La lettre juridique n°534 du 4 juillet 2013 : Éditorial

Accès au logement et urbanisme rénové : "et si l'humble garni qui nous servait de nid ne payait pas de mine"...

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Accès au logement et urbanisme rénové : "et si l'humble garni qui nous servait de nid ne payait pas de mine".... Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8890661-acces-au-logement-et-urbanisme-renove-i-et-si-lhumble-garni-qui-nous-servait-de-nid-ne-payait-pas-de
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


La loi "Duflot" 2 vient d'être annoncée à grand renfort de communication gouvernementale. Dispositif se targuant de vertus ouvertement sociales, il n'est point l'heure, ici, d'effectuer l'analyse exégétique de l'ensemble des dispositions composant le texte de 200 pages et 84 articles présenté en conseil des ministres le 26 juin 2013 -avant donc la batterie d'amendements qu'un tel texte affichant de hautes ambitions réformatrices ne manquera pas de susciter-. Tout juste relèverons-nous, avec et après tant d'autres, quelques "perles" ayant déjà, et qui ne manqueront pas encore, de provoquer l'ire des propriétaires, des professionnels de l'immobilier, des syndics et, effet boomerang oblige, des locataires eux-mêmes.

La mesure la plus emblématique semble être l'encadrement des prix des loyers (d'habitation). Le mécanisme est une usine à gaz comme seul sait le faire un gouvernement républicain du XXIème siècle, c'est-à-dire un système fondé sur la coopération aléatoire, la restriction punitive et la sanction pécuniaire. Outre le fait que le dispositif repose en grande partie sur la remontée des prix des loyers dans toutes les régions et suivant toutes les configurations, ce à quoi les professionnels de l'immobilier ne se sentent pas obligés à l'heure actuelle, la détermination du loyer médian risque fort de relever d'un certain arbitraire. Et, que se passerait-il, d'ailleurs, si ce fameux indicateur s'avérait trop élevé ? Le jeu de l'offre et de la demande en matière de biens n'emporte souvent que peu de variation tarifaire, du moins de manière non suffisamment significative pour que l'intérêt des clients, ici les locataires, soit remarquable. Si ce ne sont pas les professionnels du secteur qui encadrent déjà les loyers, ce sont les sites d'annonces et autres journaux spécialisés qui marquent le pas.

Et, quand bien même le loyer pratiqué serait plus élevé que le loyer médian, il s'agira alors d'ouvrir un précontentieux devant la commission de conciliation ad hoc pour obtenir une réduction de ce dernier : au mépris donc de la force obligatoire du contrat. En soi cette atteinte aux dispositions de l'article 1134 du Code civil n'est pas nouvelle... Les juristes la connaissent bien dans le cadre de la rescision pour cause de lésion ; les avocats en connaissent les incongruités dans le cadre du contentieux de l'honoraire au regard des pouvoirs du juge taxateur de réduire leur montant selon la prestation servie. Mais bien évidement cette réduction du montant du loyer ne serait pas sans conséquence, d'abord, sur le climat des relations entre les locataires et les bailleurs -ces derniers étant déjà parfois frileux à l'idée de louer compte tenu de certains risques d'impayés ou d'effectuer des réparations et autres aménagements de modernisation lorsque le rendement du bien peut en être amputé- ; ensuite, sur d'autres contrats dits nécessaires ou de la vie courante (assurance, énergie, transport, alimentation...) -pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? La boîte de Pandore sera dès lors ouverte...-. On comprend qu'une telle réfaction du bail soit permise en supposant que la liberté contractuelle ait été initialement viciée par la force économique exercée par le bailleur sur le marché de l'offre. Mais cette configuration est malheureusement monnaie courante dans nombre de relations contractuelles, sans que cela n'émeuve les pouvoirs publics (cf. cas précités, à l'exception du marché de l'énergie domestique). Par ailleurs, le projet de loi prévoit d'ores et déjà de notables dérogations au contrôle des loyers, en cas de travaux ou de prix antérieur anormalement bas, notamment ; exceptions venant alourdir, même si c'est ici fort heureusement, le régime proposé aux parlementaires.

Ne nous méprenons pas, le contrôle des prix n'a pas disparu avec celui de la baguette de pain. Les gouvernements successifs contrôlent directement ou indirectement le prix de certains biens ; la TIPP flottante et son avatar récent en matière de carburant en est l'exemple le plus patent. Mais ce contrôle, souvent pas le biais d'une modulation de taxes, est parfois juridiquement critiqué -on pense naturellement au feuilleton des annulations des arrêtés réglementant le prix du gaz en France-. Mais, dans ce dernier cas, l'opérateur est détenu encore principalement par l'Etat lui-même. Et il est rare que le contrôle des prix soit directement réglementé lorsqu'il y va d'un marché tout ce qu'il y'a de plus privé : c'est le droit constitutionnel de propriété qui risque bien d'enrayer la dynamique gouvernementale, si ce n'est le principe de la liberté d'entreprendre.

Autre dispositif remarqué : la professionnalisation des professionnels de l'immobilier (sic) ! La loi "Hoguet" avait omis d'obliger la majorité des intermédiaires de l'immobilier à effectuer une déclaration préalable et surtout à se former de manière continue. Cela serait désormais chose faite : une certification qui justifiera sans doute le relèvement des honoraires. On imagine mal un commerçant relever son niveau d'exigence et de compétence au bénéfice de son client sans lui en faire payer le prix de quelconque manière...

Enfin, autre marotte gouvernementale, l'encadrement des frais d'intermédiation pour limiter le coût de l'accès à la location d'un bien. Outre que faire supporter le coût de l'honoraire exclusivement à la charge du propriétaire décourage le recours à un intermédiaire et paupérise à terme les professionnels de l'immobilier, il faut préciser que l'ensemble des actes et frais particuliers sera à la charge des deux parties. Autrement dit étant donné la liberté contractuelle en la matière, il faut s'attendre à des tours de "passe passe" pour une répartition égalitaire in fine de la charge. Passons sur le fait que l'extension du périmètre du droit permette aujourd'hui aux professionnels de l'immobilier de rédiger un bail ; bien entendu les propriétaires se dispensant du concours de ces professionnels afin de s'en dispenser le coût, recourront aux services plus volontiers des notaires dont les honoraires ne sont guère plus abordables... au détriment des locataires.

Non chacun le sait, il ne sert à rien de traiter les seules conséquences d'un marché locatif tendu, mais, sauf à imiter Sisyphe, il convient de s'attaquer aux causes. Et, ces causes, contrairement à une idée répandue, notamment par la précédente majorité parlementaire, ne résident pas foncièrement dans l'insuffisance du parc immobilier sauf à penser que la densification urbaine soit la panacée absolue.

Le véritable problème locatif réside, chacun le sait, essentiellement dans les grandes agglomérations et plus singulièrement à Paris et sa proche banlieue. La clé de la libération du marché locatif réside dans la décentralisation économique. Désengorger Paris des milliers d'entreprises qui pourraient officier en Province ou ailleurs, et le tissu socio-économique suit, la demande parisienne décroît, les prix baissent et le marché n'est plus tendu.

Ce n'est pas une énième loi réformant le droit immobilier qu'il faut, c'est une nouvelle loi de décentralisation, cette fois économique, incitant les entreprises à fuir les grandes agglomérations lorsque leur présence n'est pas fondamentale ou requise, et les encourager à aller ailleurs que dans les zones prioritaires ou sensibles pas nécessairement adaptées non plus à leurs activités. Et le reste suivra : décentralisation culturelle, technologique, etc.. La France est malade de son poumon économique (l'Ile-de-France), et c'est une bonne saignée qu'il lui faudrait. Un remède à la monsieur Purgon, mais faute de mieux...

Le développement systématique des nouvelles méthodes et organisations du travail concourrait aussi à ce désengorgement souhaitable. Les avancées en la matière sont encore trop timides. L'organisation du travail en entreprise est encore fondée sur le schéma industriel ; l'usine avait pour vertu de réunir et de mettre en commun l'appareil productif et les compétences requises. Les nouvelles technologies permettent l'éclatement des sites selon d'ailleurs la singularité des pôles de compétences. C'est là encore un rapprochement entre pôles de compétence et pôle de formations universitaires ou professionnelles qu'il faut accentuer. Et ces pôles ne sont, fort heureusement, pas tous en région parisienne !

Comme en matière de circulation et de pollution, le courage politique et l'antique ordre public de direction commandent l'équitable répartition du tissu socio-économique sur tout le territoire ; répartition possible singulièrement en France compte tenu de ses réseaux routier, ferroviaire, aérien et numérique. Augmenter l'offre comme augmenter les voies de circulation intramuros ou encadrer de manière dirigiste la location comme taxer l'utilisation de la voiture à tout va sera un énième coup d'épée dans l'eau. Convaincre de la richesse de la délocalisation des entreprises parisiennes en province, en adaptant le droit commercial et le droit du travail, tel pourrait être l'ambition d'un traitement des causes plutôt que des conséquences d'un marché locatif tendu.

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