La lettre juridique n°933 du 2 février 2023 : Procédure administrative

[Panorama] Panorama de procédure administrative – année 2022 (seconde partie)

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N4149BZP

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences en droit public, Université de Lorraine, directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

le 01 Février 2023

Pour consulter la permière partie de ce panorama, lire N° Lexbase : N4067BZN.

Sommaire

I. Le jugement

A. Les formes et formation de jugement

1) L’intervention du rapporteur public est une garantie fondamentale qui relève du domaine de la loi de l’article 34 de la Constitution 

B. Les pouvoirs du juge

1) L'injonction d'enlever une statue de la Vierge Marie implantée irrégulièrement par des personnes privées sur le domaine privé de la commune

2) L’entretien personnel d’un demandeur d’asile est une garantie essentielle insusceptible d'être compensée par l’office de plein contentieux de la CNDA 

3) La confirmation du glissement, en cassation, du contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires

C. Le contenu et les effets de jugement

D. L’exécution des décisions

1) Le pouvoir d'injonction du juge administratif ne peut, en matière de responsabilité, s'exercer de manière autonome par rapport à la demande d’octroi d'indemnités 

2) Nouvelle liquidation de l’astreinte pour l’inaction répétée de l’État en matière de pollution de l’air

II. Les voies de recours

A. Les voies de recours ordinaires : appel et cassation

1) Précisions sur les règles relatives à l’office du juge d’appel s’agissant de l’effet dévolutif de l’appel (n°455195) et de l’évocation (n°461418)

B. Les voies de recours extraordinaires

III. Les référés

A. Les référés ordinaires

1) Précisions sur l’articulation entre référé et QPC

2) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale (au sens de CJA, art. L. 521-2)

B. Les référés extraordinaires

1) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er de la Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale 

IV. Le dialogue des juges

A. Le dialogue avec le juge constitutionnel

1) Ajustement de la jurisprudence du juge constitutionnel sur celle du juge administratif sur le contrôle des ordonnances non ratifiées

2) Un grief d’incompétence négative ne peut être utilement présenté, à l’appui d’une QPC, sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée et contraindre ainsi le législateur à légiférer 

B. Le dialogue avec le juge de l’Union

1) La méconnaissance de l’obligation de renvoi préjudiciel ne constitue pas une cause autonome de responsabilité de l’État


I. Le jugement

A. Les formes et formation de jugement


1) L’intervention du rapporteur public est une garantie fondamentale qui relève du domaine de la loi de l’article 34 de la Constitution (CE, 3°-8°ch. réunies, 12 mai 2022, n° 444994, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A82967W8)

L’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif N° Lexbase : L5719LWQ [1], a mis en place, dans le cadre du procès administratif et dans le contexte de la crise sanitaire, une dérogation temporaire pour l’intervention du rapporteur public [2]. Cette dispense temporaire concerne, non seulement, tous les contentieux mais aussi toutes les juridictions de l’ordre juridictionnel administratif. Il n’y avait, jusque-là, que des cas limitatifs en période de droit commun, le rapporteur public étant dispensé de prononcer ses conclusions lorsque des dispositions législatives le prévoyaient expressément [3] ou dans certains domaines fixés par décret en Conseil d’État [4]. De même, le Conseil d’État n’était pas concerné par ces dispenses ce qui est pourtant le cas dans la dispense temporaire en l’espèce [5]. Enfin, hors des cas limitativement prévus, le jugement est entaché d’irrégularité [6] s’il n’y a pas de prononcé des conclusions du rapporteur public même si l’irrégularité en question ne peut être relevé d’office par le juge [7]. Au-delà de ses éléments, les requérants, dans l’arrêt d’espèce, ont soulevé le moyen tiré de l’inconstitutionnalité des dispositions visant cette dispense générale et temporaire de rapport public en ce qu’elles seraient contraires au principe d’égalité devant la justice. Alors que, jusque-là, le Conseil d’État avait toujours admis implicitement que la dispense de conclusions relevait du pouvoir réglementaire [8], il va alors effectuer un revirement de jurisprudence en disposant que l’article L. 7 du Code de justice administrative N° Lexbase : L5749ICW prévoyant l’intervention du rapporteur public relève des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques au sens de l’article 34 de la Constitution N° Lexbase : L1294A9S [9]. Faisant application des évolutions récentes relatives au régime contentieux des ordonnances non ratifiées, le Conseil d’État en déduit qu’à défaut d’avoir présenté un mémoire distinct tendant à la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel, les requérants n’étaient pas recevables à soutenir que les dispositions litigieuses, de nature législative, étaient contraires au principe constitutionnel d’égalité devant la justice.

B. Les pouvoirs du juge


1) L'injonction d'enlever une statue de la Vierge Marie implantée irrégulièrement par des personnes privées sur le domaine privé de la commune (CE, 3°-8°ch. réunies, 11 mars 2022, n° 454076, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A38327QY)

Dans la commune de Saint-Pierre d’Alvey, en Savoie, des particuliers ont fait réaliser, sur des fonds privés, une statue de la vierge Marie. D’une hauteur de 3,60 mètres, elle a été installée au sommet d’une colline sur le domaine privé de la commune. Estimant ce monument religieux attentatoire à la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation de l’Eglise et de l’État N° Lexbase : L0978HDL, des particuliers ont demandé au maire de la commune la dépose de cette statue. Ces particuliers ont saisi le tribunal administratif de Grenoble aux fins de faire annuler la décision de refus implicite du maire de faire droit à leur demande et l’enjoindre à déposer cette statue. Dans un tel cas de figure, les juridictions administratives constatent le plus souvent, eu égard à la loi de séparation de l’Eglise et l’État, l’illégalité des croix ou statues implantées sur les propriétés publiques (domaine public comme domaine privé). Ils ordonnent, par la suite et le plus souvent, leur enlèvement [10]. Les signes ou emblèmes religieux sur les emplacements publics sont interdits par la loi de séparation sauf pour les édifices servant au culte. Pour les juges, cette dérogation ne s’applique, dans le cas d’espèce, même si le terrain est, depuis le XVIIIe siècle, un lieu traditionnel de processions. La commune a soutenu devant les juges du fond que l’emplacement en question pouvait aussi être qualifié de « dépendance immobilière nécessaire » de l’Eglise. Argument également rejeté par le juge. L’interdiction ne se limite pas, enfin aux dépendances du domaine public mais s'applique aussi à celles du domaine privé (cas en l’espèce) sans forcément donner compétence au juge judiciaire puisque l’acte en cause (refus du maire) est un acte administratif. Restait l’injonction à enlever la statue appartenant non pas à la commune mais à des personnes privées. Si le maire a refusé estimant que le juge ne pouvait lui enjoindre d’enlever une statue appartenant à des personnes privées, il faut noter que les règles posées par le Code civil, s’appliquent à toute propriété, privée ou publique.  Selon, ces règles la commune est bien propriétaire de la statue [11] tout comme elle a le droit de faire enlever l’objet du litige [12]. Comme le résume le Conseil d’État, qui reprend ces deux points, « la commune, propriétaire de la parcelle, est devenue propriétaire de la statue édifiée par des tiers sur celle-ci » et peut « la déplacer elle-même ou requérir de ces tiers qu’ils la déplacent » (point 9). Le juge administratif semble, ainsi, s’orienter vers une interprétation plus stricte des exceptions au principe de séparation [13] alors qu’il faisait jusque-là et semble-t-il, preuve plutôt de souplesse [14].


2) L’entretien personnel d’un demandeur d’asile est une garantie essentielle insusceptible d'être compensée par l’office de plein contentieux de la CNDA (CE, 9°-10° ch. réunies, 24 février 2022, n° 453615 N° Lexbase : A03297PU et n° 453267 N° Lexbase : A05377PL, mentionnés aux tables du recueil Lebon)

Le juge de l’asile est un juge du plein contentieux [15]. Même si le directeur général de l’OFPRA établit des décisions reconnaissant la qualité de réfugié [16], octroyant la protection subsidiaire [17] ou déboutant le demandeur, la Commission nationale du droit d’asile (CNDA) ne statue pas, en principe, sur la légalité de cette décision. Saisie d’un recours de plein contentieux, il lui appartient seulement « de se prononcer elle-même sur le droit de l’intéressé à la qualité de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire d’après l’ensemble des circonstances de fait et de droit qui ressortent du dossier soumis à son examen et des débats à l’audience » [18]. Pour autant, lorsque le droit de l’étranger à un entretien personnel a été méconnu, le juge peut annuler la décision administrative plutôt que d’exercer son pouvoir de substitution [19] dans la mesure où le demandeur d’asile est, dans ce cas, privé d’une garantie fondamentale [20]. C’est la décision « Office français de protection des réfugiés et apatrides contre Yarici » [21] qui est venu consacrer cet état du droit alors que, jusque-là, il était impossible, pour le juge, d’annuler la décision de l’OFPRA lorsque l’entretien personnel n’avait pas eu lieu. L’annulation permet, au contraire de la réformation, à ce que la procédure soit de nouveau mise en œuvre avec toutes les garanties qui s’y trouvent attachées.

Les trois arrêts commentés viennent préciser la portée de la décision de 2013. La première espèce (n° 453267) concerne l’hypothèse dans laquelle l’entretien préalable n’a pas eu lieu du fait d’un dysfonctionnement des services postaux : la convocation à l’entretien est bien adressée mais elle n’est pas reçue du fait de ce dysfonctionnement. Le juge estime qu’une telle défaillance doit être regardée comme imputable à l’OFPRA, tout comme le défaut d’audition qui en résulte. La seconde espèce (n° 453615) concerne l’absence d’enregistrement sonore de l’entretien qui s’est déroulé devant l’OFPRA. Le juge opère, ici, une gradation dans les vices et indique que tout vice n’est pas opérant, il faut, pour pouvoir avoir cette qualité, que la « substance » même de la garantie soit atteinte [22]. La troisième espèce (n° 449012) concerne l’hypothèse dans laquelle un mineur n’a pas bénéficié de l’assistance de son représentant pour un entretien personnel. Très logiquement, cette situation est regardée par le Conseil d’État comme une atteinte grave au droit à un entretien personnel [23] et, par suite, comme une irrégularité justifiant l’annulation de la décision prise par l’OFPRA et le renvoi de l’intéressé devant cet organisme. Et, ceci, dans le sens ou peu importe que le mineur soit très proche de la majorité et qu’il aura l’âge de 18 ans avant qu’une décision ne soit prise en première instance.


3) La confirmation du glissement, en cassation, du contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires (CE, Sect., 30 décembre 2022, n° 465304 N° Lexbase : A152487L)

Un professeur des universités a été révoqué de la fonction publique par la juridiction disciplinaire de première instance des enseignants-chercheurs [24] en raison de son implication dans une affaire ayant défrayé la chronique en 2018 qui concernait une évacuation violente d’étudiants occupant un amphithéâtre de l’université de Montpellier en 2018.  Sa sanction a été allégée en appel et ramenée à une interdiction d’exercer ses fonctions pendant quatre ans, avec privation de son traitement. Le Conseil d’État, saisi en cassation, juge cette dernière sanction trop faible au regard des fautes commises par cet enseignant-chercheur lors de ces événements. Il annule la sanction et renvoie l’affaire à la juridiction disciplinaire d’appel [25] pour qu’elle se prononce à nouveau sur les agissements du professeur. L’arrêt d’espèce confirme, en cassation, le glissement vers ce qu’on peut appeler un contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires. Ce glissement a débuté par suite de la décision d’assemblée « Bonnemaison » en 2014 [26] où, si le Conseil d’État rappelle que le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise et qu’elle a pu dès lors être légalement prise.

Ce nouveau contrôle avait été très difficilement apprécié en doctrine. On a pu parler de « contrôle intermédiaire entre dénaturation et qualification juridique » [27] ou « d’un contrôle de l'erreur manifeste dans la qualification juridique des faits opérée par le juge du fond » [28]. Une nouvelle jurisprudence s’est dégagée à la suite de cette décision. Plusieurs sanctions ont été jugées comme n’étant pas disproportionnées comme la sanction de la révocation d’un instituteur qui a été condamné pénalement pour des faits d’appel téléphonique malveillants et répétés [29], comme celle d’un agent s’étant livré à du harcèlement moral durant une longue période sur plusieurs agents placés sous son autorité [30] ou encore comme celle d’un professeur des universités ayant eu un comportement inapproprié à l’égard de jeunes étudiantes en particulier sur des réseaux sociaux [31]. Des sanctions ont également été jugées comme étant hors de proportion avec les fautes commises en raison de leur caractère insuffisant comme la mise à la retraite d’office d’un enseignant condamné à deux ans de prison avec sursis pour l’agression sexuelle de deux mineurs, âgés de quatorze ans, commise en dehors de son activité d’enseignant [32]. En l’espèce la sanction est jugée trop faible en raison de la condamnation pénale de l’intéressé par le tribunal correctionnel, condamnation eu égard à sa participation directe et au caractère prémédité des violences commises par l’enseignant et eu égard à certains antécédents ayant faits l’objet, par le passé, d’une condamnation pénale pour des faits de violences.

C. Le contenu et les effets de jugement

(…)

D. L’exécution des décisions


1) Le pouvoir d'injonction du juge administratif ne peut, en matière de responsabilité, s'exercer de manière autonome par rapport à la demande d’octroi d'indemnités (CE, avis, 12 avril 2022, n° 458176, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A41537TY)

Le juge administratif a admis, en 2015 [33], que le juge du plein contentieux, lorsqu’il est saisi d’un recours en responsabilité, a le pouvoir d’ordonner à l’administration de mettre fin à un comportement fautif ou d’en pallier les effets si ce comportement et le préjudice qu’il génère perdurent à la date à laquelle il se prononce. Ce pouvoir a été reconnu dans la mesure où le recours en responsabilité relève de la pleine juridiction et il apparaissait que les conclusions à fin d'injonction pouvaient être présentées à titre autonome, donc sans demande de dommages et intérêts dans la mesure où l’idée première du juge était d’offrir à la victime du dommage deux moyens d’y remédier. Dans l’avis contentieux d’espèce, le Conseil d’État a, paradoxalement et sur conclusions contraires de son rapporteur public, considéré qu’il n’était pas possible d’envisager les deux actions de manière autonome. Les conclusions à fin d’injonction ne peuvent être présentées à titre principal alors qu’aucune demande indemnitaire n’est formée. Comme certains l’ont fait remarquer, « juridiquement, cette solution ne s’imposait pas car, du point de vue de sa nature, une injonction de faire cesser un préjudice ne constitue pas le complément du versement de dommages et intérêts. L’indemnisation du préjudice et la cessation de celui-ci constituent deux modalités distinctes ; la première ne représente pas une conséquence ni même un prolongement de la seconde » [34]. En tout état de cause, le demandeur doit donc prendre soin, après demande préalable, de présenter au juge une demande indemnitaire, même si son objectif premier est d’obtenir de l’Administration qu’elle fasse cesser l'origine du dommage.

2) Nouvelle liquidation de l’astreinte pour l’inaction répétée de l’État en matière de pollution de l’air (CE, 5°-6° ch. réunies, 17 octobre 2022, n° 428409, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A60008PW)

Les dispositions de la Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe N° Lexbase : L9078H3M [35] prévoient  des obligations à l’égard des États membres en matière de prévention de la pollution de l’air. A cet égard, elle fixe des valeurs limites de polluants dans l’air qui ne doivent pas être dépassées. En cas de dépassement, elle impose, alors, aux États membres de prendre des mesures de nature à faire cesser les pollutions. Dans ce cadre, il leur revient d’établir, pour les zones concernées, des plans de nature à réduire les pollutions en deçà des seuils limites dans un délai qu’ils fixent. Au-delà de ce délai, les plans doivent alors prévoir des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit « la plus courte possible ». Dans une décision en date du 12 juillet 2017 [36], le Conseil d’État a, dans le prolongement de l’arrêt du juge de l’Union, « Client Earth » [37], jugé que les dispositions de la directive imposent une obligation de résultat à l’État en matière de respect des valeurs limites de polluants dans l’air. Il a alors enjoint au Premier ministre ainsi qu’au Ministre chargé de l'Environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par la directive, et ce, dans plusieurs zones en particulier. Si la France a aussi été condamné par le juge de l’Union, deux ans plus tard, en 2019, pour méconnaissance de la directive-cadre sur l’air s'agissant du dioxyde d'azote [38], le Conseil d’État a pris acte, au surplus, de l’inexécution complète de la décision de 2017 et a enjoint de nouveau à l’Etat d’agir en prononçant, cette fois, une astreinte de 10 millions d’euros par semestre jusqu’à la date d’exécution complète de sa décision [39]. Le 4 août 2021, le Conseil d’Etat procède à la liquidation de l’astreinte et condamne l’État à payer les 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021, observant que les seuils limites restaient dépassés dans cinq zones [40].

C’est à une seconde condamnation que procède l’arrêt d’espèce à hauteur de 20 millions d’euros cette fois, cinq ans après la première décision, le juge estimant que celle-ci n’a toujours pas été complètement exécutée. Avec la précédente condamnation du 4 août 2021 et alors que la France a, de nouveau, été condamné par le juge de l’Union pour méconnaissance de la directive-cadre de 2008 mais, cette fois, à propos des particules fines PM10 [41], l’État a donc déjà été condamné à débourser 30 millions d’euros au total. La liquidation de l’astreinte de 20 millions est répartie entre les mêmes bénéficiaires qu’en 2021. Comme en 2021, seule la requérante initiale se voit attribuer une fraction de la somme (50 000 € pour 2 semestres au lieu de 100 000 € pour un semestre en 2021). Comme l’astreinte n’a pas de fonction indemnitaire, les autres requérants ne perçoivent rien, le solde restant étant versé à quatre établissements publics de l’État [42]. Si cette nouvelle étape du contentieux est marquante, d’autres décisions sont à venir puisque le Conseil d’État a déjà annoncé, dans son communiqué de presse, qu’il réexaminera en 2023 les actions de l’État menées de juillet 2022 à janvier 2023. De plus, dans un arrêt du 29 janvier 2021 [43], la cour administrative d’appel de Versailles a demandé au juge de l’Union si les particuliers pouvaient solliciter une indemnisation de l’État pour des préjudices de santé résultant de dépassements des valeurs limites de concentration en NO2 et en PM10 fixées par les normes du droit de l’Union. Dans son arrêt rendu le 22 décembre 2022 [44], la CJUE répond par la négative, les directives européennes fixant des normes pour la qualité de l’air ambiant n’ayant pas, comme telles, pour objet de conférer des droits aux particuliers dont la violation serait susceptible de leur ouvrir un droit à réparation. Affaire à suivre.

II. Les voies de recours

A. Les voies de recours ordinaires : appel et cassation


1) Précisions sur les règles relatives à l’office du juge d’appel s’agissant de l’effet dévolutif de l’appel (n°455195) et de l’évocation (n°461418) (CE, 1°-4° ch. réunies, 7 novembre 2022, n° 455195, N° Lexbase : A01258SG et n° 461418 N° Lexbase : A01228SC, mentionnés aux tables du recueil Lebon)

Dans son contrôle, le juge d’appel est susceptible d’exercer deux techniques : celle de l’évocation ou celle de l’effet dévolutif. Le juge d’appel procède à l’évocation, dans le premier cas, quand, après l’annulation d’un jugement, il décide, lui-même, de régler le litige. L’évocation lui permet de ne pas se prononcer en tant que juge d’appel et de se transformer en juge de première instance dans le but de procéder à nouvel examen du litige, il peut être amené à annuler le jugement et, en conséquence, à « reprendre » le litige dans l’état où celui-ci s’est présenté aux juges de première instance. Son office dans l’évocation est, cependant, encadré puisque, pour évoquer, le juge doit être saisi par l’une des parties, soit de conclusions à fin d’évocation, soit de conclusions relatives au fond du litige. L’arrêt d’espèce (n° 461418) vient ajouter une limite supplémentaire dans la mesure où le Conseil d’État décide que, dès lors qu’un jugement de première instance a été annulé pour défaut de réponse à un moyen, cette irrégularité n’affecte qu’une partie divisible du jugement, ce qui implique l’impossibilité d’annuler, pour ce motif, une partie du jugement non affectée par cette irrégularité, ou de l’examiner par la voie de l’évocation.

Dans le second cas sur la question de l’effet dévolutif, il faut rappeler que l’office du juge d’appel est doublement limité par ce qui a été jugé et par ce qui est appelé. Sous ces réserves, l’effet dévolutif permet de saisir le juge d’appel de l’ensemble du litige. Ce dernier doit statuer sur l’ensemble des moyens tels que les parties les lui présentent. La mise en œuvre de ces principes n’est toutefois pas évidente lorsque les juges de première instance ont rejeté un recours après une neutralisation de motifs. L’arrêt d’espèce (n° 455195) répond à cette difficulté en disposant que lorsqu’une décision administrative repose sur plusieurs motifs, le juge d’appel, s’il remet en cause le ou les motifs qui n’ont pas été censurés en première instance, doit apprécier la légalité des autres motifs fondant cette décision. La présente décision confirme le caractère élastique de la dévolution, tout en préservant sa cohérence. Si le juge d’appel ne doit pas systématiquement réexaminer les motifs neutralisés par les premiers juges, il en a cependant l’obligation lorsqu’il entend remettre en cause les motifs que ces derniers ont validés.

B. Les voies de recours extraordinaires

         (…)

III. Les référés

A. Les référés ordinaires

1) Précisions sur l’articulation entre référé et QPC (CE, 5°-6° ch. réunies, 28 janvier 2022, n° 457987, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A97567KK ; CE, 5°-6° ch. réunies, 1er février 2022, n° 457121, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A12747LR)

La QPC peut être soulevée à l’occasion d’un référé [45] mais le juge saisi n’est pas tenu de l’examiner lorsque le référé auquel est annexée cette QPC est rejeté pour incompétence, irrecevabilité ou défaut d’urgence [46]. L’urgence commande, en effet, la célérité et il y a ici un souci d’économie. Dans cette logique, l’examen de la QPC est sans incidence sur la solution puisque le rejet conduit le juge des référés à ne pas se prononcer sur les prétentions du requérant [47]. La 1ère espèce (n°457987) confirme que le rejet dispense le juge d’avoir à examiner la QPC et emporte refus de la transmettre, sans motivation, que ce soit à la juridiction supérieure si la question est formulée dès la première instance ou au juge constitutionnel si elle l’est, pour la première fois, devant le Conseil d’État. La seconde espèce concerne le rejet du pourvoi en cassation formé contre l’ordonnance de référé. Ce rejet revient à valider le défaut d’urgence, l’incompétence ou l’irrecevabilité et emporte donc, en conséquence, un refus de transmettre la QPC sans même que le juge de cassation ait à l’examiner.


2) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale (art. L. 521-2 CJA) (CE, 2°-7°, ch. réunies, 20 septembre 2022, n° 451129, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A67548IY)

La notion de « libertés fondamentales » au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT a été définie de manière largement prétorienne et fonctionnelle. Le juge en a profité pour élargir et enrichir la notion au-delà du noyau dur des libertés ou de la distinction entre droits-libertés et droits-créances et y inclure des libertés dont les titulaires ne sont pas des particuliers comme la libre administration des collectivités territoriales [48] ou un objectif à valeur constitutionnelle tel le principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion [49]. Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré dans l’arrêt d’espèce comme liberté fondamentale, serait, d’après le Conseil d’État, la 39ème liberté protégée dans le cadre du référé-liberté. Outre l’importance notable d’une telle décision en matière de protection de l’environnement [50], il est confirmé, qu’en dehors de quelques exceptions, les libertés fondamentales trouvent leur fondement dans la Constitution puisque le juge se réfère directement à l’article 1er de la Charte de l’environnement [51]. Les contours de cette nouvelle liberté apparaissent comme étant plutôt larges et amèneront, peut-être, le juge à revoir son appréciation sur certains droits qui n’ont pas été élevés, en raison de leur généralité, au rang de libertés fondamentales [52]. Si une telle consécration suscite d’importants espoirs, sa portée pourrait être plus restreinte eu égard à l’application des conditions du référé-liberté en matière environnementale et à l’existence de nombreuses voies alternatives. Il y a, à ce sujet dans l’arrêt d’espèce, des conditions assez restrictives qui sont posées pour faire valoir l’atteinte à cette liberté fondamentale.

Ainsi, la personne doit justifier, « au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique ». De surcroît, il lui appartient « de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article ». Enfin, dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 est subordonnée « au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ». Cette dernière précision ne suffisant pas, il est aussi posé, selon une formule désormais classique, que « compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés […], les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises ». La mise en œuvre de ces conditions conduit d’ailleurs, après cassation, à rejeter la demande des requérants et attestent qu’elles devraient suffire, à l’avenir, à freiner les velléités contentieuses.

           

B. Les référés extraordinaires

1) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er de la Charte de l’environnement) a le caractère d’une liberté fondamentale (CE, 2°-7° ch. réunies, 10 février 2022, n° 456503, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A09757NG)

C’est le décret du 30 décembre 2019 [53] qui institue le référé « secret des affaires » afin de prévenir toute violation du secret des affaires et donc toute partialité d’une procédure de passation en matière de commande publique. L’article R. 557-3 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4168LUW prévoit ainsi, notamment, qu’un candidat qui participe à une consultation publique est en droit d’obtenir du juge du référé secret des affaires toutes mesures provisoires et conservatoires afin de prévenir une « atteinte imminente » ou « faire cesser une atteinte illicite » à un secret des affaires de son entreprise. Les pouvoirs du juge sont, dans ce cadre, très étendus, ce dernier peut, en effet, « prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée ». Il peut aussi prononcer une astreinte. Sont également mentionnées l’ensemble des mesures figurant à l’article R. 152-1 du Code de commerce N° Lexbase : L9241LTG [54]. Jusqu’à la décision d’espèce, très peu de décisions peuvent être relevées pendant les deux premières années d’existence du référé [55]. Le recours contre l’une d’elle, le pourvoi contre une ordonnance du tribunal administratif de la Guadeloupe, a donné lieu, en l’espèce, à la première décision du Conseil d’État en la matière.

Dans l’affaire en cause, un CHU a confié à un prestataire privé une mission d’assistance pour la passation de marchés d’assurance. L’une des sociétés candidates a toutefois demandé au juge des référés d’interdire l’accès de ce prestataire aux documents déposés par les candidats en alléguant qu’un risque existait qu’il les transmette à un autre soumissionnaire avec lequel, d’après elle, il entretiendrait des liens. La réponse du Conseil d’État remet, quelque part, en cause l’intérêt même de la procédure puisqu’il juge que l’existence de relations étroites entre le prestataire privé et une société concurrente « ne suffit pas, par elle-même, à caractériser un risque d’atteinte imminente au secret des affaires dès lors que la société […] ainsi que son dirigeant et ses personnels sont tenus à une obligation contractuelle de confidentialité dans le cadre de leur mission d’assistance au maître de l’ouvrage ». Comme le note Philippe Rees, « c’est donc à un niveau bien élevé que le Conseil d’État place le curseur de ses exigences pour caractériser un risque d’atteinte imminente au secret des affaires. Élevé, voire impossible, s'agissant des procédures de commande publique, où les personnes ayant accès aux offres ne peuvent, par définition, qu'être toutes tenues à une obligation de confidentialité » [56]. Pour le Conseil d’État, une passation soulevant une difficulté au regard du secret des affaires doit pouvoir être censurée en référé précontractuel dans des cas où les conditions posées pour la mise en œuvre d’un référé « secret des affaires » ne seraient pas remplies ce qui revient à dire que « c’est à l’acheteur et à lui seul de mener en amont l’ensemble des investigations qui doivent lui permettre de s’assurer de l’impartialité de sa procédure d’achat » [57].

IV. Le dialogue des juges

A. Le dialogue avec le juge constitutionnel

1) Ajustement de la jurisprudence du juge constitutionnel sur celle du juge administratif sur le contrôle des ordonnances non ratifiées (Cons. const., décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022 N° Lexbase : A30117ID)

Voir Supra le commentaire de la jurisprudence CE, Sect., 19 juillet 2022, n° 453971.

2) Un grief d’incompétence négative ne peut être utilement présenté, à l’appui d’une QPC, sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée et contraindre ainsi le législateur à légiférer (CE, 1°-4° ch. réunies, 10 octobre 2022, n° 465977, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A52368NA)

A un moment où le Comité consultatif national d'éthique a relancé le débat sur l’aide active à mourir [58] et alors que le juge constitutionnel s’était déjà  prononcé sur une QPC transmise par le Conseil d’État à l’occasion d’une affaire dans laquelle des directives anticipées indiquant une volonté de maintien des soins avaient été écartées [59], l’association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement » a demandé au juge administratif de renvoyer au juge constitutionnel les articles L. 1110-5 N° Lexbase : L4249KYZ et L. 1110-5-3 N° Lexbase : L4210KYL du Code de la santé publique au motif qu’ils porteraient atteinte au « droit de mourir » dans la dignité en s’abstenant de garantir la possibilité pour chacun de mettre fin à ses jours « en dehors de toute situation d’obstination déraisonnable ou de fin de vie ». Les textes en cause n’ayant pas pour objet de reconnaître le droit de chacun de mettre fin à ses jours « au moment de son choix ». Tout en rappelant que le juge  constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le dispositif « Claeys-Leonetti » instauré par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie N° Lexbase : L4191KYU [60], le Conseil d’État estime que le grief tiré de l’incompétence négative du législateur « ne peut être utilement soulevé [qu’]à la condition de contester les insuffisances du dispositif [...], la [QPC n’étant pas] destinée [...] à contraindre le législateur de légiférer sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée ». Beaucoup se sont indignés quant à la non-transmission de la QPC, la réforme sur la fin de vie s’imposant en raison des normes constitutionnelles de notre pays et le juge administratif empêchant le juge constitutionnel de s’exprimer à ce propos. La décision du Conseil d’État arrive bien à propos. Un grief d’incompétence négative ne peut être utilement présenté, à l’appui d’une QPC, qu’à de strictes conditions. La solution avait déjà été dégagée dans une décision du 12 février 2021 [61], trouvant son inspiration dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel [62]. Un tel grief peut viser « à contester les insuffisances du dispositif instauré par les dispositions législatives litigieuses » mais « pas à revendiquer la création d’un régime dédié ». Le Conseil d’État se veut ici l’allié du Conseil constitutionnel qui ne saurait être l’équivalent de la Cour suprême des États-Unis. Le juge constitutionnel est un allié du législateur, la censure des lois existe mais que par rapport aux normes constitutionnelles.   

B. Le dialogue avec le juge de l’Union


1) La méconnaissance de l’obligation de renvoi préjudiciel ne constitue pas une cause autonome de responsabilité de l’État (CE, 9°-10° ch. réunies, 1er avril 2022, n° 443882, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A10307SX)

L’arrêt d’espèce constitue une étape supplémentaire dans le dialogue récent et contrasté entre juge de l’Union et juge administratif. Dans ce dialogue « rugueux » [63], le Conseil d’État sort les griffes et, en dépit du principe de primauté du droit de l’Union, affiche son indépendance de principe. L’arrêt fait suite à une série de refus net opérés par les juges français du palais Royal quant à l’application de l’interprétation du juge de l’Union comme à travers l’arrêt « French Data Network et autres » [64] sur la question de la protection des données sur Internet. Le juge constitutionnel a suivi son homologue dans cette vision des choses en mettant en avant le fait que « la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». Si ces principes avaient été mentionnés à l’origine dès 2006 [65], ils n’ont que récemment été, pour l’un d’eux, identifiés de manière concrète [66]. Dans le même ordre d’idée et toujours pour rappeler son indépendance de principe, le Conseil d’État a jugé, en 2020, que la responsabilité du fait de l’activité des juridictions en cas de méconnaissance du droit de l’Union était limitée aux cas de fautes lourdes et qu’elle relevait du juge administratif, le Conseil d’État devenant ainsi juge et partie ce qui forcément soulève des questions sur l’indépendance et l’impartialité du juge en la matière [67].

Dans la poursuite de ce dialogue compliqué, le juge de l’Union a, fin 2021, mis à jour deux arrêts importants tentant de démanteler les dispositifs nationaux anti-questions préjudicielles [68]. C’est à ces arrêts que répond matériellement le juge administratif en l’espèce. Le Conseil d’État y fait certaines concessions comme le fait d’admettre que, pour les fautes qu’il pourrait éventuellement commises dans l’application du droit de l’Union, il devait s’auto-juger avec une formation différente et qu’il devait, en tous les cas et à chaque fois, justifier d’un non-renvoi de question préjudicielle. Cela ne l’a pas empêché, néanmoins et par la suite, de renforcer sa position en excluant le fait que la violation de l’obligation de renvoi préjudiciel puisse être « une cause autonome d’engagement de la responsabilité » de l’État et en excluant, également, l’existence de tout droit subjectif pour le justiciable à ce qu’une telle question préjudicielle soit posée. En ce sens, le dialogue entre juges français et européens peut, effectivement, apparaitre, parfois, comme étant « rugueux et sans complaisance » [69], mais cela peut s’avérer nécessaire pour maintenir certains équilibres et préserver, au final, ce dialogue si important.


[1] Ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif N° Lexbase : L5719LWQ.

[2] En l’occurrence, l’article 8 de l’ordonnance disposait que le « président de la formation de jugement pouvait dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d’exposer à l’audience des conclusions sur une requête ».

[3] La dérogation est ici obligatoire, il en va ainsi des procédures devant le juge des référés (CJA, art. L. 522-1 N° Lexbase : L5687ICM), du contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage (CJA, art. L. 779-1 N° Lexbase : L3776IRB), de certains contentieux liés au droit des étrangers telle que l’obligation de quitter le territoire (CESEDA, art. L. 614-5 N° Lexbase : L3645LZZ), ou encore du contentieux du droit au logement opposable (CCH, art. L. 441-2-3-1 N° Lexbase : L1707MAH).

[4] La dérogation est ici facultative, l’article R. 732-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4865IRM énumérant les contentieux qui peuvent faire l’objet d’une dispense du prononcé de conclusions (les contentieux du permis de conduire, du refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice, de la naturalisation, de certains impôts telles que la taxe d’habitation et la taxe foncière, de certaines prestations sociales, ou encore de l’entrée, du séjour, de l’éloignement des étrangers, à l’exception des expulsions).

[5] Alors que les dispenses facultatives de l’art. R. 732-1 du Code de justice administrative ne concernent que les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, les dispenses envisagées par l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 précité concernent « l’ensemble des juridictions de l’ordre administratif » (art. 1). Il y a alors dérogation à l’article R. 733-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L7253LYB qui prévoit, expressément, qu’au Conseil d’État « après le rapport, le rapporteur public prononce ses conclusions ».

[6] CE, 23 octobre 2014, n° 372298 N° Lexbase : A0671MZU.

[7] CE, 15 octobre 2014, n° 365074 N° Lexbase : A6671MYQ, AJDA, 2014, p. 2030, obs. C. Biget.

[8] CE, 20 octobre 1982, n° 29501 N° Lexbase : A8598AKN ; CE, 17 avril 1989, n° 58150 N° Lexbase : A0721AQR.

[9] Dans une décision rendue quelques semaines plus tôt, le Conseil d’État avait déjà précisé que les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance « sont législatives » : CE, 6 avril 2022, n° 440715 N° Lexbase : A02827TM.  

[10] Par ex., pour une statue de Jean-Paul II édifiée sur une place publique : CE, 25 octobre 2017, n° 396990 N° Lexbase : A6295WW3, JCP éd. A, 2017, n° 2277, note H. Pauliat, DA, 2018, comm. 7, note G. Eveillard.

[11] En vertu de l’article 552 du Code civil N° Lexbase : L3131ABL, « toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l'intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir [...] ».

[12] Selon l’article 555 du Code civil N° Lexbase : L3134ABP, « lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, [...] soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever ».

[13] Voir, notamment CAA Nantes, 16 septembre 2022, n° 22NT00333 N° Lexbase : A23478IR où la cité balnéaire vendéenne annoncé un pourvoi en cassation après que le juge d’appel  ai rejeté son recours contre un jugement du tribunal administratif de la même ville enjoignant à son maire de procéder à l’enlèvement d’une statue de l’archange Saint-Michel installée en 2018 devant une église à la suite de la fermeture de l’école confessionnelle dont elle était le symbole.

[14] Par ex., pour l’installation des crèches de Noël dans des emplacements publics : CE, ass., 9 novembre 2016, n°395122 N° Lexbase : A0617SGX, Commune de Melun contre Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, Lebon, concl., D., 2016, p. 345, édito. N. Dissaux, AJCT, 2019, p. 489, étude A. Fitte-Duval, RFDA, 2017, p. 127, note J. Morange.

[15] CE, Sect., 8 janvier 1982, n° 24948 N° Lexbase : A2020ALE, Rec. CE, p. 9, AJDA, 1982, p. 662, note F. Julien-Laferrière, D. 1983, p. 239, obs. P. Delvolvé. Voir, par la suite, CESEDA, art. L. 532-2 N° Lexbase : L3556LZQ.

[16] CESEDA, art. L. 511-1 N° Lexbase : L3393LZP.

[17] CESEDA, art. L. 512-1 N° Lexbase : L3405LZ7.

[18] CE, Sect., 8 janvier 1982, n° 24948 N° Lexbase : A2020ALE.

[19] Ce droit, posé par les textes européens (voir Conseil UE, Directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, art. 14, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale N° Lexbase : L9263IXD et Conseil UE, Directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 N° Lexbase : L9965HDG, art. 12, relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres), a été repris dans les art. L. 531-12 N° Lexbase : L3443LZK à L. 531-21 du CESEDA.

[20] Voir en ce sens, CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-517/17, Addis N° Lexbase : A57113RX, où l’objectif de l’entretien personnel est de s’assurer « que le demandeur a été invité à fournir, en coopération avec l'autorité responsable de cet entretien, tous les éléments pertinents pour apprécier la recevabilité et, le cas échéant, le bien-fondé de sa demande de protection internationale, ce qui confère à cet entretien [...] une importance primordiale » (point 70).

[21] CE, 10 octobre 2013, n° 362798 N° Lexbase : A7254KMM, Rec. CE, p. 254. Cette solution a été reprise par l’article L. 532-3 du CESEDA N° Lexbase : L3457LZ3.

[22] L’Office ne peut être regardé comme s’étant dispensé de l’entretien « aux seuls motifs que celui-ci n'a pas donné lieu à un enregistrement sonore ou que, si l'enregistrement n'a pas été possible, le demandeur n'a pas eu la possibilité de formuler des observations sur la transcription au terme de l'entretien » (point n° 3).

[23] Voir les articles L. 521-8 N° Lexbase : L3422LZR à L. 521-12 du CESEDA, en particulier l'article L. 521-9 N° Lexbase : L3418LZM, où un administrateur ad hoc doit être désigné par le procureur pour assister le mineur et assurer sa représentation.

[24] En l’espèce, la section disciplinaire du Conseil académique de Sorbonne Université.

[25] Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).

[26] CE, 30 décembre 2014, n° 381245 N° Lexbase : A8359M84, Rec. CE, p. 443, concl. Keller, AJDA, 2015, p. 749, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe.

[27] J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, Le juge de cassation redéfinit son contrôle sur le choix de la sanction, AJDA, 2015, p. 749 et suiv.

[28] Conclusions X. Domino à l’AJDA 2015, p. 1047 sur la décision CE, 27 février 2015, n° 376598 N° Lexbase : A5178NCR, Rec. CE, p. 51.

[29] CE, 18 octobre 2018, n° 412845 N° Lexbase : A6618YG9.

[30] CE, 30 juin 2016, n° 393438 N° Lexbase : A9990RUK.

[31] CE, 9 octobre 2020, n° 425459 N° Lexbase : A33923XW.

[32] En raison de « l’exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service, et compte tenu de l'atteinte portée, du fait de la nature des fautes commises par l'intéressé, à la réputation du service public de l'éducation nationale ainsi qu'au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service » (CE, 18 juillet 2018, n° 401527 N° Lexbase : A5896XZE).

[33] CE, 27 juillet 2015, n°367484 N° Lexbase : A0742NNS, Rec. CE, p. 285, AJDA, 2015, p. 2278, note A. Perrin.

[34] O. Le Bot, Chronique de contentieux administratif, JCP éd. A, 2022, n° 2241.

[35] Qui ont été transposées en droit interne, notamment, par les articles L. 221-1 N° Lexbase : L1249KZB et R. 221-1 N° Lexbase : L2515INH et et L. 222-4 N° Lexbase : L3082KGA et L. 222-5 N° Lexbase : L9600LHZ du Code de l’environnement.

[36] CE, 12 juillet 2017, n° 394254 N° Lexbase : A6547WMG, Lebon, AJDA, 2018, p. 167, note A. Perrin et M. Deffairi, RFDA, 2017, p. 1135, note A. Van Lang.  

[37] CJUE, 19 novembre 2014, aff. C-404/13, ClientEarth c/ The Secretary of State for the Environment, Food and Rural Affairs N° Lexbase : A4426M3C.

[38] CJUE, 24 octobre 2019, aff. C-636/18, Commission c/ France N° Lexbase : A3317ZSN.

[39] CE, 10 juillet 2020, n° 428409 N° Lexbase : A17963RX, AJDA, 2020, p. 1776, chron. C. Malverti et C. Beaufils.

[40] CE, 4 août 2021, n° 428409 N° Lexbase : A58514ZQ, JCP éd. A, 2021, n° 2384, chron. O. Le Bot.

[41] CJUE, 28 avril 2022, aff. C-286/21, Commission c/ France N° Lexbase : A92717UW.

[42] L’Agence de la transition énergétique (ADEME) : 5,95 millions d'euros ; le Centre d'études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) : 5 millions d'euros ; l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) : 4 millions d'euros et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) : 2 millions d'euros). Sont également bénéficiaires les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air des zones concernées (Airparif, Atmo Auvergne Rhône-Alpes, Atmo Occitanie et Atmo Sud).

[43] CAA Versailles, 29 janvier 2021, n° 18VE01431 N° Lexbase : A25764E7.

[44] CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-61/21, JP c/ Ministre de la Transition écologique et Premier ministre N° Lexbase : A556884Y.

[45] CE, ord., 16 juin 2010, n° 340250 N° Lexbase : A9876EZS, Rec. CE, p. 205, JCP éd. G, 2010, n° 739, note P. Cassia, AJDA, 2010, p. 1662, note O. Le Bot.

[46] Voir, pour le référé-liberté : CE, ord., 16 juin 2010, n° 340250, préc. et, pour le référé-suspension : CE, 21 octobre 2010, n° 343527 N° Lexbase : A4576GCH, Rec. CE, p. 392.

[47] Il en va différemment lorsque le juge des référés rejette une demande en référé comme manifestement mal fondée, il doit, alors et au contraire, se prononcer explicitement sur le refus de transmission de la QPC : CE, 16 janvier 2015, n° 374070 N° Lexbase : A4787M98.

[48] CE, Sect., 18 janvier 2001, n° 229247 N° Lexbase : A3240ARG, Rec. CE, p. 18.

[49] CE, ord., 24 févr. 2001, n° 230611 N° Lexbase : A2604ATM, Rec. CE, p. 85.

[50] L’intégration du droit proclamé par l’article 1er de la Charte de l’environnement dans le champ du référé-liberté faisait partie des propositions de la mission « flash » sur le référé spécial environnemental. La proposition n° 8 soumettait l’idée d’intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l’environnement dans le champ du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT. Cette proposition avait fait l’objet d’un amendement lors des discussions de la loi climat et résilience mais il n’a pas été retenu.

[51] Le juge aurait pu viser l’objectif de valeur constitutionnelle dégagé dans la décision Cons. const., décision n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020 N° Lexbase : A85123CA.

[52] Par ex., le droit au logement (CE, 3 mai 2002, n° 245697 N° Lexbase : A9776AYQ) ou le droit à la santé (CE, 8 septembre 2005, n° 284803 N° Lexbase : A4127DK3).

[53] Décret n°2019-1502 du 30 décembre 2019, portant application du titre III de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et autres mesures relatives à la procédure contentieuse administrative N° Lexbase : L2666LUB.

[54] Les mesures de cet article sont particulièrement énergiques puisque la juridiction peut interdire la réalisation ou la continuation de certains actes, interdire des actes de production, ordonner des saisies, etc…

[55] Le recours au référé « secret des affaires » demeure assez confidentiel : comme le note Philippe Rees, « en un peu plus de 2 années d'existence, il n'a donné lieu qu'à cinq ordonnances, qui toutes concernent des référés introduits à titre préventif » (P. Rees, Ci-gît le référé « secret des affaires » à titre préventif (?), CMP, 2022, n° 4, comm. n° 126). Cf. TA Nancy, 26 octobre 2020, n° 2002619 N° Lexbase : A25104LK ; TA Montreuil, 1er juin 2021, n° 2106741 N° Lexbase : A50859AL ; TA Guadeloupe, 9 juin 2021, n° 2100560 N° Lexbase : A721943R ; TA Cergy-Pontoise, 29 septembre 2021, n° 2112000 ; TA Cergy-Pontoise, 29 septembre 2021, n° 2112001.

[56] P. Rees, Ci-gît le référé « secret des affaires » à titre préventif (?), op. cit.

[57] M. Tharreau et N. Charrel, Le Conseil d’Etat "abyme" le référé secret des affaires, cabinet Charrel, 14 mars 2022.

[58] Le Comité consultatif national d’éthique, avec son avis relatif aux questions éthiques relatives aux situations de fin de vie qui a été publié le 13 septembre 2022, permet au Président de la République de lancer un nouveau débat sous forme d’une convention citoyenne dont les conclusions seront rendues en mars 2023.

[59] CE 19 août 2022, n° 466082 N° Lexbase : A68868ER où l’article L. 1111-11, al. 3, N° Lexbase : L4870LWB du Code de la santé publique est jugé conforme à la Constitution en ce qu’il permet aux médecins d’écarter les directives anticipées d’un patient hors d’état d'exprimer sa volonté si elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » (Cons. const., décision n°2022-1022 QPC du 10 novembre 2022 N° Lexbase : A29118SM).

[60] Cons. const., décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 N° Lexbase : A2992WGW, JO, 4 juin 2017, texte n° 78.

[61] CE, 12 février 2021, n° 440401 N° Lexbase : A83034GM.

[62] Cons. const., décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018 N° Lexbase : A8393YRB.

[63] N. Hervieux, Dialogue « rugueux », GP, 2021, n° 34, 5 octobre 2022.

[64] CE, 21 avril 2021, n° 393099 N° Lexbase : A01664Q9, Rec. CE, AJDA, 2021, p. 1194, chron. C. Malverti et C. Beaufils, D., 2021, p. 1268, note T. Douville et H. Gaudin et p. 1247, point de vue J. Roux, DA, 2021, comm. n° 29, note G. Eveillard.

Voir aussi notre commentaire, C. De Bernardinis, Le Conseil d’État « caution juridictionnelle » du pouvoir ou « maillon essentiel » du dialogue des juges, Lexbase Public, juillet 2021, n° 633 N° Lexbase : N8195BY8.

[65] Cf. Cons. const., décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 N° Lexbase : A5780DQ7, Rec. CC, p. 88.

[66] Cons. const., décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 N° Lexbase : A324349Y, où le juge constitutionnel identifie le premier « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France », en l’occurrence le monopole public de la force légale opposable, donc, comme tel, au droit européen.

[67] CE, 9 octobre 2020, n° 414423 N° Lexbase : A33893XS. Voir, par ex., A. Jacquemet-Gauché, Le Conseil d’État peut-il être juge et partie ?, AJDA, 2020, p. 2579 et suiv.

[68] CJUE, GC, 6 octobre 2021, aff. C-561/19, Consorzio Italian Management, Catania Multiservizi SpA, contre Rete Ferroviaria Italiana SpA N° Lexbase : A863648D ; CJUE, GC, 23 novembre 2021, aff. C‑564/19, Pesti Központi Kerületi Bíróság N° Lexbase : A61297CY.

[69] J.-M. Sauvé, L’autorité du droit de l’Union européenne : le point de vue des juridictions constitutionnelles et suprêmes », 19 octobre 2017.

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