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par Vincent Vantighem
le 14 Mai 2023
Des décennies à arpenter les juridictions, ça vous forge le caractère. Et vous aiguise la plume. Ce n’est donc pas pour rien que Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde, est considérée comme la meilleure chroniqueuse judiciaire de France. Aussi, quand il s’agit d’évoquer Hervé Temime, dont le décès a été annoncé le 10 avril dernier par le ministre de la Justice, c’est sans doute à ses mots qu’il convient de se référer. Non pas ceux, brillants, qu’elle a couchés sur la nécrologie qu’elle lui a consacrée, peu après sa mort. Mais ceux qu’elle a publiés, le 5 avril 2019, à l’issue d’une de ses plaidoiries fiévreuses et implacables. Il s’agissait ce jour-là de défendre – de sauver ? – Bernard Tapie de la vindicte judiciaire. « Il est des plaidoiries vaines à qualifier, les superlatifs s’y épuiseraient... », écrivait alors la journaliste en préambule. Avant de retranscrire, à la virgule près, l’envolée d’Hervé Temime qui, ici, obtint l’une des relaxes les plus retentissantes de ces dernières années. Seule façon pour elle de faire preuve de respect face à la « pure intelligence » de l’avocat.
Du talent, donc. Mais pas seulement. Ceux qui ont lu Le Monde ce jour-là n’ont peut-être pas regardé les chaînes d’information en continu en parallèle. Ils y auraient vu le même Hervé Temime, encore en nage d’avoir bataillé pendant des heures, épauler son client à la sortie du prétoire. Lui servir de soutien face à une meute de caméras. De béquille face à la maladie qui l’accablait alors. De l’humanité aussi, donc. Nombreux auraient, alors, été les avocats à jeter un regard noir aux journalistes avides de capter les derniers pas chancelants d’un homme qui se battait, encore, pour ne pas tout perdre. Mais pas Hervé Temime, non. Trop respectueux pour cela. D’un sourire entendu, il indiqua aux journalistes qu’il n’y aurait pas de déclaration. Et tout le monde coupa son micro. Réaction logique face à l’humilité légendaire de la robe noire.
De la SDF accusée de vol à Carlos Ghosn et Gérard Depardieu
Du talent. De l’humanité. De l’humilité. C’était Hervé Temime. Et c’est sans aucun doute pour ces trois raisons qu’il fit autant consensus dans le petit milieu judiciaire durant la dernière décennie qui le consacra, de cette formule ampoulée, « avocat le plus puissant de France ». Journalistes, magistrats, avocats : chacun se souvient avec émotion d’une anecdote, d’une histoire, d’une rencontre avec lui qui changea leur vision des choses.
Prenez « Maître Eolas » connu sur Twitter comme l’infatigable avocat des libertés individuelles et pourfendeur des injustices. Plus habitué à défendre, avec brio, le manifestant arrêté injustement lors d’un rassemblement contre la réforme des retraites que le patron du CAC 40. Pas vraiment le terrain d’Hervé Temime. Et pourtant, au cœur du Printemps 2015, les deux hommes se sont croisés. En grève, les avocats avaient décidé de boycotter les comparutions immédiates. Mais les présidents de la 23e chambre avaient décidé de passer outre et de juger, tout de même, les pauvres hères qui se trouvaient là. Il fallut trouver des avocats en urgence. De ceux capables de marquer le coup. Hervé Temime répondit immédiatement. Et dans son costume sur-mesure, il vint humblement s’occuper de défendre une sans domicile fixe, accusée d’avoir volé des paquets de lames de rasoir dans une épicerie. Avec la fougue habituelle qu’on lui connaît et, évidemment, sans rien demander.
À ce moment-là, Hervé Temime avait déjà bâti sa réputation et sa clientèle. La banque UBS, les laboratoires Servier, l’acteur Gérard Depardieu, le réalisateur Roman Polanski, l’ex-magnat Carlos Ghosn ou encore la famille d’Agnès Le Roux au procès de Maurice Agnelet… De quoi impressionner n’importe qui. Quel journaliste n’a pas eu les mains qui tremblent au moment de composer son numéro de téléphone ? Et pourtant... Je me souviens ainsi de ce matin de juin 2017 où j’avais découvert qu’il avait trouvé une faille dans la procédure ouverte contre un animateur de télévision accusé dans une affaire de mœurs et qu’il défendait. « Il ne me répondra jamais », me dis-je alors. Mais il fallut moins de trois minutes entre le texto et le coup de fil de celui qu’on surnommait déjà « Le Boss ». « Bonjour, c’est Hervé Temime... » Quelle ne fut pas ma surprise quand, trois semaines plus tard, mon portable sonna, à nouveau à ce sujet ? « Bonjour. Vous avez travaillé sur ce sujet. Je voulais juste vous indiquer que la chambre de l’instruction a rendu sa décision. Je ne veux pas apparaître dans votre article. Mais il me semblait normal de vous tenir informé... » L’élégance qu’une chroniqueuse judiciaire résume ainsi : « Contrairement à beaucoup d’autres avocats, Hervé Temime rappelait toujours. Tout le monde. Souvent pour dire qu’il ne voulait rien dire ! Mais il rappelait... »
Dark Vador, les jetons du Palais de la Méditerranée et Thierry Herzog
Où trouvait-il le temps ? Sans doute dans ces nuits, sans sommeil, passées à étudier telle procédure pour mieux défendre. Parce que, finalement, il n’y avait que ça qui le faisait avancer. Né à Alger (Algérie) en 1957, il était arrivé en France à l’âge de quatre ans. Versailles (Yvelines) pour refuge quand il perdit son père à l’âge de dix ans et se réfugier dans l’amour d’une mère et surtout l’humour d’une grand-mère. Peu avant 20 ans, c’est en découvrant Emile Pollak à la télévision. Il serait avocat. Dans la lignée des plus grands. Henri Leclerc évidemment. Et Robert Badinter dont la pensée profonde devint sa ligne de conduite : « Défendre n’est pas aimer. Défendre, c’est aimer défendre inlassablement... »
Et c’est donc ce qu’il fit. Refusant les décorations, il se cachait derrière l’immense « T » qui accueillait les visiteurs dans son cabinet majestueux de la rue de Rivoli. Un musée presque où se côtoyaient les œuvres d’art contemporain et les clins d’œil à sa vie de pénaliste. Tels ces jetons de poker du Palais de la Méditerranée, placés sous une vitre, en souvenir de l’héritière qu’il défendit des années durant. Car Hervé Temime était un amoureux des arts. Capable de défendre Roman Polanski et Gérard Depardieu et de participer en 2015 à une soirée rigolote au « Grand Rex » où une association avait organisé le procès de Dark Vador.
Le côté obscur ne lui faisait pas peur. Bien au contraire. Lui qui avait démarré en défendant les voyous s’était reconverti à l’aube des années 2010 dans la défense pénale des affaires. Celle des décideurs accusés ici d’avoir fraudé le fisc, là de corruption. Et il mettait la même énergie à défendre, pro bono, ses confrères embringués dans des affaires alors qu’ils ne faisaient que leur métier. Thierry Herzog évidemment avec qui il fit ses premières armes et qui se reposa sur lui lors du procès dit des écoutes de Paul Bismuth, dont la décision est attendue dans quelques semaines. Ou encore Xavier Noguéras, accusé il y a quelques semaines encore, d’une tentative d’escroquerie au jugement. Dans ce qui restera comme son ultime plaidoirie, Hervé Temime lui avait lancé : « Je suis sûr que tu garderas ta robe ! » Encore une fois, il avait fait le travail. Mardi 18 avril, la présidente de la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris a prononcé sa relaxe. Juste après avoir réclamé une minute de silence en mémoire d’Hervé Temime.
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