La lettre juridique n°930 du 12 janvier 2023 : Droit pénal de la presse

[Jurisprudence] Conformité de l’exclusion des requêtes en nullité d’un acte d’investigation violant le secret des sources, par des journalistes n’ayant pas la qualité de partie à la procédure

Réf. : Const. const., décision n° 2022-1021 QPC, du 28 octobre 2022 N° Lexbase : A21288RA

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N3543BZA

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par Evan Raschel, Professeur à l’Université Clermont Auvergne

le 12 Janvier 2023

Mots-clés : procédure pénale • nullité  • acte d’investigation  • secret des sources  • journalistes

Dans le cas d’un acte d’investigation réalisé en violation des règles protégeant le secret des sources des journalistes, une requête en nullité formée par l’un d’eux doit être rejetée s’ils n’ont pas par ailleurs la qualité de partie à la procédure. Cette exclusion est conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit.


 

La question posée au Conseil constitutionnel trouvait son origine dans l’évasion spectaculaire de Redoine Faïd, exfiltré à bord d’un hélicoptère du centre pénitentiaire où il était détenu, et plus précisément, dans le documentaire télévisé qu’une journaliste consacra à cette affaire. En effet, la police aurait – à en croire un quotidien national - profité de la réalisation de ce documentaire pour surveiller la journaliste, en espérant trouver des indices permettant de remonter la piste du braqueur.

La journaliste, scandalisée par cette surveillance, aurait souhaité la critiquer et la contester. Elle prétendait pour cela s’appuyer sur les articles 60-1 N° Lexbase : L7995MBQ et 100-5 N° Lexbase : L1325MAC du Code de procédure pénale qui interdisent, à peine de nullité, de verser au dossier de la procédure les éléments obtenus par une réquisition prise en violation du secret des sources d'un journaliste, lequel est protégé par l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 N° Lexbase : Z62491KA, et de transcrire les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source.

Cependant la journaliste s’est heurtée au fait qu’elle n’était ni partie à la procédure, ni témoin assisté, de sorte qu’elle n’avait pas accès au dossier et ne pouvait utiliser une quelconque voie de recours pour faire annuler les actes de surveillance. C’est ce qui peut en effet être déduit de l’article 170 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0918DYN : « En toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté » [1]. Par conséquent, une jurisprudence constante de la Cour de cassation retient qu'un tiers à la procédure, y compris un journaliste, ne peut pas demander l'annulation d'un acte qui aurait été accompli en violation du secret des sources.

La journaliste contestait ces dispositions et leur interprétation jurisprudentielle, en faisant valoir, en outre, qu'aucune autre voie de droit ne lui permettrait de faire constater l'illégalité de cet acte. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, du droit au respect de la vie privée et de la liberté d'expression. Elle estimait par ailleurs qu'en réservant la possibilité de former une telle requête en nullité au journaliste qui a la qualité de partie ou de témoin assisté, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi.

Ces différents reproches furent écartés par le Conseil constitutionnel, qui rendit le 28 octobre une décision de conformité totale.

Pour ce faire, le Conseil insiste d’abord sur les raisons justifiant cette exclusion. En réservant à ces personnes la possibilité de contester la régularité d'actes ou de pièces versés au dossier de la procédure, le législateur a entendu préserver le secret de l'enquête et de l'instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 N° Lexbase : L1366A9H et 9 N° Lexbase : L1373A9Q de la Déclaration de 1789 (§ 13).

Ensuite, le Conseil relève que lorsqu'un acte d'investigation accompli en violation du secret des sources est constitutif d'une infraction, le journaliste qui s'estime lésé par celle-ci peut mettre en mouvement l'action publique devant les juridictions pénales en se constituant partie civile et demander la réparation de son préjudice. Si, en application de l'article 6-1 du Code de procédure pénale, l'action publique ne peut être exercée dans le cas où l'illégalité de l'acte ne serait pas soulevée par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté, et définitivement constatée par la juridiction qui en est saisie, le journaliste conserve la possibilité d'invoquer l'irrégularité de cet acte à l'appui d'une demande tendant à engager la responsabilité de l'État du fait de cette violation (§ 14).

Cette décision de conformité confirme d’autres positions antérieures du Conseil constitutionnel, dont il résultait déjà un faible intérêt pour la protection du secret des sources des journalistes. À titre principal, mentionnons une proposition de loi qui visait à lister les infractions pour lesquelles une atteinte au secret des sources aurait été possible, à prévoir une série de sanctions en cas de violations, enfin à inscrire un principe d’immunité pénale en cas de recel. Si la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias N° Lexbase : L1043LBA fut bien adoptée [2], ce fut amputée de ces innovations. Saisi a priori, le Conseil constitutionnel [3], en effet, rappela d’abord qu’ « aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement […] un droit au secret des sources des journalistes » [4]. Il considéra, ensuite, qu’il serait résulté de cette proposition de loi une conciliation déséquilibrée entre la liberté d'expression et de communication et, d’une part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, d’autre part, les exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d'infractions et la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle.

De la sorte, le texte principal reste celui issu de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes N° Lexbase : L1938IGU [5]. Cette loi a notamment inscrit ce principe à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 – soit immédiatement après l’affirmation de principe de liberté de la presse. Son alinéa premier dispose : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public », et la suite de l’article interdit les atteintes directes ou indirectes au secret des sources. Mais même cet article 2 envisage la prise en compte des impératifs liés au déroulement d’une procédure pénale, puisque son dernier alinéa dispose : « Au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte [au secret des sources], de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité ».

Il n’est pas impossible que la solution commentée finisse par être soumise à la Cour européenne des droits de l’Homme, traditionnellement plus protectrice de la liberté d’expression. Rappelons qu’il résulte de sa jurisprudence, notamment de son célèbre arrêt Goodwin [6], que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » ; et que « L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de “chien de garde” et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie ». Seul un « impératif prépondérant d’intérêt public » permet d’écarter le secret des sources.

 

[1] Nous soulignons. Adde C. proc. pén., art. 171 N° Lexbase : L3540AZ7 : « Il y a nullité lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne » ; et C. proc. pén., art. 173 N° Lexbase : L7455LPS.

[2] Elle créa notamment l’art. 2 bis de la loi de 1881 N° Lexbase : Z86692PL, dont l’alinéa 1er dispose : « Tout journaliste, au sens du 1° du I de l'article 2, a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d'émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice ».

[3] Cons. const., décision n° 2016-738 DC, du 10 novembre 2016, § 23 N° Lexbase : A3812SGB.

[4] Cons. const., décision n° 2015-478 QPC, du 24 juillet 2015, cons. 16 N° Lexbase : A9644NM7 ; Cons. const., décision n° 2016-738 DC, 10 novembre 2016, préc. § 17.

[5] Les journalistes étant définis à l’alinéa 2 de l’article 2.

[6] CEDH, gd ch., 27 mars 1996, Req. 17488/90, Goodwin c/ RU, § 39 N° Lexbase : A1234GBC ; plus récemment : CEDH, 5e sect., 28 juin 2012, Req. 15054/07 et 15066/07, Ressiot et a. c/ France, § 124 N° Lexbase : A2135IQ7 : le secret des sources n’est pas « un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection ».

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