Le Quotidien du 13 février 2023 : Droit pénal de la presse

[Brèves] Article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 : qualité de victime et conséquences de la contribution de celle-ci à son identification

Réf. : Cass. crim., 7 février 2023, n° 22-81.057, F-B N° Lexbase : A61279BK

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N4317BZW

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[Brèves] Article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 : qualité de victime et conséquences de la contribution de celle-ci à son identification. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/93148384-breves-article-39-i-quinquies-i-de-la-loi-du-29-juillet-1881-qualite-de-victime-et-consequences-de-l
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par Adélaïde Léon

le 20 Mars 2023

► La qualité de victime de l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 n’est pas réservée aux seules victimes reconnues comme telles par décision définitive ayant prononcé la condamnation de l’auteur des faits, mais s’applique à toute personne se présentant comme telle ;

L’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 constitue une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression ; Pour rechercher l’équilibre avec le droit à la vie privée, le juge doit examiner si la diffusion de l’identité de la victime d’infraction sexuelle contribue ou non à un débat d’intérêt général, tenant compte de l’éventuelle notoriété de la personne visée et de son comportement avant la diffusion, de l’objet de cette dernière, son contenu, sa forme et ses répercussions.

Rappel des faits et de la procédure. Le 11 octobre 2019, alors qu’il savait que l’intéressée y était opposée, un homme a dévoilé dans un communiqué de presse publié sur un site internet ainsi que dans son ouvrage, l’identité d’une victime d’agression sexuelle.

Cette dernière a porté plainte contre un individu pour le délit de publication d’identité d’une victime d’agression sexuelle, prévu et réprimé par l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881.

Ont été cités de ce chef devant le tribunal correctionnel, l’individu visé dans la plainte en tant qu’auteur principal s’agissant du communiqué et en tant que complice s’agissant de l’ouvrage, ainsi que le directeur de la publication, en qualité d’auteur principal s’agissant de l’ouvrage.

Les deux prévenus ont été déclarés coupables. L’homme cité dans la plainte a été condamné à 3 000 d’amende dont 2 000 euros avec sursis.

Les prévenus et la partie civile ont formé appel à titre principal. Le ministère public à titre incident.

En cause d’appel. S’agissant de l’auteur du communiqué de presse et du livre, celui-ci a été reconnu coupable de diffusion d’image ou de renseignement sur l’identité d’une victime d’agression ou d’atteinte sexuelles sans son accord écrit et complicité et condamné à 1 000 euros d’amende.

Les juges d’appel ont précisé qu’il importait peu que l’identité de la victime ait déjà été révélée ou qu’elle ait contribué à son identification dès lors que l’article 29 quinquies de la loi précitée vise la seule diffusion d’informations concernant l’identité d’une victime. La cour a également noté que si la victime avait diffusé des photographies, elle avait uniquement communiqué sous le pseudonyme « [R] ». Les juges ont noté que le prévenu avait agi en connaissance de cause et ne démontrait pas que la diffusion du nom de la partie civile était nécessaire à l’exercice des droits de la défense.

Enfin, s’agissant de la peine, les juges ont tenu compte du fait que la partie civile avait contribué à son identification, notamment en diffusant sa photographie et en faisant figurer son nom en qualité d’organisatrice d’une cagnotte en ligne au soutien de « [R] » pour dénoncer les agissements imputés à l’auteur du pourvoi.

L’auteur a formulé un pourvoi en cassation et une question prioritaire de constitutionnalité afin de voir déclarée l’inconstitutionnalité de l’article 29 quinquies de la loi du 29 juillet 1881.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir retenu la culpabilité de l’auteur. Les deux premières branches du moyen tiraient les conclusions de la déclaration d’inconstitutionnalité dénoncée par l’auteur du pourvoi en raison de l’absence de précision sur la notion de victime et le défaut de prise en compte des cas dans lesquelles les renseignements ont déjà été diffusés par la victime. Or dans un arrêt du 10 août 2022, la Chambre criminelle a refusé de transmettre ces deux QPC (Cass. crim., 10 août 2022, n° 22-81.057, FS-B N° Lexbase : A10998EG).

Le prévenu défendait également la thèse selon laquelle, le terme de « victime » doit s’entendre, au sens de l’article 39 quinquies précité, « d’une personne reconnue comme telle, après condamnation de l’auteur de l’infraction » et ne s’applique pas, comme l’avait retenu la cour d’appel, à toute personne se présentant comme telle.

L’auteur du pourvoi estimait enfin que, l’identité de la partie civile avait déjà été diffusée dans différents médias et qu’elle avait elle-même contribué à la diffusion de son image et à son identification, sa condamnation constituée une ingérence disproportionnée dans l’exercice de sa liberté d’expression.

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi et délivre par la même occasion un mode d’emploi à l’application de l’article 39 quinquies de la loi de 1881.

S’agissant de l’acception du terme « victime », et à la différence de l’arrêt du 10 août précité dont on avait pu regretter le manque de précision, la Cour vient apporter une inforamtion notable en écartant la condition de condamnation élaborée dans le pourvoi. La Haute juridiction affaire ainsi que la qualité de victime de l’article 39 quinquies n’est pas réservée aux seules victimes reconnues comme telles par décision définitive ayant prononcé la condamnation de l’auteur des faits, mais s’applique à toute personne se présentant comme telle.

S’agissant de l’atteinte alléguée à la liberté d’expression, la Chambre criminelle affirme sans détour que, si l’article 39 quinquies de la loi sur la liberté de la presse constitue bien une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression, fondement essentiel d’une société démocratique protégé par l’article 10 de la CESDH, cette ingérence est définie de manière suffisamment claire et précise pour que son interprétation, laquelle entre dans l’office du juge pénal, puisse se faire sans risque d’arbitraire.

La Cour rappelle que selon la jurisprudence européenne, l’identité d’une victime de violences sexuelles relève de sa vie privée et bénéficie de la protection offerte par l’article 8 de la CESDH. La Cour se trouve donc face à deux droits de même valeur normative : le respect de la vie privée et la liberté d’expression. En cas de conflit, comme le rappelle la Haute juridiction, il appartient au juge saisi de rechercher un juste équilibre entre ces deux droits.

S’agissant spécifiquement de l’infraction réprimée par l’article 39 quinquies, la Cour affirme que le juge doit examiner si la diffusion de l’identité de la victime d’infraction sexuelle contribue ou non à un débat d’intérêt général, tenant compte de l’éventuelle notoriété de la personne visée et de son comportement avant la diffusion, de l’objet de cette dernière, son contenu, sa forme et ses répercussions.

Sur la peine, enfin, la Chambre criminelle précise – en s’appuyant à nouveau sur la jurisprudence de la CEDH (CEDH [GC], arrêt du 7 février 2012, Axel Springer AG c/ Allemagne, n° 39954/08 N° Lexbase : A9720IBM) que lorsqu’il retient l’infraction de l’article 29 quinquies, le juge doit prononcer une sanction proportionnée à l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression du prévenu, au regard des circonstances particulières de l’affaire.

La Cour a relevé qu’en l’espèce, la publication litigieuse ne contribuait pas à un débat d’intérêt général et qu’en statuant comme elle l’avait fait, la cour d’appel avait fait l’exacte application de la loi.

La contribution de la victime à la diffusion de son identité ne semble donc pas faire obstacle à la constitution de l’infraction de l’article 39 quinquies, mais joue un rôle conséquent dans la détermination de la peine.

Pour aller plus loin : H. Viana, Article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 : refus de transmission de QPC et absence de précision sur la notion de victime, Lexbase Pénal, septembre 2022 N° Lexbase : N2462BZ9.

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