La lettre juridique n°943 du 20 avril 2023 : Responsabilité

[Brèves] Responsabilité pour produits défectueux du gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité (Enedis)

Réf. : Cass. com., 13 avril 2023, n° 20-17.368, FS-B N° Lexbase : A99339N9

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N5106BZ7

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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 20 Avril 2023

► Le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme un « producteur », au sens de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1er, du Code civil, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final ;
en l’espèce, le litige ressortait du seul régime de la responsabilité pour produits défectueux, dès lors que l'action était dirigée contre Enedis, qui est un producteur, en raison d'un défaut de sécurité du produit litigieux, à savoir une surtension provoquée par une rupture du circuit neutre du réseau de distribution ; Enedis a donc pu opposer la prescription triennale.

En l’espèce, le 28 juillet 2010, des dysfonctionnements sont apparus sur des appareils électriques équipant une agence de courtage, qu’une expertise amiable avait attribué à une surtension provoquée par une rupture du circuit neutre du réseau de distribution.

Le 27 mai 2015, soutenant que les dommages étaient imputables à la société Enedis, l’agence et son assureur l'avaient assignée en indemnisation sur le fondement des articles 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et L. 121-12 du Code des assurances N° Lexbase : L0088AAI.

La société Enedis, faisant valoir que seules les règles de la responsabilité du fait des produits défectueux étaient applicables, avait opposé la prescription triennale de leur action. Elle obtient gain de cause.

D’une part, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux était bien applicable ; c’est ce que retient la Cour de cassation, qui se fonde sur l’arrêt de la CJUE qu’elle avait interrogée à titre préjudiciel dans ce litige, s’agissant de la qualité de « producteur » d’un gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité (CJUE, 24 novembre 2022, aff. C-691/21, Cafpi SA c/ Enedis SA N° Lexbase : A97698UD).

D’autre part, le litige ressortait du seul régime de la responsabilité pour produits défectueux, dès lors que l'action était dirigée contre Enedis, qui est un producteur, en raison d'un défaut de sécurité du produit litigieux.

S’agissant de l’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la Cour de cassation rappelle que, selon l'article 2 de la Directive 85/374/CEE N° Lexbase : L9620AUT, pour l'application de cette Directive, le terme « produit » désigne également l'électricité et, selon l'article 3, paragraphe 1, le terme « producteur » désigne le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première ou le fabricant d'une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

La Directive 85/374/CEE a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389, du 19 mai 1998 aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17 du Code civil N° Lexbase : L0945KZZ.

Aux termes de l'article 1386-3, devenu 1245-2, du Code civil N° Lexbase : L0622KZ3, l'électricité est considérée comme un produit et, aux termes de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1er, du même code N° Lexbase : L0625KZ8, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.

Répondant à la question préjudicielle que la Cour suprême avait soumise à la CJUE, cette dernière, dans l’arrêt précité (CJUE, 24 novembre 2022, aff. C-691/21), a dit pour droit : « L'article 3, paragraphe 1, de la Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la Directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, doit être interprété en ce sens que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final. »

Elle a, à cet effet, précisé qu'un gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité ne se limite pas à livrer de l'électricité, mais participe au processus de sa production en modifiant une de ses caractéristiques, à savoir sa tension, en vue de la mettre en état d'être offerte au public aux fins d'être utilisée ou consommée (point 45).

Il en résulte que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme un « producteur », au sens de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1er, du Code civil, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final.

S’agissant de l’exclusivité d’application, en l’espèce, du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du Code civil N° Lexbase : L0637KZM, que, si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents.

Ayant retenu, en premier lieu, que l'électricité constitue au sens de l'article 1386-3 du Code civil un produit, en deuxième lieu, qu'il était établi que le dommage était consécutif à une surtension, liée elle-même à une rupture du neutre du réseau de distribution triphasé d'Enedis, en troisième lieu, que cette surtension était constitutive d'un défaut de sécurité, ce dont elle a déduit que le litige ressortait du seul régime de la responsabilité pour produits défectueux, dès lors que l'action était dirigée contre Enedis, qui est un producteur, en raison d'un défaut de sécurité du produit litigieux, la cour d'appel, qui a ainsi exclu que le manquement invoqué à l'obligation de résultat d'entretien des branchements du réseau constitue un fondement distinct du défaut du produit en cause et procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.

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