La lettre juridique n°943 du 20 avril 2023 : Procédure pénale/Action civile

[Brèves] Relaxe pour infraction non intentionnelle : quel juge peut connaître des demandes d’indemnisation des victimes ?

Réf. : Ass. plén., 14 avril 2023, n° 21-13.516 N° Lexbase : A02279P4

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N5123BZR

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par Adélaïde Léon

le 26 Avril 2023

► L’absence de formulation d’une demande de dommages et intérêts devant le juge pénal dans l’hypothèse d’une relaxe d’une personne poursuivie pour une infraction non intentionnelle prive-t-elle la partie civile du droit de saisir ultérieurement le juge civil en réparation de son préjudice ? Pour l’Assemblée plénière, la partie civile qui n’a pas usé de la faculté qu’elle tire de l’article 470-1 du Code de procédure pénale ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes de réparation au juge civil.

Rappel de la procédure. Alors qu’il était en intervention au volant d’un véhicule de secours routier, un sapeur-pompier a été percuté par un automobiliste et est décédé des suites de cet accident. Le conducteur a été poursuivi du chef d’homicide involontaire et la famille de la victime s’est constituée partie civile afin d’obtenir réparation de son préjudice.

Le tribunal correctionnel a jugé l’automobiliste coupable d’homicide involontaire et a répondu favorablement à la demande de dommages et intérêts de la famille du défunt.

La cour d’appel a relaxé l’automobiliste et rejeté la demande de dommages et intérêts des parties civiles faute pour celles-ci d’avoir invoqué l’article 470-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9931IQU(compétence du juge pénal pour connaître, après la relaxe d’une personne à laquelle est reprochée une infraction non intentionnelle, des demandes d’indemnisation formulées par les  parties civiles).

Saisi par les parties civiles d’une demande d’indemnisation de la part de l’assureur de l’automobiliste, le juge civil a déclaré, en première instance et en appel, l’action irrecevable au motif que cette question relevait de la compétence du juge pénal.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a censuré ce raisonnement estimant que l’absence de formulation d’une demande de dommages et intérêts devant le juge pénal dans l’hypothèse d’une relaxe ne prive pas la partie civile du droit de saisir ultérieurement le juge civil en réparation de son préjudice (Cass. civ. 2, 6 juin 2019, n° 18-15.738, F-D N° Lexbase : A9194ZDU). La Haute juridiction a renvoyé l’affaire à une autre cour d’appel.

En cause d’appel. Saisie de ce renvoi après cassation, la cour d’appel de Bordeaux, a relaxé le prévenu et a rejeté les demandes indemnitaires des enfants et épouse de la victime au motif qu’aucune demande d’application de l’article 470-1 du Code de procédure pénale n’avait été formée.

Selon les juges, il résultait de l’article 1351 (devenu 1355 N° Lexbase : L1011KZH) du Code civil que, lorsqu’une juridiction pénale a statué par une décision définitive sur l’action civile, l’autorité de la chose jugée empêche la prise en compte de toute nouvelle demande portant sur les mêmes préjudices, peu important que la juridiction pénale ait débouté les parties civiles de leur demande d’indemnisation.

Les parties civiles ont formé un pourvoi contre cet arrêt. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l’examen du nouveau pourvoi devant l’assemblée plénière.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux d’avoir déclaré leur action irrecevable alors que, selon les parties civiles, le principe de la concentration des moyens ne s’étend pas à la simple faculté qu’a la partie civile, sur le fondement de l’article 470-1 du Code de procédure pénale de présenter au juge pénal les demandes de réparation des dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite. La circonstance que la partie civile n’a pas usé de cette faculté ne rend pas irrecevables, comme méconnaissant l’autorité de la chose jugée, les demandes de réparation des mêmes dommages présentées par elle devant le juge civil.

La Caisse des dépôts et consignation ajoutait notamment que l’article 470-1 du Code de procédure pénale offre une faculté à la partie civile et à l’assureur et qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel avait dénié tout droit aux parties civiles d’exercer la libre faculté qui leur était offerte par ce texte de ne pas soumettre au juge pénal leur demande de réparation sur le fondement des règles du droit civil « pour en réserver l’examen ultérieur au juge civil ».

Décision. L’Assemblée plénière casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux au visa des articles 1351, devenu 1355, du Code civil et 470-1, alinéa 1er du Code de procédure pénale.

Sur l’autorité de la chose jugée. La Cour rappelle que selon le premier texte visé, l’autorité n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement (même chose demandée, sur le fondement de la même cause, entre les mêmes parties et demande formée par elles et contre elles en la même qualité).

Sur le principe de concentration des moyens. La Cour rappelle la portée de ce principe jurisprudentiel (Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 N° Lexbase : A4261DQU) selon lequel il appartient au demandeur à l’action de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci.

Rappelant enfin le sens des dispositions de l’article 470-1 du Code de procédure pénale, l’Assemblée plénière affirme que le pourvoi de l’espèce pose la question suivante : le principe de concentration des moyens s’impose-t-il à la partie civile lorsqu’elle dispose, devant le juge pénal, de la faculté prévue à l’article 470-1 du Code de procédure pénale ?

La Haute juridiction affirme que selon le principe de concentration des moyens, « lorsque la partie civile sollicite du juge pénal qu’il se prononce selon les règles du droit civil elle doit présenter l’ensemble des moyens qu’elle estime de nature à fonder ses demandes, de sorte qu’elle ne peut saisir le juge civil des mêmes demandes » même si celles-ci sont fondées sur d’autres moyens. L’Assemblée plénière retient que la partie civile qui n’a pas usé de la faculté qu’elle tire de l’article 470-1 précité ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes de réparation au juge civil. Dans le cas contraire, la partie civile serait privée de son effet l’option de compétence qui permet de garantir le droit effectif de toute victime d’infraction d’obtenir indemnisation de son préjudice.

En l’espèce, les parties civiles n’avaient pas fait usage du droit qu’elles tiraient de l’article 470-1 du Code de procédure pénale.

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