La lettre juridique n°943 du 20 avril 2023 : Affaires

[Brèves] Jeux d’argent et de hasard : le monopole de la Française des Jeux est justifié !

Réf. : CE, 5e-6e ch. réunies, 14 avril 2023, deux arrêts, n° 436434,436450,436814,436822, 436866 N° Lexbase : A33659PC et n° 436439,436441,436449 N° Lexbase : A33569PY

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N5124BZS

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par Vincent Téchené

le 19 Avril 2023

► Le monopole accordé à la Française des Jeux en 2019 sur l’exploitation de certains jeux est conforme au droit de l’Union européenne ; l’attribution de droits exclusifs à une seule société permet de protéger la santé et l’ordre public en luttant, notamment, contre le risque de jeu excessif et la fraude, par un circuit contrôlé et une progression limitée du nombre de jeux proposés et de points de vente.

Faits et procédure. En 2019, une loi a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société la Française des Jeux (loi n° 2019-486, du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises N° Lexbase : L3415LQK). Le Gouvernement a ensuite pris plusieurs textes, dont une ordonnance (ordonnance n° 2019-1015, du 2 octobre 2019, réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard N° Lexbase : L7996LSX), pour préciser les conditions de ce transfert : attribution de droits exclusifs sur certains segments des jeux d’argent et de hasard, contrôle de l’État, régulation du secteur.

Une association et plusieurs sociétés de jeux ont demandé au Conseil d’État l’annulation de ces textes.

Décision. Tout d’abord en ce qui concerne l’atteinte à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, le Conseil d’État juge que les dispositions contestées, qui réservent à la FDJ l’exploitation des jeux de loterie et des jeux de pronostics sportifs n’instaurent pas d’inégalité de traitement susceptible de défavoriser les entreprises ayant leur siège dans d’autres États membres de l’Union européenne, dès lors qu’elles s’appliquent indistinctement à tous les opérateurs susceptibles de proposer des jeux de loterie, quelle que soit leur nationalité. Toutefois, elles peuvent être de nature à limiter, pour les prestataires de service ressortissants d’un des États membres de l’Union européenne ou installés à l’intérieur de celle-ci, la libre prestation de services que constitue l’exploitation des jeux de hasard et faire obstacle à leur liberté d’établissement.

Mais, le Conseil d’État relève que les dispositions attaquées ont pour objet la protection de la santé et de l’ordre public en raison des risques avérés de jeu excessif, de fraude et d’exploitation des jeux de loterie à des fins criminelles, par la limitation des jeux et leur organisation par une société privée étroitement contrôlée par l’État. Ces objectifs constituent, selon le juge administratif, des raisons impérieuses d’intérêt général de nature à justifier une limitation à la libre prestation de services et à la liberté d’établissement.

Il retient également que le système de droits exclusifs attribués à un seul opérateur institué par la loi peut être regardé comme participant à une progression limitée tant du nombre de jeux proposés que du nombre de points de vente et canalisant l’exploitation des jeux dans un circuit contrôlé. Ceci est alors de nature à assurer une meilleure maîtrise des risques liés aux jeux de hasard et à poursuivre l’objectif de lutte contre la dépendance au jeu de manière plus efficace qu’un régime d’ouverture à la concurrence d’opérateurs privés.

Quant à la durée des droits exclusifs de la FDJ, qui a été fixée à 25 ans par l’article 15 de l’ordonnance du 2 octobre 2019, les juges du Palais Royal retiennent qu’il est loisible à l’État, qui a considéré que seul l’octroi de droits exclusifs à un organisme unique soumis à un contrôle étroit des pouvoirs publics était de nature à lui permettre d’assurer un niveau de protection particulièrement élevé des consommateurs de jeux de hasard, d’octroyer à la FDJ des droits exclusifs, en sachant qu’il lui appartient de s’assurer, pendant toute la période pour laquelle ces droits ont été octroyés, que les mesures restrictives qu’il a ainsi instituées restent proportionnées à la réalisation des objectifs fixés et, dans le cas contraire, d’y mettre fin.

Le Conseil d’État estime également que si la politique de développement des jeux de loterie offerts par la FDJ se caractérise par un certain dynamisme, les obligations et les restrictions qui sont imposées à cette société, (plafonnement du nombre de jeux susceptibles d’être exploités simultanément et encadrement de l’espérance mathématique de gain), ainsi que les modalités de contrôle renforcées exercées sur son activité tant par les représentants de l’État que par l’Autorité nationale des jeux, permettent d’orienter sa politique promotionnelle et de s’assurer que son offre de jeux reste quantitativement limitée et qualitativement aménagée. Ces mesures sont, selon le juge administratif, de nature à éviter l’exploitation de jeux susceptibles de provoquer le développement de pratiques excessives tout en offrant la possibilité à la FDJ d’adapter et de diversifier son offre de jeux afin de répondre aux évolutions des attentes de ses clients, de façon à les détourner des circuits illégaux.

Par ailleurs, les requérantes sont jugées infondées à soutenir que, faute de soumettre les opérations de jeux à la lecture automatisée d’un document d’identité afin de s’assurer que les joueurs sont majeurs, l’ordonnance ne permettrait pas de garantir le respect, de façon cohérente et systématique, de l’objectif de prévention contre le jeu des mineurs que l’État a assigné au titulaire du monopole.

On relèvera en dernier lieu que la Conseil d’État rejette également le grief tiré de l’abus de position dominante. D’une part, il rappelle que la durée d’exploitation du monopole ne constitue pas en elle-même un abus de nature à mettre la FDJ en situation de contrevenir aux stipulations précitées du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. D’autre part, il souligne que les dispositions contestées ne mettent pas par elles-mêmes la FDJ en situation d’abuser de manière automatique de sa position dominante, en exploitant indûment, par exemple sur les marchés concurrentiels des paris sportifs et des jeux de cercle en ligne les moyens et la notoriété qu’elle retire de ses activités sous droits exclusifs ou encore les informations obtenues dans ce cadre sur ses clients et leurs habitudes de jeu.

Pour le Conseil d’État, le monopole de la Française des Jeux est ainsi justifié par des motifs d’ordre public et de maîtrise des risques de dépendance.

Il convient de noter que concernant la rémunération due à l’État par la Française des Jeux en échange des droits exclusifs accordés (fixée à 380 millions d’euros), dont certains requérants estiment qu’elle constituerait une aide d’État illégale en raison de son insuffisance, le Conseil d’État se prononcera après la décision qui sera rendue prochainement par la Commission européenne sur ce sujet.

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