Réf. : Cass. civ. 3, 26 octobre 2022, n° 21-17.886, F-D N° Lexbase : A56148RD
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 10 Novembre 2022
► Le défaut d'information du bailleur quant à la mise des biens loués à la disposition d'une société d'exploitation constitue un manquement du preneur à ses obligations le privant du droit de céder le bail ; le juge ne saurait donc déclarer le preneur de bonne foi et autoriser la cession, tout en constatant un manquement du preneur à son obligation d'informer le bailleur de la mise à disposition des terres louées au profit d’une EARL, lequel fait à lui seul obstacle à la faculté de le céder ;
► l'autorisation administrative d'exploiter doit être justifiée par la société bénéficiaire de la mise à disposition des terres louées, peu important que le candidat à la cession de bail en ait obtenu une à titre personnel.
Le cadre légal et jurisprudentiel. Pour rappel, l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4458I4U prévoit que « Sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du Code civil N° Lexbase : L1839ABQ, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. À défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire. »
Pour résumer, le principe est donc celui de l’interdiction de cession du droit au bail, sauf dans un cadre intrafamilial, et sur autorisation du bailleur, ou du tribunal paritaire (à défaut seulement d’agrément du bailleur).
De longue date, la jurisprudence a posé qu’il résulte de ces dispositions que la faculté de céder le bail dans le cercle familial est réservée au preneur de bonne foi, c'est-à-dire à celui qui s'est acquitté de toutes les obligations légales ou conventionnelles résultant de son bail (Cass. civ. 3, 6 novembre 1973, n° 72-14.717, publié au bulletin N° Lexbase : A3739CGL).
Il faut comprendre qu’il s’agit d’une faveur accordée par le législateur au preneur diligent, qui doit donc s’être scrupuleusement et constamment acquitté de ses obligations, et que l’autorisation du tribunal ne peut permettre que d’outrepasser un refus du bailleur qui serait abusif, car opposé à un preneur de bonne foi. En revanche, dès lors que le preneur a manqué à l’une de ses obligations, le tribunal ne saurait accorder l’autorisation que le bailleur était légitimement en droit de refuser.
C’est bien ce que rappelle le présent arrêt rendu le 26 octobre 2022, qui concernait, en l’espèce, un manquement du preneur à son obligation d’information du bailleur relative à la mise à disposition des biens loués à une EARL. La solution n’est pas nouvelle (déjà en ce sens : Cass. civ. 3, 10 septembre 2020, n° 19-14.158, F-D N° Lexbase : A53143TY), mais mérite d’être rappelée en ce qu’elle permet de mettre en relief la marge particulièrement limitée d’appréciation dont disposent les juges du fond quant à la bonne foi du preneur cédant : la constatation d’un manquement doit conduire les juges, sans aucune marge d’appréciation, à établir la mauvaise foi et à refuser la cession.
Il faut encore savoir que si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2, la validité de la cession est subordonnée à l'octroi de cette autorisation (C. rur., art. L. 331-6 N° Lexbase : L6546HHW). L’arrêt rappelle également les principes sur la question de l’autorisation d’exploiter dans le cas de la mise à disposition des terres louées à une société.
En l’espèce, le bailleur fait grief à l'arrêt rendu par la cour d’appel de Caen d'autoriser la cession des baux consentis aux preneurs, au profit de leur fils.
Pour déclarer les preneurs de bonne foi et autoriser la cession, la cour d’appel de Caen avait retenu que l'information relative à la mise à disposition des biens loués aux deux EARL devait être délivrée aux précédents bailleurs, que, si les intimés ne justifiaient pas de la réalité de cette information, la sanction d'un manquement supposait que celui-ci soit de nature à porter préjudice au bailleur, ce qui n'était pas établi, et qu'un tel manquement ne pouvait caractériser la mauvaise foi des preneurs et faire obstacle à la cession du bail.
À tort, selon la Cour régulatrice qui rappelle, comme indiqué supra, qu’il résulte de l’article L. 411-35 du code précité N° Lexbase : L4458I4U que la faculté de céder le bail dans le cercle familial est réservée au preneur de bonne foi, c'est-à-dire à celui qui s'est acquitté de toutes les obligations légales ou conventionnelles résultant de son bail, et que, selon l’article L. 411-37 du même code N° Lexbase : L4462I4Z, le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, tout ou partie des biens dont il est locataire, à la condition d'en aviser au préalable le bailleur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Elle en déduit qu’il résulte de ces textes que le défaut d'information du bailleur quant à la mise des biens loués à la disposition d'une société d'exploitation constitue un manquement du preneur à ses obligations le privant du droit de céder le bail (déjà en ce sens : Cass. civ. 3, 10 septembre 2020, n° 19-14.158, F-D N° Lexbase : A53143TY).
Dès lors, selon la Cour suprême, en autorisant la cession, tout en constatant un manquement des preneurs à leur obligation d'informer les bailleurs de la mise à disposition des terres louées au profit de leurs EARL, lequel faisait à lui seul obstacle à la faculté de le céder, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
En l’espèce, pour autoriser la cession, la cour d’appel avait également retenu que le candidat à la cession était titulaire d'une autorisation tacite d'exploiter au jour de la cession projetée, et qu'en outre, il avait obtenu une nouvelle autorisation d'exploiter le 21 décembre 2020.
Sur ce point encore, la décision est censurée par la Cour suprême qui rappelle qu’il résulte des articles L. 411-58 N° Lexbase : L4470I4C, L. 331-2 N° Lexbase : L4559I4M et L. 411-35 N° Lexbase : L4458I4U du Code rural et de la pêche maritime que l'autorisation administrative d'exploiter doit être justifiée par la société bénéficiaire de la mise à disposition des terres louées, peu important que le candidat à la cession de bail en ait obtenu une à titre personnel.
Il appartenait alors aux juges de rechercher, au besoin d'office, si les EARL étaient titulaires d'une autorisation d'exploiter, alors qu'elle avait relevé que les terres louées étaient mises à leur disposition depuis l'origine des baux et, retenu, pour l'appréciation des moyens matériels dont disposait le cessionnaire, que les EARL possédaient des bâtiments d'élevage, du matériel de cultures et de tractions, un cheptel de vaches allaitantes, de taureaux et de génisses, ce qui impliquait que ces sociétés continueraient à exploiter les parcelles.
La décision sur ce point s’inscrit également dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, a contrario, retient que « l'autorisation dont bénéficie une EARL pour exploiter les terres qui doivent être mises à sa disposition par l'un de ses membres, candidat à la cession du bail rural portant sur ces terres, dispense ce candidat d'obtenir lui-même cette autorisation » (v. Cass. civ. 3, 27 mai 2009, n° 08-14.982, FS-P+B N° Lexbase : A3879EH7).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Cession du bail rural, sous-location et cotitularité du bail, et spéc. L'autorisation du TPBR à la cession de bail rural, Bonne foi du preneur cédant et Obligation pour le preneur d'obtenir une autorisation d'exploiter, in Droit rural, (dir. Ch. Lebel), Lexbase N° Lexbase : E9048E9Y et N° Lexbase : E9057E9C. |
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