Réf. : CJUE, 19 janvier 2023, aff. C-680/20 N° Lexbase : A9303883
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par Vincent Téchené
le 20 Janvier 2023
► Les agissements adoptés par des distributeurs d’un producteur jouissant d’une position dominante peuvent être imputés à ce dernier s’il est établi que ces agissements n’ont pas été adoptés de manière indépendante par lesdits distributeurs ;
En présence de clauses d’exclusivité figurant dans des contrats de distribution, une autorité de concurrence est tenue, pour constater un abus de position dominante, d’établir, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes que ces clauses ont la capacité de restreindre la concurrence.
Faits et procédure. L’autorité italienne garante de la concurrence (l’AGCM) a constaté qu’Unilever avait abusé de sa position dominante sur le marché italien de la commercialisation des glaces en conditionnements individuels destinées à être consommées hors du domicile des consommateurs, dans divers points de vente.
L’abus reproché à Unilever résultait d’agissements matériellement commis non pas par cette société, mais par des distributeurs indépendants de ses produits qui avaient imposé des clauses d’exclusivité aux exploitants desdits points de vente.
Le recours formé par Unilever contre cette décision a été rejeté dans son intégralité par la juridiction de première instance. Saisi en appel, le Consiglio di Stato (Conseil d’État italien) a posé à la Cour des questions préjudicielles au sujet de l’interprétation et de l’application du droit de l’Union de la concurrence au regard de la décision de l’AGCM.
Décision. La CJUE précise alors les modalités de mise en œuvre de l’interdiction d’abus de position dominante visée à l’article 102 TFUE N° Lexbase : L2399IPK face à une entreprise dominante dont le réseau de distribution est organisé exclusivement sur une base contractuelle et spécifie, dans ce contexte, la charge de la preuve incombant à l’autorité nationale de concurrence.
Tout d’abord, la Cour juge que des agissements abusifs commis par des distributeurs faisant partie du réseau de distribution d’un producteur jouissant d’une position dominante, tel qu’Unilever, peuvent être imputés à ce dernier au titre de l’article 102 TFUE s’il est établi que ces agissements n’ont pas été adoptés de manière indépendante par ses distributeurs, mais qu’ils font partie d’une politique décidée unilatéralement par ce producteur et mise en œuvre par l’intermédiaire desdits distributeurs.
En effet, dans un tel cas de figure, les distributeurs et, par conséquent, le réseau de distribution que ces derniers forment avec l’entreprise dominante doivent être considérés comme étant simplement un instrument de ramification territoriale de la politique commerciale de ladite entreprise et, à ce titre, comme étant l’instrument par lequel, le cas échéant, la pratique d’éviction en cause a été mise en œuvre.
Ensuite, la Cour rappelle qu’un abus de position dominante peut notamment être établi lorsque le comportement reproché a produit des effets d’éviction à l’égard de concurrents. Il appartient, en général, aux autorités de concurrence de démontrer le caractère abusif d’un comportement au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes entourant le comportement en cause, ce qui inclut celles mises en exergue par les éléments de preuve avancés en défense par l’entreprise en position dominante.
Dans ce contexte, s’agissant plus particulièrement de l’utilisation de clauses d’exclusivité, la CJUE relève qu’il ressort de sa jurisprudence que les clauses par lesquelles des cocontractants s’engagent à s’approvisionner pour la totalité ou une part considérable de leurs besoins auprès d’une entreprise en position dominante, même non assorties de rabais, constituent, par nature, une exploitation d’une position dominante et qu’il en va de même pour les rabais de fidélité accordés par une telle entreprise.
Puis, rappelant les termes de la jurisprudence « Intel » (CJUE, 6 septembre 2017, aff. C-413/14 P N° Lexbase : A7058WQH), la Cour retient qu’il en résulte que, d’une part, lorsqu’une autorité de concurrence suspecte qu’une entreprise a violé l’article 102 TFUE en ayant recours à des clauses d’exclusivité et que cette dernière conteste, au cours de la procédure, la capacité concrète desdites clauses d’exclure du marché des concurrents aussi efficaces, éléments de preuve à l’appui, cette autorité doit s’assurer, au stade de la caractérisation de l’infraction, que ces clauses avaient, dans les circonstances de l’espèce, la capacité effective d’exclure du marché des concurrents aussi efficaces que cette entreprise.
Elle ajoute que lorsque l’entreprise en position dominante a produit une étude économique afin de démontrer que la pratique qui lui est reprochée n’est pas susceptible d’évincer des concurrents, l’autorité de concurrence compétente ne saurait exclure la pertinence de cette étude sans exposer les raisons pour lesquelles elle estime que celle-ci ne permet pas de contribuer à la démonstration de l’incapacité des pratiques mises en cause à porter atteinte à la concurrence effective sur le marché concerné et, par suite, sans mettre en mesure ladite entreprise de déterminer l’offre de preuve qui pourrait lui être substituée.
La juridiction de renvoi s’étant référée expressément, dans son renvoi préjudiciel, au test du « concurrent aussi efficace », la Cour relève, enfin, qu’un tel test n’est qu’une méthode parmi d’autres permettant d’apprécier si une pratique a la capacité de produire des effets d’éviction. Par conséquent, les autorités de concurrence ne sauraient avoir l’obligation juridique d’avoir recours à ce test pour constater le caractère abusif d’une pratique. Toutefois, si les résultats d’un test de cette nature sont présentés par l’entreprise concernée au cours de la procédure administrative, l’autorité de concurrence est tenue d’en examiner la valeur probante.
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