Le Quotidien du 25 juillet 2023 : Propriété intellectuelle

[Brèves] Demandes d’enregistrement de dénominations en tant qu’IGP : la Commission n’est pas liée par l’appréciation préalable des autorités nationales

Réf. : Trib. UE, 12 juillet 2023, aff. T-34/22 N° Lexbase : A77671AW

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[Brèves] Demandes d’enregistrement de dénominations en tant qu’IGP : la Commission n’est pas liée par l’appréciation préalable des autorités nationales. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/97987214-0
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par Vincent Téchené

le 24 Juillet 2023

► En matière de demandes d’enregistrement de dénominations en tant qu’indication géographique protégée, la Commission n’est pas liée par l’appréciation préalable des autorités nationales. Elle dispose d’une marge d’appréciation autonome pour vérifier qu’une telle demande remplit les conditions d’éligibilité à l’enregistrement prévues par le droit de l’Union

Faits et procédure. Les dénominations « Jambon sec de Corse »/« Jambon sec de Corse - Prisuttu », « Lonzo de Corse »/« Lonzo de Corse - Lonzu » et « Coppa de Corse »/« Coppa de Corse - Coppa di Corsica » ont fait l’objet, en 2014, d’un enregistrement en tant qu’appellations d’origine protégées (AOP).

En 2015, le consortium des Charcutiers Corses (ci-après le consortium) a demandé aux autorités nationales françaises, en application du Règlement n° 1151/2012, du 21 novembre 2012 N° Lexbase : L9174IUC, d’enregistrer les dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté » en tant qu’indications géographiques protégées (IGP).

En 2018, ces autorités ont pris des arrêtés procédant à l’homologation des cahiers des charges correspondants, en vue de leur transmission à la Commission européenne pour approbation.

Le syndicat détenteur des cahiers des charges des AOP « Jambon sec de Corse - Prisuttu », « Lonzo de Corse - Lonzu » et « Coppa de Corse - Coppa di Corsica » a demandé l’annulation de ces arrêtés devant le Conseil d’État. Il faisait valoir que le terme « Île de Beauté » imitait ou évoquait le terme « Corse » et introduisait donc une confusion avec les dénominations déjà enregistrées en tant qu’AOP. Le Conseil d’État a rejeté cette demande, au motif, notamment, que l’emploi de termes différents et la différence des protections conférées par une AOP, d’une part, et par une IGP, d’autre part, sont de nature à écarter ce risque de confusion (CE, 3° ch., 13 février 2020, n° 421821, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A72283EG).

Par décision d’exécution 2021/1879, la Commission a toutefois refusé l’enregistrement des dénominations « Jambon sec de l’Île de Beauté », « Lonzo de l’Île de Beauté » et « Coppa de l’Île de Beauté » en tant qu’IGP. Elle a considéré qu’il est de notoriété publique que la dénomination « Île de Beauté » constitue une périphrase coutumière désignant, univoquement, la Corse aux yeux du consommateur français. Dès lors, les dénominations proposées constitueraient une violation de la protection octroyée aux AOP concernées par l’article 13, paragraphe 1, sous b), du Règlement n° 1151/2012. De ce fait, elles ne respecteraient pas les conditions d’éligibilité à l’enregistrement, à savoir l’article 7, paragraphe 1, sous a), du Règlement n° 1151/2012.

Décision. Le recours formé par le consortium et certains de ses membres contre cette décision est rejeté par le Tribunal de l'Union européenne.

Bien que la Cour comme le Tribunal aient déjà eu l’occasion de statuer sur l’étendue du contrôle par la Commission de demandes d’enregistrement, cette affaire amène le Tribunal à se prononcer pour la première fois sur l’éligibilité d’une dénomination à être enregistrée, a fortiori après que des autorités et des juridictions nationales ont considéré que les consommateurs normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés n’auraient pas, en présence des IGP demandées, directement à l’esprit, comme image de référence, les produits bénéficiant des AOP déjà enregistrées. En outre, c’est également la première fois que le Tribunal se prononce sur la possibilité, pour la Commission, de refuser l’enregistrement d’une dénomination sur la base d’une lecture combinée de l’article 7, paragraphe 1, sous a), et de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du Règlement n° 1151/2012.

Le Tribunal rejette le moyen selon lequel la Commission aurait outrepassé ses compétences et aurait violé l’autorité de la chose jugée.

Le cahier des charges, dont l’élaboration constitue une étape nécessaire de la procédure d’enregistrement, doit notamment comporter la dénomination dont la protection est demandée telle qu’elle « est utilisée dans le commerce ou dans le langage commun ». Il s’ensuit que la Commission doit vérifier que cette utilisation ne viole pas la protection contre l’évocation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du Règlement n° 1151/2012. En effet, admettre l’enregistrement d’une IGP alors que celle-ci serait évocatrice d’une AOP déjà enregistrée priverait d’effet utile la protection prévue par l’article 13, paragraphe 1, sous b), car une fois cette dénomination enregistrée comme IGP, l’appellation précédemment enregistrée comme AOP ne pourrait plus bénéficier à l’égard de celle-ci de la protection prévue à cette disposition.

Dès lors, la Commission ne saurait être tenue d’accorder l’enregistrement d’une dénomination si elle considère illégale l’utilisation de celle-ci dans le commerce.

Deuxièmement, le Tribunal précise l’étendue de l’examen par la Commission de la conformité de dénominations aux conditions énoncées dans le Règlement n° 1151/2012.

À cet égard, la Commission doit procéder à un examen approfondi, par des moyens appropriés, des demandes, afin de s’assurer qu’elles ne comportent pas d’erreurs manifestes et qu’elles ont tenu compte du droit de l’Union et des intérêts des parties prenantes en dehors de l’État membre de demande.

Troisièmement, la Commission dispose d’une marge d’appréciation différente selon qu’il s’agit de la première étape de la procédure d’enregistrement d’une dénomination, à savoir celle au cours de laquelle sont réunies les pièces constitutives du dossier de la demande d’enregistrement que les autorités nationales lui transmettront éventuellement, ou de la seconde étape de cette procédure, à savoir son propre examen des demandes d’enregistrement.

Tandis qu’il ressort de la jurisprudence que, s’agissant de la première de ces deux étapes, la Commission ne dispose que d’une marge d’appréciation « limitée, voire inexistante », elle dispose d’une marge d’appréciation autonome s’agissant de la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou IGP.

Quant à une prétendue violation de l’autorité de la chose jugée, le Tribunal ajoute qu’une décision d’une juridiction nationale passée en force de chose jugée, établissant qu’il n’y avait pas de risque, pour des consommateurs normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, d’évocation entre les AOP enregistrées et les IGP demandées, ne saurait être invoquée en vue de remettre en cause l’appréciation autonome de la Commission de ces conditions d’éligibilité.

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