Le Quotidien du 20 mars 2023 : Avocats/Accès à la profession

[Brèves] Avocats « passerelles » : le doute sur leur « parfaite maîtrise juridique » est-il permis ?

Réf. : QE n° 5598 de Mme Christelle D'Intorni, JOANQ 14 février 2023 p. 1342 , réponse publ. 14 mars 2023 p. 2456, 16e législature N° Lexbase : L1929MHW

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par Marie Le Guerroué

le 17 Mars 2023

► Le ministère de la Justice considère que les voies d'accès dérogatoires à la profession d'avocat prévues à l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 répondent aux exigences nécessaires et proportionnées qu'imposent les missions d'intérêt général confiées à l'avocat et dont l'activité participe à l'État de droit.

  • Question parlementaire

La députée Christelle D'Intorni attirait l'attention du garde des Sceaux sur l'existence de la dispense de formation initiale dans un centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) et de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) permise par l'article 98 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID, pour certaines personnes souhaitant prêter serment et exercer la profession d'avocat. Selon elle, bien qu'il y ait quelques conditions posées par ce décret visant à encadrer la passerelle, celles-ci ne sont pas suffisantes pour écarter avec certitude le doute qui pourrait exister sur la parfaite maîtrise juridique de ceux qui deviennent avocat par ce biais. Selon la députée, la profession d'avocat pâtirait de l'idée que les Français puissent avoir affaire à deux « types » d'avocats, selon la manière dont ils sont parvenus à l'honneur de revêtir la robe. Si ce doute semble pouvoir être raisonnablement écarté pour les professions telles que notaires, huissiers de justice, greffiers de tribunaux ou encore maîtres de conférence titulaires d'un doctorat en droit, pour lesquelles d'ailleurs la condition d'année nécessaires d'exercice est réduite, il est en revanche plus présent pour les autres bénéficiaires de cette passerelle. Aussi elle demande au garde des Sceaux si, dans le but de renforcer l'image d'excellence de la profession d'avocat, s'il entend renforcer les exigences requises par cette passerelle pour les catégories 3 à 7 de l'article 98 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID, en proposant par exemple l'obligation de suivre la formation initiale en école d'avocat et de sanctionner leur aptitude par la validation du CAPA.

  • Réponse ministérielle

Le rappel des activités concernées. L'article 98 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat permet à sept catégories de personnes, candidats à la profession d'avocat, d'être dispensées de la formation initiale et de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) en fonction des activités qu'ils ont précédemment exercées.

Il s'agit principalement :

  • des professions judiciaires et juridiques réglementées (1°) ;
  • des maîtres de conférences (2°) ;
  • des juristes d'entreprise (3°) ;
  • des fonctionnaires de catégorie A (4°) ;
  • des juristes attachées à l'activité juridique d'une organisation syndicale (5°) ;
  • des juristes salariés d'un avocat ou d'un avocat aux conseils (6°) ;
  • et des collaborateurs et assistants parlementaires (7°).

La condition de diplôme. En premier lieu, le ministre de la Justice précise que la dispense n'exonère pas ces candidats à la profession d'avocat des autres conditions posées à l'article 11 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et notamment la condition de diplôme.

Les conditions très précises et très strictes pour chaque catégorie. Le ministre ajoute que les dispositions réglementaires prévues à l'article 98 posent des conditions très précises et très strictes, comme le fait d'être fonctionnaire de catégorie A (4°), de justifier d'une pratique professionnelle postérieurement à l'obtention du diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ (6°) ou encore d'exercer cette activité juridique à titre principal avec le statut de cadre (7°). Il peut être également noté, qu'alors que les deux premières catégories exigent une durée d'exercice d'au moins cinq ans, les catégories professionnelles visées du 3° au 7° imposent huit années d'exercice.

L'interprétation restrictive de la Cour de cassation. Par ailleurs, s'agissant de voies d'accès dérogatoires, la Cour de cassation en fait une interprétation restrictive. Elle définit ainsi le juriste d'entreprise comme étant celui qui assume de façon autonome et organisée des attributions le plaçant de manière constante au cœur de la vie juridique de l'entreprise et rendues nécessaires par la taille de celle-ci, le nombre de ses collaborateurs et employés, la nature juridique de ses prestations, l'engagement de sa responsabilité civile, le recouvrement de ses créances, la mise en œuvre de ses diverses obligations de nature contractuelle, administrative, fiscale (Cass. mixte, 6 février 2004, n° 00-19.107, publié au bulletin N° Lexbase : A2248DBU). S'agissant du fonctionnaire ayant exercé dans une organisation internationale (et notamment européenne), la Cour de cassation s'assure de la connaissance effective du droit national par le candidat admis à exercer la profession. Dans un arrêt du 5 mai 2021, la première chambre civile (Cass. civ. 1, 5 septembre 2018, n° 17-21.206, F-D N° Lexbase : A7175X37) a confirmé la décision des juges d'appel qui ont considéré que le fonctionnaire européen, qui ne justifiait d'aucune pratique du droit national, ne remplissait pas les conditions de l'article 98. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que le droit de l'Union européenne ne s'opposait pas à une réglementation nationale qui réservait le bénéfice d'une telle dispense à la condition que l'intéressé ait exercé des activités juridiques dans le domaine du droit national (CJUE, 17 décembre 2020, aff. C-218/19, Adina Onofrei N° Lexbase : A71634AK). S'agissant du juriste attaché à l'activité juridique d'une organisation syndicale, la Cour de cassation exige que l'activité syndicale soit exclusive et s'exerce au sein d'une organisation syndicale au sens des articles L. 2231-1 et L. 2131-2 du Code du travail ou pour partie par des organismes qui ne constituent que des émanations de ce syndicat (Cass. civ. 1, 12 mars 2002, n° 01-00.404, FS-P N° Lexbase : A2302AYW). Comme pour les juristes d'entreprise ou les fonctionnaires, la première chambre civile a rappelé que :

« l'activité juridique visée à l'article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991 doit avoir été exercée sur le territoire français, dès lors que la prise en compte de cette expérience permet de passer outre les épreuves d'admission au certificat français d'aptitude à la profession d'avocat selon la procédure dérogatoire prévue par ce texte ; […] que cette condition, indépendante de la nationalité du requérant, n'est pas discriminatoire à l'égard des ressortissants d'autres États membres de l'Union européenne, qui peuvent la remplir s'ils ont travaillé en France, et qu'elle est indispensable pour garantir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession sur le territoire national ; que la cour d'appel a ainsi fait ressortir que cette réglementation se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général de protection des justiciables, qu'elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'exigeant des connaissances et qualifications de nature à protéger les droits de la défense et la bonne administration de la justice, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre » (Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 14-25.800, FS-P+B+I N° Lexbase : A9197SR3).

S'agissant du juriste visé au 6°, la dispense est soumise à la qualité de salarié et à une pratique professionnelle d'une durée de huit années en exécution d'un emploi à plein temps (Cass. civ. 1, 3 juillet 2008, n° 07-15.551, F-D N° Lexbase : A4901D9E ; Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 08-10.036, F-D N° Lexbase : A9602ECM). S'agissant enfin des collaborateurs et assistants parlementaires, la Cour de cassation a considéré que la requérante attachée en qualité d'assistante à un groupe parlementaire plutôt qu'à un député ou un sénateur ne remplissait pas les conditions posées par le texte (Cass. civ. 1, 6 février 2019, n° 18-50.003, FS-P+B N° Lexbase : A6086YWC).

En outre, conformément à l'article 98-1 du décret du 27 novembre 1991, les personnes bénéficiant d'une des dispenses prévues à l'article 98 doivent avoir subi avec succès un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle et nul ne peut se présenter plus de trois fois à cet examen. L'examen est national et se déroule devant le même jury que celui du CAPA. L'admission est prononcée au vu de la note obtenue par le candidat, qui doit être au moins égale à 12 sur 20. Enfin, comme tous les avocats, ces professionnels devenus avocats seront soumis aux obligations de formation continue (20 heures par an ou 40 heures tous les deux ans), comme tous leurs confrères. En conséquence, au regard de l'ensemble de ces éléments, le ministère de la Justice considère que les voies d'accès dérogatoires à la profession d'avocat prévues à l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 répondent aux exigences nécessaires et proportionnées qu'imposent les missions d'intérêt général confiées à l'avocat et dont l'activité participe à l'État de droit.

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