Réf. : Cass. civ. 3, 30 novembre 2022, n° 21-21.383, F-D N° Lexbase : A34878XG
Lecture: 3 min
N3684BZH
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 27 Décembre 2022
►Ce sont les juges du fond qui, dans leur pouvoir souverain d’appréciation, décident si une mesure d’expertise doit être ordonnée ;
► ils peuvent se fonder sur un rapport d’expertise non-contradictoire pour estimer qu’ils sont suffisamment éclairés.
La solution est si rare qu’elle mérite d’être mise en lumière. Il est, en effet, très difficile de s’opposer à une mesure d’expertise, pourtant largement demandée, donc ordonnée, dans les litiges relatifs au droit de la construction. Il est vrai que la technicité de la matière rend parfois, même souvent, difficile la qualification juridique des faits mais de là à dire que le recours à l’expertise doit être automatique, le pas, que certains considèrent comme franchi, ne doit pas l’être.
En l’espèce, un maître d’ouvrage conclut avec une entreprise un marché portant sur l’exécution de travaux de gros œuvre, électricité, charpente-couverture, plomberie, menuiserie et peinture dans une maison d’habitation. Se plaignant de désordres, le maître d’ouvrage saisit l’assureur de l’entreprise qui fait diligenter une expertise amiable en l’absence de son assuré. Une seconde expertise amiable est diligentée par l’entreprise sans le maître d’ouvrage, lequel assigne en réparation de ses préjudices.
La cour d’appel de Basse-Terre, dans un arrêt rendu le 26 juillet 2021 (CA Basse-Terre, 26 juillet 2021, n° 19/01702 N° Lexbase : A44904ZC), rejette la demande d’expertise formée. Les conseillers ont relevé que les rapports, émanant de techniciens expérimentés et soumis à la discussion des parties dans le cadre du litige, sont suffisamment complets et argumentés pour écarter toute autre demande d’expertise.
Un pourvoi est formé. Il est, notamment et surtout, invoqué que le juge ne peut se fonder exclusivement sur les rapports d’expertise non-contradictoires réalisés à la demande des parties, à moins qu’ils ne soient corroborés par des éléments de preuve extérieurs et non-viciés. C’est juste. La solution est ancienne (pour exemple, Cass. civ. 3, 9 mai 2012, n° 10-21.251, F-D N° Lexbase : A8818HYA) et constante (pour exemple, Cass. civ. 3, 5 mars 2020, n° 19-13.509, F-P+B+I N° Lexbase : A04313HG). Pour autant, les rapports d’expertise amiable ne sont pas dénués de toute valeur juridique. Le rapport d’expertise amiable est un élément de preuve sur lequel le juge peut se fonder, même lorsqu’une des parties n’est pas présente lors des opérations d’expertise amiable.
Les textes se combinent pourtant comme pour mieux répéter l’importance de la contradiction (CPC, art. 16 N° Lexbase : L1133H4Q ; CEDH, art. 6 N° Lexbase : L7558AIR, etc.). D’un autre côté, les expertises prennent du temps et sont coûteuses. Il serait donc dépourvu de sens de leur méconnaître toute portée ou force probante. La solution est donc dans le juste milieu. Pour reprendre l’expression consacrée, si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder, exclusivement, sur un rapport non-contradictoire. Tout réside donc dans la compréhension du mot « exclusivement ».
En l’espèce, il y avait deux rapports. Il y avait déjà eu un précédent en ce sens. Dans un arrêt rendu le 15 novembre 2018, la Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de valider le raisonnement des juges du fond, qui s’étaient estimés suffisamment informés par deux rapports d’expertise amiable (Cass. civ. 3, 15 novembre 2018, n° 16-26.172, FP-P+B+I N° Lexbase : A8000YLU).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:483684