La lettre juridique n°933 du 2 février 2023 : Droits d'enregistrement

[Jurisprudence] La cession d’usufruit de droits sociaux relève du seul droit fixe d’enregistrement de 125 euros

Réf. : Cass. com., 30 novembre 2022, n° 20-18.884, FS-B N° Lexbase : A45488WD

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par Jérôme Bissardon, Avocat Fiscaliste – FBT AVOCATS SA

le 01 Février 2023

Mots-clés : droits d’enregistrement • usufruit • SCI • parts sociales • cession de participations

La Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois en faveur de la non application des droits d’enregistrement au taux proportionnel dans une affaire où la cession en cause portait sur l’usufruit de droits sociaux.

La Cour de cassation a souligné qu’une telle cession ne caractérise pas une mutation de la propriété de droits sociaux et qu’en conséquence, elle ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux au sens de l'article 726 du Code général des impôts (CGI) pour l’application des droits d’enregistrement. Cet arrêt est publié au bulletin de la Cour de cassation, marquant l’importance qu’elle entend lui conférer.


 

I. L’exposé du litige devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation

Au cas d’espèce, des associés d’une SCI avaient cédé en 2012, par actes sous seing privé, l’usufruit temporaire de parts sociales de cette SCI qu’ils détenaient, à une SAS. Cette cession était réalisée pour une durée fixe de vingt ans. À cette occasion, la SAS s’était acquittée du seul droit fixe de 125 euros prévu à l’article 680 du CGI N° Lexbase : L4356IXM. Précisons qu’à cette époque, les dispositions prévues à l’article 13,5 du CGI N° Lexbase : L9162LNN  en cas de première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire n’étaient pas encore applicables.

En 2015, l’administration fiscale a proposé une rectification en matière de droits d’enregistrement, soutenant que cette opération devait être soumise au droit d'enregistrement proportionnel de 5 % prévu à l'article 726, I, 2° du CGI N° Lexbase : L5598MAL. Pour l’administration, il ne faisait aucun doute que l’acte enfermait en réalité une cession de participation dans une personne morale à prépondérance immobilière.

Une réclamation contentieuse est formée par la SAS. Rejeté partiellement, le litige est porté devant les juridictions judiciaires. Le TGI de Paris a rendu un jugement le 8 novembre 2018 (TGI Paris, 8 novembre 2018, n° 16/08454), aux termes duquel il confirme l’application des droits d’enregistrement au taux proportionnel. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 29 juin 2020 (CA Paris, 29 juin 2020, n° 18/27154 N° Lexbase : A77473PM), a refusé de prononcer la décharge des impositions supplémentaires et a donc confirmé le jugement rendu en première instance dans toutes ses dispositions. La cour d’appel précise que le terme « cession », au sens de l’article 726 du CGI, comprend toutes les opérations de transmission, qu’elles soient temporaires ou définitives, portant sur la pleine propriété ou sur un démembrement de celle-ci. Elle retient que l’opération a eu pour conséquence la perte pour les cédants, de leur droit au bénéfice des dividendes et de leur droit de vote afférent aux parts sociales cédées.

II. La motivation de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, confirmant la position de la troisième chambre civile

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle en premier lieu que selon l’article 726 du CGI, « les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement proportionnel ».

Elle rappelle également, au visa de l’article 578 du Code civil N° Lexbase : L3159ABM, « que l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ».

Elle indique ensuite, tranchant une fois encore l’ancestral débat sur la reconnaissance de la qualité d’associé : « Il en résulte que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l'usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux ».

La démonstration de la Cour de cassation s’achève ainsi, très sommairement. Nous retiendrons donc, pour l’application des droits d’enregistrement :

  • un usufruitier de parts sociales n’est pas un associé,
  • il n’est pas propriétaire de droits sociaux,
  • la cession d’un usufruit de parts sociales n’est donc pas une cession de droits sociaux,
  • les droits d’enregistrement aux taux proportionnels ne sont pas applicables en l’absence de cession de droits sociaux.

Cette décision intervient dans le prolongement d’un avis du 1er décembre 2021 de cette même chambre commerciale, sollicité le 23 juin 2021 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Avis, 1er décembre 2021, n° 20-15.164, FS-D N° Lexbase : A63597GM). Aux termes de cet avis, « La chambre commerciale est d'avis que : […] L'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé ».

Fort de cet avis, la troisième chambre civile souligne dans un arrêt du 16 février 2022 que « l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire » (Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 20-15.164, FS-B N° Lexbase : A33527NH).

Dans son arrêt du 30 novembre 2022, la Cour de cassation tire ainsi les conséquences, sur le plan fiscal, de ces décisions qui ont dénié la qualité d’associé à l’usufruitier de droits sociaux.

III. La portée de cet arrêt

En tout état de cause, l’arrêt tranche le cas de la cession du seul usufruit, qu’il soit viager ou consenti pour une durée fixe à notre avis. La solution ne serait toutefois aucunement transposable à la cession isolée de la nue-propriété, qui rappelons-le, confère la qualité d’associé aux termes des arrêts précités.

Au surplus, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt en la matière, le 4 janvier 2023 (Cass. com., 4 janvier 2023, n° 20-10.112, F-D N° Lexbase : A3566879).

Dans son nouvel arrêt du 4 janvier 2023, la Cour de cassation conclut pareillement, selon une rédaction strictement identique : « Il en résulte que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l'usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux ».

A. Portée de l’arrêt pour les cessions réalisées antérieurement

Les arrêts du 30 novembre 2022 et du 4 janvier 2023 sont applicables immédiatement. Ces arrêts ouvrent une réelle opportunité pour fonder des demandes de restitution, pour tous les actes de cession d’usufruit de droits sociaux réalisés dans le délai général de réclamation où des droits d’enregistrement ont été indûment acquittés.

Précisons que le délai général de réclamation est prévu par l’article L. 196-1 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L1919DAC. Les réclamations sont alors recevables jusqu'au 31 décembre de la deuxième année suivant le versement des droits d’enregistrement. Toutes les opérations intervenant depuis 2021 et portant sur une cession d’usufruit de droits sociaux sont donc concernées.

En réalité, cela concernerait principalement les contribuables qui cèdent des usufruits viagers. L’article 13,5 du CGI, depuis son adoption, a réduit considérablement le nombre de cessions d’usufruit temporaire : en cas de première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire, la loi prévoit que le produit de cession, ou si elle est supérieure, la valeur vénale totale, ne relève plus du régime des plus-values mais de la catégorie de revenu à laquelle se rattache le revenu (exemple : revenu foncier pour une cession d’usufruit temporaire portant sur des titres de SCI). L’article 13,5 du CGI entraine donc dans de nombreux cas, des coûts fiscaux plus importants.

B. Portée de l’arrêt pour les cessions à venir

Malgré les arrêts précités des 16 février 2022, 30 novembre 2022 et 4 janvier 2023, l’administration fiscale n’a pas modifié, pour le moment, sa doctrine publiée au bulletin officiel des finances publiques.

Elle souligne toujours en effet, pour les besoins de la liquidation des droits d’enregistrement calculés au taux de 3 % sur les cessions de parts sociales, que « l’abattement de 23 000 euros s’applique aux cessions démembrées de droits sociaux » (BOI-ENR-DMTOM-40-10-20, §100 N° Lexbase : X3892ALQ).

Bien que cette position de l’administration fiscale ne concerne que la cession démembrée de parts sociales de sociétés qui ne sont pas à prépondérance immobilière, il est fort à parier que les services locaux appliqueront des droits d’enregistrement aux taux proportionnels aussi longtemps que la doctrine ne sera pas modifiée et pour toutes les cessions de droits sociaux démembrés relevant de l’article 726 du CGI (actions de sociétés, parts sociales de SCI ou d’autres sociétés).

Dans cette attente, le rédacteur d’actes devra observer la plus grande prudence et procéder à l’enregistrement des actes en prenant le soin d’appliquer les droits proportionnels à notre avis. Il appartiendra aux redevables d’adresser aux services fiscaux une réclamation contentieuse pour solliciter le dégrèvement et le remboursement des droits d’enregistrement, sous déduction du droit fixe de 125 euros. La contestation pourrait être portée par suite devant le tribunal judiciaire en cas de rejet de la réclamation. 

IV. Un regain d’intérêt pour les cessions d’usufruit viager ?

Bien évidemment, nous ne pouvons pas exclure l’intervention prochaine du législateur, qui pourrait opportunément modifier la loi afin de prévoir expressément une taxation aux droits d’enregistrement aux taux proportionnels des cessions d’usufruit de droits sociaux.

Avant une éventuelle et future modification de la loi et/ou de la doctrine de l’administration fiscale, les arrêts précités pourraient redonner un intérêt à réaliser de telles opérations, pourvu qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 13,5 du CGI et que les opérations ne révèlent pas un but exclusivement ou principalement fiscal au sens des articles L. 64 N° Lexbase : L9266LNI et L. 64 A N° Lexbase : L9137LNQ du LPF.

Il en serait ainsi des opérations suivantes, notamment, lesquelles ne seraient assujetties plus qu’à un droit fixe de 125 euros (après le succès d’une demande de restitution le cas échéant) :

  • les cessions sans terme fixe d'usufruit viager de droits sociaux, réalisées au bénéfice de personnes physiques,
  • les cessions sans terme fixe d'usufruit de droits sociaux préconstitué sur la tête du cédant antérieurement à la cession, réalisées au bénéfice de personnes morales (BOI-IR-BASE-10-10-30, §90 N° Lexbase : X5364APD). À noter que la cour d’appel de Paris a estimé que les cessions d’usufruit viager consenties pour une durée fixe de 30 ans ne relèvent pas du champ d’application de l’article 13,5 du CGI (CAA Paris, 5 octobre 2021, n° 20PA01257 N° Lexbase : A8034483). L’administration fiscale a toutefois une position contraire dans sa doctrine (BOI précité).

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