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N3871BZE
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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public à l’Université de Caen-Normandie, Centre Maurice Hauriou (Université Paris V- Descartes), Avocat au barreau de Paris, directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"
le 11 Janvier 2023
Ce rapide panorama de jurisprudence 2022 n’a pas la prétention de faire un tour d’ensemble des décisions importantes publiées au cours de l’année 2022. Il a pour seul objectif de s’arrêter sur certaines évolutions jurisprudentielles. Le mouvement engagé par le Conseil d’État depuis maintenant plusieurs années se poursuit : au-delà même des textes, la jurisprudence a manifestement pour but, que ce soit dans l’interprétation des normes ou des règles de procédure, à écarter tous les obstacles possibles à la construction. Quant à la question de l’implantation des éoliennes, on peut se demander s’il est encore utile de maintenir l’illusion de l’effectivité des recours. Au travers cette tendance, c’est tout un remodelage du paysage urbain et rural de la France qu’on semble vouloir imposer.
Sommaire
A. L'élaboration des documents d'urbanisme
CE 1°-4° ch. réunies, 7 juillet 2022, n° 451137, mentionné aux tables du recueil Lebon
B. Les règles relatives aux constructions
CE 9°-10° ch. réunies, 23 novembre 2022, n° 441184, mentionné aux tables du recueil Lebon
C. Permis de démolir et protection des lieux
CE 1°-4° ch. réunies, 12 mai 2022, n° 453959, mentionné aux tables du recueil Lebon
D. La covisibilité des constructions nouvelles
CE 5°-6° ch. réunies, 22 septembre 2022, n° 455658, mentionné aux tables du recueil Lebon
E. L'inopérance des réglementations sans décisions
CE 5°-6° ch. réunies, 7 mars 2022, n° 440245, mentionné aux tables du recueil Lebon
F. Les limites à l'urbanisation
CE 1°-4° ch. réunies, 10 octobre 2022, n° 451530, mentionné aux tables du recueil Lebon
G. Les limites à l’urbanisation (suite)
CE 9°-10° ch. réunies, 22 avril 2022, n° 450229, mentionné aux tables du recueil Lebon
II. Les procédures d'urbanisme
A. Les procédures administratives
CE 5°-6° ch. réunies, 27 mai 2019, n° 420554, mentionné aux tables du recueil Lebon
B. La date d’appréciation de l’intérêt pour agir
CE 9°-10° ch.-r., 21 septembre 2022, n° 461113, mentionné aux tables du recueil Lebon
C. La notification des recours
CE 2°-7° ch. réunies, 27 septembre 2022, n° 456071, mentionné aux tables du recueil Lebon
D. Le permis modificatif
CE, Sect., 26 juillet 2022, n° 437765, publié au recueil Lebon
E. La cristallisation des règles applicables aux lotissements
CE 1°-4° ch. réunies, 13 juin 2022, n° 452457, mentionné aux tables du recueil Lebon
F. La modification des règles des lotissements
CE 5°-6° ch. réunies, 1er juin 2022, n° 443808, mentionné aux tables du recueil Lebon
A. L'élaboration des documents d'urbanisme (CE 1°-4° ch. réunies, 7 juillet 2022, n° 451137, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A29018AP)
La jurisprudence avait déjà précisé que, lors de l’élaboration du plan local d’urbanisme, le projet de plan ne peut subir de modifications, entre la date de sa soumission à l'enquête publique et celle de son approbation, qu'à la double condition que ces modifications ne remettent pas en cause l'économie générale du projet et procèdent de l'enquête [1]. L’arrêt du 7 juillet 2022, tout en reprenant cette solution, en réduit la portée en énonçant qu’aucun principe ni aucune règle du code de l’urbanisme n’impose à la délibération par laquelle le conseil municipal approuve un projet de plan local d'urbanisme de comporter une présentation des modifications apportées au projet à l'issue de l'enquête publique. L’apport principal de la décision tient dans les conditions de révision. L’article L. 153-27 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6909L7Z prévoit que les résultats de l’application du plan sont évalués après une période qui était de neuf ans avant que la loi n° 2021-1114 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, ne la réduise à six ans. L’article R. 151-4 N° Lexbase : L0338KWG impose au rapport de présentation de mentionner les indicateurs servant de base à cette analyse, ce que rappelle l’arrêt.
Le Conseil d’État en tire les conséquences de manière dissociée au regard des dispositions du plan : « si l'absence dans le plan local d'urbanisme approuvé de tels indicateurs est constitutive d'une illégalité , une telle illégalité, qui est par elle-même, eu égard à l'objet des indicateurs, sans conséquence sur le plan local d'urbanisme en tant qu'il fixe les règles susceptibles d'être opposées aux demandes d'autorisation d'urbanisme, n'est de nature à justifier que l'annulation partielle de la délibération approuvant le plan, en tant seulement qu'elle a omis d'identifier les indicateurs en cause ». La délibération qui omet de préciser les indicateurs est donc illégale sans que cette illégalité ne touche les règles applicables aux autorisations. L’annulation prononcée sur ce fondement est ainsi partielle et n’interdit pas à l’autorité de faire application des règles du plan. Il n’y a donc pas lieu d’écarter celui-ci et l’illégalité tenant à l’absence des indicateurs ne faire pas revivre le plan immédiatement antérieur comme c’est le cas lorsque les règles relatives à l’utilisation des sols sont concernées [2]. Commet donc une erreur de droit, la cour qui refuse de tirer la moindre conséquence de l’illégalité de la délibération en ce qu’elle n’a pas déterminé les indicateurs qui permettront d’apprécier la mise en œuvre du plan
B. Les règles relatives aux constructions (CE 9°-10° ch. réunies, 23 novembre 2022, n° 441184, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A09768UP)
L’article L. 151-28 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6905L7U autorise le règlement des plans locaux d'urbanisme à délimiter des secteurs à l'intérieur desquels la réalisation de programmes de logements comportant des logements locatifs sociaux, au sens de l'article L. 302-5 du Code de la construction et de l'habitation N° Lexbase : L4879MBC, bénéficie d'une majoration du volume constructible, tel qu'il résulte des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l'emprise au sol. Cette majoration, fixée pour chaque secteur, ne peut excéder 50 %. Il s’ensuit que si le plan autorise une majoration de 30%, lorsqu'est en cause la règle de gabarit, définie par le règlement comme la règle de distance des constructions par rapport, notamment, aux limites séparatives, cette majoration permet notamment, pour une distance à la limite séparative donnée, d'augmenter d'un coefficient de 1,3 la hauteur du bâtiment autorisée par la règle de distance aux limites séparatives ou, pour une hauteur donnée, de réduire la distance aux limites séparatives d'un coefficient de 1,3. Cette hauteur ne peut être augmentée au-delà de la limite « en valeur absolue » définie par le règlement. De même, la distance par rapport aux limites séparatives ne peut être réduite en-deçà de cette limite. Il en résulte que le respect des règles doit être apprécié, non par rapport à la hauteur maximale théorique de l’immeuble mais par rapport à sa hauteur effective.
Dans le cas contraire, en effet, les hauteurs et les distances pourraient être majorées et/ou minorées en dehors du respect de la norme locale. Si cette solution apparaît logique, l’emploi de l’expression « valeur absolue » est pour le moins surprenante dès lors que la valeur absolue d’un nombre A est définie comme le supérieur de A et de -A. On ne voit donc pas trop clairement en quoi la valeur absolue intervient ici. Le Conseil d’État a manifestement voulu prendre en compte, dans une seule phrase évoquant simultanément la règle applicable à la distance et celle applicable à la hauteur, d’un côté une diminution et de l’autre une augmentation de 30 %. Il reste que la référence à la valeur absolue est pour le moins contestable dès lors qu’il s’agit de deux mesures distinctes. Les règles d’urbanisme sont parfois assez obscures pour que le juge n’en rajoute pas en recourant à des concepts mathématiques étrangers au droit dans le seul but de faire les phrases les plus concises.
C. Permis de démolir et protection des lieux (CE 1°-4° ch. réunies, 12 mai 2022, n° 453959, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A06777XD)
L’exigence formulée par l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0544KW3, qui subordonne, dans le cadre de l’application du règlement national d’urbanisme, la délivrance des autorisations à la condition que la construction ne soit pas « de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales », est souvent reprise dans des termes identiques dans les documents locaux d’urbanisme. Le Conseil d’État précise que ces exigences ne s’appliquent pas aux seules démolitions prises isolément, ce qui peut être admis dès lors que ces dispositions ne font état que des « constructions ». La prise en compte de ces exigences n’intervient que lorsque les constructions s’accompagnent de démolitions préalables nécessaires. L’arrêt du 12 mai 2022 précise que « si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou à la conservation des perspectives monumentales, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité du permis de construire délivré, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés par les dispositions mentionnées ci-dessus.» [3].
Lorsque le permis porte sur une construction précédée d’une démolition, l'administration doit apprécier l'impact sur le site, non de la seule démolition de la construction existante mais de son remplacement par la construction autorisée. Cette conséquence, qui découle de l’appréciation littérale des textes, permet d’exclure toute prise en compte de l’intérêt, au regard de sa seule disparition, d’un immeuble existant voué à la démolition. Cette décision constitue un outil significatif destiné à faciliter le remplacement de constructions anciennes présentant un intérêt historique ou patrimonial mais qui gênent l’édification d’immeubles plus modernes. Là encore, le Conseil d’État s’emploie à éliminer tous les obstacles susceptibles de s’opposer à la modernité et cette solution pourrait, par exemple, s’appliquer à la reconstruction, précédée d’une démolition partielle, d’un édifice historique sans qu’on puisse prendre en considération les conséquences cette démolition en elle-même.
D. La covisibilité des constructions nouvelles (CE 5°-6° ch. réunies, 22 septembre 2022, n° 455658, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A46838KN)
Dans le prolongement de l’arrêt précité du 12 mai 2022, le Conseil d’État étend la solution énoncée dans cette décision à la question, notamment, de la covisibilité des constructions avec les autres édifices. Il précise les modalités du raisonnement du juge en relevant que le second temps du raisonnement qui consiste à opérer une balance d'intérêts divers en présence ne peut conduire l’administration et donc le juge à prendre en compte d’autres intérêts que ceux mentionnés par l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme et, le cas échéant, par le plan local d'urbanisme de la commune. L’arrêt fait application de ce principe à la problématique de la covisibilité avec les bâtiments remarquables en relevant que pour « apprécier aussi bien la qualité du site que l'impact de la construction projetée sur ce site, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d'autres législations ». Sur ce fondement, le Conseil d’Etat censure l’arrêt d’appel au motif que la cour avait jugé que la covisibilité d’un monument historique avec un champ d’éoliennes n’entrait pas dans les critères à prendre en compte pour juger de l’application de l’article R. 111-27.
La victoire, très probablement provisoire, des requérants ne doit pas faire illusion. La protection dont un bâtiment remarquable peut bénéficier en application d’une législation spéciale constitue, désormais, un critère illégal : la qualité du site et l’impact du projet sont pris en compte sans qu’un moyen tiré de l’existence d’une protection spéciale soit opérant. Autant dire qu’un pan du mur déjà fragile qui entourait les nombreux édifices remarquables que recèle la France vient de s’effondrer puisque les motifs qui ont justifié leur protection et le régime juridique qui en découle ne sont plus effectifs. Mais il est vrai qu’il s’agit de construire des éoliennes. Tout est donc permis.
E. L'inopérance des réglementations sans décisions (CE 5°-6° ch. réunies, 7 mars 2022, n° 440245, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A86757PY)
L’implantation des éoliennes étant manifestement d’intérêt public, le Conseil d’État pourrait utiliser la procédure préalable d’admission des pourvois pour envoyer un message clair aux requérants éventuels et les dissuader d’exercer les voies de recours juridictionnels. La procédure juridictionnelle a d’ores et déjà été délestée de la première instance par l’article R. 311-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9083IRT qui confie ce contentieux en premier et dernier ressort aux cours administratives d’appel pour s’assurer de l’absence de toute décision dissidente qui pourrait être rendue par des magistrats de première instance qui ne seraient pas convaincus du bien-fondé des décisions publiques relatives aux énergies renouvelables. Du côté du juge de cassation, le contrôle de cassation se trouve réduit à sa portion congrue dès lors que, relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond, l'appréciation des risques de covisibilité et de nuisances sonores ainsi que l’appréciation de l’atteinte aux intérêts définis par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6525L7S au nombre desquels figurent la santé, la sécurité, la protection de la nature, de sites et des monuments.
Il restait au Conseil d’État à écarter d’éventuelles prescriptions dissidentes issues de législations différentes. C’est chose faite avec le règlement départemental de la voirie dès lors que celui-ci impose des règles d’implantation des éoliennes par rapport aux voies publiques. L’argument tient dans l’absence de décision liée à cette contrainte. L’installation des éoliennes relève, pour faciliter leur implantation, d’une autorisation administrative unique qui se substitue aux éventuelles autorisations imposées en matière d’urbanisme. Il suffit donc au Conseil d’Etat de constater que la norme de distance imposée par le règlement départemental de la voirie ne conduit à l’édiction d’aucune décision pour écarter, au nom du principe d’indépendance des législations, le moyen tiré de la violation de cette norme. Doit-on en conclure, de manière générale, qu’une norme dont l’application n’appelle pas l’édiction d’une décision administrative spécifique n’a plus de valeur juridique ? Il va falloir revoir le principe de la hiérarchie des normes.
F. Les limites à l’urbanisation (CE 1°-4° ch. réunies, 10 octobre 2022, n° 451530, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A52438NI)
La jurisprudence a déjà posé comme principe, dans le cadre de l’application de la règle limitant les constructions dans les zones littorales prévues par l’article L. 146-4 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3327KGC, que « les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions » [4]. L’arrêt du 10 octobre 2022 rappelle cette interprétation et l’articule avec les règles relatives à la régularisation des autorisations d’urbanisme. L’arrêt reprend la solution antérieurement énoncée selon laquelle « Lorsqu'un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée dès lors que le permis modificatif ou de régularisation assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Il peut, de même, être régularisé par un permis modificatif ou de régularisation si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entretemps modifiée. » [5].
Il rajoute cependant l’hypothèse d’un changement des circonstances de fait : or l’application de l’article L 146-4 relève d’une circonstance de fait. Par conséquent, lorsque le secteur fait l’objet d’une urbanisation entre l’autorisation initiale et le permis modificatif, c’est la circonstance de fait existant à la date de ce dernier qui prévaut pour apprécier le respect de la constructibilité limitée et la violation de cette règle par l’autorisation initiale ne peut plus être utilement invoquée. Cette solution, logique en apparence, repose sur une pirouette douteuse dès lors que l’article L. 146-4 impose une opération de qualification juridique et non une simple appréciation des faits. En revanche, par la magie des règles généreuses relatives à la régularisation, la notion de « zones déjà urbanisées » devient une pure circonstance de fait qui n’est plus soumise qu’au contrôle de la dénaturation, comme le relève le Conseil d’État qui censure, à ce titre, et non au titre de l’erreur de qualification juridique, l’appréciation portée par la cour sur l’existence d’une continuité.
G. Les limites à l’urbanisation (suite) (CE 9°-10° ch. réunies, 22 avril 2022, n° 450229, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A45637UK)
Les modifications constantes de la législation imposent au juge d’adapter ses interprétations. Il résulte ainsi de l'article L. 121-8 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L9980LML, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8, que l'extension de l'urbanisation doit se réaliser, dans les communes littorales, soit en continuité avec les agglomérations et les villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement. Selon le Conseil d’État, « Constituent des agglomérations ou des villages où l'extension de l'urbanisation est possible, au sens et pour l'application de ces dispositions, les secteurs déjà urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions ». Pour appliquer ces dispositions, le juge doit resituer le terrain d'assiette du projet dans l'ensemble de son environnement. Pour apprécier l’existence d’une densité significative de constructions, il doit faire application des critères retenus par ces dispositions pour distinguer les secteurs déjà urbanisés des espaces d'urbanisation diffuse. Figurent parmi ces critères la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs. Le juge applique donc la loi sur le fondement d’une interprétation qui doit, elle-même, faire l’objet d’une interprétation. Rien n’est simple, tout se complique, titrait un album du regretté Sempé…
II. Les procédures d'urbanisme
A. Les procédures administratives (CE 5°-6° ch. réunies, 27 mai 2019, n° 420554, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1439ZDN)
Est-il encore utile de s’intéresser à la jurisprudence relative à l’implantation des éoliennes ? On peut en douter. Lorsque ce n’est pas le fond du droit qui est en cause, c’est la procédure et, plus particulièrement dans la présente espèce, la procédure de régularisation. Dans le cadre d’une procédure complexe, le Conseil d’État avait estimé que le vice de procédure retenu par la cour administrative de Lyon pour annuler une autorisation préfectorale d’implantation de six éoliennes était régularisable sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0034LNL. Pour faciliter cette régularisation, il avait donné des indications précises relatives à une éventuelle enquête publique complémentaire. Le Conseil d’État énonce que, « d'une part, si, à l'issue du délai qu'il a fixé dans sa décision avant dire droit pour que lui soient adressées la ou les mesures de régularisation du permis de construire attaqué, le juge peut à tout moment statuer sur la demande d'annulation de ce permis et, le cas échéant, y faire droit si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée, il ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu'il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué ». Par conséquent, la production des permis de régularisation postérieurement à l'expiration du délai accordé ne fait pas obstacle à ce que le Conseil d'État tienne compte de ces mesures de régularisation dans son appréciation de la légalité des permis en litige.
En outre, et pour faire bonne figure, le Conseil précise également que « les requérants parties à l'instance ayant donné lieu à la décision avant dire droit sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de délai », ce qui lui permet d’écarter le moyen soulevé sur ce thème par le pétitionnaire et de donner l’impression de traiter équitablement les parties. Dans le règlement au fond de l’affaire, il fait application du principe antérieurement dégagé au sujet de l’article L. 600-5-1 selon lequel « A compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. A ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de l'acte de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'il n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Elles ne peuvent en revanche soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation. ». L’invocation de la jurisprudence « Danthony » [6] et son application en matière d’enquête et d’information du public [7] lui permet, sans surprise, d’écarter le moyen tiré d’une violation de l’information du public du fait de l’insuffisance de l’étude d’impact.
B. La date d’appréciation de l’intérêt pour agir (CE 9°-10° ch.-r., 21 septembre 2022, n° 461113, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A01908KA)
Parmi les dispositions qui garantissent une relative tranquillité au juge administratif figure l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0037LNP. Introduite pour lutter prétendument contre les recours « mafieux », pratique certes existante mais jamais quantifiée, cette disposition permet de réduire de manière drastique le droit au recours et dénature le recours pour excès de pouvoir, procès théoriquement fait à un acte, en subordonnant sa recevabilité à la condition que la réalisation du projet autorisé affecte directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de l’immeuble du requérant. L’arrêt du 21 septembre 2022 précise le régime de cette irrecevabilité en écartant les circonstances postérieures à l’affichage en mairie. L’arrêt rappelle qu’il résulte des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 N° Lexbase : L4349IXD que, sauf circonstances particulières, l'intérêt pour agir d'un requérant contre un permis de construire s'apprécie au vu des circonstances de droit et de fait à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. La solution est connue même si elle n’avait été énoncée implicitement qu’au regard du contrôle de l’existence de « circonstances particulières » justifiant une dérogation à la règle [8].
L’apport de l’arrêt réside dans l’affirmation selon laquelle il n’y a pas « lieu de tenir compte de circonstances postérieures, qu'elles aient pour effet de créer, d'augmenter, de réduire ou de supprimer les incidences de la construction, de l'aménagement ou du projet autorisé sur les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance ». Le respect de la condition de recevabilité s’apprécie donc au vu des constructions environnantes dans leur état à la date d’affichage. Le juge ne peut donc se fonder, pour faire droit à la fin de non-recevoir opposée par le pétitionnaire, sur la circonstance que des constructions ont été réalisées à proximité du terrain du requérant après la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. L’application de l’article L 600-1-2 étant contrôlée au titre de l’erreur de qualification juridique [9], mais également au titre de l’erreur de droit, le Conseil d’État en profite pour préciser que la circonstance que le terrain du pétitionnaire et celui du requérant, distants d’un cinquantaine de mètres, soit desservis par deux voies distinctes donnant sur une même route départementale ne fait pas obstacle à ce que l’intérêt pour agir du requérant soit reconnu au vu des incidences du projet sur la circulation sur cette route départementale.
C. La notification des recours (CE 2°-7° ch. réunies, 27 septembre 2022, n° 456071, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A25898LH)
Alors que le régime des régularisations s’assouplit au gré des décisions du Conseil d’État, le régime de la recevabilité des recours se durcit dans un mouvement inverse, dicté par les intérêts de la construction à tout va. C’est ainsi que le champ d’application du bien connu article R. 600-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9492LPA qui impose à l’auteur d’un recours contre une autorisation d’urbanisme de notifier son recours a été étendu aux logements vacants visés par l’article L. 232 du CGI N° Lexbase : L5688MAW. Le Conseil d’État avait précédemment jugé que l’article R. 811-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4594MEU, qui prévoit que le tribunal administratif statue en premier et en dernier ressort, que « ces dispositions, qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l'offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d'opérations de construction de logements ayant bénéficié d'un droit à construire, doivent être regardées comme concernant non seulement les recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées puis retirées, les recours dirigés contre ces retraits. Il en va de même des recours dirigés contre les refus de retraits. » [10]. Cette solution ne concerne toutefois pas les recours dirigés contre les certificats de conformité (même arrêt).
L’arrêt du 27 septembre 2022 étend cette solution à l’article R. 600-1 en jugeant qu’un refus de retrait de permis de construire doit être considéré comme une autorisation d’urbanisme au sens de cet article. Le juge doit relever d’office cette irrecevabilité et inviter le requérant à régulariser son recours, faute de quoi celui-ci est déclaré irrecevable.
D. Le permis modificatif (CE, Sect., 26 juillet 2022, n° 437765, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A10348DN)
L’arrêt du 26 juillet 2022 étend encore les possibilités de régularisation d’un permis de construire par un permis modificatif. La jurisprudence avait, dans un premier temps, estimé qu’un permis modificatif pouvait être légalement délivré pour modifier un permis initial en cours de validité, tant que la construction n’était pas achevée et sous réserve que « les modifications apportées au projet initial n'en remettent pas en cause, par leur nature ou leur ampleur, la conception générale » [11]. Le Conseil d’État abandonne ce dernier critère au profit d’un critère encore plus flou et difficile à définir. La « conception générale » pouvait s’entendre dans le cadre d’une appréhension globale d’un projet, ne serait-ce qu’en superposant les plans autorisés par le permis initial et ceux sur la base desquels avait été délivré le permis modificatif. Désormais la modification du permis initial est possible « dès lors que les modifications envisagées n'apportent pas à ce projet un bouleversement et tel qu'il en changerait la nature même ». Force est d’admettre que la notion de « nature même » du projet est dissociée de toute conception architecturale un tant soit peu objective à laquelle renvoyait la notion antérieure de « conception générale ».
Et ce n’est pas le contrôle du juge de cassation qui va clarifier les choses puisque le Conseil d’État précise, dans le même arrêt, que la portée des modifications apportées par le permis de construire relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Celui-ci n’entache pas sa décision de dénaturation en jugeant que la jonction des deux bâtiments initiaux en une seule construction par un escalier couvert commun, la surélévation d'une partie de la construction en rez-de-chaussée par l'adjonction d'une terrasse d'une surface de plancher de 4 m², ainsi que le remplacement d'un mur et de deux pare-vues en bois par deux murs en briques ne modifie pas la nature même de la construction initialement autorisée. Ce faisant, le Conseil d’État ouvre les vannes, non seulement de la régularisation, mais encore de la modification des projets en cours de travaux. Cette solution pourrait inciter certains constructeurs à fractionner artificiellement un projet pour le rendre plus acceptable dans le cadre du permis de construire et pour le compléter en cours de travaux par un permis modificatif qui sera légal tant que la nature même de la construction ne sera pas modifiée.
E. La cristallisation des règles applicables aux lotissements (CE 1°-4° ch. réunies, 13 juin 2022, n° 452457, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A479577Q)
Les acquéreurs de lots d’un lotissement peuvent se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme énoncée par l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0933LNU qui prévoit que, lorsque le lotissement a fait l’objet d’une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant la date de non-opposition à cette déclaration. Encore faut-il qu’il y ait cession des lots. En effet, l’article L. 442-1 précise que constitue « un lotissement la division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis ». Pour que le pétitionnaire puisse se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme pendant les cinq années suivant la décision de non-opposition, il doit, s’il est à l’origine du lotissement, avoir cédé les lots issus de la division. En l’espèce, la société pétitionnaire n’avait pas procédé à la cession dont aurait résulté la division, souhaitant demeurer propriétaire des deux lots. Elle ne peut, dès lors, se prévaloir de la cristallisation des règles d’urbanisme.
F. La modification des règles des lotissements (CE 5°-6° ch. réunies, 1er juin 2022, n° 443808, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61637YW)
L’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9986LMS permet à l’autorité administrative de modifier les règles d’un lotissement, notamment le règlement ou le cahier des charges sur proposition, ou après accord de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie. L’application de cette disposition est moins évidente qu’il n’y paraît : de nombreux cas de figure peuvent se présenter, une fois abordée l’hypothèse simple d’un lotissement ne comportant que des maisons d’habitations individuelles. L’arrêt du 1er juin 2022 précise que lorsque le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété, et comporte des lots affectés à d'autres usages que l'habitation l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, comptent pour une unité. Pour le critère de la surface, on ne retient, pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction, qu'il s'agisse ou non de lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion des surfaces des lots affectés à d'autres usages.
[1] CE, 2 octobre 2017, n° 399752 N° Lexbase : A6438WTM ; CE, 17 mars 2021, n° 430244 N° Lexbase : A43994LI.
[2] CE, 3 juillet 2020, n° 420346 N° Lexbase : A62443QC.
[3] CE, 15 mai 2022, n° 453959 N° Lexbase : A06777XD.
[4] CE, 22 octobre 2018, n° 400779 N° Lexbase : A0143YHR.
[5] CE, 28 mai 2021, n° 437429 N° Lexbase : A48594T7.
[6] CE, Sect., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9048H8M.
[7] Pour une étude d’impact, voir CE, 22 septembre 2022, n° 443458 N° Lexbase : A46698K7.
[8] CE, 8 juin 2022, n° 437788 N° Lexbase : A36754UN ; CE, 13 décembre 2021, n° 450241 N° Lexbase : A22307KS.
[9] CE, 13 décembre 2021, n° 45024.
[10] CE, 26 avril 2022, n° 452695 N° Lexbase : A59077UC.
[11] CE, 25 novembre 2020, n° 429623 N° Lexbase : A940337E.
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