La lettre juridique n°943 du 20 avril 2023 : Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Le don manuel est taxable en l’absence de déclaration spontanée à l’administration fiscale

Réf. : Cass. com., 25 janvier 2023, n° 20-16.700, F-B N° Lexbase : A06369AS

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par Adèle Chikouche, Avocate, Barreau de Lille

le 18 Avril 2023

Mots-clés : patrimoine • don manuel • donateur • administration fiscale • EFSP

Conformément à l’article 635 A du Code général des impôts N° Lexbase : L1132IT4, le donataire qui révèle un don manuel supérieur à la somme de 15 000 euros à l’administration fiscale dispose de la faculté de le déclarer dans le délai d'un mois suivant cette révélation, ou, dans le mois qui suit le décès du donateur.

Cette faculté comporte l'intérêt pour le donataire de différer le paiement des droits de donation sous réserve que ladite révélation soit « spontanée ».

L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 25 janvier 2023 permet de faire toute la lumière sur cette notion de « révélation spontanée », dont le manquement commis par le donataire négligent pourrait entraîner de lourdes conséquences financières.


 

Dans les faits, Madame X est sujet à un examen contradictoire de sa situation personnelle (ESFP) pour les années 2011 à 2013.

Lors d’un premier entretien avec le vérificateur et remise des comptes bancaires à ce dernier, la contribuable indique avoir reçu durant la période faisant l’objet de l’examen, d’importantes sommes d’argent, évaluées à plus d’un million d’euros, versées sur l’un de ses comptes par son père biologique domicilié en Belgique, sans toutefois justifier de la réalité de cette filiation.

Madame X précise à cet effet qu’il s’agissait de donations et, quelques semaines plus tard, dépose les formulaires de révélation de dons manuels, par lesquels elle a demandé à bénéficier de l’option de déclaration de ces dons dans le délai d’un mois suivant le décès du donateur, offerte à l’article 635 A du Code général des impôts.

Ainsi, la donataire a déposé les 6 et 21 décembre 2014 deux formulaires de révélation de dons manuels pour des montants s'élevant à 279 555 euros pour l'année 2011, 943 680,91 euros pour l'année 2012 et 156 000 euros pour l'année 2013, sollicitant le bénéfice de l'option de paiement des droits de mutation afférents à ces dons après le décès du donateur en application de l'article 635 A du Code précité.

L’administration fiscale refusant d’y voir une révélation spontanée – dont découlerait l’impossibilité d’exercer l’option de déclaration différée des dons - adresse à la contribuable contrôlée, une proposition de rectification portant rappel de droits de mutation à titre gratuit.

Par voie de conséquence, l’administration fiscale adresse à la contribuable un rappel de droits, à titre principal, de la somme de 827 544 euros.

Par acte du 29 septembre 2016, et après rejet de sa réclamation, la donataire contrôlée assigne l’administration fiscale aux fins d’obtenir l'annulation de la décision de rejet de réclamation en date du 22 juillet 2016 ainsi que la condamnation de la direction générale des finances publiques au préjudice qu’elle allègue avoir subi, d’ordre moral, outre les dépens.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le litige.

Le 12 juillet 2018, le Tribunal de grande instance de Nanterre déboute la demandeuse de l’intégralité de ses demandes.

Le 12 septembre 2018, la demandeuse déboutée interjette appel.

La procédure est alors pendante devant la cour d’appel de Versailles dont l’arrêt mérite quelques développements (CA Versailles, 28 janvier 2020, n° 18/06414 N° Lexbase : A78033CY).

En appel, la contribuable prétend que le jugement aurait opéré une confusion entre l'article 757 et l'article 635 A du code général des impôts qui permet, lorsque le don manuel en cause est supérieur à 15 000 euros, de différer sa déclaration jusqu'à l'expiration du délai d'un mois suivant la date du décès du donateur.

L’appelante ajoute qu'il y aurait une discrimination entre la révélation des dons manuels inférieurs ou égaux à 15 000 euros pour lesquels n'est pas considéré comme une révélation, le fait de répondre à une question de l'administration fiscale et la révélation des dons manuels supérieurs à cette somme qui, au contraire, peut résulter d'une réponse faite à une question de l'administration fiscale ou d'une procédure de contrôle fiscal.

Enfin, l’appelante fait valoir, pour prétendre au bénéfice de l'option ouverte par le texte susvisé, que son conseil a, dès l'arrivée du vérificateur et lors du premier entretien, déclaré spontanément l'existence des dons manuels dont elle a bénéficié ; qu'elle a déposé des déclarations 2734 intitulées " Révélation de don manuel d'une valeur supérieure à 15 000 euros" le 6 décembre 2014 pour l'année 2011, puis le 21 décembre 2014 pour les années 2012 et 2013, optant pour le paiement des droits après le décès du donateur. Elle prétend qu'il s'agit de révélations spontanées, faites avant toute question du vérificateur, qui ne sont pas la conséquence directe de l'engagement d'une procédure de contrôle dès lors que les dons ont été révélés non pas par le contrôle fiscal mais avant celui-ci et que " ce n'est en aucun cas le contrôle qui a permis à l'administration de découvrir ce don manuel ».

L’appelante soutient enfin que l'administration fiscale a reconnu que les revenus étaient d'origine connue et identifiée compte tenu des déclarations de dons manuels effectuées avec demande de report de la taxation au décès du donateur et lui conteste à tort le bénéfice de l'option qu'elle a prise de report des droits à valoir sur les donations litigieuses alors que le contrôle fiscal s'est achevé par un avis d'absence de redressement.

Face à l’argumentaire soutenu en demande, l'administration fiscale s’attarde sur la distinction de la notion de « révélation » telle que disposée à l’article 757 alinéa 2 du Code général des impôts N° Lexbase : L9389IQS d’une part et, d’autre part, la notion de « révélation spontanée » inscrite à l’article 635 A du Code général des impôts.

L’administration précise en défense que la « révélation » telle que disposée à l’article 757 alinéa 2 du CGI qui prévoit que le don manuel révélé à l'administration fiscale par le donataire est sujet à des droits de donation et n'exige pas l'aveu spontané du don de la part du donataire, par opposition à la « révélation spontanée » qui permet au contribuable d'opter pour la déclaration du don manuel et le paiement des droits y afférents dans le mois qui suit la date de décès du donateur.

La doctrine prévoit en effet que, pour bénéficier de cette option, « la révélation doit être spontanée et non la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure fiscale » (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 - §80 N° Lexbase : X5214ALP).

Appliquant ce raisonnement aux faits d’espèce, l’administration intimée soutient que le fait que le donateur ait avisé la banque de la contribuable contrôlée de la nature des sommes versées et interrogé sa propre administration fiscale, en Belgique n'a pas d'incidence sur les obligations et la situation de la donataire et que n'en a pas non plus la circonstance que l' examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et Mme Y n'ait donné lieu à aucun rappel.

Les Juges d’appel concluent, pour accueillir la demande de décharge des droits, pénalités et intérêts mis à la charge de la contribuable, qu'il appartient à l'administration fiscale, qui conteste au donataire le bénéfice de l'option de déclaration différée ouverte à l'article 635 A du CGI, d'établir soit que la révélation est la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration, soit qu'elle est la conséquence d'une procédure fiscale.

L’arrêt ajoute que l'administration ne soutient pas que la révélation est la conséquence d'une réponse de la contribuable à une demande de l'administration, et retient qu'il n'est pas établi que cette révélation est la conséquence d'une procédure fiscale, puisqu'elle a eu lieu avant le commencement proprement dit de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de la contribuable contrôlée et qu'elle ne résulte pas de la vérification de sa situation, mais d'une déclaration spontanée de la donataire.

Ainsi, les Juges d’appel déduisent que l'administration fiscale n'est pas fondée à dénier à l’appelante, le bénéfice de l'option tendant au différé de la déclaration et du paiement des droits dus au titre des dons manuels révélés.

La cour d’appel de Versailles infirmera le jugement rendu en 1ère instance dans son arrêt du 28 janvier 2020.

Si la juridiction de second degré avait accueilli les demandes de l’appelante, motivant notamment que la révélation a eu lieu « avant le commencement de l’examen » de sa situation, la Haute juridiction marque une rupture avec le raisonnement tenu par la cour d’appel, cassant l’arrêt rendu par cette dernière juridiction.

La Chambre commerciale soutient en effet que « la remise, par le contribuable, de ses comptes bancaires », qui a lieu lors du premier entretien d’un contrôle, n’est pas une révélation spontanée. Il en résulte que cette remise ne saurait être caractérisée de « spontanée », dont la qualification constitue une condition sine qua non pour bénéficier de l'option offerte par l'article 635 A Code général des Impôts.

Par ce raisonnement, les Juges du droit se réfèrent à l’intention du législateur pour procéder à une interprétation stricte de la notion de « révélation spontanée ».

Par voie de conséquence, la contribuable se voit finalement condamnée au paiement de la somme de 920 000 euros, résultant des 60 % de droits pour don auxquels s’ajoutent des pénalités de retards.

Pour conclure, l’article 635 A du Code général des impôts n’a fait naître que très peu de jurisprudences, retenant des solutions parfois contraires à celle rendue dans l’affaire d’espèce.

Récemment, la Chambre commerciale avait adopté une position contraire dans un arrêt du 4 mars 2020 (Cass. com., 4 mars 2020, n° 18-11.120, F-D N° Lexbase : A54033IX). En effet, la Chambre avait retenu que valait révélation de dons manuels, au sens des articles 635 A du code général des impôts, la réponse des contribuables à une demande de l'administration fiscale par laquelle ils lui font connaître l'existence de tels dons.

La solution retenue dans l’arrêt du 4 mars 2020 était particulièrement surprenante dès lors que :

  • le 6 décembre 2016 (Cass. com., 6 décembre 2016, n° 15-19.966, F-P+B N° Lexbase : A3967SPM), la Chambre commerciale retenait que la découverte d'un don manuel lors d'une vérification de comptabilité d'une association, résulterait-elle de la réponse apportée par le contribuable à une question de l'administration formée à cette occasion, ne peut constituer une révélation par le donataire au sens de l'article 757 du code général des impôts ;
  • l’arrêt du 16 avril 2013 (Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-17.414, F-P+B N° Lexbase : A4049KCX) rappelait que la découverte de dons manuels à l'occasion d'une vérification de comptabilité par l'administration fiscale et la mise à disposition par le contribuable de sa comptabilité ne constituent pas une révélation volontaire susceptible de justifier l'application de droits de donation, au sens de l'article 757 du code général des impôts.

Lire en ce sens, S. Cazaillet, Révélation du don manuel : le contribuable actif ou passif ?, Lexbase Fiscal, avril 2013, n° 525 N° Lexbase : N6872BTP.

Finalement, et malgré l’absence regrettée de jurisprudences constantes sur ce point, la décision d’espèce constitue une solution cohérente dès lors que les travaux parlementaires de la loi n° 2011-900, du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L0278IRQ ayant instauré l’option reprise à l’article 635 A du Code général des impôts, révélaient que l'intention du législateur était d'inciter les donataires à révéler spontanément à l'administration fiscale les dons manuels qui leur ont été consentis en réservant la possibilité de différer la déclaration de ces dons et l'acquittement du paiement des droits de mutation à titre gratuit après le décès du donateur aux seules hypothèses de révélation spontanée, et ce, en dehors de toute procédure de vérification ou de contrôle fiscal.

 


 

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