Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 22-17.030, FS-D N° Lexbase : A54021AC
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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences - HDR à l'Université de Strasbourg
le 19 Juillet 2023
Mots-clés : prêts en devise • action en restitution des sommes versées • point de départ du délai de prescription • clauses abusives • montant des sommes à restituer à l’emprunteur
Le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution des sommes versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
Par ailleurs, la banque doit restituer à l’emprunteur la contrevaleur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
Il est bien connu, aujourd’hui, que le droit applicable aux prêts en devise a connu une évolution considérable suite à deux décisions remarquées de la CJUE du 10 juin 2021 [1]. En effet, depuis lors, une multitude de décisions se sont montrées plus favorables aux emprunteurs, tant sur le fondement du droit des clauses abusives que sur celui de l’obligation d’information du banquier prêteur [2].
Cependant, de nouvelles incertitudes sont apparues concernant les règles à appliquer aux procédures de restitution suivant le prononcé de la nullité des prêts en devise. L’arrêt étudié vient néanmoins clarifier l’état du droit applicable.
Les faits étaient les suivants. Par acte notarié du 30 septembre 1999, la banque X. avait consenti à M. N. un prêt immobilier in fine souscrit en francs suisses, à taux variable et indexé sur le LIBOR francs suisses 3 mois. Faute de paiement de l’intégralité du capital emprunté à l’échéance, la banque a mis en œuvre des mesures d’exécution, levées à la suite du règlement du solde du prêt au moyen d’un nouvel emprunt souscrit auprès d’une autre banque.
Le 6 novembre 2014, l’emprunteur avait assigné la banque en constatation du caractère abusif de clauses de remboursement et de change, ainsi qu’en restitution. La cour d’appel de Paris [3] avait cependant, par un arrêt 30 mars 2022, rejeté les demandes de la banque. Cette dernière avait alors formé un pourvoi en cassation par l’intermédiaire duquel elle invoquait cinq moyens.
La décision de la Cour de cassation, en date du 12 juillet 2023, se veut alors riche en enseignements, même si elle rejette le pourvoi en question.
En premier lieu, le débat portait sur la prescription de l’action en restitution. La banque commençait par déclarer que l’action tendant à la restitution de sommes versées sur le fondement de clauses prétendument abusives relatives au remboursement d’un prêt en devise et au risque de change supporté par l’emprunteur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le consommateur a été en mesure de constater une importante dépréciation de l'euro par rapport à la devise empruntée. Or, pour dire non-prescrite l’action en restitution fondée sur le caractère prétendument abusif des clauses 5.3 et 10.5 relatives au remboursement du prêt en devises et au risque de change, la cour d'appel avait retenu que les effets du changement de parité entre le franc suisse et l’euro s’étaient manifestés à la date de l'échéance du remboursement du capital du prêt in fine, soit le 31 août 2014, de sorte que l'action introduite le 6 novembre 2014 n'était pas prescrite. Dès lors, pour l’établissement prêteur, en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’appréciation significative du franc suisse par rapport à l'euro ne s'était pas fait ressentir sur le marché des changes dès janvier 2009, mettant ainsi l'emprunteur en mesure de prendre conscience du risque de change encouru, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC.
La Haute juridiction, pour sa part, commence par rappeler que par un arrêt du 10 juin 2021 [4], la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la Directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette Directive.
La CJUE a également précisé, par la même décision, que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale, que, cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) [5].
En outre, par un autre arrêt en date du 9 juillet 2020 [6], la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l’article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la Directive n° 93/13 ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l’action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l’exécution intégrale de ce contrat, lorsqu’il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu’à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
La Cour de cassation déduit alors de cette jurisprudence européenne que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du Code civil et à l’article L. 110-4 du Code de commerce N° Lexbase : L4314IX3, de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
Or, la cour d’appel avait jugé abusives les clauses 5.3 et 10.5 du contrat.
Il en résulte alors, pour la Haute juridiction, que l’action en restitution fondée sur le caractère abusif de ces clauses était recevable.
En deuxième lieu, la banque X. faisait aussi grief aux juges du fond d’avoir jugé abusives les clauses 5.3 et 10.5 du contrat. Plusieurs arguments étaient alors mis en avant par l’établissement. Ceux-ci ne parviennent cependant pas à convaincre la Haute juridiction.
Aux termes de cette dernière, la cour d'appel avait constaté que le contrat de prêt comportait une clause 5.3 « remboursement du crédit » qui disposait : « Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débitées sur tout compte en devise ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. La monnaie de paiement est le franc français ou l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais des garanties seront payables en francs ou en euros. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré », ainsi qu'une clause 10.5 stipulant : « Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt ».
Or, après avoir énoncé que l’exigence de clarté et d’intelligibilité d’une clause ne se réduisait pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical et que le contrat devait exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se référait la clause afin que le consommateur soit en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour lui, la cour d’appel avait retenu que la première stipulation comportait des informations contradictoires sur la devise de remboursement du prêt, que le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en œuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses, alors que l’emprunteur percevait ses revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient pas de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital payable in fine, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée à l’emprunteur sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement et que celui-ci n’avait pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur ses obligations financières et prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus.
Dès lors, en faisant ainsi ressortir, d’une part, que la banque n’avait pas fourni à l’emprunteur, en sa qualité de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des clauses litigieuses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d’autre part, que la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard de l'emprunteur, à ce que celui-ci acceptât, à la suite d'une négociation individuelle, les risques disproportionnés susceptibles de résulter de telles clauses, la cour d'appel, qui avait procédé aux recherches prétendument omises, en avait exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l’objet du contrat, n’était ni claire ni compréhensible et qu’elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et les emprunteurs, de sorte qu’elle devait, avec la clause de change en lien avec elle, être réputée non écrite.
En dernier lieu, la banque faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Paris de l’avoir condamnée à restituer les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, soit la contrevaleur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, et condamné l'emprunteur à lui payer la contrevaleur en euros de la somme prêtée selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et d’avoir dit que la somme due après compensation porterait intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation. Or, pour l’établissement, l’accipiens tenu de restituer la contrevaleur en euros d'une somme d'argent perçue en devise doit opérer la restitution en appliquant le taux de change en vigueur au jour où il restitue. Dès lors, en l’occurrence, en prenant en considération la contrevaleur en euros de la somme prêtée selon le taux de change en vigueur à la date de la mise à disposition des fonds, la cour d’appel aurait violé l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L6710IMH.
La Cour de cassation ne partage cependant pas cette affirmation, et considère le moyen non fondé.
Elle rappelle à cette occasion que, par un arrêt du 21 décembre 2016 [7], la CJUE a jugé que l’article 6, § 1, de la Directive n° 93/13 doit être interprété en ce sens qu'une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l'égard du consommateur et que, partant, la constatation judiciaire du caractère abusif d’une telle clause doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de ladite clause et emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard de ces mêmes sommes.
Or, ayant relevé que les clauses réputées non écrites constituaient l’objet principal du contrat et que celui-ci n’avait pu subsister sans elles, la cour d'appel a exactement retenu que l’emprunteur devait restituer à la banque la contrevaleur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que celle-ci devait lui restituer toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contrevaleur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
Nous voici, pour conclure, en présence d’une importante décision puisque, comme l’indique le communiqué de la Cour de cassation l’accompagnant, elle « permet de répondre aux interrogations soulevées dans de nombreux dossiers en cours devant les juridictions ».
[1] CJUE, 10 juin 2021, deux arrêts, aff. C-609/19 N° Lexbase : A00894W9 et aff. C-776/19 à C-782/19 N° Lexbase : A00904WA, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2021, n° 680 N° Lexbase : N7922BY3).
[2] V. par ex., Cass. civ., 1, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B N° Lexbase : A64737R8, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2022, n° 712 N° Lexbase : N1010BZG – Cass. civ., 1, 20 avril 2022, n° 19-11.599, FS-B N° Lexbase : A08927UL, J. Lasserre Capdeville,Lexbase Affaires, 12 mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1425BZS – Cass. civ., 1, 20 avril 2022, n° 20-16.316, FS-B N° Lexbase : A08787U3, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1304BZC – Plus récemment encore, Cass. civ. 1, 28 juin 2023, n° 21-24.720, F-B N° Lexbase : A2675979, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, juillet 2023, n° 763 N° Lexbase : N6176BZR.
[3] CA Paris, 5-6, 30 mars 2022, n° 20/02033 N° Lexbase : A04197SC.
[4] CJUE, 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, préc.
[5] Point 27.
[6] CJUE, 9 juillet 2020, aff. C-698/18 et C-699/18 N° Lexbase : A80993QZ.
[7] CJUE, 21 décembre 2016, aff. C-154/15 N° Lexbase : A7086SXQ.
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