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par Laure Mercier, Avocat counsel et Gabrielle de Wailly, Juriste au sein du cabinet Actance
le 12 Janvier 2023
Mots-clés : loi « Marché du travail » • adoption • abandon de poste • volontaire • démission • présomption • C. trav., art. L. 1237-1 • mise en demeure • décision • Conseil constitutionnel.
Les 15 et 17 novembre 2022, les parlementaires ont définitivement adopté le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, dite loi « Marché du travail » [1].
Ladite loi a été publiée au Journal officiel du jeudi 22 décembre 2022 [2], après que le Conseil Constitutionnel, saisi par plus de 60 députés, se soit prononcé sur certaines de ses dispositions, qui étaient contestées [3].
La loi « Marché du travail » crée notamment une présomption de démission en cas d’abandon volontaire du salarié de son poste de travail, insérée dans le nouvel article L. 1237-1-1 au Code du travail.
Cette présomption permet désormais aux employeurs de considérer que les salariés en situation d’abandon de poste volontaire sont démissionnaires. Dès lors, ces derniers ne pourront plus bénéficier de l’assurance chômage au motif qu’ils auraient été privés involontairement de leur emploi.
I. Les ambitions portées par ce nouveau dispositif
La présomption de démission ne figurait pas dans le texte initial du projet de loi « Marché du travail ». Elle a été introduite postérieurement par les parlementaires, pour répondre à une demande d’entreprises qui mettaient en avant les difficultés organisationnelles engendrées par ces départs soudains, sans aucun délai de prévenance.
Les élus à l’origine des amendements déposés à ce sujet ont pu évoquer un mécanisme « bien connu des employeurs qui le subissent » et qui désorganise les entreprises et surtout les TPE. L’abandon de poste touche en particulier certains secteurs d’activité, notamment le service à la personne, la propreté, l’hôtellerie-restauration ou encore le bâtiment.
Selon les rapporteurs du projet de loi, les objectifs poursuivis par cette nouvelle mesure sont donc :
Ce nouveau dispositif a fait l’objet de longs débats parlementaires, certains députés déplorant le fait que cette mesure tende à généraliser le comportement adopté par certains salariés. En effet, s’il n’était pas contesté qu’une minorité de salariés de certains secteurs d’activité espère, par le biais d’un licenciement pour abandon de poste, bénéficier des allocations chômage, certains parlementaires considéraient que ce dispositif était précipité, le phénomène n’ayant pas été quantifié.
Certains ont également souligné qu’un salarié absent à son poste de travail n’est pas, dans la majeure partie des cas, rémunéré du fait de son absence. Une telle situation n’est donc, selon eux, ni durable ni enviable pour celui-ci.
II. Un dispositif jugé conforme aux exigences constitutionnelles par le Conseil constitutionnel
Dès le lendemain de l’adoption définitive du projet de loi par l’Assemblée nationale et le Sénat, le Conseil constitutionnel a été saisi aux fins d’un contrôle a priori de la constitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi, et notamment de la nouvelle présomption de démission en cas d’abandon de poste.
Les députés requérants soutenaient, en premier lieu, qu’en assimilant l’abandon de poste à une démission, les dispositions privaient du bénéfice du régime d’assurance chômage des personnes conduites à abandonner leur poste pour des motifs indépendants de leur volonté. Il en résultait, selon ces derniers, une méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 N° Lexbase : L1356A94, qui garantit à tous « notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Ils considéraient également que ces dispositions instituaient une différence de traitement entre les salariés en situation d’abandon de poste, au regard du droit à l’indemnisation au titre de l’assurance chômage, selon que l’employeur procèderait au licenciement ou se prévaudrait de la présomption de démission, ce qui serait contraire au principe d’égalité devant la loi.
En dernier lieu, ils soutenaient que ces dispositions étaient susceptibles de porter atteinte au droit garanti par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».
Toutefois, le Conseil constitutionnel n’a pas retenu les arguments des requérants. Ainsi, par décision du 15 décembre 2022 N° Lexbase : A60038ZD, l’article L. 1237-1-1 du Code du travail N° Lexbase : L2119MGL a été jugé conforme à la Constitution, considérant que la loi prévoit des garanties suffisantes.
En effet, le Conseil constate, en premier lieu, que les dispositions contestées n’ont vocation à s’appliquer que dans le cas où le salarié a volontairement abandonné son poste, et qu’il ressort des travaux préparatoires que le caractère volontaire de l’abandon de poste ne pourra être retenu si, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est justifié par un motif légitime. De plus, le salarié ne pourra être réputé démissionnaire qu’après avoir été mis en demeure par son employeur de justifier d’un tel motif et de reprendre son poste de travail dans un délai déterminé.
En second lieu, le Conseil rappelle également que la présomption de démission est une présomption simple, qui pourra être renversée par le salarié, qui entend contester la rupture de son contrat de travail devant le Conseil de prud’hommes.
La loi « Marché du travail » est donc entrée en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française (JORF), soit le vendredi 23 décembre 2022. Néanmoins, un décret doit encore préciser les modalités d’application du dispositif, et notamment le délai minimal applicable à la mise en demeure.
Dès lors, les employeurs qui souhaiteraient se saisir de cette nouvelle mesure devront attendre la publication dudit décret.
III. De l’inexécution fautive du contrat à la présomption de démission
L’abandon de poste n’est pas défini par le Code du travail. En pratique, il se caractérise par une absence non autorisée du salarié à son poste de travail, qui peut être prolongée ou réitérée sans justification.
Jusqu’à présent, et selon la jurisprudence, l’abandon de poste ne caractérisait pas une volonté claire et non équivoque du salarié de démissionner [5], mais constituait une inexécution fautive de son contrat de travail contraignant l’employeur à prendre l’initiative de la rupture.
Le comportement fautif du salarié pouvait ainsi, selon les circonstances, justifier un licenciement disciplinaire pour cause réelle et sérieuse, voire une faute grave [6].
Pour apprécier la validité d’un tel licenciement, la jurisprudence examinait notamment la durée et/ou la répétition de l’absence non autorisée [7] ou encore le silence du salarié [8], qui demeure injoignable [9].
Néanmoins, toute absence non autorisée n’était pas de nature à justifier un licenciement pour abandon de poste, notamment lorsqu’il s’agissait d’absence ponctuelle, de courte durée et/ou intervenue dans des circonstances exceptionnelles [10].
Toutefois, même lorsque l’absence est de courte durée, celle-ci pouvait justifier le licenciement du salarié lorsqu’elle avait de graves conséquences pour l’entreprise, notamment en matière de sécurité. Était ainsi justifié le licenciement d’un coordinateur « enfance jeunesse » d’un centre social, qui avait quitté son poste de travail de manière inopinée, laissant les enfants seuls et sans surveillance, sans en informer son employeur et en emportant les clés nécessaires à leur mission pédagogique [11].
Le licenciement pour abandon de poste ouvrait la possibilité au salarié de bénéficier d’une indemnisation par l’assurance chômage (sous réserve que l’ensemble des conditions d’indemnisation soient remplies), puisqu’il était considéré jusqu’alors comme étant privé involontairement de son emploi.
La loi « Marché du travail » bouleverse cette logique établie en instaurant une présomption simple de démission en cas d’abandon de poste du salarié. Il en résulte que le salarié ayant volontairement abandonné son poste de travail ne sera plus considéré comme étant privé involontairement de son emploi et ne pourra à ce titre plus bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi.
IV. Le caractère volontaire de l’abandon de poste : élément déterminant de la présomption de démission
L’application de cette présomption de démission est subordonnée au caractère volontaire de l’abandon du poste du salarié, sans pour autant que le nouvel article du Code du travail ne précise ce qu’il convient d’entendre par « volontaire ».
Lors des débats parlementaires, les députés à l’origine de ce nouveau dispositif ont précisé que la mesure ne s’appliquerait pas aux salariés contraints de quitter leur poste de travail pour des motifs de santé ou de sécurité.
Les sénateurs avaient également indiqué dans leur rapport que dans certaines situations, l’absence du salarié pourrait être considérée comme justifiée ou légitime et ne pourrait donc constituer un abandon de poste [12], notamment dans les cas suivants :
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision [13], s’est d’ailleurs appuyé sur ces travaux préparatoires pour juger conformes les dispositions contestées en précisant qu’elles ne seront applicables qu’en cas d’abandon volontaire du poste de travail par le salarié et que l’abandon de poste ne pourrait pas revêtir un caractère volontaire dans les cas suscités.
Par le biais de ces différentes exceptions, les salariés pourraient donc invoquer divers manquements de leur employeur pour faire valoir le caractère légitime ou involontaire de leur absence non autorisée et tenter de renverser cette présomption.
L’enjeu est important, car, au-delà de la question de l’indemnisation par l’assurance chômage, si le salarié établit que l’abandon de son poste est contraint et/ou légitime, la rupture de son contrat pourra produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant dans la mise en œuvre de ce dispositif, notamment dans certaines situations où :
Il faut toutefois noter que cette présomption de démission a pour conséquence une inversion de la charge de la preuve. En effet, si auparavant, l’employeur était contraint, en cas de contentieux, de justifier du bien-fondé du motif de son licenciement, il appartiendra désormais au salarié présumé démissionnaire, qui contesterait la rupture de son contrat de travail, d’apporter les éléments nécessaires de nature à justifier la légitimité ou le caractère contraint de son abandon de poste.
V. La nécessaire mise en demeure préalable du salarié
Le nouvel article L. 1237-1-1 du Code du travail N° Lexbase : L2119MGL prévoit certaines garanties de procédure tant pour le salarié que pour l’employeur, qui visent notamment à s’assurer que l’abandon de poste est volontaire et réitéré.
En effet, la présomption simple de démission ne sera applicable que lorsque l’employeur aura mis en demeure le salarié de justifier son absence ou de reprendre son poste de travail dans un délai qu’il devra fixer et qui ne pourra être inférieur au délai qui sera défini prochainement par décret, et que celle-ci reste infructueuse.
Cette mise en demeure devra prendre la forme d’un courrier recommandé avec accusé de réception ou d’une lettre remise en main propre contre décharge. Cette dernière option offerte à l’employeur apparaît toutefois peu probable en pratique dès lors que, par définition, le salarié est absent de l’entreprise.
Relevons que la mise en demeure préalable du salarié est une pratique d’ores et déjà bien établie en cas d’absence injustifiée du salarié. La loi entérine donc une précaution dont font largement usage les employeurs, préalablement à toute notification d’un licenciement pour abandon de poste.
Si le salarié justifie d’un motif légitime pendant le délai qui lui est imparti, notamment pour l’une des raisons évoquées précédemment, l’employeur ne pourra donc plus présumer le salarié comme étant démissionnaire.
Il est évident que, dans certaines situations, le motif avancé par le collaborateur contraindra l’employeur à apprécier sa légitimité, et plus précisément s’il constitue un motif valable d’absence. Le cas échéant, les explications fournies par le salarié pourront conduire l’employeur à revenir sur son intention de faire usage de la présomption de démission.
À l’inverse, à défaut de régularisation de sa situation dans le délai fixé, le salarié sera présumé démissionnaire à l’expiration de celui-ci. En d’autres termes, la date d’expiration de ce délai constituera la date de rupture effective du contrat de travail.
Le Conseil constitutionnel souligne à cet égard que l’échec de la mise en demeure permettra de présumer le salarié démissionnaire. Cet échec se matérialisera donc par l’absence de justification du salarié dudit motif légitime et par l’absence de reprise de son poste de travail dans le délai déterminé par son employeur dans ladite mise en demeure. Ces deux conditions étant cumulatives.
En cas de mise en œuvre de la présomption de démission, le salarié sera privé de la possibilité de bénéficier d’une indemnisation par l’assurance chômage, sauf s’il relève de l’un des cas de démission légitime (par exemple, les victimes de violences conjugales imposant un changement de résidence, la démission pour suivre son conjoint qui change de lieu de résidence pour exercer un nouvel emploi salarié ou non salarié, le mariage ou le Pacs accompagné d'un changement de lieu de résidence, etc.) [14].
VI. La contestation possible du salarié dans le cadre d’une procédure accélérée devant le conseil de prud’hommes
La présomption de démission est une présomption simple qui peut donc être renversée lors de la contestation de la rupture du contrat de travail du salarié présumé démissionnaire. Ainsi, à cette fin, ce dernier pourra saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes (sans passage préalable devant le bureau de conciliation).
Le texte prévoit que le conseil de prud’hommes devra se prononcer dans le mois suivant sa saisine sur la nature de la rupture du contrat de travail du salarié et les conséquences y afférentes, à l’instar de la procédure accélérée prévue en matière de prise d’acte ou de résiliation judiciaire [15]. Il apparaît toutefois peu probable que ce délai d’un mois puisse être effectivement respecté, compte tenu de l’engorgement des juridictions prud’homales et de leurs délais actuels de traitement des dossiers.
Dans le cas où le juge considèrerait que la démission du salarié serait involontaire ou résulterait de manquements avérés de l’employeur, celle-ci devrait être requalifiée et produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié serait alors éligible aux indemnités versées par l’assurance chômage.
Soulignons qu’aucune précision quant au délai de prescription de cette action n’est donnée. Le délai devrait donc être, en toute logique, celui prévu en matière de rupture du contrat de travail, soit 12 mois, courant vraisemblablement à compter du lendemain de la date à laquelle la démission sera considérée comme effective [16].
En bref
Conclusion. Cette nouvelle mesure pourrait être de nature à limiter les perturbations générées par cette pratique, et plus particulièrement dans certains secteurs d’activité où l’abandon de poste par les salariés est particulièrement fréquent. Elle pourrait néanmoins, dans certaines circonstances, poser un certain nombre de questions et être source d’insécurité juridique pour l’employeur. En effet :
Les employeurs sont donc invités à être prudents dans la mise en œuvre du dispositif et à veiller à s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste. Au-delà, il n’apparaît pas que le nouvel article L. 1237-1-1 du Code du travail interdise aux employeurs de privilégier la voie du licenciement. Reste à savoir si, dans cette hypothèse, Pôle Emploi considérerait les salariés licenciés pour abandon de poste comme étant toujours privés involontairement de leur emploi, pour qu’ils soient indemnisés. |
[1] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi N° Lexbase : L1959MGN.
[2] Journal officiel du jeudi 22 décembre 2022, n° 296.
[3] Cons. const., décision n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022 N° Lexbase : A60038ZD.
[4] F. Puissat et O. Henno, Rapport n° 61 sur le projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, Sénat, déposé le 19 octobre 2022 [en ligne].
[5] Cass. soc., 17 octobre 2012, n° 11-18.291, F-D N° Lexbase : A7202IUB ; Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-40.948, F-D N° Lexbase : A3475EPE.
[6] Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 06-41.671, F-D N° Lexbase : A0985D4A ; Cass. soc., 29 juin 2017, n° 15-22.856, F-D N° Lexbase : A7028WLU.
[7] Cass. soc., 25 octobre 2011, n° 10-16.920 N° Lexbase : A0607HZI ; Cass. soc., 6 mars 2019, n° 18-11.451, F-D N° Lexbase : A0212Y3A.
[8] CA Bordeaux, 2 novembre 2017, n° 16/01200 N° Lexbase : A6558WX8.
[9] Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 06-46.189 N° Lexbase : A0558EBB.
[10] CA Versailles, 21 octobre 2014, n° 13/04372 N° Lexbase : A7345MYP.
[11] CA Paris, 13 octobre 2017, n° 14/07540 N° Lexbase : A7127WUI.
[12] Rapport Sénat, préc..
[13] Cons. const. décision n° 2022-844 DC, préc..
[14] Circulaire UNEDIC, n° 2019-12 du 1er novembre 2019 N° Lexbase : L5522LTP, Fiche 2 bis.
[15] C. trav., art. L. 1451-1 N° Lexbase : L6248I3S.
[16] C. trav., art. L. 1471-1 N° Lexbase : L1453LKZ.
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