La lettre juridique n°941 du 6 avril 2023 : Sociétés

[Jurisprudence] Nullité des décisions collectives pour violation des statuts d’une SAS : important revirement de la Cour de cassation !

Réf. : Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-B N° Lexbase : A80079HZ

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N4926BZH

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par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux

le 05 Avril 2023

Mots-clés : société par actions simplifiée • décision collective • violation des statuts • nullité (oui) • revirement

L'alinéa 4 de l'article L. 227-9 du Code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d'en poursuivre l'annulation.


La Chambre commerciale de la Cour de cassation jugeait, au regard de l’article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L8612LQZ, de manière constante que la violation des stipulations contenues dans les statuts d’une société commerciale n’est pas sanctionnée par la nullité de la décision collective en cause, dès lors qu’il n’a pas été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci et en faisait application en matière de SAS.

Par son arrêt en date du 15 mars 2023, la Haute juridiction procède à un important revirement, en décidant que désormais, le quatrième alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce N° Lexbase : L2484IBM, en ce qu’il ouvre à tout intéressé le droit de demander l’annulation des décisions prises en violation des dispositions de cet article, doit être lu comme visant les décisions prises en violation des clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa de ce texte, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

La singularité, et donc l’attractivité, de la société par actions simplifiée tient, notamment, à la grande liberté laissée aux statuts d’aménager les règles de fonctionnement de la société et, singulièrement, de prise de décision par la collectivité des associés [1]. C’est l’article L. 227-9 du Code de commerce qui constitue, sur ce sujet, la disposition essentielle, posant à son alinéa premier le principe selon lequel les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les conditions et formes qu’ils prévoient. Le deuxième alinéa de ce texte établit une liste de décisions qui doivent être exercées collectivement, tout en laissant aux statuts le soin de fixer les conditions de leur adoption. Le point le plus sensible à propos duquel la Cour de cassation est conduite à se prononcer dans l’arrêt en date du 15 mars 2023 porte sur la sanction susceptible d’être appliquée à une décision collective qui aurait été prise en violation d’une stipulation figurant dans les statuts, en application des deux alinéas précités de l’article L. 227-9 du Code de commerce. Le dispositif normatif est complété par un quatrième alinéa prévoyant que « les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ».

En retenant l’arrêt pour non seulement être publié au Bulletin mais aussi être intégré dans son Rapport annuel, la Chambre commerciale entend donner la pleine notoriété à la position qu’elle adopte, consistant en un authentique revirement au regard de sa jurisprudence antérieure.

Faisant usage de l’adverbe de temps « désormais », la Cour de cassation, prenant le contrepied de ce qu’elle retenait jusqu’alors, juge que le quatrième alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce « doit être lu comme visant les décisions prises en violation des clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».

Nous sommes là, à l’évidence, en présence de ce qu’on peut dénommer un « grand arrêt » qui suscite, légitiment, la plus grande attention, tant au regard de ses aspects théoriques que pratiques. Pour tenter d’en donner une analyse, tout à la fois prudente et exploratoire, il convient d’examiner d’abord le principe de la nullité désormais encourue pour violation des statuts de la SAS (I), avant de s’attacher au régime de cette nullité (II).

I. Le principe de la nullité encourue pour violation des statuts de la SAS

La mesure du revirement. Comme le rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt sous examen, sa position traditionnelle était de ne pas retenir systématiquement la sanction de la nullité de l’acte ayant été adopté en violation d’une stipulation statutaire comme d’un règlement intérieur [2]. Selon une approche pragmatique, consistant à évaluer les effets négatifs qui seraient attachés à l’application d’une telle sanction, la Haute juridiction a en effet adopté une position consistant à juger, au regard de l’article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce, que la nullité ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du Code de commerce ou des lois qui régissent les contrats et, qu’en conséquence, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur d’une société commerciale n’est pas sanctionné par la nullité [3]. Le recours à la sanction de la nullité était toutefois réservé pour l’hypothèse où il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci. Une application de cette position avait été retenue à propos d’une SAS, par un arrêt en date du 26 avril 2017 [4]. C’est d’ailleurs à ce courant jurisprudentiel que l’auteur du pourvoi se référait en reprochant à la cour d’appel [5] de ne pas l’avoir repris, pour l’espèce qui lui était soumise, et d’avoir prononcé l’annulation des délibérations qui étaient en cause.

On rappellera que cette position se situait en cohérence avec celle par ailleurs adoptée à propos d’une société civile, au regard des dispositions de l’article 1844-10 du Code civil N° Lexbase : L8683LQN, consistant à écarter la nullité d’un acte ou d’une délibération pris en violation des statuts de la société [6]. La même réserve que celle exprimée dans l’arrêt de la Chambre commerciale du 18 mai 2010 [7] était exprimée, pour les cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci.

Par sa décision en date du 15 mars 2023, la Haute juridiction réalise donc un véritable revirement de sa jurisprudence, assumé comme tel et justifié en considération des caractéristiques propres à cette forme de société. L’arrêt mentionne en effet que puisque l’organisation et le fonctionnement de la SAS relèvent essentiellement de la liberté statutaire, le respect des stipulations portées dans les statuts « est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes ». La Chambre commerciale reconnaît que la position jusqu’ici adoptée constituait une limitation à la possibilité de voir sanctionner par la nullité la méconnaissance des dispositions statutaires, ce qui conduisait à ce que leur violation ne puisse être sanctionnée. Selon l’opportune formule d’un auteur, par son arrêt la Cour de cassation « réinjecte la sanction de nullité afin de garantir la force obligatoire des statuts de SAS » [8]. Il est vrai que le simple risque de voir engager sa responsabilité en réparation du préjudice qui résulterait du non-respect d’une stipulation statutaire n’est pas de la même facture.

Le périmètre du revirement. La portée de la décision commentée doit bien être délimitée sur deux points complémentaires : d’abord au regard de la forme de société concernée et, ensuite, au sein de la SAS, en considération des décisions collectives qui seraient visées.

En premier lieu, il convient de relever que le revirement de jurisprudence, qui ouvre la voie à la nullité d'une décision collective prise en violation d’une stipulation statutaire, ne concerne que la société par actions simplifiée. Alors même que c’est bien au regard de l’article L. 235-1 que le tribunal est saisi d’une demande en nullité d’une décision collective et que ce texte figure au titre III du livre II du Code de commerce, contenant les « Dispositions communes aux diverses sociétés commerciales », la position nouvelle voit son champ d’application limité aux SAS, comme cela ressort très explicitement de l’arrêt. Pour les autres sociétés commerciales, notamment les SARL et les SA, le positionnement jurisprudentiel antérieur demeure d’actualité.

En second lieu, et surtout, la question se pose de savoir si ce sont toutes les décisions collectives susceptibles d’être prises au sein d’une SAS qui sont comprises dans le périmètre du revirement, et donc qui courent le risque d’une annulation pour violation d’une stipulation statutaire. Il faut d’abord relever que l’arrêt ne vise expressément que « les clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa » de l’article L. 227-9 du Code de commerce. Cette restriction fait naître un doute légitime. Compte tenu de l’importance de l’arrêt, tout porte à croire qu’il a fait l’objet d’une rédaction et d’une relecture attentive, et qu’en ne visant que l’alinéa premier, la Haute juridiction n’intègre pas le deuxième alinéa dans le champ de la position nouvelle adoptée. On rappellera que si ce dernier texte donne une liste des attributions dévolues aux AGE et AGO des sociétés anonymes (notamment : variations du capital, fusion, scission, dissolution, transformation…) qui doivent être exercées collectivement par les associés, il confie aux statuts le soin de fixer « les conditions » dans lesquelles lesdites décisions doivent être prises. Il serait, toutefois, regrettable qu’il en soit ainsi et l’on espère qu’une prochaine occasion sera donnée à la Chambre commerciale de compléter son œuvre en incluant les décisions collectives relevant du deuxième alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce, dès lors que, justement, les décisions en cause sont parmi les plus importantes dans la vie d’une société et qu’il serait, désormais, curieux qu’elles ne courent pas le même risque d’annulation que celles qui se rattachent au premier alinéa.

Au-delà, d’autres décisions collectives sont envisagées dans plusieurs textes régissant la SAS, dont l’importance n’est pas moindre au regard du fonctionnement de la société et pour lesquelles la nullité pour violation d’une stipulation statutaire pourrait paraître tout aussi bienvenue. On pense notamment aux clauses des statuts destinées à assurer le contrôle de l’actionnariat, qu’il s’agisse de celles relatives à l’obtention d’un agrément préalablement à toute cession [9] ou à la cession forcée des actions détenues par un associé [10]. On peut estimer que, sur ces points essentiels, la décision collective qui aurait été prise en violation des formes et conditions prévues par les statuts pourrait entraîner l’annulation de la décision en cause. Pour autant, sans doute faut-il exclure ces décisions, de même que celles qui porteraient sur la direction de la société, puisque selon l’article L. 227-5 du Code de commerce N° Lexbase : L6160AIY, « les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée », de la nouvelle orientation jurisprudentielle exprimée dans l’arrêt commenté. La Haute juridiction ayant pris le soin de se positionner au regard de l’article L. 227-9, toute autre décision collective qui n’est pas visée par les dispositions des alinéas 1er ou 2 de cet article devraient continuer à relever des dispositions de l’article L. 235-1 du Code de commerce, qui constitue le droit commun applicable aux sociétés commerciales, à défaut de règle particulière qui y ferait exception, comme l’article L. 227-9. Le positionnement jurisprudentiel traditionnel devrait, dans ces hypothèses également, conserver sa pertinence.    

II. Le régime de la nullité encourue pour violation des statuts de la SAS

La condition tenant à l’impact de la violation de la clause statutaire. Même si la Chambre commerciale de la Cour de cassation l’a placée entre deux virgules, ce qui pourrait lui donner une importance secondaire, la condition essentielle pour que la violation des statuts puisse aboutir à la nullité de la décision collective en cause mérite d’être relevée. Selon le libellé de l’arrêt, la sanction de la nullité sera encourue « lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision ».

Cette restriction au prononcé de la nullité est susceptible d’affecter fortement la réalité du risque d’annulation encouru. Évidemment, la Cour de cassation se garde bien de donner quelque indice que ce soit de ce qui pourrait répondre à la condition ainsi formulée. Chaque mot employé est susceptible de faire naître bien des interrogations. On peut penser, pour le regretter, que l’interprétation de cette condition ne manquera pas de susciter du contentieux. Il faut d’abord relever qu’il appartiendra au juge du fond saisi de se positionner sur ce point, au risque, à défaut, de subir la sanction de la Haute juridiction pour n’avoir pas caractérisé la condition qu’elle avait posée pour le prononcé de la sanction de nullité. Par voie de conséquence, la Chambre commerciale gardera sous sa main ce qui sera, ou non, admis comme répondant à l’exigence ainsi posée. Sans doute, la violation des conditions de quorum et de majorité sera considérée comme « de nature à influer sur le résultat du processus de décision », mais on pourrait estimer que le non-respect des modalités de réunion des associés, de communication préalable de documents, d’expression des opinions des associés préalablement au vote, dès lors qu’elles auront été établies dans les statuts, pourraient aussi justifier l’annulation de la décision en ce que cela affecte le « processus de décision ». Il faudra donc suivre avec la plus grande attention les suites que la Chambre commerciale entendra donner à ce nouveau positionnement jurisprudentiel.

L'évitement de l'effet de la nullité par la régularisation de la décision litigieuse. Bien évidemment, il convient de relativiser le risque attaché au prononcé de la nullité de la décision collective en la resituant dans le contexte normatif qui lui est applicable. On rappellera que l’effet d’annulation peut être évité à deux moments procéduraux. En premier lieu, selon les dispositions de l’article L. 235-3 du Code de commerce N° Lexbase : L6340AIN, l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de nullité a cessé d’exister au jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social. En second lieu, aux termes de l’article L. 235-4 du Code de commerce N° Lexbase : L6341AIP, le tribunal de commerce, saisi d’une action en nullité, peut, même d’office, fixer un délai pour permettre de couvrir les nullités. La précision est même apportée par le texte que le tribunal ne peut prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l’exploit introduction d’instance. Le texte de l’article L. 227-9, au regard duquel la Cour de cassation se prononce dans le présent arrêt, laisse intact le champ d’application des deux dispositions susvisées, qui participent du droit commun du régime des nullités des décisions collectives prises au sein des sociétés commerciales.

Pour autant, même si l’effectivité de la nullité peut être atténuée, cela ne saurait conduire à minimiser l’impact du revirement de jurisprudence réalisé par l’arrêt sous examen. La pratique devra urgemment en tenir compte lors de la rédaction initiale des statuts d’une SAS ou lors d’une modification en cours de vie sociale. Les formes et conditions d’adoption des décisions collectives, relevant des dispositions de l’article L. 227-9 du Code de commerce, devront être prévues avec attention, en ce que cela constitue, désormais, autant de cas potentiels d’annulation de la décision qui y contreviendrait.


[1] V. not. P. Le Cannu et B. Dondéro, Droit des sociétés, LGDJ, 7ème  éd., n° 957 et s.

[2] V. not. M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 35ème éd., n° 719.

[3] Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A3869EXL, Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 651, note H. Le Nabasque ; D., 2010, p. 2405, note F. Marmoz ; Dr. sociétés, 2010, n° 156, note M.-L. Coquelet ; JCP E, 2010, 1562, note A. Couret et B. Dondéro et 1000, n° 2, obs. Fl. Deboissy et G. Wicker ; Rev. Sociétés, 2010, p. 374, note P. Le Cannu ; J.-B. Lenhof, Lexbase Droit privé, juin 2010, n° 398 N° Lexbase : N3079BPQ.

[4] Cass. com., 26 avril 2017, n° 14-13.554, F-D N° Lexbase : A2549WBZ, Dr. sociétés, 2017, n° 141, obs. C. Coupet ; Rev. Sociétés, 2017, p. 422, note D. Schmidt.

[5] CA Rennes, 15 juin 2021, n° 18/02443 N° Lexbase : A06634WH.

[6] Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-15.283, F-P+B N° Lexbase : A5907KAZ, Bull. Joly Sociétés, 2013, p. 402, note F.-X. Lucas ; Dr. sociétés, 2013, n° 98, note R. Mortier et n° 118, note H. Hovasse ; JCP E, 2013, 1289, note B. Dondéro ; Rev. Sociétés, 2014, p. 51, note P. Le Cannu ; D. Gibirila, Lexbase Affaires, avril 2013, n° 334 N° Lexbase : N6558BT3.

[7] Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS-P+B+I+R, préc.

[8] J. Delvallée, note sous l’arrêt, Dalloz Actualité, 28 mars 2023.

[9] C. com., art. L. 227-14 N° Lexbase : L6169AIC.

[10] C. com., art. L. 227-16 N° Lexbase : L6171AIE.

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