Lexbase Affaires n°346 du 11 juillet 2013 : Bancaire

[Jurisprudence] L'année bancaire en voie de disparition

Réf. : Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-16.651, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2042KH4)

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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 11 Juillet 2013

Louis XVI était, l'Histoire nous l'enseigne, un authentique féru d'horlogerie. On ne sait, en revanche, si cette passion royale pour la mesure de l'écoulement du temps contribua à attiser le délire naturo-laïciste des révolutionnaires qui substitua, en 1792, au calendrier grégorien le bien-mal nommé calendrier républicain. L'égarement sans-culottide fut, au moins en la matière, de courte durée puisque, sauf la tragique parenthèse de la commune de Paris, le modèle grégorien retrouva ses lettres de noblesse dès 1806. Pourtant, comme nous l'exposions dans une chronique déjà ancienne (1), demeure un enclos au sein duquel l'usage est de considérer l'année comme l'enfilade de douze mois de trente jours, soit 360 jours au total : la banque. On dit souvent de cette habitude qu'elle est d'origine lombarde ; toujours est-il qu'elle s'alliait fort bien à la logique révolutionnaire qui, dans un décret conventionnel du 8 décembre 1794, imposait que "l'intérêt annuel des capitaux [soit] compté pour et par trois cent soixante jours seulement" (2).
Cette manie vient, à nouveau, d'être condamnée par la Cour de cassation. Ainsi, par la voix de sa première chambre civile, a-t-elle jugé dans un arrêt du 19 juin 2013 que "le taux de l'intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l'acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l'intérêt légal, être calculé sur la base de l'année civile". En l'espèce, une banque avait octroyé à un particulier un crédit immobilier remboursable in fine dont les intérêts étaient conventionnellement calculés "sur la base d'une année de trois cent soixante jours (soit douze mois de trente jours)". L'emprunteur défaillant, le prêt fut remboursé par une caution solidaire qui exerça ensuite une action subrogatoire contre le débiteur principal. Devant les juges d'appel, ce dernier se défendit en arguant de la nullité de la stipulation d'intérêts faisant référence à une année de 360 jours. Il ne fut pas entendu et porta donc sa cause devant la Cour de cassation qui cassa l'arrêt d'appel et lui donna raison comme nous l'avons exposé précédemment.

Plus que le droit, c'est l'équité qui vient au secours de cette solution gauchement adossée aux textes applicables au taux effectif global (TEG). Son juste fondement aurait dû être les dispositions relatives aux clauses abusives (I), car l'appel à celles en matière de TEG est spécieux (II).

I - L'occasion manquée d'un recours à la qualification de clause abusive

Calculer l'intérêt sur une année de 360 jours n'est pas neutre financièrement : il ne s'agit pas que d'une modalité technique de simplification, mais bien d'un biais d'accroissement de la rémunération du banquier (A). Aussi, la législation sur les clauses abusives trouverait-elle naturellement à s'appliquer à des situations équivalentes à celle de l'espèce de l'arrêt du 19 juin 2013 (B).

A - A année plus courte, intérêts plus élevés

Quittons un temps codes et recueils de jurisprudence pour un simple exemple chiffré permettant de saisir en quoi la pratique de l'année lombarde est avantageuse pour les prêteurs de deniers. Imaginons un prêt de 26 062 013 euros, remboursable in fine, portant intérêt à 10 % l'an et consenti pour une durée de 266 jours :

- si l'année de référence est une année civile de 365 jours, le montant total des intérêts dus est de (26 062 013 x 10 % x 266) / 365, soit 1 899 313,82 euros ;

- si l'année de référence est une année de 360 jours uniquement, le montant total des intérêts dus est de (26 062 013 x 10% x 266) / 360, soit 1 925 693,18 euros.

Dans notre exemple, le simple fait de retenir une année composée de douze mois de trente jours augmente donc le chiffre d'affaires de la banque pour le seul prêt considéré d'environ 26 380 euros, au détriment direct de l'emprunteur. Dans une perspective d'équilibrage de la relation contractuelle entre les banques et leurs clients, il est donc inconcevable que le droit ignore cette situation.

B - La matrice bienveillante des clauses abusives

L'article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6710IMH) dispose, en son alinéa 1er, que "dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat".

Compte tenu de ce que nous venons de présenter quant à l'effet négatif pour l'emprunteur d'une convention d'intérêts retenant une année de 360 jours, il paraît assez aisé de la faire entrer dans le champ des clauses incriminées par l'article L. 132-1 du Code de la consommation. D'ailleurs, sans aller jusqu'à se prononcer de la sorte, la Commission des clauses abusives penche dans cette direction puisqu'elle recommandait en 2005 d'éliminer "des conventions de compte de dépôt souscrites par des consommateurs ou non-professionnels les clauses ayant pour objet ou pour effet de permettre à l'établissement de crédit de calculer les intérêts sur une année de 360 jours sans que le consommateur soit mis à même d'en apprécier l'incidence financière" (3).

C'est de cette audace qu'on aurait apprécié voir se parer la première chambre civile de la Cour de cassation. Bien qu'il ne figure pas parmi les moyens soulevés par le pourvoi, ce chef de cassation aurait dû s'imposer par sa simplicité, sa généralité et son évidence étayée par le calcul qui a illustré nos propos. De par le passé, même récent (4), la Cour de cassation a su prendre des décisions fortes en qualifiant certaines clauses d'abusives : en ne le faisant pas à l'occasion de l'arrêt du 19 janvier 2013, s'agissant de l'année bancaire de 360 jours, elle vient de perdre une occasion de faire oeuvre utile de jurisprudence en opérant une banale substitution de motif.

En effet, ce n'est pas, hélas, de cet oeil que le vit la Haute juridiction : préférant coller au pourvoi, son arrêt est rendu sous un visa dont nous pensons qu'il est emprunt de maladresse.

II - La maladresse du recours aux dispositions relatives au taux effectif global

L'arrêt étudié est rendu sous un quadruple visa : d'une part, celui des articles L. 313-1 (N° Lexbase : L6649IM9), L. 313-2 (N° Lexbase : L1518HI3) et R. 313-1 (N° Lexbase : L3654IPZ) du Code de la consommation, tous relatifs au TEG et, d'autre part, celui de l'article 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) qui oblige à fixer par écrit le taux de l'intérêt conventionnel.

Ce visa évoque bien des arrêts rendus par le passé, ce qui n'assoit pourtant pas sa légitimité (A), et crée un ensemble disharmonieux avec le droit positif du TEG (B).

A - La faiblesse du fondement juridique de l'arrêt du 19 juin 2013

A ce stade, il est utile de procéder à une brève synthèse de l'état de la jurisprudence avant l'arrêt du 19 juin 2013 en retenant deux axes :

(i) Depuis un arrêt du 10 janvier 1995, donc aujourd'hui arrivé à sa majorité, est imposé un calcul du TEG sur l'année civile. Rien de plus logique à cela ; le TEG remplit deux fonctions : l'information et la comparaison (en particulier, au taux de l'usure) et il est donc indispensable qu'il soit calculé sur la base claire et incontestable que constitue l'année civile.

(ii)Un arrêt du 24 mars 2009, à propos duquel nous avions écrit (5), avait précisé que "si le TEG doit être calculé sur la base de l'année civile, rien n'interdit aux parties de convenir d'un taux d'intérêt conventionnel calculé sur une autre base".

On se souvient que la décision précitée du 10 janvier 1995 avait suscité un débat doctrinal où se confrontaient les avis de ceux pensant qu'il limitait l'exigence de la référence à l'année calendaire au seul TEG, comme Monsieur Auckenthaler (6), et ceux avançant que la solution devait aussi s'appliquer au taux d'intérêt conventionnel, à l'image de Messieurs les Professeurs Gavalda et Stoufflet (7) à qui l'arrêt du 19 juin 2013 donne donc raison. Quant à l'arrêt du 24 mars 2009, il convient de le relire ex post comme limité aux seuls emprunteurs professionnels puisque le revirement partiel qu'opère l'arrêt commenté est circonscrit aux seuls consommateurs et non-professionnels.

Ce faisant, la première chambre civile peine à nous convaincre au nom d'un argument de texte basique : ni les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du Code de la consommation, ni l'article 1907 du Code civil ne disposent qu'il est obligatoire de stipuler un intérêt calculé sur 365 jours. Le principe de liberté contractuelle commanderait d'ailleurs le contraire, avec le bémol des clauses abusives que nous mentionnions précédemment. Nous nous permettons donc, tout en marquant notre approbation quant à la solution retenue, de voir dans le visa de l'arrêt du 19 juin 2013 un fondement juridique plutôt faible.

B - La disharmonie avec les règles relatives au taux effectif global

Cette faiblesse vire franchement à la maladresse dès lors que l'on met cette décision en perspective avec les dispositions applicables en matière de TEG. Car il y a quelque incohérence à réserver le bénéfice de la solution aux seuls consommateurs et non-professionnels tout en se fondant sur les règles relatives au TEG dont la Cour de cassation n'a de cesse de répéter qu'elles s'appliquent également aux professionnels (8).

Si le fondement de l'interdiction professée par l'arrêt du 19 juin 2013 réside dans la législation applicable au TEG et que le TEG concerne aussi bien les emprunteurs professionnels que non-professionnels, alors nous ne voyons pas bien pourquoi la Cour de cassation a limité sa prohibition du référentiel de l'année bancaire aux seuls consommateurs et non-professionnels. Si la Cour de cassation voulait opérer cette distinction, elle aurait dû le faire sur la base du dispositif concernant les clauses abusives qui ne s'applique qu'aux consommateurs et non-professionnels et qui est destiné à traiter des situations de déséquilibre telle que celle naissant d'une stipulation d'intérêts avec une année de 360 jours.

Ou alors, pour finir sur une note taquine, osons nous demander s'il ne faut pas déceler dans l'arrêt du 19 juin 2013 une intention de la Cour de cassation de ne plus appliquer le TEG dans les prêts aux professionnels. Voilà qui serait un vrai progrès juridique, car nous sommes d'avis que le TEG n'a aucun objet dans un prêt fait à un emprunteur professionnel, à même de comprendre par ses propres moyens le coût de son endettement et ne bénéficiant presque plus de la protection contre les taux usuraires. Plus sérieusement, ce n'est vraisemblablement pas ce qu'avaient en tête les magistrats de cassation, mais il nous paraît pertinent de souligner combien frapper du sceau du TEG une décision sans rapport direct avec le sujet est un procédé douteux aux effets incertains.

Contrairement à d'autres (9), comme nous l'évoquions précédemment, nous croyons que, l'arrêt du 19 juin 2013 rendu, celui du 24 mars 2009 a fait son temps, au moins en partie. Il nous paraît donc avoir ici un revirement partiel : la capacité des parties à stipuler clairement un calcul d'intérêts sur une année de 360 jours est désormais réduite aux seuls emprunteurs professionnels. Restent, par ailleurs, les principes, acquis depuis un certain temps déjà, qui veulent que, à défaut de précision contractuelle, l'année retenue pour le calcul du taux conventionnel ne peut être que l'année civile (10) et que le TEG ne peut être calculé que sur la base de cette dernière (11).

Concluons sur notre satisfaction de voir que, toute pataude qu'elle soit, la décision qui nous a retenus aboutit à ce que l'année de 360 jours ne soit presque plus. Certes, on eût préféré que ce fut sur une base juridique plus solide pour accompagner cet abandon par la France, tel un fils prodigue, de quelques souvenirs rappelant indirectement des années sombres de son histoire, celles-là où elle revécut dans sa chair le martyre d'Etienne (12).


(1) Nos obs., Les distorsions du temps bancaire, Lexbase Hebdo n° 348 du 30 avril 2009 - édition privée (N° Lexbase : N0465BKG).
(2) Cf. Recueil général des lois, décrets, ordonnances, etc. depuis le mois de juin 1789 jusqu'au mois d'août 1830, annoté par M. Lepec, 1839, t. 5, p. 414.
(3) Commission des clauses abusives, recommandation n° 05-02 du 14 avril 2005, relative aux conventions de compte de dépôt (BOCCRF du 20 septembre 2005).
(4) En matière bancaire, Cass. civ. 1, 23 janvier 2013, n° 10-28.397, FS-D (N° Lexbase : A8772I3B).
(5) Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530, FS-P+B (N° Lexbase : A2120EEA) et nos obs., préc. note 1. Voir également, RDBF, 2009, comm. 116, obs. F. Credot et Th. Ssamin ; Banque et Droit, mai-juin 2009, p. 22, obs. Th. Bonneau.
(6) JCP éd. G., 1995, II, 22475.
(7) JCP éd. E., 1995, I, 465, n° 13.
(8) Par ex., Cass. com., 5 octobre 2004, n° 01-12.435, FS-P+B (N° Lexbase : A5566DDI), RTDCom., 2005, p. 153, note D. Legeais.
(9) V. Avena-Robardet, Le taux conventionnel ne peut être calculé sur la base de 360 jours. Revirement ?, D., Actualités, 1er juillet 2013.
(10) Cass. com. 17 janvier 2006, n° 04-11.100, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5342DMS), Bull. civ. IV, n° 11 ; RTDCom., 2006, 460, obs. D. Legeais.
(11) Cass. civ. 1, 5 octobre 2004, op. cit.
(12) Ce très modeste article est dédié à celui qui en est le commencement et la fin, Louis-Etienne, né le 26 juin 2013, pour le plus grand bonheur de ses parents.

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