Réf. : Cass. crim., 5 avril 2023, n° 22-80.770, F-D N° Lexbase : A32868D3
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par Matthieu Hy, Avocat au Barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence
le 26 Mai 2023
Mots-clés : restitution • tiers appelant • pièces communiquées
Lors du recours contre une ordonnance de refus de restitution rendue par le juge d’instruction sur le fondement de l’article 99 du Code de procédure pénale, le tiers appelant entre les mains duquel la saisie a été opérée ou qui justifie être titulaire de droits sur le bien saisi peut prétendre à la communication des procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie pénale spéciale, des réquisitions aux fins de saisie et de l’ordonnance de saisie d’une part, et des pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles la chambre de l’instruction se fonde dans ces motifs décisoires d’autre part.
Contexte : Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-87.071, FS-P+B+I N° Lexbase : A31933YW
À l’occasion d’une information judiciaire ouverte des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment et association de malfaiteurs, la compagne d’un mis en examen a sollicité du juge d’instruction la restitution de deux sommes saisies en espèces à son domicile et au domicile de sa mère, prétendant, ainsi que l’exige l’article 99, alinéa 2, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7471LPE, avoir des droits sur les biens saisis.
S’étant heurtée à un refus de restitution de la part du magistrat instructeur, la requérante a interjeté appel de l’ordonnance. Devant la chambre de l’instruction, elle a demandé la délivrance de certaines pièces. Lui a été communiquée la copie des procès-verbaux des perquisitions effectuées au domicile de sa mère ainsi qu’à son domicile et de son audition. En revanche, d’autres pièces paraissent lui avoir été refusées, dont celles relatives à une expertise des scellés. La chambre de l’instruction a confirmé le refus de restitution, d’une part, en émettant des doutes quant au fait que les espèces saisies provenaient de l’activité professionnelle de l’appelante ou de cadeaux familiaux et, d’autre part, en rappelant que son compagnon était impliqué dans un important trafic de stupéfiants et qu’il disposait d’un train de vie élevé caractérisé par le brassage d’argent en espèces et d’autres objets de valeur. Cette dernière s’est pourvue en cassation, se fondant notamment sur une violation du caractère contradictoire de la procédure.
Aux termes de l’article 99, alinéa 6, du Code de procédure pénale, « le tiers peut, au même titre que les parties, être entendu par le président de la chambre de l'instruction ou la chambre de l'instruction en ses observations, mais il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure ».
Si les textes prévoient la mise à disposition des « pièces de la procédure se rapportant à la saisie » en matière d’appel d’une ordonnance de saisie pénale spéciale [1], force est de constater qu’une telle règle ne figure pas à l’article 99 du Code de procédure pénale qui paraît priver le tiers appelant de toute pièce de la procédure, quelle qu’en soit la nature.
Dans la présente affaire, par arrêt en date du 27 juillet 2022 [2], la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait transmis au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité de la requérante reprochant à l’article 99, alinéa 6, du Code de procédure pénale de méconnaître le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire. La Haute juridiction avait toutefois estimé la question sérieuse dans la seule mesure où l’impossibilité d’obtenir les pièces se rapportant à la saisie pourrait être susceptible de porter une atteinte excessive au droit à un recours effectif.
Par une décision en date du 28 octobre 2022 [3], rompant totalement avec les textes et la jurisprudence de la Cour de cassation déjà peu protecteurs du principe du contradictoire en matière de droit des saisies, le Conseil constitutionnel a estimé que si la chambre de l’instruction avait le loisir de communiquer certaines pièces se rapportant à la saisie au tiers, ce dernier ne pouvait exiger la communication.
Dans l’arrêt commenté, la Chambre criminelle a été contrainte d’ignorer les errements des Sages, dont il sera démontré plus loin que la solution était en tout état de cause illogique, et de se conformer à sa propre jurisprudence en instaurant un débat contradictoire dont le caractère minimaliste doit toujours être regretté.
Dans un arrêt en date du 21 octobre 2020 [4], se fondant sur l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme, les juges du Quai de l’Horloge ont décidé qu’au cours de la phase de jugement, le tiers sollicitant la restitution d’un bien placé sous main de justice devait se voir communiquer d’une part « les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie, l'ordonnance et, le cas échéant, la décision de saisie » et d’autre part, « les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles [la juridiction] se fond[ait] dans ses motifs décisoires ». Il doit être rappelé que l’article 479, alinéa 2, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9923IQL dispose que « seuls, les procès-verbaux relatifs à la saisie des objets peuvent lui être communiqués ».
Dans l’arrêt commenté, la Chambre criminelle a repris la solution à l’identique en cas d’appel d’une ordonnance de refus de restitution devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel [5].
Cette solution désormais commune aux articles 99 et 479 du Code de procédure pénale s’aligne sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation s’agissant des pièces devant être communiquées à l’appelant d’une ordonnance de saisie pénale spéciale, aussi bien s’agissant du standard minimal exigé [6] que de la règle relative aux pièces précisément identifiées dans les motifs décisoires [7]. Une condition supplémentaire tient au fait que le requérant doit justifier être titulaire de droit sur le bien dont il sollicite la restitution ou que la saisie doit avoir été opérée entre ses mains.
Il est possible d’affirmer que, ce faisant, la Haute juridiction étend au contentieux des saisies de droit commun les règles du contentieux des saisies spéciales. Néanmoins, force est de constater que la solution exposée dans l’arrêt commenté s’applique également à l’appel des ordonnances de refus de restitution ou de mainlevée de biens initialement saisis en application des articles 706-141 N° Lexbase : L7245IMB et suivants du Code de procédure pénale. En effet, l’article 99 du Code de procédure pénale s’applique aux demandes de restitution de tous les biens placés sous main de justice, qu’ils aient fait l’objet d’une saisie de droit commun ou d’une saisie spéciale.
Ainsi comprend-on l’incohérence de la décision du Conseil constitutionnel. En effet, elle revenait à priver l’appelant d’une ordonnance de refus de restitution de pièces auxquelles il aurait pu prétendre en tant qu’appelant de l’ordonnance de saisie pénale spéciale portant sur le même bien.
À l’inverse, il aurait sans doute été incohérent d’assurer une meilleure garantie du contradictoire à l’appelant d’une ordonnance de refus de restitution en lui donnant accès à plus de pièces que celles mises à disposition de l’appelant d’une ordonnance de saisie pénale.
Pour autant, cette restriction de l’accès à la procédure demeure problématique. D’une part, ne transmettre à l’appelant que les pièces strictement liées à la saisie n’est d’aucune utilité dans l’argumentation du demandeur à la restitution. D’autre part, lui communiquer les pièces sur lesquelles la chambre de l’instruction se fonde dans ses motifs décisoires revient à faire respecter le contradictoire une fois la décision prise. Le caractère impraticable de la solution de la Cour de cassation apparaît en l’espèce lorsqu’est opposé à l’appelante le train de vie de son compagnon sans que la chambre de l’instruction ne soit contrainte de communiquer la moindre pièce à ce sujet au seul prétexte qu’elle ne s’appuie sur aucune pièce précise pour étayer son affirmation. Ainsi, plus la motivation est laconique, moins le respect du contradictoire s’impose.
[1] C. proc. pén., art. 706-148, al. 2 N° Lexbase : L5021K8H, 706-150, al. 2 N° Lexbase : L7454LPR, 706-153, al. 2 N° Lexbase : L7453LPQ, 706-154, al. 2 N° Lexbase : L6563MG8 et 706-158, al. 2 N° Lexbase : L7452LPP.
[2] Cass. crim., 27 juillet 2022, n° 22-80.770, F-D N° Lexbase : A32868D3.
[3] Const. const., décision n° 2022-1020 QPC du 28 octobre 2022 N° Lexbase : A21278R9.
[4] Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-87.071, FS-P+B+I N° Lexbase : A31933YW ; également en ce sens : Cass. crim., 7 septembre 2022, n° 21-84.322, FS-B N° Lexbase : A18778HY.
[5] Outre l’arrêt commenté, dans la même affaire, à propos de la demande de la mère de la compagne : Cass. crim., 19 avril 2023, n° 22-80.883, F-D N° Lexbase : A75639Q8.
[6] Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-84.649, F-D N° Lexbase : A0290ZQS ; Cass. crim., 15 janvier 2020, n° 19-80.869, F-D N° Lexbase : A92583BI ; Cass. crim., 15 janvier 2020, n° 19-80.891, F-P+B+I N° Lexbase : A17503BG, n° 19-80.892, F-D N° Lexbase : A91623BX, n° 19-80.893, F-D N° Lexbase : A92413BU, n° 19-80.894, F-D N° Lexbase : A92023BG, n° 19-80.895, F-D N° Lexbase : A92763B8, n° 19-80.896, F-D N° Lexbase : A91503BI, n° 19-80.897, F-D N° Lexbase : A92283BE, n° 19-80.898, F-D N° Lexbase : A91893BX et n°19-80.899, F-D N° Lexbase : A91763BH ; Cass. crim., 5 mai 2021, n° 20-85.917, F-D N° Lexbase : A33494RH ;
[7] Cass. crim., 30 janvier 2019, n° 18-82.644, F-P+B N° Lexbase : A9811YUW ; Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-84.649, F-D N° Lexbase : A0290ZQS ; Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 18-87.097, F-P+B+I N° Lexbase : A0886ZSM ; Cass. crim., 15 janvier 2020, n° 19-80.869, F-D N° Lexbase : A92583BI ; Cass. crim., 15 janvier 2020, n° 19-80.891, préc., n° 19-80.892, préc., n° 19-80.893, préc., n° 19-80.894, préc., n° 19-80.895, préc., n° 19-80.896, préc., n° 19-80.897, préc., n° 19-80.898, préc., n° 19-80.899, préc. ; Cass. crim., 5 mai 2021, n° 20-85.917, préc. ; Cass. crim., 11 mai 2022, n° 20-80.494, F-D N° Lexbase : A09657XZ ; Cass. crim., 8 mars 2023, n° 22-80.896, FS-B N° Lexbase : A92229GN, n° 22-80.897 N° Lexbase : A73969IR, n° 22-80.898 N° Lexbase : A73929IM.
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