La lettre juridique n°954 du 20 juillet 2023 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Opération d’achat / revente de biens immobiliers : marchands de biens ou exonération de la résidence principale ?

Réf. : CE 9° ch., 14 juin 2023, n° 461960, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A095093L

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N6311BZR

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

le 19 Juillet 2023

Mots-clés : biens immobiliers • marchands de biens • résidence principale

1.- Le Conseil d’Etat vient de prendre une position intéressante, dans le cadre d’un arrêt inédit au recueil Lebon, au cas d’un couple ayant réalisé plusieurs opérations d’achat/revente de biens immobiliers sur une période de douze ans.

Avant détailler la décision du Conseil d’État (I), nous vous proposons de refaire un point la qualification de marchands de biens (II).


 

I. Le nombre d’opérations et la faible durée de détention des biens sont susceptibles de justifier une qualification en marchand de biens 

2.- L’activité de marchands de biens relève de l’article 35 du Code général des impôts N° Lexbase : L3342LCR. Il s’agit ainsi d’une activité relevant du régime des bénéfices industriels et commerciaux.

L’une des particularités de ce régime est notamment liée à l’imposition des biens immobiliers. En effet, les immeubles construits constituent des stocks de l’entreprise. Dès lors, la cession de ces derniers est imposée dans les conditions de droit commun, sans pouvoir bénéficier du régime des plus-values professionnelles visé à l’article 39 duodecies du Code général des impôts N° Lexbase : L5456MAC.

3.- Exercent une activité de marchand de biens, les personnes qui, habituellement achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles.

Trois conditions [1] doivent être réunies :

  • les opérations doivent être habituelles et les achats doivent être effectués avec l’intention de revendre ;
  • elles doivent consister en achats suivis de ventes ;
  • et porter sur des biens limitativement énumérés par le 1° du I de l’article 35 du Code général des impôts (des immeubles dans la présente affaire).

4.- La caractérisation de l’habitude et de l’intention spéculative sont susceptibles de donner lieu à des contentieux avec l’administration fiscale.

La doctrine administrative [2] définit la notion d’habitude de la manière suivante : « Elle résulte soit de la pluralité des ventes réalisées dans le cadre d'une même opération, soit de l'activité passée ou présente du cédant. Si celui-ci est un professionnel du commerce des biens ou de la promotion immobilière (marchand de biens, promoteur-constructeur, société de construction-vente), il est évident que la notion d'habitude est sous-jacente à la profession exercée ou à l'objet social défini dans les statuts. S'il s'agit, en revanche, d'un particulier, un examen plus approfondi des « antécédents » du redevable peut s'avérer nécessaire. Les opérations qu'il a pu réaliser dans le passé -y compris au cours d'années couvertes par la prescription- doivent être recensées de façon à établir le nombre, l'importance et la fréquence de ces opérations ».

5.- On comprend également en creux, qu’une cession isolée [3] ou unique [4] n’est pas susceptible de caractériser l’existence d’une activité de marchand de biens.

Le nombre et la fréquence des opérations sont ainsi des éléments susceptibles de caractériser la notion d’habitude.

À titre d’exemple, le Conseil d’Êtat [5] a pu considérer qu’une personne ayant acquis 5 immeubles et en ayant revendu 11 en l’espace de trois ans, exerçait une activité de marchand de biens.

En revanche [6], un contribuable qui achète un appartement pour y vivre avec sa famille et qui procède à plusieurs opérations d’achat/revente n’a pas été considéré comme un marchand de biens.

6.- Concernant l’intention spéculative, celle-ci s’apprécie au moment de l’achat [7], et non au moment de la cession. Plusieurs éléments sont susceptibles de caractériser celle-ci ;

  • court délai séparant les acquisitions des opérations de reventes ;
  • montant des bénéfices réalisés ;
  • profession du vendeur ;
  • lotissement effectué immédiatement après l’acquisition ;
  • ….

Pour autant, l’existence d’un délai important entre l’achat et la revente ne suffit pas nécessairement pour exclure l’intention spéculative [8].

7.- La jurisprudence du Conseil d’État a notamment eu l’occasion d’indiquer qu’il convient d’opérer une différence entre « les achats fait avec l’intention de revendre et les opérations concernant le patrimoine privé » [9]. Les cessions relevant du patrimoine privé sont ainsi en dehors de l’activité de marchand de biens.

La jurisprudence a d’ailleurs eu l’occasion d’indiquer que l’intention spéculative ne se présume pas, elle doit être recherchée lors de l’achat.

Sur qui porte la charge de la preuve ?

Il convient de relever ici, que certains arrêts [10] ont pu appliquer un régime de preuve objective.

Dans le cadre de l’arrêt rendu le 2 juin 2006 [11], a utilisé un régime de preuve objective.

Le Commissaire du gouvernement Emmanuel Glaiser [12], dans le cadre de ses conclusions, semblait plutôt s’orienter vers une charge de la preuve pesant sur l’administration fiscale.

Certaines décisions font peser la charge de la preuve sur l’administration fiscale [13].

II. L’absence de remise en cause de la qualification de résidence principale, ou de mise en œuvre de l’abus de droit : l’exclusion du régime de marchand de biens

8.- Ce rapide rappel étant fait, nous pouvons maintenant aborder la position prise par le Conseil d’État le 14 juin 2023.

Dans le cadre de cette affaire, un couple a procédé à neuf opérations d’achat de terrains et de revente de biens immobiliers.

La chronologie des opérations retracées dans l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux [14] est très intéressante.

Entre 1999 et 2012, Monsieur et Madame ont procédé à neuf opérations d’achat de terrains et de revente de biens immobiliers :

  • Le 16 octobre 2006, le couple achète un terrain à Marmande. Une maison est construite sur ce terrain. Celle-ci est achevée le 14 janvier 2008, et vendue le 1er juillet 2008 (moins de 7 mois après l’achèvement des travaux).
  • Le 25 avril 2008, le couple achète un premier terrain à Beaupuy, puis un second le 29 juillet 2008.

Une première maison a été édifiée le 8 janvier 2009, et la vente de celle-ci est intervenue le 16 mars 2009.

Une seconde maison a été achevée le 7 janvier 2010. Un terrain voisin a été acquis le 13 août 2009. La maison et ce terrain ont été mis en vente dans une agence immobilière le 1er octobre 2010.

  • Trois nouveaux terrains ont été acquis les 31 mars 2010 et le 28 juillet 2010, sur lesquels trois maisons ont été édifiées. La première a été achevée le 14 mars 2011 et mise en vente le 1er octobre 2010. Elle a été vendue le 18 mars 2011. La seconde a été achevée le 2 mai 2011 et revendue le 11 août 2011. La troisième a été achevée le 23 août 2011 et revendue le 27 juin 2012.
  • Le 6 août 2011, le couple a acquis un terrain sur lequel une maison a été achevée le 24 mai 2012. Elle a été mise en vente le 30 janvier 2012 et cédée le 3 octobre 2012.
  • Un autre terrain a été acquis le 13 juillet 2012 à Beaupy. Une maison a été achevée le 22 octobre 2012 et vendue le 27 août 2013.
  • Le couple a acquis trois parcelles à Castelnau-sur-Gupie, et fait édifier trois maisons, le 26 juin 2014 et le 6 février 2015. Elles ont été revendues entre le 18 décembre 2014 et le 25 avril 2015.

9.- Le couple a considéré qu’il s’agissait de la cession de résidence principale. Les services de l’administration fiscale ont considéré que, le couple exerçait une activité de marchand de biens relevant du régime des bénéfices industriels et commerciaux. Le couple a ainsi reçu un rappel d’impôt sur le revenu au titre des années 2011 à 2014, et un rappel de TVA du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, et du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015.

Le couple faisait valoir que 7 des 9 cessions portaient sur des immeubles ayant constitué leur résidence principale.

10.- Cependant, cette argumentation n’a pas été suivi, ni par le tribunal administratif Bordeaux (jugement du 5 mars 2020 – n°1801295, n°1801514, n° 1805364, n°18053636), ni par la cour administrative d’appel de Bordeaux.

La juridiction bordelaise a considéré que l’activité de marchand de biens était caractérisée par :

  • le nombre d’opérations réalisées sur la période ;
  • le court délai qui séparait l’achèvement des travaux de constructions de maisons et la revente ;
  • l’achat de nouveaux terrains avant même la réalisation de la vente.

11.- Le couple se défendait notamment en indiquant que sept des opérations visées plus haut ont porté sur des habitations qui constituaient, au moment de leur cession, leur résidence principale. Ils considéraient que ces opérations relevaient de la gestion de leur patrimoine.

La juridiction du fond a notamment considéré qu’ils n’apportaient aucun élément au soutien de leurs allégations. En outre, cette argumentation a été écartée au motif que les factures d’électricité et de téléphone produites montraient une consommation trop faible pour établir que la famille résidait effectivement dans ces maisons.

12.- Dans ce contexte, le Conseil d’État a dû déterminer si la cession habitations qui constituaient la résidence principale du cédant au jour de la cession, en raison du nombre d’opérations et la brièveté entre l’achat et la cession, était susceptible de caractériser une activité de marchand de biens.

Le Conseil d’État a également dû s’interroger sur la charge de la preuve.

13.- Le Conseil d’État précise : « Il résulte de ces dispositions que les bénéfices et le chiffre d'affaires réalisés à l'occasion de la cession d'immeubles sont imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque ces cessions sont faites par un contribuable qui se livre habituellement à l'activité de marchand de biens, sauf pour l'intéressé à établir soit que les immeubles qu'il a vendus avaient été acquis pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux et, de ce fait, que leur vente relevait de la simple gestion de son patrimoine personnel, soit que les immeubles en cause constituaient sa résidence principale.
La seule circonstance qu'un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d'immeubles qu'il affecte à sa résidence principale, sans que l'administration fiscale n'établisse ni qu'il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d'un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l'exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l'article 150-U du Code général des impôts, caractériser une activité de marchand de biens ».

14.- Le positionnement apporté par le Conseil d’État est d’autant plus intéressant lorsque celui-ci est lu au regard du positionnement de la CAA de Bordeaux. L’arrêt rendu par la CAA de Bordeaux s’inscrit dans le cadre jurisprudentiel classique, en identifiant l’habitude et l’intention spéculative.

Il s’inscrit vraisemblablement dans une logique de preuve objective, dans la mesure où il considère que le contribuable n’apporte pas les éléments permettant de caractériser la qualification de résidence principale.

15.- Le Conseil d’État ne se situe pas tout à fait sur cette approche. Premier élément, le Conseil d’État semble adopter une position commune tant pour le régime des bénéfices industriels et commerciaux, que pour la TVA. Ce point est intéressant dans la mesure où les critères de qualification pour ces impôts sont indépendants [15].

Il est étonnant que la haute juridiction administrative ne fasse pas référence à la notion d’intention, alors même qu’il s’agit d’un des points de débats résultant de la position de la CAA de Bordeaux.

16.- Deuxième élément, le Conseil d’État donne l’une des voies d’échappatoire de la caractérisation de l’activité de marchand de biens : l’intéressé doit établir qu’il avait acquis les biens immobiliers pour des besoins personnels ou familiaux. On retrouve ici, la jurisprudence classique en la matière. Cette partie de la solution apportée par le Conseil d’État reprend notamment l’analyse de l’intention au moment de l’acquisition du bien. En considérant que le contribuable doit démontrer celle-ci, là encore, on peut légitimement penser que c’est une référence à la jurisprudence du 2 juin 2006 (déjà citée).

 

[1] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 n° 1 et suivant, en vigueur depuis le 4 janvier 2017 [en ligne].

[2] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 n° 30, en vigueur depuis le 4 janvier 2017 [en ligne].

[3] Cass. com., 16 février 2010, n° 09-65.157, F-D N° Lexbase : A0598ESX.

[4] CAA Bordeaux, 8 décembre 2003, n° 00BX02333 N° Lexbase : A6590DAC.

[5] CE 7° et 8° ssr., 22 juillet 1977, n° 02610 N° Lexbase : A5299B8R.

[6] CE 7° et 9° ssr., 1er juin 1990, n° 48902 N° Lexbase : A5101AQY.

[7] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 n° 50, en vigueur depuis le 4 janvier 2017 [en ligne].

[8] CE Contentieux, 18 novembre 1983, n° 32098 N° Lexbase : A2295AMX.

[9] CE 9° et 7° ssr., 16 décembre 1987, n° 39389 N° Lexbase : A3119AP9.

[10] CE 9° et 10° ss., 25 avril 2003, n° 205099 N° Lexbase : A7641BSS.

[11] Voir note n° 7.

[12] Conclusions Emmanuel Glaser, BDCF, 8-9/06, n° 95.

[13] CE 8° et 9° ssr., 22 mai 1989, n° 57832 N° Lexbase : A1138AQ9.

[14] CAA de Bordeaux, 13 janvier 2022 n° 20BX01455 N° Lexbase : A23037HR.

[15] JCl. Fiscal chiffe d’affaires – Fasc.2055 : taxe sur le chiffre d’affaires.- opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles.- Champ d’application.- Assujettis, n° 23, du 17 février 2022, Roseline Brieu.

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