Le Quotidien du 10 mai 2023 : Actualité judiciaire

[A la une] Zoom sur le projet de loi d’orientation de la justice présenté par Éric Dupond-Moretti

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[A la une] Zoom sur le projet de loi d’orientation de la justice présenté par Éric Dupond-Moretti. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/95814004-a-la-une-zoom-sur-le-projet-de-loi-dorientation-de-la-justice-presente-par-eric-dupondmoretti
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par Vincent Vantighem

le 19 Juin 2023

Sur le mur du vestibule de la Chancellerie, les portraits des anciens gardes des Sceaux sont bien alignés. Un regard suffit pour tous les embrasser. Et pour se souvenir, ici, d’une anecdote, là, d’une réforme qui a fait polémique… Dans quelques années, on se rappellera sans doute la loi d’orientation et de programmation pour la justice présentée cette semaine en conseil des ministres lorsqu’on regardera celui d’Éric Dupond-Moretti. L’ancien avocat ne serait pas contre tant il considère que les deux textes qu’il a ficelés et qui constituent ce corpus législatif vont changer la face de la magistrature pour les prochaines années.

Après « des décennies d’abandon humain et budgétaire », selon ses termes, son projet prévoit, en effet, une hausse historique du budget. Dont les chiffres donnent le tournis : 7,5 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre l’objectif de près de 11 milliards d’euros en 2027. Soit une hausse de 60 % du budget sur les deux quinquennats d’Emmanuel Macron. De quoi permettre de cocher trois cases essentielles aux yeux des autorités : embaucher des personnels, revaloriser le salaire des magistrats et construire de nouvelles places de prison alors que les établissements pénitentiaires actuels saturent, chaque mois, un peu plus.

Mais au-delà de l’aspect strict des moyens, le ministre entend aussi profiter de ce texte, qui sera présenté en juin au Parlement, pour faire passer des dispositions bien précises. La plupart émanent des conclusions des États généraux de la justice ou du programme de campagne du candidat Macron en 2022. Tour d’horizon des principales mesures.

Les renforts arrivent

1 500 magistrats. Autant de greffiers. Et près de 7 000 fonctionnaires ou contractuels. Soit 10 000 embauches d’ici 2027. À bout de souffle depuis des mois, les magistrats vont (enfin) voir les renforts arriver. Si l’on ignore encore comment les personnels seront répartis dans les juridictions (en fonction de critères géographiques ou de la tension dans les services), ils devraient venir soulager des juges épuisés à force de jongler avec les dossiers et inquiets à l’idée de devoir rendre la justice en pleine nuit, tant les audiences s’allongent, mois après mois, notamment lors des comparutions immédiates.

Le projet prévoit ainsi de créer une nouvelle fonction. Celle d’attaché de justice. Elle viendra remplacer les juristes assistants déjà en poste (comme les 300 qui ont été embauchés en 2023). Fonctionnaires ou contractuels, ils seront chargés d’assister et de soutenir les magistrats dans leurs décisions. Et pour anticiper la critique des syndicats qui craignaient que ceux-ci manquent de compétences, le ministre a prévu de les former, de leur faire prêter serment et de les soumettre au secret professionnel.

Cerise sur la fiche de paye : le texte entérine l’idée d’une augmentation moyenne de 1 000 euros pour tous les magistrats de l’ordre judiciaire qui n’avaient pas été augmentés depuis… 27 ans.

La responsabilité des magistrats en question

Du temps où il arpentait les prétoires de France, Éric Dupond-Moretti a souvent pesté contre la difficulté voire l’impossibilité d’engager la responsabilité d’un magistrat qui aurait commis une erreur d’appréciation. Il y a une dizaine d’années, une procédure devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) devait permettre de régler ce problème et d’offrir aux citoyens l’occasion de réclamer des comptes à leurs juges. Trop complexe, trop technique, mal ficelée… Elle n’a jamais vraiment fonctionné.

Le garde des Sceaux entend donc améliorer les choses pour que les justiciables ordinaires puissent réclamer des comptes aux magistrats qui les ont jugés. Les conditions de recevabilité des plaintes seront simplifiées et la commission d’admission des requêtes du Conseil supérieur de la magistrature pourra directement solliciter l’Inspection générale de la justice pour diligenter une enquête administrative.

Cure d’amaigrissement pour le Code de procédure pénale

Sur les plateaux de télévision, Éric Dupond-Moretti a pris l’habitude d’emporter deux livres rouges pour faire la promotion de sa réforme : un petit et un gros. Le petit est le Code de procédure pénale (CPP) datant de 1959 et qui contient huit cents articles. Le gros n’est autre que la version de 2022 qui en contient… trois fois plus. « Certains articles renvoient à d’autres articles qui renvoient à d’autres articles qui renvoient à d’autres articles… », se désespère le garde des Sceaux.

Ce ne sera bientôt plus le cas. Le texte présenté cette semaine en Conseil des ministres habilite le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance pour une recodification du CPP à droit constant. Trop touffu, trop gros, illisible, le CPP va donc être refondu. Pour cela, un comité d’experts est chargé depuis janvier de relire l’ouvrage. Et il va prendre dix-huit mois pour le faire et procéder à des propositions de modification.

Simplification en vue pour certaines règles de procédure

Outre la cure d’amaigrissement générale pour le CPP, les textes de la Chancellerie prévoient d’ores et déjà de « simplifier » certaines règles. Pour répondre à plusieurs demandes, certaines émanant des syndicats de policiers, d’autres des magistrats eux-mêmes. Tous entendus dans le cadre des États généraux de la justice. Exemples : la détention provisoire doit être limitée ; les délais en matière de comparution immédiate doivent être unifiés ; les perquisitions de nuit vont être autorisées en matière de crimes de droit commun. Ce dernier point afin de « prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ».

Autre nouveauté : les juges pourront demander d’activer les téléphones portables des suspects à distance afin de les géolocaliser. Il sera également possible d’activer, à distance, tout appareil connecté afin de capter des sons et des images. Tout ceci n’étant pas applicable quand le suspect se trouve être un parlementaire, un journaliste, un avocat, un magistrat ou un médecin.

Renforcer le statut de témoin assisté

Parent pauvre de la procédure pénale souvent peu utilisé, le statut de témoin assisté va être renforcé. Entre le statut de simple témoin et celui de mis en examen, il permettra désormais de pouvoir faire appel des ordonnances d’expertises commandées par le juge et de demander des contre-expertises, ce qui n’était pas le cas jusque-là. Autre nouveauté dans ce domaine : les justiciables auront désormais la possibilité de contester leur mise en examen dès sa notification. Pour l’instant, ils doivent attendre six mois pour pouvoir faire cela.

Les juges des libertés et de la détention auront le choix

En l’espace de vingt ans, leur charge de travail n’a cessé de s’accroître. Les juges de la liberté et de la détention (JLD) pourront désormais se recentrer sur le pénal. S’ils le souhaitent ! À l’appréciation des juridictions, le président du tribunal pourra, en effet, décider de transférer les compétences des JLD en matière civile (maintien des étrangers en situation irrégulière en rétention administrative par exemple ou hospitalisations sous contrainte) à un autre juge du tribunal judiciaire.

Vers un nouveau « tribunal des activités économiques »

Le ministre veut expérimenter une nouvelle juridiction : le tribunal des activités économiques. Dans neuf à douze juridictions et pour une durée de quatre ans, ces tribunaux auront des compétences élargies par rapport aux actuels tribunaux de commerce. Ils concerneront surtout les agriculteurs et certaines professions libérales. Avec un mot d’ordre : tout faire pour recourir aux règlements à l’amiable des conflits.

Autant de mesures qui doivent donc être débattues dès le mois de juin. D’abord à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Une bonne occasion pour Emmanuel Macron d’oublier (un peu) la réforme des retraites.

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