Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2023, 3 arrêts, n° 21-23.294 N° Lexbase : A330898Z, n° 21-23.387 N° Lexbase : A3311987, n° 21-23.222 N° Lexbase : A3312988, FS-B
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par Lisa Poinsot
le 13 Juillet 2023
► Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;
L’employeur doit pouvoir remédier en temps utile à une charge de travail déraisonnable, en cas de recours à une convention de forfait en jours.
Faits et procédure. Dans l’affaire n° 21-23.294, le contrat de travail d’un salarié comporte une convention de forfait de 216 jours de travail par an. Ce salarié est soumis aux dispositions de la Convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment N° Lexbase : X8155APQ qui :
Dans l’affaire n° 21-23.222, les dispositions de la Convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle N° Lexbase : X8423APN :
Dans l’affaire n° 21-23.387, les dispositions d’un accord d’entreprise, attaché à la Convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire N° Lexbase : X8257API :
Dans la première affaire (n° 21-23.294), la cour d’appel (CA Rennes, 3 juin 2021, n° 18/07581 N° Lexbase : A90274TI) considère que la convention de forfait est nulle au motif que les dispositions conventionnelles sont insuffisantes pour garantir que l’amplitude et la charge de travail permettent d’aboutir à une répartition équilibrée de leur temps d’activité.
Dans la deuxième affaire (n° 21-23.222), la cour d’appel (CA Bourges, 4 juin 2021, n° 20/00753 N° Lexbase : A08164UR) retient que la Convention collective du secteur de l’automobile prévoit un suivi effectif et régulier du salarié bénéficiant d’une convention de forfait en jours permettant d’assurer une durée raisonnable de son amplitude de travail et de préserver sa santé et sa sécurité.
Dans la troisième affaire (n° 21-23.387), la cour d’appel (CA Amiens, 1er septembre 2021, n° 19/07225 N° Lexbase : A111443N) affirme que la convention de forfait en jours est opposable au salarié au motif que l’ensemble des dispositions conventionnelles est conforme aux exigences jurisprudentielles et légales.
Rappel. La Haute juridiction contrôle régulièrement les stipulations des accords de branche autorisant les forfait-jours afin de vérifier que :
Des mentions dans les accords mettant en place les forfait-jours sont imposées. Néanmoins, depuis 2016, l’employeur peut pallier les accords incomplets par la mise en place de mesures permettant de suivre la charge de travail du salarié. Autrement dit, lorsque l’entreprise fait une application directe d’accord de branche au contenu insuffisant, les incidences en matière de rappels de salaire pour heures supplémentaires peuvent être importantes. |
Un pourvoi est formé dans chaque affaire.
La solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation énonce les solutions susvisées au visa de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne N° Lexbase : L2453IPK se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du Code du travail N° Lexbase : L6874K9H, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789, du 20 août 2008 N° Lexbase : L7392IAZ, et l'article L. 212-15-3 du Code du travail N° Lexbase : L7755HBT, interprétés à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la Directive (CE) n° 2003/88, du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003 N° Lexbase : L5806DLM et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
La Haute juridiction opère un contrôle des conventions collectives de branche afin d’apprécier la conformité de leurs stipulations avec l’impératif de la protection de la santé et de la sécurité des salariés.
Elle considère que, dès lors que les dispositions conventionnelles instituant le forfait exprimé en jours sur l’année ne prévoient pas de « suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable », ces dispositions « ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé ».
Rappel. L’article L. 3121-60 du Code du travail N° Lexbase : L6649K97 précise que « l’employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ». Dès lors, le caractère individuel du suivi, l’exigence de qualification de chacun des temps dans le document de suivi, l’implication et la responsabilité de l’employeur dans la tenue du document, ainsi que des entretiens et bilans effectifs et réguliers constituent autant de points indispensables à la validité des conventions individuelles ensuite conclues. |
Les articles de la Convention collective nationale des services de l’automobile (n° 21-23.222), prévoyant la tenue d'un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique, sont considérés, pour la première fois, comme insuffisants. Ces dispositions « ne permettent pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ».
De même, les dispositions de la Convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire (n° 21-23.397) sont pas jugées suffisamment protectrices.
À noter. La Haute juridiction ne donne aucune définition de ce qu’elle entend par la notion de « temps utile », délai sous lequel l’employeur doit intervenir, ni de celle de la durée raisonnable, à l’aune de laquelle doit être appréciée la charge de travail éventuellement incompatible. |
Au contraire, dans l’autre arrêt, les garanties retenues par la Convention collective nationale du bâtiment (n° 21-23.294) sont approuvées. Il est notamment souligné que « l'organisation du travail des salariés fait l'objet d'un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos, qu'un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) est tenu par l'employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, que ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l'ensemble des jours de repos dans le courant de l'exercice ». Ce faisant, un véritable contrôle de la « durée raisonnable de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires » est mis en place par les partenaires sociaux.
Pour aller plus loin :
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