La lettre juridique n°534 du 4 juillet 2013 : Public général

[Le point sur...] L'exécution des décisions administratives

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par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

le 23 Octobre 2014

L'arrêt "Huglo" (1), fort daté maintenant, a indiqué que le caractère "exécutoire" des décisions administratives était une "règle fondamentale du droit public". La mention de ce caractère induit dans l'esprit du lecteur quelques idées quant au mode d'exécution des décisions administratives. Ce thème nourrit bien des mythes, séparant les véritables spécialistes des néophytes, souvent d'ailleurs administrés. La raison en est bien l'usage du terme "exécutoire", qui entretient l'idée d'une similarité entre les décisions administratives et les décisions de justice. La similarité en question se trouverait dans les "privilèges" dont bénéficie l'administration par rapport aux décisions des particuliers. Mais, du point de vue de l'exécution, ses décisions ne sont pas des décisions de justice, et il n'est pas question de leur attribuer les mêmes effets. L'emploi d'un terme identique pour désigner les deux types de décision trouve à la fois son explication et sa résolution dans l'histoire du pouvoir administratif et de la doctrine qui le décrit et l'ordonnance. L'origine du qualificatif "exécutoire" accordé aux décisions administratives se trouve dans le fait que l'administration fut longtemps son propre juge. Pourtant, lorsque le qualificatif est employé dans les lois sur l'administration municipale du XIXème siècle, il ne s'agit même pas de désigner des décisions ayant pour objet de trancher des litiges administratifs. On peut de toute évidence conclure à une maladresse de langage, nonobstant le fait que l'on repère déjà quelques confusions conceptuelles chez les différents acteurs. Dans les ouvrages de droit administratif écrits à la suite de la création des universités impériales, le terme "exécutoire" est employé dans trois cas très distincts : pour désigner l'entrée en vigueur des décisions municipales, d'une part, pour désigner les décisions rendues dans le cadre de l'administration-juge, d'autre part, et, enfin, pour désigner les décisions de contrainte émises par l'administration fiscale. Aucune relation n'est faite entre les trois hypothèses, non plus qu'une interrogation sur l'usage commun du terme "exécutoire" alors que, de toute évidence, il désigne plusieurs types d'effets des décisions administratives, qui ne sont pas les différentes faces d'un même dé. L'usage du terme sert plus tard, chez Edouard Laferrière tout d'abord, chez Maurice Hauriou ensuite, à organiser une théorie de l'action administrative. La catégorie "décision exécutoire" va, dès lors, désigner de manière globale l'action administrative, en raison de ses "privilèges" et traits caractéristiques, qui la distinguent de l'action des particuliers.

A partir de ce moment là, l'ordre juridique et doctrinal fait coexister deux types de "décisions exécutoires" : celles judiciaires, de toujours ou presque (on trouve "officiellement" la première trace du terme exécutoire dans la procédure judiciaire en 1437), et celles administratives, beaucoup plus récentes, qui n'ont que par exception les mêmes effets exécutoires que les premières. Ce que, dans ce cas, elles ont de commun, c'est le fait d'être un "titre exécutoire", au sens de l'article L. 111-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5790IRU), c'est-à-dire que "le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution". Et, à la lecture de l'article L. 111-3 du même code (N° Lexbase : L5791IRW) (qui établit une liste des titres exécutoires, liste en principe limitative), les décisions administratives ne constituent des titres exécutoires que s'ils sont "qualifiés comme tels par la loi", ou lorsque la loi leur "attache les effets d'un jugement", ce qui ne vise pas les situations courantes de l'action administrative.

Pour autant, il est bien établi que, une fois régulièrement prises et entrées en vigueur, les décisions de l'administration doivent être exécutées, tant par ses destinataires que par son auteur, et il en est ainsi dans la plupart des cas. En cas d'inaction de l'administration elle-même, il est possible d'obtenir de l'administration qu'elle mette en oeuvre ses propres décisions, dans un délai raisonnable, y compris sous astreinte. En cas d'inaction des administrés, l'exécution des décisions administratives correspond à des réalités distinctes, à la fois en fonction du domaine d'administration concerné, en fonction des moyens que l'administration, à tort ou à raison, utilise pour vaincre cette inaction, et en fonction enfin de ce qu'il s'agit effectivement d'exécuter. Il faut envisager la notion d'exécution au sens large : l'exécution est aussi bien une action qu'une abstention, comme une obligation est aussi bien une obligation de faire que de ne pas faire. En s'abstenant d'agir lorsque c'est une obligation de ne pas faire qui est espérée, il y a, volontairement ou involontairement, exécution. Mais, lorsqu'on parle de l'exécution d'une décision administrative, ce n'est pas pour viser ce qui résulte de l'acte lui-même. Il faut ainsi distinguer les effets proprement décisionnaires de l'acte, des effets attendus de la part de ses destinataires, effets correspondant à la notion d'exécution. L'effet de la décision est de faire naître l'obligation, l'exécution est de réaliser effectivement l'obligation, quelle qu'elle soit.

L'administration dit le droit : elle prend, d'elle-même, unilatéralement comme on a l'habitude de le souligner, mais selon le droit et en suivant les procédures, des décisions qui créent des droits et des obligations à la charge de leurs destinataires, particuliers, personnes morales ou personnes publiques, de manière individualisée (actes individuels) ou générale (actes réglementaires). D'une certaine manière, on peut parler d'"auto-réalisation", la relation juridique s'en trouve immédiatement modifiée, qu'elle confère ou retire des droits, permette, défende ou commande une action. Du point de vue de la volonté de faire naître de nouveaux droits et obligations, les décisions de l'administration emportent donc leur propre réalisation, sans intervention spécifique nouvelle et sans le bon gré des sujets de droit qui se trouvent d'emblée saisis par ces nouveaux droits et obligations. Cela ne signifie pas que la décision prise n'est pas contestable, devant l'administration comme devant un juge, ni que les droits et obligations créés sont immuables, puisque tant le juge que l'administration elle-même peuvent, en suivant certaines règles, les annuler, les modifier ou les faire disparaître. Mais il reste que les droits et obligations peuvent demeurer à l'état de prescriptions si aucune exécution ne s'ensuit.

L'exécution peut être le fait de l'administration comme de l'administré, en fonction de la décision considérée. Dans de nombreux cas, il n'y a pas de difficultés. Par exemple, la décision fixant les conditions d'attribution d'une bourse d'études sera suivie de décisions individuelles attribuant lesdites bourses aux personnes remplissant les conditions, puis, pour exécuter ses décisions, suivra l'ordre donné au service comptable de verser la somme d'argent aux personnes bénéficiaires, puis, enfin, interviendra le versement effectif de cette somme. Les premières décisions sont des mesures juridiques d'exécution, tout en constituant elles-mêmes des décisions à exécuter ; la dernière est une mesure matérielle d'exécution. Lorsque l'administré est le principal acteur de l'exécution de la décision, il y a peu de difficultés lorsque celle-ci lui confère un "droit". C'est le cas, par exemple, pour le titulaire d'un permis de construire qui construit effectivement l'immeuble pour lequel il a obtenu le permis. A l'inverse, le débiteur d'une obligation de démolir peut effectivement démolir son immeuble.

La question de l'exécution, et surtout, des moyens d'exécution des décisions administratives, ne se posent donc presqu'exclusivement que lorsque les administrés n'obtempèrent pas de leur propre gré, ou lorsque l'administration décide de manière inopportune de procéder à l'exécution matérielle et contrainte de ses décisions. Cela dit, il existe des hypothèses où l'administré ne peut résister à l'exécution de la décision (I) ; dans d'autres cas, l'administration dispose de moyens importants pour l'inciter à passer lui-même à l'exécution de la décision (II) ; parfois encore, mais plus rarement, l'administration recourt à la contrainte, sur les biens ou même sur les personnes (III). Dans tous les cas, l'intervention de l'administration n'exclut pas le juge, auquel il peut être recouru tant pour obtenir l'exécution des décisions administratives, que pour l'empêcher (IV).

I - L'exécution des décisions administratives à laquelle l'administré ne peut résister

Certaines décisions sont pleinement exécutées, soit du seul fait de leur édiction, soit, parfois, du fait de l'édiction d'autres décisions administratives juridiques. Elles ne nécessitent donc jamais l'usage de la force, et, c'est une particularité notable, l'administré ne peut jamais leur opposer de réelle résistance. La décision type qui ne nécessite pas l'emploi de moyens particuliers propres à son exécution est la mesure de révocation d'un fonctionnaire (2). L'administration dispose, quand elle prend ce type de décision, de tous les moyens destinés à en assurer l'exécution : ces moyens se trouvent quasiment dans la décision elle-même. Le fonctionnaire révoqué perd en effet, du seul fait de l'émission et de l'entrée en vigueur de la mesure de révocation, ses attributions et son traitement. La cessation du versement de son traitement peut être considérée comme une mesure d'exécution matérielle de la décision de révocation, sans que le fonctionnaire ait la capacité d'y faire obstacle. Il subit en quelque sorte un "coup de force juridique", sans avoir été physiquement contraint, ni sur ses biens (il n'y a par exemple aucune saisie sur salaire), ni sur sa personne (on ne peut le contraindre physiquement à ne plus être fonctionnaire puisqu'il ne l'est déjà plus du fait de la décision qui lui fait perdre son statut juridique). Le fonctionnaire n'a aucun moyen de résister à la décision : il dispose seulement d'un pouvoir de provoquer ultérieurement sa disparition, par exemple en exerçant un recours devant le juge administratif, recours qui n'est pas suspensif. En revanche, il peut y avoir absence d'exécution de la part des organes internes de l'administration, involontaire ou volontaire : ainsi, le service comptable va continuer à verser le traitement au fonctionnaire révoqué.

II - Les moyens d'incitation à l'exécution des décisions administratives

Quand la résistance de l'administré fait obstacle à l'exécution de la décision administrative, l'administration, sans procéder d'office à leur exécution, dispose parfois de moyens spécifiques, propres à inciter l'administré à abandonner son attitude récalcitrante. Ces moyens sont les sanctions que l'administration peut infliger aux administrés se trouvant dans un rapport de droit avec elle. Si les sanctions ont un caractère punitif de la violation d'une obligation mise à la charge d'un administré, elles se présentent également en amont comme un moyen de dissuasion : l'administré sait qu'en résistant, il s'expose à une sanction. En principe, toute sanction administrative doit avoir été prévue par le législateur. Mais le Conseil d'Etat a jugé que, dès lors que le pouvoir réglementaire était compétent pour fixer certaines règles d'exercice d'une profession, il l'était également pour prévoir des sanctions administratives en rapport, par leur objet et leur nature, avec cette réglementation (3).

Les sanctions administratives se présentent souvent sous la forme de sanctions pécuniaires (amendes), d'interdiction d'exercer une activité, de retrait d'une carte professionnelle, ou de fermeture d'un établissement. Les mesures disciplinaires peuvent apparaître, du point de vue de la faute qu'elles sanctionnent, comme de véritables sanctions, mais elles n'ont pas toujours pour objet l'exécution d'une décision administrative préalable. En principe, les mesures de police administrative ne peuvent être assimilées à des sanctions car elles n'ont pas pour objet légal de sanctionner une faute (4).

III - Les conditions -restrictives- de l'usage de la contrainte pour parvenir à l'exécution des décisions administratives

Parfois, en cas de récalcitrance de l'administré, ou parce que l'exécution d'une décision apparaît insuffisante, l'usage de la force peut s'avérer être le seul moyen de réaliser l'exécution d'une décision, en contraignant le débiteur. Or, il se trouve que le détenteur unique de la force publique est, en droit français, l'administration. Mais le recours à la force publique, c'est-à-dire l'usage de la contrainte physique sur les biens ou les personnes -qu'on appelle "voies d'exécution"- n'est, en droit français, rendu possible que pour les titulaires d'un titre exécutoire, qui a seul cette fameuse force exécutoire. Les titres exécutoires permettent de procéder aux saisies, aux ventes forcées, et autres actes d'exécutions sur les biens, ou parfois sur la personne du débiteur, dans le but de réaliser les obligations visées par le titre. La simple décision administrative n'est en principe pas un titre exécutoire, sauf qualification du législateur ou s'il lui a attribué les effets d'un jugement. Toutefois, en dehors de l'autorisation particulière de la loi, l'urgence ou l'impossibilité de parvenir à l'exécution de la décision administrative par un autre moyen peuvent justifier le recours à l'exécution forcée, comme cela a été reconnu depuis la jurisprudence "Société immobilière de Saint-Just" (5).

Les autorisations législatives. Les dernières années tendent à montrer une multiplication des autorisations législatives dans le sens de l'exécution forcée, même si l'intervention du juge est souvent prévue a priori. Il est intéressant de noter qu'il existe une matière où les autorités administratives ont une compétence quasi-générale pour procéder à l'exécution forcée de leurs décisions : c'est le recouvrement des créances financières des personnes publiques. En effet, à partir du moment où une personne publique détient une créance à l'égard d'une autre personne, qu'elle a fait elle-même naître, elle dispose du pouvoir de se délivrer un véritable titre exécutoire au sens de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L9124AGZ), codifiée au Code des procédures civiles d'exécution, et ainsi de recouvrer sa créance par les moyens de la coercition. Les titres exécutoires des personnes morales de droit public recouvrent des catégories d'actes d'origines très diverses. Aux termes de l'article L. 252-A du LPF (N° Lexbase : L3929AL4), "constituent des titres exécutoires, les arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir".

Les créances des personnes publiques qui donnent lieu à recouvrement peuvent être distinguées selon qu'elles ont une nature fiscale ou non. Il y a donc, d'une part, les titres exécutoires en matière fiscale (impôts directs et taxes assimilées, contributions indirectes et assimilées) et, d'autre part, les titres exécutoires des créances non fiscales (autrement dénommées créances étrangères à l'impôt et au domaine, ou créances ordinaires). En matière non fiscale, on peut noter que l'origine des créances faisant l'objet de titres exécutoires est très diversifiée : des titres de perception peuvent être émis aussi bien pour des créances se rattachant à l'exercice d'une prérogative de puissance publique, et correspondant à des prestations non acquittées (taxe de séjour, taxe sur la publicité, de balayage, d'enlèvement des ordures, droit de voirie ou de stationnement, etc.), que pour des créances contractuelles (prêt du crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises -ou du crédit municipal, bail souscrit auprès d'un office public d'aménagement et de construction), quasi-contractuelles (répétition d'une subvention versée indûment), quasi-délictuelles (indemnité due à une personne publique victime d'un dommage), ou encore des créances résultant d'amendes ou de sanctions pécuniaires prononcées par des juridictions ou des autorités administratives indépendantes (Autorité de la concurrence, Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité des marchés financiers, etc.). Ces titres se manifestent par différents actes selon leur auteurs : ce sont des ordres de recette quand ils sont émis par l'Etat ou ses établissements publics (sauf pour les créances domaniales) ; ce sont des arrêtés, états et rôles quand ils résultent des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics ; ce sont enfin des arrêtés de débet (non revêtus en principe de la contrainte) quand ils sont édictés par les ministres, ainsi que par les comptables publics ou les régisseurs d'avance ou de recettes à l'encontre de tout entrepreneur, fournisseur ou soumissionnaire de marché public détenteur de deniers publics.

La désobéissance à la loi non susceptible d'être combattue par un autre moyen. C'est l'hypothèse où, sans être directement prévue par la loi, l'exécution forcée d'une décision administrative trouve son fondement dans la loi. La légalité de l'exécution forcée est cependant subordonnée à la réunion de quatre conditions, exposées par le commissaire du Gouvernement Romieu dans ses conclusions précitées.

- L'obligation mise à la charge du débiteur trouve son fondement dans la loi. Les tribunaux envisagent toutefois cette condition avec une certaine souplesse et justifient légalement l'obligation faisant l'objet de l'exécution forcée par la nécessité du maintien de l'ordre public, mission conférée aux maires et aux préfets depuis la loi municipale du 5 avril 1884 (6).

- L'obligation mise à la charge du débiteur doit nécessairement être exécutée dans la mesure où le débiteur est effectivement récalcitrant. Le commissaire du Gouvernement Romieu disait que "l'exécution administrative ne se conçoit que par la nécessité de contraindre les citoyens à obéir à la loi [...]" ; ainsi, "quand l'exécution forcée n'est plus nécessaire, elle n'est plus licite". Il suffit que la résistance de l'administré soit prouvée, qu'elle soit légitime ou non, mais cette condition n'est pas toujours facile à déterminer.

- Il faut qu'il n'existe aucun autre moyen que celui de l'exécution forcée pour vaincre la résistance de l'administré. L'exécution forcée ne doit être employée qu'à défaut de toute autre procédure qui permettrait de parvenir au même résultat. La jurisprudence a d'ailleurs évolué sur ce point. A l'origine, il suffisait qu'il n'existe aucune sanction pénale pour que l'emploi de l'exécution forcée soit considérée comme légal, mais rapidement il fallut également l'absence de sanctions civiles, puis de sanctions administratives. En revanche, la possibilité du recours au juge n'est pas reconnue comme un moyen légal de parvenir à l'exécution de l'acte. Les procédures qui empêchent l'exécution forcée sont toujours des procédures spéciales par rapport au droit commun du recours au juge. C'est ainsi que les règlements de police ne sont, en principe, pas susceptibles d'être exécutés par la force. La règle peut conduire à ce que l'exécution forcée soit impossible dans la mesure où malgré l'existence de sanctions pénales, le juge répressif refuse de les appliquer, car il estime illégale la décision à exécuter alors qu'elle est jugée légale par le juge administratif. Dans ce cas, la résistance de l'administré est victorieuse.

- Les mesures d'exécution forcée ne doivent pas aller au-delà de l'exécution de l'obligation qui trouve son fondement dans la loi, directement ou indirectement (notion d'ordre public par exemple) (7). C'est le principe de l'adéquation des moyens aux fins. La responsabilité de l'administration pourra être engagée toutes les fois que l'autorité administrative aura abusé du procédé de l'exécution forcée en dépassant le strict nécessaire au respect de la loi. La nécessaire réunion de ces quatre conditions limite donc considérablement l'action de l'administration.

L'urgence. L'urgence enfin peut justifier l'exécution forcée d'une décision administrative, que l'administré ait résisté ou non à son exécution, que d'autres procédures, pénales, civiles ou administratives visant à obtenir l'exécution de la décision, existent ou non (8). La très célèbre formule du commissaire du Gouvernement Romieu s'impose ici. La voici : "tout le monde reconnaît qu'il est de l'essence même du rôle de l'administration d'agir immédiatement et d'employer la force publique sans délai ni procédure lorsque l'intérêt immédiat de la conservation publique l'exige : quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l'autorisation d'y envoyer les pompiers ; sur ce point, il n'y a jamais eu de contestation" (9).

Le juge contrôle strictement l'existence de l'urgence. Il paraît, en effet, naturel que la réquisition forcée d'un local, qui n'est pas suivie d'une prise de possession de celui-ci deux mois après indique l'absence d'urgence (10). Il faut remarquer que les mesures de police ne présument en rien de l'existence de l'urgence, mais le juge apprécie plus ou moins souplement l'urgence, notamment en cas de troubles graves ou de circonstances exceptionnelles. L'urgence, en tant qu'elle légalise parfois l'exécution forcée d'une décision administrative, peut légaliser également l'absence de décision préalable, notamment en matière de réquisition (comme elle est susceptible d'empêcher la qualification de voie de fait).

A la différence des voies d'exécution du droit commun, dont l'administration elle-même peut solliciter l'usage auprès du juge, les voies d'exécution que l'on qualifiera d'administratives, permettent très souvent de parvenir à l'exécution d'une obligation en nature. L'administration peut, en effet, dans de nombreuses hypothèses, se substituer au débiteur et réaliser à ses frais et à sa place, l'exécution en question. Qu'elles soient prévues par la loi, justifiées par l'urgence, ou rendues possibles par l'inexistence de toute autre sanction et la nécessité d'exécuter l'obligation résultant en premier lieu de la loi, les mesures d'exécution forcée destinées à vaincre la résistance des administrés face à des décisions administratives, sont susceptibles de porter sur les biens ou sur la personne même du débiteur.

Les mesures d'exécution forcée portant sur les biens. Elles recouvrent une variété de procédés : elles peuvent être constituées par une utilisation des biens du débiteur (droit de réquisition, justifiée par une loi ou par l'urgence, ou servitude de passage par exemple), ou par l'occupation temporaire de terrains privés (on peut citer la loi du 29 décembre 1892, relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics N° Lexbase : L1804DN7), sur l'occupation temporaire de terrains privés en vue de l'exécution de travaux publics et sur le droit de pénétration des agents de l'administration sur les propriétés privées). Elles peuvent être constituées par l'exécution de travaux sur des biens, généralement immobiliers. Les mesures d'exécution forcée peuvent être aussi des mesures classiques de saisies de biens (11). Il peut encore s'agir d'enlèvements, comme l'enlèvement de barrières édifiées sur des voies communales, justifié par l'urgence (12), d'immobilisations, ou de transferts de biens, le célèbre ancien article L. 25 du Code la route prévoyant ainsi l'immobilisation ou la mise en fourrière d'un véhicule en stationnement interdit compromettant la sécurité des usagers de la route, "la tranquillité ou l'hygiène publique, l'esthétique des sites et des paysages classés, la conservation ou l'utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances". Si l'article L. 25 offre un large pouvoir à l'administration, son exercice est strictement contrôlé. Enfin, il peut s'agir de la mise hors d'usage ou de la destruction de biens.

Les mesures d'exécution forcée portant sur les personnes. Pour l'exécution des décisions administratives, les mesures destinées à employer l'usage de la force sur la personne même du débiteur de l'obligation sont assez rares, et font, comme en droit commun, l'objet d'un certain nombre de garanties. On citera comme le cas le plus connu, celui des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, dont le régime est organisé par l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : L4788AGG). Il peut s'agir de l'exécution de mesures d'expulsion, de reconduites à la frontière ou d'un rapatriement forcé d'un étranger qui voudrait entrer illégalement sur le territoire. On peut citer également les contrôles d'identité, les mesures prises en matière de police des aliénés, ou l'hypothèse d'une manifestation qui dégénère en attroupement et qui permet alors l'usage direct de la force par les agents de police "si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent" (sur le fondement de l'article R. 431-1 du Code pénal N° Lexbase : L6907IQU). En outre, l'urgence peut justifier ponctuellement des mesures d'expulsion de personnes d'un lieu déterminé où elles sont susceptibles de provoquer des troubles à l'ordre public..

Les conséquences du recours illégal à la contrainte pour l'exécution des décisions administratives. Le principe demeurant l'impossibilité pour l'administration de recourir à l'exécution forcée de ses propres décisions, elle engage, en cas d'agissement contraire, sa responsabilité devant les tribunaux, administratifs ou judiciaires. Deux hypothèses sont concernées : l'administration ne disposait en aucune façon du droit d'exécuter sa décision par la force, que celle-ci soit légale ou illégale ; l'administration avait le droit d'exécuter sa décision par la force, mais la décision exécutée est illégale. Quand l'illégalité de l'exécution forcée porte de surcroît atteinte au droit de propriété ou à la liberté individuelle, l'administration commet généralement ce qu'on appelle une voie de fait, justiciable de la juridiction judiciaire. La formulation du Tribunal des conflits est même très claire : "il est de principe que l'exécution forcée par l'administration de ses propres décisions constitue une voie de fait" (13). Si l'exécution forcée est constitutive d'une voie de fait, cela entraîne que le juge judiciaire dispose d'une compétence plénière, d'une part pour donner réparation à la victime de la voie de fait, d'autre part pour enjoindre à l'administration de cesser son comportement irrégulier. L'administration peut ainsi être contrainte d'évacuer des locaux occupés dont elle aurait pris irrégulièrement possession ; elle peut être contrainte de restituer des objets qu'elle a irrégulièrement saisis. Dans tous les cas, les injonctions du juge judiciaire peuvent être assorties d'astreintes. Il existe en réalité des cas peu nombreux d'exécution forcée régulière. Il arrive toutefois que, en dépit de l'illégalité de l'exécution forcée d'une décision administrative, le juge refuse d'accorder des indemnités au demandeur parce que celui-ci ne respectait de toute façon pas ses obligations, et que le préjudice résulte alors principalement de ses propres agissements (14). Mais le refus du juge d'accorder des indemnités peut aussi provenir du fait que, si elle a procédé irrégulièrement à l'exécution forcée de sa décision, l'administration serait parvenue au même résultat en utilisant un autre procédé, légal.

IV - Le recours au juge pour obtenir ou empêcher l'exécution d'une décision administrative

Le recours au juge peut être envisagé dans deux hypothèses : soit pour obtenir qu'il prononce une sanction, qui a été prévue par le législateur, soit pour obtenir qu'il prononce une condamnation de l'administré à exécuter la décision administrative, avec le recours éventuel à la force publique exercé sur la base du titre juridictionnel. Quelle que soit l'hypothèse, le recours au juge pénal est incontesté, alors que le recours au juge civil et au juge administratif souffre de discussions.

Le recours au juge pénal. L'article 111-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2104AMU) établit la possibilité pour un règlement d'être assorti d'une peine contraventionnelle. Plus spécifiquement, l'article R. 610-5 (N° Lexbase : L0961AB9) permet d'exercer, en vue de l'infliction d'une amende, toutes poursuites contre ceux qui auront contrevenu aux "obligations édictées par les décrets et arrêtés de police". Ce texte concerne tout spécialement les mesures de police et ne trouve application que dans l'hypothèse où la répression pénale de l'inexécution de ces mesures n'aurait pas été organisée par un autre texte. En dehors de cette hypothèse, le juge pénal applique restrictivement la possibilité légale de réprimer pénalement la violation des mesures de police. Il n'est ainsi pas applicable en matière de remembrement (15), ni lorsque l'arrêté de police a un objet financier ou fiscal (16). Il ne s'applique, par ailleurs, qu'à la violation des mesures de police administrative générale, et pas à celle des mesures de police spéciale (17).

Parmi les procédures spécifiques de répression pénale de l'inexécution des décisions administratives, on peut citer la célèbre loi du 11 juillet 1938, sur les réquisitions, dont le refus d'exécution de la part de l'administré est susceptible de sanctions pénales. On citera également la sanction du refus de déférer à une mesure d'expulsion du territoire organisée par l'article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, ou encore la répression devant le juge pénal du refus de publier les mises au point demandées par la commission des sondages électoraux, organisée par l'article 12 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977, relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion (N° Lexbase : L7776AIT).

Le recours au juge civil. L'intervention du juge civil, et notamment celui des référés est parfois prévue par la loi, comme par exemple l'article 30 du Code de la santé publique ([LXB=]) qui permet au juge des référés d'autoriser l'exécution d'office des mesures prises par le maire ou le préfet pour faire cesser l'insalubrité d'un immeuble, ou encore l'article L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2029HPT) qui prévoit que le président du tribunal de grande instance peut infliger une amende civile en cas d'infraction à certaines dispositions de ce code.

En dehors des autorisations législatives de recourir au juge civil, le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires a pu faire penser qu'il serait anormal de permettre au juge civil de s'immiscer dans le processus d'exécution des décisions administratives. Pourtant, le juge civil considère que la non-exécution d'une décision administrative, même si elle est sanctionnée pénalement, peut constituer un trouble manifestement illicite qui l'autorise à enjoindre le contrevenant d'obéir et à autoriser l'administration à intervenir sur le fondement de la décision de justice (18). Il considère également que l'administration peut parfois renoncer au privilège du préalable, notamment en matière contractuelle, et demander au juge de condamner l'administré à remplir ses obligations.

Le recours au juge administratif. Sauf textes, celui-ci refuse en général d'autoriser l'exécution forcée des décisions unilatérales (19). Cependant, il existe certaines hypothèses où la loi prévoit l'intervention du juge administratif, notamment celui des référés, dans l'exécution forcée des décisions administratives, quand aucune sanction pénale n'est prévue, par exemple pour obtenir l'expulsion de personnes occupant sans titre le domaine public, ou de ceux qui perturbent le bon fonctionnement du service public, ou encore même quand aucun mécanisme spécifique n'a été prévu par le législateur tel que celui du recouvrement des créances (20). Parmi les hypothèses prévues par la loi, on peut également mentionner le Code de la construction et de l'habitation sur les édifices menaçant ruine qui prévoit, dans son article L. 511-2 (N° Lexbase : L5334IMI), que le tribunal administratif peut ordonner des travaux d'office en cas de péril imminent. Le juge administratif, dans cette hypothèse, peut même substituer sa propre décision aux mesures de réparation ou à la démolition décidées par le maire dans l'arrêté de péril (CCH, art. L. 511-1 N° Lexbase : L8421HEM).

Les cas de suspension judiciaire de l'exécution des décisions administratives. Les recours juridictionnels contre les décisions administratives n'ayant, sauf exception, pas d'effet suspensif d'exécution, les administrés se trouvent toujours dans l'obligation d'exécuter les décisions faisant l'objet du recours. C'est pour éviter que ne se produisent des conséquences préjudiciables et irréversibles que le juge peut, selon certaines conditions, prononcer le sursis à l'exécution des décisions administratives. C'est la procédure de référé qu'il faut utiliser, par laquelle le juge, statuant comme juge unique, suspend l'exécution des décisions administratives.

Toutes les procédures de référé ne visent pas à la suspension de l'exécution des décisions administratives, mais consistent à ce que le juge ordonne les mesures utiles en fonction des circonstances. S'agissant de la suspension d'exécution, elle est possible dans le cadre des référés "généraux" prévus par le Code de justice administrative (référé-suspension, référé-liberté ou même référé-urgence), ou dans le cadre de référés spéciaux (par exemple le référé précontractuel prévu à l'article L. 551-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1591IEN, ou le référé en matière d'urbanisme, prévu aux articles L. 554-10 N° Lexbase : L3092AL4 à L. 554-12 du même code).


(1) CE, Ass., 2 juillet 1982, n° 25288, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1806ALH).
(2) CE 4° et 6° s-s-r., 18 octobre 2000, n° 208168, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1833AIQ).
(3) CE Ass. 7 juillet 2004, n° 255136, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7719KHD).
(4) A cet égard, la création indirecte de sanctions par l'usage du pouvoir de police est illégale, voir CE 5° et 10° s-s-r., 7 mars 1986, n° 65012 (N° Lexbase : A5710AMG).
(5) T. confl., 2 décembre 1902, n° 00543 (N° Lexbase : A8069BD9), Rec. p.713, conclusions J. Romieu.
(6) Voir, par exemple, le déplacement d'une stèle de granit placée à l'avant d'une tombe, et le déplacement de la plaque portant le nom du défunt : "eu égard à la position initiale de ce monument, au pied même de l'escalier conduisant à l'église paroissiale, la mesure prise par le maire a été décidée légalement sur le fondement de l'article L. 131-2 du Code des Communes, dans un but de sécurité publique" (CE 3° et 8° s-s-r., 24 mars 1997, n° 165273, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9008ADY).
(7) Par exemple, dans l'arrêt "Action française" (T. confl., 8 avril 1935, n° 00822 N° Lexbase : A8174BD4), la mesure d'interdiction et de saisie des journaux était trop générale car frappant indifféremment les lieux où le trouble à l'ordre public était manifeste et les lieux où le risque n'existait pas ou quasiment pas.
(8) Par exemple, l'exécution d'office d'une décision enjoignant à un forain de quitter le champ de foire, en dépit de l'existence d'une sanction pénale encourue par le forain, et ce parce qu'il y avait une menace à la salubrité.
(9) L'absence d'urgence entraîne bien entendu la responsabilité de l'administration : CE, S., 8 avril 1961, n° 46746, Lebon, p. 216.
(10) CE, Ass., 22 novembre 1946, Mathian, Lebon, p. 278.
(11) Les saisies peuvent être justifiées par la loi, comme auparavant pour les armes fabriquées ou commercialisées illicitement (ancien article 24 du décret-loi du 18 avril 1939, sur le matériel de guerre, armes et munitions), ou comme les films diffusés sans visa d'exploitation ( C. industr. cin., art. 22 N° Lexbase : L6408G99), ou encore les saisies conservatoires et ventes de biens saisis pour le recouvrement de créances publiques prévues initialement par le décret n° 63-608 du 24 juin 1963 ; elles peuvent être justifiées également par l'urgence, TC 7 décembre 1950, Bailly, Lebon p. 672.
(12) CE, S., 8 avril 1961, n° 46746, préc..
(13) T. confl., 16 janvier 1995, n° 02938 (N° Lexbase : A5579BQP), Lebon, p. 838.
(14) CE, S., 20 juin 1980, n° 04592, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3801B8B).
(15) Cass. crim., 12 mars 1969, n° 68-90736, publié au bulletin (N° Lexbase : A1362CHW), Bull. crim., n° 114.
(16) Cass. crim., 25 mai 1978, n° 76-90995, publié au bulletin (N° Lexbase : A9510CI3), Bull. crim., n° 167.
(17) Cass. crim., 13 mars 1952, Sirey, 1952, I, p. 175 (police de la chasse) ; Cass. crim., 1er mars 1973, n° 71-93481, publié au bulletin (N° Lexbase : A6379CEY), Bull. crim., n° 107 (police des étrangers) ; Cass. crim., 7 mai 1975, n° 71-92014, publié au bulletin ([LXB=A4534CGZ ]), Bull. crim., n° 120 (police de la presse).
(18) Cass. civ. 1, 2 mai 1978, n° 77-11930, publié au bulletin (N° Lexbase : A7445CEH), Bull. civ., I, n° 169 ; Cass. civ. 1, 14 mai 1991, n° 89-20.492 (N° Lexbase : A4854AHA), Bull. civ., I, n° 158.
(19) CE, Ass., 21 octobre 1994, n° 153458, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0201AIB), Lebon, p. 451.
(20) CE, Ass., 1er mars 1991, n° 118382, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1130B7Y).

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