Réf. : Cass. com., 4 janvier 2023, n° 21-10.609, F-B N° Lexbase : A008787D
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par Philippe Emy, Maître de conférences en droit privé, Université de Bordeaux
le 01 Février 2023
Mots-clés : augmentation de capital • réduction de capital • coup d’accordéon • société par actions • droit préférentiel de souscription • apport partiel d’actif
Il résulte des articles L. 210-2 et L. 224-2 du Code de commerce que la réduction à zéro du capital d'une société par actions n'est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d'une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire. Viole ces dispositions une cour d'appel qui juge qu'un actionnaire a perdu cette qualité à la suite de la réduction à zéro du capital de la société, alors qu'elle a retenu que l'augmentation de capital ayant suivi, dont la réalisation avait été suspendue, n'était pas effective, ce dont elle aurait dû déduire que la résolution décidant de la réduction à zéro du capital de la société ne pouvait, sauf à priver celle-ci de tout capital, légalement produire effet.
Développé par la pratique, adoubé par le législateur et encadré par la jurisprudence, le coup d’accordéon fait partie des grands classiques des opérations sur capital. La spécificité de cette technique consiste à réunir au sein d’une opération unique deux actes a priori distincts, une réduction du capital et une augmentation consécutive du capital. Comme de nombreuses autres constructions juridiques, cette figure est tiraillée entre la dualité de son mécanisme et la nécessaire indivisibilité de l’opération prise dans sa globalité. On pourrait croire la mécanique du coup d’accordéon désormais bien assimilée, la Cour de cassation doit cependant rappeler ici la nature et la portée des principes qui le régissent.
Les faits de l’espèce sont particulièrement alambiqués, ce qui tranche avec la simplicité de la décision prise par la Cour de cassation. Pour ceux qui apprécient les affaires complexes, une présentation des faits, des enjeux et de la procédure n’est pas inutile. On y découvrira que la suspension d’un coup d’accordéon peut avoir, des années après, des conséquences sur l’apport partiel d’actif conclu entre une société et sa filiale.
La SAS Intégrale a été fondée en 1985 par [A] [L], président et détenteur de 50 % des actions, [E] [N] et Mme A détenant chacun 25 % des actions. Le 10 juin 2015, après la vente d’une partie des actions de Mme A à [A] [L], la répartition du capital social de la société est la suivante : 66 % pour [A] [L], 25 % pour [E] [N] et 9 % pour Mme A. Le 30 juin 2015, une assemblée générale extraordinaire est convoquée par un mandataire ad hoc et décide d’un coup d’accordéon avec maintien du droit préférentiel de souscription. Cependant, la période de souscription à l'augmentation de capital n’est pas ouverte à [E] [N]. À la suite de cette opération, [A] [L] devient associé unique de la SAS Intégrale et M. [C], salarié de la société, est nommé président.
[E] [N] saisit le tribunal de commerce afin de contester en référé cette décision sociale et obtient, le 11 septembre 2015, une ordonnance de référé décidant de la suspension de l’augmentation de capital et de la modification du capital social. Par jugement du 29 septembre 2017, faisant suite à la demande au fond présentée par [E] [N], le tribunal de commerce de Paris décide de suspendre les droits de vote et les droits aux dividendes des actions créées à l’occasion du coup d’accordéon du 30 juin 2015 et ordonne l’ouverture du capital à son profit. Le 26 janvier 2018, [E] [N] participe à une telle augmentation de capital et réintègre la société en qualité d’associé.
Le 1er octobre 2015, la SAS Intégrale prépa est constituée, son capital étant détenu à 60 % par la société Intégrale et à 40 % par M. [C]. Par délibérations respectives du 16 novembre 2015 et du 10 février 2016, les SAS Intégrale et Intégrale prépa, représentées toutes les deux par M. [C], conviennent d’un apport partiel d’actif portant sur les branches d'enseignement « scientifique » et « économique » de la SASU au profit de la société Intégrale prépa. À la suite de cet apport, la société Intégrale prépa agrée la cession d’une partie des actions nouvellement créées appartenant à la SASU Intégrale au profit de M. [C] et Mme [J] et autorise un apport en industrie réalisé par M. [C]. Au terme de ces différentes opérations, la SASU Intégrale possède 71 % du capital de la SAS Intégrale prépa, M. [C] et Mme [J] en détiennent chacun 14,4 %, les deux associés minoritaires en capital disposant conjointement de 50,65 % des droits de vote.
[A] [L] décédant le 2 juillet 2016, ses deux enfants recueillent la succession et les actions de la SAS Intégrale. Les héritiers estiment que les dernières opérations avaient, si ce n’est pour objet, au moins pour effet, de les priver de tout pouvoir décisionnel au sein de la filiale SAS Intégrale prépa. En conséquence, le 27 juin 2017, une assemblée générale de la société Intégrale est convoquée par un mandataire ad hoc et décide de révoquer M. [C] de son poste de président pour le remplacer par l’un des héritiers. Par une ordonnance du 4 juillet 2017, M. Poli est désigné comme administrateur provisoire de la SAS Intégrale prépa.
Ce n’est là que le début de l’aventure procédurale. Le 8 août 2016, [E] [N] assigne les sociétés Intégrale et Intégrale prépa en nullité de l’opération d’apport partiel d’actif. La société Intégrale et les héritiers de [A] [L] demandent également la nullité de toutes les délibérations postérieures à la décision sociale du 30 juin 2015, dont l’apport partiel d’actif, la cession des actions de la SAS Intégrale à M. [C] et Mme [J], ainsi que l’apport en industrie de M. [C] à la SAS Intégrale prépa. Afin de rejeter ces demandes, M. [C] et Mme [J] opposent une fin de non-recevoir tirée de la prescription aux actions en nullité de [E] [N] et des héritiers de [A] [L] ainsi que du défaut de qualité à agir d’[E] [N], du fait de la perte de sa qualité d’associé depuis la réalisation du coup d’accordéon du 30 juin 2015.
Par jugement du 7 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris déclare recevable l'action de M. [E] [N] en nullité de l'apport partiel d'actifs. Considérant que [E] [N] était toujours, après le 30 juin 2015, actionnaire de la société Intégrale à hauteur de 25 %, qu'en cette qualité il était recevable à agir et que son action en nullité n'était pas prescrite, le tribunal estime que la décision d'apport prise par [A] [L] était nulle et que l’opération d’apport partiel d’actif devait être annulée rétroactivement, tout comme les actions créées à cette occasion.
M. [C] et Mme [J] ont bien entendu fait appel de ce jugement. Par décision du 29 décembre 2020, la cour d’appel de Paris s’est prononcée sur l’unique question de la qualité à agir de [E] [N]. Sur ce point, elle a considéré que si la décision du tribunal de commerce rendue en référé le 11 septembre 2015 avait bien décidé la suspension de l’augmentation de capital et de la modification du capital social, elle n’avait en revanche pas prévu une telle suspension pour la réduction de capital décidée le même jour dans le cadre du coup d’accordéon. Elle a également considéré que le jugement rendu sur le fond par le tribunal de commerce le 29 septembre 2017 ne se prononce lui aussi que sur la suspension des droits de vote et des droits aux dividendes attachés aux actions nouvellement créées lors du coup d’accordéon. La cour d’appel de Paris en a déduit que, en dépit de la décision rendue par le tribunal de commerce en référé, [E] [N] n’avait pas conservé sa qualité d’associé et était donc dépourvu de la qualité pour agir en nullité de l’apport partiel d’actif sur le fondement de l’article L. 235-9 alinéa 2 du Code de commerce N° Lexbase : L8351GQD.
Le recours en nullité exercé par les héritiers de [A] [L] a fait l’objet d’un autre arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 13 avril 2021. Il n’est pas concerné par l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 2023 ici commenté. Pour la petite histoire, la cour d’appel a décidé de rejeter le recours en nullité des associés, considérant leur action comme prescrite au regard de l’article L. 235-9 alinéa 2 du code de commerce [1]. Les associés avaient demandé à bénéficier de l’interruption de prescription des articles 2241 et suivants du Code civil N° Lexbase : L7181IA9, en se fondant sur la demande en nullité formée par [E] [N]. Mais la cour d’appel leur a rappelé que l’article 2243 du même code N° Lexbase : L7179IA7 s’opposait à tout effet interruptif d’une demande en justice dès lors qu’elle est définitivement rejetée, ce qui, selon elle, était bien le cas dans la mesure où elle avait rejeté dans sa précédente décision la demande de [E] [N] pour défaut de qualité à agir.
On comprend dès lors le rôle central, pour toutes les parties, du recours en cassation intenté par [E] [N] contre la décision de la cour d’appel de Paris du 29 décembre 2020. [E] [N] a formé un pourvoi, repris par ses héritiers après son décès, reprochant principalement à la cour d’appel d’avoir refusé de le qualifier d’associé de la société Intégrale et en conséquence de lui dénier la qualité pour agir en nullité de l’apport partiel d’actif. La cour d’appel a justifié sa position en affirmant que les décisions rendues par le tribunal de commerce ne remettaient en cause qu’une partie du coup d’accordéon, à savoir l’augmentation de capital social, sans affecter la réduction préalable. La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en avançant une solution dont la simplicité et l’évidence sont les bienvenues au regard de la complexité de l’affaire. Le coup d’accordéon constitue une opération indivisible, dont les effets ne peuvent exister l’un sans l’autre (I). Dès lors, l’ordonnance rendue en référé par le tribunal de commerce et décidant de la suspension de l’augmentation de capital avait pour conséquence nécessaire que la réduction de capital ne pouvait légalement produire effet, peu importe que la suspension de cette réduction n'ait pas été ordonnée en référé. En conséquence, [E] [N] avait bien conservé la qualité d’associé et la cour d’appel ne pouvait refuser d’examiner au fond sa demande en nullité de l’apport partiel d’actif en lui opposant un défaut de qualité pour agir (II).
La spécificité du coup d’accordéon tient à ce qu’il combine deux opérations, à savoir une diminution de capital suivie un instant de raison plus tard d’une augmentation de capital. Afin de satisfaire l’obligation légale de maintenir un capital social minimum de 37 000 euros, obligation toujours en vigueur pour les sociétés anonymes, l’opération se doit d’être indivisible. Cet effet est obtenu grâce au recours à la condition suspensive, la réduction de capital étant conditionnée à l’augmentation consécutive du capital. Il en résulte un régime dual pour le coup d’accordéon. La jurisprudence admet d’examiner séparément les opérations de réduction et d’augmentation, notamment pour en vérifier les conditions de validité (A). Dans le même temps, elle exige que l’opération soit appréhendée de façon unitaire, ce que la Chambre commerciale rappelle dans la présente décision (B).
A. La dualité du coup d’accordéon
La jurisprudence retient parfois que la licéité d'une opération de restructuration, consistant à procéder à la réduction à zéro du capital pour cause de pertes puis à augmenter le capital, doit s'apprécier dans sa globalité [2]. Cela n’est pas tout à fait exact dans la mesure où le traitement unitaire du coup d’accordéon n’a pas pour objectif d’ignorer les régimes respectifs de ses deux composantes : réduction de capital motivée par des pertes et augmentation de capital demeurent soumises à des régimes distincts. Ce qui est vrai, c’est que la nullité d’une des opérations aura des répercussions sur l’ensemble.
La Cour de cassation a, à de nombreuses reprises, accepté de se pencher sur les effets attachés à chacune des opérations sous-jacentes afin de contrôler la validité du coup d’accordéon. Dans un premier temps, elle a confirmé la licéité d’une opération conjuguant réduction du capital à zéro puis augmentation du capital en écartant le grief selon lequel l’opération induisait une augmentation des obligations de tous les associés, nécessitant donc leur accord unanime. Pour cela, elle a analysé de façon autonome l’augmentation de capital en rappelant que les associés n’étaient en aucun cas contraints de participer à cette augmentation [3]. Ensuite, elle a refusé d’analyser l’opération comme une technique conduisant à l’exclusion des associés. En effet, la réduction du capital à zéro ne constitue pas une atteinte au droit de propriété des actionnaires, mais réalise l’obligation sociale de contribuer aux pertes dans la limite des apports des associés [4]. La combinaison des deux affirmations met ainsi l’opération à l’abri de la plupart des contestations [5].
La Cour de cassation a achevé sa construction en examinant l’hypothèse particulière du coup d’accordéon avec suppression du droit préférentiel de souscription. Une telle opération peut s’avérer indispensable lorsque les pertes de la société sont conséquentes et que seule l’arrivée d’un nouvel actionnaire évitera à l’entreprise de disparaître. Pour la Cour, à partir du moment où la suppression du droit préférentiel de souscription a été décidée par l’assemblée générale extraordinaire conformément aux dispositions légales – c’est-à-dire le plus souvent dans l’hypothèse figurant à l’article L. 225-138 du Code de commerce N° Lexbase : L2180LYE d’une suppression au profit de bénéficiaires dénommés ou de catégories de bénéficiaires –, le coup d’accordéon doit être considéré comme licite même si les anciens actionnaires ne peuvent pas participer à l’augmentation de capital à partir du moment où la pérennité de l’entreprise en dépend [6].
En l’espèce, et bien que l’arrêt d’appel ne nous donne pas toutes les précisions, c’est la mise en œuvre du droit préférentiel de souscription qui a posé problème. L’assemblée générale extraordinaire avait voté un coup d’accordéon avec maintien du droit préférentiel de souscription qui devait donc permettre à [E] [N] de conserver sa place au sein de la société, s’il souhaitait utiliser ledit droit préférentiel. Cependant, lors de l’ouverture de la période de souscription, [E] [N] n’a pas été convié à utiliser son droit préférentiel et n’a donc pas pu participer à l’augmentation de capital. On connaît la conséquence : [A] [L] a été le seul à participer à l’augmentation de capital et la SAS Intégrale est devenue de facto une société par actions simplifiée unipersonnelle. Le non-respect de ce droit fondamental a donc vicié la procédure d’augmentation de capital social. La question juridique qui se pose alors est de déterminer si cette atteinte au droit préférentiel de souscription doit se traduire uniquement par la remise en cause de l’augmentation de capital ou si la sanction doit s’étendre à la totalité du coup d’accordéon. Si l’analyse de la validité de l’opération peut justifier de n’examiner qu’une de ses composantes – réduction ou augmentation –, les effets concerneront en revanche la totalité de l’opération en vertu du principe d’unité du coup d’accordéon.
B. L’unité du coup d’accordéon
La solution posée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation repose toute entière sur l’idée selon laquelle le coup d’accordéon doit être appréhendé comme une opération unique, dont les mécanismes distincts ne peuvent exister l’un sans l’autre. C’est bien ce raisonnement qui va permettre à la Cour de préciser que, si une décision de justice remet en cause l’augmentation de capital, c’est l’ensemble du coup d’accordéon – ce qui comprend la réduction de capital – qui doit subir le même sort.
À cet effet, la Cour de cassation vise bien évidemment l’article L. 224-2 du Code de commerce N° Lexbase : L6127ICW, qui autorise la réduction de capital en dessous du minimum légal sous condition suspensive de l’augmentation de capital afin d’atteindre à nouveau ou de dépasser ce seuil. Si la loi prévoit bien la faculté de réduire le capital pour ensuite l’augmenter, elle ne dit rien quant à la possibilité de réduire de cette façon le capital à zéro. La jurisprudence a ici pris le relais et validé la réduction du capital à zéro lors d’un coup d’accordéon. Ces effets a priori incompatibles avec des règles impératives sont néanmoins acceptables dans la mesure où l’objectif est de mettre à disposition une opération liant de façon indissociable une réduction et une augmentation de capital. Au terme de l’opération, la société doit nécessairement être dotée d’un capital social respectant le minimum légal. L’opération repose sur la condition suspensive : la réduction ne peut produire ses effets que si l’augmentation de capital incluse dans l’opération est effectivement réalisée. La réalisation de la première partie de l’opération résulte de l’exécution de la seconde partie.
Il faut tout de même rappeler que le caractère unitaire du coup d’accordéon ne se cantonne pas à la seule hypothèse d’une réduction en dessous du minimum légal de 37 000 euros. En l’espèce, l’opération datée du 30 septembre 2015 concerne une société par actions simplifiée qui n’est donc pas concernée par l’exigence d’un capital social minimum de 37 000 euros, ce seuil ayant été supprimé pour les SAS par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 [7].
Le caractère indivisible du coup d’accordéon se vérifie surtout lors du contrôle de sa validité. En effet, la jurisprudence accepte de contrôler l’opération dans sa globalité en mobilisant l’abus de majorité [8]. Pour mémoire, l’abus de majorité suppose une décision contraire à l’intérêt social et prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité. Or, il apparaît que le coup d’accordéon peut tout à fait être utilisé pour se débarrasser d’associés minoritaires. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère qu’il revient aux demandeurs d’apporter la preuve selon laquelle les deux conditions cumulatives de l’abus sont remplies [9]. Elle est globalement hostile à la remise en cause de l’opération à partir du moment où cette dernière permet d’assurer la survie ou la pérennité de la société [10]. À l’inverse, il faut noter qu’un abus de minorité pourrait être caractérisé si jamais des minoritaires s’opposaient de façon injustifiée à un coup d’accordéon indispensable à la sauvegarde de la société, notamment lorsque les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social.
Il sera souvent compliqué pour les actionnaires minoritaires de démontrer à la fois que la décision est contraire à l’intérêt social et qu’elle est prise dans l’unique intérêt des majoritaires au détriment des minoritaires. Pour cette raison, on observe que le contentieux tend à se déplacer sur le fondement de la fraude [11]. Il est vrai que les conditions de l’abus de droit et de la fraude sont assez proches, mais elles ne sont pas pour autant identiques. Si les minoritaires invoquent la fraude pour demander la nullité d’un coup d’accordéon, ils devront certes démontrer l’existence de manœuvres frauduleuses en plus de l’intention de nuire à leurs intérêts, mais, s’agissant de l’intérêt social, il leur suffira de démontrer que la décision sociale ne peut se recommander de l’intérêt social, ce qui est moins exigeant que de prouver que la décision est contraire à cet intérêt.
Enfin, les tribunaux peuvent sanctionner les conditions de validité d’une des deux opérations – réduction ou augmentation de capital – et la nullité remettra alors en cause la totalité du coup d’accordéon. C’est la solution que la Cour a rappelée dans la présente décision.
II. Le maintien de la qualité d’associé en cas de remise en cause du coup d’accordéon
Le terme de remise en cause du coup d’accordéon est sans aucun doute trop vague, mais il correspond hélas aux hésitations des juridictions ayant statué en l’espèce. La première ordonnance en référé du 11 septembre 2015 avait en effet suspendu les effets de l’augmentation de capital. Le jugement du 29 septembre 2017 rendu sur le fond par le tribunal de commerce a maintenu cette suspension sans évoquer la nullité, suscitant la perplexité légitime de la cour d’appel. Quoiqu’il en soit, la Cour de cassation applique la logique de l’indivisibilité du coup d’accordéon en décidant que la suspension de l’augmentation de capital prive nécessairement d’effet la réduction de capital.
Il faut bien comprendre ici comment deux contentieux distincts sont finalement devenus interdépendants. L’affaire soumise à la Cour de cassation est relative à la validité de l’apport partiel d’actif. Plus précisément, il lui est demandé si [E] [N] était en droit d’en demander la nullité. Pour la cour d’appel de Paris, une fin de non-recevoir devait être opposée à cette action, fondée sur l’absence de qualité d’associé d’[E] [N] au moment de cette demande. Cette absence de qualité d’associé était la conséquence, selon la cour d’appel de Paris, du jugement du tribunal de commerce relatif au coup d’accordéon réalisé des années plus tôt.
Pour mémoire, la cour d’appel de Paris a retenu le défaut de qualité pour agir comme conséquence nécessaire de l’absence de qualité d’associé au jour de l’introduction de l’instance relative à la nullité de l’apport partiel d’actif. C’est sur ce fondement qu’elle a rejeté la demande en nullité formée par [E] [N]. La Cour de cassation n’est pas revenue sur ce point – le pourvoi ne lui demandait d’ailleurs pas – mais on peut tout de même remarquer que la cour d’appel a sans doute été trop vite en besogne en se fondant sur la qualité pour agir pour juger la demande irrecevable. L’article L. 235-9 du Code de commerce ne réserve pas les actions en nullité applicables aux fusions, scissions et apports partiels d’actif aux seuls actionnaires [12]. Il convient de regarder au cas par cas les hypothèses de nullité afin de déterminer s’il s’agit d’une nullité relative réservée à la personne protégée ou s’il s’agit d’une nullité absolue pouvant être invoquée par tout intéressé, recherche à laquelle la cour d’appel n’a pas procédé. À vrai dire, si la cour d’appel avait refusé l’action en invoquant l’absence d’intérêt à agir, cela n’aurait rien changé à la décision de la Cour de cassation.
En effet, le raisonnement proposé par la Cour est fondé uniquement sur le caractère indivisible du coup d’accordéon. En première instance, dans le premier contentieux, le tribunal de commerce avait décidé de suspendre l’augmentation de capital faisant partie intégrale de l’opération. Dans le second contentieux, celui relatif à la nullité de l’opération d’apport partiel d’actif, cette même juridiction avait reconnu, dans son jugement du 7 juin 2019, que [E] [N] était toujours, après le coup d’accordéon du 30 juin 2015, actionnaire de la société Intégrale à hauteur de 25 %, son action en nullité étant ainsi jugée recevable. Au final, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la nullité de l'apport partiel d'actif. La cour d’appel de Paris n’a pas suivi le même raisonnement, s’appuyant sur les approximations de la rédaction du jugement du tribunal de commerce de Paris dans le contentieux relatif à la validité du coup d’accordéon. Ce jugement n’avait prononcé la suspension que des résolutions relatives à l’augmentation de capital, dans la mesure où le droit préférentiel de souscription de [E] [N] n’avait pas été respecté. La cour d’appel en a déduit que la réduction de capital n’avait quant à elle pas été suspendue et que [E] [N] avait donc perdu sa qualité d’associé. Le 8 août 2016, lorsqu’il assigne les sociétés Intégrale et Intégrale prépa en nullité de l’opération d’apport partiel d’actif, il n’est pas associé puisque, selon la cour d’appel, il ne recouvrera cette qualité qu’à l’occasion de l’augmentation de capital du 26 janvier 2018, qui n’a pas eu d’effet rétroactif. La cour d’appel de Paris en a donc déduit l’irrecevabilité de sa demande en nullité.
La Cour de cassation a tranché en sens contraire en se fondant sur le principe d’indivisibilité du coup d’accordéon. Chaque étape de l’opération – réduction comme augmentation – est conditionnée par la réalisation de l’autre. Ce principe interdit donc de faire produire des effets à la réduction de capital sans que l’augmentation ne soit réalisée, et pareillement de neutraliser l’augmentation de capital sans que la réduction ne le soit également.
Loin d’être dogmatique, on s’aperçoit au contraire que la solution est incontournable d’un point de vue pratique. En effet, si l’on suivait la cour d’appel dans sa logique, il faudrait considérer que la réduction de capital à zéro a bien eu lieu, mais qu’en revanche l’augmentation de capital a été suspendue, ce qui voudrait dire que la société Intégrale serait dépourvue d’associé depuis l’assemblée générale extraordinaire du 30 juin 2015 et qu’aucune décision sociale n’aurait pu être prise depuis.
En redonnant son exacte portée à la suspension du coup d’accordéon, la Cour de cassation modifie rétroactivement la composition de la SAS Intégrale pour revenir au statut quo initial : le capital social de la SAS Intégrale n’a pas été affecté par le coup d’accordéon, [E] [N] a bien conservé le quart du capital social et donc la qualité d’associé lui permettant d’agir en nullité de l’apport partiel d’actif. La cour d’appel de renvoi devra donc accepter de statuer sur le recours en nullité formé par [E] [N]. Elle devra vérifier si le recours en question était prescrit au regard du délai de six mois prévu à l’article L. 235-9 alinéa 2 du Code de commerce. Les éléments factuels évoqués dans l’arrêt d’appel tendraient à démontrer que la demande n’était pas prescrite. Si tel est bien le cas, la cour d’appel devra se prononcer sur le fond et prononcera probablement la nullité de l’apport. Par un effet de dominos, la branche d’activité devra être restituée à la société Intégrale et les nouvelles actions de la société Intégrale prépa devront être annulées, tout comme les opérations de cession consenties ultérieurement.
[1] En vertu de l’article L. 227-1 du Code de commerce N° Lexbase : L2397LR9, à l’exception de la déclaration de conformité prévue au 3ème alinéa de l’article L. 236-6 du Code de commerce N° Lexbase : L7235LQZ, tous les textes relatifs aux opérations de fusion, scission ou apport partiel d’actif sont applicables à la société par actions simplifiée.
[2] CA Versailles, 2 juillet 2020, n° 19/02124 N° Lexbase : A51653QD.
[3] Cass. com., 17 mai 1994, n° 91-21.364 N° Lexbase : A6609ABE.
[4] Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11.999, publié N° Lexbase : A9459AYY.
[5] Cass. com., 10 octobre 2000, n° 98-10.236 N° Lexbase : A9295ATG.
[6] Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11.999, préc.
[7] Loi n° 2008-776, du 4 août 2008, de modernisation de l’économie N° Lexbase : L7358IAR.
[8] Cass. com., 28 février 2006, n° 04-17.566, F-D N° Lexbase : A4216DNH.
[9] Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-11.735, F-D N° Lexbase : A0927NGG.
[10] Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11.999, préc.
[11] Cass. com., 11 janvier 2017, n° 14-27.052, F-D N° Lexbase : A0752S8D – Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-18.785, F-D N° Lexbase : A0689ZB7.
[12] L’article L. 235-9 du Code de commerce dispose que l'action en nullité d'une fusion ou d'une scission de sociétés se prescrit par six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération. Le texte ne vise pas expressément les opérations d’apport partiel d’actif. De plus, l’article L. 236-22 du Code de commerce N° Lexbase : L2405LRI, qui applique les textes relatifs à ce type d’opérations, ne renvoie pas expressément à l’article L. 235-9 du même code. Il n’en demeure pas moins que, faisant prévaloir l’esprit des textes sur la lettre, la jurisprudence a opportunément décidé d’appliquer aux opérations d’apport partiel d’actif soumises au régime des scissions ce délai de prescription réduit (Cass. com., 3 juin 2003, n° 99-18.707, FS-P N° Lexbase : A9420C7Z).
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