pragmatiques (expérience, disponibilité des magistrats, etc.) ? Personnellement, qu’est-ce qui vous a conduit à vous consacrer à la délinquance environnementale et à avoir une connaissance pointue de ces dossiers particuliers ?
Les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement sont trop récents pour avoir le recul nécessaire et répondre de manière pertinente à votre question. Généralement dans les parquets de taille moyenne, le contentieux de l’environnement est attaché aux contentieux dits complexes tels que les infractions économiques et financières et l’urbanisme notamment.
Me concernant, j’ai découvert le contentieux de l’environnement lors de ma première affectation sur le tribunal judiciaire de Cayenne où le contentieux de l’environnement est particulièrement nourri par l’orpaillage illégal, la pêche illégale, le trafic d’espèces protégées ou encore les coupes illégales de bois. J’ai depuis lors toujours suivi le contentieux de l’environnement.
Quelle place prennent les considérations environnementales dans la détermination de la politique pénale d’un parquet par comparaison avec l’ensemble des autres contentieux ? D’une part, que représente le contentieux pénal environnemental, spécialement pour les juridictions agenaises, parmi lesquelles l’un des nouveaux pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement ? D’autre part, qu’est-ce qui peut vous conduire à privilégier, compte tenu des moyens et du temps dont vous disposez, à traiter une affaire de délinquance environnementale de préférence à un autre type d’affaire ?
Les considérations environnementales sont devenues depuis quelques années un axe important de la politique pénale des parquets, mais, au point de vue quantitatif, cela reste marginal. Le parquet d’Agen n’a pas été saisi à ce jour en tant que pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement.
La question des moyens se joue principalement au niveau des services d’enquêtes. Nous disposons bien évidemment de l’Office français de la biodiversité, la police de l’environnement, dont les moyens sont restreints au regard de leur champ de compétence, mais nous bénéficions de l’aide de plusieurs administrations spécialisées chacune dans un domaine de compétence (Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations, Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt ou encore Direction départementale des territoires) qui nous permet également de saisir plus largement les groupes de contrôle des forces de sécurité intérieure (FSI) grâce à cet appui technique.
Lorsque vous avez à donner une réponse pénale à une infraction environnementale, comment déterminez-vous celle à adopter ? Qu’est-ce qui guide votre appréciation de l’opportunité des poursuites ?
Les politiques pénales sont établies par département et dépendent donc fortement des territoires. La première raison en est que l’on cherche à éviter de stigmatiser certains secteurs d’activité. La seconde réside tout simplement dans le fait que la délinquance environnementale ne prend pas la même forme dans tous les départements. Deux exemples. Dans le Tarn-et-Garonne et le Lot-et-Garonne, premièrement, la question de l’eau est particulièrement sensible, car elle est source d’agissements infractionnels en lien avec un secteur agricole très organisé et mobilisé. En Guyane, secondement, les problématiques sont différentes : les formes d’atteintes à l’environnement sont plus diverses – il peut s’agir de pêche illégale ou, plus généralement, d’atteinte à la biodiversité, en particulier aux espèces protégées, mais encore d’orpaillage – et les auteurs ont des profils différents, en lien souvent avec l’immigration clandestine et la criminalité organisée.
Lorsque l’on détermine la réponse à apporter à une infraction environnementale, on prend également en compte la sécurité physique des agents qui interviennent pour mener les enquêtes de police administrative et judiciaire. Il ne s’agit pas de les mettre en danger et il convient parfois, tout en rappelant les règles et en restant ferme, de tenter d’apaiser la situation. Par exemple, une tension est née récemment, à la suite d’un contrôle opéré par un agent de l’Office français de la biodiversité, entre cette autorité administrative indépendante et le monde agricole. Dans ce cadre il a été nécessaire d’expliquer la politique pénale qui serait suivie aux différents protagonistes. La solution classique en matière de contentieux de l’environnement a été de rappeler que les personnes qui mettraient fin à l’infraction feraient l’objet d’un classement sans suite. Par contre, les personnes qui refuseraient de régulariser la situation feraient l’objet de poursuites sous la forme d’une ordonnance pénale.
Un autre élément réside dans la prise en compte du profit tiré des faits commis par l’auteur de l’infraction. La délinquance environnementale est avant tout une délinquance lucrative et l’on prend cela en considération lorsque l’on choisit le montant de l’amende. L’amende, dans certains territoires, peut encore être choisie pour pallier l’impossibilité de procéder à des confiscations, faute de structures aptes à gérer les biens saisis. C’est le cas notamment des barges des orpailleurs qui ne peuvent être démantelées faute de structure sur le département de la Guyane. Le paiement de l’amende, notamment dans le cadre de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, est alors exigé comme préalable à la restitution des biens saisis.
Avez-vous eu l’occasion de faire usage des « nouveaux » outils consacrés par les réformes récentes : convention judiciaire d’intérêt public environnementale ? Assistants spécialisés ? Recours aux officiers judiciaires de l’environnement ?
Ces outils sont, en pratique, réservés aux atteintes graves à l’environnement et s’apprécient en fonction de plusieurs critères notamment les antécédents de la personne morale, le caractère spontané de la révélation parmi d’autres critères. À Agen, nous n’en bénéficions pas ou n’y avons pas eu recours pour le moment.
Cela ne nous empêche pas de nouer des relations avec les multiples instances partenaires, qui peuvent nous fournir des informations ou une expertise. Par exemple, un protocole est établi de longue date avec la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Cela est facilité par le partage d’un objectif commun : la remise en état. La politique pénale menée pouvant dépendre de l’implication de tel ou tel membre du ministère public, les relations avec les autorités administratives peuvent parfois varier. Personnellement, mon expérience en matière environnementale me conduit à avoir une attitude proactive qui a pu parfois déconcerter les administrations compétentes. Elles ont néanmoins toujours su répondre à mes attentes.
On parle beaucoup de spécialisation des magistrats et des juridictions de l’ordre judiciaire afin d’améliorer l’effectivité du droit pénal de l’environnement. On constate cependant que le législateur emprunte une autre voie : celle de l’augmentation des prérogatives pénales des agents administratifs spécialisés, spécialement les inspecteurs de l’environnement. Quelle option vous paraît la plus pertinente pour renforcer la protection judiciaire de l’environnement ?
Les deux voies doivent être empruntées. Le contentieux de l’environnement est éminemment technique et nécessite une formation à long terme pour l’ensemble des protagonistes de la chaîne pénale. Les choses évoluent en ce sens.
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