Le Quotidien du 7 juillet 2023 : Bancaire

[Brèves] Prescription de l’action fondée sur un manquement du banquier à son devoir d’information et spécificité des prêts en devise

Réf. : Cass. civ. 1, 28 juin 2023, n° 21-24.720, F-B N° Lexbase : A2675979

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N6176BZR

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par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 05 Juillet 2023

► Il résulte des articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce que l’action en responsabilité de l’emprunteur à l’encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information portant sur le fonctionnement concret de clauses d’un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l’existence et des conséquences éventuelles d’un tel manquement.

Voilà une autre décision s’intéressant au régime du délai de prescription applicable au devoir d’information pesant sur le banquier dispensateur de crédits en devise (V. déjà, Cass. civ. 1, 28 juin 2023, n° 22-13.969, F-B N° Lexbase : A267997D, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, juillet 2023, n° 763 N° Lexbase : N6171BZL), mais aussi aux spécificités des prêts en devise.

Faits et procédure. Les 4 juin et 21 octobre 2004, la banque X. avait consenti à M. et Mme S. deux prêts immobiliers in fine, libellés en francs suisses et remboursables respectivement les 31 juillet 2017 et 31 octobre 2016, aux taux d'intérêt variables indexés sur l'indice Libor trois mois.

Le 26 avril 2016, les emprunteurs avaient assigné la banque en responsabilité et en constatation du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt.

La cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 27 septembre 2021, n° 19/02860 N° Lexbase : A7507478) ne leur avait cependant pas donné raison. D’une part, elle avait déclaré irrecevable, comme prescrite, l’action en responsabilité des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir d’information. D’autre part, elle avait rejeté la demande des emprunteurs tendant à voir réputer non écrites certaines clauses des contrats.

Le couple S. avait alors formé un pourvoi en cassation.

Décision. Plusieurs moyens étaient invoqués.

  • Sur la prescription de l’action en responsabilité

La Cour de cassation commence par indiquer qu’il résulte des articles 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC et L. 110-4 du Code de commerce N° Lexbase : L4314IX3 que l’action en responsabilité de l’emprunteur à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir d’information portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle « celui-ci a eu connaissance effective de l’existence et des conséquences éventuelles d’un tel manquement.

Or, pour déclarer irrecevable comme prescrite l’action des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir d’information, l’arrêt de la cour d’appel avait considéré que les emprunteurs n’avaient pas établi qu’ils avaient pu légitimement ignorer les risques de leur préjudice au moment de la souscription des contrats, de sorte que le point de départ du délai quinquennal de la prescription devait être fixé à la date de conclusion des contrats, et qu'en tout état de cause les conséquences de la dégradation de la parité entre le franc suisse et l'euro s’étaient nécessairement manifestées dès l'année 2009, une dégradation significative de cette parité étant constatée à partir de janvier 2011.

Dès lors, en statuant ainsi, alors que les emprunteurs n'avaient pu connaître l’existence du dommage résultant d’un tel manquement à la date de la conclusion des prêts, la cour d'appel, à qui il incombait de caractériser la date de leur connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur leurs obligations financières, avait violé les textes susvisés

Cette solution, identique à celle figurant dans un autre arrêt rendu le même jour (Cass. civ. 1, 28 juin 2023, n° 22-13.969, F-B, préc.), échappe à la critique. Depuis plusieurs années déjà, la Haute juridiction considère que le délai de prescription de l’action en indemnisation du dommage résultant d’un manquement au devoir de mise en garde débute, non pas à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face (Cass. com., 22 janvier 2020, n° 17-20.819, F-D N° Lexbase : A59293CL ; Cass. com., 8 avril 2021, n° 19-12.693, F-D N° Lexbase : A12194PT ; Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-18.893, FS-B N° Lexbase : A42197HQ, V. Téchené, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 701 N° Lexbase : N9989BYM), c’est-à-dire à partir de la prise de conscience du préjudice résultant de la faute dénoncée.

On regrettera, cependant, que la décision ne dise rien à propos d’une caractéristique des crédits en question : ils étaient in fine. Or, pour une jurisprudence récente (Cass. com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811, FS-B N° Lexbase : A06479A9, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, février 2023, n° 744 N° Lexbase : N4172BZK) « le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face ». Il convient donc d’être arrivé à l’ultime échéance de ce crédit constituée par l’ensemble du capital. Cette différence de jurisprudences peut alors entraîner une incertitude.

  • Sur le droit des clauses abusives

La Haute juridiction commence par rappeler que selon l’article L. 132-1 du Code la consommation N° Lexbase : L6478ABK, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301, du 14 mars 2016 N° Lexbase : L0300K7A, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Elle précise, ensuite, que par un arrêt remarqué du 10 juin 2021 (CJUE, 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19 N° Lexbase : A00904WA, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase, Affaires, juin 2021, n° 680 N° Lexbase : N7922BY3), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l’article 4, paragraphe 2, de la Directive n° 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7, doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur « des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ».

Or, pour rejeter la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 des contrats relatives aux modalités de remboursement des prêts et aux possibilités de conversion en euro des prêts souscrits en franc suisse, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que la description du mécanisme permettant le paiement des échéances avait nécessairement dû alerter les emprunteurs qui ne disposaient pas de ressources en franc suisse, que le recours à la devise suisse n’emportait aucune incidence sur la durée du prêt sauf en cas de remboursement anticipé et que la banque produisait pour chaque prêt une attestation annexée à l’offre, signée des emprunteurs, par laquelle ils déclaraient expressément avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse.

Dès lors, en statuant ainsi, sans constater que le professionnel avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée des contrats, dans l’hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ceux-ci percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel avait violé le texte précité. La cassation est alors prononcée.

Cette solution ne surprendra pas le lecteur. Elle se retrouve dans bien d’autres décisions de la Cour de cassation (V. par ex., Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-16.316, FS-B  N° Lexbase : A08787U3, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1304BZC ;  Cass. civ. 1, 1er février 2023, n° 21-20.168, F-D N° Lexbase : A49829B7). Elle témoigne de l’importance de la jurisprudence de la CJUE dans ce contentieux des prêts en devise.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Droit de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, Le contenu du devoir de mise en garde, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre-Capdeville), Lexbase N° Lexbase : E14203PB.

 

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