La lettre juridique n°945 du 11 mai 2023 : Sûretés

[Jurisprudence] Retour sur le régime juridique du « cautionnement réel »

Réf. : Cass. com., 5 avril 2023, trois arrêts, n° 21-14.166, FS-B N° Lexbase : A61669MC ; n° 21-18.531, FS-B N° Lexbase : A61679MD ; n° 21-18.532, FS-D N° Lexbase : A43609NS

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N5301BZD

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par Gaël Piette, Professeur à l’Université de Bordeaux, CRDEI, Directeur scientifique de l’ouvrage Lexbase Droit des sûretés

le 28 Juillet 2023

Mots-clés : cautionnement réel • sûreté réelle pour autrui • régime juridique • proportionnalité • bénéfice de discussion • bénéfice de division • réforme du droit des sûretés

La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, elle n'est pas un cautionnement, de sorte que l'action du créancier fondée sur cette sûreté n'est soumise ni aux articles 2288, 2298 et 2303 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021 ni à l'article L. 341-4 du Code de la consommation, alors applicable, peu important que le constituant de la sûreté réelle se soit également rendu caution de la même dette.


 

Ces trois arrêts rendus le même jour (dont deux dans la même affaire) montrent à quel point le régime des sûretés réelles pour autrui, communément surnommées cautionnement réel, n’a pas fini de susciter du contentieux. Les faits étaient relativement semblables dans les trois affaires : une personne physique se porte caution d’un crédit et affecte en garantie, par le biais d’une hypothèque, l’un de ses biens immobiliers. L’hypothèque ne garantit pas l’engagement de caution, mais bel et bien la dette du débiteur principal.

Lorsque le créancier entend procéder à la saisie immobilière du bien hypothéqué, la caution se défend en invoquant la disproportion manifeste de son engagement (sur le fondement de l’article L. 341-4 du Code de la consommation N° Lexbase : L8753A7C alors en vigueur) et, dans l’un des trois arrêts (pourvoi n° 21-14.166), les bénéfices de discussion et de division.

La Cour de cassation rejette de tels moyens de défense, en rappelant au passage sa solution désormais traditionnelle : « la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, elle n'est pas un cautionnement ».

Ces décisions sont l’occasion de revenir brièvement sur le régime des sûretés réelles pour autrui.

Comme son nom l’indique, cette technique consiste à constituer une sûreté réelle (hypothèque, gage ou nantissement principalement) pour garantir la dette d’un tiers. Ainsi, le débiteur n’est pas le constituant de la sûreté. La pratique a rapidement surnommé ce mécanisme « cautionnement réel », puisque, comme dans la sûreté personnelle, il s’agit de garantir la dette d’autrui [1]. La différence est que la caution s’engage sur tout son patrimoine, tandis que la caution réelle n’engage qu’un ou plusieurs biens déterminés.

L’expression « cautionnement réel » n’est sans doute pas étrangère aux doutes qui entourent le régime des sûretés réelles pour autrui. Il était en effet tentant de faire profiter la caution réelle de certains mécanismes protecteurs de la caution, en se fondant sur la considération qu’il s’agit, dans les deux cas, d’un engagement en faveur d’autrui. Ainsi, a été avancée l’idée que certaines règles spécifiques au cautionnement, telles que les obligations d’information, les bénéfices de division et de discussion, les recours après paiement… devraient pouvoir profiter à la caution réelle.

Après des années d’hésitations, la Cour de cassation, réunie en une Chambre mixte, a arrêté une solution (presque…) définitive. Au sujet d’un nantissement, elle décide : « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui et n'étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas » [2]. Que l’on approuve ou que l’on regrette cette décision, il convenait néanmoins de lui reconnaître un mérite : la simplicité. Une hypothèque est soumise au régime juridique de l’hypothèque, qu’elle soit constituée par le débiteur ou par un tiers.

La réforme du droit des sûretés réalisée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D a rebattu partiellement les cartes. Aux termes de l’article 2325 du Code civil N° Lexbase : L0185L8D, « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers.
Lorsqu'elle est constituée par un tiers, le créancier n'a d'action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2299 N° Lexbase : L0173L8W, 2302 à 2305-1 N° Lexbase : L0153L88,  2308 à 2312 N° Lexbase : L0163L8K et 2314 N° Lexbase : L0178L84 sont alors applicables ».

Ce texte ne laisse aucun doute sur la nature de la sûreté réelle pour autrui. Placé dans le titre II du livre IV du Code civil, consacré aux sûretés réelles, l’article 2325 se garde bien d’utiliser l’expression de « cautionnement réel ». Il précise en outre expressément que le créancier n’a d’action que sur le bien grevé. En d’autres termes, la sûreté réelle pour autrui est une sûreté réelle. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de cassation de 2005 est confirmée.

En revanche, en ce qui concerne le régime juridique de la sûreté réelle pour autrui, la jurisprudence de 2005 est infirmée. En disposant que certains textes applicables au cautionnement sont applicables aux sûretés réelles constituées pour garantir la dette d’un tiers, l’article 2325 soumet celles-ci à un régime mixte. Une hypothèque pour autrui, par exemple, relève de deux séries de textes : le droit hypothécaire évidemment, mais aussi une partie du droit du cautionnement. Le cautionnement réel est mort, vive le cautionnement réel…

Les éléments du droit du cautionnement applicables aux sûretés réelles pour autrui sont : le devoir de mise en garde, les obligations d’information, le bénéfice de discussion, les recours après paiement [3] et le bénéfice de subrogation.

Avec ce nouvel article 2325, les difficultés semblent s’évanouir dans les méandres du passé : il est maintenant acquis qu’une sûreté réelle pour autrui n’est pas un cautionnement, mais que son constituant peut profiter de certaines mesures favorables à la caution.

Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples, pour deux raisons. La première tient à l’application de la loi dans le temps, la seconde à la liste établie par l’article 2325.

S’agissant de l’application de la loi dans le temps, la réforme de 2021 a respecté les principes établis en la matière. À l’exception de celles relatives aux obligations d’information, les dispositions nouvelles ne s’appliquent pas aux cautionnements conclus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, à savoir le 1er janvier 2022. Les cautionnements conclus antérieurement à cette date demeurent donc soumis à la loi ancienne. Ou, dans le cas des sûretés réelles pour autrui, à l’absence de loi ancienne…

Ceci aboutit à une dualité de sûretés réelles pour autrui : celles constituées avant 2022 n’empruntent aucune règle du droit du cautionnement, tandis que celles constituées après se voient appliquer les textes mentionnés ci-dessus. Certes, la Cour de cassation pourrait infléchir sa position [4] de 2005, à la lumière du nouvel article 2325. Mais ce n’est pas la solution qu’elle a retenue dans l’arrêt n° 21-14.166, dans lequel elle estime que l’ancien article 2298 N° Lexbase : L1127HIL (relatif au bénéfice de discussion) n’est pas applicable aux sûretés réelles pour autrui. La Cour pourra-t-elle tenir cette position durant encore 15 ou 20 ans, le temps que disparaissent les sûretés réelles pour autrui constituées avant 2022 ? Seul l’avenir nous le dira.

En ce qui concerne la liste établie par l’article 2325, la doctrine n’a pas manqué de relever un oubli du législateur : dans la perspective qui était la sienne, il aurait été logique de faire bénéficier la caution réelle des dispositions du nouvel article 2298 du Code civil N° Lexbase : L0172L8U, relatif à l’opposabilité des exceptions. Il est permis de penser qu’il s’agit d’un oubli, car on ne voit pas trop pour quelle raison le constituant d’une sûreté réelle garantissant la dette d’autrui serait privé du droit d’opposer au créancier des exceptions tirées de cette dette.

Mais cet oubli est le ver dans le fruit. À partir du moment où l’on admet qu’il y a un oubli, il n’est pas inconcevable de soutenir devant les tribunaux qu’il en existe d’autres [5]. Et c’est ainsi que l’on risque de voir fleurir dans les prétoires l’argument selon lequel tel constituant de sûreté réelle pour autrui aurait dû bénéficier de telle mesure favorable aux cautions. L’argument se résume finalement ainsi : ladite mesure ne figure pas dans l’énumération de l’article 2325 ? C’est un oubli du législateur !

Dans les trois arrêts du 5 avril 2023, c’est l’exigence de proportionnalité, alors prévue par l’article L. 341-4 du Code de la consommation, qui était invoquée. Non pas sur la base de l’argumentaire précédemment redouté (celui de l’oubli), mais tout simplement parce que ce texte était en vigueur lors de la conclusion des sûretés réelles en cause [6].

Et la question est alors relativement simple : la caution réelle doit-elle pouvoir invoquer la disproportion manifeste de son engagement, hier sur le fondement de l’article L. 341-4 du Code de la consommation, aujourd’hui sur celui de l’article 2300 du Code civil N° Lexbase : L0174L8X qui aurait été injustement oublié par l’article 2325 ?

La réponse de la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans les trois arrêts du 5 avril dernier est claire : l’exigence de proportionnalité, en l’espèce établie par l’article L. 341-4, est inapplicable aux sûretés réelles pour autrui. Et le fait que les constituants aient en parallèle souscrit des cautionnements est indifférent.

Cette solution mérite d’être pleinement approuvée. L’exigence de proportionnalité prohibe les cautionnements dans lesquels l’engagement de la caution est manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution. Il s’agit alors de comparer le montant du cautionnement et le patrimoine de la caution, afin de déterminer l’éventuelle disproportion.

Une telle mesure est difficilement concevable dans les sûretés réelles. Le montant pour lequel est inscrite l’hypothèque est, par hypothèse, proportionné à la valeur de l’immeuble, puisqu’il est au maximum égal à cette dernière. Et la valeur de l’immeuble est, par hypothèse, proportionnée au patrimoine du constituant, puisqu’elle est intégrée dans ce patrimoine. Quand bien même l’immeuble serait le seul bien composant le patrimoine du constituant, il serait difficile d’affirmer que l’hypothèque est manifestement (l’adverbe est important) disproportionnée à ce patrimoine.

Quitte à vouloir à tout prix intégrer de la proportionnalité dans les sûretés réelles pour autrui, une extension de la règle énoncée par l’article L. 650-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3503ICQ nous semblerait davantage envisageable. Rappelons que ce texte prévoit qu’en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, la responsabilité du créancier dispensateur de crédit peut être engagée dans certains cas, notamment lorsque les garanties prises en contrepartie des concours sont disproportionnées à ceux-ci. Ces garanties peuvent alors être annulées ou réduites par le juge. L’idée ici n’est pas de comparer le montant d’une sûreté personnelle au patrimoine de son signataire, mais de comparer le montant des sûretés prises (qu’elles soient personnelles ou réelles) à celui du crédit accordé [7]. Il serait alors possible de reprocher à une banque d’avoir multiplié, de manière disproportionnée, les garanties pour un même crédit. Par exemple, dans les décisions du 5 avril 2023, les garants s’étaient portés cautions de la dette du débiteur et avaient en outre affecté des immeubles en hypothèque. Le seul cautionnement, ou la seule affectation hypothécaire, n’auraient-ils pas suffi à garantir la créance de manière satisfaisante ? En cas de réponse positive, le juge pourrait annuler ou réduire l’une des sûretés.

À tout prendre, une telle extension de la règle prévue par l’article L. 650-1 du Code de commerce nous paraîtrait plus cohérente que le forçage de celle prévue par l’article 2300 du Code civil (ou auparavant de l’article L. 341-4 du Code de la consommation). Mais ceci supposerait évidemment une intervention législative.

 

[1] J.-J. Ansault, Le cautionnement réel, Defrénois, 2009.

[2] Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18.210, P N° Lexbase : A9389DLC.

[3] Les recours avant paiement n’existent de toute façon plus.

[4] Infléchissement constaté en matière d’inopposabilité des exceptions dans le cautionnement : Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-22.866, FS-B N° Lexbase : A08717US, G. Piette, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1424BZR.

[5] En ce sens, v. d’ailleurs Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil, les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, 8ème éd., 2023, n° 125.

[6] L’argument de l’oubli législatif permettrait quant à lui d’invoquer la disproportion même pour un cautionnement conclu après le 1er janvier 2022.

[7] G. Piette, Une nouvelle proportionnalité en Droit des sûretés: brèves observations sur l'article L. 650-1 du Code de commerce, RLDC, juin 2006, n° 28, p. 27.

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